Mme Isabelle Debré, rapporteur. Tout à fait !
M. Hervé Marseille. Pour la société, ce n’est pas neutre non plus : les actifs d’aujourd’hui ont besoin de l’expérience de leurs aînés. Ce n’est pas au moment où nous allons discuter du contrat de génération que nous pouvons dire le contraire.
Si donc ce texte nous paraît difficilement contestable, à la fois juridiquement et philosophiquement, il n’en a pas moins, à notre grande surprise, fait l’objet de reproches.
Ces observations ont été exprimées lors des débats en commission, notamment du côté de nos collègues du groupe CRC. Il est reproché à cette proposition de loi d’engendrer des situations d’inégalité entre ceux qui pourront reprendre une activité et ceux qui ne le pourront pas. Cette remarque est juste.
Cependant, mes chers collègues, est-ce le texte ou la vie elle-même qui est à l’origine de ce type d’inégalité ? En effet, à tout âge, des gens ont la possibilité de travailler et d’autres ne le peuvent pas, en raison soit de la situation du marché du travail, comme l’a rappelé notre collègue René Teulade tout à l'heure, soit, simplement, de problèmes de santé. Mais il ne faut pas oublier la volonté d’agir, la volonté de rester dans la vie.
Il est une autre critique, plus fondamentale sans doute : ce texte serait une fausse bonne réponse à une vraie question, celle de la pauvreté du public concerné. La vraie bonne réponse, évidemment, est à trouver dans le relèvement du minimum vieillesse et de l’ASPA.
Cependant, l’un n’est pas exclusif de l’autre : en quoi ouvrir un droit au cumul emploi retraite interdirait-il de relever les allocations ? Nous connaissons les contraintes budgétaires qui pèsent sur les comptes publics aujourd’hui et qui ne permettent pas de décider de relèvements importants. Pour autant, nous avons pu augmenter ces allocations de 25 % – et ce n’était pas suffisant – il y a quelques années dans le cadre du rendez-vous 2008 sur les retraites.
Faut-il aller plus loin ? Certainement. Mais cela engendrerait une dépense supplémentaire et nous connaissons le poids des déficits publics, aujourd’hui. Il s’agit d’un choix politique et il convient dès lors de se tourner vers le Gouvernement, ce que je fais, madame la ministre, en vous demandant s’il est prévu de mettre en place un plan de revalorisation pour le minimum vieillesse et l’ASPA ? Si tel était le cas, nous ne pourrions que nous en féliciter, et cela constituerait à nos yeux une raison supplémentaire de voter cette pertinente proposition de loi. (Mme la rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans son discours de clôture de la conférence contre la pauvreté, M. le Premier ministre a dressé, mardi 11 novembre dernier, un diagnostic réaliste et sans appel de la pauvreté en France, un diagnostic que, je crois, nous sommes nombreux à partager, quel que soit le côté de l’hémicycle où nous siégeons.
Le débat auquel nous invite cette proposition de loi visant à autoriser le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels repose sur un constat irréfutable : à l’âge de la retraite, de plus en plus de Français sont obligés de reprendre une activité salariée. Le débat est donc légitime.
Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, plus de 500 000 retraités, sur un total de 15 millions, travaillent tout en percevant une pension. Ce chiffre a presque triplé en moins de six ans, passant de 120 000 en 2005 à 310 000 en 2011. Une telle situation est alarmante en raison de tout ce qu’elle traduit.
Cette augmentation peut être en partie attribuée à la crise mais en partie également à la politique libérale menée depuis plusieurs années dans notre pays, laquelle va à l’encontre des politiques sociales. Ces dernières se doivent de combattre, mais aussi de prévenir, la pauvreté.
Ainsi, à l’âge de la retraite, certains seniors se trouvent dans la plus grande des précarités, souvent après un parcours de vie déjà difficile et chaotique.
Ces derniers mois, nous avons à juste titre beaucoup parlé des jeunes et de leurs difficultés à se former ou à s’insérer dans le marché du travail. La semaine prochaine, lors de la discussion sur les contrats de génération, nous parlerons des seniors. Mais n’oublions pas les retraités, car, avec les jeunes, ce sont eux qui sont les plus exposés !
Plus de 10 % des retraités – majoritairement des femmes vivant seules – perçoivent une pension inférieure à 600 euros par mois, bien en dessous du seuil de pauvreté. À la fin de l’année 2010, 576 300 personnes étaient bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées et percevaient 709 euros par mois. Près des deux tiers de ces personnes étaient des femmes, pénalisées parce qu’elles n’avaient pas suffisamment cotisé durant leur vie professionnelle.
Les retraités représentent aujourd’hui 15 % des personnes venant solliciter auprès des organisations caritatives, une aide alimentaire ou un soutien financier pour régler un loyer, une facture d’électricité, de gaz ou de frais médicaux.
Maire d’une collectivité de 14 000 habitants et président du comité communal d’action sociale, le CCAS, j’observe le même phénomène. Il s’agit d’une constatation tout simplement inadmissible, mes chers collègues.
Alors, oui, dans ces conditions, il n’y a rien de surprenant à ce que les seniors soient de plus en plus nombreux à offrir leurs services pour distribuer publicités ou journaux.
Combien de sites spécialisés se sont-ils ainsi créés, sur lesquels on peut trouver toute une panoplie d’offres et de services qui échappent aux chiffres officiels, car ce sont bien souvent des activités non déclarées ?
Dans toute cette panoplie figurent le bricolage, le jardinage, la garde d’enfants, des heures de ménage, tout ce qui tourne autour des aides aux personnes âgées – et c’est d’ailleurs assez paradoxal…
Au travers de toutes ces annonces, ce sont des hommes, des femmes qui connaissent d’importantes difficultés et cherchent malgré tout à conserver une certaine dignité : « À la retraite depuis mars 2011 mais toujours de l’énergie à donner, cherchant des heures de bricolage, car il n’a qu’une très petite retraite », pouvait-on lire dans un quotidien régional de Bretagne ; ou bien encore cette femme qui propose « Petit ménage et repassage, qui lui permettront de trouver un complément de retraite avec le plaisir du contact avec de nouvelles personnes », proposait également une femme .
Ces annonces, ces témoignages se multiplient et reflètent à la fois la paupérisation d’une partie des retraités et leur isolement.
Alors oui, la question de permettre le cumul de l’ASPA avec des revenus professionnels peut sans doute se poser.
Je crois cependant qu’il faut trouver un équilibre afin de répondre aux difficultés de ces seniors et leur permettre de vivre une retraite digne.
Bien entendu, l’autorisation du cumul de l’ASPA avec des revenus professionnels permettrait de lutter contre le travail au noir, voire le travail « au gris », tout en rendant possible un meilleur état des lieux.
Mais souhaitons-nous vraiment voir le marché de l’emploi senior promis à un bel avenir ou, au contraire, préférons-nous répondre de nous-mêmes aux difficultés de ces seniors en augmentant leurs droits ? La question est posée, mes chers collègues.
Il est important de se rendre compte que, si la situation est certes délicate aujourd’hui, les prochaines vagues de retraités correspondront à des générations qui auront connu le chômage ou le temps partiel, autant de périodes où l’on cotise moins pour sa retraite.
Et que dire de tous ceux qui auraient dû bénéficier de l’allocation équivalent retraite, l’AER, et qui ont dû attendre ce mois de janvier et l’initiative heureuse du Premier ministre qui l’a rétablie par décret ? Je tiens à souligner au passage la persévérance de mon collègue Martial Bourquin sur cette question.
Ce n’est pas en maintenant les prestations en dessous du seuil de pauvreté que l’on pourra lutter contre cette paupérisation des retraités. Il convient d’analyser la situation dans sa globalité et, surtout, sur le long terme.
Madame la ministre, vous avez annoncé qu’un état des lieux précis de ces situations était en cours, que les résultats seraient rendus publics et que le Gouvernement mettrait ensuite en place un dispositif permettant de répondre durablement à l’urgence sociale dont nous héritons aujourd’hui. Je ne peux que m’en féliciter.
À partir de 2014, les pensions des retraités imposables seront soumises à un prélèvement annuel de 0,15 % pour financer la perte d’autonomie. C’est un premier effort solidaire, mais je ne peux m’empêcher de m’insurger en voyant que, face à cette pauvreté croissante, les salaires des patrons du CAC 40, eux, ne connaissent pas la crise ! Toujours plus haut, toujours plus ! En 2011, les salaires des grands patrons ont progressé de 4,7 % par rapport à 2010.
Où est ce juste équilibre, je vous le demande ? D’un côté, la pauvreté s’accroît, de l’autre les rémunérations s’envolent ! Tout cela sans parler des exilés fiscaux, ces personnes qui souhaitent devenir encore plus riches en s’exonérant de la solidarité envers les autres Français. Heureusement, ils sont encore peu nombreux. Cependant, nous nous devons de lutter maintenant contre toutes les formes de fraudes, et en particulier, en période de grande crise, contre la fraude fiscale. C’est une obligation, un devoir !
Le sentiment de pauvreté touche près d’un Français sur deux. Il est donc de notre devoir d’enrayer ce sentiment, qui est aussi une réalité. Nous devons proposer des dispositifs durables et en adéquation avec notre politique sociale. Aussi, comme l’a brillamment expliqué notre collègue René Teulade tout à l'heure, le groupe socialiste s’abstiendra-t-il sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites. Je me contenterai donc de prendre l’exemple de deux personnes à la retraite.
La première personne est un homme, âgé de 60 à 70 ans. Il a connu une carrière continue depuis qu’il a commencé à travailler, il a gravi les échelons dans sa profession, terminé sa carrière et liquidé ses trimestres. Il dispose aujourd’hui d’une pension moyenne de 1 955 euros par mois, soit un niveau de vie supérieur à 25 930 euros. Il se situe, pour reprendre les termes de nos statisticiens, dans le quatrième quartile en termes de niveau de vie, soit le plus élevé. M. Watrin résume la situation en un mot : c’est un cadre. Il a raison.
La seconde personne est une femme. Elle a plus de 65 ans et a atteint l’âge de la retraite bien qu’elle n’ait pas liquidé tous ses trimestres. Pourquoi ? Parce que, comme beaucoup de femmes, elle a eu une carrière incomplète ; elle a parfois aidé son mari agriculteur, par exemple, sans avoir pu bénéficier du statut de conjoint exploitant. Elle a eu des enfants et a travaillé un temps comme salariée à temps partiel. Sa petite retraite ne lui permettant pas d’atteindre un niveau de vie suffisant, elle bénéficie aujourd’hui du niveau maximal de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, soit 777 euros par mois.
La première personne, le cadre, a choisi de continuer à travailler. Le travail lui plaît – quand on est cadre, le travail plaît en général davantage –, et sa femme continue à travailler. Il lui fallait une « occupation » et il en avait la possibilité grâce aux contacts conservés dans l’entreprise. Bref, il reprend une activité et, point positif pour lui, non seulement il en a la possibilité, mais encore ne perd-il aucun droit sur sa pension. Mieux : il peut, lui, cumuler revenu et pension. Certes, il ne s’ouvre pas de nouveaux droits à pension en reprenant l’activité qu’il avait déjà.
Elle aussi continue à travailler pour donner un coup de main, par exemple à son fils s’il a repris l’exploitation ; juste de temps en temps. Cependant, elle ne peut pas dégager de revenu puisqu’il n’est pas possible de cumuler un revenu d’activité avec la pension.
Nous voilà donc, d’une part, avec un cadre qui, lui, peut continuer à travailler et cumuler une retraite relativement importante avec le revenu d’activité, et, d’autre part, une personne ayant un revenu bien inférieur qui, même si elle travaille, ne peut pas bénéficier de ce cumul.
Vous me dites qu’il faut attendre des lendemains meilleurs pour régler cette situation… Cependant, vous ne pouvez pas ne pas voir combien il paraît injuste que la personne ayant la pension la plus basse ne puisse pas en cumuler le montant avec un revenu d’activité !
Alors, certes, il existe une difficulté liée au mécanisme même de l’ASPA : les revenus d’activité sont pris en compte pour déterminer l’éligibilité à ce dispositif et pour calculer le montant à percevoir. Dès lors que l’on travaille, on court le risque de perdre tout ou partie de cette allocation. C’est le cas aujourd’hui.
Mme Debré, rapporteur, propose de contourner cette difficulté en autorisant un cumul avec plafonds. Il s’agit d’une bonne chose même si, madame la ministre, il sera nécessaire de mener une réflexion plus large.
L’Inspection générale des affaires sociales a d’ailleurs souligné dans son évaluation du système de cumul emploi retraite que le système est complexe, source d’inégalités. Pour ma part, je vous l’ai démontré au travers de ces deux exemples. Ce système pourrait être amélioré en fusionnant les différents mécanismes existants, intra et inter-régime – il faudrait s’assurer que ce ne soit pas producteur de nouveaux droits –, en faisant en sorte qu’il devienne un atout pour la politique d’emploi des seniors.
Aujourd’hui, les carrières professionnelles ne sont plus une ligne continue – cela a été dit – ni un long fleuve tranquille ; elles sont constituées d’une succession d’emplois différents, d’une alternance de période d’emploi et de non-emploi. Les temps de la reconversion, de la formation, des stages, de l’installation sont autant de périodes considérées comme perdues pour préparer sa retraite ; ce sont autant de trimestres non acquis. Le risque est donc grand, au moment de la retraite, d’avoir une pension trop faible et de solliciter l’ASPA.
Et encore, je ne parle même pas des ruptures professionnelles subies en raison de la situation économique, de l’allongement de la durée des études, de la multiplication des stages et des premiers contrats précaires, entrecoupés de périodes de chômage souvent non indemnisées.
L’évolution permanente du marché du travail, conjuguée aux aspirations des personnes, va mécaniquement augmenter le nombre de personnes éligibles à l’ASPA, et donc celui des personnes âgées en situation financière difficile.
Ce qu’il faut, c’est la garantie d’un minimum à vivre. Sur ce point, je suis d’accord avec vous. Mais en attendant ces jours meilleurs, nous devons bien trouver des solutions. Aussi, dans l’attente d’un vrai débat sur la place du travail, sur son organisation, sur la garantie de revenus et de droits – c’est le plus important –, je m’en tiendrai à la question posée ce matin et vous confirme le vote favorable du groupe écologiste sur cette proposition de loi. (Mme la rapporteur et M. Hervé Marseille applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a pour ambition d’apporter une réponse à cette question qui nous alarme tous, celle de la pauvreté des personnes qui vivent avec le minimum vieillesse.
Pour ce faire, les auteurs de ce texte ont repris à leur compte cette piste de travail ouverte par Jean-Baptiste de Foucauld en 2010 : permettre aux titulaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées d’arrondir leurs fins de mois en cumulant leur pension avec les revenus qu’ils pourraient retirer d’un emploi déclaré. Selon lui, une telle mesure permettrait de corriger, en quelque sorte, un environnement incitatif au travail clandestin et en totale contradiction avec les politiques publiques destinées à promouvoir l’emploi des seniors. Plus globalement, sa réflexion s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la pauvreté chez les personnes âgées. Voilà une cause juste ! Et comment ne pas en convenir ?
En outre, le système proposé comblerait une lacune. Effectivement, dans le droit actuel, seules deux catégories de retraités peuvent accéder au dispositif de cumul emploi-retraite. Aux termes de l’article 88 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, il s’agit, tout d’abord, des assurés âgés de plus de 65 ans disposant d’une carrière complète – parfois, certains peuvent en bénéficier dès 60 ans. Puis, avec la publication du décret n° 2011-62 du 14 janvier 2011, le dispositif a été étendu aux personnes ayant exercé des professions libérales. Dans ces conditions, comment refuser aux retraités les plus précaires la possibilité d’améliorer leur pouvoir d’achat tandis que d’autres, mieux lotis, bénéficient déjà de cette faculté ?
Pour trancher cette question, encore faut-il faire l’effort de prendre en considération la réalité du terrain. Qui sont ces personnes auxquelles il est proposé de se remettre au travail pour arrondir leurs fins de mois ? Qui sont les allocataires de l’ASPA ? Ce sont des personnes âgées de plus de 65 ans qui n’ont pas suffisamment cotisé pour pouvoir disposer d’un revenu d’existence une fois l’âge de la retraite venu, ou encore celles qui sont âgées de plus de 60 ans et qui ont été déclarées inaptes au travail.
De ce point de vue, l’enquête sur les allocations du minimum vieillesse, publiée à la fin de l’année 2010 par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la DREES, permet de mieux comprendre de qui l’on parle. Voici comment y sont décrits les allocataires de l’ASPA : « Les personnes âgées de 80 ans ou plus et les personnes isolées sont surreprésentées parmi les bénéficiaires des allocations du “minimum vieillesse”. Les femmes, qui représentent les trois quarts des allocataires isolés, sont également largement majoritaires. Les bénéficiaires des allocations du minimum vieillesse sont proportionnellement plus nombreux dans les régions du sud de la France et les départements d’outre-mer. » Dans ces conditions, peut-on affirmer avec la plus grande sincérité que l’ouverture du cumul emploi-retraite aux allocataires de l’ASPA est de nature à constituer une solution nouvelle permettant à nos concitoyens les plus modestes de recouvrer plus de pouvoir d’achat, comme l’affirment les auteurs de la présente proposition de loi ? Nous ne le pensons pas.
Au-delà de son affichage ambitieux, cette proposition de loi cible une frange vraiment très étroite de la population, à savoir, parmi les bénéficiaires de l’ASPA, ceux qui sont encore en état de travailler, desquels il faut retrancher ceux qui parviendront effectivement à trouver un emploi. Je rappelle, mes chers collègues, que plus d’un tiers d’entre eux ont compté plus de quatre-vingts printemps ! De surcroît, les études relatives à l’évolution du nombre d’inscriptions à Pôle emploi publiées par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, le démontrent : à partir de 50 ans déjà, les salariés sont éjectés du monde professionnel. En l’état actuel des choses, tout laisse accroire que ceux qui ont au minimum 65 ans ne seront pas mieux considérés !
In fine, seuls quelques rares bénéficiaires de l’ASPA pourraient profiter de la mesure proposée par nos collègues. Le présent texte pourrait effectivement permettre à ceux qui exercent actuellement des petits boulots au noir de bénéficier d’une protection juridique. On peut aussi arguer du fait qu’il corrigerait une injustice : si un retraité ayant accompli une carrière complète peut cumuler pension et revenu d’activité, pourquoi un bénéficiaire de l’ASPA, dont la situation est par définition bien plus précaire, ne pourrait-il pas lui aussi arrondir ses fins de mois ?
Tels sont les deux apports concrets et positifs de la proposition de loi que nous examinons qui ont retenu notre attention.
Mais certains membres de mon groupe s’interrogent : s’il adoptait ce texte, quel message le Sénat enverrait-il à tous les allocataires de l’ASPA dans l’incapacité de retrouver un travail ?
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les membres du groupe du RDSE attendent de nos débats des éclaircissements. Nous déciderons donc de notre vote à l’issue de nos travaux. En cet instant, nous aurions plutôt tendance à opter pour une abstention positive.
Madame la ministre, je profiterai de cette intervention pour vous faire une remarque : il faut élargir le débat et mener une réelle réflexion car, dans les prochaines années, nous allons être confrontés à un problème de société, voire de démocratie. En effet, la situation actuelle de certains de nos concitoyens – et pas seulement celle des personnes qui sont visées par la présente proposition de loi – est très compliquée. Je pense aux jeunes qui sont aujourd'hui sans travail, qui n’ont aucune assurance quant à leur future pension de retraite mais qui sont censés payer les retraites de leurs aînés. Ils risquent de s’interroger un jour sur ces retraités privilégiés, majoritaires dans notre pays, qui ne travaillent pas et imposent, par exemple – c’est une hypothèse d’école –, un gouvernement qui n’a pas leur préférence… Je me permets d’attirer votre attention sur ce point important pour le devenir de notre démocratie. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales et M. Michel Le Scouarnec applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, auteur de la proposition de loi et rapporteur.
Mme Isabelle Debré, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, j’ai écouté de manière très attentive les arguments qui ont été développés au sujet de la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui.
À mes yeux, ce texte répond à un double objectif : tout d’abord, mettre fin autant que possible à la situation de grande précarité dans laquelle se trouvent de nombreux retraités percevant une pension de retraite très faible – je rappelle que près de 600 000 retraités sont aujourd’hui allocataires du minimum vieillesse – ; ensuite, instaurer au bénéfice des retraités les plus modestes la possibilité de cumuler le minimum vieillesse avec des revenus générés par une reprise d’activité : ce serait une mesure d’équité, puisque le droit en vigueur autorise les autres retraités des secteurs public et privé à percevoir leur pension et des revenus professionnels sans limitation depuis 2009.
Certes, le nombre de retraités susceptibles de bénéficier de cette mesure ne peut être connu par avance avec précision. Cependant, plusieurs institutions ont souligné l’intérêt à agir et à légiférer en ce sens.
Ainsi, dans un rapport de 2012 relatif à l’évaluation du cumul emploi-retraite, l’Inspection générale des affaires sociales affirme qu’« un mécanisme d’intéressement pour le minimum vieillesse corrigerait un facteur d’inégalité dans l’accès au cumul emploi-retraite », qui plus est sans « aucun surcoût pour les finances sociales ».
Le Conseil d’orientation des retraites, dont M. Teulade, Mmes Demontès, Beaufils et moi-même faisons partie, a fait valoir que « le droit à la retraite ne prive pas les retraités d’un droit fondamental, le droit au travail ».
En outre, le texte que nous examinons ce matin est en pleine cohérence avec l’une des préconisations récemment émises à l’occasion de la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale qu’a réunie le Gouvernement au mois de décembre dernier. Je vous renvoie, mes chers collègues, à la recommandation n° 53 du groupe de travail « Accès aux droits et aux biens essentiels, minima sociaux », présidé par Bernard Fragonard, président délégué au Haut conseil de la famille, qui invite à « étudier la possibilité d’une formule de cumul entre le minimum vieillesse et l’activité ».
En tout état de cause, la proposition de loi qui vous est soumise apporte une réponse humaine, pragmatique et de bon sens à la situation particulière des allocataires du minimum vieillesse désireux de compléter leurs ressources par des revenus d’activité et de garder un lien social, comme d’autres orateurs l’ont souligné.
À l’heure où le cumul emploi-retraite est autorisé, pouvons-nous légitimement continuer de priver les titulaires du minimum vieillesse de la possibilité de travailler lorsqu’ils le souhaitent et qu’ils ont la faculté de le faire ? Nous ne le pensons pas. La recherche d’une plus grande équité ne peut que conduire à faire évoluer l’état du droit actuel le plus rapidement possible, et ce quel que soit le nombre exact de personnes concernées.
Par ailleurs, madame la ministre, si le montant des minima sociaux a été augmenté pendant cinq ans, vous seule pouvez prendre la décision de poursuivre encore dans cette voie.
Monsieur Watrin, au cours de votre intervention, vous avez dit que la mesure proposée était de nature libérale. Je l’assume ! Et pour ma part, j’ai un principe : je pense que l’on ne perd jamais à donner plus de liberté. En revanche, il faut que ces libertés soient encadrées et que les abus éventuels soient sévèrement sanctionnés.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la présente discussion nous honore, car elle montre que nous abordons de vraies questions sans dogmatisme et tout en étant proches de la réalité. Après ce débat, on ne pourra plus dire que les élus, les parlementaires, méconnaissent les problèmes de la société ou en sont éloignés. Ils en ont pleinement conscience. Vous en avez d’ailleurs donné des exemples très concrets au cours de vos interventions.
Je suis frappée par la place laissée dans toutes les interventions aux interrogations – je pense en particulier aux propos de Mme Deroche et M. Teulade –, au pragmatisme – vous l’avez vous-même souligné, madame Debré –, voire à l’inquiétude. Il s’agit là en effet d’une question majeure pour notre société, et je reviendrai ultérieurement sur ce point.
Il est vrai que des questions peuvent être soulevées, et c’est d’ailleurs ce qu’a fait M. Watrin. L’âge moyen des allocataires du minimum vieillesse est de 75 ans. Nous devons avoir comme préoccupation de ne pas nuire à leur santé. Mais, dans le même temps, avec la même honnêteté, la même bonne foi, force est de reconnaître que le meilleur gage de santé, ce sont des revenus décents. Nous devons souhaiter que les travaux accomplis par les personnes âgées – en particulier les travaux au noir, car cela existe, et j’ai personnellement rencontré sur les marchés des personnes travaillant dans de telles conditions – ne soient pas pénibles. Or tel est souvent le cas des travaux présentiels.
M. Kerdraon a évoqué une espèce de paradoxe apparent, à savoir les aides aux personnes âgées dispensées par d’autres personnes âgées. Aujourd’hui, vous le savez – et pour ma part je m’en félicite –, l’espérance de vie est très élevée. La solidarité peut alors être intragénérationnelle.
Dans les différents exemples exposés, on peut trouver le meilleur, comme le moins bon. J’ai été très frappée par l’illustration donnée par M. Kerdraon : oui, les allocataires du minimum vieillesse sont majoritairement des femmes ; oui, notre cœur saigne lorsque nous constatons qu’un grand nombre d’entre elles – 15 % – doivent faire appel à des associations de solidarité alors qu’elles ont été confrontées, au cours du XXe siècle, aux guerres et aux restrictions – ne l’oublions jamais – et qu’elles les ont vécues dans la dignité.
M. Desessard, quant à lui, a donné deux exemples particulièrement éloquents et qui ébranlent le débat : pourquoi l’un pourrait-il cumuler sans pénalité pension de retraite et salaire contrairement à l’autre qui semble pourtant avoir davantage besoin d’un revenu supplémentaire ?
Monsieur Plancade, il faut bien évidemment protéger le travail, et ce ne sont pas les socialistes qui diront qu’ils sont favorables au travail au noir.
Vous avez déclaré qu’il fallait élargir le débat. C’est une évidence, et tout mon ministère se consacre à cet élargissement du débat, c'est-à-dire à la réflexion sur la place des personnes âgées dans notre société. Les personnes âgées représenteront bientôt 30 % de la population. Aujourd'hui déjà, la retraite dure souvent une trentaine d’années. C'est pourquoi nous devons poser la question de la place des personnes âgées dans notre société. Le projet de loi que nous vous présenterons prochainement constituera, j’ose le dire, un premier pas dans cette direction. Il couvrira tout le champ de l’âge, et nous placerons ceux qui ont le moins de moyens au cœur de nos préoccupations.
Nous venons d’avoir un débat de qualité, mais il reste des incertitudes. Les inquiétudes et les interrogations sont légitimes. Les questions posées sont bonnes, mais les réponses ne sont pas aussi simples qu’on pourrait l’espérer. Il y a une marge d’inquiétude pour nous tous, quelles que soient nos opinions politiques. C’est dans le respect de cette marge d’inquiétude que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)