M. Bruno Sido. Tout à fait.
M. Jacques Mézard. … et procure une certaine stabilité politique. Toutefois, sachez, mes chers collègues, que la plupart des conseillers régionaux sont inconnus dans nos départements.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jacques Mézard. Si vous faisiez une interrogation écrite dans la rue, 95 % ou 98 % de nos concitoyens ne pourraient pas citer le nom de ces conseillers. Madame Lipietz, je connais des partis qui les tirent au sort !
Mme Hélène Lipietz. Chez vous, peut-être !
M. Jacques Mézard. Non, justement, chez vous madame, par exemple en Midi-Pyrénées !
Mme Hélène Lipietz. Pas du tout !
M. Jacques Mézard. Telle est la réalité. Il ne faut donc pas s’étonner que s’ensuive une déconnection totale entre la représentation des citoyens et le territoire.
Une fois de plus, nous nous opposerons donc à vos amendements. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Claude Lenoir. Quelle ambiance dans la majorité sénatoriale !
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er A.
(L'article 1er A est adopté.)
Article 1er
L’article L. 338 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Chaque section départementale compte au moins trois conseillers régionaux. »
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
Après l’article L. 338-1 du code électoral, il est inséré un article L. 338-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 338-2. – Si, après la répartition des sièges en application de l’article L. 338-1, moins de trois conseillers régionaux ont été élus au sein d’une ou de plusieurs sections départementales, des sièges supplémentaires sont ajoutés à l’effectif du conseil régional afin d’atteindre le seuil de trois conseillers régionaux élus dans le ou les départements concernés.
« Ces sièges supplémentaires sont répartis au niveau régional entre les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne. Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l’attribution d’un siège supplémentaire, celui-ci revient à la liste ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d’être proclamés élus.
« Les sièges supplémentaires sont attribués aux candidats des listes bénéficiaires dans l’ordre de leur présentation dans la ou les sections départementales correspondant aux départements dont la représentation doit être complétée. »
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 5, présenté par M. Richard, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 4
Rédiger ainsi ces alinéas :
« Art. L. 338-2. — Si, après la répartition des sièges en application des articles L. 338 et L. 338-1, ont été élus moins de trois conseillers régionaux issus des sections départementales correspondant à un département, un ou des sièges supplémentaires sont ajoutés à l’effectif du conseil régional afin d’atteindre le seuil de trois conseillers régionaux au titre du ou des départements concernés.
« Le nombre total ainsi majoré des sièges du conseil régional est réparti suivant les dispositions des deuxième à cinquième alinéas de l’article L. 338.
« Le ou les sièges supplémentaires résultant de cette nouvelle répartition sont attribués aux candidats des listes bénéficiaires, dans l'ordre de leur présentation dans la ou les sections départementales correspondant aux départements dont la représentation doit être complétée. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Richard, rapporteur. Il s’agit ici de mieux insérer le calcul des sièges supplémentaires qui résulteraient de l’adjonction dans l’ensemble des dispositions fixant la répartition des sièges dans le scrutin régional.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 3, dernière phrase
Remplacer le mot :
âgé
par le mot :
jeune
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Faisant acte d’innovation, peut-être même de modernisme, lors de la discussion sur le mode de scrutin des conseillers départementaux le Sénat a prévu que, en cas d’égalité des suffrages, le plus jeune devait l’emporter. Il serait cohérent, quatre mois après ce vote, de reprendre ici la même règle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l'amendement n° 4 ?
M. Alain Richard, rapporteur. La commission n’a pas suivi cette proposition. S’il y a eu quelques moments d’hésitation – de « fasseillement », pour utiliser un terme relevant du domaine de la voile – sur cette question, comme l’ensemble des autres textes donnent la priorité au plus âgé, il est apparu qu’une telle inversion constituerait un gros travail qu’il valait mieux ne pas improviser.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 4 n'a plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 1er bis, modifié.
(L'article 1er bis est adopté.)
Articles 2 à 6
(Supprimés)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. Je ne voudrais pas retenir plus longtemps l’attention de la Haute Assemblée pour une explication de vote, puisque j’ai déjà indiqué que nous allions voter cette proposition de loi. En revanche, je voudrais apporter une précision à propos du débat qui a eu lieu tout à l'heure entre le ministre et le rapporteur quant à la constitutionnalité du texte qui nous est proposé.
Je rappellerai simplement un point de bon sens : pour que le Conseil constitutionnel se prononce, encore faut-il qu’il soit saisi ! Contrairement à un usage récurrent, rappelé ici à la tribune, le groupe UMP du Sénat, dès lors que le texte reviendrait de l’Assemblée nationale sans être altéré ni dans sa forme ni au fond, ne déposerait pas de recours devant le Conseil constitutionnel. Si je puis ainsi apporter un peu de sérénité à tout le monde, particulièrement au ministre de l’intérieur, je n’aurai pas perdu mon temps !
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tenais préalablement à souligner que je soutiens cette proposition de loi déposée par notre collègue Alain Bertrand.
J’appuierai également les propos de Jacques Mézard. Je voudrais d'ailleurs très aimablement faire remarquer à notre collègue Anziani que le législateur est parfaitement dans son rôle lorsqu’il corrige une anomalie. Tel est le premier élément que je tenais à indiquer.
En deuxième lieu, on ne peut pas considérer que la régionalisation serait en danger dès l’instant où tous les départements qui composent une région sont représentés à l’assemblée régionale.
Il est non moins évident que le conseil régional de Midi-Pyrénées, où j’ai siégé pendant dix-neuf ans, n’est certainement pas l’exemple le meilleur de la représentation des populations et des territoires. Il y a, là aussi, quelques vices qui ne sont même pas cachés ! Dans cette région, il suffit que le département de la Haute-Garonne s’associe au département le plus petit pour obtenir une majorité absolue, contre l’avis des six autres départements. Cela a pu se produire, y compris sur un dossier transpolitique intéressant l’ensemble de la région ; ce n’est pas mon collègue Fauconnier qui me démentira.
Voilà ce que je voulais dire, tout en considérant que le Sénat a aujourd'hui fait œuvre utile, me semble-t-il. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – M. Alain Fauconnier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Je le répète, je pense que le mode de scrutin actuel pour les régionales n’est pas aussi merveilleux qu’on le dit. Il faudrait rendre la région sensible à nos concitoyens, ce qui est loin d’être le cas. Nous pouvons certes ignorer le problème en nous retranchant derrière les résultats électoraux, mais celui-ci demeure.
Cela dit, la proposition de loi présentée par Alain Richard est la seule possible, à l’instant t, pour améliorer le dispositif. Elle respecte la logique du système, avec laquelle je ne suis pas complètement d’accord, mais nous ne saurions en changer à un peu plus d’un an des élections.
La solution qui a été retenue est donc la meilleure possible, et nous avons fait œuvre utile en nous y ralliant.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi. Au-delà des membres de mon groupe et de M. le ministre, je remercie l’ensemble de mes collègues, qui ont réagi avec bon sens. Il s’agissait de réparer une injustice, une iniquité, qui ne concernait pas uniquement la Lozère ; si tel avait été le cas, d'ailleurs, je n’aurais pas présenté ce texte. Je remercie chacun de l’excellent travail qui a été réalisé.
Je suis par ailleurs stupéfait d’entendre mon collègue Alain Anziani affirmer que nous souhaitons une redépartementalisation du scrutin. J’ai moi-même vécu une alliance que je ne citerai pas, en 1998, au sein de la région Languedoc-Roussillon, et je ne suis pas fou au point de vouloir une redépartementalisation.
Je pense donc que nous faisons œuvre utile, au bénéfice de nombreux départements ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
8
Indemnité des parlementaires
Discussion d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du RDSE, de la proposition de loi organique, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues, tendant à prohiber le cumul, par les parlementaires, de leurs indemnités de fonction avec toute autre indemnité liée à un mandat (proposition n° 381, texte de la commission n° 543, rapport n° 542).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi organique.
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi organique. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre République est fondée sur le principe de la souveraineté nationale, qu’incarnent concomitamment le peuple et les élus chargés par ce dernier de le représenter au Parlement.
La démocratie représentative est ainsi indissociable de notre République, malgré les turpitudes de l’histoire et les différentes formes dans lesquelles elle s’est incarnée. La souveraineté du Parlement nous confère, en tant que représentation nationale, la tâche difficile de définir et de créer le droit, et de relayer, sans mandat impératif, les attentes de nos concitoyens, pour définir l’intérêt général.
En contrepartie de ces responsabilités éminentes, nos concitoyens exigent de leurs représentants, à juste titre, exemplarité et probité, c’est-à-dire l’exercice d’un mandat tourné vers la réalisation du bien commun, et non vers la satisfaction d’intérêts personnels ou partisans qui ruineraient le pacte républicain. Ce précepte s’applique d’ailleurs aux parlementaires comme aux élus locaux, car servir les électeurs est d’abord un honneur.
Certes, l’histoire de notre République, comme celle de tous les régimes, fourmille d’exemples de scandales qui ont surtout alimenté l’antiparlementarisme des extrêmes, de ceux qui n’ont jamais accepté la République.
Malheureusement, le cycle des crises économiques et sociales dans lequel nous vivons toujours a également eu pour corollaire la défiance à l’égard de tout ce qui incarne l’autorité et les institutions s’y rattachant. Cette défiance à l’encontre de la démocratie parlementaire, soupçonnée de reposer sur la connivence et l’intérêt personnel, se manifeste, hélas, par la recrudescence de discours démagogiques qui créent une présomption de suspicion sur la représentation nationale et sur l’ensemble des élus.
Or, jusqu’à preuve du contraire, chaque parlementaire est responsable de ses actes en tant que personne, et non collectivement. Tout comportement individuel contraire au droit et à l’éthique d’un élu de la République appelle naturellement les sanctions prévues par le droit, comme en serait justiciable n’importe quel citoyen qui tirerait avantage de ses fonctions. Cependant, mes chers collègues, les manquements personnels ne sauraient, dans le même temps, aboutir à jeter l’opprobre et le soupçon sur l’ensemble des élus…
M. François Rebsamen. Très bien !
M. Jacques Mézard. … qui accomplissent avec dévouement et probité leur tâche, au nom de l’intérêt général. Toute autre approche constitue un amalgame que nous réprouvons totalement.
Or ces amalgames douteux conduisent in fine à affaiblir l’action publique. À partir du moment où la légitimité des élus est constamment remise en cause, leurs décisions ne sont plus acceptées, ou le sont mal. La crise économique et sociale qui frappe notre pays appelle pourtant de la part des pouvoirs publics des réponses fortes, comprises et acceptées de nos concitoyens.
Face à ce constat partagé par l’immense majorité d’entre nous, la modernisation des institutions est bien sûr une nécessité. Certains dysfonctionnements de nos institutions appellent à l’évidence des évolutions répondant aux aspirations d’une démocratie moderne, que nous appelons de nos vœux.
Ce renouveau démocratique semble cependant emprunter aujourd’hui des chemins détournés, qui ne traitent pas le cœur du problème. Pour le dire clairement, monsieur le ministre, l’air du temps voudrait amalgamer deux débats qui ne sauraient se confondre : celui sur la légitimité du cumul d’une fonction parlementaire avec une fonction locale, et celui sur la légitimité du cumul des indemnités liées aux mandats…
M. François Rebsamen. Très bien !
M. Jacques Mézard. … que nous avons souhaité ouvrir en déposant cette proposition de loi en février dernier, avant l’ouverture de la nouvelle saison de la chasse médiatique aux élus. (Sourires.)
Mme Françoise Laborde. Jolie formule !
M. Jacques Mézard. Je vous le dis tout net, monsieur le ministre, les titres de journaux tels que « les cumulards font de la résistance », parmi tous ceux que nous avons subis depuis plusieurs mois, tout de même entraînés par ceux qui sont à l’origine de cette malheureuse initiative, ne sont bons ni pour la démocratie ni pour l’image de la République.
Le rapport Jospin, répondant à une commande préparée dans le détail et ficelé avant même d’être remis publiquement, sans consultation des partis politiques ou des groupes parlementaires…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas respectueux pour Lionel Jospin, qui a une grande indépendance d’esprit !
M. Jacques Mézard. Monsieur le président de la commission des lois, je m’exprime à la fois en mon nom personnel, comme sénateur, et en tant que président d’un groupe parlementaire, et j’ai l’habitude de dire ce que je pense…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Moi aussi !
M. Jacques Mézard. Je n’ai pas l’habitude de vous interrompre, monsieur le président de la commission, et je souhaiterais que ce soit réciproque, même si mes propos ne vous plaisent pas.
Le rapport Jospin, disais-je, réalisé sans consultation des partis politiques,…
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jacques Mézard. … ni d’aucun groupe parlementaire, avait très largement tracé la voie à cette confusion des genres, en posant doctement qu’il suffirait de prohiber le cumul d’un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale pour que notre démocratie soit instantanément renouvelée, rajeunie et pour ainsi dire régénérée.
Cette motivation incantatoire, nous en connaissons l’origine : les appétits d’appareils partisans, professionnels de la politique, zélateurs de la représentation proportionnelle, impatients d’éliminer le lien direct entre les électeurs des territoires et l’élu.
M. Philippe Bas. Très bien !
M. Jacques Mézard. Nous en connaissons le vecteur, assimilant dans l’opinion le cumul des mandats et le cumul des indemnités.
Le risque est ainsi de renforcer la professionnalisation de la politique et de réserver les mandats nationaux en priorité aux membres des appareils des partis dominants.
M. Philippe Bas. C’est le but !
M. Jacques Mézard. En d’autres termes, la désignation des élus reviendrait en réalité non pas au peuple, qui le tient pourtant de l’article III de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais des partis politiques. L’article 4 de la Constitution ne fait pourtant qu’énoncer que « les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage » ; ils ne le remplacent pas, et j’espère de tout cœur qu’ils ne le remplaceront jamais.
De la même façon qu’il n’est pas sain pour notre démocratie que la « consanguinité sociale », démontrée par de nombreuses études sociologiques, détermine encore trop largement la désignation des représentants de la Nation, il serait dangereux que ceux-ci partagent en plus les mêmes trajectoires militantes et professionnelles.
Ce qu’ont toujours souhaité nos concitoyens, aujourd’hui comme hier, c’est que nul ne puisse s’enrichir en faisant de la politique.
M. Bruno Sido et Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas le cas !
M. Jacques Mézard. Je vous écoute et je vous approuve, pour l’essentiel, chers collègues. Il peut y avoir des errements individuels…
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jacques Mézard. En d’autres termes, agir pour la défense de l’intérêt général ne doit pas permettre une accumulation de richesses personnelles déconnectée de la réalité. Nous souscrivons naturellement à ce point de vue, car là est le cœur du débat sur la moralisation de la vie publique.
Or, qu’entendons-nous lorsque nous allons au contact de nos administrés – ce que nous faisons tous, parce que nous avons la chance, pour la plupart d’entre nous, d’être à la fois des élus locaux issus du terrain et des parlementaires ? Que, sur la base de rares mauvais exemples, nombre de nos concitoyens considèrent que l’intérêt financier est le vecteur de l’engagement public, alors que la majorité des Français travaillent dur pour vivre.
Au-delà de la caricature parfois simpliste, il nous faut rappeler que ce sont les questions d’argent qui déterminent très souvent l’image du politique dans l’imaginaire collectif.
Ce bruit de fond de la société n’est pas sans rappeler certaines époques troublées, et c’est bien pourquoi il faut aujourd’hui déminer cette critique en agissant et en expliquant fortement, publiquement, qu’il ne faut pas confondre cumul des mandats et cumul des indemnités.
Le plus souvent, nos concitoyens se disent opposés au premier en pensant en réalité au second. Un cumul des mandats sans cumul des indemnités ne leur poserait, en définitive, aucun problème, car il autoriserait à la fois la proximité avec les élus et l’assurance de faire entendre la voix de leur territoire par les pouvoirs publics.
Dans son excellent rapport, notre collègue Pierre-Yves Collombat nous rappelle comment est née historiquement la rétribution des élus de la Nation. On peut également se remémorer que, déjà à Athènes, le misthos institué par Périclès permettait de rétribuer ceux qui occupaient une fonction publique.
De fait, les conditions matérielles d’exercice d’un mandat parlementaire doivent répondre à un double objectif : d’une part, permettre la représentation de la diversité sociale et, d’autre part, mettre les parlementaires à l’abri des pressions extérieures, afin qu’ils puissent exercer leur mandat en toute indépendance, aussi bien intellectuelle que morale.
Au regard de ces principes essentiels, les indemnités dont bénéficient aujourd’hui députés et sénateurs doivent remplir ce double objectif. Le rapport de la commission détaille précisément l’ensemble des éléments d’indemnisation dont bénéficient les parlementaires et éclairera, à n’en point douter, nos concitoyens.
Il ne faut pas craindre d’affirmer, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, dans une démocratie, les élus doivent avoir les moyens matériels d’assurer leurs fonctions et leur indépendance.
La peur viscérale de tous les gouvernements successifs, toutes étiquettes confondues, dès qu’il est simplement question de procéder à l’indexation du montant de l’indemnité parlementaire est révélatrice du malaise qui entoure ce problème dans notre République. Et quand on veut aller vers la moralisation, vers la transparence, parfois à l’excès, parfois à l’extrême, on se retrouve souvent aller à l’encontre de l’idée même que l’on souhaitait développer.
Il faut dire les choses, il faut dire que les parlementaires doivent être indemnisés de telle manière qu’ils puissent faire correctement leur travail. Cela n’a rien à voir avec le cumul des indemnités ! Il faut que l’indemnité parlementaire soit à la hauteur de la charge et de la nécessité d’indépendance que justifient ces fonctions honorables.
Les parlementaires titulaires d’un mandat local ou d’une fonction exécutive non élective peuvent aussi bénéficier, à ce titre, d’une indemnité aujourd’hui plafonnée à une fois et demie le montant de l’indemnité parlementaire de base, comme le prévoit l’article 4 de l’ordonnance du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l’indemnité des membres du Parlement.
Ce cumul des indemnités n’a pas de justification, dès lors que la seule indemnité parlementaire suffit à assurer un revenu suffisant et doit permettre aux parlementaires d’assurer leur indépendance de décision, en rendant impossible tout mandat impératif.
La gratuité des fonctions électives locales pour les parlementaires permet de couper court à toute suspicion d’enrichissement personnel,…
M. François Rebsamen. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. … qui résulterait d’une course effrénée aux mandats.
M. François Rebsamen. Bien sûr ! C’est là qu’est le problème !
M. Jacques Mézard. En effet, c’est cela que l’opinion reproche aujourd’hui aux élus : il s’agit non pas du cumul des mandats, mais de celui des indemnités ! Il est grave, voire déplorable, d’utiliser cet amalgame et cette confusion pour justifier un mauvais objectif dans des conditions parfaitement regrettables.
En outre, le Gouvernement semble avoir déjà franchi un pas en ce sens, puisque la loi relative à l’élection des conseillers départementaux, municipaux et intercommunaux récemment adoptée a d’ores et déjà supprimé le système de reversement nominatif de la part des indemnités soumises à écrêtement.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Grâce au Sénat !
M. Jacques Mézard. Grâce au Sénat et, en particulier, à l’action de son excellent président de la commission des lois. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Merci !
M. Jacques Mézard. La dénonciation obsessionnelle du cumul vertical a cependant passé sous silence, de façon surprenante – mais nous en connaissons bien les raisons –, la question du cumul horizontal des mandats et des avantages matériels de toutes sortes qui peuvent en être tirés par les élus.
Pourquoi faudrait-il qu’il y ait deux poids deux mesures, que l’on accepte pour les uns ce qui est présenté comme inacceptable pour les autres ? L’exemple du cumul des fonctions de maire d’une grande métropole, par exemple dans le Nord, avec la présidence d’une communauté urbaine et ses multiples sociétés d’économie mixte, ou SEM, est révélateur.
M. Jean-Claude Requier. Des noms ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Les mêmes causes produisent pourtant les mêmes effets et il n’est guère surprenant de retrouver déjà, au niveau local, les mêmes arrangements de parti qui, dans certains cas, sclérosent la vie parlementaire.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, notre proposition de loi n’est ni une réaction à chaud face à un fait divers ni la course en avant moralisatrice de convertis de la dernière heure. Elle s’inscrit simplement dans la volonté de raffermir notre démocratie représentative en répondant aux critiques populistes dont on connaît les dérives, les dangers et les objectifs.
Nous savons que le projet de loi sur le non-cumul des mandats sera prochainement soumis au Parlement, mais notre texte pose, pour l’heure, une question très simple : le Parlement a-t-il vocation à ne regrouper que des élus hors-sol ou peut-on organiser les conditions permettant à des élus, au fait des réalités, d’exercer leur mandat sans suspicion ?
À cette question, nous répondons qu’il est tout à fait possible de clarifier ce qui existe en mettant fin au cumul des indemnités.
D’autres pistes sont également envisageables : mieux réglementer les incompatibilités professionnelles des parlementaires, interdire les rémunérations tirées des activités exercées dans des organismes extra-parlementaires mais aussi, au niveau local, limiter le cumul des fonctions exécutives non électives.
Je vous renvoie d’ailleurs, monsieur le ministre, aux nombreuses propositions de loi que les membres de mon groupe et moi-même avons déjà déposées depuis plusieurs mois sur ces sujets, anticipant largement ce qui, hélas, est arrivé à la suite des errements que nous connaissons tous.
Notre groupe a considéré qu’il était nécessaire et urgent de réfléchir à ces questions et de formuler un certain nombre de propositions afin d’améliorer le fonctionnement démocratique.
L’une de ces propositions vise, vous ne l’ignorez sans doute pas, à éviter que le professionnalisme ne se développe trop en politique. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons, en particulier, que les collaborateurs de cabinet soient soumis à un délai de carence, similaire à celui qui est imposé aux préfets ou aux personnels administratifs de nos collectivités territoriales, avant de pouvoir se présenter aux élections se tenant dans les départements, les communes ou les régions dans lesquels ils sont en fonction.
Pour l’heure, nous considérons que l’adoption de ce texte, utilement complété par notre rapporteur, va dans le sens d’une démocratie apaisée. Très clairement, et sagement, il est temps – c’est aussi le sens de cette proposition de loi inscrite dans notre ordre du jour réservé –, d’arrêter le déferlement qui s’abat sur le fonctionnement de notre système parlementaire.