M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement a émis un avis favorable sur un amendement à l’objet identique en première lecture à l’Assemblée nationale. Cela a donné lieu à un débat passionnant pour savoir s’il fallait ou non toucher à la jurisprudence, car, pour l’instant, nous disposons essentiellement d’une jurisprudence sur la prescription. De l’avis de tous les praticiens, principalement les magistrats du parquet et les juges d’instruction, cette jurisprudence a la souplesse nécessaire et permet d’être efficace.
La commission ainsi que le Gouvernement s’étaient en revanche opposés à un amendement visant à refondre assez largement le droit de la prescription En effet, il ne faut pas prendre le risque d’ébranler l’édifice.
Dans la mesure où l’amendement n° 18 ne tend pas à modifier la date de départ de la prescription et comme il s’agit d’une incrimination particulière qui, pour être détectée, appelle souvent des investigations plus longues et plus lourdes, porter le délai de prescription de trois ans à six ans augmentera l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale. C’est la raison pour laquelle, tout en comprenant la réticence de la commission des lois, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, pour explication de vote.
M. Jean Arthuis. En première lecture, j’ai voté contre un amendement similaire. À mon sens, il n’est pas bon de laisser l’incertitude pendant une si longue période. En outre, les services fiscaux ont pour devoir d’être vigilants. J’observe par ailleurs que le Gouvernement tentera d’introduire une nouvelle procédure visant à donner une sorte de quitus au moment de la clôture des comptes, justement pour lever toutes ces incertitudes.
Allonger les délais de prescription qui sont prévus dans la loi pour la reprise ne me paraît pas une bonne politique.
Il n’y a pas si longtemps, à l’occasion d’une fraude à la TVA portant sur les quotas d’émissions de CO2, les services des douanes, qui avaient connaissance de la fraude, ont voulu parfaire leurs démarches pour identifier la filière. Moyennant quoi, cela a coûté plusieurs milliards d’euros à l’État. Lorsque l’on a connaissance d’une difficulté, il est nécessaire d’agir dans les meilleurs délais.
Pour toutes ces raisons, je voterai contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je voterai également contre cet amendement. Il n’est pas bon, dans notre système procédural, d’avoir constamment des va-et-vient sur les délais de prescription. C’est profondément dangereux. Nous avons une longue expérience de l’évolution de ces délais et nous sommes en mesure de constater que leur allongement aboutit à l’inefficacité.
M. Jean-Jacques Hyest. Bien sûr !
M. Jacques Mézard. Plus les délais de prescription sont longs, moins cela pousse à avancer dans la recherche des infractions et dans les renvois devant les tribunaux. Par conséquent, cette disposition est vraiment une fausse bonne idée.
Cette démarche intellectuelle, que je comprends – de telles initiatives sont toujours respectables –, va à l’encontre du but recherché. Nous avons besoin à la fois de délais de prescription relativement brefs et d’une harmonisation en la matière. Se lancer dans des systèmes prévoyant pour certaines infractions tel délai et pour d’autres infractions connexes tel autre délai n’est pas raisonnable. Au contraire, cela donne à ceux qui sont poursuivis les moyens de soulever toute une série de difficultés.
Procédons à l’inverse : harmonisation et brièveté relative des délais afin de gagner en efficacité.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement a pour objet d’allonger le délai de prescription pénale. Les délais de prescription fiscale sont bien plus importants !
J’entends l’argument de l’inefficacité ou de l’incitation à l’inertie, mais la réalité du droit aujourd’hui, ce sont des délais de prescription fiscale de trois ans, six ans et dix ans. Par conséquent, porter le délai de prescription pénale de trois ans à six ans n’est pas une hérésie.
M. le président. En conséquence, l’article 11 sexies demeure supprimé.
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Article 11 decies A
(Suppression maintenue)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 5 est présenté par M. Bocquet, Mmes Cukierman et Beaufils, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 8 est présenté par M. Arthuis et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après l'article 57 du code général des impôts, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art... - Lorsqu'une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés, qui exploite des établissements de vente établis en France, détient directement ou indirectement des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une personne morale, dans un organisme, dans une fiducie ou dans une institution comparable, établi ou constitué hors de France recevant des redevances payées par un fournisseur domicilié en France ou par une entreprise liée établie ou constituée hors de France, calculées sur la base de fournitures livrées sur le territoire français, les bénéfices issus de ces redevances sont imposables à l'impôt sur les sociétés.
« Les impôts payés à l'étranger à ce titre viennent en déduction de l'imposition due en France. »
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 5.
Mme Cécile Cukierman. Quand il s’agit de lutter contre la fraude fiscale, nous n’entendons pas nous priver de propositions intéressantes, y compris lorsqu’elles sont émises par d’autres.
À travers cet amendement, nous avons ainsi souhaité marquer notre intérêt pour une proposition formulée par notre collègue Jean Arthuis lors de la première lecture – et qu’il réitère d’ailleurs à l’occasion de cette nouvelle lecture – relative à la prise en compte des marges arrière de la distribution. Cette disposition, adoptée sans difficulté majeure par le Sénat en première lecture, a été retirée du projet de loi à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale.
L’amendement initial visait pourtant une situation et des réalités tout à fait concrètes, montrant, s’il en était besoin, que le droit fiscal nécessite un peu de souplesse et de « flexibilité » pour s’avérer pleinement efficace – cette réalité n’est pas valable dans tous les domaines.
Je laisse à présent Jean Arthuis poursuivre l’argumentation en faveur de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, pour présenter l'amendement n° 8.
M. Jean Arthuis. Je remercie ma collègue Cécile Cukierman d’avoir introduit le sujet.
En première lecture, le Sénat avait adopté sur mon initiative un amendement tendant à corriger certaines pratiques qui se développent dans le secteur de la grande distribution, et qui consistent pour les distributeurs à mettre à la charge de leurs fournisseurs français, notamment dans le secteur agroalimentaire, des redevances qui sont versées à des officines implantées en Suisse ou en Belgique.
Il s’agit évidemment de marges arrière, qui nous permettent de mesurer l’abus de position dominante que peuvent pratiquer certaines centrales d’achat.
J’étais bien conscient que la rédaction de mon amendement était perfectible, et M. le ministre chargé du budget m’avait laissé entendre que nous pourrions travailler à une rédaction plus opérationnelle.
J’observe que, en dépit du délai de trois mois dont nous avons disposé, nous n’avons pas eu l’occasion d’évoquer cette question.
À l’Assemblée nationale, lors de la nouvelle lecture, la commission saisie a laissé cette disposition survivre, mais par le biais d’un amendement la suppression de celle-ci a été proposée en séance publique. En réponse, Bernard Cazeneuve a déclaré : « Comme vous, monsieur le rapporteur, je salue l’amendement du sénateur Jean Arthuis, qui est utile, intéressant, et important, car il dénonce des pratiques que nous combattons, et qui sont visées par ce projet de loi. J’ai toutefois indiqué à M. Arthuis que la rédaction de son amendement le rendait inefficace et je me suis engagé, au moment de l’examen de ce texte au Sénat, à reprendre la proposition de M. Arthuis dans le cadre de la loi de finances ou de la loi de finances rectificative. »
Dans le projet de loi de finances qui a été rendu public, je n’ai pas trouvé de dispositions concrétisant cet engagement.
Si j’ai déposé cet amendement, c’est pour obtenir du Gouvernement confirmation que, dans les semaines qui viennent, nous allons pouvoir travailler à une rédaction plus satisfaisante de cette disposition, afin de rectifier ces pratiques qui mettent en difficulté les milieux de la production, la croissance et l’emploi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Marc, rapporteur pour avis. Nous avons bien compris qu’il s’agissait de mettre fin à la pratique de certains acteurs de la grande distribution qui perçoivent des marges arrière par le biais d’entités localisées à l’étranger, ce qui les conduit bien entendu à contourner leurs obligations commerciales et fiscales.
La commission des finances partage la volonté de Jean Arthuis et de nos collègues du groupe CRC de redresser les torts de ces entreprises et s’accorde à dire qu’il serait opportun de mettre fin à ces pratiques.
On avait compris en première lecture que l’application de cette disposition poserait des difficultés, en raison des enjeux de droit communautaire qu’elle soulève et du réexamen des conventions fiscales nous liant à certains pays qu’elle impose. Sa mise en œuvre nécessite donc un travail d’investigation que M. le ministre s’était engagé à entreprendre.
Quoi qu’il en soit, la commission des finances adhère pleinement à l’objectif visé et souhaite que le Gouvernement puisse aujourd’hui nous confirmer qu’un réel processus de réflexion est engagé sur le sujet qui nous conduira peut-être à nous aventurer en dehors du terrain fiscal. L’ambition qui est la nôtre mérite en tout cas d’être prise en considération. C’est pourquoi la commission des finances apprécierait grandement que vous puissiez lui donner toutes assurances en la matière, madame le garde des sceaux.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est très volontiers que je m’engage au nom du Gouvernement sur ce sujet.
Monsieur le rapporteur pour avis, vous avez exposé très précisément et très clairement l’enjeu en cause et évoqué l’obstacle que représentaient les conventions fiscales, ainsi que la nécessité pour les entreprises concernées d’avoir un établissement stable en France.
M. le ministre chargé du budget m’a confirmé que vos inquiétudes, exprimées depuis la première lecture, monsieur le Arthuis, avaient été très sérieusement prises en considération et que le travail était désormais suffisamment avancé pour que le Gouvernement soit en mesure de présenter un amendement lors du débat budgétaire pour 2014.
Vous avez raison : cette disposition ne figure pas encore dans le projet de loi de finances tel qu’il a été adopté en conseil des ministres et tel qu’il est soumis à votre examen.
Toutefois, et même si les gouvernements rechignent généralement à le faire, vous n’ignorez pas que le Gouvernement peut présenter un amendement à cette occasion.
La réflexion est suffisamment avancée au niveau de ses services pour que le ministre puisse voir clair sur cette question au moment du débat budgétaire. Dans l’attente, il se propose de travailler avec vous à la rédaction d’un amendement le plus précis et le plus efficace possible.
Si vous consentez à retirer votre amendement, le débat sur cette question sera juste différé de quelques semaines : je prends devant vous cet engagement formel au nom du Gouvernement, avec les assurances du ministre du budget et je formule la même demande de retrait à l’égard de l’amendement défendu par Mme Cukierman.
M. le président. Madame Cukierman, l'amendement n° 5 est-il maintenu ?
Mme Cécile Cukierman. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 5 est retiré.
Monsieur Arthuis, l'amendement n° 8 est-il maintenu ?
M. Jean Arthuis. Je consens à le retirer, monsieur le président. Il doit y avoir un minimum de confiance entre nous, madame le garde des sceaux. Je donne donc crédit à votre engagement et je jugerai aux actes.
M. le président. L'amendement n° 8 est retiré.
L’article 11 decies A demeure supprimé.
Article 11 decies
(Non modifié)
I. – (Non modifié)
II. – Le I s’applique aux demandes de relevés de compte adressées par l’administration et aux transmissions de ces relevés effectuées spontanément par des tiers à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi. – (Adopté.)
Article 11 undecies
(Non modifié)
I. – L’article L. 188 A du livre des procédures fiscales est ainsi rédigé :
« Art. L. 188 A. – Lorsque l’administration a, dans le délai initial de reprise, demandé à l’autorité compétente d’un autre État ou territoire des renseignements concernant un contribuable, elle peut réparer les omissions ou les insuffisances d’imposition afférentes à cette demande, même si le délai initial de reprise est écoulé, jusqu’à la fin de l’année qui suit celle de la réception de la réponse et, au plus tard, jusqu’au 31 décembre de la troisième année suivant celle au titre de laquelle le délai initial de reprise est écoulé.
« Le présent article s’applique dans la mesure où le contribuable a été informé de l’existence de la demande de renseignements dans le délai de soixante jours suivant son envoi, ainsi que de l’intervention de la réponse de l’autorité compétente de l’autre État ou territoire dans le délai de soixante jours suivant sa réception par l’administration. »
II. – (Non modifié). – (Adopté.)
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TITRE III
DISPOSITIONS RELATIVES AUX JURIDICTIONS SPÉCIALISÉES EN MATIÈRE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
Chapitre Ier
Dispositions modifiant le livre IV du code de procédure pénale
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Article 13
(Non modifié)
I. – L’article 704 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent, la compétence territoriale d’un tribunal de grande instance peut être étendue au ressort de plusieurs cours d’appel pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et, s’il s’agit de délits, le jugement des infractions suivantes : » ;
2° Au 1°, après la référence : « 434-9, », est insérée la référence : « 434-9-1, » ;
3° Le 10° est ainsi rétabli :
« 10° Délits prévus aux articles L. 106 à L. 109 du code électoral ; »
4° Le dix-huitième alinéa est supprimé ;
5° Au dix-neuvième alinéa, les mots : « et à l’alinéa qui précède » sont supprimés ;
6° Les deux derniers alinéas sont ainsi rédigés :
« Au sein de chaque tribunal de grande instance dont la compétence territoriale est étendue au ressort d’une ou plusieurs cours d’appel, le premier président, après avis du président du tribunal de grande instance donné après consultation de la commission restreinte de l’assemblée des magistrats du siège, désigne un ou plusieurs juges d’instruction et magistrats du siège chargés spécialement de l’instruction et, s’il s’agit de délits, du jugement des infractions entrant dans le champ d’application du présent article. Le procureur général, après avis du procureur de la République, désigne un ou plusieurs magistrats du parquet chargés de l’enquête et de la poursuite des infractions entrant dans le champ d’application du présent article.
« Au sein de chaque cour d’appel dont la compétence territoriale est étendue au ressort d’une ou plusieurs cours d’appel, le premier président, après consultation de la commission restreinte de l’assemblée des magistrats du siège, et le procureur général désignent, respectivement, des magistrats du siège et du parquet général chargés spécialement du jugement des délits et du traitement des affaires entrant dans le champ d’application du présent article. » ;
7° Sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
« Dans le ressort de certaines cours d’appel, dont la liste est fixée par décret, un tribunal de grande instance est compétent pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et, s’il s’agit de délits, le jugement de ces infractions, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité.
« La compétence de ces juridictions s’étend aux infractions connexes.
« Un décret fixe la liste de ces juridictions, qui comprennent une section du parquet et des formations d’instruction et de jugement spécialisées pour connaître de ces infractions. »
II (nouveau). – Au dernier alinéa des articles 706-17 et 706-168 du même code, le mot : « dernier » est remplacé par le mot : « vingt et unième ».
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l'article.
Mme Cécile Cukierman. Comme nous l’avons souligné lors de la première lecture, nous estimons que la lutte contre les atteintes aux objectifs constitutionnels de justice fiscale nécessite des outils juridiques appropriés, dont des dispositifs d’investigation adéquats.
Si la mise en place d’un procureur de la République financier à compétence nationale peut y contribuer, nous ne nous y opposerons pas.
Mais, madame le garde des sceaux, pour donner à la justice son rôle central en matière de lutte contre la fraude fiscale, et dans tout autre domaine d’ailleurs, vous n’ignorez pas qu’il est indispensable que les magistrats chargés de mettre en mouvement l’action publique bénéficient d’une légitimité inébranlable et d’une indépendance incontestable.
Pour y parvenir, il faut que puisse être adopté le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, le CSM. Ce texte, qui visait pourtant à faire avancer notre démocratie, a été rejeté par le Sénat voilà quelques mois. Son rejet repousse encore à une date indéterminée l’aboutissement de cette nécessaire réforme. Et il est pour le moins curieux que ceux qui ont mené cette réforme à l’échec invoquent aujourd’hui, pour supprimer les articles relatifs au procureur financier, la réticence des représentants des magistrats en la matière.
Faut-il préciser que ces derniers font essentiellement part de réserves à l’égard de la création de ce parquet parce que, justement, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature a échoué ? Faut-il aussi rappeler qui est à l’origine de cet échec ?
Cette argumentation démontre bien l’inertie de certains de nos collègues, siégeant notamment sur les travées situées à droite de cet hémicycle, lorsqu’il s’agit de se doter des outils de lutte contre la délinquance économique et financière. Tous les arguments sont alors bons pour empêcher cette lutte.
Cela étant, madame le garde des sceaux, nous voterons le maintien des articles 13 et suivants, tout en émettant les mêmes réserves qu’en première lecture, parce que nous pensons qu’il est effectivement nécessaire de mettre en place ces outils.
En cet instant, permettez-moi de vous interroger sur les suites de la nécessaire réforme du CSM et sur les moyens qui seront engagés pour accompagner la création de ces nouveaux outils et faire en sorte qu’ils ne deviennent pas des « bombes à retardement » pour les années qui viennent.
M. le président. L'amendement n° 25 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Collombat, Collin, Fortassin, Baylet, C. Bourquin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 10 à 12
Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :
...° Au vingtième alinéa, après le mot : « comprennent », sont insérés les mots : « un procureur de la République adjoint, » ;
... ° L'avant-dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Au sein de chaque tribunal de grande instance dont la compétence territoriale est étendue au ressort d’une ou plusieurs cours d’appel, le procureur général et le premier président, après avis du procureur de la République et du président du tribunal de grande instance, désignent respectivement un procureur de la République adjoint, un ou plusieurs magistrats du parquet, juges d’instruction et magistrats du siège chargés spécialement de l’enquête, la poursuite, l’instruction et, s’il s’agit de délits, du jugement des infractions entrant dans le champ d’application du présent article. » ;
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. L’article 13 du projet de loi prévoit de supprimer les juridictions régionales spécialisées et de renforcer en contrepartie les juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS.
Nous ne sommes pas opposés à cette disposition. Plutôt que de créer un procureur de la République financier inutile et contre-productif, nous pensons qu’il serait plus efficace de renforcer significativement les moyens des JIRS.
Le présent amendement vise donc à conforter encore la lisibilité et l’efficacité des JIRS. Il tend à créer un procureur de la République adjoint chargé des cas de fraude fiscale complexes.
Il s’inscrit dans une série d’amendements portant sur les articles 13 et suivants qui ont pour objet de revenir sur la création du procureur de la République financier. En effet, cette création nous paraît à la fois hâtive et inopportune.
L’amendement n° 25 rectifié prouve toutefois que nous ne sommes en rien opposés au fait de renforcer les moyens permettant de lutter contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière.
M. le président. L'amendement n° 26 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Collombat, Collin, Fortassin, Baylet, C. Bourquin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 13
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et, s’il s’agit de délits, le jugement des affaires visées au présent article qui apparaissent relever de la compétence de plusieurs tribunaux dont la compétence territoriale est étendue au ressort de plusieurs cours d’appel, le procureur de la République de Paris, le juge d’instruction et le tribunal correctionnel de Paris voient leur compétence étendue au territoire national.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Le présent amendement vise à prévenir les conflits de compétence, mes chers collègues…
Nous considérons en effet que le projet de loi dont nous sommes saisis aboutira, s’il était voté en l’état, à multiplier lesdits conflits. En prévoyant la création du procureur de la République financier, il n’a pas su éviter cet écueil.
Nous proposons donc à travers cet amendement d’étendre la compétence du JIRS de Paris à l’ensemble du territoire national en cas de conflits de compétence entre plusieurs juridictions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur ces deux amendements de coordination, en attendant la discussion d’ensemble sur la création du procureur financier.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avec votre permission, monsieur le président, je répondrai également aux questions posées par Mme Cukierman.
J’ai déjà énoncé à la tribune quelques-unes des garanties que vous demandez, madame le sénateur, et qui me paraissent essentielles.
Pour ce qui concerne le procureur financier, les garanties seront identiques à celles qui valent pour le procureur de la République en l’état actuel du droit et des pratiques du Gouvernement.
Je ne crois pas qu’il existe aujourd’hui la moindre suspicion sur les conditions d’indépendance dans lesquelles les magistrats du ministère public sont nommés et exercent leur activité.
Je vous signale aussi que ces garanties en termes d’indépendance relèvent non seulement de la pratique, mais aussi du droit, notamment de la loi du 25 juillet 2013, que vous avez adoptée et qui prohibe les instructions individuelles.
Il est vrai que nous pouvons aller plus loin, notamment inscrire dans la Constitution le respect de l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Je rappelle que des garanties ont aussi été apportées par la circulaire du 31 juillet 2012 relative à la transparence des propositions de nomination aux postes de la haute hiérarchie du ministère public.
Je suis allée plus loin encore, puisque j’ai rendu accessibles au Conseil supérieur de la magistrature les dossiers des magistrats du ministère public : dorénavant, non seulement les postes sont publiés, mais le Conseil supérieur de la magistrature peut accéder aux dossiers et se rendre compte que la proposition du garde des sceaux n’est pas forcément la meilleure au regard du profil et des états de service des autres magistrats candidats.
Dans la pratique, c’est un changement profond. C’est une réelle garantie d’indépendance de ces magistrats.
Une étape demeure : l’inscription du respect de l’avis conforme au sein de la Constitution. Cela dépend du Parlement.
J’ai déjà eu à m’exprimer sur ce point au mois de juillet dernier, sur la consigne du Président de la République. Nous reviendrons sur ce texte, car nous pensons qu’il constitue un réel progrès pour le fonctionnement de l’autorité judiciaire et pour l’indépendance des magistrats du ministère public. Nous espérons trouver un point d’accord et voir adopter ce texte à la majorité des trois cinquièmes lors de la réunion d’un prochain Congrès.
Les sourires extrêmement généreux que j’aperçois me laissent espérer que cette prouesse est réalisable…