compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaires :
Mme Colette Mélot,
Mme Catherine Tasca.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature aux fonctions de secrétaire du Sénat
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation d’un secrétaire du Sénat.
J’informe le Sénat que le groupe écologiste a fait connaître à la présidence le nom de la candidate qu’il propose pour remplacer, en qualité de secrétaire du Sénat, M. Jean Desessard.
La candidature de Mme Corinne Bouchoux a été publiée et la désignation aura lieu conformément à l’article 3 du règlement.
3
Conventions internationales
Adoption en procédure d’examen simplifié de cinq projets de loi dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de cinq projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces cinq projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
avenant à la convention avec monaco sur la sécurité sociale
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'avenant n° 6 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco à la convention du 28 février 1952 entre la France et la Principauté de Monaco sur la sécurité sociale, signé à Monaco le 18 mars 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’avenant n° 6 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco à la convention du 28 février 1952 entre la France et la Principauté de Monaco sur la sécurité sociale (projet n° 348, texte de la commission n° 560, rapport n° 559).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
accord avec l’irak sur les investissements
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Irak sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements, signé à Bagdad le 31 octobre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Irak sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements (projet n° 482, texte de la commission n° 558, rapport n° 557).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
accord avec la colombie sur les investissements
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un protocole), signé à Bogota le 10 juillet 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme Nathalie Goulet. Le groupe UDI-UC s’abstiendra sur ce texte.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements (projet n° 669 [2014-2015], texte de la commission n° 556, rapport n° 555).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
accord transfrontalier france-brésil
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil en vue de l'établissement d'un régime spécial transfrontalier concernant des produits de subsistance entre les localités de Saint-Georges de l'Oyapock (France) et Oiapoque (Brésil), signé à Brasilia le 30 juillet 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil en vue de l’établissement d’un régime spécial transfrontalier concernant des produits de subsistance entre les localités de Saint-Georges de l’Oyapock (France) et Oiapoque (Brésil) (projet n° 298, texte de la commission n° 554, rapport n° 552).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
accord france-brésil concernant les transports routiers
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil concernant les transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises (ensemble une annexe), signé à Paris le 19 mars 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil concernant les transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises (projet n° 153, texte de la commission n° 553, rapport n° 552).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
4
Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures
Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord portant création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (projet n° 483, texte de la commission n° 580, rapport n° 579).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’échanger avec vous sur le présent projet de loi, je voudrais vous retracer en quelques mots l’apparition de ce nouvel acteur dans le paysage multilatéral, ainsi que les raisons qui ont motivé la France à rejoindre cette initiative.
La Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, mieux connue sous son sigle anglais – AIIB –, est née sur l’initiative de la Chine, accompagnée à l’origine d’une vingtaine de pays, tous asiatiques, qui ont été rejoints dans un second temps par un grand nombre de pays non asiatiques, parmi lesquels la France et tous ses grands partenaires européens.
L’AIIB a été créée afin de soutenir le développement de l’Asie par le biais de projets d’investissement dans les infrastructures. Ce continent manque effectivement de tels projets : la Banque asiatique de développement a ainsi estimé ce besoin à 8 000 milliards de dollars entre 2010 et 2020.
Cette initiative s’inscrit également dans la démarche plus large entreprise par la Chine destinée à améliorer la connectivité de l’Asie non seulement en son sein, mais aussi avec le reste du monde.
Après avoir observé les premiers pas de cette initiative depuis l’extérieur, la France a été parmi les premiers pays non asiatiques à rejoindre le rang des potentiels membres fondateurs de la Banque présents à la table des négociations pour définir les statuts et les grands principes de fonctionnement de cette nouvelle institution.
Cette décision, prise en concertation avec l’Allemagne et l’Italie, partait de l’idée qu’il valait mieux que les grands pays européens soient collectivement partie prenante aux négociations afin de s’assurer de plusieurs points. Nous voulions, d’abord, nous assurer que la Banque respecterait les standards élevés dans des domaines importants, notamment en termes de normes environnementales et sociales. Nous entendions par ailleurs donner aux membres non régionaux la possibilité de jouer un véritable rôle dans la gouvernance de la Banque. Enfin, il nous paraissait important que celle-ci s’inscrive dans une démarche de complémentarité et de partenariat plutôt que de concurrence avec les institutions existantes.
Cette décision reflète également notre souhait d’accompagner le développement de la Chine dans cette partie du monde, de façon bienveillante, mais aussi vigilante.
De fait, notre participation à cinq réunions de négociations a permis d’assurer la traduction concrète dans les textes fondateurs de l’AIIB du slogan « lean, clean and green », c’est-à-dire du concept d’une banque efficace et soutenable, engagée contre la corruption et en faveur du climat.
En matière de gouvernance, nous avons obtenu que les membres non régionaux aient de facto, avec 25 % des droits de vote, une minorité de blocage pour des décisions importantes. La proximité de nos vues avec celles de plusieurs grands pays régionaux comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou la Corée du Sud nous met en position de représenter un contrepoids réel dans l’institution.
Nous avons pu également nous assurer que la Banque s’inspire de ses institutions sœurs dans ses standards. Nous avons enfin pu influencer de façon significative la rédaction des textes fondateurs et des documents de stratégie, comme vous avez pu le lire, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le rapport de l’Assemblée nationale et dans celui de la commission des affaires étrangères du Sénat.
L’AIIB ne se contente toutefois pas de reproduire ce qu’ont fait ses aînés ; elle propose aussi de vraies innovations par rapport au modèle traditionnel des institutions multilatérales de développement. Nous avons été particulièrement sensibles aux efforts visant à garder sous contrôle les coûts administratifs de la Banque. Parmi ces efforts, on peut notamment citer la non-duplication des fonctions pour lesquelles la Banque peut s’appuyer sur ce que font d’autres institutions, par exemple pour ce qui concerne les fonctions de recherche ou d’analyse économique, ou encore la mise en place d’un conseil d’administration non résident.
Nous avons aussi veillé à ce que la Banque applique des procédures de passation de marchés ouvertes et justes. Ses appels d’offres seront bien évidemment ouverts aux entreprises françaises, et ce sans discrimination. La Banque s’associe également au cadre harmonisé des banques multilatérales en matière de lutte contre la fraude et la corruption.
Je dirai maintenant quelques mots de ce que sera, concrètement, l’activité de la Banque : quels projets financera-t-elle ?
L’AIIB couvre un champ géographique très large, du Bosphore au Pacifique. Elle cible des secteurs en phase avec l’expertise de l’offre française : dans un premier temps, elle se concentrera sur les infrastructures de transport et d’énergie, ainsi que sur l’eau et l’assainissement ; une diversification pourra avoir lieu à terme vers des secteurs comme ceux des ports, de la protection de l’environnement, du développement urbain, des technologies de l’information et de la communication, ou encore des infrastructures rurales.
En termes d’instruments financiers, la Banque prévoit de mobiliser principalement des prêts, souverains et non souverains, mais aussi des prises de participation minoritaires et des garanties. Les premiers financements de l’AIIB pourraient intervenir dès le second semestre de cette année. Il devrait principalement s’agir d’opérations de cofinancement ; en effet, les discussions sur ce point avec, notamment, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Banque asiatique de développement et la Banque mondiale sont très avancées. S’agissant de cofinancement, des contacts avec l’Agence française de développement ont également eu lieu et doivent être approfondis dans les prochains mois.
Je tiens également à souligner un aspect très innovant quant à notre représentation au sein de cette banque. Pour la première fois, les pays de la zone euro ont choisi de se réunir dans une circonscription unique pour faire entendre une voix forte au conseil d’administration. Concrètement, les dix pays membres à la fois de la zone euro et de la Banque travaillent déjà ensemble depuis plusieurs mois. Cette décision historique va dans le sens du renforcement de l’Union économique et monétaire ; la France l’a fortement soutenue.
Je souhaiterais conclure mon intervention par un rapide point d’actualité sur l’activité de la Banque. À la fin du mois dernier s’est tenu le deuxième conseil d’administration de l’AIIB, le premier ayant eu lieu au moment de son inauguration en début d’année. La France n’a pu participer à ces réunions que comme observateur ; en effet, n’ayant pas ratifié l’accord qui en portait création, nous avons dû céder notre place dans la gouvernance de la Banque et n’avons pas pu siéger au conseil en tant qu’administrateur suppléant de la chaise de la zone euro.
L’assemblée annuelle de la Banque aura lieu à Pékin à la fin du mois de juin prochain. Je formule le vœu que la France ait ratifié l’accord d’ici là et puisse enfin siéger à cette occasion en tant que pays membre de l’AIIB aux côtés des autres grands États européens.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais partager avec vous pour introduire nos débats sur ce projet de loi. Je me tiens bien sûr à votre disposition pour répondre à vos questions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette ratification de l’accord portant création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures pourrait apparaître comme un dossier assez technique, puisqu’elle requiert tout de même l’engagement, naturellement étalé dans le temps, de 3 milliards d’euros par la France ; il s’agit pourtant, en fait, d’un sujet éminemment politique.
Tel est le cas, d’abord, parce que cette entreprise représente l’affirmation claire et nette de la stratégie asiatique de la Chine. L’ambition première de celle-ci est d’assumer un leadership sur le grand continent asiatique. Pour ce faire, elle attise parfois les tensions, mais recourt aussi à des accords de partenariat, suivant le principe du yin et du yang. En effet, elle ne souhaite pas que les États-Unis deviennent le grand partenaire du Pacifique. Voulant éviter de se laisser enfermer dans un dialogue unique avec les États-Unis, elle cherche selon ses propres annonces à assurer la connectivité de l’Asie, c’est-à-dire sa relation directe avec, d’une part, l’Europe, et, d’autre part, l’Afrique.
Pour réaliser cet objectif de connectivité, de nombreux investissements sont à l’évidence nécessaires ; vous avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, qu’on a évalué à 8 000 milliards de dollars la somme nécessaire pour répondre aux besoins.
Il s’agit donc de construire pour l’Asie une sorte de colonne vertébrale en se mobilisant autour de grands projets. Cette grande idée représente en quelque sorte un plan Marshall adapté à cette période de l’économie mondiale.
Il s’agit aussi, bien évidemment, d’une stratégie majeure pour la Chine, qui souhaite ainsi réunir autour d’un grand projet fédérateur les énergies asiatiques. Il n’existe certes pas de lien structurel entre cette banque et le projet chinois de nouvelle route de la soie. Néanmoins, ces deux entreprises sont naturellement compatibles : la Chine trouve ainsi un outil financier pour l’aider à atteindre ses objectifs stratégiques.
Le sujet est politique, ensuite, car il témoigne de la nouvelle influence de la Chine sur la gouvernance financière du monde. Tout naturellement, comme elle occupe à présent le rang de deuxième puissance économique mondiale, la Chine cherche à jouer un rôle important dans cette gouvernance.
La création de l’AIIB, dans cette perspective, représente un nouveau rapport de forces avec les institutions de Bretton Woods. La Chine réclamait depuis longtemps déjà, entre autres choses, une réforme du FMI. La création de cette banque asiatique a-t-elle accéléré les évolutions de celui-ci ? Le FMI a ainsi décidé, en 2015, d’introduire dans le panier de devises qui composent les droits de tirage spéciaux, ou DTS, la monnaie chinoise. Par ailleurs, un responsable chinois a été nommé au sein de l’équipe de Mme Lagarde.
Une partie se joue donc ici : l’entrée de la Chine au cœur même du centre de gravité de la gouvernance financière mondiale.
Cette initiative de Pékin exprime une stratégie chinoise bien connue, le « potentiel de situation ». Elle consiste à créer un rapport de forces sans être agressif, tel le fameux général qui doit gagner la guerre sans avoir à la livrer. Telle est, à l’évidence, la stratégie derrière le choix de bâtir des institutions financières qui servent, naturellement, leurs propres objectifs, mais créent en même temps un nouveau rapport de forces dans l’ensemble des institutions financières.
Voilà pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, j’adhère tout à fait à votre double idée de bienveillance et de vigilance ; nous devons en effet rester très sensibles à ces facteurs.
Il nous faut également être sensibles aux efforts effectués, grâce, notamment, à la France et à nos partenaires européens, pour que cette influence chinoise et asiatique dans la gouvernance financière mondiale se fasse selon les règles de la bonne gouvernance. Il était donc utile et très important de faire en sorte d’intégrer dans les statuts de l’AIIB la meilleure transparence possible et les meilleures pratiques de gouvernance.
Enfin, il s’agit d’un sujet politique au titre de la place de la France et de l’Europe dans cette nouvelle institution.
La France n’a certes pas été la première des nations européennes à se joindre à cette initiative, mais elle a présenté son dossier de concert avec l’Allemagne et l’Italie : c’est selon moi très significatif.
Vous avez qualifié le choix d’une chaise européenne commune au conseil d’administration de l’AIIB, monsieur le secrétaire d’État, de « décision historique ». Il faudra à vrai dire analyser avec grande attention et vigilance ce que donnera cette grande première. La répartition initiale des trois membres non asiatiques de ce conseil d’administration est à mon sens excellente : une chaise pour les membres de la zone euro, une pour les Européens hors zone euro, une, enfin, pour les autres États, tel le Brésil – seul membre non asiatique du groupe des BRICS –, qui ont voulu prendre part à cette institution.
Tant la démarche commune de la France et de ses partenaires européens – allemands et italiens en particulier – que le choix d’une chaise commune à la zone euro représentent une évolution très significative et intéressante de la gouvernance européenne.
Naturellement, l’éventuelle continuation de cette dynamique pose diverses questions quant à l’avenir de l’Europe dans les institutions mondiales. Peut-on imaginer qu’un jour l’Europe aura un siège commun au Conseil de sécurité des Nations unies ? Cela a déjà été envisagé, mais il s’agit d’un sujet très lourd. Dans cette logique, pour que l’Europe soit plus forte, il faudrait que la France se retire quelque peu : la question mérite débat.
Il va pourtant de soi, à mes yeux, que l’AIIB représente une belle occasion de faire progresser l’idée de donner de la force à la représentation politique de l’Europe. Voilà pourquoi j’approuve la décision prise de la chaise commune, pour peu, naturellement, que nous en vérifiions l’exécution et que nos intérêts soient bien défendus dans cette perspective.
Par ailleurs, du fait de l’action de la France, les normes sociales et environnementales, une gestion de bonne gouvernance ont été intégrées dans le paquet créatif de cette agence : cela aussi représente selon moi une bonne orientation.
On voit bien que la Chine, en faisant en sorte que les premiers fondateurs de la Banque puissent en élaborer le règlement, a fait montre d’un comportement extrêmement multilatéral. Ce n’est pas un projet qui a été imposé ; c’est un projet qui a été discuté et qui a permis à la France de voir réalisées ses différentes revendications.
Quel est donc, au final, le sens politique de la création de l’AIIB ? Selon moi, il se trouve dans l’arrivée massive de la Chine dans la gouvernance multilatérale du monde.
En fin de compte, il s’agit d’une bonne nouvelle. En effet, on aurait pu craindre que ce grand pays, qui, après une longue isolation relative, est parvenu à devenir la deuxième puissance du monde, ne choisisse de jouer un jeu solitaire, ce qui serait dangereux pour le monde entier. Or la Chine a au contraire opté pour un jeu multilatéral. Dès lors, nous pouvons trouver toujours plus d’occasions de partenariat et de débat, tout en restant nous-mêmes, en défendant nos valeurs, en respectant nos partenaires, mais en faisant aussi en sorte d’être en situation de discuter.
Cette stratégie chinoise, on l’a bien vu, concerne non seulement les questions financières, mais aussi l’ensemble des autres sujets. Vous vous souvenez bien, mes chers collègues, que, quand le président Xi Jinping est venu à Paris, c’est à l’UNESCO qu’il a fait un grand discours stratégique sur la diversité culturelle. On se souvient aussi que, à l’Assemblée générale de l’ONU, à l’automne dernier, le président chinois a annoncé un soutien financier important à l’ONU, montrant bien par là que la Chine peut avoir une influence forte dans le monde par le biais de cette organisation multilatérale majeure, dont la Chine est un membre actif, notamment grâce à son siège au Conseil de sécurité.
Ce choix chinois du multilatéralisme est essentiel eu égard aux dangers auxquels est aujourd’hui confronté le monde. La situation internationale actuelle nous préoccupe terriblement : en raison de la crise économique, partout, on assiste à la montée des nationalismes et à la multiplication des tensions. Or nous recevons ici un message d’espoir : toutes ces tensions existantes peuvent trouver des lieux d’expression multilatéraux. C’est par ce choix que l’on peut pallier au mieux les déséquilibres du monde.
Cette nouvelle instance a certes une ambition avant tout financière, mais elle a une portée géopolitique majeure parce qu’elle exprime l’engagement véritable de la Chine en faveur du multilatéralisme. Telle est également la vision de la France, qui se voit en outre donner une nouvelle place pour exprimer sa voix. Voilà pourquoi je suis favorable à la ratification de cet accord, ratification qui nous permettra d’assister à la prochaine assemblée générale de l’AIIB et d’y faire entendre nos revendications.
Il s’agit bien, au fond, d’une question stratégique de politique étrangère : comment voulons-nous que se fasse la paix dans le monde ? Voulons-nous qu’elle advienne parce qu’une nation aura imposé au reste du monde ses propres règles, ou bien voulons-nous la réaliser par l’équilibre entre les nations, par une vision multilatérale et multipolaire des relations internationales ?
La Chine et la France partagent une même réponse à cette question : elles ont toutes deux une vision multipolaire du monde, où la paix s’obtient par l’équilibre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Esnol.
M. Philippe Esnol. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la création par la Chine d’une banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et l’annonce de la participation de la France à cette initiative ont suscité l’émoi de nos partenaires : des Américains, tout d’abord, qui y voient une remise en cause du système financier international hérité de Bretton Woods et de l’influence qu’ils exercent depuis lors à travers le monde ; mais aussi des Japonais, qui constatent, quant à eux, l’affirmation de la montée en puissance de la Chine dans la région.
La mise en place de cette banque, qui est destinée à investir dans les infrastructures de transports, de distribution d’énergie ou de communication, mais qui sera, inévitablement, au service de la stratégie commerciale de la Chine, constitue-t-elle pour autant un bouleversement majeur de l’ordre international, appelant une prudence telle qu’elle justifierait qu’on s’en tienne à l’écart ?
Le fait est qu’il existe des besoins réels de financement sur le continent asiatique, lesquels ont été chiffrés à 800 milliards de dollars par an, et que les institutions financières internationales existantes, telles que le FMI ou la Banque mondiale, ne sont pas en mesure de satisfaire. La Chine entend ainsi drainer l’épargne dormante, afin de combler le retard de développement des pays voisins et de développer ses propres voies de communication vers les marchés européens et américains, ce dans une logique de complémentarité et non de substitution aux institutions actuelles.
En outre, la Chine a ouvert la possibilité à des pays non asiatiques de devenir membres fondateurs, assurant ainsi à la Banque un caractère multilatéral que vient de rappeler M. le rapporteur. La France a fait le choix d’y prendre part, en dépit de mises en garde relatives au système de gouvernance choisi et à l’absence de respect des normes sociales et environnementales. Elle a décidé de s’y associer pour faire évoluer cette institution de l’intérieur, mais aussi pour bénéficier des opportunités économiques induites.
Je crois, mes chers collègues, que nous avons eu raison ! Les faits tendent d’ailleurs à le prouver, puisque l’adhésion de nombreux États non régionaux a permis de faire baisser le poids de la Chine au sein de l’institution : l’Europe disposera même, me semble-t-il, d’une minorité de blocage.
Permettez-moi de relever tout de même que le Royaume-Uni a hérité d’une chaise à part entière autour de la table. Je ne peux que regretter que, une fois de plus, l’influence de l’Union européenne se trouve ainsi relativisée et que tout le monde semble l’accepter avec une certaine fatalité. Le Brexit n’a pas encore eu lieu et la Grande-Bretagne est toujours membre de l’Union européenne, me semble-t-il !
Enfin, je souhaite dire quelques mots sur le rôle très important et reconnu de l’Agence française de développement, qui intervient en Asie, notamment en Chine. Il faudra veiller à ce qu’elle conserve une réelle visibilité dans les projets qu’elle cofinancera avec cette nouvelle banque asiatique. Je sais bien, en vérité, que nous pourrons compter sur notre collègue Yvon Collin, rapporteur spécial du budget de l’aide publique au développement et fin connaisseur de cette agence, pour y veiller.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le groupe du RDSE votera unanimement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)