PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques
Discussion générale (suite)

Équilibre des finances publiques

Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’équilibre des finances publiques (projet n° 499, rapport n° 568, avis nos 578, 591 et 595).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques
Rappel au règlement

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, madame, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, dans la vie politique de notre pays, il n’est pas de projet de révision constitutionnelle qui laisse indifférent. Les Français ont toujours eu conscience de l’importance du texte que nous plaçons au frontispice de nos institutions républicaines ; aussi ne tolèrent-ils que l’on veuille le modifier sans d’excellentes raisons.

Le projet que j’ai l’honneur de vous présenter avec M. le garde des sceaux marque aujourd’hui une étape décisive, car il donne toute sa signification à la notion de responsabilité en matière de finances publiques.

À l’issue de la première conférence sur le déficit, le Président de la République, en effet, s’est engagé à rénover radicalement la gouvernance de nos finances publiques. Cet engagement se fonde sur le constat de l’existence de déficits persistants pendant les trente dernières années qui ne peuvent s’expliquer simplement par la faiblesse de la volonté politique de tel ou tel gouvernement. Ce constat démontre que la France souffre avant tout d’un problème structurel : l’incapacité à maîtriser ses comptes sur le moyen terme.

Aussi le Président de la République a-t-il exprimé le souhait de voir l’ensemble des administrations publiques se doter d’une règle d’équilibre. Dans cet esprit, il a demandé à Michel Camdessus de présider un groupe de travail transpartisan sur cette question.

Dès l’été 2010, nous avons appliqué toutes les recommandations de la commission Camdessus qui pouvaient être mises en œuvre à cadre constitutionnel inchangé.

Cela s’est notamment traduit par le vote de la loi de programmation des finances publiques. Cette loi préfigure notamment ce que pourraient être les lois-cadres d’équilibre des finances publiques en ce qu’elle fixe, sur la période de programmation, les plafonds globaux par mission de dépenses de l’État ainsi que l’impact annuel minimal des mesures nouvelles en recettes.

Cela s’est traduit également par l’adoption d’une circulaire qui prévoit que l’ensemble des mesures fiscales ou relatives aux recettes sociales figurent en loi de finances ou en loi de financement de la sécurité sociale.

Notre ambition, à présent, à travers le texte qui vous est soumis, est de consolider définitivement ces avancées en les inscrivant dans notre loi fondamentale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de débattre avec vous de ce projet de loi constitutionnelle, je voudrais vous en présenter brièvement les grands axes.

Le Gouvernement propose d’inscrire dans la Constitution trois séries de dispositions qui feraient significativement évoluer la gouvernance de nos finances publiques.

Il s’agit tout d’abord de créer un nouvel instrument juridique, les « lois-cadres d’équilibre des finances publiques ».

Ces lois-cadres ont pour objectif de soumettre un cadrage financier pluriannuel à l’approbation du Parlement. Les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale devront scrupuleusement respecter ce cadrage, sous peine de censure par le Conseil constitutionnel. C’est l’esprit de l’institutionnalisation, de la constitutionnalisation des lois de programmation des finances publiques, qui vous sont désormais familières.

Grâce à ces lois-cadres, les efforts à réaliser année après année seront programmés, en dépenses comme en recettes. Cela permettra de garantir l’équilibre des comptes des administrations publiques à un horizon donné.

Tel est l’objectif fondamental de la révision de notre loi suprême.

À long terme, cette approche permettra un rééquilibrage pérenne de nos comptes publics, car tout déficit temporaire devra obligatoirement être accompagné de la définition des voies et moyens d’un retour à l’équilibre.

L’exécutif sera ainsi contraint de définir une stratégie de finances publiques précise, en liaison avec le Parlement. Il devra prendre la mesure de l’impact budgétaire de ses politiques publiques.

J’ajoute que les lois-cadres d’équilibre des finances publiques seront soumises à un double contrôle du Conseil constitutionnel : d’une part, avant leur promulgation, elles lui seront systématiquement déférées ; d’autre part, le Conseil constitutionnel vérifiera chaque année la conformité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale à l’effort programmé en loi-cadre.

Toute majorité devra désormais prendre ses responsabilités et inscrire son action en cohérence avec l’objectif de moyen terme d’équilibre des finances publiques qu’elle se sera assigné.

Le deuxième volet de la révision constitutionnelle a pour objet d’éviter la dispersion des dispositions fiscales et sociales dans l’ensemble des textes législatifs.

Avant de détailler cet aspect du projet de loi constitutionnelle, je veux rappeler que le Gouvernement s’impose déjà cette discipline, sur la base de la circulaire que j’évoquais précédemment et qui a été adoptée en juin 2010. Nous souhaitons la pérenniser, car nous estimons que cette évolution doit accompagner et faciliter la mise en œuvre de la réforme d’ensemble.

En effet, dès lors que la trajectoire des mesures de prélèvements obligatoires sera fixée, de manière impérative, dans les lois-cadres, il nous apparaît cohérent de vouloir centraliser ces mesures dans un nombre restreint de textes législatifs. Cela facilitera le travail de vérification du respect des dispositions des lois-cadres par le Parlement et par le Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, cette nouvelle règle contribuera à limiter le foisonnement des niches fiscales et sociales, qui sont souvent source de complexité, d’incohérence et de pertes de recettes pour l’État. Je précise, d’ailleurs, que cette mesure s’applique d’abord et avant tout au Gouvernement.

Le Gouvernement souhaite qu’une telle disposition puisse voir le jour, mais, bien évidemment, nous demeurons soucieux de respecter l’initiative parlementaire en matière de recettes fiscales et sociales. La nouvelle rédaction de l’article 34 que nous vous proposons n’apportera qu’une restriction formelle, et en aucun cas matérielle, à l’initiative parlementaire : des dispositions d’origine parlementaire pourront toujours intervenir sur tout sujet fiscal, mais pas à tout moment. C’est l’esprit de la modification constitutionnelle qui vous est proposée.

Je tiens à vous rassurer, le monopole des lois financières ne nuira pas aux conditions du travail parlementaire.

Les textes financiers rassemblent déjà la très grande majorité des articles fiscaux promulgués – plus des trois quarts en 2010. Ainsi, le monopole fiscal proposé dans la révision constitutionnelle n’introduirait pas de rupture par rapport à la situation actuelle : il viendrait confirmer une évolution déjà largement engagée.

Par ailleurs, cette réforme n’empêche nullement une évolution des pratiques. Lorsque des réformes fiscales ou budgétaires importantes exigeront un débat parlementaire spécifique et prolongé, le Gouvernement pourra déposer un projet de loi financier ad hoc. C’est, par exemple, dans cette perspective que le Gouvernement a déposé un collectif dédié à la réforme de la fiscalité du patrimoine – nous en avons terminé l’examen à l’Assemblée nationale la semaine dernière – et un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale relatif au versement d’une prime aux salariés lorsque les dividendes augmentent. C’est d’ailleurs la première fois dans l’histoire qu’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale est présenté dans ce cadre-là.

Pour autant, de nombreuses remarques ont émergé de vos travaux en commission sur ce point. Le Gouvernement est, bien entendu, ouvert à la discussion, dans la mesure où celle-ci nous permettra d’améliorer le texte de manière réaliste sans dénaturer l’objectif initial de la réforme. Nous aurons tout le loisir d’en débattre avec M. le garde des sceaux lors de l’examen des amendements.

Enfin – c’est le troisième volet de notre projet de révision constitutionnelle – nous voulons inscrire dans la Constitution le principe d’une meilleure association du Parlement dans le cadre de la nouvelle procédure dite du « semestre européen ».

Nous souhaitons « graver dans le marbre » le principe d’une transmission systématique des programmes de stabilité au Parlement, avant qu’ils ne soient adressés à la Commission européenne.

Nous mettons en œuvre ce nouveau calendrier depuis le début de cette année. Il garantit, me semble-t-il, une information accrue du Parlement et, surtout, sa plus grande implication dans le processus de maîtrise des finances publiques.

Je veux le rappeler, la constitutionnalisation de cette troisième règle est un engagement fort du Gouvernement en faveur du Parlement. Nous l’avons éprouvé, monsieur le rapporteur général, au mois de juillet dernier. Nous l’avons développé plus longuement au cours de ce printemps et c’est, me semble-t-il, une étape importante qui a été franchie, donnant à la fois beaucoup de transparence à nos débats, mais aussi – sachez-le – beaucoup de puissance à la signature de la France et de poids aux engagements français, puisque c’est bien l’addition de l’exécutif et du législatif qui constitue la notion d’engagement français vis-à-vis de nos partenaires européens.

C’est une avancée indiscutable par rapport à la situation antérieure, mais c’est aussi une avancée par rapport à nos partenaires, qui sont très peu nombreux à prévoir une évolution comparable de leur procédure.

En inscrivant une telle mesure dans la Constitution, le Gouvernement veut marquer l’importance qu’il accorde au rôle des parlementaires dans la maîtrise et la gouvernance des finances publiques de notre pays.

Tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, l’esprit de ce texte.

L’amélioration récemment constatée de nos finances publiques conforte le Gouvernement dans sa volonté de poursuivre sur la voie qu’il s’est assignée : un redressement progressif et, surtout, durable de nos comptes publics.

Mme Nicole Bricq. Il a bien commencé !

M. François Baroin, ministre. Avec ce projet de révision constitutionnelle, nous souhaitons assurer la pérennité de nos efforts.

M. Guy Fischer. C’est ce que l’on dit !

M. François Baroin, ministre. Seule leur inscription dans la durée permettra de marquer une inflexion vertueuse dans la gouvernance de nos finances publiques.

Je veux vous redire, mesdames, messieurs les sénateurs, que ce projet de loi n’est pas de circonstance. Il s’inscrit au contraire dans un effort de long terme, qui vise à garantir notre modèle social et notre souveraineté nationale pour les générations futures.

Les règles que nous vous proposons aujourd’hui témoignent de cette détermination, tout en préservant les marges de manœuvre des dirigeants publics. Je souhaite que nos discussions soient empreintes du même esprit de responsabilité. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, madame, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi que vient de le rappeler mon collègue François Baroin, ce projet de loi constitutionnelle, d’un style tout à fait particulier, est essentiel : parce que ce texte traite des finances, il est normal que le ministre du budget soit présent pour le défendre mais, s’agissant d’un projet de loi constitutionnelle, il appartient également au garde des sceaux de soutenir la discussion devant le Parlement.

Le Gouvernement s’est engagé, depuis quatre ans maintenant, dans une démarche d’assainissement des comptes de nos administrations et de nos régimes de sécurité sociale.

M. Guy Fischer. Hyper-stricte !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. L’enjeu, nous le mesurons pleinement à la lumière des exemples étrangers : il s’agit – je suis certain que vous en conviendrez avec nous, monsieur Fischer ! – de rester maîtres de notre destin collectif. (M. Guy Fischer opine.) Je vous remercie de votre soutien, monsieur le sénateur… (Sourires.)

Cette démarche s’est d’abord traduite par un certain nombre de choix de gestion, parfois difficiles, mais adossés à des réformes de structure. Je me bornerai ici à citer, à titre d’illustration, la réforme des retraites, la révision générale des politiques publiques ou encore le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Chacun, toutefois, en est désormais conscient, la restauration durable de l’équilibre des finances publiques exige aussi la mise en place de règles de gouvernance adaptées aux exigences de notre temps. (M. Jean-Pierre Michel s’exclame.)

M. Guy Fischer. Il n’y a rien de bon à en attendre !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Comme vous le soulignez dans votre rapport, monsieur le rapporteur, cette préoccupation n’est pas entièrement nouvelle. Elle s’est traduite, tant en droit interne que dans le cadre de la construction européenne, par un ensemble de dispositions, à différents niveaux de notre ordre normatif, destinées à fixer des règles de fond ou de comportement des acteurs des finances publiques.

Pour les collectivités territoriales – cela intéresse au premier chef le Sénat –, la loi a ainsi posé, de longue date, le principe de l’équilibre des comptes, entendu comme l’impossibilité d’affecter les ressources tirées de l’emprunt à des dépenses de fonctionnement.

Selon une logique analogue, quoique d’une portée plus limitée, il a été prévu, au niveau national, que les recettes issues des privatisations seraient exclusivement consacrées au désendettement ou à des opérations en capital.

Plus récemment, le législateur organique a, en outre, fixé, pour le budget de l’État, des règles d’affectation des surplus de recettes et, pour l’amortissement de la dette sociale, des règles temporelles d’apurement.

Au niveau communautaire enfin, un pacte de stabilité et de croissance a fixé des normes de déficit et d’endettement et créé des mécanismes de revue par les pairs et par la Commission européenne, avec les difficultés de mise en œuvre que vous connaissez.

Le projet de loi constitutionnelle que le Gouvernement soumet aujourd’hui à votre examen, mesdames, messieurs les sénateurs, permet d’aller plus loin, en inscrivant dans la Constitution un objectif de retour à l’équilibre des finances publiques et en y instituant des règles et instruments propres à en garantir le respect.

Depuis plus de trente-cinq ans, aucun budget n’a été en équilibre. Il ne s’agit évidemment pas ici de rejeter je ne sais quelle faute sur tel ou tel, d’autant que cette situation est héritée de gouvernements et de majorités parlementaires de toutes tendances politiques. En revanche, il s’agit d’assumer ensemble nos responsabilités à l’égard des générations futures en établissant, comme le préconise le rapport Camdessus, à l’élaboration duquel a été associée votre commission des finances, une nouvelle « hiérarchie des normes financières » pour rendre juridiquement contraignants les efforts à consentir en matière de réduction du déficit et, par là même, crédibles, donc moins coûteux.

En concrétisant les propositions du groupe de travail présidé par M. Camdessus, le présent projet de loi constitutionnelle entend tirer les enseignements de la crise mondiale, du transfert de la dette privée vers la dette publique et des crises de solvabilité grecque, irlandaise et portugaise. L’instauration d’une norme constitutionnelle contraignante s’imposant au législateur financier apparaît, en effet, comme la seule à même de relever les défis de la décennie à venir.

Cependant, de la même manière que pour la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, adoptée il y a dix ans à quelques mois près, un accord de l’ensemble des formations composant la représentation nationale est nécessaire pour mener à bien cette réforme, et je veux croire qu’il sera atteint.

Au cours des travaux préparatoires à notre débat, le Sénat a marqué l’importance qu’il attache, à l’instar de l’Assemblée nationale, aux enjeux qui sous-tendent le projet de loi constitutionnelle, en s’investissant très largement dans son examen.

Outre les trois commissions initialement saisies – la commission des lois, la commission des finances et la commission des affaires sociales –, sont intervenues la commission de l’économie et celle de la culture. Je tiens à les remercier de cet engagement, qui est primordial. En effet, l’objectif de retour à l’équilibre des finances publiques n’est crédible que si Gouvernement et Parlement agissent ensemble : le Gouvernement prépare le budget et l’exécute, tandis que le Parlement le vote et le contrôle.

En s’emparant de ce débat, le constituant est pleinement dans son rôle. La Constitution ne se limite pas, en effet, à organiser le fonctionnement de nos institutions ; elle est aussi l’expression du pacte social et des principes fondamentaux du « vivre ensemble ». Or vivre ensemble, c’est adopter un comportement responsable à l’égard des générations futures : une dette publique excessive compromettrait leur liberté de choix et leur indépendance économique.

À ce stade de nos travaux, je tiens à saluer le consensus qui s’est dégagé au sein de toutes les commissions et parmi les cinq rapporteurs – puisque le président Jean Arthuis et le rapporteur général du budget, Philippe Marini, corapportent aujourd’hui au nom de la commission des finances – …

Mme Nicole Bricq. Il en fallait bien deux !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. … autour des objectifs de cette révision constitutionnelle.

Je suis sûr de votre soutien, au moins in pectore, madame Bricq ! (Sourires.)

Mme Nicole Bricq. Vous rêvez !

M. Guy Fischer. N’y croyez pas !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce consensus rejoint celui qui avait été observé il y a quelques semaines à l’Assemblée nationale.

De l’accord sur les objectifs à l’accord sur les modalités, il y a un pas à franchir, ce dont je ne mésestime ni l’importance ni la difficulté ; c’est tout l’enjeu de la discussion qui s’ouvre.

Concernant les trois sujets qui vous sont soumis, et à la lumière des travaux de l’Assemblée nationale, le consensus est à portée de main pour deux d’entre eux, mais, à l’évidence, un plus grand chemin reste à parcourir pour le troisième, et je souhaite m’en expliquer rapidement.

Vos commissions ont, en premier lieu, pleinement approuvé la création des lois-cadres d’équilibre des finances publiques. Je m’en félicite, car, comme l’a souligné M. le rapporteur pour avis Alain Vasselle, elles constituent le cœur de ce texte et seront l’outil essentiel pour définir et réaliser la trajectoire de retour à l’équilibre de nos comptes publics.

Par rapport aux lois de programmation issues de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, elles présenteront la caractéristique de s’imposer, du moins dans certaines de leurs dispositions, aux lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale annuelles. Tel sera notamment le cas du maximum de dépenses et du minimum de mesures nouvelles en recettes.

J’insiste sur le fait que la période couverte par ces lois-cadres sera, selon la rédaction issue de l’Assemblée nationale, de trois ans au moins : c’est une durée minimale qui ne fait nullement obstacle au vote d’une seule loi-cadre sur l’ensemble d’une législature.

Sur l’initiative de l’Assemblée nationale, le texte prévoit expressément une obligation de rattrapage. Les écarts constatés lors de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale devront être compensés d’une année sur l’autre.

Les députés ont également précisé qu’une loi-cadre pourrait être modifiée en cours d’exécution pour s’adapter à l’évolution de la conjoncture économique, selon des modalités à prévoir dans la loi organique.

Ils ont enfin souhaité que les lois de finances et de financement de la sécurité sociale soient désormais soumises de plein droit au Conseil constitutionnel, afin que celui-ci puisse examiner leur conformité à la loi-cadre, qui, elle-même, aura fait l’objet d’un contrôle de plein droit.

Certes, cette solution est complexe dans la mesure où elle fait coexister, pour les lois financières annuelles, un contrôle systématique par rapport aux lois-cadres et un contrôle sur saisine par rapport aux autres éléments du bloc de constitutionnalité, mais elle présente le mérite de garantir un contrôle constitutionnel complet et d’assurer ainsi la crédibilité de notre démarche visant à parvenir à un retour à l’équilibre.

Sur l’ensemble de ces sujets, et sous réserve des diverses améliorations que vous aurez à cœur de leur apporter, comme l’ont montré les travaux de vos commissions, un point d’accord paraît pouvoir être trouvé avec le Sénat.

Il en va de même, en deuxième lieu, pour les dispositions du texte qui confèrent une valeur constitutionnelle à l’information du Parlement sur les orientations du programme de stabilité européen.

Poursuivant l’engagement pris dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, le texte prévoit que le projet de programme de stabilité sera obligatoirement adressé aux assemblées avant sa transmission aux institutions de l’Union européenne.

Le texte soumis à votre examen a été complété, afin de permettre aux assemblées un examen approfondi du projet de programme, qui sera transmis au moins deux semaines avant qu’il ne soit adressé aux instances communautaires.

Le projet sera également soumis à l’examen d’une commission permanente et pourra faire l’objet, à la demande du Gouvernement ou d’un groupe parlementaire, d’un débat en séance. Il ferait alors l’objet d’un vote, sans que ce dernier puisse engager la responsabilité du Gouvernement.

Cette consécration constitutionnelle est primordiale, car le Parlement doit pouvoir être informé et formuler un avis sur des choix qui, comme chacun sait, engagent nos orientations budgétaires.

Je me réjouis donc que ce sujet fasse également l’objet d’un accord largement partagé par l’ensemble des sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent. Outre diverses améliorations rédactionnelles, plusieurs amendements prévoient que l’ensemble des commissions permanentes puissent émettre un avis sur ce programme ou encore que celui-ci puisse donner lieu au vote d’une résolution ; le Gouvernement ne sera pas fermé à la discussion en la matière.

En troisième et dernier lieu, le texte introduit une nouveauté majeure, en réservant au domaine des lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale un monopole pour ce qui relève de la fiscalité et des principes fondamentaux concernant les ressources de la sécurité sociale, et ce afin d’assurer la cohérence de notre stratégie en matière de prélèvements obligatoires.

Depuis le début de la discussion parlementaire, c’est le point qui suscite le plus de débats, non pas tant dans son principe qu’au regard de ses conséquences.

Il a d’abord été critiqué sous l’angle de la restriction du droit d’initiative des parlementaires et de l’équilibre des pouvoirs.

M. Guy Fischer. C’est vrai !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. À cet égard, le malentendu a, me semble-t-il, été dissipé.

M. Jean-Pierre Bel. Ah bon ?...

M. Guy Fischer. C’est vous qui le dites !

M. Jean-Pierre Michel. Il n’a pas été beaucoup dissipé !

M. Bernard Frimat. On est toujours dans le brouillard !

Mme Marie-France Beaufils. C’est la méthode Coué !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le dispositif a été largement expliqué : le Gouvernement et le Parlement s’obligent à une discipline plus rigoureuse sur les niches fiscales et sociales.

Mme Nicole Bricq. Vous parlez d’or !

M. Guy Fischer. Alors là…

Mme Nicole Bricq. Il y en a pour 125 milliards d’euros !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Madame Bricq, je constate une fois encore que vous êtes prête à avancer, aux côtés du Gouvernement, sur la voie de la rigueur et de la discipline, et je vous en remercie ! (Sourires.)

Mme Nicole Bricq. Faites ce que je dis et pas ce que je fais !

M. Pierre-Yves Collombat. Elle est sur la voie du bon sens !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce dispositif se traduit, pour le Gouvernement, par l’impossibilité de créer, supprimer ou réformer des prélèvements obligatoires par voie d’ordonnance et, pour le Parlement, par la nécessité de privilégier, pour ses initiatives en la matière, les vecteurs financiers.

L’objectif n’est certainement pas de remettre en cause les droits du Parlement ; il s’agit, bien au contraire, de l’impliquer pleinement dans le rétablissement de nos finances publiques.

J’ajoute que, en modifiant les modalités de son contrôle, l’Assemblée nationale a entendu apaiser les dernières craintes qui pouvaient encore s’attacher, de ce point de vue, à ce qu’il est convenu d’appeler, probablement assez maladroitement, le « monopole fiscal ».

Elle s’est d’abord inspirée de la procédure de l’article 41 de la Constitution, concernant aujourd’hui le partage de la loi et du règlement.

Ainsi, il resterait possible, pour un député ou un sénateur, de déposer une proposition de loi ordinaire ou des amendements relatifs aux prélèvements obligatoires, à charge pour le Gouvernement ou le président de l’assemblée concernée d’en soulever l’irrecevabilité, étant entendu que, en cas de désaccord, il appartiendrait au Conseil constitutionnel de trancher.

L’Assemblée nationale a, ensuite, souhaité, ce qui est peut-être moins évident, que, à l’occasion d’une saisine sur le fondement de l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel soit tenu de censurer les dispositions en cause, que leur irrecevabilité ait été ou non soulevée au cours du débat parlementaire.

Ce dispositif subtil a l’inconvénient de son avantage : il est complexe.

Il va de soi que, à ce stade du débat parlementaire, le texte de ce projet de loi constitutionnelle ne saurait être considéré comme figé. Je me permets simplement d’appeler votre attention sur le fait qu’il s’agit, pour l’Assemblée nationale, d’un élément de l’équilibre d’ensemble et qu’il vous faudra, le moment venu, vous retrouver sur une vision partagée.

J’observe, en tout état de cause, que c’est surtout sous un autre angle que la Haute Assemblée appréhende les conséquences du monopole fiscal. Plusieurs amendements, émanant de votre commission des lois, de votre commission des finances ou de votre commission des affaires économiques, traduisent une inquiétude quant à la capacité du Parlement à examiner correctement une réforme d’ensemble, dès lors que le financement serait nécessairement séparé du principe.

Pour remédier à cette objection, vos commissions ont élaboré plusieurs propositions alternatives. Naturellement, mesdames, messieurs les sénateurs, je fais confiance au débat parlementaire et à votre esprit de responsabilité pour aboutir ensemble à un compromis qui préserve l’équilibre du texte et ses objectifs, et qui ne crée pas, par ailleurs, de contraintes ou de lourdeurs excessives dont le Parlement lui-même serait la victime.