M. Pierre-Yves Collombat. Le ratio de cette surreprésentation est de 3,7 !
M. Alain Richard, rapporteur. Dans sa sagesse, l’opposition de l’époque a contesté ce dispositif devant le Conseil constitutionnel, qui, dans son encore plus grande sagesse, l’a déboutée, considérant qu’il était légitime et conforme à la conciliation entre, d’une part, l’égalité du suffrage et de la représentation territoriale, et, d’autre part, les nécessités de fonctionnement d’un conseil général, que l’on attribue au moins quinze sièges de conseillers territoriaux à un département, quand bien même un tel nombre de sièges ne représenterait pas le poids de ce dernier au sein de la région. Tel est le sens de la décision n° 2010-618 du Conseil constitutionnel.
Il faut rappeler – les anciens s’en souviennent – que l’instauration du conseiller territorial a donné un travail non négligeable au Conseil constitutionnel, l’amenant à rendre plusieurs décisions.
M. Bruno Sido. Pour rien !
M. Alain Richard, rapporteur. Non, monsieur Sido ! Il est toujours utile d’approfondir le droit. (Sourires.) J’en veux pour preuve que nous profitons aujourd'hui des décisions rendues alors…
Il me semble que l’on a ainsi trouvé une conciliation qui n’entraîne pas d’effet déséquilibrant significatif sur la composition des conseils généraux et qui assure une représentation minimale solidaire et équitable aux plus petits départements. Et c’est l’élu d’un département très urbain et peuplé qui vous le dit !
Mes chers collègues, nous devons nous montrer solidaires des représentants de ces départements, dont nous savons combien la mission est difficile et exigeante. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Michel Bécot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un mois, l’Assemblée nationale adoptait définitivement le projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral. Nos débats, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, ont été longs. Si je regrette qu’ils n’aient pu aboutir à un compromis, il me semble qu’ils ont été fructueux sur de nombreux points ; je pense notamment à la représentation des territoires ruraux.
Lors de ces discussions, j’ai pu vous dire combien j’étais attaché à la diversité des territoires qui composent notre pays. J’ai pu vous dire également le prix que j’accorde à la démocratie locale et à tous ces élus qui la font vivre, dans les conseils municipaux, départementaux et régionaux.
Monsieur Bertrand, je vous rejoins donc sur ce point essentiel : nos concitoyens, où qu’ils vivent, doivent être représentés, et bien représentés ; ils doivent connaître leurs élus.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. La proximité est un élément essentiel pour une démocratie locale forte et légitime, tellement utile pour notre pays.
J’entends donc pleinement les préoccupations que vous exprimez dans ce texte. Néanmoins, lors des débats sur le projet de loi relatif aux élections locales, j’ai pu vous faire part de mes doutes et de mes interrogations sur le dispositif proposé.
S’il est logique que je renouvelle aujourd'hui ces doutes, vous verrez que je vais le faire dans un grand esprit d’ouverture. (M. Bruno Sido s’exclame.)
Ne nions pas les difficultés que ce texte pose pour l’articulation des institutions de la démocratie locale.
Ces trente dernières années, l’affirmation progressive de la région s’est exprimée dans l’évolution du mode de scrutin. La régionalisation de ce dernier s’inscrit dans le sens de l’histoire, dans le sens de la constitution de régions ayant une identité politique forte. Elle s’inscrit aussi dans l’histoire de l’Europe, à laquelle votre groupe est si profondément attaché.
La loi de 2003 a repris trois points essentiels de la loi de 1999, qui était issue d’un projet du gouvernement de Lionel Jospin.
Premièrement, l’élection des conseillers régionaux se déroule dans un cadre régional, et non plus seulement départemental, comme le prévoyait la loi de 1985. À cet égard, je remercie le rapporteur Alain Richard de m’avoir vieilli de quelques années… (Sourires.)
Deuxièmement, le futur président, ou la future présidente, est placé en tête de liste ; il est donc connu des électeurs au premier tour et, a fortiori, au second. L’élection gagne ainsi en clarté démocratique, me semble-t-il.
Troisièmement, et enfin, une prime majoritaire de 25 % permet de stabiliser la gouvernance régionale.
Néanmoins, la confusion entre la région et le département était un facteur d’affaiblissement pour les deux institutions. C’est l’une des raisons pour lesquelles la majorité – et d’abord ici, au Sénat –, tout comme le Gouvernement, a tant combattu le principe même du conseiller territorial et a souhaité son abrogation. Je rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, que votre assemblée a voté cette abrogation avant même l’élection présidentielle.
Aujourd’hui, notre démocratie locale est sortie de l’impasse du conseiller territorial. C’est l’un des apports de la réforme des élections locales que je vous ai proposée. Le département et la région restent bien évidemment des échelons complémentaires, mais ils sont de nouveau autonomes. Chaque institution a ses compétences, sa logique, et peut nouer les partenariats nécessaires. L’illusion d’un élu qui se dédoublerait entre plusieurs fonctions, entre plusieurs assemblées, est dissipée.
Monsieur Bertrand, votre liste, qui n’était pas sans faire penser à celle de Don Giovanni (Sourires.), nous a permis de prendre la mesure de la tâche incombant déjà à un élu et de montrer qu’il n’était pas possible de la rendre deux fois plus lourde.
Les rôles et les compétences sont clairement définis et donc a priori lisibles pour nos concitoyens. Là aussi, c’est un facteur de légitimité démocratique. Cette lisibilité et cette légitimité des deux échelons ne doivent pas être remises en cause.
Or, s’il était adopté, ce texte contribuerait, je le crains, à restaurer – différemment – une forme de confusion ou, en tout cas, un retour en arrière vers un mode de scrutin avant tout départemental, et non plus régional.
Si l’on comprend votre attachement aux départements, notamment au vôtre, le recul de l’identité spécifique de la région était net dans la proposition de loi initiale, puisqu’il s’agissait de revenir au système antérieur aux lois de 1999 et 2003, avec des listes présentées dans chaque département. D'ailleurs, les travaux de votre commission des lois montrent que vous avez perçu les risques d’un tel dispositif, notamment en termes de gouvernance des assemblées régionales. Les régions ont un mode d’élection spécifique : un scrutin de liste, certes, mais qui permet à une majorité de se dégager. Pourtant, la chose n’est pas toujours aisée : par le passé, certaines régions se sont révélées ingouvernables.
Un retour à un scrutin complètement départementalisé, avec un nombre minimum de trois conseillers régionaux par département et, même, avec une prime majoritaire, pourrait nous ramener à ces situations. Je suis convaincu que personne d’entre vous ne le souhaite !
Votre commission des lois, sur la proposition de son rapporteur, a eu la sagesse de vouloir éviter cet écueil. Je veux d’ailleurs saluer vos efforts, monsieur Richard : une nouvelle fois, dans ce domaine comme dans bien d’autres, vous avez su innover, proposer et être constructif.
Pour autant, certaines questions demeurent. La force d’une assemblée tient en partie à la stabilité et à la lisibilité de son mode de scrutin. À cet égard, introduire un nombre flottant de conseillers régionaux pourrait constituer un facteur de complexité pour les électeurs. Ainsi, alors que le tableau n° 7 annexé au code électoral fixe le nombre de conseillers par région, il serait, dans certaines régions, dérogé à ce critère, pour assurer la représentation de certains départements.
Enfin, monsieur Bertrand, je tiens à souligner les éventuels risques constitutionnels que pourrait comporter votre proposition de loi.
Je le répète, j’entends le souci que vous avez d’assurer la représentation des départements et des territoires ruraux, donc des populations rurales. Très concrètement, cela a été rappelé, la portée de ce texte resterait assez limitée. Il ne s’appliquerait, dans un premier temps, qu’au département de la Lozère.
M. Jean-Michel Baylet. C’est essentiel ! (Sourires.)
M. Manuel Valls, ministre. Je reconnais que c’est déjà beaucoup !
Bien évidemment, monsieur Bertrand, j’aime beaucoup la Lozère, comme j’aime beaucoup le Tarn-et-Garonne. (Nouveaux sourires.) J’aurai l’occasion de vous le prouver dans quelques instants, de manière plus personnelle et dans une autre enceinte.
Cependant, si je n’oserais dire que cette proposition de loi est un texte de circonstance, je considère qu’elle marque l’attachement que vous portez aux départements. D'ailleurs, vous connaissant, je ne doute pas de votre capacité à faire entendre la voix de la Lozère au sein de la région Languedoc-Roussillon…
Dans l’exposé des motifs du texte est évoqué, à juste titre, le principe d’égalité du suffrage. Toutefois, c’est justement sur ce fondement que le texte risquerait d’être censuré par le Conseil constitutionnel ! En effet, le mode de scrutin issu des travaux de votre commission des lois ne me semble pas permettre de garantir l’égalité des suffrages. S’il était appliqué, au moins un département se trouverait surreprésenté au regard de la jurisprudence constitutionnelle, et ce dès les élections régionales de 2015.
Ainsi, sur la base des chiffres de la population de 2010, la Lozère bénéficierait de trois conseillers régionaux, donc d’un conseiller régional pour 25 694 habitants, alors qu’un conseiller de la région Languedoc-Roussillon représenterait, en moyenne, 38 208 habitants. La Lozère présenterait donc un écart de représentation démographique de 33 % par rapport à la moyenne régionale, ce qui ne correspond pas aux critères posés par la jurisprudence constitutionnelle.
Ce risque a d’ailleurs été bien perçu par le rapporteur. Selon lui, la fixation d’un nombre minimal de trois conseillers régionaux par département « pourrait conduire à une représentation excessive de certains départements par rapport à leur poids démographique, ce qui serait contraire à la jurisprudence, constante et ancienne, du Conseil constitutionnel, qui a toujours rappelé que la répartition des sièges devait reposer sur des bases essentiellement démographiques ».
Vous estimez que ce nombre de trois pourrait être accepté par le Conseil constitutionnel, dans la mesure où une telle exception au critère démographique serait motivée par un impératif d’intérêt général. Pour ma part, je considère qu’un risque demeure, d’autant que le Conseil constitutionnel a déjà, dans des circonstances certes différentes, censuré la fixation d’un tel seuil.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’histoire de notre démocratie locale, c’est aussi celle d’une autonomisation et d’une émancipation de chaque niveau de collectivité, par rapport à l’État, bien sûr – tel est le sens des grandes lois républicaines sur les collectivités, jusqu’aux lois de décentralisation –, mais aussi les uns par rapport aux autres.
Chaque espace a son rôle, sa pertinence. Avec l’abrogation du conseiller territorial et l’adoption du mode de scrutin binominal dans les départements, nous avons voulu donner un nouveau souffle à la démocratie départementale et, ainsi, réaffirmer pleinement la place du département. Ce souci de clarté, de répartition des rôles et des compétences, nous devons également l’avoir pour les régions ; je sais que vous en discutez aussi sur un certain nombre d’autres sujets.
Le Gouvernement connaît et partage l’attachement de votre assemblée aux territoires, les régions autant que les départements. Il connaît également votre souhait d’asseoir la démocratie locale dans les territoires et d’en assurer partout la vitalité.
Pour ces raisons, au-delà des quelques précautions que j’ai prises, et faisant confiance à la qualité de vos travaux, le Gouvernement s’en remet, sur ce texte, à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Claude Lenoir applaudit également.)
M. Jean-Michel Baylet. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les orateurs qui m’ont précédée à cette tribune sont déjà revenus longuement sur les évolutions de la désignation des conseillers régionaux, depuis 1985 jusqu’à la régionalisation marquée sacralisée au travers de la loi du 11 avril 2003.
De fait, depuis 2003, si le mode de scrutin aux élections régionales conserve des sections départementales, celles-ci sont affiliées à une liste régionale et servent à la répartition des sièges au prorata des voix obtenues. Comme le rappelle l’auteur de la proposition de loi dans l’exposé des motifs de cette dernière, seules les listes ayant dépassé la barre des 10 % des suffrages exprimés peuvent désormais se maintenir au second tour, tandis que n’accèdent à la répartition des sièges que les listes ayant recueilli 5 % des suffrages.
Monsieur le ministre, nous ne voulons pas revivre l’expérience du scrutin de l’année 1998, qui fut, pour tous, douloureuse. À la suite de cette élection, il a été prévu d’instaurer une prime majoritaire et de supprimer la départementalisation. Toutefois, c’est un raccourci d’affirmer que seul le retour à un scrutin départementalisé pour les élections régionales nous ferait revivre les événements de 1998.
Si, en raison de l'application de la loi du 11 avril 2003, un seul département a été concerné aux dernières élections régionales, plusieurs départements pourront ne compter, à l’avenir, qu'un seul représentant au sein du conseil régional, ce qui pose un problème. Alain Bertrand l’a exposé avec brio et un peu d'ironie, mais sa démonstration sur la représentation du territoire au sein des différentes instances du conseil régional et sur la possibilité d’exercer un mandat de conseiller régional au sein du département est assez réaliste.
Avec ce scrutin, je vois pour ma part une autre difficulté, celle de faire vivre la démocratie et le pluralisme démocratique. Comment un seul représentant sur le département, même s’il est rassembleur et qu’il s’efforce de faire entendre des voix diverses, pourrait-il exprimer par son simple vote le reflet de la diversité démocratique d’un territoire ?
La commission a souhaité supprimer la redépartementalisation initialement proposée. Ce n'était pas le moment, pas plus que cette proposition de loi ne constituait le véhicule adéquat. Cependant, le groupe CRC reste ouvert à un réexamen du mode de scrutin des élections régionales, afin de le rendre beaucoup plus lisible aux électeurs.
Monsieur le ministre, le mode de scrutin a gagné en clarté auprès des électeurs en raison de la présidentialisation qu’il permet. Si, aujourd'hui, une grande partie des électeurs – je n'ose parler de tous – peuvent faire le choix entre tel ou tel candidat à la présidence du conseil régional, la question de la connaissance et du choix des différents conseillers régionaux pour les six ans qui viennent reste posée.
Le scrutin actuel demeure peu lisible, la représentation départementale étant fonction de la part prise par le département dans le score final. Cela conduit à ce qu’un département – peut-être plusieurs, demain – n'ait qu'un seul représentant. Dans de nombreuses régions – je l'ai vécu au sein de la région Rhône-Alpes pour le département de la Loire –, certains départements, d'une élection à l'autre, « gagnent » ou « perdent » un ou deux conseillers régionaux, ce qui, en termes de lisibilité, ne permet pas de réconcilier le citoyen avec cette élection et ce mandat.
La proposition du rapporteur d’assurer que tous les départements auront dorénavant au moins trois élus ne règle pas la question de la lisibilité, mais permet tout de même une avancée forte pour la représentation de chacun des départements.
Enfin, permettez-moi de relever un point : ce qui nous est proposé aujourd’hui, et que nous voterons, c’est que, en cas de besoin, il puisse y avoir trois sièges minimum en plus des sièges initialement prévus pour composer l’assemblée régionale. Cette mesure constitue une véritable ouverture. Elle permet d’inscrire dans le droit électoral le principe de sièges correctifs. Elle va dans le sens de la proposition, que nous avons soutenue et débattue ici, d’un scrutin mixte majoritaire rééquilibré par la proportionnelle avec une liste départementale. Nous avons eu cette discussion lors du débat sur les modes de scrutins locaux, notamment à propos de l’élection des conseillers départementaux.
Nous nous réjouissons que ce principe correctif, pour des questions démographiques et de représentation du pluralisme, soit pris en compte et puisse entrer en vigueur. J'entends que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. En tout état de cause, nous voterons pleinement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai brève, M. le rapporteur nous ayant fait un véritable cours, dans le sens positif de ce terme. Sa pédagogie était absolument parfaite ! (Sourires.)
La proposition de loi repose sur l'idée d'équité dans la représentation des départements au sein de la région.
Le ministre a soulevé un certain nombre d’objections légitimes ayant trait à l’expression du vote populaire. Néanmoins, pourquoi ne pas estimer que les départements doivent être représentés pour la simple raison que l’on a créé des sections départementales ? Si tel n’avait pas été le cas, on en serait resté à un scrutin purement régional.
Malgré les inconvénients soulevés par M. le ministre, dont je mesure bien toute la portée, il me semble que cette proposition de loi vise à assurer une certaine équité dans la représentation de l’ensemble de nos territoires.
C’est la raison pour laquelle le groupe UDI-UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été rappelé, le mode de scrutin régional a mis du temps à se stabiliser : pas moins de trois modes de scrutin, dont un mort-né, en cinq élections ! Outre la représentation de la diversité des opinions, il s’agissait de faciliter l’émergence de majorités de gestion, ainsi qu’un sentiment d’appartenance régionale, condition de possibilité d’un projet de développement ne se résumant pas à la somme des projets départementaux.
Le système adopté en 2003 semble avoir donné satisfaction, puisque si la nouvelle majorité a innové – ô combien ! – en matière d’élections départementales et modifié substantiellement le scrutin municipal, elle s’est bien gardée de toucher au mode d’élection des conseillers régionaux. Celui-ci a donné satisfaction en termes de résultats électoraux, certainement. Toutefois, ce fut au prix d’une grande complexité et en continuant à ignorer que ce mode de scrutin peine à assurer la représentation des territoires ruraux dans les départements où la répartition de la population est très hétérogène, à garantir une représentation minimale des départements ruraux au sein des régions où l’écart démographique entre départements est très grand.
Je développerai ces différents points.
Tout d'abord, le système est complexe. Il n’est pas immédiatement compréhensible, en effet, que le nombre de conseillers régionaux élus dans un département soit différent du nombre de sièges potentiel dont celui pourrait disposer, et qui varie d'ailleurs d’une élection à l’autre.
Il est encore plus surprenant que ce mode de scrutin permette l’élection du personnel politique d’un département dans un autre. Je citerai l’exemple de mon département, le Var.
En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, deux Varois sont élus, l’un au titre des Bouches-du-Rhône, l’autre des Alpes-Maritimes, et, en contrepartie, une conseillère des Alpes-de-Haute-Provence est élue au titre du Var. Il ne s’agit pas de conseillers flottants, pour reprendre l’expression qui a été citée, mais au minimum de conseillers itinérants ! Je vous avoue que l’électeur a un peu de mal à s’y retrouver…
Vous le savez, mes chers collègues, un tel « mercato » est seulement à la portée d’appareils partisans bien rodés, ce qui peut expliquer, au moins en partie, l’attachement à ce mode de scrutin qui interdit, de fait, les candidatures et les listes indépendantes.
Il est difficile d’assurer la représentation des territoires ruraux dans les départements où la population est répartie de manière très hétérogène.
Pour reprendre l’exemple de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, les résultats des élections de 2010 montrent une sous-représentation au conseil régional des zones non densément urbanisées dans le Var et les Alpes-Maritimes. Ce n’est pas le cas dans les Bouches-du-Rhône, ni dans le Vaucluse.
Dans le Var, sur treize élus de gauche, neuf sont issus de la communauté d’agglomération toulonnaise, trois du reste du Var littoral, dont deux de la communauté d’agglomération Fréjus-Saint-Raphaël. Un seul sur treize est issu du Var intérieur, et encore est-ce d’une ville, Brignoles.
Même tableau à droite, dont un seul élu sur huit représente le Var intérieur, le président de la communauté d’agglomération dracénoise, qui compte 100 000 habitants. C’est un résultat qui ne s’explique ni par un déficit de population ni par un manque de supporters, je suis prêt à en faire la démonstration, qu’il s’agisse de la gauche et encore plus de la droite !
Il est difficile d’assurer une représentation minimale des départements ruraux dans les régions où l’écart entre le département le plus peuplé et le moins peuplé est fort, ce qui est spécifiquement l’objet de la proposition de loi de notre collègue Alain Bertrand.
Dans ces régions, telles que le Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte d’Azur, faute d’un nombre minimal de sièges attribué aux départements, l’application de la proportionnelle à une population en évolution pourrait aboutir à ce que certains n’aient plus du tout de représentants au conseil régional.
À cela s’ajoute, Alain Richard l’a rappelé tout à l’heure, le mode de répartition des sièges entre sections départementales. Je n’y reviens pas.
Constatons que les trois conseillers régionaux de la Lozère d’avant la réforme de 2003 n’étaient plus que deux en 2004 et un seul en 2010, tandis que les Alpes-de-Haute-Provence, qui disposaient de cinq représentants avant la réforme de 2003, doivent se contenter de quatre représentants aujourd’hui.
Le risque, c’est que l’évolution démographique ne diminue encore la représentation de ces petits départements, voire ne la réduise à néant, ce qui serait paradoxal à l’heure où la région est censée jouer un rôle plus stratégique dans le développement des territoires.
Constatons enfin, autre paradoxe, que feu la réforme de décembre 2010, avec ses quinze conseillers territoriaux minimum par département, même au sein de conseils régionaux généralement plus nombreux, était autrement plus favorable aux départements ruraux.
À ce propos, cela a été souligné mais je ne me lasse pas d’insister, le Conseil constitutionnel avait validé la disposition, ce qui tendrait à prouver que des accommodements avec le principe de la « représentation essentiellement proportionnelle », éteignoir commode de toute discussion de la parole officielle, sont possibles. Je rappelle tout de même que le Conseil constitutionnel a validé un rapport démographique de 1 à 3,7 pour les départements de la région Languedoc-Roussillon. Ce n’est pas 20 %, 30 % ni 33 % !
La proposition d’Alain Bertrand entend être une réponse à ces difficultés aussi souvent occultées que bien réelles. Le problème, cela a été dit, c’est qu’elle crée d’autres difficultés. Notamment, en départementalisant l’élection, elle fait disparaître le caractère régional de celle-ci. C’était le principal défaut de la réforme de décembre 2010, qui transformait le conseil régional en réunion de conseils généraux.
Personnellement, j’aurais préféré que la suppression du conseiller territorial ait été suivie d’un réexamen du mode de scrutin non seulement départemental, mais aussi régional, car il y a des raisons de revenir sur ce dernier. Je l’avais dit alors, avec le succès que l’on sait.
La tâche est donc toujours devant nous, mais il n’y a aucune chance qu’elle soit traitée aujourd’hui, d’autant que l’on approche des élections.
C’est pourquoi la proposition réaliste de notre rapporteur et de la commission des lois mérite à mon sens d’être soutenue. Elle ne règle, certes, qu’un aspect d’un seul problème – garantir une représentation minimale des départements dans les conseils régionaux –, mais sa parfaite compatibilité avec la logique du système existant la rend facilement applicable. Elle apporte une amélioration qui est tout à fait intéressante. Je crois que, en la votant, nous ferons tous acte utile. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste. – M. Christian Favier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons nous prononcer aujourd’hui sur un texte de nos estimés collègues radicaux concernant la modification de la représentation des départements au sein du conseil régional.
Notre pays est devenu le spécialiste européen, voire mondial, de la diversification et de la complexification des modes de scrutin. Après avoir consacré, dans la douleur, le scrutin binominal majoritaire à deux tours, voilà que nous revenons sur le mode de scrutin régional, qui pourtant fonctionne plutôt bien depuis sa dernière réforme, en 2003.
Le scrutin de liste paritaire à deux tours est l’outil que nous, les écologistes, préférons, non pas parce qu’il nous est favorable, mais parce qu’il permet l’expression des sensibilités politiques dans leur pluralité au sein des organes délibérants, et ainsi une amélioration de la qualité du travail de ces organes et du contrôle des exécutifs régionaux.
Malheureusement, notre vision n’est pas aussi largement partagée que nous aurions pu l’imaginer. Le Gouvernement a préféré verrouiller les départements par le scrutin binominal majoritaire plutôt que de donner naissance à une évolution souhaitable pour la cohérence de nos institutions et souhaitée par nos concitoyens pour leur représentation.
Concernant les régions, nous défendons une vision similaire à celle que nous avons pour les intercommunalités. Il nous semble évident que le projet politique qui se construit pour une région doit surmonter la notion de concurrence entre les territoires que nous favorisons aujourd’hui en multipliant les échelons locaux, aussi bien en termes électifs qu’en ce qui concerne les compétences.
Il est temps de donner des pouvoirs élargis aux régions pour l’élaboration des stratégies territoriales de l’action publique et de soutien à l’initiative privée. Nous ne pouvons plus nous permettre de mettre en concurrence, de mille manières différentes, les communes, les intercommunalités, les départements et les régions.
Quoi que certains puissent en penser, le mode de scrutin participe de ces logiques. Il est intéressant d’observer que, dans le scrutin régional actuel, et c’est un cas unique dans nos processus électoraux, le nombre de sièges attribués dans chaque département dépend du nombre de voix obtenues et non de la population des départements qui ne sont et ne font pas la région, mais qui procèdent d’un simple principe de découpage électoral permettant d’élire les conseillers régionaux.
Ce mode d’élection rappelle que l’intérêt régional n’est pas l’agrégation des intérêts départementaux, que la région est une collectivité distincte des départements que son territoire englobe, avec un intérêt collectif distinct.
Les élus d’une section départementale peuvent très bien aller dans des lycées d’un autre département, pour revenir sur un point qui a tout à l'heure été évoqué. Ainsi, lorsque j’étais conseillère régionale, je siégeais dans le Val-de-Marne et à Paris.