M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois. J’approuve !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur le président-rapporteur, si j’osais, non pas un conseil, vous n’en avez pas besoin, mais peut-être un avis, je vous indiquerais simplement qu’il faut peut-être en revenir à l’essentiel, la définition de la loi et du budget.
Je vous rappelle la réponse donnée dans les années vingt par le commissaire du gouvernement Corneille, alors que le Conseil d’État examinait une affaire qui devait donner lieu à l’arrêt Syndicat des agents généraux des compagnies d’assurance du Territoire de Belfort, à la question de savoir ce qu’était une loi de finances : « C’est une loi qui n’en est pas une » ! Selon lui, c’est une loi en la forme, mais pas une loi matérielle.
M. Jean-Pierre Michel. Vous remontez aux calendes, mais, depuis, il y a eu la Constitution de 1958 !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances. Écoutez !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est entre une loi formelle et matérielle et une loi uniquement formelle que votre esprit de fin juriste trouvera le chemin d’un compromis !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ne me tentez pas ! (Sourires.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je sais aussi, monsieur le président-rapporteur, que vous avez envie de réussir cette réforme constitutionnelle.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Michel. Il n’a pas toujours réussi !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Sur ce point-là, je vous fais pleinement confiance !
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour reprendre la formule du rapporteur général de votre commission des finances, aujourd’hui rapporteur pour avis, il faut en finir avec l’insoutenable légèreté de la dette. (Sourires.)
Nous ne pouvons plus retarder les choix qui, d’évidence, s’imposent à notre génération. Nous ne pouvons pas davantage reporter sur nos enfants la charge de la dette et des déficits de nos comptes publics et de nos comptes sociaux. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Si nous nous accordons sur la finalité de cette réforme, qui, je le répète avec force, n’a ni pour objet ni pour effet d’abaisser le Parlement, je suis convaincu que le débat qui s’ouvre permettra de faire émerger des solutions réalistes pour en préciser les modalités. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en 2008, nous avons voté une importante réforme de la Constitution qui, je le rappelle, visait à restaurer un petit peu les droits du Parlement…
M. Jean-Pierre Chevènement. C’est le contraire aujourd’hui !
M. Jean-Pierre Michel. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Aujourd’hui, le Sénat est encore saisi d’une réforme importante de notre Constitution pour…
M. Jean-Pierre Chevènement. Annuler la précédente ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non, pas du tout ! Il s’agit d’une réforme destinée à nous faire retrouver l’équilibre de nos finances publiques.
M. Guy Fischer. Vœu pieux !
Mme Nicole Bricq. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce projet de loi constitutionnelle repose sur le constat, grave et lucide, de l’état de nos comptes publics, après plus de trente-cinq ans de déficits cumulés, puisque nous en sommes à la trente-sixième année !
Mme Nicole Bricq. Il y a eu des intermèdes !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais tout le monde a sa part !
Mme Nicole Bricq. Vous n’avez pas rappelé l’intermède 1997 - 2001 !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Madame Bricq, vous aurez l’occasion de vous exprimer tout à l’heure !
Il est plus que temps de prendre des mesures fortes de rééquilibrage et, comme dans d’autre pays, pourquoi ne pas chercher le secours du droit pour surmonter notre incapacité à juguler l’emballement de la dette ?
Toutefois, il y a lieu de rappeler que l’encadrement nécessaire du pouvoir budgétaire doit peut-être moins viser le Parlement ou les collectivités territoriales que le Gouvernement.
Au Parlement, l’article 40 de la Constitution permet d’y veiller et, monsieur le président-rapporteur pour avis de la commission des finances, je sais que c’est toujours une tâche difficile, mais vous l’appliquez.
M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis de la commission des finances. Je ne l’oublie pas !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est normal, c’est votre mission !
Il serait souhaitable, parfois, que des ministres n’oublient pas non plus l’existence de l’article 40, ce qui peut arriver aussi, ou encore les collectivités territoriales, lesquelles sont de toute façon tenues à un équilibre de leurs finances !
On pourrait aisément démontrer que la responsabilité qui incombe au Gouvernement dans les écarts constatés par rapport aux trajectoires prévues est à la mesure des pouvoirs qui sont les siens en matière budgétaire.
Il faut saluer ici l’initiative du Premier ministre qui a prescrit aux ministres, par circulaire, une discipline budgétaire bienvenue,...
M. Jean-Pierre Michel. À condition de la respecter !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. ... si l’on se réfère à quelques dérapages qui sont encore dans les mémoires ! Mais ce n’est pas suffisant.
M. Jean-Pierre Michel. Mais non !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La crise économique qu’a traversée notre pays nous fait une obligation d’agir.
M. Jean-Pierre Michel. Ils ne respectent rien !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Reprenant les propositions du groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus, le projet de révision constitutionnelle s’articule en trois volets : création des lois-cadres d’équilibre des finances publiques ; monopole accordé aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale des dispositions relatives aux prélèvements obligatoires ; organisation de la discussion du projet de programme de stabilité financière adressé chaque année aux institutions européennes.
On peut rappeler, car on l’a un peu oublié, que le projet s’inscrit dans l’approche, timide, engagée par la révision constitutionnelle de 2008, qui instaurait les lois de programmation des finances publiques, s’inscrivant dans l’objectif d’équilibre des finances publiques !
Nos collègues Jean Arthuis et Philippe Marini, notamment, nous proposaient déjà d’aller plus loin, mais l’Assemblée nationale ne nous avait pas suivis. J’y reviendrai.
Sur le premier point, à savoir la création des lois-cadres d’équilibre des finances publiques, le texte adopté par l’Assemblée nationale, sous réserve d’améliorations rédactionnelles que nous partageons avec la commission des finances, vise à instaurer un cadre constitutionnel précis et contraignant en matière d’équilibre budgétaire.
C’est ainsi qu’est créée une nouvelle catégorie de lois, celle des lois-cadres d’équilibre des finances publiques, qui remplaceraient les actuelles lois de programmation des finances publiques et devraient déterminer les normes d’évolution des finances publiques « en vue d’assurer l’équilibre des comptes des administrations publiques ».
En principe, une loi organique devra préciser le contenu des lois-cadres. J’aurais presque souhaité que, pour modifier les lois-cadres, on soit un petit peu plus précis dans la Constitution, à l’image de la loi fondamentale allemande.
La loi organique devra donc préciser le contenu des lois-cadres, leur procédure d’adoption et de modification en cours d’exécution budgétaire, ainsi que celles de leurs dispositions dont le respect devrait s’imposer aux lois de finances ou de financement de la sécurité sociale.
Plusieurs dispositions du texte renforcent le caractère impératif de ces lois-cadres.
Elles devraient avoir une durée minimale d’application de trois années.
Elles définiraient les règles de gestion des finances publiques ainsi qu’un plafond de dépenses et un plancher de recettes qui s’imposeraient aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale.
Enfin, l’absence de loi-cadre bloquerait l’adoption de toute loi de finances ou de financement de la sécurité sociale.
La procédure d’adoption des lois-cadres est par ailleurs calquée sur celle qui est applicable en matière de projet de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, dont, notamment, et c’est normal, la priorité de dépôt à l’Assemblée nationale et la discussion en séance sur le texte transmis par le Gouvernement ou voté par l’autre assemblée, et non sur celui qui serait établi par la commission.
Pour permettre une sorte de respiration, l’Assemblée nationale a, en outre, avancé le dépôt du projet de loi de finances au 15 septembre et celui du projet de loi de financement de la sécurité sociale au 1er octobre. Nous proposons de préciser les modalités de contrôle par le Conseil constitutionnel de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale pour éviter que l’une n’ait à supporter les éventuels écarts de l’autre. Il faut un examen d’ensemble par rapport aux lois-cadres.
L’article 9 du projet de révision soumet les lois-cadres à un contrôle systématique du Conseil constitutionnel avant leur promulgation, comme pour les lois organiques, ce que l’on ne peut qu’approuver – comme l’a prévu l’Assemblée nationale en ce qui concerne le contrôle obligatoire du Conseil constitutionnel sur la conformité des lois de finances ou de financement de la sécurité sociale à la loi-cadre d’équilibre des finances publiques.
Les ministres ayant développé avec talent, comme à leur habitude, le troisième volet de la révision, je n’évoquerai que très brièvement le vote annuel du Parlement sur le projet de programme de stabilité adressé aux institutions européennes.
C’est un progrès incontestable visant à un meilleur contrôle du Parlement, d’autant que l’Assemblée nationale a complété cette procédure pour prévoir, d’une part, l’examen du projet par une commission permanente – nous proposerons qu’il y en ait éventuellement plusieurs – de chaque assemblée saisie pour avis et, d’autre part, qu’elle puisse donner lieu, à la demande du Gouvernement ou d’un groupe parlementaire, à un débat en séance publique et fasse l’objet d’un vote, sans engagement de la responsabilité du Gouvernement.
Nous aurions pu en rester là si le groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus n’avait pas donné son assentiment à l’inscription de la règle du monopole des lois de finances et de financement de la sécurité sociale en matière de prélèvements obligatoires, qui figure aux alinéas deux à six de l’article 1er du présent projet de loi.
Cette inscription de la règle du monopole a bien été proposée par nos éminents collègues Jean Arthuis et Philippe Marini. Le rapport Camdessus souligne d’ailleurs que la dispersion des sources d’initiative en matière de prélèvements obligatoires « met à mal en permanence les articles d’équilibre initialement adoptés ».
On ne peut que souscrire à l’objectif visé, mais les difficultés posées par le monopole confié aux lois financières ne sont pas mineures et ne sauraient être balayées d’un revers de main, tant elles ont d’incidence sur l’équilibre de nos institutions. Si ce monopole était aménagé, à mes yeux, cela ne remettrait nullement en cause l’architecture du projet de révision constitutionnelle.
À l’Assemblée nationale – cela constituera sans doute ici aussi l’essentiel du débat –, cette question a été au centre des discussions, la position de la commission des lois aboutissant à supprimer tout simplement ce monopole – je vous renvoie à la page 33 du rapport du président Jean-Luc Warsmann –, sans omettre les propositions du rapporteur général du budget, Gilles Carrez, qui prévoyait l’institution des lois de prélèvements obligatoires, se rendant bien compte qu’il y avait un petit problème.
À ce sujet, cinq arguments ont été développés que je ne fais que reprendre.
Un tel monopole empêcherait que la réforme d’une politique publique soit accompagnée d’une discussion et d’une décision sur les moyens qu’elle suppose et sur les coûts ou les économies qu’elle induit. Ce n’est pas complètement faux…
Le monopole conféré aux lois financières risque de dégrader les conditions de discussion des réformes relatives aux prélèvements obligatoires. Cela durera trois semaines, et après ce sera fini.
Le caractère double du monopole – fiscal et social – peut conduire à alourdir encore davantage les procédures.
La réforme aurait des conséquences très contraignantes pour l’initiative parlementaire, car l’extension du domaine exclusif des lois financières priverait les parlementaires de la possibilité de déposer des propositions de loi contenant des mesures fiscales ou relatives aux cotisations sociales, ou de déposer, sur des textes non financiers, des amendements contenant des mesures fiscales ou relatives aux cotisations sociales.
M. Jean-Pierre Michel. C’est l’abaissement du Parlement !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. De surcroît, et paradoxalement, le monopole pose des problèmes d’articulation avec les irrecevabilités financières de l’article 40 de la Constitution. Adieu les « gages », même si l’on peut parfois s’étonner de leur pertinence !
Assez curieusement, et sans aucune explication - j’ai essayé de comprendre en relisant les débats -, l’amendement de suppression a été retiré au profit d’une construction compliquée d’irrecevabilité/inconstitutionnalité qui ne cadre pas du tout avec l’irrecevabilité de l’actuel article 41 de la Constitution laquelle, je le rappelle, est destinée à s’assurer qu’une disposition proposée au cours de la procédure législative n’est pas du domaine du règlement. Ici, nous avons une inconstitutionnalité et, pour le cas où l’inconstitutionnalité n’aurait pas été soulevée, on demande au Conseil constitutionnel de censurer !
Ce n’est quand même pas tout à fait ce que l’on peut attendre de mieux en termes de valorisation du Parlement !
À cet instant, je dois rappeler l’initiative prise par le Sénat lors de la révision constitutionnelle de 2008, instituant la validation par les lois de finances et de financement de la sécurité sociale des mesures fiscales ou relatives aux cotisations sociales prises dans les lois ordinaires. Nous avions voté ce dispositif, mes chers collègues, car le Sénat était conscient de la nécessité d’agir dans ce domaine et de cesser de voter à tout moment des dispositions financières.
L’Assemblée nationale avait eu recours aux mêmes arguments qu’aujourd’hui pour s’opposer à cette mesure, précisant que la disposition introduite par le Sénat ne ferait que « contribuer à affaiblir un peu plus le pouvoir des parlementaires en matière de fiscalité ». (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Néanmoins, l’Assemblée nationale ayant beaucoup évolué sur ce sujet, cette solution, au demeurant excellente, a été retenue par la commission des lois, confortée largement par les avis de la commission des affaires sociales et de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, ainsi que par un amendement de notre collègue président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
La validation de l’incidence de dispositions fiscales éparses sur l’équilibre des finances publiques aurait un fort effet dissuasif, si l’on croit vraiment au contrôle effectif des lois de finances ou de financement de la sécurité sociale par rapport à la norme d’évolution des finances publiques définie dans une loi-cadre.
M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances à l’Assemblée nationale, avait prévu la création de lois de prélèvements obligatoires. La commission des finances du Sénat propose, quant à elle, que toute loi ayant une incidence financière soit accompagnée d’une loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, rectificative – mais il peut se faire que l’on ne soit pas éloigné d’une loi initiale -, solution qui soulève également quelques questions concernant non seulement l’articulation des travaux parlementaires, mais aussi, pour le Sénat, la priorité d’examen des textes relatifs aux collectivités territoriales et l’application de l’article 72-2 de la Constitution.
J’ai posé la question à quatre reprises, mais il ne m’a jamais été répondu ! Pour ma part, je proposerai une solution, car il n’est pas envisageable que le Sénat renonce à la priorité dont il dispose pour l’examen des projets de loi « ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Quant aux lois fiscales, rien n’interdit bien entendu de débuter la réforme de la taxe professionnelle en saisissant en premier l’Assemblée nationale… En la matière, il vaut d’ailleurs mieux que le Sénat puisse corriger ultérieurement ou, plutôt, améliorer les choses ! (Sourires.)
Mais il ne s’agit pas de cela ici. L’article 72-2 impose que tout transfert de compétences de l’État aux collectivités s’accompagne des ressources nécessaires. Comment articuler la discussion de la réforme et de son volet financier, compte tenu de cette priorité accordée au Sénat ?
Et je passe sous silence le contrôle du Conseil constitutionnel, impossible de fait dans ce cas.
Ces questions devront impérativement avoir été résolues à l’issue de la première lecture de ce texte par le Sénat.
Ce que nous redoutons légitimement, à savoir les « dépenses fiscales » – j’ai toujours trouvé cette expression charmante ! –, qui sont en réalité des pertes de recettes fiscales,…
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Elles coûtent très cher !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … sont largement concentrées, à hauteur de plus de 84 % – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur pour avis par ailleurs rapporteur général, avec votre honnêteté habituelle – dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Si l’on excepte la baisse de la TVA sur la restauration en 2009, l’exonération d’impôt sur le revenu pour les heures supplémentaires et la prime pour l’emploi, en 2001, les niches fiscales hors lois de finances sont d’un poids très faible.
M. Jean-Paul Emorine, rapporteur pour avis de la commission de l'économie. Seulement 16 % !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce ne sont d’ailleurs très souvent que des décisions gouvernementales, alors que l’article 40 de la Constitution est là pour contrer toute initiative parlementaire dans ce domaine.
Il appartiendra au Sénat de décider quelle est la formule la plus adaptée pour préserver l’initiative parlementaire, mais il serait paradoxal que, après la révision constitutionnelle de 2008, qui a eu pour objet, notamment, de rééquilibrer les pouvoirs au profit du Parlement, une sorte de « super article 40 » soit institué, et ce afin d’éviter au Gouvernement toute tentation de s’affranchir de la discipline rigoureuse et nécessaire que comporte le présent projet de loi constitutionnelle.
Au demeurant, mes chers collègues, si l’on examine attentivement les positions respectives de la commission des finances et de la commission des lois, on voit qu’elles ne sont pas aussi éloignées qu’on pourrait le penser de prime abord.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi.
On peut décider que tout projet de loi important doit être accompagné d’un projet de loi de finances rectificative : point de dispositions fiscales ailleurs. On peut également, comme je le prône, prévoir la possibilité d’une validation de dispositions fiscales contenues dans un projet de loi par un projet de loi de finances rectificative, ce qui n’est pas très différent. (Très bien ! et applaudissements sur un grand nombre de travées.) Il s’agit bien, dans mon esprit, d’« une » loi de finances, et non pas de « la » loi de finances.
Un tel dispositif est équilibré et ne remet pas en cause l’initiative parlementaire, à laquelle nous sommes tous très attachés.
M. Jean-Pierre Michel. Sauf le Gouvernement !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’espère avoir démontré de surcroît, mes chers collègues, qu’il n’y a pas, d’un côté, les « laxistes » et, de l’autre, les « vertueux ». Tous ensemble, nous devons relever le défi d’une discipline budgétaire nécessaire non seulement pour préserver la réputation financière de notre pays – vous l’avez évoqué, monsieur le ministre –, mais surtout pour ne pas compromettre la croissance ni nous exonérer de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis.
M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le rapport que j’ai cosigné avec Philippe Marini s’ouvre par cette question d’apparence anodine : « Pourquoi une révision constitutionnelle ? » J’irai d’emblée droit au but : la France ne peut plus attendre, sa crédibilité étant tout simplement en jeu !
Mme Nicole Bricq. Pourquoi alors avoir attendu si longtemps ?
M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. Notre pays, avec un déficit par rapport à la richesse nationale bien supérieur à 3 % et une dette publique dangereusement proche d’un montant équivalent à 100 % du PIB, est clairement « dos au mur ».
M. Pierre-Yves Collombat. C’est pareil en Allemagne !
M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. La mondialisation, la crise, l’Europe de Maastricht sont mis en cause. Air connu ! L’accusation est facile. Elle permet d’occulter l’essentiel : le risque, auquel nous sommes de plus en plus exposés, de perdre la confiance de ceux qui nous font crédit depuis près de quarante ans …
M. Pierre-Yves Collombat. Les marchés !
M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. … et, au final, ni plus ni moins, notre indépendance nationale, dont le Président de la République, selon notre Constitution, est garant.
Ce déséquilibre chronique, au surplus, offense lâchement l’idée que nous nous faisons de la solidarité entre les générations.
J’entends dire qu’il ne faut pas s’en remettre aux marchés. Mais dès qu’on fait appel à l’emprunt, on se met entre les mains de celui qui nous prête de l’argent. Ayons donc le souci de préserver notre souveraineté ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat étouffe une exclamation amusée.)
Quand avons-nous voté pour la dernière fois un budget à l’équilibre ? C’était au milieu des années soixante-dix et notre collègue Jean-Pierre Fourcade est le dernier ministre des finances à pouvoir se vanter d’une telle performance. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Guy Fischer. Il est toujours là !
M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. C’était il y a trente-sept ans, une autre époque ! Depuis, notre addiction à la dépense publique n’a cessé de croître et de prospérer.
Je le sais, nous allons avoir ici un débat délicat sur l’atteinte prétendument portée à l’initiative parlementaire. J’ai été très attentif aux propos de M. Hyest, et je pense que nous devrions trouver un compromis équilibré sur l’essentiel.
Posons-nous enfin les bonnes questions ! Que voulons-nous ? Que d’autres, demain, par exemple le FMI, décident à notre place ? Quelle sera alors la place du Parlement dans un État qui aura perdu les attributs de sa souveraineté ? Pouvons-nous continuer ainsi ? (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.) La réponse, madame Borvo Cohen-Seat, est assurément « non » !
Paraphrasant un ancien Président de la République qui évoquait le chômage, je dirai : « Contre les déficits, on a tout essayé ! » La France n’est assurément pas avare d’objectifs, d’outils de programmation et de règles réputées les rendre effectifs.
L’équilibre des comptes des administrations publiques est, depuis 2008, un objectif constitutionnel, inscrit à l’article 34 de notre loi fondamentale. En avons-nous seulement conscience ? Dans l’architecture sophistiquée élaborée ces dernières années pour faire respecter ce principe, le programme de stabilité occupe désormais le sommet de la hiérarchie des normes financières et s’impose aux autres programmations : programmations pluriannuelles annexées aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale et lois de programmation des finances publiques.
C’en est fini du temps où chaque ministre élaborait sa loi de programmation d’investissements pour la justice ou pour la sécurité ! On n’osait pas additionner les coûts engendrés par ces différents textes, parce que l’on avait pris conscience qu’ils n’étaient pas finançables, qu’ils n’étaient pas soutenables, raison pour laquelle, d’ailleurs, les mesures prévues n’ont pas été respectées.
Aux règles européennes – 3 % du PIB pour le déficit et 60 % du PIB pour la dette –, se sont ajoutées des règles de gouvernance nationale en dépenses comme en recettes : la norme de dépenses « zéro volume », puis le « zéro valeur hors pensions et charge de la dette », la programmation triennale des plafonds de dépenses, l’ONDAM pour les dépenses d’assurance maladie, la règle du gage des niches et celle de gage global des mesures nouvelles, cette dernière ayant d’ailleurs été abandonnée dans la dernière loi de programmation.
Nous ne manquons donc pas de normes, nous manquons simplement de volonté et d’une capacité à « faire », pour mettre en harmonie nos paroles et nos actes.
Mme Nicole Bricq. C’est de l’auto-flagellation !
M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. Je vous renvoie au graphique, ô combien éloquent, de la page 14 de notre rapport : nos programmations n’ont jamais été respectées ; la nouvelle programmation se contente, chaque année, de décaler dans le temps l’objectif de retour à l’équilibre, qui se déplace tel l’horizon.
Or les perspectives d’évolution des finances publiques confirment, si besoin était, que la France n’a plus le droit à l’erreur.
Les plus récentes prévisions de solde public publiées par la Commission européenne révèlent que, en 2012, à politique inchangée, notre pays aura le niveau de déficit le plus élevé de la zone euro, derrière la Grèce, l’Irlande et l’Espagne. À ce rythme, mes chers collègues, nous serons bientôt sur le podium ! Certes, nous attendons de vous, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre, les propositions qui détourneront le risque qu’un tel scénario ne se réalise. Rendez-vous est pris pour le prochain débat d’orientation des finances publiques et le projet de loi de finances pour 2012.
Mais ayons à l’esprit la mise sous perspective négative de la capacité des États-Unis à rembourser leur dette. Il est vrai que les Américains inondent cyniquement le monde de leurs dollars ; j’espère que le prochain directeur général du FMI y mettra bon ordre. Le coup de théâtre que constitue la dégradation de la notation financière américaine prouve qu’aucun État n’est à l’abri d’une telle sanction.
Pour la France, les conséquences ne seraient pas seulement une hausse du coût de la charge de la dette. Elles seraient dommageables pour l’Europe dans son ensemble, au regard du rôle central joué par notre pays pour ce qui concerne la monnaie unique et le fonctionnement du futur mécanisme européen de stabilité financière.
La nécessité d’une révision constitutionnelle résulte donc de ce simple constat : les outils existants n’ont pas fonctionné et il est par conséquent devenu indispensable, suivant une expression imagée, de « passer à la vitesse supérieure ».