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Prise d'effet de nominations à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi.
En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 25 juin dernier prennent effet.
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Croissance, activité et égalité des chances économiques
Suite de la discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Deroche, corapporteur.
Mme Catherine Deroche, corapporteur de la commission spéciale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat avait abordé l’examen en première lecture de ce texte dans un état d’esprit constructif, avec le souci de l’intérêt général, afin de donner une ambition réelle au travail de nos collègues députés en faveur de la croissance et de l’emploi.
Vous aviez déclaré, monsieur le ministre, que la version définitive du projet de loi devrait « prendre en compte les débats qui se sont tenus au Sénat et les sensibilités qui s’y sont exprimées ». Force est de constater que, sur les dispositions du volet social dont j’étais la rapporteur, cette parole est trop souvent restée lettre morte.
Je ne dis pas qu’il n’existe pas des points de convergence entre députés et sénateurs. C’est notamment le cas sur le volet relatif à l’actionnariat et à l’épargne salariale. Ainsi, la commission spéciale du Sénat a adopté conforme la création des sociétés de libre partenariat. Vous avez, par ailleurs, pris l’engagement formel de moraliser les pratiques des intermédiaires dans le cadre du dispositif ISF-PME. Nous avions introduit cette disposition à l’article 35 ter CA et, au vu de vos propos, je n’ai pas souhaité la rétablir : nous serons donc attentifs à votre action sur le sujet.
Je regrette toutefois que, sur l’assouplissement du pacte Dutreil et du dispositif Madelin, ainsi que sur la revalorisation du plafond de l’ISF-PME, vous nous ayez opposé une fin de non-recevoir. Il en a été de même sur l’abaissement ciblé du forfait social, pourtant conforme aux propositions du Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié, le COPIESAS. C’est pourquoi le texte de la commission spéciale est identique à celui qui avait été adopté par le Sénat en première lecture sur ces points.
J’en viens maintenant à la question du travail dominical. Nous avions adhéré à l’esprit de la réforme proposée et cherché à respecter trois principes : le volontariat des salariés concernés, une large consultation locale et la garantie d’une réforme durable, effective et non virtuelle. Nous avions ainsi voté conforme la création des zones touristiques internationales, et autorisé les commerces situés dans des zones dérogatoires à ouvrir le dimanche sur la base d’une décision de l’employeur, approuvée par référendum, dès lors que des contreparties, notamment salariales, étaient offertes. Sans ces modifications, il est plus que probable que de nombreux commerces, notamment les grands magasins, resteraient fermés le dimanche. L’effet d’affichage serait désastreux.
De même, nous avions souhaité faire en sorte que des commerces qui peuvent aujourd’hui ouvrir le dimanche ne soient pas contraints de fermer demain : je pense en particulier aux petits commerces situés dans les zones touristiques. Nous n’avons malheureusement pas été entendus à cet égard par les députés, qui ont rétabli leur texte jusque dans les dispositions les plus improbables qu’il contenait, comme la consultation obligatoire des conseils municipaux sur l’ouverture dominicale des bibliothèques ou la déduction des jours fériés. En conséquence, la commission spéciale est restée fidèle à sa position initiale.
Si le Sénat a globalement approuvé les autres dispositions du volet social du texte, comme le renforcement de la lutte contre les fraudes au détachement de travailleurs ou la sécurisation juridique des règles des plans de sauvegarde de l’emploi, nous avons en revanche un réel désaccord avec l’Assemblée nationale sur d’autres points, dont les trois suivants.
Tout d’abord, nous maintenons notre refus d’une réforme par ordonnance des pouvoirs de l’inspection du travail, considérant que le Parlement devrait pouvoir pleinement exercer son contrôle sur ce sujet essentiel pour les entreprises et les salariés.
M. Charles Revet. Ce n’est pas au Gouvernement de légiférer, mais au Parlement !
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Ensuite, la réforme du délit d’entrave, en conservant la peine de prison lorsque celui-ci porte sur la constitution d’institutions représentatives du personnel, demeure inaboutie et contraire aux engagements du Président de la République.
Enfin, nous ne nous satisfaisons pas des timides assouplissements apportés par les députés aux accords de maintien de l’emploi, qui n’offriront pas aux entreprises françaises en difficulté une réelle flexibilité interne, pourtant gage de succès économique, comme le montre l’exemple allemand.
Nous avions également cherché à avancer ensemble, monsieur le ministre, sur une évolution de la définition du motif économique de licenciement, afin de sécuriser les entreprises et les parcours professionnels des salariés : les députés sont restés sourds à ce besoin, de même qu’à la nécessité d’adapter l’encadrement des stages à la réalité des années de césure et des masters.
Vous comprendrez notre déception devant l’attitude, que je qualifierai de peu accommodante, de l’Assemblée nationale, voire du Gouvernement, à l’égard du Sénat. Certains pourraient en être découragés, et juger vains les efforts d’amélioration du texte qui ont été les nôtres depuis trois mois. Ce n’est pas notre cas, et mes collègues Dominique Estrosi Sassone et François Pillet et moi-même vous démontrerons la constance et la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur de la commission spéciale. Monsieur le ministre, nous abordons cette nouvelle lecture du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques avec un sentiment mélangé de satisfaction et de frustration.
La satisfaction tient au fait que, malgré l’échec de la commission mixte paritaire, nous constatons que les arguments avancés par le Sénat ont été, à plusieurs reprises, entendus par nos collègues députés. En conséquence, près de la moitié des 400 articles du projet de loi ont d’ores et déjà fait l’objet d’une adoption conforme. À l’issue de cette lecture au Sénat, nous devrions également trouver un accord sur un certain nombre d’autres articles.
Malgré cela, nous ressentons aussi de la frustration car, au cours des longues heures de discussion dans cet hémicycle, vous vous êtes parfois opposé aux propositions de la commission spéciale, avant d’y faire droit lorsqu’elles ont été reprises par les députés.
M. Charles Revet. Ce n’est pas juste !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Avouez, monsieur le ministre, qu’il n’est pas toujours aisé de suivre les méandres de la pensée gouvernementale en fonction de la situation politique du moment !
Nous eussions seulement souhaité de votre part (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)…
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. … un peu moins de fétichisme (Sourires.) à l’égard du texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture. Nos débats en auraient probablement été raccourcis et l’élaboration de votre projet de loi s’en serait trouvée moins laborieuse et moins mouvementée ; mais, ma foi, ne nous plaignons pas trop : le temps de la démocratie est aussi celui de la maturation.
Mme Nicole Bricq. Ah, tout de même !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Vos revirements prouvent que la procédure législative – dont, paraît-il, l’apparente lenteur agace certains – nous permet d’œuvrer collectivement à l’amélioration de textes souvent imparfaits. De fait, pour ce projet de loi, le Sénat, et particulièrement sa commission spéciale, n’a jamais choisi la voie de la facilité. Nous avons toujours étudié chaque sujet en profondeur. Nous aurions pu – mon collègue François Pillet l’a souligné à plusieurs reprises – supprimer des dispositions à tour de bras, mais tel ne fut pas le cas, et vous avez appris, lors de nos longs échanges en première lecture, à connaître l’état d’esprit dans lequel travaille le Sénat. En nouvelle lecture, nous avons conservé la même ligne de conduite.
M. Charles Revet. C’est très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Vous noterez ainsi que nous n’avons pas exactement rétabli le texte issu de nos débats en première lecture. Là encore, nous nous sommes astreints à une analyse fine prenant en compte les travaux des députés. Par exemple, en matière de mobilité, nous avons conservé l’avis conforme de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER, rétabli par l’Assemblée nationale.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. En revanche, nous ne comprenons toujours pas votre opposition à un seuil glissant de 200 kilomètres, pourtant préconisé par l’Autorité de la concurrence.
M. François Pillet, corapporteur. Eh oui !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. En l’espèce, il s’agit surtout d’une mesure de protection des relations ferroviaires de proximité. Il faut que le Gouvernement clarifie ses intentions sur ce point. Vous refusez l’ouverture à la concurrence entre compagnies ferroviaires, mais vous l’acceptez entre les trains et les autocars. Sachant que le rapport Duron préconise la fermeture de lignes, nous nous interrogeons sur votre vision du système ferroviaire français…
Je m’étonne aussi du fait que le Gouvernement veuille élever au niveau législatif des dispositions de caractère réglementaire, alors qu’il serait tellement plus rapide de prendre un décret. C’est la voie retenue par le Gouvernement à propos des dispositions de l’article 9 bis AA relatif au permis de conduire des Français de l’étranger : un décret devrait en effet prochainement apporter une réponse à ce problème ; vous vous y êtes engagé devant la commission spéciale. Pourquoi ne pas faire de même pour les mesures prévues à l’article 9 et relatives à la conduite accompagnée ?
En ce qui concerne le volet du texte relatif au commerce, je note, là aussi, un rapprochement de vues avec l’Assemblée nationale. Celle-ci a confirmé la suppression de l’article 10 relatif à l’avis de l’Autorité de la concurrence sur les documents d’urbanisme, qui figurait pourtant dans le texte initial ; elle a également modifié, dans un sens positif, l’article 10 A relatif à l’encadrement des réseaux de distribution.
En revanche, je regrette que, en déposant un amendement de suppression lors de la procédure du 49-3, vous n’ayez pas respecté le choix de la commission spéciale de l’Assemblée nationale de maintenir l’article 11 quater C, ouvrant la possibilité d’obtenir des lunettes sans ordonnance. Pourtant, vous savez très bien, monsieur le ministre, que cela ne porte aucunement atteinte à la santé visuelle de nos concitoyens.
En matière d’environnement, nous sommes désormais favorables à l’article 28 habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance ; nous avons donc bien avancé par rapport à la première lecture.
Je me félicite enfin que ce projet de loi contienne des dispositions ambitieuses en matière de numérique, et ce principalement grâce au Sénat. Certes, le Gouvernement vient de présenter un projet de loi relatif au numérique, attendu de longue date, mais, lorsqu’il s’agit de zones « blanches » ou « grises », monsieur le ministre, les territoires ne peuvent plus attendre, car leur développement économique en dépend !
M. Bruno Sido. C’est exact !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Au total, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand je considère le chemin parcouru depuis janvier, je me demande si nos désaccords sont aussi irréconciliables qu’on veut bien le dire. D’ailleurs, monsieur le ministre, peut-être y a-t-il moins de désaccords entre vous et le Sénat qu’entre vous et l’Assemblée nationale (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. Philippe Dallier. C’est sûr !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. … humiliée par le Premier ministre au travers de cette interdiction de débattre ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Claude Lenoir. Oui, humiliée !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Surtout que cela s’est produit deux fois !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. En première lecture, vous nous aviez invités à ne pas « réduire l’ambition de la réforme ». De fait, nous vous avons démontré que nous sommes animés du même désir, de la même volonté de promouvoir des réformes ambitieuses qui aideront la France à retrouver le chemin de la croissance.
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. En fin de compte, nous ne reprochons qu’une seule chose à ce texte censé structurer la politique économique du quinquennat : qu’il ne constitue pas une rupture aussi forte que nécessaire, malgré un foisonnement de plus de 400 articles ! Le Gouvernement a dû faire montre d’une autorité sans précédent en dégainant par deux fois le 49-3,…
Mme Nicole Bricq. Mais non, cette procédure est prévue par la Constitution !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. … mais pour imposer quelles mesures en définitive ? Pour autoriser l’ouverture de lignes de transport par autocar ? Pour étendre au compte-gouttes le travail du dimanche ? Plus grave encore, pour déstabiliser la profession notariale ? Bref, de petits pas plutôt qu’un grand bond en avant !
Pour notre part, nous estimons qu’il faut aller plus loin, mener des réformes structurelles plus audacieuses, courageuses et nécessaires pour notre pays. Monsieur le ministre, le courage paie en politique…
M. Jean Desessard. Pas toujours !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. … et il peut être compris par nos concitoyens !
C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter le texte présenté par la commission spéciale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Pillet, corapporteur.
M. François Pillet, corapporteur de la commission spéciale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ici ou ailleurs, de multiples observateurs ou experts s’interrogent encore sur la place prise, dans le projet de loi, par les dispositions relatives aux activités des professions juridiques ou de certaines juridictions, au droit des sociétés, au droit des procédures collectives, au transfert de prérogatives gouvernementales à l’Autorité de la concurrence. Cette énumération ne saurait d’ailleurs être exhaustive, eu égard à l’exubérante variété des domaines abordés !
Devez-vous passer par ces chemins inattendus, peu fréquentés par les entreprises productrices de richesses partageables, pour atteindre votre objectif, tel que vous l’avez à de multiples reprises exposé, monsieur le ministre ? Les professions dont l’activité consiste à mettre en œuvre le droit participent à la vie économique, mais il ne viendrait à l’idée de personne de soutenir qu’elles en sont les moteurs. Elles ont une mission essentielle : assurer, sur l’ensemble du territoire, au plus près de nos concitoyens, la force et la stabilité des règles qui structurent notre société et harmonisent son fonctionnement.
Parmi elles, les professions appelées à juste titre « réglementées », parce qu’entièrement soumises au ministère de la justice quant à leur nombre, leurs champs de compétence et leurs tarifs, se voient reprocher de ne pas avoir été aussi placées sous la tutelle du ministère de l’économie et des finances ! En sont-elles responsables et ont-elles été coupables de nuire au pouvoir d’achat quotidien, annuel, voire décennal, du citoyen ?
Les autorités, fussent-elles proclamées indépendantes, ne sont pas légitimes à limiter, ou pire à entraver, l’expression des pouvoirs du Gouvernement. Elles émettent des avis simples et rendent des décisions encadrées par des procédures contradictoires et susceptibles de recours. Qui peut prétendre décider seul de l’opportunité, de la régularité et de la loyauté de la concurrence ?
Monsieur le ministre, voulez-vous réellement écouter nos réserves et entendre nos propositions ? À titre personnel, je ne pense pas que le recours au 49-3 soit, pour reprendre les termes du Président de la République, « une brutalité, […] un déni de démocratie », mais je constate avec lui qu’il constitue « une manière de freiner ou d’empêcher le débat parlementaire ».
À cet égard, il est très important que nos concitoyens constatent et se souviennent que ce procédé ne peut pas être infligé au Sénat, qui est seul maître de ses textes : c’est, soit dit en passant, l’un des exemples indiscutables de la protection que le bicamérisme confère au fonctionnement des démocraties.
À réception du projet de loi, non voté par l’Assemblée nationale en première lecture, le Sénat a entamé l’examen de ses dispositions avec le souci du respect de notre système juridique et de ses principes fondamentaux, en partageant les objectifs tels qu’exposés dans vos propos, monsieur le ministre, et animé par la volonté de les atteindre et de les renforcer.
Au terme d’échanges nombreux avec tous les professionnels concernés et d’un travail minutieux, nous avons, encouragés par les engagements que vous avez pris, amendé, enrichi votre texte, qui n’a pas été rejeté par le groupe socialiste du Sénat. Sous réserve de quelques corrections, que la commission permanente aurait certainement pu apporter, le Gouvernement aurait pu compter sur une large majorité à l’Assemblée nationale.
Or, pour la deuxième fois, votre projet de loi nous revient sans avoir été débattu ni voté par l’Assemblée nationale, sans que les règles d’installation des professions réglementées sur notre territoire ne soient précisément définies et que leur fixation relève du seul pouvoir du Gouvernement. Ainsi, les ministres ne pourront prendre, en la matière, une autre décision que celle qui aura été dictée par l’Autorité de la concurrence.
En deuxième lieu, votre texte nous est transmis sans que l’accès à ces professions soit conditionné aux niveaux de compétences et de responsabilités nécessaires. Je pense, par exemple, aux nouvelles conditions d’accès aux professions d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire.
En troisième lieu, il nous revient sans que les modifications des dispositions relatives aux tarifs ne libèrent un espace pour l’installation de nouveaux professionnels et en allègent le coût financier. J’en veux pour preuve votre refus réitéré de faire en sorte que les fonds obtenus dans le cadre d’une péréquation puissent être utilisés pour indemniser les professionnels en place et ainsi décharger de ce fardeau financier ceux qui s’installent, a priori des jeunes.
Pour la deuxième fois, votre projet de loi nous revient sans avoir été voté par l’Assemblée nationale, en prévoyant, dans l’optique d’une dérégulation sans frein, la possibilité de créer des sociétés interprofessionnelles susceptibles d’entraîner, au grave préjudice des justiciables, perte d’indépendance, atteinte au secret professionnel, conflits d’intérêts, en instaurant un nouveau fonds de péréquation professionnelle, inégalitaire quant au rôle qui lui est assigné en matière d’aide juridique et totalement déséquilibré dans son financement, assuré par une nouvelle taxe, tandis qu’une autre taxe, inutile, est maintenue pour la gestion des données du registre du commerce, la solution élaborée par le Sénat, pourtant parfaitement conforme à vos objectifs, n’ayant, curieusement, pas été conservée…
Lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, vous avez à juste titre retenu certaines propositions du Sénat, qui permettront, par exemple, aux juridictions commerciales de poursuivre le travail considérable qu’elles réalisent sans frais pour l’État.
Vous avez également conservé différentes constructions juridiques plus compatibles avec notre Constitution ou les conventions et traités européens. Toutefois, tous les risques en la matière ne sont pas écartés, eu égard à différentes dispositions que vous avez maintenues ou réintroduites.
Constant dans son attitude, le Sénat ne cessera pas, une fois cette discussion générale achevée, de rechercher le dialogue avant d’exprimer ses choix. Êtes-vous réellement dans le même état d’esprit, monsieur le ministre ?
On ne cesse de clamer, de tous côtés, que notre pays a besoin de réformes. Si nous ne nous entendons pas tous sur le contenu de celles-ci, au moins pouvons-nous nous épargner l’illusion de réformer, en évitant que ce contenu même ne rende bientôt nécessaire la correction de leurs excès et de leurs insuffisances.
Ainsi, à peine leur encre sèche, les dispositions de la loi ALUR pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, de la loi relative à l'économie sociale et solidaire et de la loi relative à la consommation ont dû être rediscutées, revues et corrigées ! À l’image de ces textes, en raison des profondes déficiences de son élaboration, votre projet de loi nécessitera très prochainement, de façon impérieuse, une correction.
Monsieur le ministre, incontestablement, vous aimez le dialogue, mais comme on aime l’art pour l’art ! (Sourires.) Nous vous proposons courtoisement de reporter l’exercice de ce divertissement à d’autres occasions, afin de consacrer les heures et les jours à venir à l’examen de véritables et justes mesures propres à favoriser la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais aborder, dans les quelques minutes qui me sont consenties, la procédure et le fond.
Je commencerai par évoquer brièvement la procédure.
Nous examinons le projet de loi en nouvelle lecture. L’Assemblée nationale n’aura ensuite le choix qu’entre reprendre nos amendements ou revenir à son texte : elle n’aura plus la faculté d’adopter de nouveaux amendements. C’est dire, monsieur le ministre, que cette nouvelle lecture devant le Sénat constitue la dernière possibilité de faire évoluer un projet de loi qui appelle encore des modifications. Notre travail législatif doit satisfaire à cette contrainte procédurale : nous devons garder à l’esprit que les amendements que nous adopterons pourront ou non être repris par l’Assemblée nationale.
Nous aurons sans doute à cœur de nous concentrer sur les dispositions adoptées en nouvelle lecture par les députés, pour beaucoup à contretemps, après une commission mixte paritaire qui n’a échoué que parce qu’elle s’est réunie avant le congrès de Poitiers et que les frondeurs ne pouvaient accepter le principe même d’un accord, fût-il partiel, avec le Sénat. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
À bien des égards, cette nouvelle lecture devant le Sénat est utile. Chacun sait que le texte transmis par l’Assemblée nationale n’a pas fait l’objet d’un vote et que, cette fois, nos collègues députés ne l’ont même pas examiné en séance. Le Sénat sera la seule assemblée à avoir examiné et voté ce projet de loi, même si le texte adopté ici sera bien éloigné des intentions du Gouvernement. Cette nouvelle lecture est donc, je le crois, salutaire et la démocratie parlementaire, dont je ne suis pas certain qu’elle ait été grandie par la procédure utilisée à l’Assemblée nationale, en sortira gagnante. Nous comblons ici une attente de débat parlementaire.
Cette nouvelle lecture devant la Haute Assemblée est aussi utile, car des améliorations juridiques doivent logiquement être apportées au texte arbitré en commission – parfois laborieusement, mais c’est légitime – avant son vote en séance publique. Or l’Assemblée nationale a été privée de cette étape de la séance publique plénière. Nos excellents corapporteurs ont pu s’atteler à ce travail légistique majeur. Le projet de loi en sortira renforcé et précisé.
En commission, nous avons adopté conformes une centaine d’articles sur lesquels nous avons constaté un accord avec l’Assemblée nationale. Cela a été possible, car celle-ci a fait un pas vers le Sénat. Toutefois, si ce pas est substantiel, il demeure insuffisant.
Cela m’amène à aborder le fond du texte.
Pour bien des articles, nous sommes revenus à la version adoptée par le Sénat en première lecture, car nous avons, à regret, constaté que les appels au dialogue lancés par notre assemblée n’ont pas été entendus, ou en tout cas pas suffisamment. Il existe bien sûr aussi des différences en termes d’approche politique, et c’est légitime. Nous ne referons pas ici les débats de la première lecture ; ce serait vain de toute façon.
J’exprimerai néanmoins les regrets que nous inspirent les dispositions relatives aux notaires et, plus globalement, aux professions réglementées, sujet sur lequel vous persistez, monsieur le ministre, dans une approche dogmatique. Il est temps de débloquer la situation, ne serait-ce qu’un peu ! Sinon, vous resterez dans les mémoires comme celui qui a déréglé tout un secteur de l’emploi et de l’activité.
En ce qui concerne les accords de maintien dans l’emploi et le droit du travail, nous passons à côté d’une adaptation nécessaire et utile à l’emploi. Qui faut-il croire ? Le ministre qui émet un avis de sagesse sur la prise en compte de la situation du secteur d’activité dans la définition du licenciement économique ou les députés de sa majorité qui refusent cette avancée ?
On pourrait s’étonner de ce mystère français, de cette curiosité que constitue notre incapacité à nous réunir sur l’essentiel, à accepter les règles de l’économie de marché et à tirer les conséquences de la mondialisation ou de la numérisation de l’économie.
À cet égard, le tempo même de votre travail de réforme est parlant : il y a, curieusement, un avant et un après Poitiers, et ce qui n’était pas possible lors de la réunion de la commission mixte paritaire l’est devenu pour partie ultérieurement.
On pourrait soutenir que vous êtes contradictoires, désordonnés et parfois compulsifs. (M. le ministre sourit.)
M. Bruno Retailleau. Que de défauts !
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Surtout, on peut vous reprocher cette marche en avant si souvent interrompue par des marches arrière que l’on ne voit plus en quoi vous avancez…
J’ai entendu, au salon du Bourget, le Premier ministre annoncer la stabilité des dispositifs du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et du crédit d'impôt recherche. Je l’en ai félicité, mais j’entends maintenant le président de l’Assemblée nationale, en campagne électorale il est vrai, soutenir exactement le contraire. Comment favoriser la croissance, lever les freins à l’adaptation dans ce contexte ?
« J’aime l’entreprise », a déclaré M. Valls : ni le projet de loi défendu par M. Rebsamen ni celui-ci ne traduisent ses promesses de libéralisation.
Il faut vous reconnaître une circonstance atténuante : votre majorité à l’Assemblée nationale vous contraint et contrecarre vos velléités.
Ainsi, M. Macron paraît être le Potemkine de la politique libérale du Gouvernement. (Sourires.) Derrière la façade, il n’y a pas grand-chose.