M. le président. L'amendement n° 226, présenté par MM. Doligé, Bizet, Cardoux, Chatillon, Commeinhes, Cornu, de Legge, del Picchia et de Raincourt, Mme Deromedi, M. P. Dominati, Mme Hummel, M. Huré, Mme Imbert, MM. Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, Lefèvre, Longuet, Mandelli, Morisset et Pillet, Mme Primas et MM. Trillard et Vaspart, est ainsi libellé :
Alinéas 9 à 23
Rédiger ainsi ces alinéas :
« Art. 67 A. – Toute constatation par un agent de l’administration des douanes et droits indirects d’un manquement à une obligation susceptible de constituer une infraction et toute constatation susceptible de conduire à une taxation en matière de droits et taxes perçus selon les dispositions du présent code donnent lieu à un échange contradictoire préalable entre la personne contrôlée et l’administration.
« Cet échange se déroule selon les modalités prévues aux articles 67 B à 67 H.
« Toutefois, en ce qui concerne les droits et taxes dont le fait générateur est constitué par l’importation ou l’exportation de marchandises, l’échange contradictoire préalable se déroule selon les mêmes modalités que celles prévues par le paragraphe 6 de l’article 22 et l’article 29 du règlement (UE) n° 952/2013 du Parlement européen et du Conseil du 9 octobre 2013 établissant le code des douanes de l’Union dans leur version applicable à la date d’entrée en vigueur de la loi n° … du … de finances rectificative pour 2016.
« Art. 67 B. – La personne contrôlée est informée des motifs, des documents et des informations sur lesquels est fondée la décision, et du montant de la taxation et de la sanction encourue. Elle est invitée à faire connaître ses observations.
« Art. 67 C. – Lorsque l’échange contradictoire a lieu oralement, la personne contrôlée est informée qu’elle peut demander à bénéficier de la communication écrite prévue à l’article 67 D.
« La date, l’heure et le contenu de la communication orale mentionnée à l’alinéa précédent sont consignés par l’administration. Cet enregistrement atteste, sauf preuve contraire, que l’administration a permis à la personne contrôlée de faire connaître ses observations et l’a informée de la possibilité de bénéficier de la communication écrite prévue à l’article 67 D.
« Art. 67 D. – Si la personne contrôlée demande à bénéficier d’une communication écrite, l’administration lui remet en main propre contre signature ou lui adresse par lettre recommandée avec avis de réception ou par voie dématérialisée selon les modalités prévues au deuxième alinéa de l’article L. 112-15 du code des relations entre le public et l’administration une proposition de notification d’infractions qui est motivée avec la référence des documents et informations sur lesquelles la décision est fondée, de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation, dans un délai qui ne peut pas dépasser trente jours à compter de la réception de la proposition de notification d’infractions.
« Art. 67 E. – À la suite des observations orales ou écrites de la personne contrôlée ou, en cas d’absence de réponse de cette dernière à une communication écrite à l’issue du délai de trente jours prévu à l’article 67 D, l’administration prend sa décision.
« Lorsque l’administration rejette les observations de la personne contrôlée, sa réponse doit être motivée.
« Art. 67 F. – En cas de contrôle à la circulation, la personne contrôlée ne peut bénéficier de la procédure écrite prévue à l’article 67 D qu’après avoir garanti le montant de la taxation encourue.
« Art. 67 G. – Ne donnent pas lieu à un échange contradictoire préalable :
« a) Les décisions de procéder aux contrôles prévus au chapitre IV du présent titre ;
« b) Les avis de mise en recouvrement notifiés conformément à l’article 345 aux fins de recouvrement des créances impayées à l’échéance, à l’exception de celles qui ont été constatées à la suite d’une infraction au présent code ;
« c) Les mesures prises en application soit d’une décision de justice, soit d’un avis de mise en recouvrement notifié conformément à l’article 345.
« Art. 67 H. – Le délai de reprise de l’administration prévu à l’article 354 est suspendu à compter de la date de l’envoi, de la remise ou de la communication orale des motifs à la personne contrôlée, jusqu’à ce que cette dernière ait fait connaître ses observations et au plus tard jusqu’à l’expiration du délai de trente jours prévu à l’article 67 D. » ;
La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. N’ayez crainte, monsieur Raynal, les trois amendements que je vais présenter n’ont pas vocation à monter une usine à gaz, et leur adoption n’aura pas de coût particulier. Peut-être que ce préambule orientera votre position…
Le présent amendement a pour objet de faire respecter les droits de la défense en étendant le droit d’être entendu à l’ensemble des infractions susceptibles d’être notifiées par des agents de l’administration des douanes et des droits indirects.
Ainsi, je souhaite étendre le principe du contradictoire à l’ensemble des procédures douanières. En effet, il ressort du projet de loi que le droit d’être entendu ne s’appliquerait toujours pas aux infractions réprimées par le code des douanes national qui n’entraîneraient pas une perception de droits et taxes. Pourtant, ces infractions ont une portée exclusivement pénale, et l’opérateur doit soit accepter une transaction, soit voir sa responsabilité pénale mise en cause devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel, en fonction de l’incrimination retenue par le service.
M. le président. L'amendement n° 227, présenté par MM. Doligé, Bizet, Cardoux, Chatillon, Commeinhes, Cornu, de Legge, del Picchia et de Raincourt, Mme Deromedi, M. P. Dominati, Mme Hummel, M. Huré, Mme Imbert, MM. Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, Lefèvre, Longuet, Mandelli et Morisset, Mme Primas et MM. Pillet, Trillard et Vaspart, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 24
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
… Avant la section 01 du chapitre Ier du titre XII, est inséré un article 322 bis … ainsi rédigé :
« Art. 322 bis … – Sous réserve de l’article 354 bis, les contrôles et enquêtes réalisés par les agents de l’administration des douanes et des droits indirects à la seule initiative de cette administration ne peuvent s’étendre sur une période excédant trois ans à compter de la date du premier procès-verbal interruptif de prescription au sens de l’article 354 du présent code.
« Aucun procès-verbal établi selon les dispositions du présent code postérieurement à cette période ne peut être opposé à la personne concernée. »
La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Cet amendement a pour objet d’encadrer la durée pendant laquelle les agents de l’administration des douanes et des droits indirects sont habilités à réaliser leurs contrôles et enquêtes.
Il ressort des dispositions du code des douanes national que, en dehors du cas de la dette douanière communautaire, la durée du contrôle n’est pas limitée dans le temps. En effet, en matière douanière, tout procès-verbal interrompt valablement la prescription pour trois ans. Ainsi, soumettre aux intérêts de retard les droits et taxes considérés comme éludés pendant la durée d’un contrôle laissé à la seule discrétion du service est de nature à entraîner un coût particulièrement élevé pour les opérateurs. La faculté d’une remise prévue par le projet de loi ne peut compenser qu’en partie les effets d’une telle mesure.
De plus, un contrôle non encadré dans le temps est source d’insécurité juridique pour l’opérateur, qui ne peut adapter sa pratique pendant le contrôle sans risquer que l’administration ne lui oppose la reconnaissance du service, alors même que l’infraction n’est pas notifiée, ce qui revient quasiment à s’auto-incriminer. Encadrer la durée du contrôle dans le temps permettra d’éviter d’être sanctionné pour violation du délai raisonnable.
M. le président. L'amendement n° 228, présenté par MM. Doligé, Bizet, Cardoux, Chatillon, Commeinhes, Cornu, de Legge, del Picchia et de Raincourt, Mme Deromedi, M. P. Dominati, Mme Hummel, M. Huré, Mme Imbert, MM. Kennel et Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, Lefèvre, Longuet, Mandelli, Morisset et Pillet, Mme Primas et MM. Trillard et Vaspart, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 24
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
… L’article 347 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Cette saisine suspend la prescription visée à l’article 351 jusqu’à ce qu’une décision de justice définitive intervienne. »
La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Cet amendement vise à suspendre le délai de prescription de l’action de l’administration des douanes en cas de saisine du tribunal de grande instance par le redevable dans le cadre de la procédure de contestation de créance.
Le code des douanes national prévoit que l’action en répression des infractions douanières se prescrit dans un délai de trois ans à compter du dernier acte interruptif de prescription, soit le procès-verbal de notification d’infraction. Or il apparaît qu’à l’issue de ce délai, si le tribunal de grande instance a été saisi par l’opérateur afin d’obtenir l’annulation de l’avis de mise en recouvrement et de la décision de rejet de la contestation afférente, l’affaire n’est bien souvent pas jugée en première instance, ni même seulement audiencée. Cela s’explique par les délais de la phase contentieuse administrative et de la phase judiciaire.
Les conséquences des dispositions actuelles du code des douanes national en matière de prescription pénale sont donc importantes. Or le système actuel est particulièrement défavorable pour chaque partie, notamment en l’absence d’intention frauduleuse. C’est pourquoi il est proposé de notifier l’article 347 du code des douanes national et de suspendre ainsi la prescription prévue à l’article 351 du même code en cas de saisine du tribunal de grande instance par l’opérateur, en application de l’article 347.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ces trois amendements, qui portent sur le code des douanes, sont assez techniques. Ces mesures nous semblent aller dans le sens d’un renforcement des droits des citoyens face à l’administration des douanes.
L’amendement n° 226 vise à étendre le principe du contradictoire à l’ensemble des procédures douanières. La commission penche plutôt pour un retrait, non pas en raison d'un désaccord de fond, mais parce qu’elle a manqué de temps pour l’analyser, l’amendement étant assez long et complexe. Peut-être M. le secrétaire d’État pourra-t-il nous éclairer.
L’amendement n° 227 tend à limiter à trois ans, à compter d’un procès-verbal interruptif de prescription, la durée pendant laquelle l’administration des douanes est susceptible d’exercer ses contrôles et enquêtes. Existe-t-il des contentieux en la matière ? Le code des douanes n’est-il pas suffisamment précis ? Nous souhaitons entendre M. le secrétaire d’État sur ce point.
L’amendement n° 228 a pour objet de suspendre le délai de prescription lorsque le TGI est saisi. Cette mesure nous paraît également renforcer les droits des personnes poursuivies au titre du code des douanes, mais il nous semblerait utile d’entendre le Gouvernement sur cet amendement technique, car, je le répète, nous avons disposé d’un temps d’examen relativement réduit.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Je commencerai par dire que le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 228, dont l’adoption permettra d’éviter que deux procédures, l’une devant la juridiction civile et l’autre devant la juridiction pénale, soient menées en même temps et d’éviter un encombrement des tribunaux.
La procédure contradictoire préalable, qui est l’objet de l’amendement n° 226, vise à permettre à un redevable de faire valoir ses observations en ce qui concerne les droits et taxes que l’administration des douanes s’apprête à lui réclamer. La procédure se déroule, selon le cas, de manière orale ou écrite. Dans cette dernière hypothèse, le redevable a trente jours pour faire valoir ses observations.
La mise en place de cette procédure est liée à la jurisprudence de la CJUE et de la Cour de cassation. Les deux juridictions ont exigé sa mise en place dans le cadre de contestations des avis de mise en recouvrement, pour ce qui concerne les redressements des droits et taxes. En aucun cas, il n’a été question de prévoir une procédure contradictoire préalable avant la constatation d’une infraction douanière.
Je rappelle par ailleurs – c’est un élément important – que les infractions douanières sont de nature pénale. Il s’agit, selon la gravité de l’infraction, soit de contraventions, soit de délits. Il s’agit donc de sanctionner des fraudes ayant des conséquences sur les droits et taxes, mais aussi des fraudes portant sur les grands trafics : stupéfiants, contrefaçon, armes, médicaments, tabac de contrebande, blanchiment, violation des embargos…
Les pouvoirs qui sont dévolus aux agents des douanes en vue de constater les infractions douanières s’assimilent à des pouvoirs de police judiciaire, au sens de l’article 28 du code de procédure pénale. Ces pouvoirs respectent totalement les droits de la défense, notamment la présomption d’innocence. À cet égard, des voies de recours sont prévues, ainsi qu’une procédure protectrice des droits de la défense : droit à un avocat, droit de se taire lors d’un placement en retenue ou de l’audition.
Par ailleurs, lors de la constatation d’une infraction, l’intéressé a le droit de faire valoir ses observations sur le procès-verbal des douanes.
La procédure contradictoire préalable n’est donc pas adaptée, me semble-t-il, aux procédures visant à la constatation d’infractions pénales. C’est pourquoi le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il se verra contraint d’émettre un avis défavorable.
J’en viens à l’amendement n° 227.
La possibilité d’interrompre le délai de reprise visant les taxes nationales n’est pas limitée. Cependant, en application d’une jurisprudence constante, le procès-verbal qui permet cette interruption doit être de nature à apporter des éléments nouveaux à l’enquête, de sorte, premièrement, que la possibilité d’interruption est strictement encadrée et, deuxièmement, que la durée de contrôle douanier est de fait limitée dans le temps.
Par ailleurs, si je puis me permettre, monsieur le sénateur, votre amendement présente des imperfections rédactionnelles, aux conséquences qui pourraient être préjudiciables. En effet, l’article 322 bis existe déjà dans le code des douanes, et l’adoption de cet amendement viendrait l’« écraser ». Il concerne la consignation des marchandises susceptibles de relever du paragraphe 4 de l’article 38 du code des douanes. Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, il se verra contraint d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Doligé, les amendements nos 226 et 227 sont-ils maintenus ?
M. Éric Doligé. Malgré les explications qui viennent de m’être fournies, je ne les retire pas. Nous verrons bien ce qu’il ressortira du vote.
Par ailleurs, l’objectif de l’amendement n° 227 est non pas de supprimer l’article 322 bis du code des douanes, mais de le modifier.
M. le président. Je mets aux voix l'article 18, modifié.
(L'article 18 est adopté.)
Article 19
I. – Le code des douanes est ainsi modifié :
1° Au 2 des articles 338 et 434, les mots : « ou non fortement taxées » sont supprimés ;
2° Au 1° de l’article 412, les mots : « porte sur des marchandises de la catégorie de celles qui ne sont ni prohibées ou fortement taxées à l’entrée, ni soumises à des taxes de consommation intérieure » sont remplacés par les mots : « ne porte ni sur des produits du tabac manufacturé, ni sur des marchandises prohibées à l’entrée, ni sur des marchandises soumises à des taxes de consommation intérieure » ;
3° Le premier alinéa de l’article 414 est ainsi modifié :
a) Les mots : « ou fortement taxées » sont supprimés ;
b) Sont ajoutés les mots : « ou aux produits du tabac manufacturé » ;
4° À l’article 418, les mots : « ou fortement taxées » et les mots : « ou assujetties à des droits » sont supprimés ;
5° Au premier alinéa de l’article 421 et au 2° de l’article 424, les mots : « ou fortement taxés » sont supprimés ;
6° Au 1 de l’article 429, les mots : « , assujetties à des droits de consommation intérieure, ou fortement taxées » sont remplacés par les mots : « ou assujetties à des droits de consommation intérieure » ;
7° L’article 7 est abrogé.
II. – L’article 1800 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « jusqu’au tiers de la somme servant de base au calcul de la pénalité proportionnelle » sont remplacés par les mots : « jusqu’à un montant inférieur à leur montant minimal » ;
2° Le dernier alinéa est supprimé.
III. – A. – Le I est applicable dans les îles Wallis et Futuna.
B. – Les 1° et 2°, le b du 3°, le 4°, le 5°, en tant qu’il modifie l’article 424 du code des douanes, et le 7° du I sont applicables en Polynésie française.
C. – Les 1° à 4°, le 5°, en tant qu’il modifie l’article 424 du code des douanes, et le 7° du I sont applicables en Nouvelle-Calédonie.
D (nouveau). – Au premier alinéa du I des articles 38 et 52 de la loi n° 93-1 du 4 janvier 1993 portant dispositions diverses relatives aux départements d’outre-mer, aux territoires d’outre-mer et aux collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, la référence : « 7, » est supprimée.
IV. – Les I et III entrent en vigueur le 1er janvier 2017. – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 19
M. le président. L'amendement n° 542 rectifié, présenté par Mme N. Goulet et M. Delahaye, est ainsi libellé :
Après l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le livre des procédures fiscales est ainsi modifié :
1° L’article L. 228 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « sur avis conforme de la commission des infractions fiscales » sont remplacés par les mots : « dans les conditions de droit commun » ;
b) Les deuxième à dernier alinéas sont supprimés ;
2° Les articles L. 228 A et L. 228 B sont abrogés.
II. – L’article 1741 A du code général des impôts est abrogé.
III. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° Le II de l’article L. 561-29 est ainsi modifié :
a) Après les mots : « au procureur de la République », la fin de la seconde phrase du troisième alinéa est supprimée ;
b) Le quatrième alinéa est supprimé ;
2° Après les mots : « au procureur de la République », la fin de l’article L. 711-21 est supprimée ;
3° Après les mots : « au procureur de la République », la fin du VI de l’article L. 725-3 est supprimée ;
4° Après les mots : « au procureur de la République », la fin du 8° du II de l’article L. 745-13 est supprimée.
IV. – L’article 13 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière est abrogé.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. C’est une victoire de l’optimisme sur l’expérience, comme disait Henri VIII, lors de son huitième mariage ! (Rires.) Je ne désespère pas de faire adopter cet amendement, qui a pour objet de supprimer la commission des infractions fiscales, le fameux « verrou de Bercy ». Au septième vote, les murailles, comme à Jéricho, finiront par céder !
Monsieur le secrétaire d’État, vous connaissez aussi bien que moi, sinon mieux, le verrou de Bercy, qui constitue une dérogation au droit. Nous avons, dans cette maison, dans le cadre de deux commissions d’enquête sur l’évasion fiscale, rapportées par Éric Bocquet, proposé de le supprimer. La Haute Assemblée a voté à plusieurs reprises, de façon directe ou plus détournée, en ce sens. Je sais que le Conseil constitutionnel a rendu une décision plutôt surprenante, en considérant que cette procédure extrêmement dérogatoire au droit commun ne présentait pas de difficulté particulière. Pourtant, ce système, qui permet à des redevables de ne pas être directement poursuivis par le parquet, manque de transparence, ce qui, vous me l’accorderez, n’est plus de saison.
Aussi, avec mon collègue Vincent Delahaye, continuons-nous d’œuvrer en faveur de la suppression de ce verrou.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je salue la constance de notre collègue Nathalie Goulet.
Ce qu’on appelle communément le « verrou de Bercy »– sujet connu et archiconnu – désigne le monopole qu’exerce l’administration fiscale sur l’opportunité des poursuites en matière de fraude fiscale. Je souhaite expliquer les raisons pour lesquelles la commission des finances est, comme l’année dernière, défavorable à cet amendement.
La commission considère tout simplement que le déclenchement des poursuites par l’administration fiscale est la voie la plus efficace en termes de délais de recouvrement, lesquels sont sans commune mesure avec ceux de la justice. On le constate malheureusement pour les délits boursiers ou les délits d’initié : certaines affaires ont mis une dizaine d’années avant d’être jugées. La voie judiciaire n’est donc pas la plus efficace.
L’administration fiscale possède des moyens exorbitants du droit commun, qui permettent, grâce à des systèmes de pénalité, d’assurer la finalité, à savoir le recouvrement de l’impôt. En outre, toujours sur le plan de l’efficacité, la justice a d’autres priorités. Les affaires financières et fiscales ne pourraient sans doute pas être traitées à moyens constants.
Telle est la raison pour laquelle nous considérons que l’administration fiscale est mieux armée pour lutter contre la fraude fiscale, ce qui n’interdit pas, pour les infractions les plus graves, de mettre en œuvre des poursuites pénales. Deux moyens existent.
Premièrement, après avis de la commission des infractions fiscales, qui constitue une garantie pour les contribuables et que Mme Goulet souhaite supprimer, l’administration fiscale peut porter plainte.
Deuxièmement, l’autorité judiciaire peut se saisir sur le fondement du délit de blanchiment de fraude fiscale, en vertu de l’arrêt Talmon de la Cour de cassation. Cela a été le cas dans un certain nombre d’affaires : HSBC, Cahuzac.
La présidente de la commission des finances et moi-même sommes récemment allés à Bercy pour discuter des questions de contrôle fiscal. La procureur du Parquet national financier nous a confirmé, comme l’avait fait le procureur général près la cour d’appel de Paris, que le dispositif était suffisant.
La voie pénale existe donc, et les juridictions peuvent prononcer des peines d’emprisonnement. D’ailleurs, pour les délits les plus graves, je le répète, l’administration porte plainte, après avis de la commission des infractions fiscales. En outre, le parquet peut se saisir de sa propre initiative au titre du délit de blanchiment.
Cela étant, la voie classique du redressement fiscal avec les pénalités afférentes doit demeurer. Face à un sujet aussi technique, les moyens dont dispose l’administration fiscale sont plus efficaces pour faire rentrer des recettes, ce dont nous nous préoccupons. Regardez ce que fait le STDR ! C’est une voie autrement plus efficace que la voie pénale. Elle permet également de ne pas encombrer les tribunaux sur des sujets souvent très techniques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Je rejoins une grande partie de l’argumentation qui vient d’être développée par M. le rapporteur général, notamment sur la nécessité de faire rentrer les recettes.
Je rappelle que le dispositif actuel, à savoir le dépôt d’une plainte après avis de la commission des infractions fiscales, a été déclaré conforme à la Constitution, à la suite d’une décision rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité le 22 juillet 2016 par le Conseil constitutionnel.
La commission des infractions fiscales est pleinement justifiée : elle est à la fois transparente dans ses opérations, transparente dans ses résultats et efficace dans son fonctionnement. Le taux de rejet des propositions de dépôt de plainte est très faible, de moins de 5 % en 2015. Affirmer que cette commission ferait obstacle à la saisine du parquet et à la mise en mouvement, sous son autorité, de l’action publique n’est pas justifié.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Partant du principe que les seules batailles qu’on ne gagne jamais sont celles qu’on ne livre pas, je soutiens cet amendement, qui est un nouvel assaut contre le verrou de Bercy.
Si j’ai bonne mémoire, la commission des infractions fiscales a été créée en 1977, à l’origine pour protéger les intérêts des contribuables. C’était il y a quarante ans… Les temps ont changé : l’ampleur et la sophistication de la fraude fiscale n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles pouvaient être à l’époque. Je pense donc que cette exception française n’est plus de saison. Il est temps de s’attaquer résolument et dans la plus grande transparence à tous ces dispositifs.
On nous oppose régulièrement le secret fiscal et la technicité. Très honnêtement, je n’y crois pas. Nous revendiquons le droit du Parlement à suivre ces dossiers, dans les formes appropriées bien sûr. Il ne s’agit pas de communiquer au Canard enchaîné les éléments dont on aurait connaissance. Nous sommes des gens responsables ! Il est nécessaire que le Parlement, qui vote le budget et s’intéresse aux recettes régulièrement, ait aussi des droits en la matière.
Notre groupe votera l’amendement de Mme Goulet.