Mme Myriam El Khomri, ministre. Je suis défavorable à l’amendement n° 173 rectifié quater, qui remet en cause la comptabilité des organismes sans but lucratif.
À la différence de l’impôt sur les sociétés, la taxe sur les salaires n’est pas un impôt sur les bénéfices. On vient de le voir, les notions de provision et de déduction sont donc étrangères à son objet et à sa mécanique. La taxe sur les salaires n’est donc absolument pas le support approprié pour une telle mesure.
Par ailleurs, en marge de leur activité principale, les associations ou mutuelles sans but lucratif peuvent se livrer à des activités lucratives ou concurrentielles. Dans ce cas, elles sont soumises aux impôts sur les bénéfices. Il y aurait alors une possibilité de double déduction de la provision, à la fois sur les résultats – c’est ce que prévoit l’article 29 bis – et sur l’assiette de la taxe sur les salaires. Ce n’est pas ce que nous voulons.
À l’inverse, les associations qui n’acquittent pas la taxe sur les salaires aujourd’hui, car elles bénéficient de l’abattement de cotisations dont le Gouvernement a porté le montant à plus de 20 000 euros depuis le 1er janvier 2014, ne pourront pas bénéficier du dispositif de l’amendement. Cela démontre que cette proposition aurait des conséquences contraires au but recherché.
J’ajoute que cet amendement aurait un coût élevé pour les finances publiques.
Votre sous-amendement, monsieur le rapporteur, étant en lien avec cet amendement, j’y suis également défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 173 rectifié quater, modifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. Alain Vasselle. Ce n’est pas cohérent !
Article 29 ter
(Supprimé)
Articles additionnels après l'article 29 ter
M. le président. L'amendement n° 737, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 29 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code du travail est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l’article L. 1231-1, les mots : « , ou d’un commun accord, » sont supprimés ;
2° Les articles L. 1237-11 à L. 1237-16 sont abrogés.
La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Cet amendement, déposé de manière récurrente par les membres de notre groupe, vise à supprimer le dispositif de rupture conventionnelle.
Nous avions déjà dénoncé ce dispositif lors de sa création, en expliquant que l’égalité présupposée entre l’employeur et l’employé n’existait pas. Nous le pensons toujours. En effet, nous considérons que c’est sur l’absence d’égalité entre les deux parties, donc sur la nécessité de protéger la partie la plus faible, que doit reposer tout notre droit du travail. Nous estimons également que la rupture conventionnelle est une brèche supplémentaire dans la législation relative aux licenciements. Dans les faits, sans être spécialement enclins à opter pour la rupture conventionnelle, certains salariés ont été contraints de l’accepter sous la pression de leur employeur.
Plus de dix ans après leur création, nous portons toujours le même regard critique sur ces ruptures conventionnelles. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls. En la matière, les travaux d’évaluation du Centre d’analyse stratégique mettent en lumière un certain nombre de dérives. Ils se fondent sur les constats dressés par l’administration du travail quant à l’usage détourné de la rupture conventionnelle. Ce dispositif est notamment utilisé « pour éviter la procédure collective de licenciement pour motif économique, éviter la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi, éviter de respecter l’obligation de reclassement, éviter le transfert automatique des contrats de travail en cas de changement d’employeur ou frauder l’assurance chômage dans les entreprises familiales ».
Certes, en cas de rupture conventionnelle, le taux de retour à l’emploi est plus élevé qu’après un licenciement, mais il est moins important qu’après une démission. Cependant, ce retour à l’emploi est parfois synonyme de précarisation.
Avec ce projet de loi, on nous promet d’écrire le code du travail du XXIe siècle ! Les dérives constatées en la matière par un organisme officiel nous conduisent, dans ce cadre, à proposer cette suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Les ruptures conventionnelles sont un important vecteur de souplesse pour les entreprises comme pour les salariés. Certes, ce dispositif subit des détournements,…
Mme Annie David. Oh oui !
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. … mais ils sont imputables aux chefs d’entreprise comme aux salariés.
Aujourd’hui, les salariés qui souhaitent changer d’entreprise ne démissionnent plus : ils demandent une rupture conventionnelle.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. En effet !
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Une étude publiée en octobre 2013 par la DARES a établi ce constat : pour 48 % des salariés, la rupture conventionnelle est vécue plutôt comme le résultat d’une « acceptation commune » avec l’employeur. Dans 38 % des cas, ce choix est plutôt celui du salarié ; et dans seulement 14 % des cas, il est plutôt celui de l’employeur.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. J’entends tout à fait les critiques que suscitent les abus observés, d’autant que l’usage de ce mode de rupture des contrats de travail est parfois beaucoup trop généralisé.
Je le rappelle, le régime de la rupture conventionnelle a été créé en 2008 dans le cadre d’un accord national interprofessionnel. Il permet de répondre à un besoin manifeste : concilier les droits du salarié et la sécurisation des procédures pour l’entreprise.
Ce dispositif est très largement utilisé : en 2015, on a dénombré 360 000 ruptures conventionnelles en France. Les PME y ont tout particulièrement recours. Nous débattrons certainement de cette question en examinant l’article 30, notamment pour ce qui concerne le critère de « difficultés économiques ».
Aujourd’hui, les ruptures conventionnelles représentent 20 % des fins de CDI dans les petites entreprises, contre 14 % dans les PME et seulement 7 % dans les plus grosses entreprises. On le voit bien, même si elles subissent des difficultés, les plus petites entreprises rechignent à recourir au licenciement pour motif économique ; elles optent de préférence pour la rupture conventionnelle. Les trois quarts des ruptures conventionnelles concernent des entreprises de moins de cinquante salariés. Telle est la réalité actuelle.
Cela étant, le régime de la rupture conventionnelle reste encadré. Tout d’abord, il nécessite l’accord exprès des deux parties et un entretien obligatoire. Ensuite, il est assorti d’un délai de rétractation. Enfin, il impose la déclaration et l’homologation par l’administration, qui garantit à la fois la loyauté de la rupture et le libre consentement du salarié.
Dans le cadre de l’accord national interprofessionnel de 2008, les partenaires sociaux ont tenu à confier cette mission de contrôle à l’administration. Sachez que sa mise en œuvre est effective : toutes les ruptures conventionnelles ne sont pas homologuées. Le taux de refus est d’environ 5 %.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre pays manifeste clairement une réticence à embaucher en CDI. Ce n’est pas un hasard si la France est, au sein de l’Union européenne, le deuxième État recourant aux CDD de moins d’un mois.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur de la commission des affaires sociales. Bien sûr !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Qu’elle soit réelle ou simplement ressentie, cette réticence doit être traitée. À cette fin, il faut garantir davantage de clarté, notamment aux plus petites entreprises, sur les sujets constituant des difficultés économiques.
Nous serons tous d’accord pour dire que se séparer d’un salarié est une charge symbolique et anxiogène. Reste que, pour le salarié, le régime du licenciement pour motif économique est beaucoup plus protecteur que celui de la rupture conventionnelle, la collectivité étant mise à contribution via l’assurance chômage. À ce titre, un employé dont on souhaite se séparer peut effectivement subir des pressions.
Néanmoins, M. le rapporteur le souligne avec raison : dans le même temps, les ruptures conventionnelles sont largement mises en œuvre à la demande de salariés, qui veulent par exemple créer leur entreprise, changer de métier ou déménager. Ces situations sont très fréquentes.
À mon sens, les dispositions de l’article 30 permettent de répondre à l’usage parfois abusif dont les ruptures conventionnelles font l’objet, notamment dans les plus petites entreprises.
Par ailleurs, je reste très vigilante à cet égard, notamment par les contrôles menés par mes services.
M. le président. L'amendement n° 723, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article 29 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 3122-4 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de rupture du contrat de travail pour motif économique intervenant après ou pendant une période de répartition des horaires, le salarié conserve le supplément de rémunération qu’il a, le cas échéant, perçu par rapport au nombre d’heures effectivement travaillées. »
La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Avec cet amendement, nous proposons de revenir sur certaines dispositions de la loi de 2008 portant modernisation du marché du travail.
En effet, huit ans après l’adoption de ce texte, il nous paraît toujours indispensable de prévoir que, lors d’une rupture du contrat de travail pour motif économique intervenant après ou pendant une période de répartition des horaires, le salarié conserve le supplément de rémunération qu’il a le cas échéant perçu par rapport au nombre d’heures effectivement travaillées. Ainsi, les salariés pourront se prémunir contre de fortes pertes de pouvoir d’achat et de ressources.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Monsieur Billout, je comprends tout à fait la préoccupation que vous exprimez.
Je ne suis pas certain que, en l’occurrence, les dispositions du présent amendement s’appliquent au bon article, mais ce point est peut-être secondaire.
Sur le fond, le droit en vigueur, tout comme le nouvel article L. 3121-39 du code du travail, indique que, en cas d’aménagement du temps de travail, les heures supplémentaires sont décomptées à l’issue de la période de référence.
À mon sens, le solde de tout compte inclut toutes les heures travaillées, de même que les prorata de primes et les congés payés. Ainsi, en cas de rupture du contrat de travail, toutes les sommes dues sont réglées, même en tenant compte d’un aménagement du temps de travail en fonction des heures effectuées. Il en est de même des autres modes de rémunération : le prorata du treizième mois, les congés payés dus, etc.
Je me tourne vers Mme la ministre pour obtenir confirmation. Si tel est bien le cas, l’avis sera défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. En la matière, un doute peut effectivement subsister.
Certaines branches, comme celles de la bijouterie, de l’hôtellerie-restauration ou du commerce de gros, ont déjà prévu des précisions de cette nature.
Cela étant, cette disposition générale garantira des droits et surtout une sécurité aux salariés placés dans une telle situation. Aussi, j’émets un avis favorable sur cet amendement.
Mme Catherine Génisson. C’est dommage !
M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 79 amendements au cours de la journée ; il en reste 261.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
15
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 23 juin 2016 :
À onze heures :
Suite du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s (n° 610, 2015-2016) ;
Rapport de MM. Jean-Baptiste Lemoyne, Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 661, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 662, 2015-2016).
À quatorze heures trente : vote sur le projet de délibération requérant l’engagement de poursuites pour diffamation à raison d’écrits contenus dans un ouvrage.
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze et le soir : suite de l’ordre du jour du matin.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 23 juin 2016, à zéro heure quarante.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD