Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Je vous remercie, madame la ministre, de la réponse que vous nous avez communiquée.
Je sais qu’à Auray quelques permanences seront organisées par des conseillers. Leur temps de présence va cependant se réduire, entraînant un recul en termes d’identification sur le territoire par la population, en particulier par les élèves.
La formation, en général, est importante pour permettre la réussite de tous les élèves. Face à la situation d’échec scolaire massif, nous ne comprenons donc pas cette réforme des CIO. Certes, une concertation est en cours, mais le nombre de CIO va diminuer, provoquant l’incompréhension du personnel et des familles. J’espère que cette concertation conduira à faire toute sa place à l’information et à l’orientation. C’est absolument nécessaire si l’on souhaite que la jeunesse réussisse. C’est notre intérêt à tous !
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Serge Larcher,
Mme Colette Mélot.
M. le président. La séance est reprise.
6
Saisine du Conseil économique, social et environnemental
M. le président. En application de l’article 70 de la Constitution et en liaison avec MM. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, et Jean-Noël Cardoux, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, j’ai saisi le Conseil économique, social et environnemental d’une demande d’avis sur les pistes d’amélioration du service rendu aux cotisants du régime social des indépendants. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mes chers collègues, je vais vous donner lecture de la lettre que j’ai adressée au président du Conseil économique, social et environnemental, M. Jean-Paul Delevoye, le 22 mai 2015 :
« Cher monsieur le Président,
« Le régime social des indépendants, le RSI, connaît, depuis sa création, des difficultés graves de fonctionnement qui ont des conséquences directes sur les entrepreneurs concernés.
« Ceux-ci dénoncent notamment des erreurs de calcul des cotisations, des retards de versement des retraites, un non-suivi des dossiers, voire des harcèlements administratifs.
« Dans le cadre de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECS, la commission des affaires sociales du Sénat a consacré un rapport d’information au RSI en juin 2014, afin de faire le point sur le fonctionnement du régime, en distinguant bien la question de son organisation et de ses dysfonctionnements, de celle du niveau des prélèvements sociaux pesant sur les travailleurs indépendants qui ne dépend évidemment pas de lui.
« Le débat est actuellement ouvert sur une éventuelle réforme du RSI et les modalités de la protection sociale des indépendants, sans que les termes de celui-ci n’aient été véritablement approfondis par les représentants des intéressés.
« L’article 70 de la Constitution prévoit que ″le Conseil économique, social et environnemental peut être consulté par le Gouvernement et le Parlement sur tout problème de caractère économique, social ou environnemental″.
« L’avis du Conseil économique, social et environnemental, qui est le représentant des activités économique et sociales, serait ainsi de nature à éclairer ces questions et définir les pistes d’amélioration du service rendu aux cotisants du RSI.
« J’attacherai du prix à ce que cet avis puisse être rendu dans les meilleurs délais qu’il vous sera possible, compte tenu des difficultés rencontrées par les travailleurs indépendants.
« Je vous prie d’agréer, monsieur le Président, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
« Signé : Gérard Larcher »
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Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié et d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et les votes par scrutins publics sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au renseignement (texte n° 424, texte de la commission n° 461, rapport n° 460, avis n° 445), et sur la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (texte n° 430, texte de la commission n° 462, rapport n° 460).
Avant de passer aux votes, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
Je vous inviterai ensuite, mes chers collègues, à vous rendre en salle des Conférences pour voter sur le projet de loi relatif au renseignement et je suspendrai la séance pendant la durée du scrutin, prévue pour une demi-heure.
Je proclamerai le résultat de ce scrutin à l’issue du dépouillement, à quinze heures quarante-cinq, puis il sera procédé au vote par scrutin public ordinaire, en salle des séances, sur la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Enfin, je donnerai la parole au Gouvernement.
Explications de vote sur l’ensemble
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe CRC. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme je l’ai évoqué en introduction de nos discussions, le sujet en cause aurait largement justifié que la navette parlementaire laisse aux deux assemblées le temps nécessaire pour parvenir à un équilibre, certes délicat à trouver, entre sécurité et liberté. La complexité de cette question et la nature même des activités de renseignement méritent un débat de fond à la hauteur de l’enjeu que la procédure accélérée ne permet pas.
Sur la forme, nous regrettons que le débat que nous avons eu ait été morcelé entre différentes séances, ce qui nous a obligés à jongler d’un article à l’autre – voire d’un alinéa à l’autre au sein d’un même article – et qu’il ait été intercalé, la semaine passée, entre la discussion d’autres textes.
Sur le fond, malgré toute la détermination du Gouvernement à nous démontrer le bien-fondé des dispositions qu’il souhaite mettre en place, nous ne sommes pas convaincus.
Les modifications que la commission des lois a apportées au projet de loi n’en modifient pas l’état d’esprit. En intégrant techniques de profilage et algorithmes de prédiction, le paradigme est inversé en matière de surveillance : au lieu de partir de la cible pour trouver les données, on part des données pour trouver la cible.
Le présent projet relatif au renseignement est essentiellement légitimé par sa référence au terrorisme, mais il a un contenu beaucoup plus large, puisqu’il permet une surveillance dans de multiples champs : les intérêts économiques et scientifiques français, ceux de la politique étrangère, la criminalité et la délinquance organisée, les fameuses violences collectives.
Dans sa rédaction actuelle, le texte ouvre la voie à de potentielles dérives de surveillance de groupes ou d’individus entendant contester les politiques publiques ; on peut penser, dès lors, aux organisations syndicales, mais pas seulement.
En dénonçant certaines pratiques illégales ou amorales d’entreprises nationales touchant à des questions environnementales ou de santé publique, par exemple, ainsi qu’à tout ce qui a trait à l’énergie, à la distribution de l’eau, aux nouvelles technologies ou à l’armement, les groupes de consommateurs et les lanceurs d’alerte sont également dans le collimateur, car susceptibles, de fait, de nuire aux « intérêts économiques […] de la France ».
À l’inverse, « la prévention de l’espionnage économique, industriel et scientifique dans le respect du droit de l’information » que nous vous proposions d’introduire par voie d’amendement comme raison justifiant l’usage de techniques de surveillance intrusives était un motif précis et légitime, qui aurait permis de prévenir largement les risques de dérives vers la surveillance politique illégitime des citoyens. Hélas, cet amendement, comme tous les autres du groupe CRC, n’a pas trouvé d’écho, ou alors a reçu un écho très faible, dans cet hémicycle.
M. Hubert Falco. La proposition n’était pas bonne !
Mme Cécile Cukierman. Parallèlement à l’invocation de motifs justifiant le recours aux services de renseignement, la France se dote d’un arsenal de techniques intrusives.
Les boîtes noires surveilleront les comportements suspects via la surveillance de toutes les données, y compris celles qui sont relatives à des personnes considérées comme non suspectes, donc tout le monde. Les algorithmes permettront de pratiquer cette surveillance en repérant les personnes qui sont en contact avec d’autres elles-mêmes en lien avec d’autres personnes qui sont en contact avec une personne potentiellement louche...
M. Hubert Falco. On peut avoir des avis contraires aux vôtres !
Mme Cécile Cukierman. « Le système de contrôle permanent des individus est une épreuve permanente, sans point final », « une enquête, mais avant tout délit, en dehors de tout crime ». « C’est une enquête de suspicion générale et a priori de l’individu qui permet un contrôle et une pression de tous les instants, de suivre l’individu dans chacune de ses démarches, de voir s’il est régulier ou irrégulier, rangé ou dissipé, normal ou anormal ». Il semblerait que l’on tende vers cette « société punitive » que décrivait Michel Foucault dans son cours au Collège de France de 1972 et 1973.
Pilier de l’ère de la suspicion, ce texte représente une grande menace pour la sauvegarde de nos libertés individuelles, et une grande menace, aussi, pour plusieurs professions, notamment pour le journalisme.
De fait, ces pratiques de surveillance indifférenciée vont tarir les sources, car l’anonymat de celles-ci ne pourra désormais plus être garanti. En effet, comment un IMSI catcher reconnaîtra-t-il si un individu s’apparente, ou non, à un journaliste avant d’intercepter ses communications électroniques ?
M. Loïc Hervé. Bonne question !
Mme Cécile Cukierman. Je vous le rappelle, mes chers collègues, la Cour européenne des droits de l’homme avait précisé, dès l’affaire Klass de 1978, que les États « ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre […] le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée » risquant « de saper, voire de détruire la démocratie au motif de la défendre ».
Au moment où le Congrès américain adopte un texte qui, pour la première fois, écorne le Patriot Act, force est de constater que, sans jouer dans la même catégorie, les services de renseignement français et américains convergent. D’ailleurs, dans une tribune envoyée à quelques médias, dont Libération, Edward Snowden nous met en garde :...
M. Bruno Sido. C’est vrai qu’il est à Moscou...
Mme Cécile Cukierman. « En dehors des États-Unis, les chefs des services secrets en Australie, au Canada et en France ont exploité des tragédies récentes afin d’essayer d’obtenir de nouveaux pouvoirs intrusifs, malgré des preuves éclatantes que ceux-ci n’auraient pas permis d’empêcher ces attaques. »
Car, évidemment, au-delà du champ d’application de la surveillance et du recul de nos libertés individuelles, auxquelles certains, n’ayant rien à cacher, se disent prêts à renoncer, se pose la question de l’efficacité d’un tel arsenal.
Lors de l’examen du texte, le rapporteur, M. Bas, nous a parlé d’une « botte de foin aimantée » : la formule est révélatrice de la grande confusion qui règne autour de l’efficacité des dispositifs proposés. Et pour cause, tous les professionnels du secteur s’accordent à dire que ceux-ci ne permettront de déjouer aucun attentat. Des informations relevant de la menace seront captées, certes, puisque toute information électronique peut désormais l’être. Mais comment s’effectuera le tri ?
Le projet de loi relatif au renseignement, c’est donc l’illusion du risque zéro...
Nous avons tendance à penser, quant à nous, que nos concitoyens ne sont pas dupes, comme en témoignent les 138 000 signatures recueillies en faveur de la pétition contre ce texte. Ces signataires posent en effet une question très pertinente : qui nous protégera contre ceux qui nous protègent ? Ils expriment aussi, via cette pétition, l’inquiétude de nombre de nos compatriotes.
Ultime crainte que soulève ce projet de loi... Car c’est en répondant à cette simple question – qui surveille les surveillants ? – que la loi devrait s’assurer de l’équilibre entre surveillance massive et protection des libertés individuelles. Or il n’en est rien, encore une fois malgré les tentatives de la commission des lois de conférer davantage de pouvoir et de légitimité à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, qui demeure une commission consultative sans réel pouvoir de contrôle.
Pour ce qui concerne les dispositions de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, nous pensons qu’il s’agit là de la moindre des choses. Nous sommes cependant opposés aux conditions draconiennes imposées par la révision constitutionnelle de 2008 quant au contrôle effectif des nominations réservé au Parlement. C’est pourquoi nous nous abstiendrons lors du vote de ce texte.
Enfin, vous l’aurez compris, mes chers collègues, tous les membres du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre le projet de loi relatif au renseignement. Nous continuerons à nous mobiliser contre ce texte avec l’ensemble des acteurs et des citoyens, et lors de la commission mixte paritaire, et suivrons très attentivement les recours présidentiel et parlementaire devant le Conseil constitutionnel.
À cet égard, je vous informe que les sénateurs du groupe CRC s’adresseront également de manière officielle au Conseil constitutionnel dans une lettre publique, notamment pour s’enquérir du bien-fondé du déploiement des techniques de surveillance de masse. Car dans les faits, c’est vers cela que nous allons ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat et Mme Sylvie Goy-Chavent applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les débats sur le présent projet de loi ont été riches et intenses, nous permettant de mettre en exergue les aspérités de l’élaboration d’une politique publique du renseignement qui perturbe notre démocratie entre des impératifs contradictoires, mais qu’il faut pourtant réconcilier. Ce fut tout l’enjeu de nos échanges : trouver le bon équilibre entre la nécessaire sécurité de tous et l’indispensable liberté de chacun.
Avons-nous atteint la vertu qu’Aristote, dans l’Éthique à Nicomaque,...
M. Loïc Hervé. Belle référence !
M. Jacques Mézard. ... définit comme l’« ouvrage convenablement exécuté », c’est-à-dire dont « on ne peut rien lui enlever, ni rien lui ajouter, toute addition et toute suppression ne pouvant que lui enlever de sa perfection et cet équilibre parfait la conservant » ?
Peut-être pouvons-nous considérer que tel est le cas dans le contexte troublé actuel, lequel a vu se produire les événements de début janvier et s’accroître encore, comme nous l’ont rappelé à maintes reprises les ministres MM. Le Drian et Cazeneuve, les risques d’attentats terroristes dans notre pays. Mais nous aurons, j’en suis persuadé, à y revenir dans les prochaines années, à la lueur de la connaissance empirique qui aura été la nôtre.
Rappelons qu’il s’agit non pas d’un texte sur le terrorisme – c’est déjà fait –, mais d’un texte relatif au renseignement dans tous ses aspects : criminalité, terrorisme, économie, défense... S’il était en réalité en préparation avant les attentats qui se sont produits au mois de janvier, il faut quand même convenir que l’approche et l’acceptation dudit texte se font en partie au regard de l’émotion qu’ont suscitée ces événements dramatiques.
Le projet de loi crée un cadre législatif à la politique publique du renseignement pour mettre notre pays en conformité avec les standards démocratiques, comme l’ont fait auparavant l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Nous n’étions pas en avance sur notre temps, c’est pourquoi nous devons saluer une décision visant à encadrer des pratiques totalement occultes en les exposant à la lumière. Ne serait-ce que pour cette raison, un texte était nécessaire.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Jacques Mézard. Le renseignement engage, inévitablement, une discussion sur les fins et les moyens, sur les parts d’ombre de la vie de la cité qui échappent en partie au dialogue démocratique. Ce projet de loi-cadre, qui définit à la fois les principes et les finalités de la politique publique du renseignement et l’utilisation des techniques de recueil doit être le signe de la maturité de notre démocratie. Car s’il ne saurait exister de démocratie sans renseignement, le renseignement peut se passer de démocratie. La question de fond est alors de savoir comment assurer un contrôle efficace de l’utilisation des nouvelles techniques, en particulier numériques, profondément intrusives de la vie privée.
La Haute Assemblée a apporté sa contribution en renforçant les garanties introduites en matière de mise en œuvre des techniques de renseignement, notamment en limitant les finalités permettant le recours à la procédure d’urgence absolue ou en accroissant les pouvoirs de contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Nous saluons, en particulier, la consécration d’un recours juridictionnel à la suite d’un avis défavorable de la CNCTR portant sur une intrusion dans un lieu à usage d’habitation. Le Conseil d’État devra alors statuer en vingt-quatre heures et, fait notable, le recours sera suspensif de l’autorisation du Premier ministre.
Si nous ne nous opposons pas par principe aux techniques nouvelles de renseignement de masse, parmi lesquelles les IMSI catchers ou les algorithmes, nous nous interrogeons sur leur efficacité. Comme j’ai eu l’occasion de le mentionner, la probabilité d’identifier correctement un terroriste est infinitésimale. La solution dernièrement choisie par les États-Unis nous paraît plus conforme au respect des libertés. En effet, le Freedom Act a prévu un encadrement plus strict de la collecte des métadonnées par la NSA ; celles-ci seront désormais stockées par les opérateurs des télécommunications, et les services de renseignement devront motiver leurs requêtes pour y accéder au cas par cas.
Par ailleurs, le Conseil d’État vient de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité relative à des articles du code de la sécurité intérieure créés par la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale. À l’instar des dispositions qui ont été adoptées dans le présent projet de loi, ces articles prévoient la possibilité pour l’administration de recueillir des informations et des documents auprès des intermédiaires techniques de l’internet, principalement à des fins de sécurité nationale, dans les conditions et limites qu’ils fixent. À ce titre, des « données de connexion » peuvent notamment être recueillies.
Mes chers collègues, la solution d’équilibre en matière de renseignement pénitentiaire a également répondu à nos inquiétudes sur la mise en œuvre des techniques de renseignement par l’administration pénitentiaire, et je salue l’initiative de M. le rapporteur et président de la commission des lois.
En revanche, nous regrettons de nouveau que ce soit le juge administratif qui ait été chargé de la protection des libertés individuelles, devenant ainsi le juge de droit commun en matière de voies de fait.
Nous regrettons aussi – cela ne surprendra personne – que les débats n’aient pas permis de parvenir à des avancées suffisantes en matière de protection des parlementaires et des professions protégées, dont les avocats et les magistrats. Mme la garde des sceaux a avancé des propositions en ce sens, en nous indiquant que des réflexions étaient en cours sur l’habilitation au secret défense d’un bâtonnier honoraire. Nous espérons que ces réflexions aboutiront dans les prochains mois.
Les auteurs d’un essai récemment publié et intitulé Renseigner les démocraties, renseigner en démocratie, M. Cousseran, ancien directeur général de la sécurité extérieure, et M. Hayez, ancien directeur adjoint du renseignement de la DGSE – la Direction générale de la sécurité extérieure – soulignent que l’hyperpolitisation du renseignement est un risque permanent et important. « Partout et toujours, la tentation existe » d’utiliser les services pour espionner des opposants.
C’est la raison pour laquelle il est essentiel de prévoir des garde-fous suffisamment puissants : un contrôle juridictionnel, bien sûr, mais aussi une commission de contrôle, dont l’avis pèse sur la décision du pouvoir exécutif.
Dans l’avenir, nous disent les deux auteurs précités, « le renseignement devra prendre garde à continuer à détecter les "menées" contre un ordre social et international sans participer à la fabrication de cet ennemi ».
Au cours de nos débats, nous avons écouté ceux qui ont l’expérience des responsabilités de l’État, M. Raffarin, ancien Premier ministre, et M. le ministre de l’intérieur ; nous avons aussi pris en compte les inquiétudes exprimées par chacun des six groupes parlementaires du Sénat : c’est révélateur d’un débat de fond qui ne saurait être occulté.
Aussi, en cette matière, comme dans toutes celles qui comptent pour la société, pouvons-nous dire avec Aristote : « l’excès est une faute et le manque provoque le blâme ».
Monsieur le secrétaire d’État, la confiance que nous avons en la personne de M. le ministre de l’intérieur est intacte, de même que notre attachement viscéral aux principes défendus depuis toujours au sein de la Haute Assemblée par notre groupe. Pour toutes ces raisons, parce que nous recherchons précisément et en permanence le juste équilibre entre les droits et les devoirs, les membres du RDSE exprimeront un vote diversifié, mais, dans leur majorité, s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Robert Navarro, pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Robert Navarro. Le présent projet de loi fait couler beaucoup d’encre, et nous avons tous reçu, mes chers collègues, des dizaines de courriers électroniques envoyés par des citoyens préoccupés. Mettra-t-il en place une surveillance de masse, jettera-t-il la France dans les bras d’un nouveau Big Brother ? Selon moi, la réponse est clairement « non ». Ce texte n’est pas l’équivalent de la loi liberticide votée aux États-Unis après le 11 septembre 2001, le fameux Patriot Act. En effet, il ne comporte ni transfert de pouvoirs massifs vers le Président de la République, ni création de commissions militaires pour juger les terroristes, ni même autorisation de l’usage de la torture. L’arsenal prévu n’est donc pas un droit d’exception. C’est pourquoi je soutiens ce texte et je voterai en sa faveur.
Ce projet de loi me fait penser aux radars : personne au sein de cette Haute Assemblée ne conteste leur utilité et leur rôle. Les moyens technologiques mis en place afin de lutter contre le terrorisme reviennent exactement au même, et ne portent pas atteinte à la vie privée. Il est d’ailleurs amusant que parmi les personnes qui contestent ce texte, bon nombre d’entre elles communiquent, sans sourciller, des informations sur Facebook et autres géants du web que même la Stasi n’aurait pas osé collecter ! (Exclamations.)
M. Bruno Sido. Trop, c’est trop !
Mme Cécile Cukierman. C’est du débat !
M. Robert Navarro. Bien sûr, ce projet de loi prévoit le recours aux nouvelles technologies ; c’est ce qui fait peur. Sur ce point, je partage l’une des inquiétudes exprimées : le quantitatif nuit au qualitatif. Si l’accès aux flux de données des terroristes est indispensable, il doit être un outil au service du renseignement, et non au cœur de la lutte, sous peine de décevoir.
Enfin, ce texte, qui, s’il est adopté, va fluidifier l’action indispensable des pouvoirs publics en matière de lutte contre le terrorisme, ne doit pas nous faire passer à côté de la réflexion de fond que nous devons mener : les attentats du 11 septembre d’abord et la montée en puissance de l’État islamique quatorze ans après. La guerre, la paix, le crime sont des mots qui changent de sens au XXIe siècle.
Avec qui conclurons-nous un traité de paix ? Personne, malheureusement ! Il est clair que, à côté de la mondialisation économique, se développe une forme de guerre civile mondiale permanente.
Face à cette menace émergente, la seule réponse est une solidarité mondiale : elle émerge, timidement, autour de phénomènes globaux, comme le changement climatique, les drames des migrations... Plus récemment, la mobilisation mondiale, après l’attaque odieuse contre Charlie Hebdo, montre que, face à la haine, l’humanité est capable de se défendre : de la Syrie au Japon, des États-Unis à la Tunisie, des millions d’hommes et de femmes se sont levés contre la barbarie.
La démocratie ne pourra vaincre que sur la base de ces valeurs. Surtout, nous ne devons ni promettre un risque zéro ni en rêver. Comme le disait, non sans humour, le philosophe Emmanuel Kant, « la seule paix durable est celle des cimetières ».
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’exercice est difficile pour le législateur aujourd’hui. En effet, comment concilier le respect des libertés publiques, fondement de nos démocraties, et l’efficacité en matière de lutte contre les déviances des terrorismes ?
Je salue nos deux rapporteurs, M. Bas et M. Raffarin, pour qui l’exercice était tout aussi difficile : grâce à leur travail, nous pouvons considérer sérieusement le présent projet de loi.
Le précédent texte portant sur le même sujet datant de 1991, à une époque où la téléphonie mobile était balbutiante et où internet n’existait pas, ce projet de loi était nécessaire. Nous avions besoin d’une loi pour sécuriser les actions des agents du renseignement souvent à l’origine de procédures judiciaires délicates, pour apporter des garde-fous supplémentaires en termes de protection des libertés publiques, pour garantir un contrôle indépendant, de façon que le pouvoir exécutif, en particulier les services du Premier ministre, ne puisse pas disposer d’une liberté totale en matière de renseignement, pour permettre aussi le recours au juge, qu’il soit administratif ou judiciaire, à tous les niveaux de procédure.
Je comprends les craintes exprimées par toutes celles et ceux d’entre nous qui ont émis des critiques et les réitèrent aujourd’hui. En effet, au-delà du texte qui nous est présenté, nous sommes confrontés à un double problème : d’une part, l’évolution des techniques qui n’est pas nouvelle, mais s’accélère et, d’autre part, le développement du terrorisme. C’est bien cette double confrontation que nous avons du mal à assumer les uns et les autres.
Les objectifs sont louables : encadrer la procédure d’urgence absolue, raccourcir les délais de conservation des informations, et veiller à ce que les algorithmes et les IMSI catchers soient utilisés de la façon la plus restreinte possible. Les propositions présentées vont, me semble-t-il, dans le sens d’une réduction des risques.
Toutefois, nous devons rester extrêmement vigilants. Indépendamment de l’examen et de l’adoption, ou non, de ce projet de loi, nous devons conserver un contrôle permanent sur les procédures. À chaque instant, nous devrons, avec les acteurs eux-mêmes, nous interroger sur la responsabilité pénale des agents du renseignement, sur la manière d’assurer un contrôle parlementaire efficace et sur la façon d’encadrer les services de l’exécutif, notamment du Premier ministre, comme je l’ai déjà souligné précédemment.
Chaque famille politique est confrontée à des divergences sensibles. Pourtant, gardons-nous de creuser entre nous des fossés d’incompréhension : il n’y a pas d’un côté ceux qui luttent contre le terrorisme et, de l’autre, ceux qui défendent les grands principes de la démocratie. Comme vous le savez, mes chers collègues, les choses sont bien plus complexes. Ce projet de loi n’est pas, comme cela a déjà été indiqué, un texte de circonstance, même si nous l’étudions dans un contexte particulier et douloureux.
De telles divergences existent aussi au sein du groupe UDI-UC, dont un certain nombre de membres ne voteront pas en faveur de ce texte, pour les raisons que j’ai évoquées.
Cela étant, notre devoir de législateur sera de rester extrêmement attentif à l’application des dispositions que comporte le projet de loi. Une clause de revoyure est prévue dans cinq ans. Même si celle-ci est un peu lointaine – mieux vaut cependant une telle clause que pas du tout –, elle nous permettra de déterminer si nous devons revenir ou non sur certaines mesures que nous prenons aujourd’hui la responsabilité d’autoriser. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)