M. Alain Bertrand. C’est pratique !
Mme Hélène Lipietz. Je sais que j’étais la seule à le faire, mais il me paraissait important de réaffirmer le fait régional au travers de cette migration d’un département à l’autre.
Cependant, la complexité du scrutin régional, par l’utilisation des sections départementales, et son imprévisibilité en termes de nombre d’élus dans chaque département en font un scrutin difficile à saisir dans le détail par nos concitoyens.
On peut se demander si prévoir qui sera élu dans chaque département pour aller siéger à la région n’intéresse pas plus les candidats eux-mêmes de chacune des listes que les citoyens. En effet, pour ces derniers, la région n’est peut-être pas le lieu de défense de certains types de territoires comme les départements, mais plutôt une assemblée délibérante, porteuse d’un projet à l’échelon régional, comme l’organisation des transports, qui ne s’arrête pas aux limites des départements.
Je ferai remarquer que les électeurs des départements qui seraient moins ou peu représentés au sein de l’assemblée régionale sont pourtant bien représentés par les élus des opinions pour lesquelles ils ont voté. Lorsqu’ils ont voté pour tel ou tel groupe politique, c’est bien celui-ci qui va se retrouver représenté à la région.
M. Alain Richard, rapporteur. C’est plaider pour l’élu hors-sol !
Mme Hélène Lipietz. Aujourd’hui, au travers de ce texte, il nous est proposé de renforcer la représentation de certains départements. Je le répète, les élus représentent non pas des territoires mais des citoyens. Ce ne sont pas les départements qui élisent, mais les électeurs. De même, dans certaines villes, des quartiers ne sont pas représentés au sein du conseil municipal, ce qui pose un problème pour les élections municipales. Pourtant, les conseillers municipaux du centre-ville se rendent dans les quartiers périphériques, et inversement.
M. Alain Bertrand. Les situations sont différentes : les départements sont parfois à deux heures trente de distance en voiture, à quatre heures et demie par le train !
Mme Hélène Lipietz. Certes, mais dans les villes les différents quartiers et leurs électeurs ne sont toujours pas représentés.
De plus, l’impact de cette proposition de loi est extrêmement faible. On estime que seulement deux sièges de conseillers régionaux seraient créés pour l’ensemble de la France. On peut donc s’interroger sur l’opportunité de faire des lois pour élire deux conseillers régionaux de plus.
M. Alain Bertrand. Cela s’appelle la solidarité !
Mme Hélène Lipietz. Pour ces raisons, les écologistes ne voteront pas ce texte.
Mme Jacqueline Gourault. Tant mieux !
Mme Françoise Laborde. On le fera savoir !
Mme Hélène Lipietz. Vous le ferez savoir, ma chère collègue, mais la solidarité peut s’exprimer d’une autre façon !
M. François Fortassin. On le voit tous les jours ! (Sourires sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Lipietz. Nous nous inscrivons également contre le principe, de plus en plus souvent évoqué, de représentation des territoires, auquel nous préférons celui de représentation des citoyens.
Mes chers collègues, certains d’entre vous ont reproché aux écologistes de ne pas proposer de solutions de substitution. Je vous promets donc que nous déposerons une proposition de loi ambitieuse pour une réforme de notre organisation territoriale, dans le sens de plus de démocratie, de justice et d’écologie.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir. (MM. Philippe Bas et Rémy Pointereau applaudissent.)
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je porte ici la voix du groupe UMP, qui va adopter le texte de la commission des lois, mais qui m’a demandé de formuler un certain nombre d’observations, auxquelles je souscris d’autant plus que je les ai, pour l’essentiel, inspirées. (Sourires.)
Mme Jacqueline Gourault. On n’est jamais si bien servi que par soi-même !
M. François Fortassin. Quelle modestie !
M. Jean-Claude Lenoir. En ce qui concerne les élections régionales, il faut observer que, depuis moins de trente ans, le système de désignation des représentants au conseil régional a connu de véritables hoquets.
La loi de 1985, qui s’est appliquée en 1986, a produit des effets attendus : ceux qui espéraient gagner dans une région donnée ont gagné ; ceux qui pensaient perdre ont perdu. Le résultat n’a donc finalement surpris personne.
Les choses se sont quelque peu compliquées en 1992 et aggravées en 1998, non pas à cause du système électoral, mais en raison de l’évolution des forces politiques dans notre pays, qui a eu pour conséquence de réduire les majorités, quel qu’ait été le camp du vainqueur.
Un certain nombre de lois ont été adoptées – nous en sommes à la cinquième – et deux d’entre elles n’ont pas été appliquées. C’est le cas de celle de 1999. Quant à l’autre, monsieur le ministre, vous en avez parlé, elle a été adoptée par l’Assemblée nationale en dernière lecture le mois dernier, mais elle n’est pas encore parue au Journal officiel, puisque, à ma connaissance, le Conseil constitutionnel n’a toujours pas rendu sa décision.
Demain ou après-demain, si le présent texte est adopté, on comptabilisera donc cinq lois relatives à la désignation des conseillers régionaux.
Ce n’est pas tout à fait surprenant, dans la mesure où la région est une nouvelle collectivité ; c’est la plus jeune. Elle a pu s’affirmer avec des majorités cohérentes, avec des exécutifs qui ont donné la pleine mesure de leur talent, je le dis devant René Garrec qui a présidé le conseil régional de Basse-Normandie pendant dix-huit ans.
Aujourd'hui, on est amené à dresser un constat mitigé, qui se retrouve spontanément sous la plume de notre collègue Alain Bertrand.
Il est clair, ainsi que le ministre l’a relevé, que sa proposition de loi est un plaidoyer pro domo. J’ai beau chercher, il m’apparaît que seule la Lozère est actuellement concernée par le problème qui a été posé… Toutefois, comme nous avons tous beaucoup de sympathie pour ce département et pour ses représentants, nous regardons avec une grande attention les propositions qui sont faites et nous écoutons les arguments qui sont défendus par le représentant de la Lozère à la Haute Assemblée.
Monsieur Bertrand, vous déplorez qu’il n’y ait qu’un conseiller régional pour représenter la Lozère. Je vous ferai très malicieusement remarquer que, en laissant la loi instaurant le conseiller territorial s’appliquer, vous auriez eu non pas un, mais quinze conseillers régionaux pour défendre les intérêts du département de la Lozère au siège de la région.
M. Philippe Bas. Exactement !
M. Jean-Claude Lenoir. Cela étant, vous avez posé un problème auquel nous devons être d’autant plus attentifs que, comme le ministre et le rapporteur l’ont relevé, nous risquons de voir des départements moins bien représentés. Il faut donc éviter d’avoir à revenir trop souvent sur les textes qui concernent la région. Il vaut mieux parer à toute éventualité et, à cet égard, l’inspiration de ce texte, je le dis comme je le pense, était excellente ! J’en viens aux modalités de sa mise en œuvre.
Il ne faut pas s’en tenir au seul département de la Lozère, et éventuellement au Cantal ou aux Alpes-de-Haute-Provence. Mon propre département, l’Orne, a découvert, à l’issue des élections de 2004, qu’il perdait un représentant à la région, puisque la répartition se faisait ainsi.
Mme Cécile Cukierman. C’est pareil dans la Loire !
M. Jean-Claude Lenoir. J’ajoute que, malgré tout, mon département était celui qui avait, proportionnellement, apporté le plus de voix à la liste que conduisait M. Garrec – je parle sous le contrôle de ce dernier. Le département de l’Orne s’est malheureusement retrouvé privé d’un mandat, ce qui n’a pas été bien compris, sinon par la population, qui ne s’en est pas émue outre mesure, du moins, en tout cas, par le corps des élus intéressés par la conduite des affaires.
Aussi, M. le rapporteur, une fois de plus, a pris sa plume pour rédiger un autre texte. À regarder le tableau comparatif contenu dans le rapport, on constate que le texte que vous nous aviez proposé, monsieur Bertrand, a été biffé et remplacé, dans la colonne d’à côté, par un nouveau texte. Néanmoins, le consensus semble s’établir, l’inspiration est largement partagée et un objectif commun nous réunit sans doute.
Monsieur le rapporteur, un problème subsiste, qui a été relevé par le ministre. J’adhère complètement au propos de ce dernier : nous continuons d’avoir un nombre flottant d’élus dans une région, ce qui, franchement, n’est pas souhaitable. Il faudrait, une fois pour toutes, en vertu d’un mécanisme qui, d'ailleurs, ne doit pas être difficile à imaginer – certes, vous pouvez toujours me reprocher de ne pas l’avoir fait ! –, veiller à ce que chaque département soit représenté d’une façon équitable.
Malgré tout, une incertitude affecte l’identité au sein de la région d’un certain nombre d’élus de départements que nous aimons bien, et nous devons les en sortir. Aussi, nous soutiendrons ce texte de nos collègues Alain Bertrand et, surtout, Alain Richard, afin qu’il puisse être appliqué aux prochaines élections. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de faire entendre une voix dissidente, ou plutôt, devrais-je dire, un point de vue différent. Je le ferai presque avec regret après avoir entendu notre collègue Alain Bertrand évoquer avec beaucoup de sincérité et de conviction la situation de la Lozère, à laquelle je suis très sensible, comme, plus globalement, à celle de l'ensemble des territoires défavorisés.
Avant de vous faire entendre mon point de vue, je souhaite préciser, en toute honnêteté, que ma position est personnelle et n'engage pas mon groupe, qui a décidé, bien au contraire, de soutenir cette proposition de loi.
Nous sommes sans doute nombreux ici à avoir vécu, dans l’exercice de nos responsabilités régionales, comme c'est le cas d'Alain Bertrand, la situation de régions ingouvernables, à avoir passé des nuits entières à chercher un accord minimal de gouvernance. Pour ma part, j'en ai gardé des souvenirs qui ne figurent pas parmi les meilleurs que je puisse avoir en politique.
Vingt ans et trois réformes plus tard, nous avons un mode de scrutin efficace, qui a certainement permis d’avoir aujourd'hui, comme cela a été souligné, des régions dotées de majorités stables.
Ce qui caractérise ce mode de scrutin constitue peut-être aussi le nœud du problème : c'est sa dimension régionale. Les propos des uns et des autres reposent tous sur le fait que la région soit la représentation des territoires départementaux. Or je ne suis pas du tout d'accord avec cela.
M. Alain Richard, rapporteur. C’est pourtant la loi !
M. Alain Anziani. Non, monsieur le rapporteur ! La région représente les sections départementales. Dans votre rapport, vous ne cessez d’ailleurs, page après page, de souligner à quel point il faut préserver l'identité régionale et combien les sections départementales accueillent non pas les conseillers régionaux, mais bien les candidats à l'élection régionale. Vous pourrez relire votre rapport, vous verrez que c'est exactement ce qui y est écrit !
Or la réforme régionale est, quant à elle, justement caractérisée par la dissociation entre la circonscription régionale et les circonscriptions départementales. Je le répète, la région n'est pas l'expression des territoires départementaux.
Personne ne conteste que le système actuel marche bien ; l’auteur de la proposition de loi le reconnaît d’ailleurs lui-même dans l’exposé des motifs du texte.
Dans ces conditions, permettez-moi, mes chers collègues, de poser une question simple, qui n'est pas complètement incongrue : pourquoi modifier un système qui fonctionne bien ? La réponse figure dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, que j’ai lu avec attention : la modification d’un mode de scrutin qui donne satisfaction à presque tout le monde doit servir à « rétablir la départementalisation du scrutin ». Vaste ambition, dont les effets pervers seront sans doute importants ! Et pourquoi rétablir la départementalisation ? Afin de permettre aux départements de défendre leurs intérêts.
Pour y parvenir, le minimum de représentants des départements dans les régions a été fixé à trois. C'est ce qui figure dans le texte de la proposition de loi, qui a été ensuite fortement modifié par notre rapporteur, dont je tiens, même si je ne suis pas complètement d’accord avec lui, à saluer le travail.
Ne soyons pas hypocrites ! Examinons la situation et déterminons qui est concerné par la réforme. La proposition de loi doit permettre, à en croire son magnifique titre, d’« assurer une représentation juste et équilibrée des territoires au sein des conseils régionaux ». Toutefois, elle ne concerne en réalité que la Lozère.
M. Bruno Sido. Et les Hautes-Alpes !
M. François Rebsamen. Demain !
M. Alain Anziani. Aujourd'hui, la Lozère est le seul département n’ayant qu’un seul conseiller régional ; tous les autres en ont plus que trois. La fixation à trois du nombre minimal de conseillers régionaux dans les départements ne vise donc que la Lozère. À l’avenir, les évolutions démocratiques pourraient conduire – j’utilise le conditionnel, car tout cela est très hypothétique – à ce que deux, trois ou quatre départements soient concernés. Cette réforme a donc été faite uniquement pour un très petit nombre de départements, même s’ils méritent certainement le respect.
M. Alain Bertrand. L’équité, pas le respect !
M. Alain Anziani. Pour ma part, ce n’est pas l’orientation que j’aurais choisie pour le cadre régional.
La proposition de loi cite cinq départements qui pourraient être concernés par cette réforme. Je crois vous avoir montré, mes chers collègues, que, en réalité, seule la Lozère verrait le nombre de ses conseillers régionaux passer d’un à trois.
M. Alain Richard, rapporteur. C’est exact.
M. Alain Anziani. Pour l'instant, aucun autre département n’est concerné.
Je le reconnais volontiers, la Lozère, ne serait-ce que parce qu’elle est le plus petit département de France et qu’elle fait partie des départements défavorisés, mérite tout à fait notre attention.
Toutefois, mes chers collègues, changer la loi uniquement pour tripler la représentation de la Lozère au sein du conseil régional du Languedoc-Roussillon relève-t-il vraiment de notre travail de législateur ? Je laisse la question ouverte.
Permettez-moi simplement de faire remarquer que si nous votons aujourd'hui ce texte, nous accepterons à l’avenir d'autres dérogations de la même nature. Si nous rédigeons une loi pour la Lozère, je suis certain qu’il y aura demain une loi pour un autre département ou pour une autre région. À chaque fois, des circonstances locales parfaitement justifiées nous conduiront à faire de la loi l'expression d'intérêts particuliers. Pour ma part, je préfère qu’elle soit l'expression de la volonté générale, comme le proclame d’ailleurs la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
On peut certes m’objecter que ma remarque vaut pour le texte de la proposition de loi, mais pas pour celui qui est issu des travaux de la commission. Je l’ai dit, notre rapporteur a fait un travail remarquable pour essayer de sauver les meubles.
M. Bruno Sido. Oui !
M. Alain Anziani. Il a tenté de rendre le texte initial, qui dénotait clairement une volonté de départementalisation du scrutin régional, plus conforme à l'esprit de la loi régionale.
Toutefois, il reste, selon moi, trois obstacles.
Le premier est d’ordre institutionnel. Je l’ai déjà énoncé, mais j’aimerais le reformuler autrement. Au moment où nous voulons tous – personne ne dira le contraire, et la proposition de loi le souligne également – affirmer le fait régional, et où des textes allant d'ailleurs en ce sens nous seront bientôt soumis, il est paradoxal de voter une proposition qui contribue à affirmer la départementalisation du mode de scrutin.
M. Alain Bertrand. Pas du tout !
M. Alain Anziani. Si, mon cher collègue, ne faisons pas preuve d’hypocrisie ! Le texte va bien dans le sens d’une départementalisation du scrutin, puisqu’il tend, pour l’essentiel, à assurer aux départements un minimum de trois sièges au conseil régional.
M. Bruno Sido. C'est plutôt un sectionnement !
M. Alain Anziani. J’ajouterai, et je reprends là d'ailleurs une idée exprimée dans le rapport, que la région n'est pas au département ce que l'intercommunalité est aux communes.
M. Alain Richard, rapporteur. Absolument !
M. Alain Anziani. Nous devons donc maintenir une distinction nette entre les deux et préserver l’identité régionale.
Le second obstacle est d'ordre politique, et je ne m’y attarderai pas. Pour parvenir à ce résultat, notre rapporteur a dû faire du nombre de conseillers régionaux une variable d'ajustement. C’est vrai à la marge et, pour parvenir à ce nouvel équilibre, il a fallu augmenter le nombre de conseillers régionaux. À mes yeux, ce n’est pas la bonne approche. Je serais plutôt partisan de diminuer leur nombre ; or, là, nous prenons le chemin exactement opposé.
Le troisième obstacle, que j'ai déjà signalé, est d'ordre constitutionnel. Nous allons passer d'un département sous-représenté à un département surreprésenté. Je reprendrai les chiffres cités par M. le ministre, que j'ai écouté avec beaucoup d'attention. La Lozère disposera d'un conseiller régional avec 25 694 habitants, alors qu'il faudra en moyenne 38 208 habitants en Languedoc-Roussillon pour élire un élu régional, soit une différence de 33 %. (M. Alain Bertrand s’exclame.)
Cela fait des semaines, voire des mois, que l’on estime que la différence acceptable entre départements est de plus ou moins 20 %, mais je veux bien admettre que ce n’est pas le bon taux.
Le Conseil constitutionnel a statué sur la question lors de l’examen de la loi sur le conseiller territorial, mais il existe une différence importante : le conseiller territorial représente à la fois le département et la région. Je ne suis donc pas certain que cette jurisprudence du Conseil constitutionnel s'applique à notre cas, qui est purement départemental.
Mes chers collègues, de toute manière, pour moi, l'essentiel est ailleurs : si l’on accepte une loi de la Lozère pour la Lozère, demain je présenterai une loi de la Gironde pour la Gironde,…
M. Jean-Claude Lenoir. Vive les Girondins ! (Sourires.)
M. Alain Anziani. … et chacun d'entre vous pourra faire de même pour son département. Pour moi, ce n’est pas cela le travail du législateur. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. René Garrec applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Richard, rapporteur. Je ne veux pas prolonger notre discussion, mais puisque la discussion des articles s’annonce concise, je souhaite reprendre certaines des questions évoquées par mes collègues de tous bords politiques, avec une élévation d'esprit qui mérite d'ailleurs le respect.
Je veux tout d’abord évoquer la remontrance faite avec une grande éloquence par mon collègue et ami Alain Anziani, selon lequel cette proposition de loi ne serait qu’une disposition de circonstance. Si nous sommes les uns et les autres aujourd'hui convaincus de la valeur, de l'équilibre et de l'équité de ce texte électoral, c'est parce qu'il a posé les termes d'un compromis. Je le dis d'autant plus qu’il découle de choix faits en 2003 par une majorité dont je ne suis pas solidaire.
Il a été jugé logique de procéder au choix des gouvernants de la région en fonction d'un système électoral qui prenait comme seul cadre la région. Toutefois, à la différence de ce qui se passe pour les élections municipales, il n’était pas question d’accorder aux listes une liberté absolue de choix de leurs candidats.
La loi oblige chaque liste – cela a été mûrement réfléchi – à être composée de sections départementales. Cela n'empêche certes pas des manipulations, sous le contrôle des électeurs. Si les formations politiques veulent déplacer un candidat originaire d'un département vers un autre, la loi ne leur interdit pas de le faire. Les électeurs ont le droit de s'en apercevoir, tout comme les concurrents d'ailleurs, et de le critiquer. En tout cas, la loi prévoit qu'un conseiller régional, majoritaire ou minoritaire, ne peut être élu qu’au titre d'une section départementale.
Ce point n’est plus remis en question, sauf par nos collègues écologistes, qui n’en ont pas encore tiré toutes les conséquences. (Mme Hélène Lipietz proteste.)
Je reconnais d'ailleurs la validité de l’objection de Mme Lipietz, qui observe que l’on ne procède pas de la même façon pour les villes. Néanmoins, c’est tout simplement parce que l’enjeu de proximité n’y est pas du tout le même.
Si l’on fait de cette objection honorable un cas à part, je crois qu’il se dessine un consensus sur les bancs des deux assemblées pour conserver le scrutin régional, mais avec des sections départementales. Ces sections ont effectivement pour objet de forcer les listes à respecter un équilibre territorial. Toutefois, lorsque, en raison des écarts démographiques, elles ne suffisent pas à préserver un minimum d’équilibre, il revient au législateur d’intervenir de façon générale et impersonnelle.
S’il s’était agi de proposer un dispositif ne bénéficiant – même pour de bonnes raisons – qu’à un seul département, j’aurais suggéré que l’on choisît un autre rapporteur. Je crois donc que nous légiférons sur la base de principes.
Le second point sur lequel je veux revenir est l’interrogation quelque peu insistante du ministre sur le risque constitutionnel.
D’après le considérant décisif de la décision n° 2010-618 du Conseil constitutionnel, le législateur a estimé que le nombre minimal de conseillers par département « constituait un minimum pour assurer le fonctionnement normal d'une assemblée délibérante » et que « l’objectif ainsi poursuivi tend à assurer la mise en œuvre du principe constitutionnel du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution », selon lequel les collectivités s’administrent par des conseils élus.
Ce raisonnement, qui a été le support nécessaire de la décision du Conseil constitutionnel, est-il transposable à notre affaire ? Cette question est également posée par Alain Anziani. J’y réponds par l’affirmative, sur la base des arguments de fait donnés par Alain Bertrand. Compte tenu de la charge de délibération et de représentation du conseiller régional, il est matériellement difficile, sinon impossible à ce dernier d’assumer ses fonctions quand il se trouve seul représentant d’un département. Et si l’on ne légiférait pas, le problème du « zéro conseiller régional » dans un département finirait même par apparaître.
Selon moi, les motifs pour lesquels le Conseil constitutionnel a accepté un écart par rapport au principe d’une représentation démographique – je réponds ici à Jean-Claude Lenoir – sont directement transposables. La preuve en est que, au considérant suivant de la décision que j’ai citée, le Conseil constitutionnel a censuré les écarts de représentation départementale au sein des régions, le motif du fonctionnement normal ne s’appliquant pas.
Il existe donc bien un impératif d’intérêt général consistant à faciliter – ou à rendre seulement possible – le fonctionnement d’une assemblée délibérante. Cette idée permet, dans les cas extrêmes comme le nôtre, de faire obstacle à une représentation établie sur une base démographique, ou de l’infléchir.
J’entrevois une solution simple : si nos amis du groupe RDSE, qui ont d’honorables correspondants à l’Assemblée nationale, peuvent faire prospérer ce texte grâce à la solidarité majoritaire – dont nous attendons le retour ! – (Mme Cécile Cukierman s’esclaffe.), il serait tout à fait envisageable que le Premier ministre, de sa propre initiative, le soumette en temps utile au Conseil constitutionnel, afin que l’on sache à quoi s’en tenir avant les élections régionales.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er A (nouveau)
L’article L. 337 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En application des dispositions de l’article L. 338-2, l’effectif des conseils régionaux fixés conformément au tableau n° 7 annexé au présent code peut être modifié à l’issue de chaque renouvellement afin d’assurer la représentation minimale de chaque section départementale prévue au dernier alinéa de l’article L. 338. »
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Mon intervention dans la discussion générale m’a déjà permis de défendre cet amendement de suppression, ainsi que les suivants d'ailleurs.
Les écologistes considèrent que la présente modification de la loi électorale revient à changer profondément la notion même de fait régional. C'est pourquoi nous y sommes opposés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Richard, rapporteur. Tout notre débat l’a montré, me semble-t-il : la majorité, très nette, qui s’est dessinée au sein de la commission des lois a quelques chances d’être confirmée par notre assemblée, pour considérer que la disposition proposée est conforme aux principes du droit électoral. Il n’y a donc pas lieu de s’y opposer.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion de cet amendement, je voudrais revenir rapidement sur certains points.
Tout d’abord, je tiens à remercier notre rapporteur, Alain Richard, d’avoir réalisé un travail et un exposé aussi clairs, mais aussi d’avoir indiqué qu’il ne s’agissait pas simplement ici de régler le problème d’un seul département, car se pose une question de principe.
Je veux indiquer à mes collègues, y compris à Alain Anziani, pour qui j’ai beaucoup d’estime, que je suis tout à fait favorable à ce qu’on appelle le « fait régional ».
Notre organisation institutionnelle peut connaître des modifications importantes, mais celles-ci ne doivent pas aboutir à des systèmes qui sont injustes. La proposition de loi de notre collègue et ami Alain Bertrand a pour objet de lutter contre une injustice territoriale qui est évidente et qui, à terme, comme elle résulte d’un défaut inhérent au système existant, ne frappera pas que le département de la Lozère.
À ce propos, un débat vient d’avoir lieu à l’Assemblée nationale sur une proposition de loi présentée par notre groupe concernant les élections européennes, et il était aussi très clair. Quand on fabrique des dispositions électorales non pour la représentation des citoyens, mais en fonction du résultat escompté – les majorités successives l’ont fait –, on aboutit à créer un sentiment d’abandon. S'agissant de l’élection régionale, dans nombre de nos territoires, vous n'avez pas suffisamment appréhendé l’ampleur ce sentiment, et les électeurs, peu à peu, vous le font comprendre.
En effet, le fait régional, c’est très bien, mais quand le poids des électeurs est concentré dans la métropole régionale – c'est particulièrement le cas dans les régions les plus petites –, ceux qui constituent les listes tendent tout naturellement à les pondérer en fonction de la population. Quand la distance fait que vous vous trouvez à deux heures ou deux heures et demie de la métropole régionale, il ne faut pas rêver ! De la part de ceux qui constituent les listes, il y a effectivement une analyse pseudo-stratégique gouvernée par le fait électoral. Le sentiment d’abandon est donc justifié, parce qu’il correspond à des décisions injustes – et l’on va de plus en plus dans ce sens.
On nous affirme que ce système électoral est parfait, qu’il donne de bons résultats. Il est vrai qu’il donne le pouvoir au président de la région…