M. Jean Desessard. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
L’article L. 815-9 du code de la sécurité sociale est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Par dérogation à l’alinéa précédent et dans des conditions définies par décret, lorsque le demandeur ou le bénéficiaire de l’allocation de solidarité aux personnes âgées ou son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité perçoivent, au jour du dépôt de la ou des demandes ou en cours de service, des revenus d’activité, ces revenus peuvent être cumulés avec la ou les allocations de solidarité aux personnes âgées et les ressources personnelles de l’intéressé ou des époux, concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité dans la limite d’un plafond.
« Ce plafond est fixé à 1,2 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance lorsque l’allocation de solidarité aux personnes âgées est versée à une personne seule ou à un seul des conjoints, concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité et à 1,8 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance lorsque l’allocation de solidarité aux personnes âgées est versée aux deux conjoints, concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Isabelle Debré, rapporteur. Je tiens à expliquer pourquoi les revenus professionnels ne pourront être cumulés avec l’allocation de solidarité aux personnes âgées que dans la limite d’un plafond : cette allocation est financée par la solidarité nationale, et c'est pourquoi il nous a semblé juste de fixer un plafond de 1,2 SMIC pour une personne seule et de 1,8 SMIC pour un couple.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
L’article L. 815-9 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions prévues aux deux alinéas précédents sont applicables, dans des conditions définies par décret, aux personnes qui sont titulaires des allocations mentionnées à l’article 2 de l’ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse. » – (Adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Les éventuelles conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de la présente proposition de loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Cet amendement vise, en supprimant l’article 2, à lever le gage.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Isabelle Debré, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. J’ai un peu toussé quand Mme la rapporteur a dit qu’elle assumait le terme « libéral » employé par Dominique Watrin, notre collègue du groupe CRC. Personnellement, je n’assume pas ce terme, et c'est pourquoi je me suis senti obligé d’intervenir.
Je comprends la logique de votre intervention, monsieur Watrin. Vous pensez que, si l’on autorise le cumul des revenus professionnels avec l’allocation de solidarité aux personnes âgées, on refusera ensuite d’augmenter cette allocation en prétextant que ses bénéficiaires peuvent travailler. Mais le travail, ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval, surtout quand on a un certain âge et a fortiori quand on appartient à cette population bénéficiaire de l’ASPA ! Je suis d'accord avec votre analyse, mon cher collègue : vous avez raison de dire qu’il ne faut pas laisser le libéralisme gérer la situation des seniors.
Cependant, aujourd'hui, il ne s’agit non pas de cela mais de mettre fin à une situation inégalitaire, comme je l’ai montré. Actuellement, les cadres peuvent cumuler leur emploi avec leur retraite, alors que les personnes en situation difficile ne peuvent pas déclarer leurs revenus et sont contraintes de travailler au noir. Quelle perspective ! Nous voulons donc permettre à ces dernières de déclarer leurs revenus. Nous répondons à une situation d’urgence. Cher collègue, lorsqu’on est parlementaire, il faut avoir une vision de l’avenir qu’on souhaite mais aussi agir en fonction de l’urgence. Je rejoins votre vision d’une nouvelle société, je vous rejoins quand vous demandez au Gouvernement d’augmenter les minima sociaux, mais, tant que cela n’est pas fait, il faut bien traiter les situations d’urgence, et c'est pourquoi le groupe écologiste votera cette proposition de loi ! (Mme la rapporteur applaudit.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 90 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 203 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 102 |
Pour l’adoption | 183 |
Contre | 20 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l’UDI-UC et du groupe écologiste. – Mme la rapporteur applaudit également.)
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures dix, est reprise à dix heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Fiscalité numérique neutre et équitable
Discussion d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable, présentée par M. Philippe Marini (proposition n° 682 rectifié [2011-2012], rapport n° 287, résultat des travaux de la commission n° 288, avis nos 291, 298 et 299).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi.
M. Philippe Marini, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’organiserai la présentation de cette proposition de loi en trois phases.
Tout d’abord, je rappellerai que nous partons, les uns et les autres, Gouvernement et Parlement, les différentes commissions, de constats très largement partagés sur l’optimisation fiscale mise en œuvre par les grandes sociétés multinationales de l’Internet.
Ensuite, j’exposerai brièvement les axes de ma proposition de loi et de la feuille de route que j’ai initiée. Je pense qu’Yvon Collin, notre excellent rapporteur de la commission des finances, le fera bien mieux que moi. Permettez-moi, d’ores et déjà, de rendre hommage à la qualité de son travail.
M. David Assouline. Au fait ! Au fait !
M. Philippe Marini. Enfin, madame la ministre, je vous interrogerai sur vos projets à venir en vue de faire avancer ce sujet.
Mes chers collègues, vous vous souvenez que, dès 2010, la question de l’évasion fiscale dans le domaine de l’économie numérique a été au cœur des préoccupations du rapport de Patrick Zelnik, qui avait été missionné par le président de la République d’alors. L’idée d’une approche fiscale de ce sujet avait d’ailleurs trouvé une expression en droit positif par un vote du Sénat, en 2010, même si cette première version était assurément imparfaite.
Sur le fond, je voudrais commencer par une citation d’un philosophe, Bernard Stiegler, qui s’exprimait en ces termes lors d’un forum organisé voilà près d’un an au Sénat : « L’industrie numérique menace la puissance publique de devenir incapable. N’ayant pas la capacité de percevoir l’impôt et de percevoir des taxes, elle est mise dans une situation d’incapacitation structurelle ».
Bien entendu, il s’agit d’une langue de philosophe, mais le constat de l’inadaptation croissante des législations fiscales nationales face aux phénomènes d’optimisation fiscale des grands groupes, non seulement de l’Internet, mais également d’autres secteurs, est désormais largement partagé.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Absolument !
M. Philippe Marini. Les problématiques rencontrées ne connaissent pas de frontières et concernent tout aussi bien les États européens que les États-Unis, notamment dans le domaine de la taxation du commerce électronique.
Aussi, je me réjouis que ce sujet, sur lequel je travaille au sein de la commission des finances depuis plus de trois ans, soit devenu une véritable question de société, à savoir la territorialité, ou l’absence de territorialité, de l’économie numérique. Je remercie donc mes collègues du groupe UMP d’avoir bien voulu demandé l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour réservé à notre groupe.
Ce sujet, dont le caractère est transversal et – je pense que nos débats le montreront – trans-partisan, a intéressé trois commissions, qui se sont saisies pour avis de ce texte. Je salue leurs rapporteurs pour avis, qui sont groupés solidairement au banc des commissions : Claude Domeizel, Yves Rome et Bruno Retailleau. Je me félicite de leur contribution à l’enrichissement du débat et de leur soutien à ma démarche d’ensemble.
Au demeurant, le Sénat avait également traité de ce sujet en 2012, dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, dont notre collègue Éric Bocquet était rapporteur.
Pour ma part, j’ai effectué plusieurs déplacements en Italie, en Grande-Bretagne et en Allemagne, lesquels m’ont permis d’identifier des points d’intérêt communs aux différents États européens.
Comme en France, ces grands pays de consommation ont entamé des procédures à l’encontre de Google, d’Amazon et d’Apple dans le domaine du contrôle fiscal. Il s’agit d’affaires en cours, sur lesquelles je ne dispose pas d’éléments de première main, mais les informations publiques disponibles font état de montants très importants de « dilution » de la matière fiscale. En outre, mes chers collègues, nous savons bien que ces schémas ne sont pas l’apanage de la seule industrie numérique.
Par ailleurs, parallèlement au volet fiscal, nos voisins allemands se sont focalisés sur la question de la captation de valeur publicitaire des moteurs de recherche sur les contenus éditoriaux offerts par les sites de presse. Il en résulte une voie, que je considère comme très intéressante, consistant à accorder aux éditeurs de presse un droit voisin aux droits d’auteurs. Cette approche, reprise selon des variantes par les presses française et italienne, me semble tout à fait complémentaire du volet fiscal.
Pour ma part, je me suis efforcé d’entrer dans un travail prospectif sur ce que devrait appréhender à l’avenir le droit fiscal au regard des nouveaux modes numériques de création de richesses. À mes yeux, le cœur de réacteur de la nouvelle économie numérique est la publicité, laquelle permet la fourniture de services gratuits, du moins apparemment, et favorise le commerce électronique comme nouveau mode de consommation.
Mes chers collègues, la voie que je défends au travers de cette proposition de loi n’est pas exclusive des autres approches. Elle se conjugue avec le contrôle fiscal, l’utilisation, en particulier, de la notion d’abus de droit en droit fiscal français, ainsi qu’avec la préoccupation d’une juste rétribution des auteurs.
Naturellement, ce texte ne prétend pas résoudre l’ensemble du problème. Je ne réclame aucun copyright et n’ai aucun amour-propre d’auteur. (Expressions amusées au banc des commissions.) Je souhaite simplement que les choses avancent et que l’on fasse du concret !
À cet égard, la presse, plus tardivement en France qu’aux États-Unis et en Grande-Bretagne, a maintenant, me semble-t-il, après des débuts un peu difficiles, pleinement pris la mesure du problème.
Ainsi, dans une parution récente du magazine Challenge, j’ai pu lire ceci : « Partout, des idées émergent pour créer un impôt adapté à l’économie du XXIe siècle, dématérialisée et sans frontières, donc peu concernée par les outils anciens (TVA, impôt sur les sociétés, etc.). »
Mes chers collègues, le défi que nous impose l’économie numérique est d’œuvrer pour la création d’une fiscalité du XXIe siècle : à nouvelles assiettes, nouveaux impôts !
Ma proposition de loi, dont je ne reprendrai pas le détail, dévoile une dynamique, un ensemble d’initiatives, dont le dispositif purement juridique n’est que le premier terme, le premier étage, en quelque sorte.
Les enjeux politiques s’appellent « compétitivité », « croissance des marchés », « impact sur l’industrie européenne ». Pour s’orienter de manière opérationnelle, il me semble que trois termes doivent à mon avis être distingués.
Il y a le court terme, qui correspond à l’échelon national, où prend place cette proposition de loi prévoyant un dispositif de déclaration fiscale applicable aux acteurs étrangers pour une série de taxations destinées à rétablir la neutralité et l’équité fiscale.
Ensuite vient le moyen terme, qui correspond à l’échelon communautaire, où prend place l’enjeu du raccourcissement du délai de basculement de la TVA sur les services électroniques vers l’État de consommation, dont il convient de pratiquer le taux.
M. Jean Arthuis. Évidemment !
M. Philippe Marini. Enfin, les moyen et long termes correspondent au niveau international, où l’OCDE et le G20 doivent s’attacher à la renégociation des conventions entre États régissant les concepts de la fiscalité pour ce qui est de la répartition territoriale des bénéfices au sens de l’impôt sur les sociétés.
Sur le plan national, vous avez pu constater que la proposition de loi comporte deux volets : un volet procédural et un volet fiscal. Yvon Collin nous fera part de son analyse sur le dispositif lui-même.
M. Yvon Collin, rapporteur de la commission des finances. Tout à fait !
M. Philippe Marini. Je passerai donc immédiatement au rappel de l’enjeu européen.
Madame la ministre déléguée, il faut renégocier le calendrier de mise en œuvre de la directive TVA relative aux services électroniques du 12 février 2008 afin d’avancer son échéancier d’application. Je sais bien qu’une telle décision se prend à l’unanimité ; néanmoins, les grands États de consommation, à savoir la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, seraient à mon avis plus forts dans le débat si une telle proposition était officiellement mise sur la table de l’Ecofin. En effet, l’écart des taux de TVA représente un manque-à-gagner annuel de l’ordre de 1 milliard d’euros pour la France, de 1,5 milliard d’euros pour l’Allemagne et de 1,2 milliard d’euros pour la Grande-Bretagne. Vous le voyez, le compteur tourne et il est inutile, mes chers collègues, de vous rappeler la situation de nos finances publiques et nos engagements, en particulier nos engagements de convergence européenne.
Au niveau international, il y a une sorte de conjonction favorable des astres. Il faut donc sensibiliser et convaincre les parlementaires et les gouvernements des États membres de l’Union européenne d’engager un processus de renégociation des règles d’imposition des bénéfices établies par l’OCDE, en prenant en compte la spécificité de l’économie numérique et de la dématérialisation.
Mais, nous le savons, le processus de réflexion au sein de l’OCDE a été relancé, sur l’initiative du G20, plus précisément du chancelier de l’échiquier britannique, à la suite d’une campagne d’opinion, et du ministre allemand des finances, M. Schäuble, rejoints par Pierre Moscovici, notre ministre de l’économie et des finances, lesquels ont missionné le centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE pour initier un nouveau processus de définition des concepts de l’impôt sur les sociétés. En réalité, dans ce plan d’action, que l’OCDE appelle le BEPS, base erosion and profit shifting, soit érosion des bases d’imposition et transfert des bénéfices, se joue l’avenir de cet impôt.
Mes chers collègues, il ne faut pas sous-estimer cet enjeu. Nous le savons, l’impôt sur les sociétés est de plus en plus inégalitaire…
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Exactement !
M. Philippe Marini. … selon qu’il s’applique à des entreprises ancrées sur nos territoires…
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. À nos PME !
M. Philippe Marini. … ou à des entreprises multinationales.
C’est toute la question de la répartition des résultats entre les territoires, des prix de transfert, de l’imputation des redevances, de toutes les charges qui viennent limiter le produit fiscal, territoire par territoire.
Ce processus doit être validé par la réunion des ministres des finances du G20 à Moscou, le mois prochain, et déboucher ensuite sur un plan d’action opérationnel ; il constitue un enjeu absolument essentiel, madame la ministre, et le sujet de notre débat s’inscrit parfaitement dans cette réflexion.
Mes chers collègues, la question de notre rôle au sein du Parlement national se pose évidemment : il s’agit pour nous d’ouvrir le débat et d’en appeler à l’opinion publique.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Philippe Marini. Dans cette perspective, la proposition de loi que nous examinons ce matin me semble tout à fait utile.
Certes, nous avons été très attentifs aux conclusions du rapport de Pierre Collin et de Nicolas Colin qui, avant Yvon Collin, se sont emparés du dossier et ont engagé une démarche extrêmement intelligente – c’est le moins que l’on puisse attendre d’un conseiller d’État et d’un inspecteur des finances ! Notre commission et les rapporteurs pour avis ont beaucoup apprécié le caractère fondamental de leur démarche, car cette dernière aborde toutes les problématiques que je viens d’évoquer.
Les auteurs du rapport posent le diagnostic suivant : « L’économie numérique n’est pas un secteur de l’économie. Elle est un vecteur de transformation de tous les secteurs de l’économie, dans lesquels elle provoque de puissants déplacements de marges des entreprises traditionnelles vers les entreprises opérant des services logiciels en réseau ». Si ce devait être le seul apport de ce travail, celui-ci serait déjà essentiel, me semble-t-il, pour la prise de conscience des parlementaires. Les auteurs du rapport ajoutent que « le droit fiscal, tant national qu’international, peine à s’adapter aux effets de la révolution numérique ». Ces constats rejoignent les enseignements que la commission des finances a tirés des travaux qu’elle a engagés dès 2009 et 2010, sur l’initiative de son président, Jean Arthuis.
MM. Collin et Colin ont constaté que « le point commun à toutes les grandes entreprises de l’économie numérique est l’intensité de l’exploitation des données issues du suivi régulier et systématique de l’activité de leurs utilisateurs ».
Ils estiment que « la collecte des données […] est le seul fait générateur qui garantisse la neutralité du prélèvement », celui-ci n’ayant pas pour vocation d’imposer la collecte de données en tant que telle, mais d’inciter les entreprises à adopter des pratiques conformes à des objectifs d’intérêt général. En effet, vous le savez, mes chers collègues, MM. Pierre Collin et Nicolas Colin mettent en évidence le fait que la valeur de fonds de commerce des réseaux et des systèmes est créée par les internautes, grâce à l’apport des informations gratuites qu’ils produisent et font circuler sur la Toile.
Bien entendu, madame la ministre, créer un mécanisme fiscal frappant les données personnelles pour, en quelque sorte, sortir de cette aliénation économique que nous décrivent les auteurs du rapport, relève d’une démarche louable, intéressante, intelligente, mais comment définir l’assiette fiscale et les redevables ? J’espère que les excellents spécialistes de la direction de la législation fiscale pourront nous donner rapidement une réponse, car nous ne siégeons pas dans un colloque universitaire, mais au Parlement, et nous devons prendre des décisions !
Quelle traduction législative concrète donner à ces réflexions ? J’ai naturellement entendu émettre de nombreuses réserves à l’égard de ma proposition de loi : je sais que celle-ci n’est pas parfaite et qu’elle ne se propose de traiter que d’une toute petite partie d’un ensemble très contraint, à la fois par le droit communautaire et par le droit international public.
On m’a opposé qu’une obligation de déclaration de chiffre d’affaires publicitaire, pour Google, ou de commerce électronique, pour Amazon, serait difficile à faire appliquer et à contrôler. Toutefois, il me semble que ce problème existe déjà pour les sites extracommunautaires qui ne déclarent pas correctement la TVA dans le cadre de la procédure dite du « mini-guichet ».
Ce portail électronique mis en œuvre à l’échelle européenne a rapporté à la France en 2012 20 millions d’euros, un chiffre ridiculement faible eu égard au volume des échanges. Pour autant, on ne remet pas en cause le système de la TVA dans son ensemble. Or la critique que l’on m’adresse vaut aussi, me semble-t-il, pour le régime de la TVA !
On me dit aussi qu’une taxe sur la publicité en ligne, même modeste, tuerait l’écosystème français. Néanmoins, la taxe locale sur la publicité extérieure, la TLPE, qui est utile pour nos collectivités locales, a-t-elle tué la publicité sur la voie publique ? Je constate que cette forme de publicité fleurit toujours et que la taxe qui la frappe apporte quelques ressources budgétaires aux communes, ce qui n’est pas absolument négligeable. Par ailleurs, je rappelle que ma proposition de loi ne prévoit d’instaurer une taxation qu’au-delà d’un seuil d’activité tout à fait élevé.
Enfin, on m’oppose la nécessité, en droit communautaire, de défendre un motif d’intérêt général pour instaurer une procédure dérogatoire de déclaration de chiffre d’affaires, à l’exemple du régime de l’agrément des jeux en ligne.
Mes chers collègues, permettez-moi d’adopter à présent un ton un peu plus solennel : je défends l’idée que la sauvegarde des intérêts du marché intérieur et la lutte contre les abus de positions dominantes doivent être considérées comme des motifs d’intérêt général…
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Philippe Marini. Jean Desessard est parti…
M. André Gattolin. Hélas !
M. Philippe Marini. … ce que je regrette, car j’allais évoquer le libéralisme. En effet, nous ne devons pas oublier que la libre concurrence est l’un des principes fondateurs de l’Union européenne.
Lundi dernier, je me suis rendu dans les bureaux de la Commission européenne, à la faveur de la réunion des parlementaires européens avec le Parlement européen.
M. David Assouline. Vous avez épuisé votre temps de parole. Ne nous racontez pas votre vie !
M. Philippe Marini. À cette occasion, j’ai rencontré le chef de cabinet du vice-président de la Commission, commissaire chargé de la concurrence, M. Almunia. Il m’a indiqué que quatre griefs étaient établis par les services de la Commission contre Google, sur la base de documents et de procédures.
Il s'agit, premièrement, de la manipulation des résultats de recherche, due au défaut d’objectivité des algorithmes utilisés par Google ; deuxièmement, de l’utilisation d’informations de sites tiers en tant que « données Google », une pratique proche du vol ; troisièmement, des clauses de contrats abusives entre ce groupe et ses partenaires ; quatrièmement, et enfin, de la restriction à la portabilité des campagnes de publicité de Google vers les autres sites.
Il appartiendra à la Commission européenne de se déterminer en choisissant de recourir soit au contentieux, soit à la transaction. Je demande au Gouvernement d’y être particulièrement attentif, car la décision qui sera prise sera une décision prise collégialement par la Commission, et non par un seul commissaire. (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste.)
Je comprends bien que, les techniques évoluant très vite, une transaction, en faveur de laquelle, naturellement, un lobbying considérable serait mis en œuvre, répondrait à une inclination naturelle. Toutefois, une transaction sans indemnité, qui éviterait à Google de reconnaître ses torts à l’égard du droit de la concurrence, est-elle acceptable ? En l’espèce, est-ce que transaction rime avec transparence ? J’achèverai mon propos sur cette question, pour donner satisfaction à M. David Assouline, ce dont je serai ravi ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yvon Collin, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit aujourd’hui, à savoir la fiscalité de l’économie numérique, est au premier plan de l’actualité, mais il est aussi au cœur de la construction des nouveaux modèles économiques de croissance et de création de richesses.
Les phénomènes de distorsion de concurrence et les stratégies d’optimisation fiscale employées par les grands groupes de l’internet, dans les secteurs de la publicité en ligne et du commerce électronique, ainsi que le danger que représente la concurrence déloyale des grands acteurs de la Toile basés dans les pays à fiscalité réduite sont devenus une préoccupation majeure de l’ensemble des acteurs de l’économie numérique.
À cet égard, il faut savoir gré à Philippe Marini d’avoir été à l’initiative du travail d’information parlementaire engagé par notre commission depuis 2009, de l’avoir animé dans la durée et de l’avoir constamment enrichi par plusieurs rapports successifs, pour aboutir à la présente proposition de loi, intitulée Pour une fiscalité numérique neutre et équitable. Que cette problématique soit désormais appréhendée, dans le débat public et institutionnel, comme un enjeu majeur pour nos finances publiques et la politique de croissance constitue en soi un premier succès pour l’auteur de ce texte, en particulier, et pour l’activité sénatoriale, en général.
Je salue également l’implication très large du Sénat dans ce domaine et, en particulier, les travaux de nos trois collègues rapporteurs pour avis, Bruno Retailleau pour la commission des affaires économiques, Claude Domeizel pour la commission de la culture et Yves Rome pour la commission du développement durable.
De son côté, il faut le reconnaître, le Gouvernement s’est également saisi de la question de l’optimisation fiscale pratiquée par les multinationales de l’internet, même s’il ne l’a fait que tardivement. Ainsi, à l’échelon national, il a lancé, en juillet 2012, une mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique dont l’un des objectifs consistait précisément à dégager des propositions en matière de localisation et d’imposition des bénéfices, du chiffre d’affaires, ou, éventuellement, de définition d’autres assiettes taxables. Nous avons auditionné la semaine passée les auteurs de ce rapport d’expertise, rendu public le 18 janvier dernier.
Le Gouvernement a également prolongé son action sur le plan international et européen. En effet, il s’est associé à la saisine de l’OCDE, en novembre dernier, sur la question de la territorialité des bénéfices et de l’érosion des bases fiscales et à celle de la Commission européenne, afin de définir une approche européenne de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales dans le domaine de l’économie numérique.
Les questions soulevées sont très techniques et s’insèrent dans un environnement juridique national, européen et international très complexe. Aussi ai-je procédé en urgence à de nombreuses auditions et consultations pour tenter d’acquérir un vernis de connaissance sur ce sujet.