Mme la présidente. L'amendement n° 106, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les étrangers résidant en France depuis au moins cinq ans ont le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales. Ces derniers ne peuvent exercer la fonction de maire ou d'adjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Il s’agit là d’un amendement identique à ceux que nous avons l’habitude de déposer chaque fois qu’un texte relatif à l’immigration est examiné et, même si nous connaissons la réponse qui, bien évidemment, nous sera faite à la fois par M. le rapporteur et par M. le ministre, nous persistons !
Comme dans la dernière proposition de loi que nous avons déposée, nous défendons avec cet amendement le droit de vote et l’éligibilité aux élections municipales pour les étrangers résidant depuis au moins cinq ans en France, sans que ces derniers puissent pour autant être maire, maire-adjoint ou participer d’une quelconque manière aux élections sénatoriales.
Installés durablement sur le territoire français, ces étrangers doivent pouvoir participer à la vie politique locale, laquelle les concerne tout autant que n’importe quel autre habitant de la commune. Ils forment ensemble et sans distinction une communauté de vie, de culture et de projets qui leur permet de participer à la vie civique municipale, car, quelle que soit leur nationalité, ils ne sont pas étrangers à leur ville.
D’ailleurs, le Parlement européen a voté une résolution demandant aux pays membres d’accorder le droit de vote aux élections locales à l’ensemble des étrangers vivant et travaillant sur leur territoire. Le Conseil de l’Europe comme le Comité économique et social européen se sont prononcés en sa faveur.
De plus, en vertu de l’article 88-3 de la Constitution, les ressortissants communautaires bénéficient des droits de vote et d’éligibilité aux élections municipales. La situation actuelle est donc contraire au principe d’égalité, qui veut que tous les étrangers aient accès aux mêmes droits.
C’est pourquoi nous proposons d’accorder ces mêmes droits à ceux qui ne sont pas ressortissants communautaires mais remplissent les conditions de résidence requises.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’objet de l’amendement sort du champ du projet de loi : avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Mme Assassi, que je remercie d’avoir rappelé la position du Gouvernement à l’égard de cette proposition dont nous avons déjà débattu à de nombreuses reprises, sait donc que l’avis est défavorable.
Je précise – mais est-ce nécessaire ? – que, si cet amendement devait être adopté, il nous faudrait modifier l’article 3 de notre Constitution, ce qui ne peut être fait dans le cadre d’une loi ordinaire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Une fois de plus, j’ai du mal à comprendre toutes ces contradictions.
L’intitulé du projet de loi comporte le mot « intégration » et il est question d’assimilation à l’article 1er, mais, dès que l’on parle, non plus des devoirs qui devraient être ceux des étrangers, mais de droits, et en particulier de droits politiques, tout change !
J’aurais aimé un peu plus de cohérence et de courage politique : que l’on cesse de nous opposer la Constitution,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cet amendement est irrecevable !
Mme Alima Boumediene-Thiery. …car on sait bien que, lorsqu’il est besoin de modifier la Constitution, on modifie la Constitution !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Proposez donc de la modifier !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On l’a fait plusieurs fois !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et cela n’a pas marché !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Contre cet amendement, on trouve, encore une fois, le moyen de dire non. Cela me rappelle des paroles que j’ai souvent entendues lorsque j’étais plus jeune : quand on veut faire quelque chose, on trouve le moyen ; quand on ne veut pas faire quelque chose, on trouve des prétextes.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Nous voterons cet amendement,…
M. Richard Yung. …car il correspond à une de nos orientations profondes, à un choix entériné depuis longtemps au sein de notre parti.
Le débat, on le sait, est ancien, dans la société française comme dans les différents partis – et non pas seulement dans le nôtre –, et il y a eu, si j’ose dire, des allers et des retours sur ce sujet.
On a progressé à l’échelon communautaire, avec la création de la citoyenneté communautaire, laquelle permet aux ressortissants de l’Union européenne de voter dans le pays où ils résident pour les élections européennes et pour les élections locales.
C’est un progrès, mais, pour reprendre le célèbre dicton chinois, ce n’est que la moitié du ciel ! Il reste tous ceux qui ne sont pas communautaires.
Il s’agit, pour l’instant, d’un amendement d’appel.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il ne peut s’agir que de cela !
M. Richard Yung. On se doute bien qu’il ne sera pas traduit immédiatement dans la Constitution, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre. Néanmoins, le Sénat s’honorerait en votant cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Comme vient de le dire mon collègue Richard Yung, nous entendons bien l’argument juridique concernant le caractère constitutionnel de cette proposition. Mais nous aurions aimé, monsieur le ministre, que vous nous répondiez sur le fond.
En effet, la modification de la Constitution ne constitue pas un obstacle. Ces jours-ci, nous assistons à une grande campagne concernant l’éventuelle modification de la Constitution en vue d’inclure la contrainte budgétaire dans ce texte majeur de la République.
Si l’on peut envisager cette modification et si nous devions nous transporter à Versailles pour réviser la Constitution, comme le Gouvernement semble le souhaiter, il ne serait pas très difficile d’inclure dans la révision une disposition concernant le vote de ceux que nous considérons comme des concitoyens de fait mais auxquels vous vous obstinez à refuser la citoyenneté.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Monsieur le ministre, vous savez très bien que nous attendons une réponse sur le fond. Ce débat doit continuer à progresser, comme il l’a fait depuis vingt ans. Nous aimerions connaître l’état de vos réflexions.
J’ai cru comprendre que Nicolas Sarkozy commençait à ouvrir le débat. Bien avant lui, quelqu’un – on ne s’y attendait d’ailleurs pas de sa part – évoquait cette possibilité comme un tabou. Il s’agissait de Charles Pasqua.
Nous aimerions que vous puissiez aborder des débats délicats, appelant de l’engagement et des convictions. Mais lorsqu’il est question d’immigration, vous restez sur un seul sujet, la préparation de la prochaine campagne électorale ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas vous ?
M. David Assouline. Considérant que votre électorat est assez partagé sur cette question, vous évitez d’aborder les questions de fond. Cela permettrait pourtant d’élever le débat et d’amener votre électorat à adopter cette mesure relative aux élections locales, qui est juste et partagée en Europe.
M. David Assouline. Monsieur le ministre, il n’est pas dans votre rôle d’interrompre les orateurs.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On est au Parlement, on est libres !
M. David Assouline. Le principal argument théorique qui a été avancé contre le droit de vote des immigrés aux élections locales consistait à dire que, dans la tradition française, la nationalité et la citoyenneté sont intimement liées. C’est ce que j’ai entendu pendant toute ma jeunesse.
Mais un jour nous avons décidé qu’il n’en était plus ainsi puisque, en acceptant le cadre européen, nous avons accepté que des non-nationaux européens aient le droit de vote.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est à cause de la citoyenneté européenne !
M. David Assouline. Non, cela n’existe pas dans la Constitution française. (M. le ministre proteste.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais si, lisez la Constitution !
M. David Assouline. Cessez de m’interrompre ! Madame la présidente, j’en appelle à votre autorité pour faire régner l’ordre dans cet hémicycle. (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Monsieur Assouline, veuillez poursuivre, je vous prie.
M. David Assouline. Les termes de ce concept de nationalité-citoyenneté se sont déconnectés parce que la nationalité européenne n’existe pas, même s’il existe une citoyenneté européenne. Les droits du citoyen se sont déconnectés de la nationalité française. Depuis, vous pataugez !
Voici un autre argument. Le lien social, l’harmonie sociale et l’intégration des étrangers à notre aventure collective passent par la citoyenneté, tout le monde le sait. Je prendrai un exemple simple.
Lors d’élections nationales, dans beaucoup de nos quartiers, certains enfants savent que, durant la semaine qui les précède, on en discute à table et, le dimanche électoral, dès leur plus jeune âge, ils voient leurs parents aller voter et parfois même, ils les accompagnent pour cet acte civique. Ils font ainsi, au plus profond d’eux-mêmes, l’expérience d’une appartenance à une communauté.
Dans ces mêmes quartiers, vivent d’autres jeunes – ils sont même souvent très nombreux dans un quartier –, qui n’ont jamais vu leurs parents participer à des élections. Ces jeunes sont français, ils sont nés et ont grandi ici, mais leurs parents étrangers, qui vivent ici, n’ont jamais exprimé leur choix par cet acte civique.
On s’étonne que ces jeunes s’abstiennent, on leur reproche de ne jamais aller voter alors qu’ils sont français. Mais on ne les a jamais habitués à voter, cela ne fait pas partie de leur culture ! Et, au fond, ils estiment qu’ils pourront voter quand leurs pères aussi pourront le faire. C’est une manière de nous dire qu’ils veulent une intégration de tous à la communauté nationale, qui ne soit pas une séparation avec leurs parents, leurs familles, leurs origines et leurs ancêtres.
Vous pouvez comprendre cela. Pourtant, lorsque vous abordez la question de l’immigration et des étrangers, voici la seule question que vous vous posez : « qu’est-ce qui peut être entendu pour la prochaine campagne électorale ? ».
Vous n’osez pas prendre les risques politiques qui consistent à éduquer, à former et à informer les citoyens sur les vrais enjeux. Mais aujourd’hui, les citoyens sont prêts ; vous êtes en retard par rapport à la majorité des Français !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 106.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 3 bis
L’article 25 du code civil est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par les mots : « ou si elle constitue, compte tenu des conséquences pour l’intéressé, une mesure disproportionnée au regard de la gravité des faits perpétrés » ;
2° L’article est complété par un 5° ainsi rédigé :
« 5° S’il a été condamné pour un acte qualifié de crime prévu et réprimé par le 4° des articles 221-4 et 222-8 du code pénal, lorsque ce crime a été commis contre un magistrat, un militaire de la gendarmerie, un fonctionnaire de la police nationale, des douanes ou de l’administration pénitentiaire, ou un agent de police municipale. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l'article.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les vilaines idées font rarement de belles lois !
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la dernière fois que nous sous sommes trouvés avec M. Brice Hortefeux dans une opposition aussi marquée, c’était lors du débat sur le test ADN, alors que je venais de saisir le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE. Le ministre s’était alors engagé à faire prévaloir en commission mixte paritaire la version du texte élaborée par le Sénat, dont nous savions, lui et moi, qu’elle serait difficilement applicable. L’histoire nous a donné raison.
Nous voilà ici, de nouveau en complète opposition, avec l’article 3 bis.
En tant que membre de la commission des affaires étrangères, je vous rappelle – on l’a d’ailleurs dit souvent – que notre pays est lié par de nombreuses conventions au sujet des nationalités et que le droit international interdit de créer des apatrides, par le biais d’une convention du 30 août 1961, entrée en vigueur le 13 décembre 1975.
Les cas de révision et de suppression de la nationalité sont déjà prévus par des textes, qui ont été appliqués sept fois depuis 1999.
Notre arsenal juridique répressif est assez bien pourvu, à condition que les forces de police et de gendarmerie, ainsi que le pouvoir judicaire aient les moyens humains et matériels de l’appliquer.
Monsieur le ministre, c’est avec beaucoup de prudence que j’aborderai un dernier point. Comme je l’ai dit, les vilaines idées ne font pas de bonnes lois. C’est le régime de Vichy qui, avant vous, avait eu la triste et funeste idée de s’emparer de l’arme de la dénaturalisation.
La loi du 22 juillet 1940, « La France aux Français », a ainsi entraîné la perte de la nationalité française pour des milliers d’Espagnols et d’Italiens, fuyant la misère économique, la guerre civile ou le fascisme, ainsi que pour tous les émigrés des pays de l’Est, fuyant les persécutions antisémites et venus chercher refuge en France. L’abrogation du décret Crémieux a également rendu apatrides les Juifs d’Algérie.
On disait à l’époque « heureux comme Dieu en France », mais les lois de Vichy en ont décidé autrement.
À toutes ces raisons, j’en ajouterai une plus personnelle : mon père, ses parents et toute sa famille ont vu leur nationalité française leur être retirée par un décret de 1941, ce qui leur a valu une priorité pour la rafle du Vel’ d’Hiv’ et pour le convoi n° 9 à destination d’Auschwitz.
Comparaison n’est pas raison, bien entendu, et loin de moi l’idée de rapprocher les situations historiques. Cela serait injurieux à votre égard et à l’égard de la France dans laquelle nous vivons aujourd’hui, qui n’est pas, loin de là, la France de Vichy.
Même si, selon un récent sondage, 80 % des Français sont favorables au retrait de la nationalité française pour polygamie ou incitation à l’excision, et 70 % sont favorables au retrait de la nationalité française en cas d’atteinte à la vie d’un policier ou d’un gendarme, 95 % de ces sondages concernent les électeurs du Front national !
C’est surtout aux miens que je pense en vous disant que je ne voterai pas cet article. Avec moi, l’ensemble des sénateurs du groupe de l’Union centriste s’opposent fermement et solidairement au vote de cet article. Nous voterons donc les amendements de suppression et nous avons demandé un scrutin public sur l’amendement n° 30 rectifié.
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.
Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis très émue par les propos de Mme Nathalie Goulet et j’apprécie la position collective du groupe de l’Union centriste sur cette question.
Nous voici devant le chiffon rouge que vous agitez devant les parlementaires socialistes pour tenter de noyer le débat. Ce projet de loi est, dans son ensemble, une atteinte aux droits des étrangers, aux valeurs de notre République, et l’on ne saura se focaliser sur la seule déchéance de la nationalité pour masquer d’autres dispositions très préoccupantes. Je pense notamment aux mariages dits gris ou bien à la zone d’attente clé en main qui traduit un recul net du droit.
La déchéance de la nationalité n’est donc malheureusement pas un cas isolé. La naturalisation est un processus complexe qui suppose l’adhésion à nos valeurs et la volonté de s’intégrer à notre société. Il me semble pour le moins curieux qu’une fois ce cap passé il faille encore faire ses preuves. Ce texte montre qu’un naturalisé n’est visiblement jamais réellement français.
Somme toute, nous sommes d’accord sur le fait qu’il est particulièrement abject de commettre un meurtre et, fait aggravant, sur un représentant des forces de l’ordre. Toutefois, je ne peux manquer de m’interroger sur le sens profond de cette disposition.
Pourquoi opérer une distinction entre le meurtre d’un représentant des forces de l’ordre par un Français dit de souche et celui qui aurait été commis par un Français naturalisé ? Estimez-vous que l’un de ces crimes est, par essence, plus grave que l’autre ?
Cette distinction n’a pas de sens, le crime est tout aussi condamnable dans un cas que dans l’autre ! Aussi, les personnes le commettant devraient être frappées des mêmes peines.
Redisons-le, cette différence dans la nature des peines n’est pas conforme à la Constitution. On ne peut prévoir un traitement distinct entre les Français naturalisés depuis moins de dix ans et les autres.
Admettez le caractère étrange de cette proposition. Un Français naturalisé depuis neuf ans et cinq mois aurait éventuellement une peine supplémentaire au travers de la déchéance de la nationalité alors qu’un Français naturalisé depuis dix ans et trois mois ne risquerait rien, et ce pour un même crime !
Quelle logique sous-tend votre propos ?
Pour nous tous, la nation est un bien précieux. Depuis 1870, nous sommes les promoteurs d’un modèle national reposant sur le « vivre ensemble » plus que sur l’histoire. Ernest Renan considérait, selon une célèbre formule, que la nation est un « plébiscite de tous les jours ».
C’est parce que nous avons envie d’avancer ensemble que nous sommes membres de la communauté nationale. Cependant, chers collègues, on voit mal comment ce plébiscite peut exister quand une partie de la nation possède un statut précaire.
Au regard de la loi, ces personnes ne seront pas des Français comme les autres. La suspicion sur leur statut n’est pas acceptable. Les naturalisés français sont déjà suspectés de double allégeance, à cela s’ajoutera la précarité de leur statut.
Certes, vous nous affirmez que cette disposition n’aurait concerné que sept personnes depuis 1998, et que, dès lors, la précarité est bien relative au vu du faible nombre de personnes concernées.
Doit-on mettre à bas notre modèle national, attaquer les fondements mêmes de la République pour sept individus qui, français ou non, passeront une bonne partie de leur vie en prison ?
Les événements de l’été dernier furent graves, leur exploitation politique l’est plus encore. Nos représentants dépositaires de l’ordre public méritent mieux que des effets de manche pour assurer leur protection.
Réfléchissez-y : arrêter la politique du chiffre, qui constitue pour eux un stress constant et qui les conduit à travailler dans des conditions extrêmes, serait sans doute plus efficace pour améliorer leurs relations avec la population et redorer leur blason. Commençons par leur donner les moyens de travailler, ne leur assignons pas d’objectifs ubuesques et nous contribuerons plus efficacement au respect de leur fonction.
Enfin, je veux faire une observation plus générale sur le projet de loi.
Je m’étonne que des textes importants fassent l’objet de la procédure accélérée et que seuls les textes sur la sécurité et l’immigration aient droit à la procédure normale et donc aux navettes parlementaires. C’est comme si l’on voulait instiller dans l’esprit de nos concitoyens les thèmes habituels de la prochaine campagne électorale.
Mme Bariza Khiari. Marine Le Pen cible l’islam et les musulmans et le Gouvernement, pour ne pas être en reste, cible l’immigration et l’insécurité. Tout cela se rejoint pour installer des peurs en vue des prochaines élections.
Mme Bariza Khiari. J’en reviens à la question de la déchéance de nationalité.
Parce que notre Constitution affirme que les Français sont égaux devant la loi et que, pour nous, les mots – encore les mots ! – ont un sens, on ne peut les travestir au gré des vicissitudes médiatiques.
Nous demandons donc avec force la suppression de cette mesure et appelons nos collègues, en résonance avec leurs valeurs humanistes, à agir comme nous l’avions fait ensemble pour les tests ADN.
Le Sénat, en sa qualité de chambre des sages, s’honorerait à rejeter un tel dispositif.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour ma part, je considère – d’ailleurs, je ne suis pas la seule – que la déchéance de la nationalité ne devrait pas exister, car une telle mesure est antirépublicaine.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On appartient ou non à la nation, quelle que soit la façon dont s’est faite cette appartenance. Il ne devrait pas y avoir de retour possible en arrière.
La réponse judiciaire sanctionnant des délits ou des crimes, les plus monstrueux soient-ils, doit être la même pour tous les Français, quelle que soit la date d’acquisition de la nationalité, ainsi que pour les étrangers présents sur le territoire. L’égalité exige qu’on ne fasse pas de différence entre les Français ni entre les Français et les étrangers en matière pénale.
J’ajoute que la déchéance de la nationalité est gravement connotée depuis que le pouvoir de Vichy – époque où, je dois le rappeler, la République, par la volonté de certains, s’est sabordée – a déchu des centaines de milliers, voire des millions de Français de leur nationalité, dont un groupe entier de Français de religion juive, avec les conséquences que l’on sait pour beaucoup d’entre eux.
La République se serait honorée et s’honorerait en bannissant la déchéance de la nationalité de son dispositif législatif. Tel n’est pas votre avis ni peut-être celui de la majorité des Français.
Reste que, jusqu’à aujourd’hui, il existait un consensus selon lequel la déchéance de la nationalité était réservée aux atteintes aux intérêts essentiels de l’État, c’est-à-dire en cas de trahison, d’espionnage, de terrorisme, ce qui est plus conforme à la Déclaration des droits de l’homme et aux accords internationaux. C’est ainsi que cette sanction a été rarement appliquée.
Le précédent gouvernement, qui n’était pas si éloigné de celui-ci, puisque le remaniement n’a pas été de nature à modifier sa composition, semblait de cet avis. Il aura donc fallu l’intervention du chef de l’État à Grenoble pour que soit introduite une extension plus ou moins précise de la déchéance de la nationalité.
Vous le savez, le Président de la République dit beaucoup de choses, mais on peut quelquefois regretter que le Gouvernement ne s’empare pas de certains de ses propos. Lorsqu’il parle de « moraliser le capitalisme », par exemple – voyez d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui –, ou lorsqu’il évoque le fait qu’il n’est pas hostile au droit de vote des étrangers aux élections locales, on aurait aimé que le Gouvernement se précipite sur cette occasion pour prévoir des dispositifs législatifs. Or rien ne se passe ! En fait, il y a les propos d’affichage et les propos d’affiche, qui seuls font l’objet de projets de loi.
Ainsi, vous avez décidé d’accepter d’étendre la déchéance de la nationalité aux meurtriers de dépositaires de l’autorité publique, dont le rapport cite la liste. Je me demande d’ailleurs si celle-ci est exhaustive. Il est difficile de le savoir.
La commission, sans doute pour éviter des difficultés inhérentes à cette vaste entreprise, a limité les possibilités de déchéance de la nationalité ou plutôt a défini de façon plus restrictive les personnes dépositaires de l’autorité publique en retenant les magistrats, les gendarmes, les fonctionnaires de la police nationale, les fonctionnaires de la police municipale, les agents des douanes et les personnels de l’administration pénitentiaire.
La commission veut ainsi nous faire comprendre qu’elle n’est pas totalement d’accord avec la liste très exhaustive des personnes dépositaires de l’autorité publique. Hélas ! elle crée un autre problème : pourquoi ne retenir que ces six catégories de fonctionnaires ? Les pompiers, les médecins hospitaliers, les professeurs, les élus ne sont-ils pas, eux aussi, dignes d’être dépositaires de l’autorité publique ?
Vous voyez bien que la volonté affichée du Président de la République de réprimer ou de stigmatiser les personnes issues de l’immigration ou sa conception de l’État – selon laquelle il y aurait peut-être de bons Français et de moins bons, je ne sais – ne résiste pas à un examen des règles fondamentales de notre droit : l’égalité entre les Français, l’égalité de tous devant la justice.
Je souhaite que la déchéance de la nationalité disparaisse totalement de notre législation. À défaut, cette condamnation doit uniquement sanctionner la trahison à l’égard de la République.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l'article.
M. David Assouline. Au cours de la discussion générale, j’ai eu l’occasion d’exprimer fortement mon sentiment personnel sur cette question. Je veux maintenant revenir sur les principaux arguments qui ont été échangés ici.
Vous dites qu’il faut une loi, car il faut adapter notre droit et régler des problèmes concrets. Pourtant, personne ne peut raisonnablement soutenir ici que la mesure prévue à l’article 3 bis, qui ne touchera que quelques individus au mieux, changera quoi que ce soit à la régulation des flux migratoires ou à l’intégration, sujets qui sont censés être traités par ce texte.
Ce sujet n’avait jamais été brandi par l’UMP, ni même par ses ancêtres. Il faut dire que, depuis 1945, en France, les partis se sont constitués sur un socle commun fondamental : ne pas créer deux catégories de Français.
Finalement, vous ouvrez une brèche : l’origine étrangère restera indélébile et on pourra toujours la rappeler en supprimant la nationalité française. Une telle mesure, comme cela a déjà été dit, était associée au gouvernement de Vichy, dont l’idéologie était une rupture totale avec la République et même un déni de République.
Votre dispositif n’aura aucune utilité. En fait, il est purement symbolique. Les symboles en politique servent à envoyer des messages et à éduquer. Or le message que vous envoyez, c’est qu’il y existe deux catégories de Français. Déjà que l’on stigmatisait les étrangers, maintenant on rappellera aussi leur origine étrangère à certains Français !
Peut-être pensez-vous que c’est ainsi qu’on combat la montée du parti national-populiste, le Front national. Mais vous vous trompez sur toute la ligne ! J’en veux pour preuve que cette idée n’a jamais figuré dans votre programme, alors qu’elle est depuis toujours inscrite dans le sien. Vous la lui avez empruntée. Je vous rappelle quand même que le Front national, lui, va encore plus loin, puisqu’il demande que cette sanction soit appliquée à tous ceux qui ont été condamnés à six mois ferme, ce qui représenterait des milliers de personnes.
Je vous le dis : la seule façon de combattre le Front national, c’est de créer un cordon sanitaire républicain. Il nous faut lutter contre cette tentation de trouver des boucs émissaires, même si je sais que cette pratique est vieille comme le monde. Après tout, c’est humain – on a tous en soi du bon et du mauvais –, quand ça va mal, quand il y a une crise sociale, il est plus facile de rejeter sur l’autre toute la responsabilité.
Pensez-vous que, lorsqu’un crime qui aura ému l’opinion publique sera commis par un Français d’origine étrangère, vous répondrez : « On a la mesure, il va être déchu de sa nationalité ». Je sais que vous n’y croyez pas une seconde. Imaginez-vous également qu’un criminel suffisamment dangereux, fou, hors norme, hors morale, pour tuer un magistrat ou un policier va se dire : « je risque la perpétuité mais, surtout, d’être déchu de ma nationalité, alors, j’arrête » ?
Votre texte n’aura aucune efficacité préventive. Il est là uniquement pour le symbole.
La façon de reconquérir tous ces électeurs tentés par les discours faciles où l’on cherche les raisons de sa mauvaise situation chez l’autre, c’est de mener un combat d’éducation, d’information pour les élever, sinon on tombe dans le populisme.