compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
Mme Odette Herviaux,
Mme Catherine Procaccia.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mise au point au sujet d'un vote
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, dans les résultats du scrutin public n° 88 sur l'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Chantal Jouanno et M. Christian Namy, tendant à supprimer l'article unique de la proposition de loi visant à créer des zones d’exclusion pour les loups, M. Marc Daunis a été annoncé comme votant pour, alors qu’il souhaitait ne pas prendre part au vote.
M. Jean Desessard. Il y avait un loup ! (Sourires.)
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
3
Cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la suite de la discussion de la proposition de loi visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels, présentée par Mme Isabelle Debré et plusieurs de ses collègues (proposition n° 555 [2011-2012], texte de la commission n° 182, rapport n° 181).
Je rappelle que nous avions commencé l’examen de ce texte le mercredi 12 décembre dernier et que nous avions entendu l’intervention de Mme le rapporteur et de Mme la ministre.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre assemblée examine en première lecture la proposition de loi de notre collègue Isabelle Debré visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, avec des revenus professionnels.
Le nombre d’allocataires de l’ASPA est en augmentation et pourrait s’accroître.
Dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale pour 2012, la Cour des comptes observe que « la dégradation récente des ressources moyennes des allocataires traduit une évolution préoccupante ». En effet, d’après une enquête réalisée par le Fonds de solidarité vieillesse sur les allocations du minimum vieillesse au 31 décembre 2010, le nombre de bénéficiaires de l’ASPA a connu une progression de près de 20 % par rapport à 2010. L’enquête révèle également que les femmes représentent plus des trois quarts de l’ensemble des allocataires isolés et 62 % des allocataires isolés âgés de 65 à 70 ans.
Je tiens à rappeler que, compte tenu de l’écart important qui s’était creusé entre le montant du minimum vieillesse et le seuil de pauvreté, le précédent gouvernement avait décidé, dans le cadre du « rendez-vous de 2008 sur les retraites », d’accroître de 25 % le montant de l’ASPA pour les personnes isolées et des deux allocations du minimum vieillesse pour les personnes seules.
L’arrivée à l’âge de la retraite de générations nombreuses aux carrières professionnelles plus discontinues que leurs devancières pourrait conduire à une augmentation à venir du nombre d’allocataires. Qui plus est, les effectifs d’allocataires demeurent probablement inférieurs au nombre de personnes éligibles, en raison d’un défaut d’information. Cette situation s’explique par la difficulté d’identifier les populations concernées. Certaines personnes âgées n’avaient en effet pas droit au minimum vieillesse quand elles ont liquidé leur retraite. Lorsque le plafond de cette aide sociale a été progressivement revalorisé, ces dernières n’ont pas forcément pensé – elles n’ont peut-être pas été alertées – qu’elles pouvaient bénéficier d’un complément de revenu via ce dispositif.
L’état actuel du droit place les allocataires du minimum vieillesse dans une situation d’iniquité par rapport aux autres retraités qui peuvent bénéficier, depuis 2003, du cumul emploi-retraite.
Comme vous le savez, le dispositif du cumul emploi-retraite permet de percevoir simultanément une pension de retraite et des revenus d’activité. D’abord soumis à certaines conditions, notamment de plafonnement, le cumul a été intégralement libéralisé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Dans le cadre de ses premiers travaux, le Conseil d’orientation des retraites faisait d’ailleurs valoir que « le droit à la retraite ne prive pas les retraités d’un droit fondamental, le droit au travail ».
Dans son rapport relatif à l’évaluation du cumul emploi-retraite, l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, note un développement très important du recours à ce dispositif depuis l’assouplissement intervenu en 2009. Selon les estimations les plus récentes, environ un demi-million de personnes y recourent à l’heure actuelle. Cela souligne l’effet bénéfique de cet assouplissement. Cependant, en l’état actuel du droit, lorsqu’ils perçoivent des revenus professionnels, les titulaires de l’ASPA sont particulièrement pénalisés : non seulement la sécurité sociale leur prélève des cotisations, mais elle retire aussi, mécaniquement, du montant de la prestation les revenus d’activité perçus, ce qui conduit à annuler le bénéfice financier de l’activité professionnelle.
Face à ces règles de calcul de l’ASPA, le texte qui nous est soumis aujourd’hui prévoit d’introduire davantage d’équité en ouvrant la possibilité aux titulaires du minimum vieillesse, lorsqu’ils souhaitent travailler et qu’ils sont bien évidemment en mesure de le faire, de cumuler cette allocation avec les revenus professionnels perçus sans être pénalisés. Je tiens d’ailleurs à rappeler que ce n’est qu’une faculté. Il n’y a bien évidemment rien d’obligatoire dans ce dispositif.
Ce système permettrait en outre de répondre à des demandes d’emploi non couvertes. Je pense par exemple au coup de main qui pourrait être apporté par une personne âgée un ou deux jours par semaine pour assurer l’ouverture d’un petit commerce dans nos campagnes. Et je pourrais multiplier les exemples de travaux qui ne trouvent pas forcément preneur !
Face à la situation injuste que je viens d’évoquer, la proposition de loi est pleinement cohérente avec une recommandation de l’IGAS, qui, dans un rapport publié au mois de juin dernier, affirmait qu’« un mécanisme d’intéressement pour le minimum vieillesse corrigerait un facteur d’inégalité dans l’accès au cumul emploi-retraite », ajoutant que cette évolution devait « intervenir dans une logique d’intéressement comparable à celle qui existe déjà pour d’autres minimums sociaux ».
De plus, cela n’entraînera aucun surcoût pour les finances sociales, puisque le minimum vieillesse aurait été payé de toute façon et que les activités donneront lieu à des cotisations supplémentaires qui seront versées aux caisses de sécurité sociale.
Il s’agit donc de permettre aux titulaires du minimum vieillesse de cumuler leur allocation avec des revenus d’activité dans la limite de 1,2 SMIC pour une personne seule et de 1,8 SMIC pour un couple. La fixation d’un plafond de cumul paraît nécessaire, puisqu’il s’agit d’une allocation qui relève de la solidarité nationale.
M. Jean Desessard. Voilà !
Mme Catherine Deroche. Pour conclure, je tiens à remercier notre collègue Isabelle Debré d’avoir proposé un dispositif destiné à corriger une injustice. Certes, ce texte ne pourra pas résorber l’ensemble des situations de pauvreté dans lesquelles se trouve une partie des personnes âgées. Il permettra toutefois aux personnes âgées de 65 à 75 ans environ qui souhaitent travailler et qui peuvent le faire de compléter leurs ressources par un revenu d’activité et de maintenir un lien social.
Le groupe UMP dans son ensemble votera avec conviction ce texte cosigné par un grand nombre de ses membres.
Mme Isabelle Debré, rapporteur de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à M. René Teulade.
M. René Teulade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une étude publiée au mois de décembre dernier nous rappelle, s’il en était nécessaire, la priorité absolue que constitue la lutte contre les facteurs d’exclusion sociale et de pauvreté. Au début de ce mois, Eurostat relayait le même message, soulignant que, en 2011, près d’un quart de la population européenne, soit 120 millions de personnes, était menacé par ces deux tragiques phénomènes.
Ces chiffres, réalité glaciale sans concession, viennent heurter de plein fouet la chaleureuse illusion qu’a fait naître notre modèle économique, celle d’un bien-être et d’une prospérité partagés. Il n’en est rien. Au contraire, comme le démontre une récente étude de l’INSEE – la péroraison ne surprendra personne –, les inégalités se sont encore creusées sous l’effet de la crise économique.
Ainsi, comment s’étonner qu’au-delà de la pauvreté monétaire et matérielle la perception du sentiment de pauvreté progresse inexorablement au sein de la société française, des classes populaires aux classes moyennes, de la jeunesse aux personnes âgées ? L’incertitude du lendemain, la peur du déclassement créent une angoisse qui peut être « anéantissante ». Au bout de cet obscur tunnel, l’anxiété provoque cette perte d’espoir dans l’avenir dont le sentiment de devenir pauvre est l’une des nombreuses facettes, au même titre que la perte de croyance dans notre système de protection sociale ou cette sensation qu’aucun horizon ne se lève devant notre jeunesse. Heureusement, des mesures sont prises par le Gouvernement pour pallier ces difficultés.
Parmi ceux qui estiment vivre dans l’indigence, les seniors et les personnes âgées sont malheureusement au premier plan. Aussi, les allocataires du minimum vieillesse, destinataires de la proposition de loi présentement soumise à notre examen, sont par essence affectés par la pauvreté et l’exclusion sociale. En effet, ce dispositif de solidarité, fortement remanié en 2007 avec la création de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, vise à garantir un revenu minimal aux personnes âgées d’au moins 65 ans n’ayant pas suffisamment cotisé, ou n’ayant pas pu le faire, aux régimes de retraite au cours de leur carrière. Pour bénéficier de cette allocation de dernier ressort, les titulaires doivent faire valoir en priorité l’ensemble de leurs droits en matière de pensions de retraite avant de recourir éventuellement au minimum vieillesse. Depuis le mois d’avril dernier, ce minimum vieillesse s’établit à 777 euros par mois et concerne environ 580 000 personnes, soit 4 % des 60 ans et plus.
Pour autant, les revalorisations successives de cette allocation ne masquent pas l’écart persistant avec le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian, c’est-à-dire 964 euros. En d’autres termes, eu égard au renchérissement général du coût de la vie, bénéficier du minimum vieillesse ne garantit aucunement de sortir de la pauvreté ; tout au plus, permet-il de mieux y faire face, de mieux survivre.
M. Jean Desessard. C’est déjà bien !
M. René Teulade. Certes, mais il ne permet en aucun cas de mieux vivre.
Devant ce tableau, la proposition de loi entend ouvrir la possibilité de cumuler le minimum vieillesse avec des revenus professionnels. Étant donné la situation dans laquelle peuvent se trouver les bénéficiaires de cette allocation, la tentative de parvenir à une solution immédiate qui participe à l’amélioration de leurs conditions de vie peut se comprendre. Nous ne pouvons pas rester insensibles à la précarisation des personnes âgées et faire fi de la paupérisation croissante dont elles sont victimes au nom d’un quelconque dogme ; ce serait une erreur.
En outre, il est évident qu’un nombre non négligeable des plus de 65 ans travaillent aujourd’hui au noir et cumulent, de fait, leur allocation avec un emploi illégal. Encadrer juridiquement cet état de fait serait donc de nature à mieux protéger les intéressés et, par conséquent, à faire respecter leurs droits.
Néanmoins, à la lecture du texte, plusieurs problématiques apparaissent et des incohérences doivent être soulevées.
Ainsi, un élément majeur affaiblit la portée du dispositif proposé. Selon une enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques de 2010, l’âge moyen des allocataires du minimum vieillesse est de 75 ans ; seul un tiers des bénéficiaires a entre 60 et 75 ans et plus d’un tiers a plus de 80 ans. Sachant que l’espérance de vie moyenne en France est de 81 ans, n’est-il pas illusoire et pernicieux d’envisager un retour à l’emploi de ces personnes ?
Ne nous voilons pas la face, nous savons pertinemment quels types d’emplois seraient occupés par les intéressés : des emplois pénibles, à temps partiel compte tenu du plafonnement mis en place ; les conditions de travail douteuses pourraient in fine nuire à leur santé.
Or nous ne pouvons accepter que l’amélioration des conditions matérielles de vie se fasse au détriment de la condition sine qua non de l’existence : la santé. La nécessité ne doit pas conduire à reprendre une activité forcée, à un âge peut-être trop avancé et déraisonnable, qui pourrait alors aboutir à une mort précoce.
Au-delà de l’aspect sanitaire, qui ne peut être négligé, une interrogation importante questionnant la philosophie de la proposition de loi mérite d’être posée : est-il réaliste d’envisager que la grande majorité des allocataires du minimum vieillesse puissent obtenir un emploi, alors même que le chômage est en hausse depuis vingt mois ?
Je ne vais pas m’attarder sur ce sujet, mais, loin d’être un problème conjoncturel, le taux d’emploi des jeunes et des seniors est particulièrement préoccupant. À titre d’exemple, le taux d’emploi des personnes âgées de 60 à 64 ans est de 18,1 %. À cet égard, la priorité accordée par le Gouvernement à l’emploi, qui trouve notamment sa traduction dans le contrat de génération qui sera discuté au sein de notre hémicycle la semaine prochaine, doit être soutenue. Seules des réformes structurelles permettront d’enrayer la spirale négative actuelle et de lutter contre des phénomènes iniques tels que la surreprésentation des femmes parmi les allocataires isolés du minimum vieillesse, qui résulte, en particulier, de l’extrême faiblesse des droits à pension de retraite qu’elles ont acquis au cours de leur vie active.
Pour conclure, je dirai que l’objectif assigné à cette proposition de loi, à savoir l’amélioration des conditions de vie matérielles des titulaires du minimum vieillesse, est respectable. La conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui s’est tenue le mois dernier, fait écho à cette préoccupation et témoigne de l’acuité de ce fléau qu’est l’exclusion sociale.
Au demeurant, le Gouvernement en a pris la mesure, comme en témoignent le rétablissement de l’allocation équivalent retraite par décret et les annonces du Premier ministre lors de la présentation du plan contre la pauvreté, adopté en amont par le Comité interministériel de lutte contre l’exclusion, la semaine dernière. D’ici à 2017, ce seront entre 2 milliards et 2,5 milliards d’euros par année qui seront investis afin de lutter contre l’indigence. Pour exemple, le revenu de solidarité active socle sera relevé de 10 %, un contrat d’insertion sera mis en place pour combattre la pauvreté des jeunes non diplômés, tandis que la couverture maladie complémentaire sera étendue à 750 000 personnes supplémentaires.
Enfin, le plus substantiel réside peut-être dans le changement de regard porté sur les victimes de la pauvreté, prémisses d’une réconciliation avec ceux que la société a souvent feint de ne pas voir et qui étaient, dans la bouche de Jean Gabin, les « salauds de pauvres », insulte lourde de sens, aux multiples interprétations et d’une violence insupportable, mais qui a pu trouver, par le passé, ses ardents défenseurs.
La négation de tout déterminisme social, la croyance aveugle dans un système méritocratique en proie à de graves difficultés et la montée de l’individualisme ont accouché d’harangues stigmatisantes à l’endroit des bénéficiaires d’allocations, accusés, au gré des vents populistes, d’être des fainéants, des assistés ou des profiteurs. Ce temps-là, celui de la misère politique, est désormais révolu.
Par conséquent, le groupe socialiste ne s’opposera pas à l’ouverture d’un droit au cumul emploi-minimum vieillesse. Pour autant, il répète, sans vergogne, que ce dispositif n’est qu’un palliatif à l’augmentation des minima sociaux, qui reste la solution idoine, la vraie réponse. Il s’abstiendra donc sur cette proposition de loi parcellaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, n’en déplaise à notre collègue du groupe UMP, la proposition de loi qui tend à autoriser le cumul des ressources issues d’une reprise d’activité professionnelle et l’allocation de solidarité aux personnes âgées est, pour nous, l’exemple même d’une mauvaise réponse à une vraie question.
Que l’on partage ou non l’objet de cette proposition de loi, le sujet qui s’impose est celui de la paupérisation des retraités et des personnes âgées.
Nous rencontrons de plus en plus fréquemment des retraités qui vivent dans une plus ou moins grande fragilité sociale. Comment ne pas rappeler que la retraite médiane se situe autour de 1 100 euros par mois et que, selon l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, sous l’effet conjugué de la précarité croissante qui touche les salariés et de la baisse du taux de remplacement, le niveau moyen des pensions pour les nouveaux retraités devrait passer, en 2020, à 850 euros nets mensuels ! Cet effondrement des pensions est l’une des conséquences des réformes initiées depuis 1993 en matière de retraites.
Par ailleurs, le rapport de Mme Debré le rappelle, nous sommes confrontés à une importante hausse des bénéficiaires de l’ASPA, preuve, là encore, de cette paupérisation qui frappe, faut-il le rappeler, principalement les femmes, victimes des temps partiels et des inégalités salariales. Pour autant, bien que nos vues puissent converger sur certains éléments du constat, nous ne partageons pas la solution formulée dans cette proposition de loi.
Les travaux de la conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale interrogent clairement le Gouvernement sur les mesures qu’il lui incombe de prendre pour rompre avec la spirale de la précarité dans laquelle de plus en plus de nos concitoyens sont enfermés. Celle-ci atteste de l’urgence qu’il y a à revaloriser les minima sociaux, afin qu’aucun d’entre eux ne soit inférieur au seuil de pauvreté.
Ainsi, s’agissant de cette proposition de loi, nous ne considérons pas que, pour renforcer le pouvoir d’achat des bénéficiaires de l’ASPA – d’une partie seulement d’entre eux en réalité –, il n’y aurait qu’une piste possible : la reprise de l’activité professionnelle. Cette solution, apparemment simple, voire simpliste, méconnaît les situations personnelles dramatiques dans lesquelles peuvent se trouver certains bénéficiaires. En effet, on voit mal comment un bénéficiaire de l’ASPA reconnu définitivement inapte au travail pourrait reprendre une activité professionnelle.
Certains à droite – nous l’avons vu lors des travaux en commission – considèrent que cette inégalité est naturelle. C’est méconnaître le fait que, dans la majorité des cas, cette inaptitude est la conséquence directe de l’activité professionnelle précédente. Il y aurait donc, d’un côté, des travailleurs détruits par le travail, qui devraient survivre avec l’ASPA, et, de l’autre, des bénéficiaires en meilleure santé, à qui l’on ne préconiserait rien d’autre que de continuer à s’user au travail…
Qui plus est, la proposition de loi, en faisant explicitement référence au cumul emploi-retraite, ignore le « portrait social » des bénéficiaires de l’ASPA. Si les retraités qui cumulent pension et activité sont d’abord et avant tout des cadres, avec des revenus et des pensions élevés, ce n’est évidemment pas le cas des bénéficiaires de l’ASPA. Il s’agit, par définition, de publics fragilisés, pour qui la reprise d’une activité professionnelle relèverait plus d’une question de survie que de la volonté de rester actif.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Dominique Watrin. Notre collègue Isabelle Debré présente sa proposition comme une mesure de liberté. Nous considérons pour notre part que c’est une mesure profondément libérale…
Mme Isabelle Debré, rapporteur. Je veux bien accepter ce terme !
M. Dominique Watrin. … puisqu’elle tend à faire croire que chacun serait libre de reprendre une activité, c’est-à-dire responsable pour lui-même. Tout cela sans que soit jamais abordée la question de la responsabilité sociale des entreprises, qu’il s’agisse du maintien des seniors dans l’emploi, de l’émiettement des temps de travail, de la précarisation des contrats et des rémunérations ou encore de la dégradation des conditions de travail.
C’est en réalité une mesure corsetée, qui ne tient compte ni de la précarité sociale, sanitaire et physique des bénéficiaires de l’ASPA, qui les enferme dans la pauvreté, ni de la réalité même de ce qu’on appelle le « marché du travail ».
Si j’en crois l’esprit de la proposition de loi, il suffirait que les bénéficiaires de l’ASPA souhaitent reprendre une activité professionnelle pour qu’ils puissent le faire. Or les chiffres montrent le contraire : le taux d’emploi des seniors est en France particulièrement bas. Je vous fais grâce des statistiques, mes chers collègues, mais sachez, à titre d’exemple, que le taux d’activité des 55-64 ans en France est inférieur de plus de 7 points au taux d’activité moyen dans l’Union européenne.
Prétendre que les bénéficiaires de l’ASPA pourraient reprendre une activité professionnelle constitue donc, selon nous, une analyse erronée du marché du travail. Au contraire, les employeurs sont de plus en plus enclins à se séparer des salariés les plus âgés, qu’ils considèrent comme étant peu productifs et trop chers. En outre, 23 % des ruptures conventionnelles concernent les plus de 58 ans. De plus en plus de salariés âgés, classés dans la catégorie des actifs, sont en réalité inscrits à Pôle emploi.
Pour conclure, je voudrais que nous nous interrogions toutes et tous sur le projet de société que nous voulons léguer à nos enfants. Voulons-nous, comme c’est le cas dans de très nombreux pays – j’en ai visité certains –, que des retraités, déjà usés par le travail, soient contraints, en raison de leur pauvreté, de tenter de reprendre une activité, qui s’apparente le plus souvent à un sous-travail ou à un mal-travail ? Voulons-nous obliger des retraités issus de la fraction la plus pauvre des salariés à reprendre une activité professionnelle, alors que leur activité passée a déjà réduit leur espérance de vie de sept ans en moyenne ?
Pour notre part, nous ne voulons pas de cette société et nous appelons le Gouvernement à répondre à l’urgence sociale que cette proposition de loi a le mérite de souligner en mettant en œuvre, dans les meilleurs délais, une revalorisation des minima sociaux de sorte qu’aucun d’entre eux ne soit inférieur au seuil de pauvreté.
Serait-ce un défi trop ambitieux à l’heure où le Gouvernement sait trouver 20 milliards d’euros de crédit d’impôt pour les entreprises ? Nous ne le pensons pas. Nous invitons au contraire chacun, à partir de ce constat partagé de paupérisation d’une part non négligeable des retraités, à prendre en compte cette donnée essentielle lors du prochain rendez-vous des retraites. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des mesures dont on peut s’étonner qu’elles n’aient pas été prises plus tôt. Celle que nous propose notre collègue Isabelle Debré aujourd’hui en fait bien partie.
Je tiens dès à présent à saluer, au nom de mon groupe, la qualité du travail réalisé par la commission des affaires sociales et, en son sein, par notre collègue, à la fois comme auteur et rapporteur du présent texte.
Cela a été rappelé, il s’agit d’ouvrir un droit, une liberté : la possibilité pour les titulaires du minimum vieillesse et de l’allocation de solidarité aux personnes âgées de pouvoir cumuler leur allocation avec des revenus d’activité, dans la limite de 1,2 SMIC. Il s’agit, ni plus ni moins, de corriger un étonnant archaïsme, puisque les allocataires du minimum vieillesse et de l’ASPA sont aujourd’hui les seuls retraités à ne pas pouvoir bénéficier du cumul emploi-retraite. En effet, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 en a totalement libéralisé le régime pour tout autre pensionné.
Voilà bien un paradoxe puisque, par définition, les allocataires du minimum vieillesse et de l’ASPA sont ceux qui en ont le plus besoin. En effet, comme cela vient d’être rappelé, ils sont ceux des retraités dont les revenus sont les plus faibles. Il s’agit donc simplement là, je le répète, de corriger un archaïsme connu, que l’IGAS avait parfaitement identifié dans son rapport relatif à l’évaluation du cumul emploi-retraite.
Cette analyse, combinée avec les prévisions de la Cour des comptes, selon lesquelles le minimum vieillesse et l’ASPA devraient encore monter en charge dans les années à venir, rend la présente réforme d’autant plus pertinente et urgente à réaliser. De surcroît, sur le plan juridique, le texte qui nous est proposé ne paraît pas critiquable. Le minimum vieillesse et l’ASPA étant des prestations de solidarité, le cumul emploi-retraite autorisé sera logiquement plafonné.
Les seules critiques qui auraient pu être adressées à la mouture initiale sont tombées avec l’adoption des amendements de Mme la rapporteur. Afin qu’il n’y ait pas d’incohérence ou de rupture d’égalité, il paraît en effet nécessaire d’établir un plafond différencié pour les couples et de permettre le cumul aux bénéficiaires du minimum vieillesse, de la même manière que le texte le prévoyait initialement pour les allocataires de l’ASPA.
Si nous soutenons la présente proposition de loi pour des raisons juridiques et d’équité, nous sommes également totalement en phase avec sa philosophie. Le cumul emploi-retraite représente en effet un élément important de ce que nous avons toujours défendu, à savoir la retraite à la carte, c’est-à-dire la possibilité, pour ceux qui veulent et peuvent s’arrêter, de le faire, et pour ceux qui souhaitent et veulent continuer, même partiellement, de le faire également.
Nous soutenons aussi ce texte en raison de sa dimension psychologique, sociologique voire sociétale. Permettre aux personnes retraitées de poursuivre, même partiellement, une activité n’est neutre ni pour eux ni pour la société.
Pour eux, c’est fondamental, parfois vital : beaucoup de retraités ont besoin de maintenir une activité pour ne pas perdre prise avec la société ni même avec la vie. Telle est leur volonté.