Sommaire
Présidence de Mme Monique Papon
Secrétaires :
Mme Christiane Demontès, M. Jean-Paul Virapoullé.
3. Immigration, intégration et nationalité. – Suite de la discussion d'un projet de loi (Texte de la commission)
Motion no 6 de Mme Éliane Assassi. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois ; Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales ; Richard Yung, Jean-Pierre Fourcade. – Rejet par scrutin public.
Demande de renvoi à la commission
Motion no 7 de M. Jacques Mézard. – MM. Yvon Collin, le rapporteur, le ministre. – Rejet par scrutin public.
Article additionnel avant le titre Ier
Amendement n° 17 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Yvon Collin, le rapporteur, le ministre, Richard Yung, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jean-Pierre Fourcade, Philippe Dallier, Jean-Pierre Michel. – Rejet par scrutin public.
Article 1er A (suppression maintenue)
Articles additionnels après l’article 1er A
Amendement n° 272 rectifié de M. Richard Yung. – Mme Alima Boumediene-Thiery.
Amendement n° 273 rectifié de M. Richard Yung. – Mme Alima Boumediene-Thiery.
MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des amendements nos 272 rectifié et 273 rectifié.
Amendement n° 144 de Mme Éliane Assassi. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le ministre, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Rejet.
Mme Bariza Khiari.
Amendements identiques nos 18 rectifié de M. Jacques Mézard et 100 de Mme Éliane Assassi. – Mmes Françoise Laborde, Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le ministre, Jean-Pierre Michel. – Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article.
Article additionnel après l’article 1er
Amendement n° 125 de Mme Éliane Assassi. – Mme Marie-Agnès Labarre, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
M. Louis Mermaz, Mme Bariza Khiari, MM. David Assouline, le ministre.
Amendements identiques nos 8 de Mme Alima Boumediene-Thiery, 19 rectifié de M. Jacques Mézard et 102 de Mme Éliane Assassi. – Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Yvon Collin, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. le rapporteur, le ministre, Jean-Pierre Michel, Mme Josiane Mathon-Poinat, M. David Assouline, Mmes Éliane Assassi, Nathalie Goulet, M. Richard Yung. – Rejet des trois amendements.
Amendement n° 20 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Yvon Collin, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 21 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Yvon Collin, le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendements identiques nos 22 rectifié de M. Jacques Mézard et 274 de M. Richard Yung. – Mme Bariza Khiari, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des deux amendements.
Amendement n° 275 de M. Richard Yung. – Mme Bariza Khiari, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 23 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Yvon Collin, le rapporteur, le ministre, Richard Yung, David Assouline, Yves Détraigne, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. – Rejet.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 2
Amendement n° 276 rectifié de M. Richard Yung. – MM. Richard Yung, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendements identiques nos 24 rectifié de M. Jacques Mézard et 103 de Mme Éliane Assassi. – M. Yvon Collin, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des deux amendements.
Amendement n° 26 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Yvon Collin.
Amendement n° 292 rectifié de M. Richard Yung. – M. Louis Mermaz.
MM. le rapporteur, le ministre, Jean-Pierre Fourcade, David Assouline, Richard Yung, Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Rejet des amendements nos 26 rectifié et 292 rectifié.
Amendement n° 25 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Yvon Collin, le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
4. Questions d'actualité au Gouvernement
M. Robert Hue, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.
MM. Laurent Béteille, Maurice Leroy, ministre de la ville.
décret portant sur les commissions départementales de coopération intercommunale
MM. Yvon Collin, Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales.
Mme Catherine Morin-Desailly, M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique.
Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.
MM. Adrien Gouteyron, Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.
MM. Claude Bérit-Débat, Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement.
candidature d’annecy aux jo d’hiver
M. Pierre Hérisson, Mme Chantal Jouanno, ministre des sports.
MM. Jackie Pierre, François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État ; le président.
MM. Martial Bourquin, Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
5. Immigration, intégration et nationalité. – Suite de la discussion d'un projet de loi (Texte de la commission)
Mmes Marie-Agnès Labarre, Catherine Tasca.
Amendements identiques nos 27 rectifié de M. Jacques Mézard, 104 de Mme Éliane Assassi et 277 de M. Richard Yung. – Mmes Anne-Marie Escoffier, Éliane Assassi, MM. Richard Yung, François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois ; Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales ; Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Alima Boumediene-Thiery, Catherine Procaccia. – Rejet des trois amendements.
Adoption de l'article.
Amendements identiques nos 28 rectifié de M. Jacques Mézard et 105 de Mme Éliane Assassi. – Mmes Anne-Marie Escoffier, Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le ministre. – Retrait de l’amendement no 28 rectifié ; rejet de l’amendement no 105.
Adoption de l'article.
Article additionnel après l'article 3
Amendement n° 106 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le ministre, Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Richard Yung, Mme Catherine Tasca, M. David Assouline. – Rejet.
Mmes Nathalie Goulet, Bariza Khiari, Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. David Assouline, le ministre, Jacques Gautier, Jean-Pierre Sueur, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
Amendements identiques nos 30 rectifié de M. Jacques Mézard, 108 rectifié de Mme Éliane Assassi et 278 de M. Richard Yung. – Mmes Anne-Marie Escoffier, Éliane Assassi, M. David Assouline.
Amendement n° 269 rectifié de M. Jacques Gautier. – M. Jacques Gautier. – Retrait.
MM. le rapporteur, le ministre, David Assouline, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Richard Yung, Louis Mermaz, Mmes Catherine Tasca, Nicole Borvo Cohen-Seat, Éliane Assassi. – Adoption, par scrutin public, des amendements nos 30 rectifié, 108 rectifié et 278.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l’article 3 bis
Amendement n° 279 de M. Richard Yung. – Mme Catherine Tasca, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendements identiques nos 109 de Mme Éliane Assassi et 280 de M. Richard Yung. – Mme Marie-Agnès Labarre, MM. Richard Yung, le rapporteur, le ministre. – Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article.
Amendements identiques nos 9 de Mme Alima Boumediene-Thiery, 31 rectifié de M. Jacques Mézard et 110 de Mme Éliane Assassi. – Mmes Alima Boumediene-Thiery, Anne-Marie Escoffier, Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des trois amendements.
Adoption de l'article.
Articles additionnels après l'article 4
Amendement n° 281 de M. Richard Yung. – MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 282 de M. Jean-Étienne Antoinette. – MM. Jean-Étienne Antoinette, le rapporteur, le ministre. – Retrait.
Amendements identiques nos 111 de Mme Éliane Assassi et 283 de M. Richard Yung. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, le ministre. – Rejet des deux amendements.
Amendement n° 32 rectifié bis de M. Jacques Mézard. – Mme Anne-Marie Escoffier.
Amendement n° 493 de la commission. – M. le rapporteur.
Amendement n° 284 rectifié de M. Richard Yung. – M. Jean-Pierre Sueur.
MM. le rapporteur, le ministre, Mme Anne-Marie Escoffier. – Rejet des amendements nos 32 rectifié bis et 284 rectifié ; adoption de l’amendement no 493.
Adoption de l'article modifié.
Articles additionnels après l’article 5
Amendement n° 285 de M. Richard Yung. – MM. Richard Yung, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 286 de M. Richard Yung. – MM. Richard Yung, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
Articles additionnels après l'article 5 (suite)
Amendement n° 287 de M. Georges Patient. – MM. Jean-Étienne Antoinette, le rapporteur, Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer. – Retrait.
Amendement n° 290 de Mme Bariza Khiari. – Mme Bariza Khiari, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Amendement n° 289 de Mme Bariza Khiari. – Mme Bariza Khiari, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Adoption.
Amendement n° 288 de Mme Bariza Khiari. – Mme Bariza Khiari, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Adoption de l'article modifié.
Articles additionnels après l'article 5 bis
Amendement n° 291 rectifié de Mme Bariza Khiari. – Mme Bariza Khiari, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Amendements nos 293 et 294 (priorité) de M. Richard Yung. – MM. Richard Yung, le rapporteur, Mme la ministre, M. le président de la commission, Mmes Nathalie Goulet, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Christian Cointat, David Assouline. – Adoption, après une demande de priorité, de l’amendement no 294 insérant un article additionnel ; retrait de l’amendement no 293.
M. Louis Mermaz, Mme Bariza Khiari, M. David Assouline.
Amendements identiques nos 34 rectifié de M. Jacques Mézard, 112 de Mme Éliane Assassi et 296 rectifié de M. Richard Yung. – Mmes Anne-Marie Escoffier, Éliane Assassi, MM. Richard Yung, le rapporteur, Mmes la ministre, Bariza Khiari, M. Louis Mermaz. – Rejet, par scrutin public, des trois amendements.
Amendements nos 300, 299, 298 et 297 de M. Richard Yung. – MM. Richard Yung, le rapporteur, Mme la ministre, M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet des quatre amendements.
Adoption de l'article.
MM. Louis Mermaz, Jean-Pierre Sueur, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Amendements identiques nos 35 rectifié de M. Jacques Mézard, 113 de Mme Éliane Assassi et 301 de M. Richard Yung. – Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Jean-François Voguet, Louis Mermaz, le rapporteur, Mme la ministre, M. Christian Cointat, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le président de la commission, David Assouline, Mme Nathalie Goulet. – Rejet des trois amendements.
Amendement n° 302 de M. Richard Yung. – MM. Louis Mermaz, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Amendement n° 494 rectifié de la commission. – M. le rapporteur, Mme la ministre, M. Jean-François Voguet, Mme Alima Boumediene-Thiery. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Mme Bariza Khiari.
Amendements identiques nos 36 rectifié de M. Jacques Mézard, 114 de Mme Éliane Assassi et 303 de M. Richard Yung. – Mmes Anne-Marie Escoffier, Marie-Agnès Labarre, MM. Richard Yung, le rapporteur, Mmes la ministre, Alima Boumediene-Thiery, MM. David Assouline, Jean-Pierre Sueur, le président de la commission. – Rejet des trois amendements.
Adoption de l'article.
M. Louis Mermaz.
Amendements identiques nos 115 de Mme Éliane Assassi et 304 de M. Richard Yung. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, Mmes la ministre, Alima Boumediene-Thiery. – Rejet des deux amendements.
Amendement n° 305 rectifié de M. Richard Yung. – MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Amendement n° 10 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Adoption de l'article.
M. Louis Mermaz, Mme Bariza Khiari.
Amendements identiques nos 37 rectifié de M. Jacques Mézard, 116 de Mme Éliane Assassi et 306 de M. Richard Yung ; amendement no 495 de la commission. – Mmes Anne-Marie Escoffier, Éliane Assassi, MM. Richard Yung, le rapporteur, Mme la ministre, M. David Assouline. – Rejet des amendements nos 37 rectifié, 116 et 306 ; adoption de l’amendement no 495.
Adoption de l'article modifié.
Articles additionnels après l'article 10
Amendement n° 203 rectifié de Mme Éliane Assassi. – M. Jean-François Voguet.
Amendement n° 309 rectifié de M. Richard Yung. – M. David Assouline.
M. le rapporteur, Mmes la ministre, Marie-Thérèse Hermange, Alima Boumediene-Thiery, Nicole Borvo Cohen-Seat. – Rejet des amendements nos 203 rectifié et 309 rectifié.
Amendement n° 515 de la commission. – M. le rapporteur, Mme la ministre. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendements identiques nos 117 de Mme Éliane Assassi et 308 rectifié de M. Richard Yung. – MM. Jean-François Voguet, David Assouline, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet des deux amendements.
M. Louis Mermaz.
Amendements identiques nos 38 rectifié de M. Jacques Mézard, 118 de Mme Éliane Assassi et 307 de M. Richard Yung. – Mmes Anne-Marie Escoffier, Marie-Agnès Labarre, Alima Boumediene-Thiery, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet des trois amendements.
Adoption de l'article.
Amendement n° 270 de M. Jacques Gautier. – M. Jacques Gautier. – Retrait.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 496 de la commission. – M. le rapporteur, Mme la ministre. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Amendement n° 119 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Amendements nos 310 à 315 de M. Richard Yung. – MM. Richard Yung, le rapporteur, Mme la ministre. – Rectification de l’amendement no 314 ; rejet des amendements nos 310, 312, 311, 313 et 315 ; adoption de l’amendement no 314 rectifié.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 120 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 121 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 122 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l'article.
Article additionnel après l'article 16
Amendement n° 123 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Article additionnel avant l'article 17 AA
Amendement n° 124 de Mme Éliane Assassi. – MM. Jean-François Voguet, le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Amendement n° 317 de M. Richard Yung. – Mme Bariza Khiari.
Amendement n° 129 de Mme Éliane Assassi. – Mme Marie-Agnès Labarre.
M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet des amendements nos 317 et 129.
Amendement n° 126 de Mme Éliane Assassi. – Mme Marie-Agnès Labarre.
Amendement n° 318 de M. Richard Yung. – Mme Bariza Khiari.
M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet des amendements nos 126 et 318.
Adoption de l'article.
Articles additionnels après l'article 17 AA
Amendement n° 130 de Mme Éliane Assassi. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Amendements nos 339 rectifié et 341 rectifié de M. Richard Yung. – M. Richard Yung.
M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet des amendements nos 130, 339 rectifié et 341 rectifié.
Amendement n° 338 rectifié de M. Richard Yung. – M. Richard Yung.
Amendement n° 127 de Mme Éliane Assassi. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet des amendements nos 338 rectifié et 127.
Amendement n° 131 de Mme Éliane Assassi. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Christiane Demontès,
M. Jean-Paul Virapoullé.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt d’un rapport
Mme la présidente. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 114 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, le rapport sur la situation des conjoints survivants de ressortissants du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre et de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales ainsi qu’à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Acte est donné du dépôt de ce rapport. Il sera disponible au bureau de la distribution.
3
Immigration, intégration et nationalité
Suite de la discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (projet n° 27, texte de la commission n° 240, rapport n° 239).
Nous poursuivons l’examen des motions.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n° 6.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (n° 240, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, auteur de la motion.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues – peu nombreux sur les travées de droite –, …
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. Mais guère plus nombreux à gauche !
Mme Josiane Mathon-Poinat. … « vous aviez aimé ma proposition de loi sur les tests ADN pour des candidats au regroupement familial ? Eh bien, vous allez adorer ce projet de loi sur l’immigration ! », a lancé Thierry Mariani.
Tout le mépris et la provocation condensés dans ces propos reflètent parfaitement l’esprit du projet de loi.
À l’heure où le Gouvernement prend la décision de ne pas faire figurer l’auteur Louis-Ferdinand Céline dans les célébrations nationales, autant vous dire que la conception de l’étranger qui infuse ce texte de loi est tout aussi condamnable que celle dont le livre Bagatelles pour un massacre s’est fait l’écho.
En transformant ainsi la législation d’exception en règle de droit commun, vous semblez vouloir conforter les propos chers à l’extrême droite. Du moins, soutenez-vous le parallèle avec avantage.
Ainsi, comme vous n’avez cessé de nous le répéter, la procédure de déchéance de nationalité a certes toujours existé. Il est vrai que, jusqu’au régime de Vichy, cette sanction était exclusivement destinée à réprimer l’espionnage et les actes contraires à l’intérêt de la nation.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cela dit, cette procédure d’exception de triste mémoire a surtout été utilisée par Vichy à l’encontre de personnes de religion juive ou de personnes naturalisées par la loi libérale de 1927.
Le Conseil constitutionnel avait admis l’introduction du terrorisme dans les motifs de déchéance, mais il avait aussi rappelé dans un même mouvement qu’« au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation ». Voilà ce qui nous importe !
Malgré les menus aménagements ornementaux apportés par la commission, cette mesure demeure strictement contraire à l’article 1er de la Constitution, qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion.
De même, comment ne pas s’indigner face à la réactivation du concept d’assimilation ?
Il est outrageux pour nos concitoyens français d’origine étrangère, injurieux pour les étrangers et particulièrement délétère pour nos valeurs républicaines de voir que vous amalgamez ainsi assimilation et intégration. Une petite précision étymologique s’impose donc.
L’intégration signifie faire entrer une partie dans un tout. Ainsi dit-on d’une société qu’elle est intégrée lorsqu’elle a un fort taux de cohésion sociale.
L’assimilation, terme en vogue du temps de l’administration coloniale, est le processus par lequel un ensemble d’individus se fond dans un nouveau cadre social beaucoup plus large. Le meilleur indice d’assimilation est la disparition totale des spécificités des personnes assimilées, ce qui implique la renonciation à leur culture, la mise au pas de leur personnalité et leur atomisation au sein de la société qui les absorbe.
En tant que républicains, nous refusons la promotion de toute forme de communautarisme. Reste que le communautarisme ne se réglera pas par la réactivation du concept d’assimilation.
Le communautarisme naît de la conviction qu’il n’existe pas de perspective en dehors de la communauté. Cela implique que, pour le vaincre et donner pleinement sens aux valeurs républicaines qui sont les nôtres, aucune communauté ne doit se sentir dominée par l’autre. D’où l’exigence d’une confiance réciproque, que nous n’obtiendrons pas en aménageant le code pénal spécialement pour les migrants, en allongeant leur durée de rétention à quarante-cinq jours sans même leur avoir notifié leurs droits – sans doute parce qu’ils sont supposés ne pas en avoir – et en les accusant de ne rien comprendre aux principes fondamentaux de notre République, contrairement aux « bons Français », qui, eux, sont présumés en être naturellement imprégnés.
Cela dit, le procédé dont vous faites usage nous est désormais bien connu, tant il est systématique.
Dès que vous vous sentez fragilisés sur des questions sociales, vous agitez la xénophobie et le racisme. Il vous est alors aisé de stigmatiser, au sein de la population, des catégories pour les lâcher en pâture à l’opinion.
Lorsqu’on révèle que le pouvoir est mis en cause dans une affaire fiscale, on accuse à l’emporte-pièce les revenus des gens du voyage ou bien les Roms à qui on les amalgame grossièrement.
Lorsque ce même pouvoir trempe dans des affaires de cigares ou d’évasion fiscale, il accuse « les grosses cylindrées des gens du voyage ».
Lorsque la délinquance augmente, vous fournissez à l’opinion publique des proies plus accessibles, bien qu’itinérantes, proies que les volontaires de la milice citoyenne créée par la LOPPSI, la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, arrêteront et jugeront bientôt peut-être eux-mêmes.
Le problème est que, simultanément et délibérément, vous laissez infuser une logique xénophobe dans l’ensemble de notre société.
C’est en vertu de cette logique qu’un préfet ose déclarer qu’il n’a pas de « tendresse particulière » pour les Roms car « ils vivent à nos crochets », et se dit agacé de voir que « certains roulent dans des Mercedes » que lui-même « ne peut pas [se] payer ».
C’est en vertu de cette logique également que, contrairement au principe d’accueil inconditionnel, les préfectures demandent maintenant aux associations chargées de l’hébergement d’urgence de « prioriser le public de droit commun », autrement dit de refuser les étrangers en situation administrative irrégulière en cas de manque de place. Cela n’est somme toute que l’application du principe de préférence nationale aux centres d’hébergement.
C’est en raison de cette xénophobie promue par l’État que, pour la première fois, les instances communautaires et internationales ont condamné la France avec autant de virulence pour discrimination raciale.
Le rapport du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU a été jusqu’à dénoncer « une montée des manifestations et des violences à caractère raciste envers les Roms » et un « manque de volonté politique » face à cette recrudescence du racisme.
Votre réponse a été claire. Elle s’incarne dans la notion d’ « abus de droit au court séjour », qui empêchera la communauté des Roms de faire des allers-retours, partant du postulat que ceux-ci ne sont là que pour profiter des prestations sociales.
Votre réponse se matérialise aussi par l’ensemble des mesures du projet de loi : port du bracelet électronique, élargissement de la palette des mesures d’éloignement, création de zones d’attente ad hoc, promotion de l’immigration choisie ou encore atténuation « paillette » du délit de solidarité. Contrairement aux injonctions communautaires, les tendances à surveiller, à enfermer, à éloigner et à bannir se précisent et se renforcent encore davantage.
Les résultats de cet électoralisme primaire sont donc dramatiques et nombreux. Dès lors, permettez-nous de vous demander comment vous définissez l’identité nationale et si toutes ces dérives en font partie.
Vous agissez comme si l’identité pouvait se penser au singulier, comme s’il s’agissait d’un credo partagé par tous, sans tenir compte de ce qui constitue nos fondements individuels. Et le pire est que vous avez tenté de l’institutionnaliser via un ministère.
La notion de « charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale » n’est ni un motif proportionnel ni un motif nécessaire pour limiter la liberté fondamentale de circulation dont jouit un citoyen de l’Union. En outre, l’instrumentalisation électoraliste que vous en faites est déraisonnable et scandaleuse.
Vos arguments financiers sont tous aussi faux les uns que les autres. Vous avez tenté à maintes reprises de vous placer sur le terrain des chiffres pour faire accepter vos options en matière de politique migratoire. Autant dire que, à chaque fois, le Gouvernement se prend à son propre piège.
Le Comité interministériel de contrôle de l’immigration a constaté, dans son rapport de décembre 2009, que le nombre de cartes de séjour temporaire délivrées aux étrangers en raison de leur état de santé s’était stabilisé en 2008, après une diminution de 12,8 % en 2007, représentant seulement 0,8 % des étrangers résidant en France.
À ce jour, seules les pathologies particulièrement graves, celles qui mettent en jeu le pronostic vital, sont des motifs considérés comme suffisants pour délivrer un titre de séjour provisoire pour soins. Ainsi, substituer aux termes « accessibilité effective » la notion d’indisponibilité serait tout simplement criminel. Car si l’article 17 ter du projet de loi a été supprimé, d’autres articles, outre l’amendement que M. Nègre a déposé pour le rétablir dans sa rédaction initiale, prennent le relais de sa transposition.
Le durcissement des conditions d’accès initial au dispositif et le basculement dans l’illégalité ainsi que la précarité de patients actuellement suivis par le biais de ce type de titre de séjour provisoire retardent l’accès aux soins. Or ces retards engendrent des surcoûts pour le système de santé.
Le rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires sociales, rendu public le 31 décembre 2010, conclut au caractère marginal de la fraude. Voilà qui s’oppose au droit d’entrée dans le dispositif de l’aide médicale d’État ! Il estime en effet que le fait pour 10 % des bénéficiaires de l’AME de retarder leur prise en charge médicale pourrait entraîner une majoration des dépenses de soins de 20 millions d’euros.
Par ailleurs, le rapport sur le coût de l’immigration, réalisé en 2009 par une équipe de chercheurs de l’université de Lille pour le compte du ministère des affaires sociales, nous révèle aussi que l’immigration fait de bons comptes. Les immigrés reçoivent de l’État, par diverses voies de transfert, 47,9 milliards d’euros. Mais ils reversent quelque 60,3 milliards d’euros dans les caisses de l’État. Le solde positif pour l’État est donc de plus de 12 milliards d’euros !
Rappelons-nous aussi que le très officiel Conseil d’orientation des retraites révélait que « l’entrée de 50 000 nouveaux immigrés par an permettrait de réduire de 0,5 point de PIB le déficit des retraites ».
M. Besson avait évoqué une « crise nationale de l’asile », notant que les demandes avaient augmenté de plus de 43 % en deux ans, ce qui justifierait l’absence de recours suspensif pour les demandeurs d’asile et les restrictions de leur accès à l’aide juridictionnelle.
En 2003, il y avait en France 50 000 demandeurs d’asile. Huit ans plus tard, le nombre de demandes n’a pas varié.
En revanche, la somme consacrée à l’hébergement et à l’accompagnement des demandeurs est en recul.
Compte tenu d’un budget global d’un montant de 240 millions d’euros, la somme consacrée à la protection de chaque demandeur s’élève à 13 euros par jour, en moyenne.
Sous couvert d’arguments financiers démentis même par les institutions de notre pays, c’est notre identité républicaine que vous défigurez !
La suppression du ministère de l’identité nationale, d’ailleurs reconstitué sous une appellation ripolinée, ne vous freine pas dans votre acharnement à vouloir expulser et susciter des peurs à l’égard des étrangers.
En réalité, ce sont l’ensemble des mesures honteuses contenues dans ce projet de loi qu’il faut bannir de notre République ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il va de soi que je m’en tiendrai à la question préalable qui a été posée, sans me laisser entraîner dans de plus longues digressions.
Contrairement à ce que soutiennent les auteurs de cette motion, on ne peut pas douter de la pertinence des objectifs poursuivis par le présent projet de loi.
Il s’agit tout d’abord de renforcer la politique d’intégration en faveur des primo-arrivants et des candidats à l’acquisition de la nationalité française.
À cette fin, le texte crée la charte des droits et devoirs du citoyen, facilite l’accès à la nationalité pour les étrangers présentant un parcours d’intégration exceptionnel et précise les obligations auxquelles sont tenus les signataires du contrat d’accueil et d’intégration.
Il s’agit ensuite de procéder à la transposition de trois directives européennes, relatives à la promotion de l’immigration professionnelle, à la lutte contre l’immigration irrégulière et à la répression des employeurs d’étrangers sans papiers.
Je rappelle à cet égard que la France est tenue d’assurer la transposition des directives européennes : ce projet de loi lui permet de se mettre en conformité avec ses obligations.
Enfin, les autres dispositions du texte visent à améliorer l’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière en réformant les procédures et le contentieux applicables aux étrangers en situation irrégulière.
À ce sujet, la commission des lois a veillé à apporter, lorsque cela lui a paru nécessaire, les précisions requises afin d’assurer un équilibre entre l’efficacité de la procédure et la garantie des droits reconnus aux étrangers, qu’il s’agisse de la définition des zones d’attente ou des modalités d’intervention du juge judiciaire.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission ne peut émettre qu’un avis défavorable sur cette motion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. M. le rapporteur vient de rappeler la teneur du projet de loi dont nous débattons.
Chacun a compris que ce texte visait plusieurs objectifs.
Tout d’abord, ce projet de loi, ainsi que M. le rapporteur l’a indiqué, tend à transposer trois directives communautaires. Que la France honore les engagements pris dans le cadre communautaire est quand même bien la moindre des choses que l’on puisse attendre d’elle !
Ensuite, le texte met en œuvre certaines propositions formulées en 2008 par une commission présidée par Pierre Mazeaud et visant à clarifier les modalités d’intervention du juge administratif et du juge judiciaire dans le contentieux de l’éloignement.
Enfin, ce texte traduit, s’agissant notamment de la déchéance de nationalité, plusieurs orientations politiques qui ont été débattues depuis l’été dernier.
Madame Mathon-Poinat, en demandant que ce projet de loi ne soit pas discuté, vous êtes, je le comprends, dans votre rôle d’opposante,
Mme Josiane Mathon-Poinat. C’est une affaire de conviction !
M. Philippe Richert, ministre. Permettez-moi cependant de vous dire que, en agissant de la sorte, vous refusez à l’État les moyens de se mettre en conformité avec la réglementation européenne, ainsi que les moyens nécessaires à une lutte plus efficace contre l’immigration irrégulière.
Libre à vous de refuser la transposition des directives européennes ! Nous savons bien que vous êtes une opposante fervente à l’Europe.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Pas à l’Europe, mais à la construction européenne !
M. Philippe Richert, ministre. Vous vous êtes prononcée à plusieurs reprises contre l’Union européenne.
Quant à nous, nous sommes favorables à l’Europe.
Ces directives ont été adoptées dans le cadre, largement initié par la France, du pacte européen sur l’immigration et l’asile. Tous les États de l’Union européenne ont plébiscité ce pacte. Ils ont maintenant décidé de passer aux actes. Ensemble, ils ont admis la nécessité absolue de réguler les flux migratoires et de lutter fermement contre l’immigration irrégulière et clandestine.
J’ai l’impression qu’il y a une seule gauche, en Europe, pour refuser de voir la réalité : c’est la gauche française ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Josiane Mathon-Poinat. Quelle caricature !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle est votre réponse ?
M. Philippe Richert, ministre. J’ajoute que vous refusez aux immigrés légaux et à ceux qui deviennent Français au terme d’un parcours exigeant la reconnaissance de leurs efforts.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Vous ne voulez pas voir la réalité en face !
M. Philippe Richert, ministre. Vous vous refusez en effet à sanctionner ceux qui, à l’opposé de l’immense majorité des nouveaux Français, n’hésitent pas, très rapidement, à fouler aux pieds les valeurs du pays qu’ils ont choisi, par exemple en assassinant des détenteurs de l’autorité publique. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
J’ai pris seulement deux exemples de vos contradictions, mais j’aurai l’occasion d’en relever d’autres.
Comme vous l’aurez compris, il me paraît nécessaire que nous puissions débattre de ce texte. Je demande donc au Sénat de ne pas adopter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Je n’avais pas l’intention, à vrai dire, d’intervenir à ce stade de la discussion. Mais les propos de M. le ministre m’y contraignent.
M. Richard Yung. Je considère en effet que vous avez attaqué la gauche en travestissant ses positions.
Pour notre part, nous soutiendrons cette motion.
Il nous faut naturellement transposer les trois directives. Il le faut d’autant plus que, si nous avons jusqu’au mois de juin ou juillet 2011 pour transposer deux d’entre elles, nous sommes déjà en retard s’agissant de la directive « retour », laquelle aurait dû être transposée avant le mois de décembre. Comme d’habitude, la France est en retard ! Aussi ne venez pas, « vêtu de probité candide et de lin blanc », nous dire que là réside votre motivation !
M. Richard Yung. Mais votre intention est au fond de tirer parti de ces transpositions nécessaires pour faire adopter des mesures sans rapport avec le contenu des directives, soit que ces dernières n’exigent rien de ce que vous proposez, – c’est le cas s’agissant par exemple de l’allongement de 32 jours à 42 ou 45 jours des délais de rétention –, soit que vous utilisiez ce prétexte pour faire adopter par le Parlement des mesures totalement étrangères aux directives : mariages gris, zones d’attente « sac à dos », déchéance de nationalité, etc. – la liste est longue !
Nous considérons donc qu’il ne s’agit pas d’une bonne transposition ; c’est une transposition prétexte. C’est la raison pour laquelle nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. Les membres du groupe UMP sont assez opposés à la question préalable, dont l’adoption bloque la discussion et interdit de débattre des vrais sujets.
Comme vient de le dire très justement M. Yung, le projet de loi prévoit non seulement la transposition de directives européennes, qui constitue pour nous une obligation absolue, mais aussi un certain nombre d’autres dispositions, telle la déchéance de nationalité.
Il serait à mon avis absurde de nous priver de débat sur un sujet aussi essentiel, auquel l’opinion publique attache à l’heure actuelle une si grande importance.
C’est la raison pour laquelle nous sommes absolument opposés à la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 6, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 147 :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 168 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 182 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Mézard, Collin, Alfonsi, Baylet et Chevènement, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, d'une motion n°7.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (n° 240, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Yvon Collin, auteur de la motion.
M. Yvon Collin. C’est notre excellent collègue Jacques Mézard qui devait initialement défendre cette motion de renvoi à la commission. Mais, compte tenu du retard pris par nos travaux en séance, il m’a demandé de le remplacer, ayant dû rentrer ce matin dans son département du Cantal, où il trouvera, j’imagine, un climat plus clément...
Nous considérons qu’une politique d’immigration doit résulter de la volonté de concilier le respect absolu des principes des droits de l’Homme, qui sont au fondement de notre République, et la capacité d’intégration, économique comme sociologique, de notre société.
L’intégration signifie le respect par les immigrés des lois de la République laïque, qui incluent des devoirs aussi bien que des droits. Ceux qui voudraient entrer en France pour continuer à vivre et à agir selon les lois de leur pays d’origine font fausse route.
La nation française s’est toujours enrichie des apports d’autres cultures, elle ne saurait s’y dissoudre.
Nous ne sommes pas de ceux qui considèrent que la République peut accueillir tout le monde, dans n’importe quelles conditions et pour faire n’importe quoi. En revanche, elle se doit dans tous les cas d’assurer à tous ceux qui entrent sur le territoire – et bien entendu également à ceux qu’elle entend en faire sortir – le respect de leur dignité, des droits fondamentaux découlant de nos principes constitutionnels.
Nous savons tous que la pression migratoire va s’accentuer dans l’avenir, que ceux qui n’ont aucun espoir d’assurer à leurs enfants nourriture, santé, liberté au sens premier du terme, seront toujours plus nombreux à tenter l’aventure de l’expatriation. Quand, dans certains pays, la vie a si peu de prix, le risque de la perdre dans l’aventure migratoire pèse peu dans la balance ; et le droit d’asile a un sens pour nous.
De la même façon, nous connaissons l’apport considérable que l’immigration amène dans nombre de secteurs de notre société. Monsieur le ministre, combien de jours les hôpitaux publics pourraient-ils fonctionner si vous reconduisiez à la frontière les médecins et auxiliaires médicaux qui y travaillent ?
Ce projet de loi est le cinquième texte législatif d’envergure consacré à l’immigration et au droit des étrangers depuis 2002. Il survient dans un climat particulièrement délétère.
Les sondages sont certes toujours contestables, mais ils appréhendent au moins partiellement la réalité. Or ils mettent en évidence l’existence d’un rejet croissant des immigrés. Ainsi, le sondage réalisé pour le Centre de recherches politiques de Sciences Po et dévoilé ces derniers jours montre que, pour 59 % des personnes interrogées, il y a trop d’immigrés en France, ce pourcentage étant en croissance de 10 % par rapport à 2009 ; et 40 % d’entre elles estiment que « la France doit se protéger davantage du monde ». Voilà qui, à l’évidence, est révélateur d’une société qui se recroqueville sur elle-même, qui est inquiète, qui manque de dynamisme, qui impute la crise aux autres : l’Europe, l’euro, l’étranger.
Nous sommes conscients des réalités de terrain ; l’angélisme ne sera jamais notre credo et, à titre personnel, je souscris aux déclarations récentes de notre collègue Jean-Pierre Chevènement sur les statistiques relatives à la délinquance et à son origine. Oui, il a raison de craindre que « le politiquement correct ne finisse par tuer le débat républicain ».
Cela étant, et sous des gouvernements de sensibilités différentes, les pouvoirs publics portent depuis des décennies une lourde responsabilité dans la situation actuelle. Nul besoin d’en rajouter sur les cités, l’échec scolaire, les ghettos et leur rejet dans des zones de non-droit.
D’une manière générale, les pays européens souhaitent attirer par l’immigration des travailleurs qualifiés. La politique de l’Allemagne est significative en la matière, dans la ligne du rapport de l’Office fédéral pour les migrations et les réfugiés de juin 2010, intitulé La couverture des besoins en force de travail par l’immigration, et ce tout en réussissant à faire baisser régulièrement le nombre d’entrées illégales sur le territoire, au moins depuis 1998.
Les cas de l’Espagne et de l’Italie sont fort différents, et ces disparités marquent, au-delà des directives européennes, l’importance des traditions politiques de chaque nation. L’excellente étude comparative des politiques d’immigration en Europe publiée au mois de janvier 2011 par la commission des affaires européennes est à cet égard très instructive.
En réalité, ce qui caractérise ces dernières années la politique du gouvernement français, c’est l’utilisation des problèmes réels posés par les flux migratoires à des fins d’affichage médiatique, avec un objectif électoraliste.
Nous, nous attendons une simplification des procédures applicables aux entrées sur le territoire français, au séjour et éventuellement à l’éloignement. Nous sommes aujourd’hui confrontés à un labyrinthe juridique d’une complexité exceptionnelle, dont on peut se demander si elle n’est pas voulue et entretenue, avec des contentieux parallèles, face à des traitements parfois indignes du pays des droits de l’Homme, face parfois à l’arbitraire, face aussi, souvent, à l’inexécution des décisions administratives et de justice.
Cette volonté d’affichage médiatique est apparue en pleine lumière avec le trop fameux débat sur l’identité nationale. La dérive malsaine véhiculée dans l’opinion sur « l’identité nationale » correspond à des objectifs qui ne seront jamais les nôtres. Un ancien Premier ministre du Président Chirac, Dominique de Villepin, a même affirmé, le 30 octobre 2009, que ce débat était « piégé, absurde et autoritaire », dénonçant une « tentation récurrente du pouvoir actuel que de donner la primauté à l’émotion, au spectacle, sur la réalité politique » ; et M. Baroin a même déclaré que ce débat était « gros comme un hippopotame dans une mare desséchée » et que « la confusion, l’amalgame et les facilités de langage peuvent flatter les bas instincts ».
Que reste-t-il du débat sur l’identité nationale ? Un échec cuisant, des braises sur lesquelles souffle le démon de l’intolérance. Il fut enterré par le séminaire gouvernemental du 8 février 2010 accouchant de quatorze propositions mineures dont seules trois trouvent une solution législative dans le présent texte. Quelle nouvelle preuve du caractère purement déclamatoire…
Mme Françoise Laborde. Et médiatique !
M. Yvon Collin. … de votre politique ! Quelle constance dans la volonté d’utiliser la peur comme vecteur politique ! Après l’identité nationale, le discours de Grenoble du 30 juillet 2010 a correspondu au lancement de nouveaux brûlots sur la déchéance de la nationalité française, sur la suppression automatique de la nationalité française pour les jeunes délinquants…
Si nous avons déposé une motion de renvoi à la commission, en application de l’article 44 du règlement du Sénat, c’est qu’il serait effectivement sage de suspendre le débat jusqu’à la présentation d’un nouveau rapport par la commission, un rapport autre que fondé sur une étude d’impact – monument de paperasse n’amenant aucun élément sérieux et crédible sur le véritable impact du projet de loi,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Un monument de paperasse, les rapports du Sénat !
M. Yvon Collin. … qui ne dit pas un mot sur la déchéance de nationalité, introduite par un amendement du Gouvernement à l’Assemblée nationale, qui n’« étudie » pas les personnes directement concernées : les milliers d’hommes et de femmes qui aspirent à vivre en France et aussi l’ensemble de nos concitoyens qui méritent d’être confortés dans ce qu’ils ont de meilleur au lieu d’être portés vers ce qui divise, au nom de votre principe de rupture qui fait tant de dégâts.
Oui, avant de légiférer à nouveau, il convient de réaliser un bilan objectif sur la question de l’immigration.
De fait, on s’aperçoit vite que la réalité ne correspond pas aux chiffres avancés. Prenez par exemple le chiffre des reconduites à la frontière : en comptabilisant les réadmissions sur le territoire d’un État membre de l’espace Schengen ou les reconduites des ressortissants bulgares et roumains séjournant au-delà des trois mois réglementaires, il est artificiellement gonflé ; en réalité, seules 46 % de celles-ci – le chiffre date de 2009 – s’effectuent hors d’une zone de libre circulation vers la France.
De même, exiger que soit privilégiée, à hauteur de 50 % du total, une immigration de travail au profit des secteurs économiques manquant de main-d’œuvre aboutit à manipuler l’utilisation des statistiques : les demandeurs d’asile sont exclus des chiffres de l’immigration, des régularisations relevant de la catégorie « vie privée et familiale » sont transférées vers la catégorie « travail ». Enfin, avec la nouvelle procédure de naturalisation, qui déconcentre la décision vers les préfectures, on se rapproche dangereusement de la rupture d’égalité, au vu des différences de traitement des dossiers d’une préfecture à l’autre.
Le slogan « passer d’une immigration subie à une immigration choisie » reste lettre morte, comme le montre l’augmentation incessante du nombre des entrées en France, passé de 97 000 en 2000 à 134 800 en 2005, en dépit de la mise en place depuis 2002 d’outils législatifs visant à tarir le flux et à complexifier les politiques d’accueil.
Au-delà des chiffres et des statistiques, le projet de loi est dangereux parce qu’il intègre des évolutions que nous ne pouvons cautionner, des évolutions vraiment contraires aux traditions de notre République.
Sur la déchéance de la nationalité française, vous êtes clairement dans un schéma provocateur ; la modification de l’article 25 du code civil que vous proposez par l’article 3 bis du texte, même revu par la commission des lois, contrevient à la Convention européenne sur la nationalité – signée mais non ratifiée par la France – n’autorisant la déchéance de nationalité qu’à l’encontre de personnes ayant commis des actes portant un préjudice grave à l’État. Le droit positif français ne relevant que du droit commun, ces cas liés au terrorisme avaient été validés par le Conseil constitutionnel en 1996, ce dernier rappelant que tous les ressortissants français étaient égaux quel que soit le mode d’acquisition ou d’attribution de la nationalité ; vous créez une confusion discriminante dans le discours symbolique entre les Français selon leur origine ; c’est inacceptable et n’a aucune vertu exemplaire.
S'agissant de la limitation du droit de séjour des étrangers, sous couvert de transposition de la directive « retour », vous réduisez fortement ce droit ; c’est une transposition ultra-petita, vous affaiblissez les garanties légales de principe constitutionnel applicables en matière de procédure contentieuse par le recul des délais de notification des droits. Or, nous le savons tous, la restriction des droits doit obéir à des principes stricts, comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme.
La zone d’attente ad hoc est un régime de privation de liberté, ainsi que l’a indiqué le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 février 1992. Certes, notre commission a limité à vingt-six jours la durée de vie de cette zone ; néanmoins, ce dispositif revient à banaliser la privation de liberté comme mode de gestion ordinaire de l’immigration – je vous renvoie à l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme du 6 janvier 2011 –, privation de liberté pour laquelle, en outre, l’accès au juge est restreint. C’est une transposition fallacieuse de l’article 18 de la directive « retour ». Votre projet de loi ne mentionne ni le caractère exceptionnel de la procédure ni les conditions d’urgence.
Sur les modes d’éloignement du territoire, le projet de loi prévoit d’abord, à l’article 49, que l’administration pourra reconduire à la frontière tous les étrangers constituant une menace pour l’ordre public, sans intervention d’un juge et en prenant « notamment » en compte des critères de simple commission de faits passibles de certaines poursuites pénales, donc sans condamnation ; pour nous, ce n’est point conforme à la directive de 2004.
Il en est de même pour l’utilisation de la notion d’abus de droit pour autoriser l’éloignement des ressortissants communautaires. Vous noterez une définition bien différente des prescriptions communautaires, dont le fait de ne rester en France que pour bénéficier des prestations sociales ; ce n’est pas : « cherchez l’erreur », mais : « chassez le Rom », à la suite de la circulaire trop célèbre de l’été 2010.
Sur l’assignation à résidence pour placement sous surveillance électronique mobile, votre texte fait de l’utilisation du bracelet électronique une quasi-norme à la disposition de l’administration, contrairement à la décision du Conseil constitutionnel du 5 décembre 2005, et ce sans intervention du juge, sans consentement de la personne visée, d’où notre amendement.
Plus globalement, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans son avis du 5 juillet 2010, a clairement rappelé que « les étrangers ont comme les nationaux droit au respect de leur liberté individuelle » et que « leur enfermement ne peut devenir un instrument ordinaire de politique migratoire ». La CNCDH a expressément demandé le renoncement à la création des zones d’attente ad hoc, l’abandon de l’allongement de la durée de rétention administrative, l’institution d’un recours suspensif en cas d’application de la procédure prioritaire à un demandeur d’asile.
La CNCDH rappelle que « les règles communautaires ne doivent pas servir d’alibi à une politique migratoire restrictive qui contrarie l’engagement international de la France de rendre effective la possibilité reconnue à chacun de quitter son pays. »
Mes chers collègues, notre nation est le fruit de diversités, s’enrichissant au fil des siècles pour construire un sentiment national, une continuité historique. Les labeurs, les souffrances, les réussites des générations qui se sont succédé ne méritent pas un tel projet. La nation n’a pas de problème d’identité avec elle-même. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’a pas une ride, elle est le fil conducteur de la République ; la respecter loyalement, c’est pour nous le premier programme de tout élu de la République, celle dont la devise justifie pleinement que vous votiez avec conviction le renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je relèverai d’abord le propos tenu par M. Yvon Collin sur le rôle de la commission, l’intérêt du rapport qui a été rendu. Finalement, à quoi servons-nous ? C’est à cette question qu’il faut répondre ! C’est porter une accusation assez forte contre l’institution elle-même et contre le travail qu’elle réalise !
Si l’on renvoie un texte à la commission, c’est pour étudier d’autres sujets, d’autres thèmes, et travailler plus. Je voudrais simplement attirer l’attention sur le fait que les auditions auxquelles nous avons procédé étaient ouvertes à tous les membres de la commission. Or, je n’ai vu, à mes côtés, que quelques collègues ici présents, notamment Mmes Boumediene-Thiery et Borvo Cohen-Seat. Personne d’autre n’est venu participer à ces auditions pour débattre des sujets que vous venez de soulever ! Cela méritait d’être souligné. Les propos qui ont été tenus étaient sans doute dus uniquement à l’intérêt de la cause momentanée et ont certainement dépassé la pensée de celui qui les a prononcés.
J’en viens maintenant au fond.
Les auteurs de la motion fondent leur demande de renvoi à la commission sur le fait que, sur de nombreuses questions, le projet de loi contreviendrait à certains principes constitutionnels ou engagements internationaux de la France.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est l’exception d’irrecevabilité !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Bien sûr.
Or, tous les points cités par les auteurs de la motion ont fait l’objet d’un examen attentif de la commission, comme je viens de l’indiquer.
Ainsi, la commission s’est en particulier penchée sur la définition des zones d’attente, à laquelle elle a apporté les précisions et les modifications nécessaires.
Par ailleurs, s’agissant de l’intervention du juge judiciaire au cours de la procédure de rétention administrative et de la conformité avec les dispositions de l’article 66 de la Constitution, elle a adopté une position inverse de celle du projet de loi.
La commission a également travaillé sur les pouvoirs des juges de première instance et des juges d’appel, et elle a notamment réinstauré l’effet dévolutif de l’appel.
Elle a aussi veillé, s’agissant de la transposition de la directive européenne, à l’intelligibilité d’un certain nombre de dispositions transposées, afin qu’elles soient parfaitement compréhensibles.
Enfin, elle s’est attachée, en apportant les précisions requises, à garantir la constitutionnalité de certains dispositifs ajoutés par l’Assemblée nationale au projet de loi initial, en particulier du plus symbolique d’entre eux, l’extension des cas de déchéance de nationalité.
Rien ne semble justifier que ce texte soit renvoyé à la commission des lois. Les débats doivent continuer. En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur la motion.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Monsieur Collin, j’ai moi aussi été très surpris par vos propos. Vous mettez en effet en cause la qualité et l’importance du travail réalisé par la commission des lois du Sénat. Cette commission fait pourtant référence, me semble-t-il, dans le paysage politique français. Elle s’est en effet illustrée à plusieurs reprises par des attitudes et un travail de fond qui ont été remarqués. La mise en cause de la qualité de ce travail pour justifier un nouveau passage du projet de loi devant la commission ne laisse pas indifférent l’ancien sénateur que je suis. Je le répète, je suis un peu surpris par la violence des attaques qui ont été lancées contre la qualité du travail de la commission des lois.
À cet instant, je tiens à mon tour à remercier M. le président de la commission, M. le rapporteur, ainsi que tous les membres de la commission, de leur assiduité et des améliorations qu’ils ont apportées au texte.
M. Yung a rappelé que l’une des trois directives aurait dû être transposée au plus tard le 24 décembre 2010, les deux autres devant l’être avant juin ou juillet 2011. Il considère que, le délai de transposition ayant été dépassé de quelques semaines, le texte peut être renvoyé à la commission. Ce n’est à mon avis pas une bonne raison pour prendre tout notre temps. Ce ne serait pas de bonne politique.
Certes, la France a dépassé le délai du 24 décembre 2010. Le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité est toujours en cours de discussion, le Gouvernement n’ayant pas décidé d’avoir recours à la procédure accélérée sur ce texte. On ne va tout de même pas le lui reprocher. Ce serait à ne plus rien y comprendre !
Le dépassement du délai a été acté lorsque le champ de compétences du ministère de l’intérieur a été élargi à l’immigration voilà un peu plus de deux mois.
Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, disons-le clairement, la France n’est pas plus en retard que ses partenaires européens. À cet égard, je tiens à votre disposition un tableau comparatif des processus de transposition des différents États membres. Il n’y a pas à rougir de la situation de notre pays. Je pourrais aller plus loin sur ce sujet, mais je pense que c’est inutile.
Chacun ici comprendra que, compte tenu de ces quelques semaines de retard, il est important que nous nous attaquions désormais au travail de fond et à la discussion de ce projet de loi, d’autant plus, je le répète, que les membres de la commission des lois – et je les en remercie encore – ont réalisé un travail tout à fait remarquable.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur la motion tendant au renvoi à la commission.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 7, tendant au renvoi à la commission.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission et du Gouvernement sont défavorables.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 148 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 184 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Article additionnel avant le titre Ier
Mme la présidente. L'amendement n° 17 rectifié, présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La République assure, dans le respect de la Constitution et de ses engagements internationaux, une politique migratoire et d’asile respectueuse de la dignité de la personne humaine. Elle garantit, dans le respect des lois, à tout étranger qui en exprime la volonté, et quelle que soit sa condition, le droit de s’établir en France avec sa famille et de s’intégrer à la communauté nationale.
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Nous venons de rappeler en défendant la motion tendant au renvoi à la commission les raisons qui fondent, pour la majorité des membres de notre groupe, notre opposition à ce texte. La transposition des trois directives communautaires, déjà largement évoquée, n’est qu’un prétexte pour renforcer la suspicion qui frappe les étrangers.
Le combat politique pour la dignité étant de ceux qui valent toujours la peine d’être menés, le présent amendement vise à rappeler les principes qui devraient logiquement inspirer une politique migratoire respectueuse des valeurs qui honorent la République : « La République assure, dans le respect de la Constitution et de ses engagements internationaux, une politique migratoire et d’asile respectueuse de la dignité de la personne humaine. Elle garantit, dans le respect des lois, à tout étranger qui en exprime la volonté, et quelle que soit sa condition, le droit de s’établir en France avec sa famille et de s’intégrer à la communauté nationale. »
Ces deux phrases, courtes et simples, véhiculent les valeurs auxquelles nous sommes profondément attachés et que nous entendons rappeler tout au long des débats à venir : la tradition d’ouverture sur l’autre et d’accueil qui a construit notre nation ; le syncrétisme d’individus d’origines diverses dans le creuset républicain, que nous ne confondons pas avec la dissolution de la nation dans le communautarisme ; le devoir d’intégration qui oblige aussi bien ces individus que la communauté nationale dans sa capacité à respecter les différences ; et bien sûr, plus que tout, le respect intangible des droits fondamentaux de la personne humaine, à commencer par la dignité.
Je rappelle, comme je l’ai déjà indiqué tout à l’heure, que nous ne sommes pas de ceux qui défendent l’idée que notre pays peut accueillir tout le monde dans n’importe quelles conditions. Notre Constitution, nos engagements internationaux et nos lois ont vocation à énoncer des droits, mais aussi à poser des limites légitimes aux flux migratoires.
À l’évidence, les limites posées par le présent texte outrepassent les principes que je viens de rappeler. Nous y reviendrons sans doute tout au long de la discussion des articles.
Cet amendement vise enfin à rappeler en filigrane que, à partir du moment où le sort de personnes est en jeu, les notions de performance ou de rentabilité, ou les chiffres, n’ont plus aucun sens, à l’opposé de la philosophie de ce projet de loi.
On nous répondra, j’imagine, que cet amendement est inutile au motif qu’il n’est pas normatif ou qu’il énonce des principes déjà pris en compte dans le projet de loi. Nous attendons impatiemment que nos débats fassent la démonstration éclatante que nous avons tort de nous inquiéter...
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement n° 17 rectifié vise à énumérer les principes que la politique migratoire de la France devrait, selon ses auteurs, respecter.
Le rappel du respect de la dignité de la personne humaine est dénué de portée normative – c’est un point important – dans la mesure où cette exigence constitutionnelle s’impose au législateur comme au pouvoir réglementaire.
Ensuite, l’amendement vise à consacrer un droit et non une simple possibilité pour les étrangers de s’établir en France avec leur famille. Or, si le droit à mener une vie familiale normale fait d’ores et déjà l’objet d’une protection particulière, en revanche, aucune exigence constitutionnelle ni aucun engagement international n’imposent de consacrer un droit général à s’établir sur notre sol. Une telle consécration interdirait à l’État français de s’opposer, pour de justes motifs, à l’établissement d’un étranger sur son sol et lui ferait évidemment perdre la maîtrise de sa politique migratoire.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Cet amendement vise à énumérer les grands principes de la politique d’immigration, lesquels ont déjà été fixés en 2007, conformément aux engagements pris devant les Français par le Président de la République lors de son élection.
Ces principes ont été rappelés au début de nos débats. Ils sont connus, et je les rappellerai brièvement.
Premier principe, la France a le droit de choisir, comme tout pays au monde, ni plus ni moins, qui elle veut et qui elle peut accueillir sur son territoire.
Deuxième principe, tout étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d’origine, sauf situation particulière, notamment d’ordre humanitaire, politique, sanitaire ou sociale.
Troisième principe, un étranger qui est accueilli légalement sur notre territoire a pour l’essentiel les mêmes droits économiques et sociaux que les Français.
J’ajoute que le texte relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité n’est pas un projet de loi d’orientation. Son objet est non pas de fixer les grands principes de la politique d’immigration, mais de transposer trois directives européennes et de modifier les règles du contentieux des étrangers.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Avec cet amendement, nous retrouvons la discussion que nous avons eue hier avec M. le ministre de l’intérieur. C’est que nous sommes au cœur du débat : quelles sont les valeurs et les orientations profondes qui sous-tendent la politique de l’immigration ?
Et est-il meilleur endroit pour faire figurer ces grands principes et ces grandes orientations qu’en ouverture d’un texte dont l’examen va nous occuper pendant cinq ou six jours et qui traite de l’ensemble des questions relatives à l’immigration ? Non, et notre initiative est donc opportune ne serait-ce que sous cet angle-là.
Mais cet amendement serait de surcroît inutile et dénué de portée normative.
Monsieur le ministre, en vous écoutant j’ai compris que vous aviez une approche négative de l’immigration. Vous affirmez que la France ne peut pas accueillir tout le monde, en insistant sur les étrangers en situation irrégulière…
Mais ce n’est pas de cela que parle M. Collin ; son approche est positive. Il nous propose de préciser ce que doit être notre attitude envers les étrangers qui choisissent notre pays pour y résider « dans le respect des lois », pour reprendre la deuxième phrase de l’amendement.
Tout le monde s’accorde sur ce point ; aucun d’entre nous ne défend l’immigration clandestine !
Cet amendement vise uniquement les personnes de nationalité étrangère qui viennent en toute légalité s’établir en France souvent pour de nobles raisons. Ce sont des gens qui quittent des pays pauvres ou en grande difficulté et viennent chez nous pour travailler, souvent durement, dans les conditions que vous connaissez, afin de nourrir leur famille, restée au pays. De telles motivations morales et économiques sont respectables.
Ce ne sont pas des « gangsters » ; ce sont des personnes qui ont le droit d’être accueillies dans la dignité et le respect des valeurs de République !
C’est pourquoi nous soutiendrons cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous voterons également cet amendement, car, à l’instar de ses auteurs, nous estimons qu’il est important de rappeler les principes devant guider l’attitude de la France envers les étrangers.
Monsieur le ministre, chers collègues, en refusant un tel amendement, vous manifestez votre conception de l’immigration : la méfiance est la règle et l’accueil, l’exception !
Cela dit, je trouve dans cette attitude la preuve d’une véritable schizophrénie ! En effet, vous vous intéressez beaucoup plus aux immigrés qu’à ces employeurs qui déclarent explicitement vouloir continuer à embaucher des travailleurs immigrés, soit du fait de la pénurie de nationaux pour occuper certains emplois, soit tout simplement pour exploiter ces personnes étrangères, en les payant moins. C’est donc bien un problème de conception de l’immigration qui est ici posé.
Quelles que soient les visées actuelles de l’exécutif, la représentation nationale s’honorerait, me semble-t-il, de réaffirmer un principe général d’humanité de la République à l’égard des étrangers !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. Pour notre part, nous voterons contre cet amendement, et ce en dépit de son inspiration,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est un amendement purement déclaratif !
M. Jean-Pierre Fourcade. … de la référence qui y est faite aux valeurs de la République et de notre volonté de ne pas manifester d’opposition de principe à toute forme d’immigration.
D’abord, la commission des lois, à laquelle je tiens à rendre hommage au nom de mon groupe, a fort bien travaillé sur le présent projet de loi, adoptant un certain nombre de modifications et formulant des propositions. Or insérer une telle disposition en préambule au présent projet de loi reviendrait à suggérer que la commission des lois n’a pas suffisamment travaillé. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Françoise Laborde. Dans ce cas, à quoi servons-nous ?
Mme Éliane Assassi. Nous sommes là pour travailler, nous aussi !
M. Jean-Pierre Fourcade. Mes chers collègues, je ne me suis pas permis de vous interrompre. Je vous prie donc d’en faire autant.
Mme Isabelle Debré. Un peu de correction !
M. Jean-Pierre Fourcade. Par ailleurs, dans l’état actuel du monde, compte tenu des circonstances climatiques, géographiques, économiques et politiques que nous connaissons, la rédaction de cet amendement, où le « respect des lois » figure en début de paragraphe et non à la fin, pourrait être interprétée comme un appel à faire venir en France tous ceux qui, quelle que soit leur situation, aspirent à une vie meilleure. Or c’est quelque chose que l’opinion publique ne supporte pas !
C’est pourquoi nous ne sommes pas favorables à l’insertion d’une telle disposition dans le texte issu des travaux de la commission.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Nous voyons bien le débat dans lequel certains cherchent à nous enfermer.
Il y aurait, d’un côté, ceux qui feraient preuve de générosité envers le monde entier et seraient uniquement animés par les valeurs de la République et, de l’autre, ceux qui, en se prononçant contre cet amendement, seraient forcément des gens fermés aux autres et peu respectueux de nos valeurs fondamentales.
Franchement, je trouve cela insupportable ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat proteste.)
M. Richard Yung. De toute manière, ce n’est pas de cela qu’il s’agit !
M. Philippe Dallier. D’ailleurs, êtes- vous vraiment sincères lorsque vous tenez de tels propos !
Pouvez-vous véritablement soutenir que notre pays devrait faire droit à toutes les demandes, d’où qu’elles viennent ?
Mme Françoise Laborde. Mais non ! Il ne s’agit pas de cela !
M. Philippe Dallier. Il y a des milliards d’habitants sur Terre. Nous savons que, pour des millions d’entre eux, peut-être même des centaines de millions, les conditions de vie sont particulièrement difficiles, voire impossibles ! Et, selon vous, toutes les personnes qui en font la demande devraient avoir le droit de venir s’installer en France ?
M. Richard Yung. Ce n’est pas ce qui figure dans l’amendement !
M. Philippe Dallier. Mais si ! C’est bien de cela qu’il s’agit ! (Non ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Caricature !
M. Philippe Dallier. La véritable question est de savoir si, au-delà de l’invocation de grands principes, nous avons les moyens et la possibilité matérielle d’accueillir toutes ces personnes. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous prie de laisser l’orateur s’exprimer.
M. Philippe Dallier. Avec vos bons sentiments, vous risquez, je le crains, de favoriser précisément ceux qui professent des thèses contraires aux valeurs républicaines.
Nous ne voterons donc pas cet amendement. Mais sachez que vous n’avez pas ici le monopole des valeurs de la République ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Notre débat prend une très mauvaise tournure.
M. Philippe Dallier. La faute à qui ?
M. Jean-Pierre Michel. En l’occurrence, il nous est demandé de nous prononcer sur un amendement, et non sur les arrière-pensées réelles ou supposées des uns et des autres !
D’ailleurs, nous connaissons vos intentions, chers collègues : MM. Fourcade et Dallier viennent de les rappeler. Vous avez l’intention de ne respecter ni la Constitution…
M. Philippe Dallier. Voilà la caricature !
M. Jean-Pierre Michel. … ni la loi, y compris celle-là même qui sera issue de nos travaux.
M. Jean-Pierre Michel. Pour ce qui nous concerne, bien que ce texte ne nous convienne pas, nous allons cependant tenter, sans doute en vain, de l’amender, et ce dans le respect du texte lui-même !
Pour le moment, nous sommes invités à nous prononcer sur un amendement, et rien de plus. Vous pouvez donc continuer à agiter des épouvantails. Mais, sachez-le, d’autres qui les agitent encore mieux que vous en tireront aussi plus de bénéfices !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est sûr !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 17 rectifié tendant à insérer un article additionnel avant le titre Ier.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Je rappelle que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 149 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 157 |
Contre | 179 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Titre IER
DISPOSITIONS RELATIVES À LA NATIONALITÉ ET À L’INTÉGRATION
Chapitre unique
Article 1er A
(Suppression maintenue)
Articles additionnels après l’article 1er A
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 272 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Cerisier-ben Guiga, Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l'article 21-12 du code civil, après le mot : « simple », sont insérés les mots : « ou qui a été recueilli régulièrement en France en application d'une décision de recueil légal dont la kafala judiciaire, ».
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Depuis une disposition introduite par la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, le mineur étranger recueilli et élevé en France par une personne de nationalité française ne peut solliciter la qualité de Français qu’à l’issue d’une période de cinq ans de résidence.
Une telle condition aggrave la situation des enfants recueillis par décision légale, puisque l’acquisition de la nationalité française est une condition de leur accès à l’adoption, et donc de la normalisation de leur statut.
En revanche, il n’existe aucun délai pour les enfants adoptés en la forme simple, ce qui accentue le caractère discriminant de ce délai pour les enfants recueillis par décision légale.
Pour toutes ces raisons, je vous propose d’adopter cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 273 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Cerisier-ben Guiga, Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l'article 21-12 du code civil, après le mot : « adopté », sont insérés les mots : « ou recueilli régulièrement en France en application d'une décision de recueil légal dont la kafala judiciaire, ».
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit d’un amendement de conséquence par rapport à celui que je viens de présenter. Il concerne en effet la question de l’acquisition de la nationalité française par les enfants également recueillis par décision légale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement n° 272 rectifié, qui reprend une proposition formulée par le groupe de travail créé par le Médiateur de la République sur la reconnaissance juridique de la kafala, vise à supprimer la condition de résidence de cinq ans actuellement imposée aux enfants recueillis et élevés par une personne de nationalité française pour pouvoir réclamer la nationalité française.
L’amendement vise, notamment, le cas d’enfants recueillis dans le cadre d’une kafala de droit coranique. Il s’agit de la prise en charge de l’enfant orphelin par le « kafil » qui produit des effets équivalents à une tutelle ou à une délégation d’autorité parentale sans toutefois, ce point est important, aboutir à une adoption, interdite par le droit coranique.
Cependant, si la kafala produit bien en France des effets équivalents à ceux d’un recueil de l’enfant par l’intéressé, elle n’emporte aucun effet sur la filiation de l’enfant et du « kafil ».
Il n’y a, en conséquence, pas lieu de la traiter comme une adoption simple et de la faire bénéficier de la dispense de la condition de résidence. En effet, en l’absence de tout lien de filiation, la condition de résidence de cinq ans manifeste le lien que l’enfant a forgé avec le pays dans lequel il a été recueilli.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois est défavorable à cet amendement et, par coordination, à l’amendement n° 273 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Ces amendements visent à supprimer la condition de résidence de cinq ans pour les enfants régulièrement recueillis selon une décision de kafala judiciaire et qui souhaitent acquérir la nationalité française.
À la suite de M. le rapporteur, je rappelle que le droit civil français ne reconnaît pas la kafala comme une adoption simple. La kafala est une institution de droit coranique, sans équivalent dans notre droit, permettant de confier un enfant durant sa minorité à une famille musulmane qui assurera son éducation, sa protection et son entretien.
De plus, vous voudriez qu’une personne puisse faire acquérir la nationalité française à un mineur étranger né à l’étranger et recueilli en kafala en France sans durée de recueil de l’enfant avant son accès à la nationalité française.
En supprimant toute condition de durée de recueil, cet amendement rendrait l’accès à la nationalité française plus favorable à l’enfant né à l’étranger qu’à l’enfant né en France de parents étrangers, lequel ne pourra acquérir la nationalité française qu’à compter de l’âge de treize ans.
C’est pourquoi, d’ailleurs, le droit actuel subordonne la recevabilité des déclarations de nationalité française des enfants recueillis par des Français à une durée de résidence de cinq ans pour s’assurer de la réalité de l’intégration du mineur étranger qui acquiert la nationalité française.
Cette condition permet aussi de prévenir des abus ; sans la condition de durée, le mineur pourrait arriver en France à seize ou dix-sept ans, être éventuellement confié à l’aide sociale à l’enfance et, un an après, demander la nationalité.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. L'amendement n° 144, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 21-12 du code civil est ainsi modifié :
I. - Les 1° et 2 ° sont ainsi rédigés :
« 1° L'enfant qui est recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française ou qui est confié au service de l'aide sociale à l'enfance ;
« 2° L'enfant recueilli en France et élevé dans des conditions lui ayant permis de recevoir une formation française, soit par un organisme public, soit par un organisme privé présentant les caractères déterminés par un décret en Conseil d'État, soit par un étranger résidant en France depuis cinq ans au moins. »
II. - Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« 3° L'enfant étranger régulièrement recueilli en France dont la loi personnelle ne connaît pas la rupture des liens juridiques de filiation et élevé par une personne de nationalité française ou confié à l'aide sociale à l'enfance. »
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement s’inscrit dans le droit fil des amendements précédents, même s’il est quelque peu différent.
Il vise à donner une nouvelle rédaction à l’article 21-12 du code civil afin de permettre aux enfants qui ont fait l’objet d’une adoption simple par une personne de nationalité française de demander, jusqu’à leur majorité, la qualité de Français.
D’une part, il conviendrait d’étendre cette possibilité aux enfants qui ont été élevés par un étranger vivant depuis au moins cinq ans en France.
D’autre part, nous souhaiterions permettre aux enfants recueillis en France sous un régime de kafala, ou régime de recueil légal en vigueur dans les pays de droit coranique qui ne donne pas droit à un lien de filiation, d’acquérir la nationalité française.
Nous avions déposé une proposition de loi en ce sens. Je précise que les enfants dont il s’agit ne peuvent être adoptés par des candidats à l’adoption de nationalité française. Or, dans les faits, ils sont d’ores et déjà recueillis par des couples français dans le cadre d’une kafala judiciaire.
Cette nouvelle formulation entend remédier à cette incohérence et aux difficultés que connaissent les couples souhaitant adopter des enfants d’origine maghrébine.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’avis est défavorable, pour les raisons exposées précédemment.
Même si cet amendement présente une légère différence dans sa présentation avec les amendements nos 272 rectifié et 273 rectifié, le fond reste identique et les conséquences juridiques sont donc les mêmes.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement est quelque peu différent et se rapporte directement à un débat que nous avons déjà eu.
Lors de l’examen de la dernière loi sur l’adoption – j’ai oublié la date exacte, mais beaucoup de sénateurs présents aujourd'hui siégeaient déjà ici – le ministre de l’époque n’avait pas fait droit à l’une de nos propositions, tout à fait similaire. En revanche, il s’était engagé à mener une réflexion sur la façon de traiter la kafala en France.
Vous avez beau dire que la kafala n’est pas une adoption simple, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit, concrètement, de la même chose.
Si les pouvoirs publics français ne peuvent statuer sur la façon dont les pays de droit coranique traitent les problèmes de l’adoption, ils peuvent cependant prendre des dispositions pour les droits des personnes concernées afin de se rapprocher de ce qui existe déjà dans notre pays en matière d’adoption simple.
Je m’en souviens donc très bien : le ministre de l’époque, probablement un garde des sceaux, avait reconnu qu’une réflexion sur le sujet était nécessaire. Depuis, il s’est écoulé un certain nombre d’années, mais, chaque fois que nous soulevons de nouveau le problème, bien réel, de ces enfants, élevés par des familles françaises ou par des personnes étrangères qui résident normalement sur le territoire français, vous nous dites qu’il faut réfléchir à la façon de trouver des équivalences pour la kafala. Or, lorsque nous sommes en situation, il se trouve que l’on n’a jamais encore assez réfléchi !
Allez-vous continuer longtemps à nous faire ce type de réponse ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 144.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
(Non modifié)
L’article 21-18 du code civil est complété par un 3° ainsi rédigé :
« 3° Pour l’étranger qui présente un parcours exceptionnel d’intégration, apprécié au regard des activités menées ou des actions accomplies dans les domaines civique, scientifique, économique, culturel ou sportif. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.
Mme Bariza Khiari. Dès le premier article, les fondements du texte sont posés : vous désirez une immigration choisie de grands sportifs, de grands scientifiques, de grands lettrés, de grands décideurs. À ceux qui ont de l’argent, vous dites qu’ils peuvent venir en France, que nous nous mettrons en quatre pour les seconder dans leur démarche et les aider dans leur parcours. À l’inverse, vous dites à ceux qui sont pauvres, affamés et en danger dans leur pays de passer leur chemin, que notre pays ne peut « accueillir toute la misère du monde ».
Je cite à dessein Michel Rocard, car je sens que, dans ce débat vous allez, une énième fois, nous ressortir cette citation tronquée pour tenter de prouver que certains socialistes vous soutiennent.
Cette disposition est proprement choquante et, surtout, contre-productive. Vous vivez sur le mythe de la sélection. C’était l’immigration choisie. On pouvait faire son marché. Les mots changent, cela devient l’immigration professionnelle.
Il n’est rien de plus faux : si vous voulez des grands chercheurs, des êtres d’exception, vous devrez commencer par vous montrer aptes à accueillir correctement les étudiants étrangers. (M. le président de la commission des lois approuve.) Si vous voulez des grands chercheurs, des êtres d’exception, alors vous devrez aussi accueillir des petites gens, car ce qui attire les hommes de valeur, ce n’est pas la promesse de procédures simplifiées et d’un pays qui leur donnera tout, et rien. Ce à quoi sont sensibles les femmes et les hommes de qualité, c’est l’ouverture et la tolérance d’un pays envers les étrangers en général.
L’histoire offre de nombreux exemples, à de multiples époques, de pays qui brillaient par le nombre de résidents étrangers cultivés qu’ils savaient accueillir.
Or, si on regarde précisément les choses, on constate que ce rayonnement était le fruit d’une réelle tolérance envers les étrangers, en général, et non seulement envers les plus distingués d’entre eux.
Les savants, les intellectuels, ne sont pas cyniques, ni sourds et aveugles à l’actualité. Avant de s’installer dans un pays, ils regardent avec attention sa politique migratoire et ses tendances sociales lourdes. Le Gouvernement, par ce projet de loi, tente de se rapprocher de l’électorat du Front national en multipliant les effets d’annonce. Croyez-vous que ce message soit de nature à construire une représentation positive de notre territoire chez les savants, les artistes et les grands décideurs que vous souhaitez attirer ? Rien n’est moins sûr.
En effet, ils auront plutôt tendance à croire, avec cette sixième loi, que la France se ferme peu à peu aux apports de la diversité, elle qui est pourtant une richesse pour tous.
Il faut cesser cette approche manichéenne, il faut arrêter d’opposer le bon grain et l’ivraie. Vous ne pourrez avoir l’un en rejetant l’autre, car l’immigration n’est pas aussi facilement sécable. Les flux sont généraux et le processus n’est pas sélectif au sens où vous l’entendez.
Si des personnalités aussi éminentes et talentueuses qu’Yves Montand, Edgar Morin, Amin Maalouf, Samuel Pisar, Marie Curie, Guillaume Apollinaire, Tahar Ben Jelloun, Émile Ajar et bien d’autres, ont choisi la France, c’est parce que notre pays était ouvert à tous, fraternel et ne faisait aucune distinction de talent.
Eux savent qu’il faut un certain talent pour être titulaire d’un doctorat et accepter de balayer la France, lorsque l’on est en danger dans son propre pays. Eux savent qu’il faut un certain talent pour, en étant professeur de médecine, accepter de faire des gardes de nuit. Eux savent que cette seule dignité vaut talent !
Au nom de ces talents silencieux, le groupe socialiste n’est pas favorable à des systèmes différenciés. Qu’elles soient ou non talentueuses, ces personnes souhaitent l’égal accès à la naturalisation pour s’ancrer définitivement dans notre pays et être simplement des citoyens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 18 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 100 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Françoise Laborde, pour présenter l'amendement n° 18 rectifié.
Mme Françoise Laborde. Nous débutons avec l’examen de cet article le chapitre dans lequel on vise à remettre en cause les principes de notre droit de la nationalité.
L’article 1er prévoit de réduire la durée de condition de résidence nécessaire à la naturalisation de l’étranger présentant un « parcours exceptionnel d’intégration ». Cet article entérine donc le concept d’immigration choisie auquel nous nous étions déjà opposés en son temps, car il induit l’inégalité de traitement entre individus et l’appauvrissement des pays d’origine.
Surtout, cet article introduit une rupture d’égalité entre les étrangers résidant depuis une période donnée sur le territoire français et qui aspirent à acquérir la nationalité française.
Le droit à la naturalisation doit être apprécié sur des critères clairs, précis, objectifs et prévisibles, inhérents à la personne, à savoir le degré d’intégration dans notre pays. Or cet article permettrait à des individus de bénéficier d’un délai raccourci selon des critères essentiellement socio-économiques, qui valorisent, en particulier, la seule réussite sociale et non le degré global d’intégration dans la société.
Nous rejetons cette conception utilitariste de la naturalisation, qui revient à donner la priorité aux plus favorisés et à rejeter dans l’ombre ceux qui n’ont pas connu pareille fortune. Cet article creuse encore davantage les inégalités sociales en actant une inégalité juridique dont nous demandons la suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 100.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je souscris aux propos tenus par Mme Khiari dans son intervention sur l’article 1er. La façon dont vous interprétez les données du problème me paraît terriblement orientée, monsieur le ministre.
Historiquement, les intellectuels sont venus exercer leurs talents en France – dans diverses professions, d’ailleurs –, parce que la France était un pays d’accueil ! Ainsi, certains chercheurs sont venus en France parce qu’ils pouvaient y poursuivre leurs travaux, ce qui leur était impossible dans leur propre pays.
Par la suite, vous avez voulu faire prévaloir la notion d’immigration choisie qui revient, au fond, à profiter des compétences des élites des pays pauvres, en les attirant en France tout en les payant moins bien que des Français ! Je me réfère à la situation des médecins hospitaliers étrangers, car l’injustice est flagrante : notre pays manque de médecins, il attire des médecins étrangers, mais les paie moins que des médecins français.
Nous ne pouvons donc pas partager cette conception qui consiste à profiter de la situation dans laquelle se trouvent les élites de pays moins favorisés.
Aujourd’hui, vous attirez notre attention sur la situation des étrangers présentant un « parcours exceptionnel d’intégration », qui se manifeste par des « actions accomplies dans les domaines civique, scientifique, économique, culturel ou sportifs » – à la gloire de la France, évidemment ! Ces étrangers mériteraient donc d’obtenir la nationalité française plus facilement.
L’intégration à un pays, à une nation, ne suppose-t-elle pas un engagement qui dépasse la simple activité que l’on exerce ? Permettez-moi de vous rappeler les propos d’Ernest Renan, que vous aimez citer, selon lequel une nation réside dans « le consentement actuel, le désir de vivre ensemble » ; elle est « une grande solidarité » et crée une « conscience morale [qui] prouve sa force par le sacrifice qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une communauté ».
Les auteurs de ce projet de loi, non contents d’introduire une distinction inadmissible en termes de droits, car fondée sur la nationalité des individus, introduisent également une distinction entre les étrangers qui pourraient être « nominés », parce que distingués par des prix littéraires ou scientifiques, des médailles olympiques ou d’autres exploits sportifs, et les autres.
Évidemment, ces autres qui, selon votre philosophie, ne sont pas, par définition, « méritants », auraient plutôt tendance à être assimilés à des délinquants potentiels, des gêneurs, des fauteurs de troubles…
Cette conception nous paraît extrêmement dangereuse. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ces deux amendements recueillent un avis défavorable, car ils sont totalement opposés à la position de la commission. En effet, celle-ci défend cet article parce qu’il constitue une avancée par rapport au droit positif, en ce qu’il facilitera l’acquisition de la nationalité française. La suppression de cette disposition représenterait un recul fort regrettable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Je pourrais me contenter de faire miens les arguments de M. le rapporteur. Je tiens simplement à rappeler que le raccourcissement de cinq ans à deux ans de la durée de résidence nécessaire pour obtenir la nationalité française existe déjà : cette possibilité est ainsi actuellement utilisée par les ministères de la défense et des affaires étrangères. Je ne reviendrai pas dans le détail sur cet aspect, car vous l’avez étudié en commission.
Il est aussi normal que la loi permette d’abréger ce délai, dans le cadre de « l’immigration réussie » – si vous me permettez l’expression –, de parcours exceptionnels dans le domaine civique ou dans ceux dont la liste vient d’être rappelée.
Il s’agit d’adresser un signe positif à des personnes qui résident déjà en France – il ne s’agit pas de les y faire venir, c’est un autre débat ! –, en raccourcissant la condition de résidence en raison de leur parcours d’intégration particulièrement réussi et qui mérite d’être reconnu.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Nous sommes résolument favorables à l’adoption de ces amendements !
Monsieur le ministre, le Gouvernement nous soumet un projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité en tête duquel il inscrit une conception totalement élitiste de l’immigration ! Or je crois que la France des droits de l’homme ne peut pas être une France élitiste.
La France des droits de l’homme est une France qui, dans le respect de sa Constitution et de ses lois, accueille tous les étrangers, quelles que soient leur condition, leur formation ou leur destination.
Cette conception élitiste est totalement discriminatoire, et très déplaisante, monsieur le ministre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat appelait à l’instant notre attention sur ces médecins étrangers que notre pays tente d’attirer. Et que faisons-nous, une fois que nous les avons attirés dans nos hôpitaux ? Nous envoyons Médecins sans frontières ou Médecins du monde dans les pays d’origine ! Voilà où nous en sommes : nos hôpitaux fonctionnent avec des médecins étrangers, dont la présence serait ô combien nécessaire dans leurs pays, alors que nous y envoyons des organisations non gouvernementales pour soigner les populations à bas prix. Et tout cela coûte très cher !
Cette conception élitiste de l’immigration ne peut donc véritablement pas être retenue.
En outre, je pense profondément que tous ces étrangers qui présentent un « parcours exceptionnel » devraient faire leurs preuves dans leurs pays plutôt que chez nous !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 18 rectifié et 100.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 125, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l’article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 21-19 du même code est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« 8° L’enfant mineur resté étranger bien que l’un de ses parents ait acquis la nationalité française ;
« 9° Le conjoint et l’enfant majeur d’une personne qui acquiert ou a acquis la nationalité française ;
« 10° Le ressortissant ou ancien ressortissant des territoires et des États sur lesquels la France a exercé soit la souveraineté, soit un protectorat, un mandat ou une tutelle. »
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Nous souhaitons compléter l’article 1er, qui prévoit les exemptions de stage pour naturalisation.
La loi de 2006 est venue fortement réduire cette liste, pour ne plus y faire figurer que les étrangers ayant accompli des services militaires, ayant rendu des services exceptionnels à la France ou ayant le statut de réfugié. Les enfants et le conjoint d’une personne française sont, dès lors, exclus d’un accès facilité à la naturalisation, tout comme les ressortissants des anciennes colonies.
Notre amendement tend à rétablir la suppression de la condition de stage pour les enfants mineurs dont un parent a acquis la nationalité française, pour le conjoint et l’enfant majeur d’une personne qui a acquis la nationalité française, ainsi que pour les ressortissants des anciennes colonies françaises.
Il s’agit seulement d’offrir un accès facilité et légitime à la nationalité française à des personnes dont la situation familiale ou les anciennes relations politiques avec la France démontrent, par elles-mêmes, un lien avec notre pays et/ou une vocation à demeurer sur le sol français.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement tend à revenir sur la suppression, opérée par la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, de trois cas de dispenses de stage. Or la situation actuelle ne présente pas de changements susceptibles de justifier une modification des dispositions en vigueur.
En effet, cette suppression, justifiée à l’époque, l’est encore aujourd’hui pour l’enfant mineur resté étranger bien que l’un de ses parents ait acquis la nationalité française : la seule raison pour laquelle l’enfant n’a pu bénéficier de l’effet collectif de l’acquisition de la nationalité française par son ascendant est qu’il ne résidait pas avec lui à ce moment-là. Ce défaut de résidence habituelle justifie que l’intéressé ne bénéficie pas de la dispense de stage.
Cette suppression est également justifiée pour le conjoint ou l’enfant majeur d’un étranger devenu français, car il n’est pas acquis que les intéressés séjournent effectivement en France ou aient un lien avéré avec la France. La condition de stage garde, dans ce cas, toute sa pertinence.
Enfin, cette suppression doit être maintenue pour les ressortissants ou anciens ressortissants de territoires ou d’États sur lesquels la France a exercé sa souveraineté ou un protectorat. En effet, les demandes de naturalisation concernaient le plus souvent des personnes âgées de moins de 50 ans, nées après l’indépendance de leur pays. Or le juge administratif faisait bénéficier les intéressés de cette dispense, alors même qu’il n’était pas acquis qu’ils aient eu un lien réel avec la France. C’est pourquoi ce cas de dispense a été supprimé en 2006.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. M. le rapporteur vient de développer les raisons pour lesquelles il semble difficile d’accepter d’émettre avis favorable sur cet amendement. Le Gouvernement exprime donc la même position : avis défavorable !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 125.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
L’article 21-24 du même code est ainsi modifié :
1° A Après la deuxième occurrence du mot : « française », sont insérés les mots : «, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret, » ;
1° Sont ajoutés les mots : « ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République » ;
2° Il est ajouté un second alinéa ainsi rédigé :
« À l’issue du contrôle de son assimilation, l’intéressé signe la charte des droits et devoirs du citoyen français. Cette charte, approuvée par décret en Conseil d’État, rappelle les principes et valeurs essentiels de la République. »
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l’article.
M. Louis Mermaz. Cet article 2 prévoit que le candidat à l’obtention de la nationalité française subit – c’est bien le mot ! – le contrôle de son assimilation.
Même si le code civil, depuis la loi du 26 novembre 2003, que nous n’avons pas votée, fait dépendre la naturalisation de « l’assimilation » à la communauté française, nous aurions préféré l’emploi du terme « intégration » - nous avons déposé un amendement en ce sens -, car ce terme figure dans le titre même du présent projet de loi.
Le mot « assimilation » revêt une connotation carnassière. Alors que, dans le monde entier, les hommes sont de plus en plus en quête de leurs racines, en invoquant la notion d’assimilation vous allez dans le sens d’un effacement du passé, d’une perte des repères ; vous niez le droit à la diversité qui fait la richesse et le rayonnement d’une nation, son ouverture sur le reste du monde.
Ce repli, ce « racornissement » du Gouvernement et de ceux qui le soutiennent, explique comment ils ont pu ne rien comprendre aux récents événements du monde arabe, à commencer par ceux de Tunisie.
Le même article 2 prévoit la création d’une charte qui devra être signée par les personnes souhaitant être naturalisées.
Pour réduire le risque de discrimination, la commission des lois du Sénat a prévu, par un amendement à l’article 3, que tous les jeunes se verraient remettre cette charte des droits et devoirs dans le cadre de la Journée défense et citoyenneté.
Mais, lorsque vous prévoyez pour la définition du contenu de cette charte un simple décret en Conseil d’État, vous faites fi d’une compétence essentielle du Parlement. Je vous renvoie à l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles […] concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».
Vous remarquerez d’ailleurs que l’affirmation des droits civiques et des garanties fondamentales suffit à inclure, dans l’esprit du constituant et des pères fondateurs de la République, les devoirs. La formulation « droits civiques », avec tout ce qu’elle inclut, a bien plus de force et de prestige que tous les compléments et les arguties juridiques moralisantes dont on l’affuble aujourd’hui.
L’article 2, dans le fond, est un véritable lever de rideau avant le déroulement du reste du projet de loi, marqué par la confusion et par la perversité de ses insinuations. À vous lire en creux, l’immigré, l’étranger, serait porteur de toutes les menaces contre la sécurité – il menace en effet particulièrement, même lorsqu’il a acquis la nationalité française, les policiers et les magistrats ! – ; il représente un risque pour l’équilibre de la sécurité sociale ; il peut même provoquer le chômage. Et j’en passe.
Il faut donc faire peur. Nous sommes loin de l’époque où Bernard Stasi écrivait un petit livre percutant, L’Immigration : une chance pour la France !
Alors que vous brandissez l’emblème de l’assimilation, regardez les résultats de votre politique : de nombreux immigrés en sont réduits à vivre dans de véritables ghettos !
Les ghettos… Ce serait donc cela, l’assimilation ?
Et vous vous étonnez que, comme l’a très bien démontré Mme Bariza Khiari, l’immigration dite choisie, que vous prônez, ait si peu de résultats. Vous faites régner un tel climat et vous multipliez à ce point les embûches administratives que les étudiants et les chercheurs dans les domaines scientifiques préfèrent aujourd’hui se tourner vers des universités canadiennes et américaines. Vous voyez bien le déclin qui en résulte pour notre pays.
Il serait temps d’avoir le courage de renverser la logique en adoptant – oui, monsieur Fourcade – une politique d’accueil des immigrés, et non de refoulement, quand l’économie de marché, de plus en plus prédatrice, ruine chez eux toute chance de vivre décemment et d’avoir un avenir.
Pour reprendre une formule de Michel Rocard que vous aimez à tronquer, oui, la France doit prendre sa part de la misère du monde, même si elle ne peut pas à elle seule – mais l’Europe pourrait aussi être présente… – accueillir toute cette misère ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l’article.
Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur le principe, pourquoi pas une charte des droits et devoirs du citoyen ? Après tout, on peut demander à un étranger de connaître nos valeurs et d’y adhérer avant de rejoindre la communauté nationale ; je pense notamment au principe de laïcité, qui est la matrice de nos identités plurielles.
Le dispositif que nous examinons aujourd’hui fait tout de même un peu fantaisiste, au sens où j’aimerais bien savoir comment nous allons vérifier que l’étranger adhère réellement à ces valeurs. Une commission sera-t-elle nommée à chaque fois pour vérifier la validité et la sincérité de cette adhésion ? Va-t-on faire passer des tests pratiques au candidat ? S’il échoue, cela remet-il en cause sa sincérité ?
Autant de questions auxquelles nous aimerions bien recevoir des réponses.
Plus sérieusement encore, un point me préoccupe en tant que législatrice. En effet, cette charte semble être définie comme porteuse des valeurs fondamentales de la République, et nous n’avons même pas pu la voir. Existe-t-elle ? Si oui, quelles valeurs ont été retenues ? Pouvez-vous nous informer sur ce point, monsieur le ministre ? J’ai en effet l’impression que cette charte n’est pas prête…
Vous nous demanderiez donc de donner notre blanc-seing à un texte dont nous ne connaissons pas le contenu. Tel est bien le problème : nous ne saurions vous autoriser à rédiger cette charte comme vous l’entendez. Nous ne pouvons accepter qu’un texte censé exposer aux étrangers les fondements de notre pays, nos valeurs les plus importantes, soit le fruit des réflexions d’un cénacle obscur.
La plus grande transparence doit présider à la rédaction de cette charte et je trouverais même normal que celle-ci figure en annexe au présent projet de loi.
Surtout, la notion d’assimilation, qui fonderait cette charte, me heurte considérablement et, à ce stade de mon intervention, je voudrais ajouter un mot plus personnel.
Je veux pouvoir dire, comme Raymond Aron, que je suis Française, citoyenne française et restée en fidélité avec la tradition qui m’a portée.
La notion d’assimilation est pour moi la négation du respect de mon propre héritage culturel, et vous savez bien qu’en favorisant les situations de rupture entre l’individu et son héritage culturel, on fabrique des clients pour les psychanalystes.
Comme le rappelle, à juste titre, une pétition signée par des dizaines de milliers de Français, il est temps de faire des citoyens en respectant les identités plurielles. L’introduction de la notion d’assimilation, c’est la négation symbolique de la diversité culturelle de la Nation. Nous ne pouvons l’accepter.
Enfin, la volonté de contrôler la pensée de personnes qui souhaitent s’intégrer dénature le processus de naturalisation. Elle est même dangereuse.
Parce que la notion d’assimilation – je le répète avec force – est la négation d’un héritage et sous-tend une rupture avec une part d’identité, le groupe socialiste demande que cette charte soit validée par le Parlement et qu’un consensus se forme quant à son contenu.
En effet, mes chers collègues, c’est par les mots que tout commence. Ils ont souvent été le préalable aux horreurs qu’a vécues notre Europe. C’est pourquoi nous souhaitons connaître le contenu de cette charte.
Cela motivera notre vote sur l’article 2 du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Ce débat révèle tout d’abord les obstacles, toujours plus hauts, qui sont placés dans le processus de naturalisation.
Dans la logique même de la politique de la majorité, établissant des distinctions y compris dans les droits attachés à la citoyenneté – par exemple, le droit de vote aux élections locales ou nationales des étrangers en situation régulière en France –, il y a un problème.
La majorité estime qu’un étranger résidant en France doit être naturalisé s’il souhaite pouvoir exercer des droits civiques et elle ne cesse, à chaque fois qu’elle est au pouvoir – cela fait maintenant dix ans qu’elle y est –, de limiter, de conditionner, de rendre plus difficile cette acquisition de la nationalité.
Au fond, monsieur le ministre, votre doctrine est claire et vous aurez du mal, sur ces bases, non seulement à permettre les naturalisations, mais aussi à créer une dynamique de société en faveur de l’intégration des étrangers vivant sur notre sol et en faveur du « vivre ensemble ».
Quel que soit le sens que vous voulez lui donner, l’assimilation est une notion à laquelle nous devons réellement réfléchir.
Au xixe siècle, peut-être avec de bonnes intentions, on est allé coloniser un certain nombre de territoires, en prétendant assimiler et apporter la véritable civilisation. Au début du siècle dernier, on partageait toujours cette même conception, tout en étant profondément attaché à la République… Aujourd’hui, il faut bien constater que, à un moment donné, quelque chose n’a pas fonctionné !
L’identité de la République, de la Nation s’est constituée autour des gigantesques vagues d’immigration qui se succèdent depuis le milieu du xixe siècle et des apports de cultures différentes. Européennes au début, celles-ci ont ensuite été principalement méditerranéennes et sont maintenant de toutes origines, notamment asiatique.
Le terme « assimilation » nous renvoie précisément à l’idée d’une culture unique, et n’a donc rien à voir avec le contrat social. Or, respectant en cela la tradition de la République, nous sommes favorables à l’intégration par le contrat social.
J’ai demandé la parole, mes chers collègues, afin de partager avec vous cette citation d’Amin Maalouf, qui, d’une certaine façon, explique comment peut fonctionner une société et combat, sans prononcer le mot, l’assimilation. L’auteur écrit : « De la même manière, les sociétés devraient assumer, elles aussi, les appartenances multiples qui ont forgé leur identité à travers l’histoire, et qui la cisèlent encore ; elles devraient faire l’effort de montrer, à travers des symboles visibles, qu’elles assument leur diversité, afin que chacun puisse s’identifier à ce qu’il voit autour de lui, que chacun puisse se reconnaître dans l’image du pays où il vit, et se sente encouragé à s’y impliquer plutôt que de demeurer, comme c’est trop souvent le cas, un spectateur inquiet, et quelque fois hostile. »
Ce propos traduit la situation telle que nous la vivons aujourd’hui. Vous pouvez regretter, monsieur le ministre, qu’on ne chante pas La Marseillaise lors de certains événements ou que l’on ne soit pas enthousiaste à l’idée de porter le drapeau français, alors que l’on vit en France. Mais la société doit envoyer des signes au lieu de demander systématiquement à l’individu de faire ses preuves, de montrer patte blanche.
Si, en tant que législateurs, nous légiférons pour la société, pour favoriser l’intégration et l’adhésion à la République, il nous faut, sans frilosité, avec audace, réfléchir aux signes que nous devons envoyer par la législation que nous élaborons.
Ni assimilation ni communautarisme à l’anglo-saxonne ! Ces deux modèles ont échoué. Le communautarisme à l’anglo-saxonne, c’est faire en sorte que des communautés vivent côte à côte, sans se mélanger. L’assimilation, c’est croire que l’on peut fondre tout le monde dans un même moule mythique. Entre les deux, il y a le contrat social, le « vivre ensemble », la République laïque et sociale. C’est notre projet ! (Mme Bariza Khiari applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Au-delà des déclamations, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de revenir au sujet.
À entendre certains d’entre vous, la France serait un pays opposé aux naturalisations et à l’accueil de nouveaux Français sur son territoire.
Je voudrais donc rappeler, notamment à l’attention des orateurs qui viennent de s’exprimer, que nous accueillons tous les ans environ 130 000 nouveaux Français et que, sur cette population, environ 90 000 personnes acquièrent la nationalité française par naturalisation.
Je vais donner des chiffres plus précis pour que la situation soit claire : il y a eu 36 000 naturalisations en 1995, 50 000 en 1996, 53 000 en 1997, 68 000 en 2000 et, en 2009, nous en enregistrions exactement 84 730.
Le phénomène n’est donc pas du tout accessoire ou marginal, la France ayant mis en place, dans ce domaine, des dispositifs à l’efficacité reconnue.
Nous constatons simplement que, bien que connaissant notre langue et nos institutions, certains postulants à la nationalité française n’adhèrent pas réellement ou totalement aux valeurs et aux droits conférés par la nationalité française. Ce n’est pas rien !
M. David Assouline. Les électeurs du Front national y adhèrent-ils ?
M. Philippe Richert, ministre. Permettez-moi de dire que, pour les postulants, acquérir cette nationalité française n’a rien d’un geste anodin et que disposer d’une charte à laquelle se référer n’est pas neutre.
M. David Assouline. Nous sommes d’accord !
M. Philippe Richert, ministre. Les situations de non-adhésion aux valeurs s’observent notamment à l’occasion des procédures engagées dans le cadre des décrets d’opposition à l’acquisition de nationalité par déclaration de mariage ou de retrait de la nationalité acquise par naturalisation. Dans ces cas, les postulants s’inscrivent davantage dans une démarche personnelle de facilitation administrative que dans un processus d’intégration à la communauté nationale.
Dans quelle situation nous trouvons-nous ? Actuellement, le droit limite l’appréciation de l’assimilation du postulant à la nationalité française à la seule connaissance des droits et devoirs du citoyen français.
Le projet de loi tend à rendre obligatoire le recueil de l’adhésion du postulant à la nationalité française par la signature d’une charte des droits et devoirs du citoyen. La signature de cette charte, dont le refus sera sanctionné par l’irrecevabilité de la demande de naturalisation, matérialise l’adhésion du postulant aux valeurs de notre pays, en rappelant les principes et valeurs essentiels de la République.
À cet égard, je voudrais répondre aux questions très précises de Mme Bariza Khiari. Comment le dispositif sera-t-il mis en œuvre ? Qui rédigera la charte ?
Au-delà de l’engagement pris, la charte n’aura pas d’effet ultérieur, ce qui signifie qu’il n’est pas prévu qu’elle puisse être opposable une fois la naturalisation obtenue.
Autre précision, le document rappellera les principes et valeurs essentiels de la République. Enfin, son élaboration pourra être confiée à une commission comprenant des parlementaires, assistés d’historiens, de chercheurs et de juristes. Un décret pris après avis du Conseil d’État en fixerait le contenu définitif.
Le Parlement sera donc associé à la rédaction de cette charte. Nous souhaitons qu’il puisse avoir toute sa place dans ce travail, assisté, comme je l’ai déjà indiqué, d’historiens, de chercheurs et de juristes.
Telles sont les précisions que je souhaitais apporter avant que nous abordions l’examen des amendements déposés sur cet article, tel qu’il est issu des travaux de la commission.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faudrait que nous voyions la charte avant !
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 8 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
L'amendement n° 19 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 102 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l’amendement n° 8.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à supprimer l’article 2 du projet de loi, qui renforce le pouvoir réglementaire en matière de contrôle de l’assimilation des nouveaux Français et crée une charte des droits et devoirs du citoyen français dépendant entièrement du pouvoir réglementaire.
D’une part, le Parlement ne dispose d’aucun regard sur le contenu de cette charte, qui prévoit un contrôle de l’assimilation des nouveaux Français par naturalisation – d’ailleurs, nous ne connaissons pas les critères retenus pour cette prétendue assimilation ! –, ni sur les conséquences en cas de non-respect de celle-ci.
D’autre part, en réactivant ce concept d’assimilation qui rappelle une époque révolue du code civil durant laquelle on parlait aussi de « citoyens de second collège », nous assistons à une négation symbolique de la diversité culturelle de la Nation. Le Gouvernement aurait pu lui préférer la notion d’intégration, présente d’ailleurs dans l’intitulé du projet de loi, ou celle d’insertion, qui lui ont été progressivement substituées, notions qui ouvrent non seulement à la nationalité, mais aussi à la diversité.
Il est donc proposé au législateur d’ajouter une condition contractuelle obligatoire sans que le Parlement puisse contrôler la nature de ce contrat, le contenu étant, je le répète, totalement mystérieux, à l’instar des critères, d’ailleurs, qui sont laissés à la subjectivité de l’agent instructeur de la préfecture. En fait, c’est cet agent qui in fine décidera ou non de la naturalisation !
Ainsi, le pouvoir de contrôle des décisions de naturalisation sera totalement anéanti, puisque les juridictions seront tenues par la loi et le décret. En outre, il suffira à l’administration de considérer que le candidat n’a pas adhéré à la charte pour que la décision de naturalisation réponde à cette condition de motivation. Ce pouvoir arbitraire est tout à fait inacceptable dans un État de droit.
J’en profite pour appeler les deux assemblées à réfléchir davantage sur la notion de citoyenneté, une notion qui doit évoluer au regard d’une citoyenneté de résidence, qui constituerait une réponse en faveur de l’égalité des droits, notamment des droits politiques, et ce dans le respect de la diversité. Ainsi, de nombreux problèmes pourraient être réglés.
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin, pour présenter l'amendement n° 19 rectifié.
M. Yvon Collin. Cet article est l’une des rares traductions des propositions formulées à l’issue du séminaire gouvernemental du 8 février 2010, qui était censé clore le sinistre débat sur l’identité nationale. Il institue, entre autres, une charte des droits et devoirs du citoyen français que l’étranger en voie de naturalisation devra signer à l’issue du contrôle de son « assimilation ».
Avec cette charte, nous nous situons bien sûr sur le plan du symbole, mais il s’agit d’un symbole dont l’utilité n’a guère de sens dès lors que la naturalisation relève avant tout de l’intégration de l’individu dans notre société et de son adhésion aux principes qui en font l’essence et la vitalité.
Par définition, l’étranger qui réussit son intégration et satisfait aux conditions de naturalisation n’a pas besoin, nous semble-t-il, d’un énième document réitératif. Cette charte est donc superfétatoire.
Sur le plan juridique, nous nous interrogeons sur la nature de cette charte. Faut-il la considérer comme une condition contractuelle préalable obligatoire ? La naturalisation relèverait alors d’un contrat entre l’État et un individu. Nous sommes plus que perplexes, a fortiori quand la rédaction de cet article laisse toute latitude à l’administration pour apprécier l’adhésion à la charte de l’étranger, ou sa non-adhésion, et donc sa condition de motivation.
De plus, la conception de cette charte est renvoyée au pouvoir réglementaire. En principe, il revient au minimum au législateur de pouvoir exercer sa compétence sur un élément conditionnant l’accès à la nationalité. Il ne nous semble pas acceptable de nous en remettre au pouvoir réglementaire, dont nous avons récemment évoqué le manque de diligence à prendre les textes d’application des lois dans des délais raisonnables.
Pour ce qui nous concerne, nous ne souhaitons pas alourdir la charge des services du ministère de l’intérieur. Aussi, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter cet amendement de suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l'amendement n° 102.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cet article modifie les conditions requises pour obtenir une naturalisation.
Actuellement, il faut avoir une connaissance suffisante de la langue française ainsi que des droits et devoirs conférés par la nationalité.
Le niveau de connaissance en français était jusqu’à présent évalué lors d’un entretien individuel mené de manière totalement subjective, puisqu’il n’était fondé sur aucun critère. Il sera désormais réalisé en fonction de critères fixés par décret.
Si cette évaluation peut sembler plus objective, une grande incertitude plane sur les critères retenus, qui doivent s’apprécier au regard des conditions socio-économiques et culturelles de la personne en question.
De plus, cette certification aura un coût - les services du ministère l’évaluent entre 100 euros et 230 euros -, qui sera supporté par l’étranger, alors que la somme, vous en conviendrez, est loin d’être négligeable.
Enfin, est introduite une nouvelle condition d’assimilation, notion ô combien colonialiste, sur laquelle j’ai cru comprendre que M. le ministre de l’intérieur lui-même demeurait sceptique.
Vous prévoyez la signature d’une charte des droits et devoirs du citoyen qui rappellerait les valeurs essentielles de la République, mais le débat qui vient de s’instaurer montre combien tout cela demeure, au fond, extrêmement vague.
Je reste opposée à la définition de « critères » d’évaluation d’une assimilation, notamment lorsqu’il s’agit des « droits et devoirs » du citoyen français et des « valeurs de la République », car ils sont nombreux et multiples. Réduits à quelques-uns, ils « essentialisent » les droits français et les opposent aux autres, ceux de l’étranger, barbare par essence, que l’on enferme dans une vision du droit aussi erronée que régressive ; le débat sur la polygamie en a fourni la malheureuse illustration.
Nous pourrions avoir de longs débats sur ce que sont les valeurs de la République. En effet, parce qu’elles portent et reflètent une vision du monde, une vision politique de la France, elles ne sont pas neutres.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je refuse cet article, qui ne fait qu’entériner des critères subjectifs tendant à durcir encore une fois les conditions de naturalisation. C’est pourquoi je vous invite à adopter cet amendement de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ces trois amendements identiques visent à supprimer l’article 2 du projet de loi, mais pour des raisons différentes. Aussi, j’expliquerai sur chacun d’eux les raisons de l’avis défavorable de la commission.
L’amendement n° 8 est motivé par le refus du terme « assimilation » pour définir la façon dont le candidat à la naturalisation s’est intégré et acculturé à la société française.
Pourtant, il s’agit du terme de référence employé par le code civil aux articles 21-4, 21-24 et 21-25. Il ajoute à la notion d’intégration dans la société française l’idée d’une adhésion active à certaines valeurs communes qui traduisent l’assimilation de l’intéressé à la communauté française, dans le respect toutefois de ses différences culturelles.
L’interprétation n’est donc pas neutre.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Au sens propre, l’assimilation est le fait de devenir semblable au citoyen d’un pays. Cette similitude n’est cependant pas un arasement des différences dans la mesure où la société française est une société pluraliste, la République assurant, aux termes de l’article 1er de la Constitution, l’égalité de tous devant la loi, sans distinction d’origine, de race ou de religion, et respectant toutes les croyances.
Cette assimilation à la société française est la condition requise pour acquérir la nationalité.
Quant à l’intégration à la société française, elle est prise en compte pour autoriser l’étranger qui ne souhaite pas forcément acquérir la nationalité française à se maintenir durablement sur notre territoire.
Dans ce cadre, l’assimilation s’appréciera notamment au degré de maîtrise de la langue et à l’adhésion aux valeurs communes, dont rend compte la signature de la charte créée par le présent article.
L’amendement n° 19 rectifié est motivé par l’opposition de ses auteurs à l’élaboration, par le pouvoir réglementaire et non par le législateur, de la charte des droits et devoirs du citoyen français.
Cette charte n’a, il faut le rappeler, aucune valeur normative et ne relève pas, pour cette raison, de la compétence du législateur. Il s’agit seulement ici de rassembler dans un document les principes et valeurs de la République française sur lesquelles tous s’accordent : la dignité de la personne humaine, l’égalité de tous devant la loi, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Le fait qu’elle soit adoptée par décret en Conseil d’État nous paraît suffisant.
En revanche, pour éviter toute contestation et permettre, le cas échéant, l’organisation d’un débat parlementaire, il pourrait être utile que M. le ministre s’engage à transmettre le texte qu’il envisage aux deux assemblées afin que les parlementaires aient la possibilité, s’ils le souhaitent, de présenter une question orale avec débat ou déposer une proposition de résolution sur ce sujet. Je rappelle que M. Besson s’y était engagé devant l'Assemblée nationale. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. David Assouline. Il n’est plus là !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Enfin, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de l’amendement n° 102, la signature de la charte des droits et devoirs du citoyen français ne constitue ni un obstacle supplémentaire pour l’acquisition de la nationalité française ni une négation de la diversité culturelle.
La signature de la charte vise uniquement à demander au candidat à la naturalisation de manifester par écrit son adhésion aux valeurs essentielles qui fondent notre société. Il s’agit d’une formalité très légère, mais à forte portée symbolique dans la mesure où le sens de l’écrit n’est pas tout à fait le même que celui de l’oral !
Concernant la négation alléguée de la diversité française, il suffit de relire les dispositions de l’article 1er de notre Constitution pour voir qu’il y a, au fondement de notre République, la diversité culturelle et que la condition d’assimilation n’impose aucunement un arasement des différences culturelles, au contraire !
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces trois amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Je pourrais tout simplement vous renvoyer, mesdames, messieurs les sénateurs, aux arguments qui viennent d’être développés par M. le rapporteur, car ils sont pertinents et leur portée est si large que chacun d’entre vous pourra y trouver son compte. Mais j’aimerais revenir sur le terme d’« assimilation ».
Je rappelle que la notion d’assimilation, qui est présente dans le code civil, ne soulève aucune difficulté d’ordre juridique, et le Conseil d’État l’a rappelé récemment !
Par ailleurs, Patrick Weil, spécialiste de la question – de nombreux auteurs ont été cités ce matin ! – et que vous ne pouvez soupçonner d’être proche du Gouvernement, déclarait à un quotidien le 27 septembre 2010 qu’un étranger qui demande la nationalité française demande son assimilation non pas du point de vue de ce qu’il mange, de la manière dont il s’habille ou de sa religion.
Pour Patrick Weil, il ne faut pas avoir peur du mot « assimilation » et le rejeter, car cette notion existe dans tous les pays d’immigration et ne concerne que certains aspects de la vie. Il conclut son propos par ces mots : « Ce n’est donc pas une dilution de l’identité. »
M. David Assouline. Vous citez M. Weil quand cela vous arrange !
M. Philippe Richert, ministre. Ainsi que l’a souligné M. le rapporteur, le contrôle de l’assimilation est prévu par le code civil dans les articles 21-4, 21-24 et 21-25, et il est normalement pratiqué sans que cela empêche de nombreuses personnes d’acquérir, chaque année, la nationalité française ; je vous ai communiqué les chiffres tout à l'heure.
Pour conclure, permettez-moi de préciser que l’assimilation se définit souvent, aujourd'hui, par défaut, dans le cadre des règles d’opposition à déclaration. À cet égard, je rappelle que les principaux motifs d’opposition à déclaration sont, il importe de le savoir, la polygamie, le militantisme extrémiste et le refus de la laïcité.
Eu égard à ces motifs de refus, nous avons le droit de demander aujourd'hui un engagement.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement est défavorable à ces trois amendements identiques de suppression. (M. Pierre Hérisson applaudit.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le ministre, je vous ai bien écouté, mais je ne suis absolument pas d’accord avec vous.
Le terme « assimilation » me fait penser à un boisseau d’où rien ne doit dépasser ! Il rappelle la politique de Napoléon III en Algérie dans les années 1850, et on en connaît le résultat !
Est-on sûr que tous les Français de France sont « assimilés » au sens où ils adhèrent à la République et à la Constitution ?
Quid de ceux qui prônent l’autonomie de leur province ?
Quid de ceux qui continuent à parler leur langue régionale, notamment dans votre région, monsieur le ministre ?
Quid de tous ceux qui, ici ou là, ne sont pas d’accord avec le principe de laïcité ?
Quid d’un président de conseil général qui a pris pour emblème de son département celui des Chouans, c'est-à-dire un emblème totalement antirépublicain ?
Lorsque l’on sillonne les routes du département de la Vendée, on est confondu de se retrouver à l’ère des Chouans, qui voulaient abattre la République !
Les « bons » Français de France, ceux qui ne sont pas basanés et ne sont pas venus par hasard dans notre pays, sont-ils vraiment « assimilés » au regard de la Constitution française ? Je n’en suis pas certain, monsieur le ministre ! Vous-même, étant d’une région où l’assimilation à la République française fut assez compliquée et même conflictuelle,…
M. Richard Yung. Douloureuse !
M. Jean-Pierre Michel. … vous devriez le savoir ! (Mme Bariza Khiari applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Selon moi, d’un point de vue sémantique, le terme d’« assimilation » renvoie plutôt à un clonage ou à un formatage des esprits ou des individus, et me paraît donc particulièrement dangereux.
Au demeurant, je souhaite revenir sur un autre point, monsieur le ministre.
Dans son rapport, M. François-Noël Buffet lui-même rappelle les propos tenus par M. Besson à propos de la charte. Celui-ci prévoyait en effet que ce texte serait présenté aux députés – et, je l’imagine, aux sénateurs –, puis transmis à la commission des lois et, le cas échéant, amendé. Comme vous pouvez le constater, M. Besson allait un tout petit peu plus loin que vous.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Dans ces conditions, pouvez-vous nous assurer que cette charte nous sera soumise et qu’il nous sera possible de l’amender ?
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Monsieur le rapporteur, pour apporter la preuve que nous vous faisions un mauvais procès, vous avez été jusqu’à nous donner une définition de l’assimilation.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Celle du code civil !
M. David Assouline. Soit ! Toutefois, le code civil est rédigé en langue française, et les termes qu’il utilise possèdent une définition dans le dictionnaire. Pour éclairer nos débats, je me permets donc de vous rappeler la définition, d’une clarté limpide, proposée par Le Petit Robert pour ce terme.
Il s’agit d’un « processus par lequel les êtres organisés transforment en leur propre substance les matières qu’ils absorbent ». On ne peut pas mieux dire ! (Protestations au banc des commissions.)
Or notre conception de la République est radicalement différente. Nous pensons en effet que les individus, apportant leur propre substance au corps social initial, le transforment par un constant métissage. C’est ce processus qui a façonné la nation et la culture françaises, si bien que celles-ci sont différentes de ce qu’elles étaient voilà deux siècles, voilà dix siècles. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il s’agit d’une culture riche et toujours vivante.
Cessez donc de considérer la Nation et la République les yeux dans le rétroviseur ! Soyez optimistes, et allons de l’avant ! Au demeurant, notre demande étant des plus simples, vous ne pourrez pas toujours tourner autour du pot !
Certes, ce sont souvent les municipalités de gauche qui ont organisé des cérémonies d’accès à la nationalité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas vrai !
M. David Assouline. Dès 1995, je m’étonnais que tous les jeunes gens accédant à la nationalité ne soient pas accueillis en mairie, dans le cadre d’une cérémonie qui les conforte dans leur choix. Il s’agissait de leur remettre un document, comportant notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Nous faisions tout cela.
Aujourd’hui, vous proposez d’instaurer une charte qui ne sera pas élaborée ici. Pourtant, les questions que ce document soulève font l’objet d’un véritable désaccord.
Les valeurs de la République ? De nombreux Français, dont personne ne remet en cause la nationalité, manifestent régulièrement contre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Hélas !
M. David Assouline. Même l’UMP le reconnaît, le Front national, qui représente une part importante de la population française, est un parti antirépublicain !
Quel est donc cet examen que vous voulez faire passer à ceux qui veulent être naturalisés ?
Pouvez-vous nous garantir, monsieur le ministre, que cette charte sera annexée au projet de loi et examinée par le Parlement ? Si tel n’était pas le cas, l’adoption de cet article reviendrait à signer un chèque en blanc au Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. J’en reviens au fond du débat.
L’utilisation que vous faites du terme d’« intégration » me gêne. Dans votre bouche, il ne concerne en effet que les immigrés qui poseraient problème, puisque l’intégration des Français « de souche » n’est jamais remise en cause, même quand ils commettent des délits. (M. le ministre et M. le président de la commission des lois protestent.)
Déjà, en matière d’intégration, il y a vraiment deux poids, deux mesures.
Pour moi, être intégré, c’est se sentir bien dans la société où l’on vit, y avoir une place, sur le plan social comme sur le plan économique. Or force est de constater que des millions de nos concitoyens ne se voient pas aujourd’hui accorder une telle place, tant il est vrai que vos discours et vos actes sont contraires à vos prétendues ambitions d’intégration.
Sur le terme d’« assimilation », je partage la plupart des analyses qui viennent d’être faites, notamment s’agissant des relents colonialistes de la notion.
Je compléterai les propos de David Assouline, qui citait tout à l’heure Le Petit Robert. Selon ce même dictionnaire, assimiler, c’est aussi rendre semblable. Or au nom de quoi un étranger devrait-il être semblable ? Et à qui ? Au « bon Français » ? Mais qui est-ce, ce « bon Français » ?
Au demeurant, M. Patrick Weil dit ce qu’il veut ! En la matière, il n’a pas la parole divine et je ne suis pas toujours d’accord avec lui.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, cessez de vous cacher, pour masquer vos échecs, derrière des mots que je considère comme violents ! Arrêtez de construire ces usines à gaz dont nous ne connaissons même pas les finalités ! Acceptez de discuter ici pleinement de vos propositions !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. En tant qu’immigrée de troisième génération, ce débat sur l’assimilation me met assez mal à l’aise.
Dans ma famille, cette assimilation ne nous a pas posé le moindre problème. Grâce à l’existence, dans la société, d’un certain nombre de structures, elle s’est faite naturellement, ce qui ne nous a pas empêchés de conserver notre identité.
Je rappelle en effet que l’école républicaine a permis à des générations d’enfants issus de l’immigration de devenir des Français respectant la loi et traversant « dans les clous ». Ils savaient qui ils étaient et comment ils devaient se comporter à l’égard de la société.
Or, aujourd’hui, nous sommes confrontés à un certain nombre de difficultés. Parallèlement, les structures sociales et éducatives, l’encadrement ne sont plus tout à fait les mêmes.
C’est vers l’éducation civique et le respect de la différence que nous devrions orienter notre action plus que vers des mesures de plus en plus répressives visant à encadrer l’individu. Le respect de la différence constitue en effet l’une des richesses de notre République.
La notion de « preuves » d’assimilation me met extrêmement mal à l’aise. La meilleure preuve n’est-elle pas de trouver sa place à l’école et dans le monde du travail, en gardant son identité, sa religion et ses principes, lesquels doivent être exposés dans la sphère privée et non pas dans la rue ?
Nous avons d’ailleurs été un certain nombre à voter le texte contre le port de la burqa dans la rue, parce que ce choix était conforme à notre pacte civil, à notre pacte républicain.
Très franchement, plutôt que de prévoir des « preuves » d’assimilation, je préférerais voter l’augmentation du budget de l’éducation nationale ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je pensais intervenir plus tard, mais il me paraît souhaitable de mener jusqu’à son terme le débat qui s’est engagé sur ce sujet.
Nous pensons bien sûr qu’une bonne connaissance de la langue française constitue un facteur d’intégration. Comment vivre dans un pays si l’on n’en parle pas l’idiome ou si l’on n’en a pas au moins une connaissance qui permette d’entrer en relation avec les autres ?
Derrière le débat sémantique sur les mots « intégration » et « assimilation », je distingue pour ma part un véritable débat philosophique.
En la matière, nous sommes confrontés à deux modèles extrêmement différents, que je situerais aux deux extrémités d’un spectre.
Le premier est celui du melting pot américain, qui accepte tous les individus, sans condition de langue, de culture ou même de valeurs. Dans ce pays d’immigration, l’assimilation se fait naturellement et progressivement.
Le second est le modèle français, très normatif. Pour être un « bon Français » – je caricature un peu –, il faut avoir fait l’École alsacienne, Sciences Po et l’ENA.
Le terme d’« assimilation » nous renvoie à l’époque des colonies, qui n’est pas si lointaine. À l’origine, il n’était probablement pas négatif en tant que tel et nous pensions – l’histoire a montré que nous avions tort – que nous apportions des valeurs de progrès aux populations dites « indigènes ». Nous leur proposions de devenir français, par la fréquentation de l’école et la maîtrise de notre langue.
En contrepartie, ces populations devaient abandonner toutes leurs valeurs, leurs religions, leurs coutumes et leurs langues traditionnelles. Et nous combattions valeurs, religions, coutumes, langues qui n’étaient pas les nôtres. À cet égard, on évoque souvent le cas de la Bretagne, mais, en pays baoulé, l’enfant qui utilisait sa langue maternelle dans la cour de récréation risquait un coup de badine sur les doigts !
Les conceptions qui s’opposent aujourd’hui se réfèrent à ces deux modèles. Le malaise suscité par ces questions se reflète dans le débat sémantique que nous avons.
Pour notre part, nous pensons que le mot « intégration » traduit mieux la volonté de la société ouverte qui est la nôtre, volonté à laquelle vous adhérez sans doute également, au moins en partie. Celle-ci se construit grâce à un mélange de valeurs et l’acceptation de ce que l’autre peut apporter.
Tel est l’enjeu, me semble-t-il, de notre débat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je souhaite réagir « à chaud » sur la question de l’assimilation.
Je suis fatiguée d’entendre sans cesse les uns ou les autres venir se justifier de leur ascendance en disant qu’ils sont de la première, de la deuxième ou de la troisième génération.
Je crois que l’on mélange un peu tout dans ce débat.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je suis d’accord !
Mme Alima Boumediene-Thiery. D’une part, n’oublions pas que l’immigration actuelle n’est pas comparable aux autres immigrations qui ont nourri notre histoire.
Toutes les immigrations qui ont pu se faire à l’intérieur des frontières d’une grande Europe judéo-chrétienne, qui existait déjà au Moyen-Âge, n’ont certainement pas posé les mêmes problèmes que les immigrations récentes, qui, pour nombre d’entre elles, résultent d’une histoire coloniale dont il convient de ne pas minimiser l’impact. Fernand Braudel a d’ailleurs avancé que la France avait transposé sur son territoire les problèmes de son ancien empire, ce qui n’est pas tout à fait faux.
Or le terme d’« assimilation » nous renvoie à cette histoire coloniale, qui reste présente. Il s’agit bien d’un passé qui ne « passe » pas.
D’autre part, cette « assimilation » est présentée comme l’acceptation d’un pacte républicain. Si tel est vraiment le cas, allez jusqu’au bout de votre démarche, monsieur le ministre, et accordez à ces hommes et à ces femmes l’égalité politique, c’est-à-dire le droit de vote. Parce que le pacte républicain, c’est aussi une égalité et une justice qui se traduisent au niveau politique !
Enfin, nous ne devons pas évacuer les questions sociales et économiques. Si l’intégration soulève aujourd’hui autant de problèmes, c’est avant tout en raison de difficultés d’insertion tant sociale qu’économique.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces questions dans la suite de l’examen des amendements ; aussi, je ne m’appesantirai pas. Néanmoins, mesdames, messieurs les sénateurs, vous me permettrez de préciser une nouvelle fois un certain nombre de points à la suite des explications que j’ai déjà données.
Comme vous l’avez fort justement dit les uns et les autres, dans notre pays, l’unité, ce n’est pas l’uniformité !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est la reconnaissance de la diversité !
M. Philippe Richert, ministre. Me permettez-vous de poursuivre ? Je n’ai rien dit quand les différents orateurs se sont exprimés !
Plusieurs d’entre vous l’ont dit, notamment Louis Mermaz : les Français sont eux-mêmes divers. Pourtant, ils se retrouvent sur l’essentiel : les valeurs de la République. Voilà ce qui est important ! En fait, ce sont les valeurs essentielles de la République que nous souhaitons tout simplement voir reprises dans cette charte.
Lorsque des étrangers résidents adhèrent à ces mêmes valeurs, les font pleinement leurs, ils sont, au regard du code civil, assimilés. C’est le code civil, monsieur le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui ! Quant au dictionnaire, il donne cinq définitions du mot « assimilation ».
M. David Assouline. Je peux toutes les lire !
M. Philippe Richert, ministre. Contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, le mot « assimilation » ne doit pas être entendu ici au sens de « digestion ». Il existe toujours plusieurs acceptions pour un mot, et il est bien évident que les sens peuvent être très différents.
Pour notre part, nous entendons le mot « assimilation » au sens qu’en donne le code civil ; il n’est aucunement question de digestion !
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Philippe Richert, ministre. Je veux bien que nous poursuivions cette discussion, mais je crains, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, que vous n’ayez d’autre objectif que d’entretenir la polémique. À cet égard, je vous fais toute confiance, car je vous sais très talentueux en la matière.
M. François Trucy. Très bien !
M. André Reichardt. Oui, très bien !
M. Philippe Richert, ministre. Lorsque les étrangers résidents adhèrent à ces valeurs et les font pleinement leurs, ils sont, au regard du code civil, assimilés. Un point c’est tout !
L’adhésion à ces valeurs ne leur retire pas le droit de penser librement, droit garanti par la Constitution ; être assimilé n’interdit pas de penser et de parler librement, le cas échéant de pratiquer une langue régionale – les langues régionales, selon la Constitution, monsieur Michel, appartiennent désormais au patrimoine de la France.
Au moment où des personnes font un pas important en demandant leur intégration à la nation française, il est nécessaire qu’on leur demande si elles adhèrent aux principes et valeurs essentiels de la République.
M. David Assouline. Si elles sont d’accord !
M. Philippe Richert, ministre. Voilà ce que nous proposons.
Enfin, je rappelle que le Gouvernement s’est engagé à associer en amont le Parlement à la rédaction de la charte plutôt que de lui demander une simple approbation.
M. David Assouline. Il nous faut le texte de cette charte !
M. Philippe Richert, ministre. Sauf si l’objectif est d’entretenir une vaine polémique, je ne comprends pas les raisons pour lesquelles un certain nombre d’entre vous ont tenu à revenir sur ces différents points, sur lesquels je m’étais amplement exprimé dans ma réponse aux orateurs qui sont intervenus sur l’article.
Vous comprendrez donc, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement confirme son avis défavorable sur ces amendements identiques. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8, 19 rectifié et 102.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L'amendement n° 20 rectifié, présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...° Les mots : « assimilation à » sont remplacés par les mots : « intégration dans »
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, si vous me le permettez, je présenterai conjointement les amendements nos 20 rectifié et 22 rectifié, qui procèdent de la même logique. Ils visent en effet l’un et l’autre à remplacer, dans le texte proposé par l’article 2 pour l’article 21-24 du code civil, le mot « assimilation » par le mot « intégration ».
Il nous paraît plus conforme à l’évolution de notre société et à celle de sa composition de procéder à ce changement lexical.
Du reste, l’intitulé même du projet de loi et vos propos, monsieur le ministre, visent en permanence l’intégration et non l’assimilation.
De plus, quand bien même la Nation ne saurait tolérer l’institutionnalisation du communautarisme, il ne lui revient pas pour autant de demander aux étrangers qui deviennent français de nier du jour au lendemain leur culture d’origine et ce qui constitue leur histoire personnelle.
Or l’assimilation est bien un processus qui exige de l’individu qu’il se fonde dans un nouveau cadre social plus large dont les référents culturels doivent se substituer aux précédents. Cela, nous ne le souhaitons pas.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je ne prolongerai pas le long débat que nous venons d’avoir sur le sujet. La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 20 rectifié, mais aussi, par anticipation, sur l’amendement n° 22 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Compte tenu des explications que j’ai données tout à l’heure, je ne peux qu’émettre, moi aussi, un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. L'amendement n° 21 rectifié, présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
sont fixés par décret
insérer les mots :
en Conseil d’État
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Il s’agit d’abord un amendement de pure légistique.
Il est constant, et cela a été rappelé à juste titre par M. le président de la commission et par M. le rapporteur, que la mention d’un décret simple n’est pas utile dans la loi dès lors que le pouvoir réglementaire conserve une large marge d’appréciation pour prendre les mesures d’application nécessaires.
Sur le fond, nous ne sommes pas opposés à ce que la naturalisation soit conditionnée et subordonnée à une maîtrise minimale de la langue française. Cependant, il est indispensable que, si le Parlement ne peut exercer de contrôle sur les critères d’évaluation du niveau de maîtrise de la langue française par l’étranger aspirant à devenir français, le pouvoir réglementaire doive au moins recueillir l’avis, toujours éclairant, du Conseil d’État.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur cet amendement de précision.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 22 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 274 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5, première phrase
Remplacer le mot :
assimilation
par le mot :
intégration
L’amendement n° 22 rectifié a été précédemment défendu.
La parole est à Mme Bariza Khiari, pour présenter l'amendement n° 274.
Mme Bariza Khiari. Le cinquième alinéa de cet article 2 réaffirme l’obligation pour l’étranger postulant à la nationalité française de se soumettre à un contrôle de son « assimilation ».
Nous proposons de remplacer, le terme « assimilation » par le terme « intégration », beaucoup plus consensuel pour ceux – et seulement pour eux – qui demandent leur naturalisation.
Le terme « intégration », comme l’a rappelé notre collègue Éliane Assassi, ne devrait plus être utilisé pour ceux qui sont français depuis plusieurs générations. Utilisé constamment pour cette partie de nos concitoyens, ce terme montre à quel point il est difficile, dans le regard de l’autre, d’être tout simplement français.
Ce sixième texte ne facilitera certainement pas les choses - d’autant moins après les débats sur l’identité nationale, sur le port de la burqa, sur la viande halal, sur les minarets, et j’en passe, qui ont manifesté une forme de stigmatisation d’État -, mais il ne faut plus utiliser ce terme « intégration » pour ceux qui sont français.
Dans mon intervention sur l’article, j’ai rappelé que la notion d’assimilation exige de gommer la personnalité et la culture des intéressés. Elle constitue une forme d’acculturation au cours de laquelle un individu ou un groupe abandonne totalement sa culture d’origine pour adopter les valeurs d’un nouveau groupe.
Comment ne pas mettre en lumière les contradictions de ceux qui, sur les travées de la majorité, proclament la nécessité de « défendre nos racines » tout en mettant en demeure les immigrés d’oublier les leurs ? Lorsque certains proposent d’exiger des immigrés un serment solennel de fidélité à la nation française, combien de Français de souche accepteraient de prêter eux-mêmes un tel serment, ou même pourraient sincèrement le faire, comme l’a souligné notre collègue Jean-Pierre Michel ?
C’est pourquoi nous préférons le concept d’intégration, qui exprime davantage une dynamique d’échange dans laquelle chacun accepte de se constituer partie d’un tout, où l’adhésion aux règles de fonctionnement de la société d’accueil et le respect de ce qui fait l’unité et l’intégrité de la communauté n’interdisent pas le maintien des différences.
Mes chers collègues, la France doit se regarder telle qu’elle est ; elle ne peut se construire sur ce qu’elle n’est plus. La force et l’originalité de la République française ne consistent pas à exiger que tous soient semblables, mais résident au contraire dans le fait que nous partageons des valeurs dans le respect de la diversité.
Le terme « intégration » ici proposé pour désigner l’inclusion dans la nation française au moment de la naturalisation, et à ce seul moment, traduit le respect de cette diversité tout en soulignant l’importance de l’adaptation de l’étranger à la communauté française.
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, nous vous proposons d’adopter cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Avis défavorable !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Je ne peux que renouveler l’avis défavorable qu’a émis le Gouvernement sur l’amendement similaire défendu par M. Collin.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 22 rectifié et 274.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L'amendement n° 275, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5, seconde phrase
Remplacer les mots :
décret en Conseil d'État
par les mots :
le Parlement
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. L’article 2 dispose que la nationalité ne pourra être conférée qu’à des personnes qui non seulement connaissent bien les droits et devoirs conférés par la nationalité, mais encore y adhérent.
Le contrôle de cette adhésion s’effectue en préfecture, au cours d’un entretien individuel qui se clôt par la signature d’une charte des droits et devoirs du citoyen français.
L’article 2, dans sa rédaction actuelle, prévoit que la charte sera rédigée par le Gouvernement et approuvée par décret en Conseil d’État.
Nous estimons que le contenu de cette charte ne peut relever d’un simple décret en Conseil d’État. En effet, la définition et le choix des principes et valeurs essentielles de la République qui seront contenus dans cette charte sont une compétence du Parlement, en vertu de l’article 34 de la Constitution.
Dans le but de lui donner plus de solennité et plus de force, mais aussi de traduire la volonté de la Nation, la charte doit donc être approuvée par le Parlement et annexée au présent projet de loi.
Tel est l’objet de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Comme je l’ai expliqué tout à l’heure, la charte des droits et devoirs du citoyen français n’aura pas de caractère normatif ; par conséquent, elle ne relève pas du domaine de la loi.
En outre, nous avons demandé au Gouvernement de s’engager à nous soumettre le projet de charte afin de pouvoir l’examiner préalablement à son approbation. À cet égard, nous avons d’ores et déjà obtenu quelques indications.
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Pour les raisons que j’ai exposées à deux reprises en réponse à Mme Khiari, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. L'amendement n° 23 rectifié, présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, M. Baylet, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 5, seconde phrase
Supprimer le mot :
essentiels
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Cet amendement n’est pas seulement de nature rédactionnelle.
L’alinéa 5 de l’article 2 dispose que la charte des droits et devoirs du citoyen français doit rappeler les principes et valeurs essentiels de la République. Nous considérons, pour notre part, que tous les principes et valeurs de la République sont essentiels et que l’on ne saurait établir de hiérarchie entre eux.
Ainsi, le Conseil constitutionnel s’est toujours refusé à établir une telle hiérarchie. Il a au contraire, et de façon constante, cherché le meilleur moyen de concilier ces principes et valeurs, même lorsque certains d’entre eux pouvaient apparaître contradictoires.
Monsieur le ministre, je vous remercie donc par avance de bien vouloir nous éclairer sur cette hiérarchie.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Parler de principes ou valeurs essentiels de la République ne vise pas forcément à établir une hiérarchie entre les principes républicains ; cela vise à désigner ceux qui se rattachent le plus évidemment aux valeurs communes des citoyens français.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Cet amendement, qui vise à supprimer le mot « essentiels » pour qualifier les principes et valeurs de la République, repose sur le fait que, par essence, tous les principes sont « essentiels ».
Monsieur le sénateur, l’adjectif « essentiel » est utilisé à dessein. L’objectif du Gouvernement n’est pas de dresser, dans la charte des droits et devoirs du citoyen français, la liste des très nombreux principes sur lesquels est fondé notre droit ou ceux qui régissent les règles du comportement, de la politique ou de la morale publique : ce serait trop long, et bien fastidieux.
Ce texte a pour vocation de rappeler les principes que l’on considère les plus importants.
Monsieur Collin, je ne suis pas d’accord avec pour considérer que la frontière entre ce qui est essentiel et ce qui l’est moins est quelquefois ténue. Il conviendra au comité qui rédigera le texte de la charte de peser les termes qui seront utilisés.
Il ne s’agit pas de faire une exégèse en plusieurs volumes de la nature de notre République ni des principes qui la régissent. La lecture de la charte devra simplement permettre de comprendre les principes essentiels du « vivre ensemble », auxquels il est si souvent faire référence. Nous allons associer à ce travail des historiens, des philosophes et des parlementaires afin que cette charte soit rédigée de la manière la plus intelligente possible.
Monsieur Collin, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, sinon, je serais obligé d’émettre un avis défavorable, ce qui me désolerait.
L’objet de la charte n’est pas, je le répète, de rappeler les fondements de notre République, il est simplement de faire en sorte que les personnes qui souhaitent acquérir la nationalité française puissent comprendre ce qu’on leur demande.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Pour notre part, nous voterons cet amendement.
L’adjectif « essentiels » est l’un de ces nombreux termes qui encombrent la législation française, qui n’apportent rien et qui, loin d’éclairer le débat, le rendent plus complexe.
Si nous sommes hésitants sur ce projet de charte, c’est bien parce que vous avez des difficultés à en définir le contenu, monsieur le ministre.
Il me semble suffisant de préciser que la charte rappelle les principes et les valeurs de la République. Cette rédaction a le mérite de la clarté : tout le monde comprend qu’il s’agit des principes et des valeurs fondamentaux de la République.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je ne vous comprends pas très bien, monsieur le ministre. Dans un premier temps, vous déclarez que tous les principes de la République sont essentiels, qu’il n’y a pas de hiérarchie. Puis, dans un second temps, vous refusez la suppression du mot « essentiels », considérant qu’il convient de simplifier et de choisir les principes les plus essentiels. (M. le ministre s’exclame.)
Si tous les principes sont essentiels, il est inutile de le préciser, sous peine de créer une confusion.
Vous pouvez certes considérer que ce n’est pas important, parce que cela vient consacrer le fait que tous les principes sont essentiels. Monsieur le ministre, notre débat montre que les conceptions des uns et des autres divergent, qu’il y a un doute sur ce qui est essentiel et sur ce qui ne l’est pas. Afin de parvenir à un certain consensus, de lever ce doute, vous vous en remettez à une charte, dont nous aurons en principe à connaître. Mais, si vous voulez vraiment trouver un certain consensus, si vous voulez lever l’ambiguïté, pour ne pas dire la suspicion, il vous suffit d’accepter la suppression de l’adjectif « essentiels ».
En la refusant, vous ne faites que renforcer notre conviction sur le fait qu’il y a là un problème.
L’amendement de M. Collin est « basique », si je puis m’exprimer ainsi, et je m’étonne que, même sur ce point, il n’y ait aucune ouverture.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.
M. Yves Détraigne. Si l’on veut que les choses soient bien comprises, il faut qu’elles soient énoncées de manière claire et simple. On ne peut donc pas établir une liste trop longue.
Il y a des principes fondamentaux. D’ailleurs, peut-être sans s’en rendre compte, Richard Yung a justifié son refus de reconnaître que certains principes étaient essentiels en disant qu’il suffisait de se référer aux principes fondamentaux de la République.
M. Richard Yung. C’est ce qu’a dit le ministre !
M. Yves Détraigne. Principes essentiels ? Principes fondamentaux ? Soyons clairs et simples. Il y a quelques principes de base sur lesquels la société ne peut pas transiger. Il s’agit, comme l’a indiqué M. le ministre, des principes du « vivre ensemble ». N’établissons pas une liste trop longue qui, par définition, serait incompréhensible.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. On s’amuse beaucoup, on coupe les cheveux en quatre : très bien ! Mais, mes chers collègues, les principes essentiels, ou fondamentaux, ce sont en effet les valeurs du « vivre ensemble ».
L’indépendance des professeurs d’université est un principe important et reconnu, mais il n’est pas pour autant essentiel pour la vie en commun des citoyens. Et je pourrais citer d’autres exemples.
Les principes essentiels sont notamment ceux qui figurent dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, même s’il convient sans doute de ne pas tous les décliner.
Nous pourrions rappeler que le droit de propriété est inviolable et sacré ; il en est certains à qui cela ferait beaucoup de bien…
Mes chers collègues, tout le monde comprend très bien ce dont il s’agit. Il me semble que notre débat devient un peu byzantin, même si j’emploie ce terme à regret, car j’admire Byzance !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel après l'article 2
Mme la présidente. L'amendement n° 276 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l'article 21-25 du code civil, le mot : « assimilation » est remplacé par le mot : « intégration ».
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Cet amendement est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Défavorable !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 276 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2 bis
(Non modifié)
Après le mot : « doit », la fin du dernier alinéa de l’article 21-2 du même code est ainsi rédigée : « également justifier d’une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 24 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, M. Baylet, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 103 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Yvon Collin, pour présenter l’amendement n° 24 rectifié.
M. Yvon Collin. Cet amendement, comme l’un des amendements que nous avons déposé à l’article 2, vise à préciser qu’il revient au législateur, et non au pouvoir réglementaire, d’exercer sa compétence sur un élément conditionnant l’accès à la nationalité, ici par le mariage.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l'amendement n° 103.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Les lois du 26 novembre 2003 et du 24 juillet 2006 ont relevé la durée du délai de communauté de vie après mariage nécessaire à l’acquisition de la nationalité française pour un conjoint de Français.
Ce délai est actuellement de quatre ans, ce qui est excessivement long. Il est en outre assorti d’une condition de maîtrise de la langue française que cet article prévoit d’évaluer selon un barème encore inconnu, qui sera déterminé par décret.
Au regard des politiques actuelles menées en France et en Europe en matière d’immigration, on ne peut pas imaginer que ce décret serve à autre chose qu’à l’introduction d’une évaluation restrictive utilisée comme instrument de régulation de l’immigration.
La maîtrise de la langue est indispensable, mais elle doit s’accompagner d’une obligation pour la France de dispenser des formations à ceux qui le souhaitent.
En outre, nous sommes opposés à toutes les mesures prises depuis 2003 qui font peser des soupçons inadmissibles sur les mariages dits « mixtes » et qui durcissent les conditions d’acquisition de la nationalité française.
Pourtant, un certain nombre de vérifications sont déjà effectuées avant et après ces mariages, ainsi qu’au moment de la délivrance des cartes de séjour et de résident : personne n’échappe au droit !
Ces multiples conditions et contrôles assortis d’un délai sont encore plus abusifs et porteurs d’atteintes au droit de ces couples lorsque de l’union naît un enfant. Comment les soupçons de fraude peuvent-ils alors encore perdurer ?
Le seul effet de cette reconnaissance tardive et complexe est de maintenir un grand nombre de personnes résidant sur le sol français dans une situation précaire au regard du droit. Cette mesure s’inscrit dans une tendance plus large, en France comme en Europe, alors que se développe l’idée d’une immigration restrictive et choisie, tendant à la fermeture des frontières.
Sans empêcher l’immigration, ces politiques ont pour principal effet de maintenir les migrants dans un statut de séjour précaire et irrégulier, dont le principal bénéficiaire reste le marché, à qui la clandestinité permet d’outrepasser les droits des travailleurs, considérés comme autant d’entraves à leurs profits.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La définition des modalités et des conditions d’évaluation de la maîtrise par l’étranger de la langue française relève non pas de la loi, mais bien du règlement. La loi fixera uniquement le principe selon lequel cette évaluation s’effectue en tenant compte de la condition de l’étranger.
J’ajoute que la précision apportée par le texte conférera plus d’objectivité aux évaluations actuellement réalisées par les fonctionnaires des préfectures et constituera, pour cette raison, un progrès.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Personne ne peut imaginer que soient définis dans une loi les modalités d’évaluation et le niveau de connaissance et de maîtrise de la langue française que doit atteindre une personne qui souhaite acquérir la nationalité française. Il est bien évident que cela ne peut se faire que par décret.
J’ajoute que la formation des candidats à la naturalisation à la langue française est intégralement financée par l’État, qui y consacre 50 millions d’euros par an. Les propos qui ont été tenus tout à l’heure – des « dérapages » - ne correspondent donc pas tout à fait à la réalité. Et la réalité, c’est que l’État consacre chaque année 50 millions d’euros pour permettre à des personnes qui veulent acquérir la nationalité française de mieux maîtriser notre langue. Cet effort méritait d’être souligné.
Nous sommes l’un des seuls pays à financer entièrement cette formation.
M. Richard Yung. C’est aussi le cas en Allemagne !
M. Philippe Richert, ministre. J’ai dit que nous étions « l’un des seuls pays », je n’ai pas dit « le seul pays ». Mais je vous remercie de me donner l’occasion de préciser, monsieur Yung, qu’une politique similaire est conduite en Allemagne. Je n’ai pas souhaité évoquer cet exemple tout à l’heure, car je ne veux pas trop me référer à ce qui se fait dans d’autres pays.
M. François Trucy. Très bien !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 24 rectifié et 103.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 26 rectifié, présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, M. Baylet, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Au début de cet article, insérer trois alinéas ainsi rédigés :
L’article 21-2 du même code est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, le mot : « quatre » est remplacé par le mot : « deux ».
2 °Au deuxième alinéa, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « trois » et les mots : « trois ans » par les mots : « un an ».
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Nous souhaitons, par cet amendement, revenir à l’état du droit antérieur à la loi du 24 juillet 2006.
Le délai de quatre ans imposé au conjoint étranger d’un ressortissant français pour obtenir la nationalité française est manifestement excessif, alors que les contrôles préalables sont déjà particulièrement rigoureux. Il peut même constituer une entrave à l’intégration, dans la mesure où la multiplication des contrôles et la longueur des délais font peser une forme de soupçon.
Il convient au contraire de donner toutes ses chances d’intégration au conjoint, en revenant à des délais beaucoup plus raisonnables.
Mme la présidente. L'amendement n° 292 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Au début de cet article, insérer trois alinéas ainsi rédigés :
L'article 21-2 du code civil est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, le mot : « quatre » est remplacé par le mot : « deux » ;
2° À la première phrase du deuxième alinéa, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « trois ».
La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Depuis 2003, les couples dits binationaux font l’objet d’un véritable acharnement juridique. Au nom de la lutte contre les mariages de complaisance et du contrôle de l’immigration dite familiale, trois lois ont sévèrement durci les conditions d’acquisition de la nationalité française par mariage. Le présent amendement vise à limiter les dégâts…
En l’état actuel du droit, si le conjoint étranger d’un ressortissant français désire acquérir la nationalité française, les époux doivent partager effectivement leur vie depuis au moins quatre ans, le délai ne pouvant courir qu’à compter du mariage. Par ailleurs, ce délai est porté à cinq ans lorsque le conjoint étranger n’a pas résidé sans interruption pendant au moins un an sur le territoire français.
Ces conditions sont disproportionnées, car de nombreuses vérifications sont faites avant et après la célébration d’un mariage entre un Français et un étranger, puis au moment de la délivrance du visa, de la carte de séjour temporaire et, enfin, de la carte de résident.
D’après le mouvement Les Amoureux au ban public, ces contrôles, qui visent à prévenir ou à réprimer les unions frauduleuses, conduisent à des situations inadmissibles : multiplication des procédures d’opposition au mariage ; difficultés pour obtenir la transcription des unions célébrées à l’étranger ; multiplication des refus de visa ou de titre de séjour – nous parlementaires sommes souvent obligés d’intervenir auprès des consulats pour demander un peu plus de générosité et de logique ; éloignement des conjoints de Français en situation irrégulière ; enquêtes de police sur la communauté de vie ne respectant pas les règles élémentaires de déontologie, d’objectivité et de respect des personnes auditionnées ; non-reconnaissance du droit au séjour des couples binationaux vivant hors mariage…
Dans ces conditions, les délais de vie commune nécessaires pour acquérir la nationalité française apparaissent excessivement longs. Il faut vraiment être amoureux ! (Mme Isabelle Debré rit.)
Par conséquent, nous proposons de revenir, au minimum, à la situation qui prévalait avant l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, que nous n’approuvions déjà pas.
Concrètement, nous proposons, d’une part, de restaurer le délai de deux ans de vie commune – c’est déjà beaucoup – pour l’obtention de plein droit de la nationalité française par mariage, et, d’autre part, de fixer ce délai à trois ans lorsque le conjoint étranger, au moment de sa déclaration, ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue pendant au moins un an sur le territoire français à compter du mariage.
Je ne me fais pas trop d’illusions sur le sort qui sera réservé à cet amendement, dans la mesure où un autre article prévoit la vérification des mariages « gris ». Où va-t-on ? Désormais, l’inquisition consistera à vérifier les sentiments des gens !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Eh oui !
M. Louis Mermaz. Comment entrerez-vous dans le cœur des gens ? Au xixe siècle, peu de mariages bourgeois auraient été agréés selon vos critères, puisqu’ils étaient généralement arrangés. (Sourires.) Lisez Balzac ! Nous sommes vraiment en présence d’un texte ubuesque ! Et tout cela, comme nous le disaient récemment des représentants d’un syndicat de policiers, pour vider la mer avec une petite cuillère ! En effet, vous aurez beau faire, vous n’empêcherez pas les flux migratoires de se développer à travers le monde.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Exactement !
M. Louis Mermaz. Monsieur Fourcade, organisons le meilleur accueil possible, en attendant que cesse le pillage de tant de pays au nom du sacro-saint marché ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 26 rectifié, puisque les dispositions de la loi de 2006 avaient avant tout pour objet de lutter contre les nombreux détournements de procédure que permettait le délai applicable à l’époque. Il avait alors été admis qu’un délai de quatre ans permettait un meilleur contrôle de la réalité de la situation matrimoniale des époux. La commission a estimé qu’il n’était pas utile de revenir en arrière.
L’avis est également défavorable sur l’amendement n° 292 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Il s’agit non pas de mettre des entraves au mariage, mais simplement de fixer le délai au terme duquel le conjoint étranger pourra obtenir la nationalité française.
Un certain nombre de dérapages ont été observés dans ce domaine, personne ne peut le nier. La loi de 2006 visait donc à y remédier, et il me semblerait tout à fait prématuré de modifier ses dispositions aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas convaincant !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote sur l’amendement n° 26 rectifié.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, nous ne voyons pas la nécessité de revenir sur la loi de 2006, qui, vous venez de le dire, avait pour objet de mettre fin à certaines manœuvres frauduleuses.
M. Mermaz, comme moi, a été maire. Pour ma part, je l’ai été pendant trente-trois ans, de deux villes différentes.
M. Louis Mermaz. Et moi pendant trente ans !
M. Jean-Pierre Fourcade. J’ai pu constater que beaucoup de mariages étaient arrangés. À Boulogne-Billancourt, environ vingt par an avaient pour seule finalité l’acquisition de la nationalité française.
M. Louis Mermaz. Moi, un en trente ans !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La loi les punit !
M. Jean-Pierre Fourcade. Le dispositif de la loi de 2006 fonctionne correctement. Nous n’avons pas à vérifier la profondeur des sentiments des futurs conjoints, même lorsqu’il s’agit d’unir un vieillard cacochyme et une très jeune femme, dont la passion pour son futur mari est certainement vive… (Sourires.)
Le groupe UMP s’en tient au texte de la loi de 2006 et votera donc contre ces amendements. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. M. Mermaz a tout dit sur cette question.
Mme Catherine Procaccia. Alors restez-en là !
Mme Isabelle Debré. Ne répétez pas ce qu’il a dit !
M. David Assouline. Je viens dans cet hémicycle pour m’exprimer sur les textes qui nous sont soumis, et non pour brailler et lire le journal, comme d’autres ! Ne m’interrompez pas !
Mme Catherine Procaccia. C’est vous qui nous interrompez sans arrêt !
M. David Assouline. Fixer le délai à quatre ans est arbitraire ! Pourquoi pas cinq, six ou même dix ans ? Espérez-vous vraiment empêcher tous les détournements de la loi d’une façon aussi artificielle et bureaucratique ? Toutes les lois ont des failles !
Les mariages arrangés sont-ils le problème central de la société française ? Représentent-ils une menace pour la France ? Des mariages qui ne soient pas purement motivés par l’amour, il en existe dans notre société depuis toujours, y compris entre Français.
M. Jean-Pierre Fourcade. Absolument !
M. David Assouline. Quant aux unions entre deux personnes d’âges très différents, sommes-nous bien placés, dans cette enceinte, pour donner des leçons ?…
Mme Isabelle Debré. Pourquoi ?
M. David Assouline. Nous n’avons pas à porter un jugement moral sur de tels mariages ! Nous en connaissons tous, et il ne s’agit pas forcément de couples binationaux ! Assez d’hypocrisie : vous cherchez à compliquer les choses pour les conjoints étrangers de Français. C’est toujours le même message de frilosité, de peur, alors qu’il n’y a pas de danger. Cela vous amène même à vouloir légiférer sur l’amour ! Vraiment, vous êtes sur la mauvaise voie !
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. En cette matière, les contentieux se multiplient depuis plusieurs années et constituent une part importante du travail des sénateurs représentant les Français de l’étranger.
La loi française se contente d’exiger le consentement au mariage, rien d’autre ! Si deux personnes nées à cinquante années d’intervalle veulent se marier, cela peut sans doute surprendre, mais rien ne s’y oppose : il suffit qu’elles soient consentantes.
J’ajoute que, dans de nombreuses régions du monde, le mariage organisé par les familles est la norme et correspond à une tradition culturelle, quoi que l’on puisse en penser. Il en fut d’ailleurs longtemps de même chez nous, même si nous ne concevons plus le mariage de cette façon aujourd’hui.
M. David Assouline. Cela existe encore dans la bourgeoisie !
M. Richard Yung. À Pondichéry, tous les mariages sont, aujourd’hui encore, arrangés par les familles. Faut-il pour autant annuler ces unions ?
M. Richard Yung. Ce sont des Français, monsieur le ministre !
En fait, vous menez une politique de méfiance, inspirée par l’idée que le monde serait peuplé de gourgandines qui courent après nos jeunes et beaux Français pour essayer d’obtenir indûment la nationalité française ! (Mmes Isabelle Debré et Catherine Procaccia s’exclament.)
Au demeurant, je vous signale, mes chers collègues, que le cas inverse existe : de jeunes et beaux Français cherchent à épouser des Brésiliennes afin d’obtenir la nationalité et le droit de travailler au Brésil. Sont-ils eux aussi concernés par le dispositif ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Il convient de ne pas trop durcir le dispositif et de garder une certaine souplesse, car de nombreux conjoints de Français souhaitent acquérir la nationalité française et le méritent tout à fait.
Cependant, ne jouez pas les naïfs, monsieur Yung ! Dans certains consulats, notamment en Tunisie, au Maroc ou en Algérie, les mariages « gris » représentent un problème considérable. Nous avons le devoir de protéger les jeunes femmes concernées ! Les consuls savent très bien que ces mariages ne tiendront pas, mais ils ne peuvent rien faire !
Nombre de Françaises passant des vacances en Tunisie rencontrent des hommes qui leur font de grandes déclarations, mais ont en fait pour seul objectif d’obtenir la nationalité française par mariage… Les cas de ce genre abondent, mes chers collègues. Soyons réalistes !
Mme la présidente. L'amendement n° 25 rectifié, présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, M. Baylet, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après les mots :
sont fixés par décret
insérer les mots :
en Conseil d’Etat
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Nous avons déjà défendu un amendement similaire à l’article 2.
Premièrement, la mention du renvoi à un décret simple nous semble superfétatoire.
Deuxièmement, si le Parlement ne peut exercer de contrôle sur les critères d’appréciation du niveau de maîtrise de la langue française acquis par l’étranger qui aspire à devenir Français, le pouvoir réglementaire doit au moins recueillir l’avis du Conseil d’État.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
4
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, madame la ministre d’État, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je rappelle que l’auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse.
situation internationale
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
La promesse du président Moubarak de ne pas être candidat à l’élection présidentielle de septembre prochain n’a pas suffi à calmer la colère du peuple égyptien.
La réaction violente d’éléments troubles partisans du régime, qui a fait de nombreuses victimes, dont des journalistes, et terrorisé les manifestants, ne peut que nous inquiéter pour la suite du processus. Le régime à l’agonie tente-t-il de provoquer le chaos pour conserver le pouvoir ?
Nous l’avons vu hier en Tunisie et aujourd’hui en Égypte : les peuples de cette région ne veulent plus subir des régimes dictatoriaux qui nient les droits fondamentaux, la démocratie, et oppriment les populations pour préserver l’ordre économique libéral et protéger des oligarchies souvent corrompues. Votre politique envers ces pays a été cynique à l’égard des peuples et complaisante avec les pouvoirs.
L’absence de projets et de résultats tangibles de l’Union pour la Méditerranée, que le Président de la République co-présidait avec le président Moubarak, montre dans quelle impasse vous vous trouvez.
Les erreurs diplomatiques et les fautes morales et politiques de Mme la ministre des affaires étrangères n’ont pu que contribuer à dégrader encore la crédibilité de notre pays. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Robert Hue. Lorsque l’image de la France et de sa République est ainsi ternie, il revient à chacune et à chacun, en toute conscience, de prendre ses responsabilités : à titre personnel pour Mme la ministre d’État, au nom de l’intérêt supérieur du pays pour le Président de la République et pour vous-même, monsieur le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, vous vous êtes déclaré « préoccupé par la dégradation de la situation » et vous êtes prononcé « pour une transition rapide vers un gouvernement à représentation élargie ».
Il s’agit donc maintenant de prendre des initiatives concrètes pour restaurer le crédit de la France, porter de nouveau nos valeurs et aider le peuple égyptien dans sa marche vers la démocratie, la justice sociale et le développement.
Quelles initiatives prendrez-vous ? Demanderez-vous une réunion en urgence du Conseil de sécurité des Nations unies ? Quelles propositions ferez-vous, lors du prochain Conseil européen, pour que la politique européenne d’aide au développement des pays de cette région soit redéfinie dans un sens favorable aux peuples, et ne soit plus assujettie aux seuls intérêts du libéralisme économique ?
Il faut une politique qui soit à la hauteur des mutations historiques en cours, à la hauteur de l’autorité de notre pays dans le monde – de l’honneur de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur Hue, la devise de ma famille est « bien faire et laisser dire ». (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. René-Pierre Signé. Et vous avez bien fait ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. J’ai beaucoup laissé dire, et j’ai démontré que toutes les attaques dont j’ai été l’objet étaient dépourvues de fondement et ignominieuses.
Mme Raymonde Le Texier. Mais bien sûr !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Monsieur Hue, les membres du Gouvernement ont autre chose à faire que de parler de questions totalement vaines, médiocres et, pour tout dire, indignes de la politique et de votre parti. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. René-Pierre Signé. Mais il y a eu des morts !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Oui, la situation en Égypte est de plus en plus préoccupante. Je l’ai redit ce matin encore très fermement : les violences, d’où qu’elles viennent, doivent cesser. Les Égyptiens doivent pouvoir manifester leurs aspirations sans risquer leur vie.
M. René-Pierre Signé. N’allez pas en vacances en Égypte !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. J’avais d'ailleurs été la première à dénoncer, au moment des événements de Tunisie, avant que M. Ben Ali ne quitte le pouvoir, l’usage disproportionné de la force et les morts qu’il a entraînées.
M. René-Pierre Signé. Vous avez cautionné un système !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Vous êtes donc très mal placés pour critiquer mon attitude, car si je vous ai beaucoup entendu vous exprimer sur cette question, c’était après le départ du président Ben Ali ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Oui, monsieur Hue, la France a bien l’intention de continuer à appliquer sa politique internationale, qui est fondée sur l’État de droit, la promotion de la démocratie et des libertés, mais aussi sur le respect des peuples et de leur souveraineté, et donc sur le refus de l’ingérence dans les affaires intérieures des États.
M. Robert Hue. Le refus de l’ingérence ne signifie pas la complaisance !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Il n'y a aucune complaisance de notre part quand ces principes sont mis en cause ! Monsieur Hue, peut-être auriez-vous pu adopter la même ligne quand des événements analogues se déroulaient en Europe de l’Est. On vous a peu entendu à l’époque ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. René-Pierre Signé. Arrêtez !
M. Robert Hue. Je n’étais pas ministre des affaires étrangères !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La comparaison est extraordinaire ! Vous n’êtes pas une personne privée, madame le ministre des affaires étrangères !
grand paris
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Ma question s'adresse à M. le ministre de la ville.
Le 26 janvier dernier, l’État et la région d’Île-de-France sont parvenus à un accord, au moins partiel, en vue de la réalisation des infrastructures de transports du Grand Paris.
Je tenais à saluer cette excellente nouvelle, qui doit beaucoup à votre implication personnelle, monsieur le ministre.
Je voudrais néanmoins faire une remarque et poser une question.
Tout d'abord, je souhaite rappeler que, conformément à l’article 2 de la loi relative au Grand Paris, il convient de procéder par priorité au renforcement des réseaux existants, en termes de sécurité, de fréquence et de ponctualité. C’était le sens de l’amendement que Christian Cambon et moi-même avions défendu.
Je me réjouis donc que la modernisation des réseaux actuels, en particulier des lignes du RER, ait été prise en compte, même si je m’interroge sur le montant des crédits réservés à cette première opération.
Ma question portera sur la desserte du plateau de Saclay.
Je partage bien sûr le souci de nombreux élus de cette région de préserver l’existence de la zone agricole, que les projets de cluster universitaire ne doivent pas remettre en cause.
J’avais d’ailleurs déposé un amendement à l’article 28 du projet de loi relatif au Grand Paris, tendant à préciser que la zone de protection devrait comporter au moins 2 300 hectares de terres consacrées à l’agriculture.
Cette exigence est pleinement compatible avec le développement du pôle scientifique et technologique du plateau de Saclay, qui vise un rayonnement international, conformément aux vœux du Président de la République, et qui est une chance pour notre pays.
C’est pourquoi il est impératif que le plateau de Saclay dispose de réseaux de transports conformes à cette stratégie, ce qui suppose de pouvoir relier ce territoire à Paris en moins de trente minutes et à Roissy en moins de cinquante minutes.
Monsieur le ministre, je souhaite donc vous faire part de l’inquiétude des élus, de l’ensemble de la communauté scientifique concernée et des milieux économiques en ce qui concerne l’absence d’accord sur la desserte du plateau. Les déclarations cacophoniques des membres de la majorité régionale ne sont pas de nature à nous rassurer.
Aussi, pouvez-vous indiquer, monsieur le ministre, quelles mesures vous entendez prendre pour que ce territoire stratégique soit convenablement desservi et pour que cette desserte soit en adéquation avec les projets de développement du cluster et, plus simplement, avec la loi elle-même ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Maurice Leroy, ministre de la ville. Monsieur le sénateur, nous ne pouvons que nous réjouir avec vous de cet accord historique conclu avec le président de la région d’Île-de-France, M. Jean-Paul Huchon, en vue de la réalisation des infrastructures de transports.
Cette vision partagée en matière de transports a été portée à la connaissance des deux débats publics.
M. Christian Cambon. Tout à fait.
M. Maurice Leroy, ministre. Elle permettra de conjuguer les efforts de tous pour moderniser le réseau existant et réaliser au plus vite un projet de métro automatique en rocade. D'ailleurs, les Franciliens ont très largement exprimé leur soutien à ce projet tout au long des deux débats publics.
En ce qui concerne le réseau actuel, l’urgence est bien le RER, monsieur Béteille. Je vous confirme donc l’engagement de l’État, exprimé notamment par Nathalie Kosciusko-Morizet, de consacrer aux lignes C et D du RER, en particulier, plus d’un milliard d'euros, auquel s’ajoutera le financement du renouvellement du matériel roulant de la ligne A.
En ce qui concerne le développement et la desserte du plateau de Saclay, nous ne sommes pas parvenus à dégager une vision commune, en effet. Je le déplore, mais cela ne compromet en rien les engagements de l’État.
Le protocole expose clairement la vision de l’État concernant Saclay et sa desserte. Nous assurerons bien une desserte de Massy, de Saclay, de Saint-Quentin-en-Yvelines et de Versailles par un métro automatique, en respectant la zone de protection naturelle agricole et forestière, comme vous l’avez souhaité, monsieur Béteille, ainsi que votre collègue Christian Cambon, lors de l’examen du projet de loi.
Le pôle scientifique de Saclay sera bien relié à Paris en trente minutes et à l’aéroport de Roissy en cinquante minutes. C’est un engagement ferme du Président de la République, du Premier ministre et du Gouvernement ; il sera tenu ! (M. René-Pierre Signé s’exclame.)
Mme Éliane Assassi. Où est l’argent ?
M. Maurice Leroy, ministre. Le développement du plateau de Saclay est une condition essentielle du renforcement de l’attractivité de notre région capitale. Vous pouvez donc compter sur ma détermination sans faille pour le mener à bien, en partenariat avec les acteurs locaux. À cet égard, je tiens à souligner devant l’assemblée qui représente les collectivités territoriales que le conseil général de l’Essonne s’est prononcé à l'unanimité en faveur de la réalisation de la desserte du plateau de Saclay. Avec son soutien et celui de l’État, ce projet devrait pouvoir être réalisé. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
décret portant sur les commissions départementales de coopération intercommunale
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
Monsieur le ministre, voilà quelques jours, le 30 janvier dernier, est enfin paru au Journal officiel le décret relatif à la composition et au fonctionnement des commissions départementales de la coopération intercommunale, les CDCI.
Ces commissions, bien connues des maires et des élus locaux de nos départements, auront très prochainement la responsabilité de dessiner la nouvelle carte de l’intercommunalité, et ainsi d’élaborer, avec les préfets et avant la fin de cette année, le schéma départemental de coopération intercommunale. L’enjeu est donc de taille : il s’agit de rien de moins que d’achever la carte de l’intercommunalité, et cela avant le 1er juin 2013.
Or, monsieur le ministre, si l’on peut accepter ces délais prévus par la loi portant réforme des collectivités territoriales, il en va tout autrement du calendrier précipité imposé par le récent décret du 30 janvier. Ce texte enjoint aux préfets d’organiser avant le 17 mars prochain les élections en vue du renouvellement des CDCI conformément à leur nouvelle composition.
Monsieur le ministre, ce calendrier pose problème.
D’une part, les délais sont trop courts, puisque le calendrier laisse à peine plus d’un mois pour organiser et mener la campagne en vue du renouvellement des CDCI.
D’autre part, cette campagne va se télescoper avec celle des élections cantonales, lesquelles amèneront nécessairement un renouvellement substantiel des conseils généraux, et parfois même des majorités départementales : le jeu est donc faussé !
Comment tolérer que les préfets entament des consultations et commencent à élaborer des projets de schéma départemental en concertation avec tous les élus locaux, qui, dans le même temps et pour une grande partie d’entre eux, se présentent devant le suffrage universel ? Cette situation n’est pas acceptable.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, pourquoi ne pas envisager un report du renouvellement des CDCI ? Pourquoi autant de précipitation, alors que le Parlement attend toujours que vous proposiez un nouveau tableau de répartition des conseillers territoriaux, comme vous y oblige la décision du Conseil constitutionnel du 9 décembre dernier ? Quand nous présenterez-vous ce tableau ? Une chose est sûre : pas avant les élections cantonales ! Pourquoi faire preuve de si peu de considération à l’égard des élus locaux de nos territoires, ces élus de la République qui font vivre quotidiennement la démocratie locale ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez, comme l’avait fait avant vous Mme Goulet, sur l’organisation des commissions départementales de la coopération intercommunale.
M. René-Pierre Signé. C’est embarrassant !
M. Philippe Richert, ministre. Cette réforme concernant l’intercommunalité a été votée dans un très large consensus. Cependant, le Gouvernement aurait souhaité disposer de délais un peu plus amples pour sa mise en œuvre. C’est le Parlement qui a fixé des délais aussi courts !
Les élections pour le renouvellement des CDCI doivent être organisées au plus tard trois mois après la publication de la loi, soit d’ici au 16 mars 2011. Ce sont les termes mêmes de la loi qui a été votée par le Sénat, monsieur Collin !
Ensuite, les préfets doivent arrêter un projet de schéma départemental de coopération intercommunale au plus tard le 31 décembre 2011.
Enfin, les communes devront appartenir à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre au plus tard le 1er juin 2013.
Il revient donc au Gouvernement d’organiser l’ensemble de ces procédures en tenant compte des exigences formulées dans la loi, que vous ne pouvez ignorer, monsieur le sénateur !
Dès lors, nous avons publié le 28 janvier le décret précisant la répartition des sièges au sein de la CDCI : 40 % pour les représentants des communes, 40 % pour les représentants des EPCI, 5 % pour les représentants des syndicats de communes et syndicats mixtes, 10 % pour les représentants du conseil général et 5 % pour les représentants du conseil régional.
La CDCI sera complétée après le 27 mars par les représentants du conseil général. En effet, les conseils généraux disposeront de trois semaines à compter de cette date pour désigner leurs nouveaux représentants, ce qui nous amène au 17 avril. Par conséquent, il est bien tenu compte des élections cantonales. Je pense que ce calendrier spécifique sera de nature à vous rassurer, monsieur le sénateur.
C’est après la désignation des représentants des conseils généraux au sein des CDCI, et pas avant, qu’interviendra la présentation du projet de schéma départemental de coopération intercommunale. Suivra une phase de consultation des communes et des EPCI d’une durée de trois mois, à l’issue de laquelle les CDCI auront quatre mois pour se prononcer, soit un total de sept mois. Compte tenu des trois mois de délai entre la publication de la loi et la tenue des élections pour le renouvellement des CDCI, il n’était pas possible d’aller au-delà.
Quoi qu’il en soit, les élus auront tout le temps nécessaire, à compter du mois d’avril, pour améliorer la carte intercommunale de leur département. (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.)
Le Gouvernement s’est montré réactif, pour permettre aux élus d’être opérationnels et aux préfets de s’organiser et de transmettre les informations. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
conseil national du numérique
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Ma question s’adresse à M. le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique.
En novembre dernier, je m’inquiétais de la disparition du Forum des droits sur l’internet, d’autant qu’aucune structure de remplacement n’était annoncée. En presque dix ans, cet organisme avait prouvé son utilité et son efficacité. Il travaillait depuis plusieurs mois à son évolution institutionnelle, notamment, et, conformément à l’une de vos propositions faites en 2008 au titre du « Plan numérique 2012 », à la création d’un Conseil national du numérique, rassemblant le Forum des droits sur l’internet et d’autres structures. Pourquoi le Forum n’a-t-il pas été maintenu quelques mois supplémentaires, le temps que soit installé le Conseil national du numérique ?
En décembre, monsieur le ministre, vous annonciez la création d’un groupe de travail préliminaire chargé de vous faire des propositions pour ce futur conseil. Or, le 20 janvier, on découvrait sur internet la mise en place d’une consultation publique remplaçant le comité d’experts prévu. Quelles sont les raisons de ce changement ? Celui-ci aura-t-il une incidence sur le calendrier annoncé pour avril ? On peut le penser, car pour qu’une consultation soit sérieuse, on doit lui laisser un peu de temps. Pouvez-vous nous garantir la transparence des résultats ? Certains propos que j’ai récemment entendus de la bouche même des responsables étaient peu rassurants à ce sujet.
Nous avons noté que vous aviez confié cette mission au président-directeur général de PriceMinister, un acteur du numérique. Nous ne nions pas les compétences de ce dernier, mais ne pensez-vous pas que désigner une personnalité moins impliquée professionnellement dans ce secteur, n’étant ni juge ni partie, aurait permis une approche plus objective et globale des problématiques de cet « écosystème » qu’est aujourd'hui le monde du numérique ?
Au-delà de la méthode, se pose aussi un vrai problème de fond.
De nombreuses questions d’ordre culturel, économique, financier, juridique ou éthique découlent des bouleversements que connaît aujourd’hui ce secteur.
Ainsi, pouvez-vous nous indiquer quels seront le rôle, les missions et les outils du futur Conseil national du numérique ? Sera-t-il un club d’experts défendant les intérêts d’un secteur ou s’investira-t-il dans une réflexion plus générale, incluant des sujets sociétaux et éthiques, ce qui nous semble essentiel ? Sera-t-il, autre possibilité, un outil de régulation ? Comment s’articulerait-il alors avec les autorités déjà existantes ?
Quoi qu’il en soit, sa composition devra être équilibrée et représentative des acteurs concernés. Bon nombre d’entre eux s’inquiètent en effet de l’opacité du projet.
Autorégulation, régulation, législation : autant de vrais sujets sur lesquels réfléchissent les parlementaires, comme en témoignent les nombreux rapports publiés ces dernières années. En conséquence, monsieur le ministre, le Parlement ne doit pas être tenu à l’écart de la réflexion.
À l’heure où la mise en place d’une gouvernance mondiale d’internet et la dimension multiacteur s’imposent comme des éléments clés, j’espère que vous saurez apporter des réponses à ces interrogations. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. Madame Morin-Desailly, nous vivons en effet une véritable révolution numérique,…
M. David Assouline. Ah bon ?
M. Éric Besson, ministre. … une révolution de l’internet. Nous avons d’ailleurs participé ensemble ce matin à un colloque largement consacré à la lutte contre la fracture numérique et aux initiatives qu’il convient de prendre dans ce domaine. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
Parce que cette révolution numérique affecte nos modes de travail, de recherche d’emploi, d’accès à des loisirs ou à la culture, il importe de consulter les acteurs de l’internet avant que n’interviennent les politiques publiques, la loi, le règlement.
C’est dans cet esprit que le Président de la République a récemment confirmé la création d’un Conseil national du numérique, qui sera une instance de consultation et de concertation.
Comme vous l’avez indiqué, j’ai confié une mission à M. Pierre Kosciusko-Morizet.
M. David Assouline. Qui est-ce ?
M. René-Pierre Signé. Ça se passe en famille !
M. Éric Besson, ministre. Au-delà de ses responsabilités professionnelles, il est un acteur incontesté du monde de l’internet. Il me remettra avant le 15 février un rapport analysant les besoins des acteurs, présentant des éléments de comparaison internationale et comportant des préconisations sur le fonctionnement et la composition du Conseil national du numérique.
Ce rapport, que je transmettrai au Président de la République et au Premier ministre, servira de base à la définition, par décret, de l’organisation du Conseil national du numérique, dont le Président de la République a souhaité nommer lui-même les membres.
Mme Raymonde Le Texier. On est rassuré !
M. René-Pierre Signé. C’est la démocratie !
M. David Assouline. Cela nous rappelle quelque chose !
M. Éric Besson, ministre. Bien entendu, le Parlement sera très étroitement associé à la démarche. Le Conseil national du numérique comprendra en son sein a minima un représentant de l’Assemblée nationale et un représentant du Sénat. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
situation internationale
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Madame le ministre, les révolutions qui ont éclaté au sud de la Méditerranée condamnent les orientations de la diplomatie sarkozienne que vous devez mettre en œuvre.
Sur l’avenir de ces révolutions, seuls les États-Unis exercent une influence évidente, alors que la France, à l’origine de la création de l’Union pour la Méditerranée, est ignorée.
À confondre diplomatie et intérêts économiques, à sombrer toujours davantage dans la complaisance et le copinage, à force de pratiquer le double langage, le Gouvernement français s’est attiré l’hostilité de ces peuples, spoliés du produit de leur travail, terrifiés par une effroyable répression, bâillonnés, soumis au culte imbécile de la personnalité, que ce soit en Égypte ou en Tunisie,…
Mme Nathalie Goulet. Ou ailleurs !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. … là où, selon le Président Sarkozy, « s’élargissait l’espace des libertés »…
Mme Raymonde Le Texier. Eh oui !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. De tels propos ont eu un effet ravageur, croyez-moi, tout comme la vision de la brochette de dictateurs se pavanant autour de notre Président de la République à la tribune d’honneur, le 14 juillet 2008. Les geôliers de leurs peuples fêtaient la prise de la Bastille : quelle dérision ! (Murmures sur les travées de l’UMP.)
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Les peuples du sud de la Méditerranée ont vivement ressenti ce mépris du Gouvernement français, qui les condamnait à subir des dictatures mafieuses,…
M. Roland du Luart. On ne parle pas contre la France !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. … au motif fallacieux qu’il fallait protéger les Européens de l’extrémisme religieux.
À cela se sont ajoutées, en huit ans, sept lois hostiles aux immigrés et à leurs descendants devenus Français,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et cela continue !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. … des lois hostiles aux étudiants étrangers.
Ces politiques ont contribué à creuser le fossé entre la France et la rive sud de la Méditerranée. Vous tournerez-vous enfin vers l’avenir, madame le ministre ?
Toute une jeunesse, des associations, des partis politiques, des syndicats, des médias défendent, dans le monde arabe et musulman, les mêmes valeurs que celles qui animaient nos jeunes ancêtres de 1789.
Êtes-vous disposée à mener une politique méditerranéenne qui tienne enfin compte des oppositions et les respecte ?
Êtes-vous prête à recevoir des télégrammes politiquement incorrects de diplomates aux relations et aux sources d’information multiples ?
Quand un juge d’instruction sera-t-il saisi du devenir des avoirs de Ben Ali et de son entourage ?
Êtes-vous prête, enfin, à mener une politique méditerranéenne qui échappe au carcan technocratique de l’UPM, pour que puisse triompher la démocratie ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. De nombreux événements se déroulent aujourd’hui au sud de la Méditerranée. Le Gouvernement français doit être aux côtés des peuples tunisien et égyptien, pour leur permettre d’exercer sans violences leur droit de manifester leurs aspirations, mais aussi pour participer au redressement et à l’installation dans la démocratie de leur pays. Nous avons formulé des propositions en ce sens à la Tunisie et nous avons appelé les dirigeants égyptiens à s’engager dans la voie d’une transition démocratique qui permette notamment la tenue d’élections libres.
Un sénateur du groupe socialiste. Personne ne vous croit !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Telle est notre conception des relations internationales. L’UPM se fonde précisément sur l’idée que ses membres ont des intérêts communs qu’ils doivent défendre ensemble, dans un esprit de grande solidarité.
Les principes de la politique internationale de la France sont le respect de l’État de droit, la non-ingérence et l’appel à la démocratie et aux libertés.
J’ai développé ces idées devant le Conseil des ministres des affaires étrangères européens la semaine dernière. Nous continuons à agir tous les jours en ce sens.
M. René-Pierre Signé. Les résultats ne sont pas brillants !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Il en va de même s’agissant du processus de paix au Proche-Orient. Ainsi, je recevrai tout à l’heure Mme Ashton et je donnerai ce soir un dîner de travail consacré au suivi de la conférence de Paris des donateurs pour l’État palestinien. Voilà ma politique au quotidien.
Vous entendez donner de grandes leçons sur ce qu’il aurait fallu faire ou ne pas faire, mais je vous invite à la plus grande prudence : certains faits pourraient être embarrassants pour vos amis.
Ainsi, le compte rendu du conseil de l’Internationale socialiste des 15 et 16 novembre derniers…
M. Jacky Le Menn. Bonne lecture !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. … nous apprend que le parti socialiste avait invité M. Jalel Trabelsi et Mme Hager Cherif, qui, si je ne me trompe, sont très proches de M. Ben Ali. (Exclamations amusées et applaudissements sur les travées de l’UMP.) L’avez-vous oublié ?
Avez-vous également oublié qu’après le départ de M. Ben Ali, le parti socialiste a attendu trois jours avant de demander l’exclusion de son parti de l’Internationale socialiste ?
M. David Assouline. Cela fait dix ans qu’on le demande ! Cessez de mentir !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Vous pourriez vous en excuser !
Et que dire de M. Gbagbo ? Qu’attendez-vous encore pour l’exclure, ainsi que son parti, de l’Internationale socialiste ? Vous gardez dans vos rangs un homme qui refuse de reconnaître le résultat d’une élection démocratique ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP – Protestations sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.
Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur la formation des enseignants.
M. Jacques Mahéas. Il n’y en a plus !
M. Adrien Gouteyron. L’année dernière, 21 000 candidats se sont présentés aux concours de recrutement de professeurs de l’enseignement du second degré. C’était un peu moins que l’année précédente. Or il faut faire en sorte que les concours de l’enseignement continuent à attirer de bons candidats, si possible les meilleurs !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y a pas de postes !
M. Adrien Gouteyron. Le recrutement au niveau du mastère est un facteur de revalorisation de la condition enseignante aux yeux de la société tout entière. Cette réforme était indispensable dans une société devenue de plus en plus exigeante. Il est bon de l’avoir faite, mais…
Mme Éliane Assassi. Oui, il y a un mais !
M. Adrien Gouteyron. … cette élévation du niveau de recrutement doit s’accompagner de mesures de revalorisation financière ; cela me paraît normal. Qu’en est-il exactement à cet égard, monsieur le ministre ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez voté le budget !
M. Adrien Gouteyron. En outre, la « mastérisation » du recrutement doit également s’accompagner d’une formation pédagogique. Si la formation disciplinaire est absolument nécessaire – on l’a parfois oublié –, nous savons bien qu’elle n’est pas suffisante : il ne suffit pas de posséder parfaitement une discipline pour savoir transmettre son savoir à des enfants ou à des jeunes. Il faut donc une formation pédagogique, qui soit pratique, utile, et non théorique.
Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué que vous envisagiez de mettre en place avec votre collègue le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche des mastères pluridisciplinaires, voire des mastères en alternance. Qu’en sera-t-il ? Où allons-nous ?
M. Jacques Mahéas. Dans le mur !
M. Adrien Gouteyron. Par ailleurs, n’est-ce pas là l’occasion de bien distinguer les fonctions d’enseignement ? En effet, on n’enseigne pas au collège comme on enseigne en classe de terminale. Il convient donc d’en tenir compte dans la formation des professeurs : que comptez-vous faire à cet égard ?
Monsieur le ministre, toutes ces questions intéressent la France et son avenir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le sénateur, si le nombre de candidats aux concours de recrutement de l’éducation nationale a marqué un recul l’année dernière, c’est en grande partie dû au fait qu’une promotion d’étudiants a pu présenter deux fois ces concours, sous l’ancienne forme et sous la nouvelle, l’année 2011 étant celle de la transition vers la mastérisation. C’est donc l’année prochaine que nous verrons si le nombre de candidats aux concours est comparable à celui des années précédentes.
Vous avez raison d’insister sur l’importance de la formation initiale des enseignants. Les enquêtes internationales qui ont été publiées récemment, notamment l’enquête PISA, démontrent d’ailleurs l’importance de ce paramètre dans la performance des systèmes éducatifs.
Nous avons bien fait d’augmenter d’une année la durée de la formation initiale de nos enseignants, comme le font la plupart des grands pays développés. Désormais, la formation se déroule à l’université et alterne des phases d’enseignement disciplinaire avec des phases d’enseignement pédagogique.
Nous avons déjà mis en place des formations pédagogiques, avec deux cycles de 108 heures en quatrième et en cinquième années d’études, des stages d’observation, des stages de mise en situation. Nous avons également développé des modules de formation spécifique pour les professeurs stagiaires l’année de leur titularisation.
Depuis la rentrée scolaire, j’ai indiqué que nous étions prêts à tirer toutes les leçons de cette phase d’adaptation, de transition, pour améliorer, si nécessaire, la formation l’année prochaine.
Valérie Pécresse et moi-même travaillons à la mise en place de mastères polyvalents, notamment pour les futurs enseignants du premier degré, et de mastères en alternance, pour assurer un meilleur équilibre entre formation disciplinaire et formation pédagogique.
Enfin, nous allons développer des modules spécifiques pour certains enseignements. En primaire, par exemple, 75 % des professeurs des écoles ont une formation plutôt littéraire. Il convient donc qu’ils étudient les disciplines scientifiques, afin de pouvoir transmettre aux élèves le goût des sciences.
Cette mastérisation se traduit aussi par une revalorisation de la fonction enseignante. Il s’agit là d’un point très important. Ainsi, nous avons augmenté le traitement de tous les nouveaux professeurs de 10 % à la dernière rentrée scolaire, soit 157 euros de plus par mois pour un professeur certifié et 259 euros de plus par mois pour un professeur agrégé. Cela représente un effort considérable.
Notre politique consiste à exiger davantage en allongeant la formation initiale et à revaloriser la fonction d’enseignant. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Bruno Retailleau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement.
Pour 15 millions de Français, la fin du mois se joue souvent à quelques dizaines d’euros près.
Aujourd’hui, il existe une France de la précarité, une France pour qui vivre et se loger décemment est un combat quotidien.
Le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre jette un éclairage glaçant sur une réalité dramatique, inacceptable, pour tout dire indigne de notre pays.
La situation s’est encore aggravée, et l’on compte aujourd’hui en France 3,6 millions de personnes non logées ou mal logées, dont 33 000 sans abri, 100 000 sans domicile et 117 000 sans logement personnel.
Pour remédier à cette situation, il faudrait construire plus, et surtout construire mieux, là où sont les besoins.
Le mal-logement est une blessure au cœur de notre pacte républicain. Vous répondez à ce problème dramatique par des satisfecit convenus et des propositions de réforme fiscale hasardeuses, comme le projet de mettre en place une fiscalité foncière variant selon les territoires ! Les solutions existent pourtant.
Monsieur le secrétaire d'État, quand supprimerez-vous les aides fiscales à la construction, qui, en l’absence de contrepartie sociale, ne profitent qu’aux plus riches ?
Quand consacrerez-vous l’argent public à porter réellement remède aux difficultés les plus criantes et quand assumerez-vous vos responsabilités dans la lutte contre les marchands de sommeil ?
Enfin, quand imposerez-vous un quota de 30 % de logements à prix accessible dans tous les programmes de construction de logements ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Monsieur le sénateur, je veux d’abord saluer le travail de la Fondation Abbé Pierre, qui, par la qualité de ses analyses et de sa réflexion, apporte une contribution exemplaire au débat.
Le Gouvernement entend reprendre certaines des propositions avancées par cette association.
Ainsi, la Fondation Abbé Pierre nous demande d’élaborer une grande loi foncière : à la demande du Président de la République et du Premier ministre, Nathalie Kosciusko-Morizet et moi-même lancerons une réforme de l’urbanisme en 2011.
La Fondation Abbé Pierre nous demande de construire plus de logements sociaux : en 2010, ce gouvernement, cette majorité en ont financé 130 000. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non, ce sont des chiffres trompeurs ! Vous additionnez des carottes et des navets !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Je vous rappelle qu’à l’époque où vous étiez au pouvoir, vous en financiez à peine 40 000 ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
La Fondation Abbé Pierre nous demande de consacrer 2 % du produit intérieur brut au logement : en 2010, l’effort en faveur du logement aura représenté 1,96 % du PIB, ce qui constitue un record depuis 1986.
La Fondation Abbé Pierre nous demande de lutter contre la précarité énergétique : nous consacrerons 1,25 milliard d'euros, dont 500 millions d'euros au titre des dépenses d’avenir, au financement de travaux d’amélioration dans 300 000 logements.
M. François Marc. Ce sont les collectivités qui font cela !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Toutefois, il est un point sur lequel nous sommes en désaccord avec la Fondation Abbé Pierre : l’accession à la propriété. Cette majorité, ce gouvernement souhaitent que les plus modestes de nos concitoyens puissent eux aussi devenir propriétaires de leur logement.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Avec quels capitaux ?
M. René-Pierre Signé. Vous voulez en faire des propriétaires pauvres !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. C’est un engagement que nous avons pris lors de la campagne électorale, c’est notre conviction : il faut que le plus grand nombre possible de nos concitoyens, et pas seulement les plus riches, comme c’est le cas aujourd'hui, puissent accéder à la propriété ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
candidature d’annecy aux jo d’hiver
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Ma question s'adresse à Mme la ministre des sports.
Madame la ministre, en tant que sénateur de la Haute-Savoie et élu d’Annecy, je crois pouvoir affirmer que l’on voit naître une adhésion des Français à la candidature d’Annecy à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver de 2018. J’associe à mes propos mes collègues Jean-Paul Amoudry et Jean-Claude Carle, ainsi que Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale, et tous les députés de la Haute-Savoie.
M. Jean-Pierre Michel. La coupe est pleine ! Posez votre question !
M. Pierre Hérisson. Je puis également vous assurer que toutes les collectivités concernées sont pleinement mobilisées, à l’instar du monde économique et sportif, d’autant que cette candidature fait évoluer nos territoires de montagne vers un mode de développement durable plus respectueux de l’environnement. C’est notre projet à tous et pour tous.
Le président du Comité international olympique, Jacques Rogge, a déclaré que la candidature d’Annecy gardait toutes ses chances.
Toutefois, il ne faut pas se cacher que les candidatures adverses bénéficient de moyens autrement plus importants. Or il semble que ce soit de plus en plus les moyens et les réseaux qui priment pour l’attribution de l’organisation des grands événements sportifs.
À cet égard, je pense ne pas être le seul à avoir été très déçu de voir l’organisation des Championnats du monde de handball de 2015 échapper à la France, alors que nous sommes une grande nation du handball ; les « Experts » l’ont encore démontré dimanche dernier.
Mme Raymonde Le Texier. Quelle question d’actualité ! C’est fondamental !
M. Pierre Hérisson. Désormais, des questions se posent. Cela va faire un mois qu’une nouvelle équipe a été placée à la tête de la candidature d’Annecy.
M. David Assouline. Mme Jouanno ne peut pas tout faire : elle s’occupe de la composition de l’équipe de France de football !
M. René-Pierre Signé. Question locale !
M. Pierre Hérisson. L’arrivée de Charles Beigbeder devrait permettre de remédier à deux faiblesses de la candidature française : la difficulté que nous avons à nous « vendre » à l’international et l’insuffisance des financements privés.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Dans quelques jours, madame la ministre, vous devrez défendre cette candidature devant le comité d’évaluation du CIO, à Annecy. Vous savez bien sûr pouvoir compter sur les élus de Rhône-Alpes, de la Haute-Savoie, d’Annecy. Comment le Gouvernement compte-t-il s’investir pour défendre au mieux la candidature d’Annecy, qui est aussi celle de la France ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Tasca. On a d’autres chats à fouetter !
M. René-Pierre Signé. Quelle question intéressante !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Chantal Jouanno, ministre des sports. Une candidature aux jeux Olympiques et Paralympiques est toujours un grand moment pour une nation, car elle permet de relancer la dynamique sportive.
Nous sommes dans la dernière ligne droite, puisque la décision doit être prise à Durban le 6 juillet prochain. J’ai souhaité que l’État s’investisse beaucoup plus fortement sur ce dossier, parce qu’il y va de la dignité nationale : nous devons présenter une candidature solide et professionnelle.
Une nouvelle dynamique a été insufflée, avec la constitution d’une nouvelle équipe autour d’un chef d’entreprise, de sportifs, tels Jean-Pierre Vidal et une grande championne suédoise, Pernilla Viberg, qui a décidé de soutenir la candidature française.
Nous avons relancé une dynamique s’appuyant sur une nouvelle stratégie à l’international pilotée par Guy Drut, membre du Comité international olympique.
Avons-nous une chance de gagner ?
Notre candidature est la seule qui s’appuie sur des sites de haute montagne, à forte orientation écologique. Notre objectif est de montrer, au travers de notre dossier, qu’il est possible d’organiser des jeux Olympiques d’hiver écologiques dans une montagne du xxie siècle.
Sept membres du Gouvernement seront présents pour accueillir la commission d’évaluation du CIO qui se rendra sur place la semaine prochaine.
M. Richard Yung. Alors, c’est fichu !
Mme Chantal Jouanno, ministre. L’État doit certes s’investir. D’ores et déjà, la nouvelle dynamique que j’évoquais a permis de mobiliser 1,8 million d’euros supplémentaires, apportés par la Compagnie nationale du Rhône.
Cependant, il n’est pas question de mobiliser des sommes faramineuses. La situation budgétaire ne le permet de toute façon pas. Il ne serait d’ailleurs pas à notre honneur, me semble-t-il, de cautionner cette dérive qu’est la course à l’argent dans le sport. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste. – MM. Philippe Darniche et Bruno Retailleau applaudissent également.)
filières d’élevage
M. le président. La parole est à M. Jackie Pierre.
M. Jackie Pierre. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire.
Nous le savons, la colère monte chez les éleveurs français, qu’il s’agisse des éleveurs de porcs, de bovins ou de volailles.
La hausse des coûts de production due à la forte augmentation du prix des céréales, donc des aliments pour le bétail, et la stagnation des prix de vente placent les producteurs de viande dans une situation de plus en plus difficile, qui leur offre peu de perspectives d’avenir.
Entre les mois de juin et de décembre derniers, le prix du blé sur les marchés internationaux a augmenté de 94 %, celui du maïs de 63 %.
La pérennité de nos filières d’élevage est donc aujourd’hui sérieusement remise en cause.
La Fédération nationale porcine a exprimé le profond désarroi des éleveurs la semaine dernière, lors d’une grande manifestation à Paris. Aujourd’hui, à l’occasion de son congrès national tenu à Autun, berceau du Charolais, c’est au tour de la Fédération nationale bovine d’alerter les pouvoirs publics sur la détresse de ses adhérents.
Les éleveurs bovins et porcins réclament une augmentation du prix de la viande. Depuis quatre ans, ce secteur est en crise et le prix de vente aux négociants n’a pas augmenté, alors que le prix à la consommation a progressé de 40 %.
M. Christian Poncelet. C’est vrai !
M. Jackie Pierre. La viande doit être achetée à un prix raisonnable, afin que les éleveurs puissent vivre de leur travail. Ne faudrait-il pas se pencher sur les marges des intermédiaires et des grandes et moyennes surfaces ? La transparence doit être partout de rigueur. N’est-ce pas le rôle de l’Observatoire des prix et des marges, ainsi que des interprofessions, de l’assurer ?
Alors que les productions céréalière et laitière reprennent du poil de la bête, les producteurs de viande subissent toujours une crise interminable, induite par le bas niveau des cours.
L’ensemble des filières d’élevage ont besoin de recevoir rapidement un signal de la part du Gouvernement. En conséquence, je souhaite connaître les mesures que M. le ministre de l’agriculture compte prendre pour mieux réguler ce secteur et soutenir la production d’une viande française compétitive et durable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Philippe Darniche et Bruno Retailleau applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser M. Bruno Le Maire, qui est justement en train de défendre la position du Gouvernement devant l’assemblée générale de la Fédération nationale bovine. Son implication auprès des éleveurs n’est plus à démontrer.
Afin d’aider nos filières d’élevage, les pouvoirs publics ont notamment mis en place, en 2009, un programme exceptionnel de soutien, qui a permis d’apporter une bouffée d’oxygène aux éleveurs. Les négociations avec nos partenaires européens se poursuivent : un déblocage est intervenu sur la question du stockage, et M. Le Maire a récemment obtenu l’accord de la Commission européenne sur l’aide d’urgence aux éleveurs.
Vous avez raison d’affirmer, monsieur le sénateur, qu’il faut ouvrir des perspectives. Trois sujets importants doivent être traités : l’évolution des prix, la compétitivité et la lutte contre la volatilité des cours des matières premières à l’échelle internationale. Le marché est aujourd'hui trop instable pour que nos éleveurs aient suffisamment de garanties pour investir à long terme, même si leur métier les passionne et relève souvent d’une tradition familiale.
S’agissant de l’évolution des prix, nous avons suffisamment avancé pour offrir des assurances à court terme. Le Gouvernement poursuivra ses efforts.
En matière de compétitivité, le Gouvernement s’est engagé, à hauteur de 300 millions d’euros, dans la mise en œuvre d’un plan d’ensemble de développement des filières, afin notamment de soutenir la reprise des exploitations et d’aider les jeunes agriculteurs.
S’agissant de la volatilité des cours des matières premières, cette problématique doit être abordée à l’échelon international. Le Président de la République et le Premier ministre en ont fait l’un des points prioritaires de l’ordre du jour du G20. Nous avons d’ailleurs obtenu des avancées sur la scène diplomatique internationale, puisque les États-Unis eux-mêmes ont reconnu l’importance de cette question et l’ont intégrée parmi les thèmes de discussion. Nous devons aussi en débattre au sein de l’Organisation mondiale du commerce et avec le Mercosur. Les évolutions au plan international des cours des matières premières ne doivent pas s’opérer au détriment des éleveurs. L’élevage est une filière prioritaire pour l’agriculture française, et donc pour les pouvoirs publics. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste. – M. Bruno Retailleau applaudit également.)
M. le président. J’indique que, en ce moment même, des députés du Bundestag sont présents dans nos murs pour évoquer avec des parlementaires français la position franco-allemande sur la politique agricole commune.
situation de l’emploi
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le ministre du travail, de l’emploi et de la santé, il est bon de rappeler certains chiffres, dont l’addition pèse très lourd.
En France, 8 millions de personnes, dont 2 millions d’enfants, vivent au-dessous du seuil de pauvreté.
M. René-Pierre Signé. Très juste !
M. Martial Bourquin. En décembre 2010, on comptait 4 millions de chômeurs, soit deux fois la population de Paris.
Aujourd’hui, 700 000 personnes se trouvent en situation de chômage de longue durée, un jeune actif de moins de 25 ans sur cinq est sans emploi, tandis que le taux de chômage des seniors a connu une augmentation de 20 % et nos territoires une désindustrialisation massive.
M. Bernard Frimat. Quel bilan…
M. Martial Bourquin. Derrière ces chiffres impressionnants, on trouve des réalités sociales, des drames humains dans les familles et un combat quotidien pour la dignité.
Monsieur le ministre, une conclusion s’impose : ce bilan est le vôtre, et il est accablant.
M. René-Pierre Signé. Il sera difficile de se faire réélire !
M. Martial Bourquin. Quand allez-vous mobiliser le pays tout entier pour favoriser l’émergence d’une véritable culture industrielle ? Dans ce domaine, il faut mener une politique de haut niveau, fondée sur l’innovation, des formations de qualité, des infrastructures productives, un financement adapté des filières, des dynamiques territoriales, en considérant les collectivités territoriales non pas comme des ennemies, mais comme des alliées majeures.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela ne va pas être possible !
M. Martial Bourquin. Quand allez-vous sortir de ce budget de crise et d’austérité, pour vous engager pleinement dans la lutte en faveur du plein emploi…
M. Jean-Marc Pastor. Oui !
M. Martial Bourquin. … et de la croissance durable ? Quand accepterez-vous de redonner du lest au pouvoir d’achat ?
Quand allez-vous vous décider à rééquilibrer la fiscalité pour favoriser enfin l’économie réelle, celle qui crée des emplois, et non de nouvelles bulles financières ?
Monsieur le ministre, il faut inverser le logiciel ! Cessez d’agir pour la France des rentiers, agissez pour la France qui travaille, qui se lève tôt, qui produit des richesses, mais qui peine actuellement comme jamais auparavant.
Il faut moins d’autosatisfaction, moins d’effets d’annonce, plus d’actions vigoureuses et déterminées pour faire de l’emploi une véritable cause nationale ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Monsieur le sénateur, inversez donc vous-même votre logiciel ! Vous égrenez les statistiques pour essayer d’obtenir un effet spectaculaire, mais tandis que vous vous bornez à commenter les chiffres, nous agissons pour faire reculer le chômage. Voilà la réalité ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
C’est vrai, la situation est difficile. Pendant la crise, le taux de chômage a augmenté de 33 % dans notre pays. Cependant, vous vous êtes bien gardé d’indiquer qu’il a progressé, dans le même temps, de 43 % à l’échelle de l’Europe,…
M. Richard Yung. Pas en Allemagne !
M. Xavier Bertrand, ministre. … et de beaucoup plus encore dans certains pays gérés par vos amis socialistes, telles l’Espagne et la Grande-Bretagne ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le sénateur, si les choses étaient faciles, cela se saurait.
M. René-Pierre Signé. Cela fait dix ans que vous êtes au pouvoir !
M. Yannick Bodin. Répondez à la question !
M. Xavier Bertrand, ministre. Inversons le logiciel, comme vous l’avez proposé, et considérons que l’emploi est un enjeu national, au-delà des clivages politiques. Nous aurions tous aimé que le chômage recule en 2010 ; cela n’a pas été le cas, mais il a beaucoup moins augmenté qu’en 2009.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il suffit donc d’attendre : les chefs d’entreprise vont régler le problème !
M. René-Pierre Signé. Ajoutez les emplois à temps partiel !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout va bien ! Quelle autosatisfaction !
M. Xavier Bertrand, ministre. Grâce aux moyens engagés, nous entendons faire reculer le chômage des jeunes, mais aussi éviter que de nombreux chômeurs ne basculent dans l’exclusion. La volonté du Président de la République et du Premier ministre est de faire régresser le chômage de longue durée.
Sur tous ces sujets, on peut certes choisir, comme vous le faites, de dresser un camp contre l’autre. Pour ma part, je vous fais une proposition : dans le cadre des contrats d’objectifs et de moyens pour la modernisation et le développement de l’apprentissage, quand l’État met un euro, que les régions, gérées par vos amis, en mettent également un ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Voilà qui nous permettra d’être beaucoup plus efficaces et de faire reculer le chômage des jeunes ! Nous croyons à l’alternance. Sur tous ces sujets, il ne sert à rien de chercher à polémiquer.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n’avez rien démontré !
M. Xavier Bertrand, ministre. L’élection présidentielle est encore loin, surtout dans l’esprit de nos concitoyens. En tout cas, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, libre à vous de vous en tenir à un rôle de commentateurs ; quant à nous, nous avons décidé de faire reculer le chômage dès cette année 2011 ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. –MM. Philippe Darniche et Bruno Retailleau applaudissent également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Monique Papon.)
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Immigration, intégration et nationalité
Suite de la discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre unique du titre Ier, à l’article 2 ter.
Titre IER (suite)
DISPOSITIONS RELATIVES À LA NATIONALITÉ ET À L’INTÉGRATION
Chapitre unique (suite)
Article 2 ter
(Non modifié)
Après l’article 21-27 du même code, il est inséré un article 21-27-1 ainsi rédigé :
« Art. 21-27-1. – Lors de son acquisition de la nationalité française par décision de l’autorité publique ou par déclaration, l’intéressé indique à l’autorité compétente la ou les nationalités qu’il possède déjà, la ou les nationalités qu’il conserve en plus de la nationalité française ainsi que la ou les nationalités auxquelles il entend renoncer. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre, sur l’article.
Mme Marie-Agnès Labarre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je saisis l’occasion qui m’est donnée d’intervenir sur cet article, tendant à exiger une déclaration de nationalité, pour alerter notre assemblée sur les dérives de la politique d’immigration du Gouvernement, en particulier en ce qui concerne les futurs étudiants.
Nous dénonçons la mesure totalement discriminatoire, antirépublicaine et illégale prise par le ministère de l’éducation nationale à l’encontre des futurs bacheliers de nationalité étrangère.
Depuis la semaine dernière, en effet, l’ensemble des lycéens ont la possibilité de formuler leurs vœux d’inscription dans l’enseignement supérieur via la plateforme internet Admission Post Bac. Cette procédure, déjà dénoncée par les organisations lycéennes et étudiantes comme une forme de sélection masquée, interdit désormais aux lycéens étrangers scolarisés en France de s’inscrire à des formations en apprentissage. Quand ils se connectent, le message suivant apparaît sur l’écran : « Seuls les candidats de nationalité française peuvent s’inscrire dans une formation en apprentissage sur Admission Post Bac » !
Le ministère de l’éducation nationale se défend en expliquant que ces lycéens relèvent d’une autre procédure d’inscription : cela ne manquera pas de transformer l’accès aux études supérieures, déjà extrêmement complexe pour les étrangers, en un véritable parcours du combattant, dont seuls les plus acharnés viendront à bout !
Parfaitement discriminatoire et scandaleuse, cette pratique est totalement illégale : chaque jeune scolarisé en France a le droit de s’inscrire à la formation de son choix. M. le ministre de l’éducation nationale a donc pris la décision de créer une véritable situation d’exception pour les jeunes les plus en difficulté, et de rompre l’égalité de traitement en se fondant sur des critères de nationalité.
Ce système d’inscription permet d’identifier automatiquement la nationalité du candidat. Nous dénonçons cette pratique manifeste, et totalement illégale, d’interconnexion entre les fichiers. Nous exigeons que l’anonymat des données collectées par le ministère de l’éducation nationale soit scrupuleusement respecté. L’éducation nationale n’a pas à servir d’informateur aux services de police, au titre de la chasse aux sans-papiers !
Par ailleurs, si l’ensemble des jeunes de France connaissent des conditions de vie et de formation de plus en plus difficiles, les étudiants étrangers subissent, quant à eux, une triple précarité : administrative, sociale et pédagogique.
Sur le plan administratif, d’abord, avant même l’arrivée en France, les démarches pour obtenir un visa étudiant sont lourdes et coûteuses. La dépense peut par exemple équivaloir, dans certains pays, à un mois de SMIC !
La politique d’« immigration choisie » mise en place par le Gouvernement aggrave cette situation. Elle se traduit en effet, pour les étudiants étrangers, par un contrôle accru des préfectures. Celles-ci n’ont pourtant pas la moindre prérogative pédagogique pour l’exercer, et n’appliquent bien souvent qu’une logique de chiffre. Cela conduit au renforcement d’un système totalement arbitraire, dans lequel, pour un simple redoublement ou une réorientation, l’étudiant peut perdre son titre de séjour.
Par ailleurs, la précarité sociale de ces étudiants est très importante, dans la mesure où un très grand nombre d’entre eux n’ont pas accès aux bourses attribuées sur critères sociaux.
Enfin, précarité administrative et précarité sociale entraînent une précarité pédagogique. Le fait de consacrer la moitié de l’année universitaire à des démarches administratives et de connaître des soucis financiers permanents, ainsi que l’absence de dispositifs pédagogiques spécifiques, conduisent de plus en plus d’étudiants étrangers à s’enfoncer dans une spirale de l’échec, voire à abandonner leurs études.
La majorité a décidé d’aggraver encore cette situation en reprenant les thèses du Front national. En effet, la mesure en question revient à appliquer le principe de la préférence nationale pour l’entrée à l’université.
Nous attendons d’entendre les explications du Gouvernement et soutenons la saisine conjointe de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, par l’Union nationale des étudiants de France, l’UNEF, l’Union nationale lycéenne et la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques, la FCPE.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca, sur l’article.
Mme Catherine Tasca. Cet article 2 ter pourrait sembler d’ordre purement administratif et anodin. Or son examen ouvre, de fait, le débat sur la déchéance de la nationalité. Il est, en quelque sorte, le premier étage du dispositif de déchéance de la nationalité.
Cet article prévoit en effet qu’une personne qui acquiert la nationalité française par décision de l’autorité judiciaire ou par déclaration doit déclarer la ou les nationalités qu’il possède déjà, la ou les nationalités qu’il entend conserver en plus de la nationalité française, ainsi que la ou les nationalités auxquelles il entend renoncer.
À l’évidence, cette disposition va très au-delà du simple souhait, affiché par le Gouvernement, de collecter quelques éléments statistiques sur la binationalité. Si tel était vraiment le cas, monsieur le ministre, ce dont je suis loin d’être convaincue, pourquoi n’apporter aucune précision ni aucune garantie s’agissant de la collecte et de la conservation des données ?
En réalité, sous couvert de permettre une meilleure appréhension du phénomène de la plurinationalité, cet article a pour objet de renseigner les autorités publiques sur l’existence ou non d’une nationalité de substitution, et ainsi sur la possibilité de prononcer la déchéance de la nationalité française. Ce processus de « traçabilité » des nationalités introduit par l’article 2 ter vise, en définitive, à favoriser l’application du dispositif de déchéance de la nationalité. Cet article est le complément indissociable de l’article 3 bis du projet de loi. Il participe de la politique d’extension et de facilitation de la déchéance de la nationalité.
Nous réprouvons ce choix, car, à nos yeux, l’octroi de la nationalité française est non pas un cadeau révocable, mais l’acquisition d’un statut personnel inscrit dans notre droit. Votre choix d’étendre la déchéance de la nationalité est contraire à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires », ainsi qu’à la Convention du Conseil de l’Europe, qui n’autorise pas la déchéance de la nationalité pour des motifs de droit pénal général. La France est tenue par ses engagements internationaux, et il est de la responsabilité du législateur de rappeler haut et fort ces principes, quand le chemin pris par le Gouvernement nous en éloigne.
Opposés à l’extension de la déchéance de la nationalité au droit pénal général, nous souhaitons la suppression de l’article 2 ter, qui est le marchepied de l’article 3 bis. Nous avons donc déposé un amendement en ce sens.
Je sais que nombreux sont les sénateurs hostiles à ce projet d’extension de la déchéance de la nationalité. Je les invite à voter tout à l’heure notre amendement : ne mettons pas le doigt dans l’engrenage !
M. Richard Yung. Très bien !
Mme la présidente. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 27 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, M. Baylet, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L’amendement n° 104 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche.
L’amendement n° 277 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l’amendement n° 27 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. Je ne reprendrai pas les arguments parfaitement fondés qui viennent d’être développés par Mmes Labarre et Tasca, mais quel est le véritable objet de cet article, monsieur le ministre ?
Pour connaître l’ensemble de la procédure permettant à un étranger de rester sur le sol français, puis, au terme d’un certain délai, de demander la nationalité française, je sais que la nationalité des requérants est déjà mentionnée à de nombreuses reprises dans les dossiers. Ces informations sont donc déjà accessibles.
Pourquoi, dans ces conditions, exiger une nouvelle déclaration de nationalité ? Je m’étonne, en outre, qu’aucune sanction ne soit prévue à l’article 2 ter. Je le répète, nous n’appréhendons pas clairement l’objet et la finalité d’un tel dispositif.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 104.
Mme Éliane Assassi. Nous souhaitons également la suppression de ce dispositif, qui n’a aucun rapport avec l’acquisition de la nationalité française.
Quelle que soit la nationalité possédée antérieurement, cela ne change rien au fait que les conditions nécessaires pour obtenir la nationalité française soient réunies. La déclaration de nationalité est inutile,…
Mme Nathalie Goulet. Superfétatoire !
Mme Éliane Assassi. … et même dangereuse. Elle permettra d’établir des statistiques d’ordre ethnique concernant les ressortissants étrangers acquérant la nationalité française : nous ne comprenons pas l’utilité de telles données, à moins que nous ne la comprenions trop bien… Ne s’agirait-il pas, à l’avenir, d’orienter la politique migratoire et les conditions d’acquisition de la nationalité en fonction de l’origine des demandeurs ? Ce serait ouvrir la voie à un traitement différencié des étrangers selon leur nationalité, totalement inadmissible à nos yeux.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l’amendement n° 277.
M. Richard Yung. L’article 2 ter prévoit que « lors de son acquisition de la nationalité française par décision de l’autorité publique ou par déclaration, l’intéressé indique à l’autorité compétente la ou les nationalités qu’il possède déjà ». Or, lorsque cette personne remplit un dossier en vue de demander la nationalité française, elle doit déjà fournir une telle indication.
En outre, toujours aux termes de l’article 2 ter, l’intéressé doit également indiquer « la ou les nationalités qu’il conserve en plus de la nationalité française » : il s’agit d’une donnée tout à fait susceptible d’évoluer, car une personne, après avoir d’abord choisi de conserver sa nationalité d’origine, peut ensuite se raviser. Il en va de même pour « la ou les nationalités auxquelles il entend renoncer » : l’intéressé pourrait très bien décider d’abandonner la nationalité monégasque, par exemple,…
M. Laurent Béteille. Il ne faut pas rêver ! (Sourires.)
M. Richard Yung. … puis finalement décider de la conserver ; on peut imaginer pour quels motifs…
Tout cela n’est donc guère convaincant !
Ce qui est clair – et certains de mes collègues l’ont dit –, c’est que cet article est une marche de préparation à l’article 3 bis : il s’agit de vérifier si les personnes ayant acquis la nationalité française disposent d’une nationalité de secours en cas d’application de l’article 3 bis à leur encontre.
Il existe en effet une clause qui interdit l’apatridie ; si les abominables assassins visés par l’article 3 bis perdent la nationalité française, il faut donc qu’ils puissent avoir une nationalité de secours. L’article 2 ter vise donc à mettre en place un fichier qui détermine s’il y a ou non une roue de secours pour de tels individus. Voilà le fond du débat !
Cet article est un nouvel exemple de dispositions prises pour traiter un nombre infime de cas – en l’espèce, dix tous les cinq ans – et qui ennuient des milliers de personnes honnêtes ; en l’occurrence, celles qui souhaitent acquérir la nationalité française. (Mme Catherine Tasca applaudit.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. S’agissant des amendements identiques nos 27 rectifié, 104 et 277, je rappelle tout d’abord que l’objet de l’article 2 ter est de permettre à notre administration de disposer de données statistiques globales sur les étrangers ayant acquis la nationalité française.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le fichier !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’obligation d’information n’a cependant aucune portée contraignante dans la mesure où son non-respect n’est passible d’aucune sanction.
En outre, les déclarations qui sont faites par l’étranger ne lient aucunement ce dernier ; c’est à mon sens un point important.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourquoi alors les exiger ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’étranger peut conserver la nationalité à laquelle il aurait déclaré vouloir renoncer.
Pour répondre aux craintes exprimées par certains d’entre vous au sujet d’un prétendu « fichage » des doubles nationaux, j’ajouterai que de tels fichiers nominatifs auraient un caractère totalement illégal. Le traitement statistique des données collectées ne pourrait être qu’anonyme et ne peut être de notre point de vue qu’anonyme.
À cet égard, lier l’article 2 ter à l’article relatif à la déchéance de nationalité me paraît à tous points de vue extrêmement osé, pour ne pas dire abusif.
C’est pourquoi, sur ces amendements, la commission a souhaité solliciter l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. Je reprendrai les propos du rapporteur. À cet égard, je souhaiterais que, de temps en temps, ce que ce dernier exprime en son âme et conscience soit perçu comme la lettre de la loi.
Il affirme qu’il est impossible de créer un fichier parce que ce serait contraire au droit. Il est évident que la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, se prononcerait très rapidement sur le sujet ; telle est la réalité. Dès lors, comment voulez-vous construire toute une démonstration à partir d’un argument qui, par définition, n’est pas valable ?
Je le répète ici : supprimer l’article 2 ter, qui prévoit que l’étranger acquérant la nationalité française doit indiquer la ou les nationalités qu’il possède déjà et celle qu’il entend conserver, aurait évidemment des conséquences.
Tout d’abord, mesdames, messieurs les sénateurs, cet article a été introduit à l’Assemblée nationale ; il n’est donc pas d’origine gouvernementale. Je tenais à clarifier ce point pour que chacun comprenne bien la situation.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais les députés qui l’ont introduit sont vos amis !
M. Philippe Richert, ministre. Ensuite, lors des débats à l’Assemblée nationale, Éric Besson, alors ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, avait donné un avis favorable en insistant sur trois points.
Premièrement, l’objectif n’est nullement de remettre en cause la possibilité de posséder plusieurs nationalités ni même d’imposer de nouvelles conditions légales à l’acquisition de la nationalité française.
Deuxièmement, il ne s’agit évidemment pas non plus de créer un fichier de données personnelles ; aucun suivi de ce type ne sera réalisé.
Troisièmement, il s’agit de permettre la collecte d’informations statistiques pour parvenir à une meilleure connaissance du phénomène de plurinationalité.
Pour clore mon propos, j’avoue à titre personnel ne pas avoir eu l’occasion de contacter les députés à l’origine du dépôt de cet amendement,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est dommage !
M. Philippe Richert, ministre. … mais il ne me semble pas qu’il faille aujourd’hui en caricaturer l’objet ou en surestimer la portée, ni faire les rapprochements qui ont été suggérés voilà quelques instants.
À mon sens, il est tout à fait normal qu’une telle question soit évoquée lors d’un débat parlementaire.
Par conséquent, compte tenu des éléments factuels que je viens de rappeler et qui, bien entendu, sont également portés par le ministre de l’intérieur Brice Hortefeux, le Gouvernement émet un avis défavorable sur les trois amendements. Je souhaite en effet que l’article conserve la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, vous avez expliqué votre avis en trois points : les deux premiers consistent à nier les arguments avancés par les auteurs des amendements et le troisième concerne l’établissement de statistiques.
Vous avez avoué vous-même ne pas connaître les intentions des députés à l’origine de l’introduction de cet article, ce qui est regrettable : quand le Gouvernement est favorable à une disposition, il est bon qu’il sache pourquoi elle a été présentée.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour ma part, je vous pose la question : quel est le but d’une telle disposition ? Vous dites qu’elle permet d’établir des statistiques, mais vous savez comme moi qu’il est impossible d’établir des statistiques à caractère ethnique !
M. Philippe Richert, ministre. Mais je n’ai jamais dit qu’il s’agissait de statistiques « ethniques » !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous plaisantez ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La nationalité donne des indications ethniques, vous le savez très bien ! Nous aimerions donc connaître les motivations réelles d’une telle disposition. Les députés qui en sont à l’origine ne sont pas présents pour nous répondre, mais nous pensons que le Gouvernement est tout de même en mesure de justifier la position qu’il a adoptée à ce sujet !
Au-delà du simple objectif avoué d’établir des statistiques – et de quelles statistiques s’agirait-il –, je ne suis pas certaine que des statistiques sur la double nationalité soient très utiles. Cela dit, vous savez très bien que les statistiques de ce type ont forcément un caractère ethnique !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Si ! Pourquoi non ? Justifiez-le !
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Mon explication ira dans le même sens que celle de Mme Borvo Cohen-Seat.
Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, j’avoue ne pas comprendre vos arguments. Vous affirmez, d’un côté, qu’il n’est pas question d’établir un fichier parce que c’est illégal et, de l’autre, que les informations recueillies serviront à établir des statistiques. Mais à partir de quoi construirez-vous celles-ci ? Sur quel critère ? Un critère de nationalité !
Dans ce cas, monsieur le ministre, vous devez avoir le courage de vos opinions et le dire clairement : vous souhaitez procéder à un repérage d’origines !
Mme Éliane Assassi. Si !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors dites-nous pourquoi !
Mme Alima Boumediene-Thiery. De telles pratiques ont malheureusement eu cours à une certaine époque dans notre pays. C’est la raison pour laquelle je commence réellement à m’inquiéter.
Monsieur le rapporteur, vous affirmez que l’étranger n’est pas lié par ses déclarations, mais il suffit de lire l’article 2 ter pour constater que c’est le contraire : « Lors de son acquisition de la nationalité française […] par déclaration, l’intéressé indique […] » ; voilà le lien ! Il est dans le texte ! Je sais encore lire le français ! Je suis allée à l’école française, je ne sais d’ailleurs lire que cette langue, monsieur le rapporteur.
Au demeurant, s’il n’y a vraiment aucun lien, pourquoi vous opposez-vous à la suppression de cet article ?
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung pour explication de vote.
M. Richard Yung. Je voudrais rappeler que l’article 2 ter est issu des travaux de l’Assemblée nationale et qu’il a été porté par un groupe de députés de l’UMP assez clairement identifié.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh oui !
M. Richard Yung. Simultanément au dépôt de l’amendement portant article additionnel qui est devenu l’article 2 ter, M. Lionel Luca et quatorze de ses collègues du groupe UMP déposait un amendement tendant à empêcher toute possibilité de double nationalité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah ! Voilà !
M. Richard Yung. Et dans leur esprit, les deux dispositions étaient liées. Le groupe socialiste n’est évidemment pas favorable à une telle limitation de la double nationalité, à la mononationalité.
M. Richard Yung. Je ne dis pas que c’est la position que vous défendez, monsieur le ministre, j’essaie d’éclairer le débat ; il y a le texte et le contexte.
Mme Éliane Assassi. C’est un ensemble !
M. Richard Yung. Je suis sénateur des Français de l’étranger : plus de la moitié de ces derniers – 60 % – ont la double nationalité, c’est-à-dire qu’ils cumulent la nationalité française et celle du pays où ils résident. Par conséquent, les personnes que je représente sont très sensibles à ce sujet.
L’initiative du député Lionel Luca est à rapprocher des tentatives de remise en cause du droit du sol et du processus de stigmatisation des mariages. D’ailleurs, un débat assez intéressant a eu lieu à l’Assemblée nationale – je vous invite à en consulter le compte rendu intégral – sur l’évolution du droit du sol et du droit du sang, qui constituait le cœur du sujet en discussion. Les débats sont ce qu’ils sont, mais on comprend du moins de quoi il s’agissait.
Marine le Pen s’est par exemple prononcée très clairement contre la possibilité de la double nationalité. À notre sens, une telle position revient à tourner le dos à l’évolution récente de la société.
Je vous rappelle que la France a dénoncé la Convention du Conseil de l’Europe de 1963, du moins l’article de cette convention qui interdisait la pluralité de nationalités pour les ressortissants des États signataires.
Ainsi, quand une Française épousait un Espagnol ou un Anglais – et inversement –, elle devait abandonner la nationalité française. Cette disposition était d’ailleurs une vaste plaisanterie, puisque la personne concernée, après avoir remis sa carte d’identité ou son passeport à l’autorité d’état civil du pays, pouvait se rendre au Consulat de France pour faire une nouvelle demande de carte d’identité ; comme vous le savez, on ne peut être déchu de la nationalité française selon le droit français. Donc ce dispositif ne fonctionnait pas. L’idée était néanmoins de réduire le nombre de ressortissants européens qui jouissaient d’une double nationalité.
Or dans un monde qui s’internationalise et où le nombre d’unions entre personnes de nationalité différente augmente, poser un tel objectif c’est tourner le dos à l’évolution de la société.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah ! Les mariages gris !
M. Richard Yung. C’est également pour ces raisons de fond que le groupe socialiste votera contre l’article 2 ter.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour explication de vote.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le ministre, je voudrais revenir sur la connaissance parfaite dont le ministère de l’immigration dispose au sujet des personnes qui, aujourd'hui, demandent et obtiennent leur naturalisation.
En effet, un étranger qui demande à acquérir la nationalité française est connu des services du ministère au minimum depuis cinq ans, dix ans ou plus pour certains ; pendant toutes ces années, le fichier application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France ou AGDREF répertorie toutes les informations à son sujet : origine, identité, parcours personnel. L’individu est donc parfaitement connu des services du ministère, et c’est ce qui lui permet d’ailleurs d’acquérir la nationalité française.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le ministre, je ne vous ferai pas de mauvais procès en affirmant que vous cherchez à établir des statistiques ou des analyses qui n’auraient pas lieu d’être. La question que je me pose est la suivante : aujourd’hui, n’ajoute-t-on pas au droit des étrangers, qui est d’une complexité que personne ne peut nier, des éléments qui n’apportent rien, puisqu’ils existent déjà par ailleurs ?
À cet égard, je voudrais remercier le rapporteur de la commission des lois, qui nous a amenés à une décision de sagesse. Ce dernier faisait remarquer – je l’avais moi-même souligné – que, actuellement, une fausse déclaration de l’individu ne le liait pas pour l’avenir et qu’il n’était pas passible de sanction à ce titre. Dans ces conditions, quelle est l’utilité d’une telle disposition ? Telle est la question que nous nous posons les uns et les autres et qui devrait au moins inciter à s’en remettre à la sagesse du Sénat sur cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Pour ma part, je souhaiterais poser une question car, contrairement à mes collègues, je ne suis pas une spécialiste du droit de l’immigration.
Dans un certain nombre de pays, la double nationalité n’est pas autorisée.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vrai !
Mme Catherine Procaccia. Je voudrais savoir ce qui se passe quand nous accordons la nationalité française à un étranger : existe-t-il un lien avec les pays d’origine qui nous permet de les informer, notamment s’ils n’autorisent pas la double nationalité ? En effet, nous nous intéressons ici au cas de la France, mais peut-être faut-il également veiller à respecter le droit en vigueur dans les autres pays.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Évidemment !
Mme Catherine Procaccia. Une personne peut en toute bonne foi demander la nationalité française sans savoir qu’elle risque de perdre sa nationalité d’origine, à laquelle elle tient.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Nous allons peut-être nous arrêter là, non ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Il serait en effet souhaitable de clore le débat, mais je me dois cependant de répondre aux différents intervenants, et d’abord à Mme Procaccia.
S’agissant des autres pays, il n’y a pas réciprocité : nous ne demandons pas la réciprocité au pays d’origine.
Madame Escoffier, vous avez mentionné l’existence du fichier AGDREF. Vous savez bien, en tant qu’ancien préfet, que le fichier AGDREF est destiné aux étrangers. Par conséquent, dès qu’un étranger est naturalisé, dès qu’il acquiert la nationalité française, par définition, il n’est plus recensé dans ce fichier.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et alors ?
M. Philippe Richert, ministre. Vous êtes donc en train d’avancer des arguments qui démontrent que vos propos ne sont pas du tout compatibles avec les questions posées par M. Yung !
Monsieur Yung, vous avez dit que 60 % des Français de l’étranger étaient binationaux ; mais comment en êtes-vous arrivé à ce chiffre ? Il est impossible de le connaître, puisque il n’existe pas de fichier.
Mme Éliane Assassi. Vous allez en faire un !
M. Richard Yung. Il y a la liste électorale consulaire !
M. Philippe Richert, ministre. Nous n’avons pas, je le répète, de fichier et, madame Assassi, j’ai redit clairement, au nom de l’État français, qu’il n’était pas question d’en créer et donc, a fortiori, de créer un fichier ethnique !
Pour en revenir aux éléments statistiques, monsieur Yung, il faut être prudent quand on lance des chiffres et avancer des preuves. Or, à l’heure actuelle, il n’y a pas de données qui permettent d’appréhender, sous l’angle de la statistique, la plurinationalité.
L’objectif est donc de recueillir des données, non pas personnelles ou ethniques, madame Borvo Cohen-Seat, mais qui permettent une approche chiffrée.
À titre d’illustration, je me permets de vous poser une question, monsieur Yung. Lorsque l’INSEE, lors de ses enquêtes, interroge des personnes sur leur nationalité – ce qui arrive, nous le savons tous –, croyez-vous qu’il ait pour principe de dresser automatiquement des statistiques ethniques ? Évidemment pas ! L’objectif est tout simplement de rassembler des données pour connaître notre pays.
Je rappelle que le recueil de la nationalité est légal ; c’est sur les mêmes bases que celles qui autorisent l’INSEE à mener ce type d’enquête que l’article 2 ter prévoit le recueil de ces renseignements.
Je vous appelais tout à l’heure à nous faire parfois confiance. Eh bien, croyez-moi, il n’est pas question de créer un fichier de données personnelles, et ce ne serait pas possible, tout simplement parce que la création de tels fichiers est interdite par nos textes, sur la confidentialité des données notamment.
Il n’est évidemment pas dans nos intentions de détourner ces textes dans l’article 2 ter et, comme M. le rapporteur, je le répète, ayant maintenant répondu à celles et ceux qui viennent d’intervenir, je souhaite le maintien de cet article dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 27 rectifié, 104 et 277 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2 ter.
(L'article 2 ter est adopté.)
Article 3
I. – L’article 21-28 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Au cours de la cérémonie d’accueil, la charte des droits et devoirs du citoyen français mentionnée à l’article 21-24 est remise aux personnes ayant acquis la nationalité française visées aux premier et troisième alinéas. »
II. – Après la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 114-3 du code du service national, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« La charte des droits et devoirs du citoyen français mentionnée à l’article 21-24 du code civil leur est remise à cette occasion. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 28 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 105 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l’amendement n° 28 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le ministre, nous avons déjà exprimé notre opposition à la charte des droits et devoirs du citoyen français, et cet amendement pourrait donc n’être que de coordination.
Cependant, à titre tout à fait personnel, il ne me paraît pas de mauvaise gestion que la charte soit remise à l’intéressé dès lors qu’elle a été signée. Je ne saurais donc m’opposer au paragraphe 2 de l’article 3.
Quant au paragraphe 4, qui prévoit la remise de la charte à chaque Français lors de la journée défense et citoyenneté, je dois dire que j’y suis très favorable. C’est en effet l’occasion d’associer, dans la même information, tous nos jeunes.
Une telle position va, certes, à contre-courant de la demande de suppression de l’article, mais, je le disais, le présent amendement a été présenté par coordination avec un précédent amendement.
Je vais donc être très honnête, monsieur le ministre : dès lors que ce précédent amendement n’a pas été accepté et que le principe de la charte est inscrit dans la loi, je ne peux pas ne pas dire que j’estime qu’il s’agit de très bonnes dispositions.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 105.
Mme Éliane Assassi. L’article 3 prévoit que la charte des droits et des devoirs du citoyen français est remise aux personnes ayant acquis la nationalité française lors des cérémonies d’accueil et à tous les Français quand ils participent à la journée défense et citoyenneté.
C’est bien le seul article du texte qui n’introduit pas de différenciation entre les citoyens qui acquièrent la nationalité française et ceux qui la possèdent dès la naissance !
Évidemment, ce n’est qu’un article sans portée ni envergure, qui ne change rien à la politique d’immigration et d’intégration.
En outre, même après les débats de ce matin, le contenu de cette charte demeure inconnu. On sait seulement qu’elle « rappelle les principes et valeurs essentiels de la République », formule dont nous avons dénoncé le caractère flou et subjectif.
Quoi qu’il en soit, la charte n’aura aucun impact sur la vie réelle : elle n’affronte aucune des questions liées à l’intégration, à l’investissement dans la vie publique et politique du pays, à la participation à celle-ci. Elle restera donc une simple déclaration d’intention et de principe.
Lors de la cérémonie, est également remis le livret d’accueil, qui peut contenir des éléments tels que les paroles de La Marseillaise ou que les textes de la Constitution et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen...
Nous estimons que cette remise officielle est sans portée et qu’elle relève d’un « folklore républicain » servant à porter un discours identitaire et national souvent réducteur.
En matière d’immigration et d’intégration, il y a tant à faire que nous refusons de cautionner ces mesures simplistes et démagogiques.
Nous souhaitons donc supprimer cet article dérisoire au regard des autres mesures du projet de loi qui portent de graves atteintes au droit des migrants et des étrangers.
Même si la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est – tout le monde en conviendra – un texte fondamental, qu’est-ce qu’en faire l’objet d’une remise lors d’une cérémonie peut-il bien changer ?
Cela étant dit, la majorité serait quant à elle bien inspirée de la relire, car ce projet de loi contient, lui, de véritables violations des droits de l’homme et des principes fondamentaux de la République !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Madame la présidente, je me permettrai d’abord, compte tenu de ses explications, de demander à Mme Escoffier si elle retire son amendement.
Mme la présidente. Madame Escoffier, l'amendement n° 28 rectifié est-il maintenu ?
Mme Anne-Marie Escoffier. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 28 rectifié est retiré.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission des lois est évidemment défavorable à l’amendement de suppression n° 105 : la remise de la charte est un moment symbolique important qu’il convient de conserver.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. D’abord, je veux remercier Mme Escoffier de sa sincérité. Il y a, en effet, un moment pour se battre, mais, une fois que les choix sont actés, autant en tirer toutes les conséquences.
S’agissant ensuite de l’amendement n° 105, j’ai trouvé les propos de Mme Assassi un peu excessifs, mais chacun a, bien sûr, le droit d’exprimer à sa manière ses opinions.
Pour avoir participé à des remises de certificats de nationalité française, je peux dire, madame Assassi, qu’il peut s’agir de moments très forts.
Comme Mme Escoffier, j’estime très franchement que l’occasion de la cérémonie d’accueil dans la citoyenneté française est bien choisie pour marquer l’intégration dans notre communauté et exprimer l’unité de celle-ci, raison pour laquelle j’émets un avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article additionnel après l'article 3
Mme la présidente. L'amendement n° 106, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les étrangers résidant en France depuis au moins cinq ans ont le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales. Ces derniers ne peuvent exercer la fonction de maire ou d'adjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Il s’agit là d’un amendement identique à ceux que nous avons l’habitude de déposer chaque fois qu’un texte relatif à l’immigration est examiné et, même si nous connaissons la réponse qui, bien évidemment, nous sera faite à la fois par M. le rapporteur et par M. le ministre, nous persistons !
Comme dans la dernière proposition de loi que nous avons déposée, nous défendons avec cet amendement le droit de vote et l’éligibilité aux élections municipales pour les étrangers résidant depuis au moins cinq ans en France, sans que ces derniers puissent pour autant être maire, maire-adjoint ou participer d’une quelconque manière aux élections sénatoriales.
Installés durablement sur le territoire français, ces étrangers doivent pouvoir participer à la vie politique locale, laquelle les concerne tout autant que n’importe quel autre habitant de la commune. Ils forment ensemble et sans distinction une communauté de vie, de culture et de projets qui leur permet de participer à la vie civique municipale, car, quelle que soit leur nationalité, ils ne sont pas étrangers à leur ville.
D’ailleurs, le Parlement européen a voté une résolution demandant aux pays membres d’accorder le droit de vote aux élections locales à l’ensemble des étrangers vivant et travaillant sur leur territoire. Le Conseil de l’Europe comme le Comité économique et social européen se sont prononcés en sa faveur.
De plus, en vertu de l’article 88-3 de la Constitution, les ressortissants communautaires bénéficient des droits de vote et d’éligibilité aux élections municipales. La situation actuelle est donc contraire au principe d’égalité, qui veut que tous les étrangers aient accès aux mêmes droits.
C’est pourquoi nous proposons d’accorder ces mêmes droits à ceux qui ne sont pas ressortissants communautaires mais remplissent les conditions de résidence requises.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’objet de l’amendement sort du champ du projet de loi : avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Mme Assassi, que je remercie d’avoir rappelé la position du Gouvernement à l’égard de cette proposition dont nous avons déjà débattu à de nombreuses reprises, sait donc que l’avis est défavorable.
Je précise – mais est-ce nécessaire ? – que, si cet amendement devait être adopté, il nous faudrait modifier l’article 3 de notre Constitution, ce qui ne peut être fait dans le cadre d’une loi ordinaire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Une fois de plus, j’ai du mal à comprendre toutes ces contradictions.
L’intitulé du projet de loi comporte le mot « intégration » et il est question d’assimilation à l’article 1er, mais, dès que l’on parle, non plus des devoirs qui devraient être ceux des étrangers, mais de droits, et en particulier de droits politiques, tout change !
J’aurais aimé un peu plus de cohérence et de courage politique : que l’on cesse de nous opposer la Constitution,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cet amendement est irrecevable !
Mme Alima Boumediene-Thiery. …car on sait bien que, lorsqu’il est besoin de modifier la Constitution, on modifie la Constitution !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Proposez donc de la modifier !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On l’a fait plusieurs fois !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et cela n’a pas marché !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Contre cet amendement, on trouve, encore une fois, le moyen de dire non. Cela me rappelle des paroles que j’ai souvent entendues lorsque j’étais plus jeune : quand on veut faire quelque chose, on trouve le moyen ; quand on ne veut pas faire quelque chose, on trouve des prétextes.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Nous voterons cet amendement,…
M. Richard Yung. …car il correspond à une de nos orientations profondes, à un choix entériné depuis longtemps au sein de notre parti.
Le débat, on le sait, est ancien, dans la société française comme dans les différents partis – et non pas seulement dans le nôtre –, et il y a eu, si j’ose dire, des allers et des retours sur ce sujet.
On a progressé à l’échelon communautaire, avec la création de la citoyenneté communautaire, laquelle permet aux ressortissants de l’Union européenne de voter dans le pays où ils résident pour les élections européennes et pour les élections locales.
C’est un progrès, mais, pour reprendre le célèbre dicton chinois, ce n’est que la moitié du ciel ! Il reste tous ceux qui ne sont pas communautaires.
Il s’agit, pour l’instant, d’un amendement d’appel.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il ne peut s’agir que de cela !
M. Richard Yung. On se doute bien qu’il ne sera pas traduit immédiatement dans la Constitution, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre. Néanmoins, le Sénat s’honorerait en votant cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Comme vient de le dire mon collègue Richard Yung, nous entendons bien l’argument juridique concernant le caractère constitutionnel de cette proposition. Mais nous aurions aimé, monsieur le ministre, que vous nous répondiez sur le fond.
En effet, la modification de la Constitution ne constitue pas un obstacle. Ces jours-ci, nous assistons à une grande campagne concernant l’éventuelle modification de la Constitution en vue d’inclure la contrainte budgétaire dans ce texte majeur de la République.
Si l’on peut envisager cette modification et si nous devions nous transporter à Versailles pour réviser la Constitution, comme le Gouvernement semble le souhaiter, il ne serait pas très difficile d’inclure dans la révision une disposition concernant le vote de ceux que nous considérons comme des concitoyens de fait mais auxquels vous vous obstinez à refuser la citoyenneté.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Monsieur le ministre, vous savez très bien que nous attendons une réponse sur le fond. Ce débat doit continuer à progresser, comme il l’a fait depuis vingt ans. Nous aimerions connaître l’état de vos réflexions.
J’ai cru comprendre que Nicolas Sarkozy commençait à ouvrir le débat. Bien avant lui, quelqu’un – on ne s’y attendait d’ailleurs pas de sa part – évoquait cette possibilité comme un tabou. Il s’agissait de Charles Pasqua.
Nous aimerions que vous puissiez aborder des débats délicats, appelant de l’engagement et des convictions. Mais lorsqu’il est question d’immigration, vous restez sur un seul sujet, la préparation de la prochaine campagne électorale ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas vous ?
M. David Assouline. Considérant que votre électorat est assez partagé sur cette question, vous évitez d’aborder les questions de fond. Cela permettrait pourtant d’élever le débat et d’amener votre électorat à adopter cette mesure relative aux élections locales, qui est juste et partagée en Europe.
M. David Assouline. Monsieur le ministre, il n’est pas dans votre rôle d’interrompre les orateurs.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On est au Parlement, on est libres !
M. David Assouline. Le principal argument théorique qui a été avancé contre le droit de vote des immigrés aux élections locales consistait à dire que, dans la tradition française, la nationalité et la citoyenneté sont intimement liées. C’est ce que j’ai entendu pendant toute ma jeunesse.
Mais un jour nous avons décidé qu’il n’en était plus ainsi puisque, en acceptant le cadre européen, nous avons accepté que des non-nationaux européens aient le droit de vote.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est à cause de la citoyenneté européenne !
M. David Assouline. Non, cela n’existe pas dans la Constitution française. (M. le ministre proteste.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais si, lisez la Constitution !
M. David Assouline. Cessez de m’interrompre ! Madame la présidente, j’en appelle à votre autorité pour faire régner l’ordre dans cet hémicycle. (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Monsieur Assouline, veuillez poursuivre, je vous prie.
M. David Assouline. Les termes de ce concept de nationalité-citoyenneté se sont déconnectés parce que la nationalité européenne n’existe pas, même s’il existe une citoyenneté européenne. Les droits du citoyen se sont déconnectés de la nationalité française. Depuis, vous pataugez !
Voici un autre argument. Le lien social, l’harmonie sociale et l’intégration des étrangers à notre aventure collective passent par la citoyenneté, tout le monde le sait. Je prendrai un exemple simple.
Lors d’élections nationales, dans beaucoup de nos quartiers, certains enfants savent que, durant la semaine qui les précède, on en discute à table et, le dimanche électoral, dès leur plus jeune âge, ils voient leurs parents aller voter et parfois même, ils les accompagnent pour cet acte civique. Ils font ainsi, au plus profond d’eux-mêmes, l’expérience d’une appartenance à une communauté.
Dans ces mêmes quartiers, vivent d’autres jeunes – ils sont même souvent très nombreux dans un quartier –, qui n’ont jamais vu leurs parents participer à des élections. Ces jeunes sont français, ils sont nés et ont grandi ici, mais leurs parents étrangers, qui vivent ici, n’ont jamais exprimé leur choix par cet acte civique.
On s’étonne que ces jeunes s’abstiennent, on leur reproche de ne jamais aller voter alors qu’ils sont français. Mais on ne les a jamais habitués à voter, cela ne fait pas partie de leur culture ! Et, au fond, ils estiment qu’ils pourront voter quand leurs pères aussi pourront le faire. C’est une manière de nous dire qu’ils veulent une intégration de tous à la communauté nationale, qui ne soit pas une séparation avec leurs parents, leurs familles, leurs origines et leurs ancêtres.
Vous pouvez comprendre cela. Pourtant, lorsque vous abordez la question de l’immigration et des étrangers, voici la seule question que vous vous posez : « qu’est-ce qui peut être entendu pour la prochaine campagne électorale ? ».
Vous n’osez pas prendre les risques politiques qui consistent à éduquer, à former et à informer les citoyens sur les vrais enjeux. Mais aujourd’hui, les citoyens sont prêts ; vous êtes en retard par rapport à la majorité des Français !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 106.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 3 bis
L’article 25 du code civil est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par les mots : « ou si elle constitue, compte tenu des conséquences pour l’intéressé, une mesure disproportionnée au regard de la gravité des faits perpétrés » ;
2° L’article est complété par un 5° ainsi rédigé :
« 5° S’il a été condamné pour un acte qualifié de crime prévu et réprimé par le 4° des articles 221-4 et 222-8 du code pénal, lorsque ce crime a été commis contre un magistrat, un militaire de la gendarmerie, un fonctionnaire de la police nationale, des douanes ou de l’administration pénitentiaire, ou un agent de police municipale. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l'article.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les vilaines idées font rarement de belles lois !
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la dernière fois que nous sous sommes trouvés avec M. Brice Hortefeux dans une opposition aussi marquée, c’était lors du débat sur le test ADN, alors que je venais de saisir le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE. Le ministre s’était alors engagé à faire prévaloir en commission mixte paritaire la version du texte élaborée par le Sénat, dont nous savions, lui et moi, qu’elle serait difficilement applicable. L’histoire nous a donné raison.
Nous voilà ici, de nouveau en complète opposition, avec l’article 3 bis.
En tant que membre de la commission des affaires étrangères, je vous rappelle – on l’a d’ailleurs dit souvent – que notre pays est lié par de nombreuses conventions au sujet des nationalités et que le droit international interdit de créer des apatrides, par le biais d’une convention du 30 août 1961, entrée en vigueur le 13 décembre 1975.
Les cas de révision et de suppression de la nationalité sont déjà prévus par des textes, qui ont été appliqués sept fois depuis 1999.
Notre arsenal juridique répressif est assez bien pourvu, à condition que les forces de police et de gendarmerie, ainsi que le pouvoir judicaire aient les moyens humains et matériels de l’appliquer.
Monsieur le ministre, c’est avec beaucoup de prudence que j’aborderai un dernier point. Comme je l’ai dit, les vilaines idées ne font pas de bonnes lois. C’est le régime de Vichy qui, avant vous, avait eu la triste et funeste idée de s’emparer de l’arme de la dénaturalisation.
La loi du 22 juillet 1940, « La France aux Français », a ainsi entraîné la perte de la nationalité française pour des milliers d’Espagnols et d’Italiens, fuyant la misère économique, la guerre civile ou le fascisme, ainsi que pour tous les émigrés des pays de l’Est, fuyant les persécutions antisémites et venus chercher refuge en France. L’abrogation du décret Crémieux a également rendu apatrides les Juifs d’Algérie.
On disait à l’époque « heureux comme Dieu en France », mais les lois de Vichy en ont décidé autrement.
À toutes ces raisons, j’en ajouterai une plus personnelle : mon père, ses parents et toute sa famille ont vu leur nationalité française leur être retirée par un décret de 1941, ce qui leur a valu une priorité pour la rafle du Vel’ d’Hiv’ et pour le convoi n° 9 à destination d’Auschwitz.
Comparaison n’est pas raison, bien entendu, et loin de moi l’idée de rapprocher les situations historiques. Cela serait injurieux à votre égard et à l’égard de la France dans laquelle nous vivons aujourd’hui, qui n’est pas, loin de là, la France de Vichy.
Même si, selon un récent sondage, 80 % des Français sont favorables au retrait de la nationalité française pour polygamie ou incitation à l’excision, et 70 % sont favorables au retrait de la nationalité française en cas d’atteinte à la vie d’un policier ou d’un gendarme, 95 % de ces sondages concernent les électeurs du Front national !
C’est surtout aux miens que je pense en vous disant que je ne voterai pas cet article. Avec moi, l’ensemble des sénateurs du groupe de l’Union centriste s’opposent fermement et solidairement au vote de cet article. Nous voterons donc les amendements de suppression et nous avons demandé un scrutin public sur l’amendement n° 30 rectifié.
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.
Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis très émue par les propos de Mme Nathalie Goulet et j’apprécie la position collective du groupe de l’Union centriste sur cette question.
Nous voici devant le chiffon rouge que vous agitez devant les parlementaires socialistes pour tenter de noyer le débat. Ce projet de loi est, dans son ensemble, une atteinte aux droits des étrangers, aux valeurs de notre République, et l’on ne saura se focaliser sur la seule déchéance de la nationalité pour masquer d’autres dispositions très préoccupantes. Je pense notamment aux mariages dits gris ou bien à la zone d’attente clé en main qui traduit un recul net du droit.
La déchéance de la nationalité n’est donc malheureusement pas un cas isolé. La naturalisation est un processus complexe qui suppose l’adhésion à nos valeurs et la volonté de s’intégrer à notre société. Il me semble pour le moins curieux qu’une fois ce cap passé il faille encore faire ses preuves. Ce texte montre qu’un naturalisé n’est visiblement jamais réellement français.
Somme toute, nous sommes d’accord sur le fait qu’il est particulièrement abject de commettre un meurtre et, fait aggravant, sur un représentant des forces de l’ordre. Toutefois, je ne peux manquer de m’interroger sur le sens profond de cette disposition.
Pourquoi opérer une distinction entre le meurtre d’un représentant des forces de l’ordre par un Français dit de souche et celui qui aurait été commis par un Français naturalisé ? Estimez-vous que l’un de ces crimes est, par essence, plus grave que l’autre ?
Cette distinction n’a pas de sens, le crime est tout aussi condamnable dans un cas que dans l’autre ! Aussi, les personnes le commettant devraient être frappées des mêmes peines.
Redisons-le, cette différence dans la nature des peines n’est pas conforme à la Constitution. On ne peut prévoir un traitement distinct entre les Français naturalisés depuis moins de dix ans et les autres.
Admettez le caractère étrange de cette proposition. Un Français naturalisé depuis neuf ans et cinq mois aurait éventuellement une peine supplémentaire au travers de la déchéance de la nationalité alors qu’un Français naturalisé depuis dix ans et trois mois ne risquerait rien, et ce pour un même crime !
Quelle logique sous-tend votre propos ?
Pour nous tous, la nation est un bien précieux. Depuis 1870, nous sommes les promoteurs d’un modèle national reposant sur le « vivre ensemble » plus que sur l’histoire. Ernest Renan considérait, selon une célèbre formule, que la nation est un « plébiscite de tous les jours ».
C’est parce que nous avons envie d’avancer ensemble que nous sommes membres de la communauté nationale. Cependant, chers collègues, on voit mal comment ce plébiscite peut exister quand une partie de la nation possède un statut précaire.
Au regard de la loi, ces personnes ne seront pas des Français comme les autres. La suspicion sur leur statut n’est pas acceptable. Les naturalisés français sont déjà suspectés de double allégeance, à cela s’ajoutera la précarité de leur statut.
Certes, vous nous affirmez que cette disposition n’aurait concerné que sept personnes depuis 1998, et que, dès lors, la précarité est bien relative au vu du faible nombre de personnes concernées.
Doit-on mettre à bas notre modèle national, attaquer les fondements mêmes de la République pour sept individus qui, français ou non, passeront une bonne partie de leur vie en prison ?
Les événements de l’été dernier furent graves, leur exploitation politique l’est plus encore. Nos représentants dépositaires de l’ordre public méritent mieux que des effets de manche pour assurer leur protection.
Réfléchissez-y : arrêter la politique du chiffre, qui constitue pour eux un stress constant et qui les conduit à travailler dans des conditions extrêmes, serait sans doute plus efficace pour améliorer leurs relations avec la population et redorer leur blason. Commençons par leur donner les moyens de travailler, ne leur assignons pas d’objectifs ubuesques et nous contribuerons plus efficacement au respect de leur fonction.
Enfin, je veux faire une observation plus générale sur le projet de loi.
Je m’étonne que des textes importants fassent l’objet de la procédure accélérée et que seuls les textes sur la sécurité et l’immigration aient droit à la procédure normale et donc aux navettes parlementaires. C’est comme si l’on voulait instiller dans l’esprit de nos concitoyens les thèmes habituels de la prochaine campagne électorale.
Mme Bariza Khiari. Marine Le Pen cible l’islam et les musulmans et le Gouvernement, pour ne pas être en reste, cible l’immigration et l’insécurité. Tout cela se rejoint pour installer des peurs en vue des prochaines élections.
Mme Bariza Khiari. J’en reviens à la question de la déchéance de nationalité.
Parce que notre Constitution affirme que les Français sont égaux devant la loi et que, pour nous, les mots – encore les mots ! – ont un sens, on ne peut les travestir au gré des vicissitudes médiatiques.
Nous demandons donc avec force la suppression de cette mesure et appelons nos collègues, en résonance avec leurs valeurs humanistes, à agir comme nous l’avions fait ensemble pour les tests ADN.
Le Sénat, en sa qualité de chambre des sages, s’honorerait à rejeter un tel dispositif.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour ma part, je considère – d’ailleurs, je ne suis pas la seule – que la déchéance de la nationalité ne devrait pas exister, car une telle mesure est antirépublicaine.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On appartient ou non à la nation, quelle que soit la façon dont s’est faite cette appartenance. Il ne devrait pas y avoir de retour possible en arrière.
La réponse judiciaire sanctionnant des délits ou des crimes, les plus monstrueux soient-ils, doit être la même pour tous les Français, quelle que soit la date d’acquisition de la nationalité, ainsi que pour les étrangers présents sur le territoire. L’égalité exige qu’on ne fasse pas de différence entre les Français ni entre les Français et les étrangers en matière pénale.
J’ajoute que la déchéance de la nationalité est gravement connotée depuis que le pouvoir de Vichy – époque où, je dois le rappeler, la République, par la volonté de certains, s’est sabordée – a déchu des centaines de milliers, voire des millions de Français de leur nationalité, dont un groupe entier de Français de religion juive, avec les conséquences que l’on sait pour beaucoup d’entre eux.
La République se serait honorée et s’honorerait en bannissant la déchéance de la nationalité de son dispositif législatif. Tel n’est pas votre avis ni peut-être celui de la majorité des Français.
Reste que, jusqu’à aujourd’hui, il existait un consensus selon lequel la déchéance de la nationalité était réservée aux atteintes aux intérêts essentiels de l’État, c’est-à-dire en cas de trahison, d’espionnage, de terrorisme, ce qui est plus conforme à la Déclaration des droits de l’homme et aux accords internationaux. C’est ainsi que cette sanction a été rarement appliquée.
Le précédent gouvernement, qui n’était pas si éloigné de celui-ci, puisque le remaniement n’a pas été de nature à modifier sa composition, semblait de cet avis. Il aura donc fallu l’intervention du chef de l’État à Grenoble pour que soit introduite une extension plus ou moins précise de la déchéance de la nationalité.
Vous le savez, le Président de la République dit beaucoup de choses, mais on peut quelquefois regretter que le Gouvernement ne s’empare pas de certains de ses propos. Lorsqu’il parle de « moraliser le capitalisme », par exemple – voyez d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui –, ou lorsqu’il évoque le fait qu’il n’est pas hostile au droit de vote des étrangers aux élections locales, on aurait aimé que le Gouvernement se précipite sur cette occasion pour prévoir des dispositifs législatifs. Or rien ne se passe ! En fait, il y a les propos d’affichage et les propos d’affiche, qui seuls font l’objet de projets de loi.
Ainsi, vous avez décidé d’accepter d’étendre la déchéance de la nationalité aux meurtriers de dépositaires de l’autorité publique, dont le rapport cite la liste. Je me demande d’ailleurs si celle-ci est exhaustive. Il est difficile de le savoir.
La commission, sans doute pour éviter des difficultés inhérentes à cette vaste entreprise, a limité les possibilités de déchéance de la nationalité ou plutôt a défini de façon plus restrictive les personnes dépositaires de l’autorité publique en retenant les magistrats, les gendarmes, les fonctionnaires de la police nationale, les fonctionnaires de la police municipale, les agents des douanes et les personnels de l’administration pénitentiaire.
La commission veut ainsi nous faire comprendre qu’elle n’est pas totalement d’accord avec la liste très exhaustive des personnes dépositaires de l’autorité publique. Hélas ! elle crée un autre problème : pourquoi ne retenir que ces six catégories de fonctionnaires ? Les pompiers, les médecins hospitaliers, les professeurs, les élus ne sont-ils pas, eux aussi, dignes d’être dépositaires de l’autorité publique ?
Vous voyez bien que la volonté affichée du Président de la République de réprimer ou de stigmatiser les personnes issues de l’immigration ou sa conception de l’État – selon laquelle il y aurait peut-être de bons Français et de moins bons, je ne sais – ne résiste pas à un examen des règles fondamentales de notre droit : l’égalité entre les Français, l’égalité de tous devant la justice.
Je souhaite que la déchéance de la nationalité disparaisse totalement de notre législation. À défaut, cette condamnation doit uniquement sanctionner la trahison à l’égard de la République.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l'article.
M. David Assouline. Au cours de la discussion générale, j’ai eu l’occasion d’exprimer fortement mon sentiment personnel sur cette question. Je veux maintenant revenir sur les principaux arguments qui ont été échangés ici.
Vous dites qu’il faut une loi, car il faut adapter notre droit et régler des problèmes concrets. Pourtant, personne ne peut raisonnablement soutenir ici que la mesure prévue à l’article 3 bis, qui ne touchera que quelques individus au mieux, changera quoi que ce soit à la régulation des flux migratoires ou à l’intégration, sujets qui sont censés être traités par ce texte.
Ce sujet n’avait jamais été brandi par l’UMP, ni même par ses ancêtres. Il faut dire que, depuis 1945, en France, les partis se sont constitués sur un socle commun fondamental : ne pas créer deux catégories de Français.
Finalement, vous ouvrez une brèche : l’origine étrangère restera indélébile et on pourra toujours la rappeler en supprimant la nationalité française. Une telle mesure, comme cela a déjà été dit, était associée au gouvernement de Vichy, dont l’idéologie était une rupture totale avec la République et même un déni de République.
Votre dispositif n’aura aucune utilité. En fait, il est purement symbolique. Les symboles en politique servent à envoyer des messages et à éduquer. Or le message que vous envoyez, c’est qu’il y existe deux catégories de Français. Déjà que l’on stigmatisait les étrangers, maintenant on rappellera aussi leur origine étrangère à certains Français !
Peut-être pensez-vous que c’est ainsi qu’on combat la montée du parti national-populiste, le Front national. Mais vous vous trompez sur toute la ligne ! J’en veux pour preuve que cette idée n’a jamais figuré dans votre programme, alors qu’elle est depuis toujours inscrite dans le sien. Vous la lui avez empruntée. Je vous rappelle quand même que le Front national, lui, va encore plus loin, puisqu’il demande que cette sanction soit appliquée à tous ceux qui ont été condamnés à six mois ferme, ce qui représenterait des milliers de personnes.
Je vous le dis : la seule façon de combattre le Front national, c’est de créer un cordon sanitaire républicain. Il nous faut lutter contre cette tentation de trouver des boucs émissaires, même si je sais que cette pratique est vieille comme le monde. Après tout, c’est humain – on a tous en soi du bon et du mauvais –, quand ça va mal, quand il y a une crise sociale, il est plus facile de rejeter sur l’autre toute la responsabilité.
Pensez-vous que, lorsqu’un crime qui aura ému l’opinion publique sera commis par un Français d’origine étrangère, vous répondrez : « On a la mesure, il va être déchu de sa nationalité ». Je sais que vous n’y croyez pas une seconde. Imaginez-vous également qu’un criminel suffisamment dangereux, fou, hors norme, hors morale, pour tuer un magistrat ou un policier va se dire : « je risque la perpétuité mais, surtout, d’être déchu de ma nationalité, alors, j’arrête » ?
Votre texte n’aura aucune efficacité préventive. Il est là uniquement pour le symbole.
La façon de reconquérir tous ces électeurs tentés par les discours faciles où l’on cherche les raisons de sa mauvaise situation chez l’autre, c’est de mener un combat d’éducation, d’information pour les élever, sinon on tombe dans le populisme.
M. David Assouline. N’oubliez pas : quand on prend les gens pour des imbéciles, ils ne vous aiment pas. De plus, ils préfèrent l’original à la copie. Vous n’arrivez même pas à remonter la pente depuis que vous empruntez vos idées au Front national, c’est lui qui progresse.
Il serait à l’honneur du Sénat, sur l’ensemble des travées, de dire que ce symbole est négatif et qu’il vaut mieux conserver le droit en vigueur. Jamais notre République n’a été ébranlée par le fait de ne pas déchoir de la nationalité les grands criminels, notamment ceux de magistrats ou de policiers. Restons tous ensemble sur ces valeurs et prenons une décision forte en créant ce cordon sanitaire
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Je veux avant tout remercier Mmes Khiari et Goulet de leur intervention. J’ai été très sensible au ton qu’elles ont employé et à leurs arguments.
M. Richard Yung. Ah bon ?
M. Philippe Richert, ministre. Chacun exprime en effet son point de vue en fonction de sa propre sensibilité.
J’ai été beaucoup moins heureux d’entendre les diatribes de ceux qui, de manière systématique, ne parlent que d’élections. On a l’impression que certains ont pour seul souci d’abaisser le débat au niveau de sa dimension électorale !
Soyons clairs : nous ne débattons pas d’un texte électoral, mais tout simplement d’un texte qui vise à organiser le vivre ensemble dans notre pays.
Le texte sur la déchéance de la nationalité existe. Nous ne sommes pas en train de l’inventer. Mme Borvo Cohen-Seat l’a reconnu.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On peut s’en tenir là !
M. Philippe Richert, ministre. Entre 1990 et 1998, la procédure en question a été deux fois plus souvent utilisée qu’entre 1998 et 2010.
M. David Assouline. Pourquoi donc donnez-vous ces chiffres ?
M. Philippe Richert, ministre. Je donne ces chiffres parce qu’ils correspondent à la réalité : c’est un fait que les déchéances sont aujourd’hui moins fréquentes qu’entre 1990 et 1998.
J’ajoute que, sur les 130 000 personnes qui obtiennent chaque année la nationalité française, 90 000 l’acquièrent par naturalisation. Ce sont des chiffres importants qui, comparés avec les rares cas de déchéance de la nationalité, prouvent que nous n’en voulons pas à l’ensemble de ceux qui intègrent la communauté nationale !
En réalité, il s’agit de considérer que certaines personnes, à un moment ou à un autre, enfreignent les règles de la communauté nationale qu’elles ont rejointe. Jusqu’à présent, dans les cas les plus graves, elles ont été exclues de cette communauté en étant déchues de leur nationalité française : comme cela a été dit tout à l’heure, sept cas se sont présentés entre 1998 et 2010.
Nous prévoyons que les personnes ayant commis des actes d’une grande gravité, comme de tuer un policier, un gendarme, un préfet ou un pompier, puissent être déchues de leur nationalité dans les mêmes conditions que celles qui existent déjà. Il s’agit simplement d’étendre la procédure existante à un certain nombre de cas supplémentaires.
Nous estimons en effet, et c’est aussi ma conviction personnelle, que le fait de tuer de façon volontaire un préfet, un gendarme ou un policier est un acte aussi grave que ceux pour lesquels la procédure de déchéance est déjà prévue.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est pour cela que la justice prévoit des sanctions très graves !
M. Philippe Richert, ministre. C’est la raison pour laquelle, en mon âme et conscience, je considère que l’extension de la déchéance de la nationalité aux cas dont nous parlons mérite d’être adoptée. Quand il s’agit d’actes d’une telle gravité, du meurtre d’un préfet, d’un policier ou d’un gendarme, je trouve normal que le geste consenti par la nation en admettant une personne en son sein puisse être remis en cause.
Je considère donc que, sur la base de la procédure qui existe, et que nous n’inventons pas, ces nouveaux cas méritent d’être pris en compte. L’avis du Gouvernement est donc défavorable sur les amendements tendant à supprimer le texte tel qu’il nous a été transmis par l’Assemblée nationale et tel que la commission l’a modifié : la procédure de déchéance de la nationalité doit au contraire être confortée dans les cas que j’ai mentionnés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier, sur l’article.
M. Jacques Gautier. Je veux d’abord remercier M. le ministre d’avoir ramené le débat sur le terrain où il doit se situer : celui du calme et de la sérénité, …
M. David Assouline. Ah bon !
M. Jacques Gautier. … dont certains de nos collègues populistes sont incapables. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.) Je crois qu’il est temps que nous abordions nos débats avec le recul dont une assemblée comme la nôtre doit faire preuve.
M. le ministre a rappelé que l’article 25 du code civil prévoyait l’existence de la déchéance de nationalité. Mme Borvo Cohen-Seat a regretté l’existence de cette procédure. Je lui rappelle que, lorsque – jusqu’en 2002 – la gauche était aux affaires, elle-même ou ses amis n’ont jamais demandé sa suppression !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si.
M. Jacques Gautier. Je lui rappelle aussi qu’avec la déchéance il n’est pas seulement question de trahison. C’est une procédure qui concerne aussi les infractions dans le domaine de la probité des agents publics.
Comme M. le ministre l’a souligné, ce projet de loi étend la déchéance aux crimes commis contre une personne dépositaire de l’autorité publique, dont la fonction est porteuse d’une dimension symbolique essentielle pour notre nation.
Serions-nous un cas unique, les mauvais bougres de l’Europe ? Au Royaume-Uni, le seul fait d’exprimer ou de publier des propos incitant à la haine ou à des actes criminels peut justifier la déchéance de la nationalité. En Belgique, un projet de réforme du code de la nationalité prévoit une extension de la déchéance à certaines infractions manifestant une hostilité à l’égard de la société belge.
M. David Assouline. Qu’est-ce que la société belge ? Ils n’ont même pas de Gouvernement !
M. Jacques Gautier. Dans un tout petit État qui ne passe pas pour être tyrannique, celui de Malte, la déchéance est encourue après toute condamnation à une peine de plus d’un an de prison : ne nous dites pas que nous sommes les seuls à vouloir reconnaître le respect que l’on doit aux grands serviteurs de l’État !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Prenez exemple sur Malte !
Mme Éliane Assassi. C’est le seul pays qui ne donne pas le droit de vote aux citoyens communautaires !
Mme la présidente. Veuillez, s’il vous plaît, laisser l’orateur s’exprimer.
M. Jacques Gautier. J’ajoute que l’article 3 bis – et c’est pourquoi je peine à comprendre que certains veuillent le supprimer – vise seulement les étrangers ayant une double nationalité. Comme cela a été dit en introduction de cette discussion, nous ne voulons pas faire des apatrides.
De plus, la déchéance ne peut être prononcée que pour des faits commis avant l’acquisition de la nationalité française, ou pendant un délai de dix ans après cette acquisition. La procédure de déchéance est donc très étroitement encadrée.
Il faut enfin savoir que le fait de tuer un policier, un gendarme ou une personne dépositaire de l’autorité publique est déjà puni, comme M. Assouline vient de le rappeler, de la réclusion criminelle à perpétuité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela suffit !
M. Jacques Gautier. Comme M. le ministre, je ne trouve pas excessif que cette sanction soit accompagnée de la déchéance de la nationalité. C’est la raison pour laquelle, avec mes amis du groupe UMP, nous voterons contre les amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Si le brillant auteur de la Critique de l’économie politique ressuscitait, je pense qu’il ferait aujourd’hui une critique de la communication. J’entends évidemment « critique » en son sens kantien.
Nous vivons en effet sous l’empire de la communication : gouverner, pour vous, c’est d’abord communiquer !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et s’opposer comme vous le faites, ce n’est pas communiquer ?
M. Jean-Pierre Sueur. Je pense qu’il revient à l’opposition de s’efforcer de démonter inlassablement les ressorts de cet art de gouverner, ou de ne pas gouverner.
J’ai eu hier l’occasion de dire à M. Brice Hortefeux que les six lois sur l’immigration présentées en cinq ans n’avaient rien changé au fait que, comme l’a dit Richard Yung, il y a, aujourd’hui comme il y a sept ans, 300 000 personnes étrangères en situation irrégulière en France.
La situation n’a pas changé, mais, chaque année, on a reparlé du sujet. Or ce qui est important, dans votre stratégie, c’est d’en parler, et d’en parler à satiété. Car, au fond, vous n’avez pas beaucoup d’arguments pour défendre votre politique. Votre fonds de commerce, c’est ce message : immigration égale insécurité, qui égale immigration. Et même si on ne le dit pas, il faut tout faire pour le laisser penser.
Ce matin encore, j’ai eu l’honneur d’assister à la visite de M. le Président de la République dans le département dont je suis l’élu et de l’entendre prononcer avec beaucoup de talent un discours devant des policiers. Il affirmait qu’après l’assassinat de la jeune Laëtitia, les responsabilités allaient être établies, que, lorsque des personnes comparables au présumé coupable sortiraient de prison, elles feraient désormais l’objet d’une « étroite surveillance ».
Tout le monde est frappé par le propos. Seulement, nous, nous connaissons le budget du ministère de la justice ! Et nous nous demandons bien comment cette « étroite surveillance » sera assurée.
M. David Assouline. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Frapper les esprits, c’est très bien ! Mais connaissez-vous les personnels qui permettront d’assurer l’étroite prise en charge des personnes qui sortent de prison, et ainsi d’éviter la récidive ? Éviter la récidive, nous y sommes tous favorables. Mais si cet objectif n’est pas considéré comme une priorité, tout cela reste sans effet concret.
Devant les gendarmes et les policiers, le chef de l’État a aussi évoqué la police du XXIe siècle, qui ne serait plus la police du XXe siècle, celle des effectifs. Aujourd’hui, il a expliqué qu’il fallait des équipements modernes et adaptés. Que peuvent-ils répondre à cela ! Peut-être se disent-ils, et certains d’entre eux me l’ont d'ailleurs rappelé en confidence, que 9 300 postes de gendarmes et policiers ont été supprimés depuis trois ans.
Qu’ils soient correctement équipés, c’est très bien ; mais le problème demeure.
À cet égard, le discours de Grenoble du Président de la République visait à frapper les esprits. L’évocation par M. Assouline des élections n’a rien d’incongru. J’imagine tout à fait, au paroxysme du débat électoral, quelle sera la rhétorique du candidat ou de la candidate : « Pensez-vous que des gens qui tuent des gendarmes et des policiers ont le droit de rester français ? Je vous le demande en vous regardant dans les yeux : vous le pensez vraiment ? » Quel effet devant l’opinion publique !
Mais je dis, moi, que s’il s’agit d’une personne franco-française, française depuis vingt-cinq générations, qui tue un gendarme, un préfet ou un policier, le crime est tout aussi monstrueux, tout aussi odieux.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est certain !
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut par conséquent punir et sanctionner. Mais il ne faut pas mettre en place ce dispositif qui vise seulement à frapper les esprits.
Il y aura très peu de cas, nous dit-on. Mais l’essentiel n’est pas là. Il s’agit de frapper l’opinion !
D’ailleurs, ce dispositif sera en pleine illégalité. Car pour le même acte odieux, le Français de souche, naturellement, ne sera pas déchu ou banni. L’étranger, s’il a déjà une nationalité, sera déchu. Mais s’il n’en a pas, rien ne se passera, puisqu’il n’est pas possible de créer un apatride.
Cette situation, déjà étrange, est de surcroît injuste. Mais l’objectif essentiel est de frapper les esprits. C’est décidément le Gouvernement de la rhétorique ! Si on ne démonte pas cela, on ne joue pas son rôle d’opposant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je souhaite revenir au débat concret, car je ne désespère pas que nous puissions un jour examiner les amendements ! M. Sueur vient de nous raconter son voyage dans le Loiret…
M. Jean-Pierre Sueur. Parce que c’est chez moi que cette visite a eu lieu !
M. Richard Yung. C’était intéressant !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Certes…
Je voudrais attirer l’attention de mes collègues qui ont déposé des amendements de suppression de l’article 3 bis sur le point suivant : pourquoi le groupe socialiste a-t-il déposé un amendement visant à supprimer seulement les alinéas 3 et 4 ? Parce que les alinéas 1 et 2 comportent une disposition visant à sécuriser les cas pour lesquels la déchéance de nationalité existe : il s’agit du terrorisme et des atteintes aux intérêts supérieurs de la nation, en l’espèce l’espionnage. Cela n’a pas été supprimé.
Sachez aussi que, actuellement, selon le code du service national, une personne non recensée peut se voir retirer la nationalité française. Naguère, on pouvait perdre la nationalité française si on ne se soumettait pas aux obligations du service national. Cela figure encore dans le code du service national. C’est vrai aussi pour le secret des correspondances.
La commission des lois, conformément à la jurisprudence de l’Union européenne, a voulu que la procédure de déchéance soit proportionnée à la gravité des faits. Les deux premiers alinéas de l’article 3 bis visent ainsi à sécuriser la procédure.
Je suggère par conséquent aux collègues qui ont déposé un amendement de suppression de l’article de le retirer, leur objectif étant de supprimer les alinéas 3 et 4 concernant l’extension de la déchéance de nationalité. Nous pourrions ainsi débattre des amendements en discussion commune, ce qui serait plus simple.
Mme la présidente. L'amendement n° 108, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je me range à l’argument du président de la commission, madame la présidente. Nous rectifions notre amendement afin de proposer la suppression des seuls alinéas 3 et 4 de l’article 3 bis.
Mme la présidente. Je suis donc saisie de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L'amendement n° 30 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, M. Baylet, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 108 rectifié est déposé par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 278 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 3 et 4
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l’amendement n° 30 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. Je voudrais d’abord remercier la commission des lois de la modification qu’elle a apportée au premier alinéa en réintroduisant, suivant en cela l’avis du Conseil constitutionnel, la notion de mesure proportionnée à la gravité des faits.
Nous avons en revanche maintenu l'amendement de suppression des alinéas 3 et 4 de l’article 3 bis. J’ai écouté vos propos avec beaucoup d’attention, monsieur le ministre, de même que ceux de notre collègue Jacques Gautier, mais je ne peux pas vous suivre.
Selon moi, il n’est pas plus grave de tuer un préfet, un magistrat, un policier ou un pompier que l’on soit Français, Français naturalisé récemment ou depuis plus de dix ans. Là, il y a une véritable difficulté à vouloir faire entrer un critère qui n’a jamais été inscrit dans la Constitution et qui ne peut y figurer. Nous avons été nombreux à le dire avec force.
Effectivement, la déchéance existe – et nous ne la remettons pas en cause –, selon des critères qui ont été aménagés et amendés. En revanche, établir une distinction selon la durée d’acquisition de la nationalité française rompt avec tous les principes de la République qui ont prévalu jusqu’à présent.
C’est pourquoi notre groupe demande, avec force et détermination, la suppression de ces deux alinéas. Nous avons d'ailleurs formulé, nous aussi, une demande de scrutin public sur ces amendements identiques.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour défendre l'amendement n° 108 rectifié.
Mme Éliane Assassi. Pour les raisons que vient d’indiquer Mme Escoffier, nous proposons la suppression des alinéas 3 et 4 de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour présenter l'amendement n° 278.
M. David Assouline. Mon propos sera bref, cette question ayant déjà été largement évoquée lors des prises de parole sur l’article.
Nous nous opposons aux alinéas 3 et 4 concernant l’extension de la déchéance de nationalité et non aux deux premiers alinéas, ce qui serait effectivement contraire à la position que nous défendons.
Nous pourrions débattre de l’existence même de la déchéance de nationalité dans la loi et prendre position sur cette question ; Mme Borvo Cohen-Seat en a parlé. En l’occurrence, il s’agit de savoir s’il faut aller plus loin. J’ai écouté vos arguments, monsieur le ministre, mais vous ne nous expliquez pas la raison pour laquelle il faudrait, aujourd'hui, étendre cette possibilité de déchéance aux criminels de policiers, de préfets… Ils ont pourtant toujours existé !
Si vous cherchez à faire diminuer leur nombre, l’effet recherché est dissuasif. Or, vous le savez, pour de tels crimes, ce n’est pas la déchéance de la nationalité française qui sera dissuasive, mais éventuellement la sévérité de la sanction – la perpétuité, l’incompressibilité de la peine… Vous ne pouvez pas nous accuser de faire de faux procès quand nous cherchons des explications.
Le champ politique n’est pas vide. La période de l’histoire où la déchéance de nationalité a été étendue, c’est Vichy : rupture avec la République ! Le parti politique qui la défend depuis toujours dans son programme, c’est le Front national : rupture avec la République !
Ce n’est pas dans le programme de la droite républicaine, et je ne l’en accuse pas. Mais si vous pensez réduire l’influence de cette force extrême en empruntant, de façon plus modérée, à son registre, je pense que vous vous trompez : vous ouvrez la brèche en donnant toujours plus de légitimité aux thèses antirépublicaines.
Nous ne sommes pas dans la polémique. Nous savons ce que nous pensons, et nous voudrions vraiment vous convaincre que toutes les forces républicaines doivent s’unir pour former un cordon sanitaire efficace en adressant un message clair : « on ne mange pas de ce pain-là ».
Mme la présidente. L'amendement n° 269 rectifié, présenté par MM. J. Gautier et P. Dominati, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 5° S'il a été condamné pour un acte qualifié de crime prévu et réprimé par le 4° des articles 221-4 et 222-8 du code pénal. »
La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Je retire cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 269 rectifié est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur les trois amendements identiques ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Permettez-moi de revenir sur les conditions dans lesquelles cet article a été examiné. Le principe de la déchéance de nationalité n’a pas été remis en cause par la commission des lois. Elle a simplement souhaité clarifier le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale en procédant à deux ajustements.
D’une part, la commission a limité les cas dans lesquels cette déchéance peut être décidée aux crimes « commis contre un magistrat, un militaire de la gendarmerie, un fonctionnaire de la police nationale, un agent de police municipale, des douanes ou de l’administration pénitentiaire, ou à un agent de police municipale » et non à la liste établie par le code pénal.
Nous avons voulu rester au plus près des propositions du Gouvernement, sur la base du discours de Grenoble, à savoir viser les personnes qui ont la charge, pour le compte de l’État et de la nation, de faire respecter l’ordre public. Telles sont les conditions dans lesquelles nous avons procédé à ce premier ajustement.
D’autre part, la commission a souhaité ajouter l’exigence de proportionnalité, qui constitue une garantie nouvelle par rapport au texte d’origine. Il s’agit, dans l’appréciation de cette déchéance, de la possibilité pour le magistrat de tenir compte de l’infraction et du quantum de la peine pour assurer la proportionnalité au regard des faits perpétrés. Cet élément me paraît essentiel à la bonne appréhension de la situation.
J’ai d'ailleurs cru comprendre que ce point était perçu positivement par un certain nombre de collègues ; je les en remercie.
Compte tenu de ces ajustements, la commission a émis un avis défavorable sur les amendements déposés.
Si vous m’y autorisez, madame la présidente, je formulerai, pour conclure, une remarque à titre personnel.
La France décide d’octroyer à un étranger, d’où qu’il vienne, la nationalité française : ce n’est pas rien !
M. David Assouline. Comme depuis deux siècles !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Vous avez d'ailleurs rappelé, monsieur le ministre, comme plusieurs collègues hier, que cela donnait souvent lieu à des cérémonies émouvantes.
En quoi serait-il choquant, lorsque celui-ci porte volontairement atteinte à la vie de personnes chargées de faire respecter l’ordre public, de revenir sur cette décision, à la condition, naturellement, que les circonstances dans lesquelles celle-ci intervient soient parfaitement encadrées, ce qui me semble, en l’état, être le cas ?
Un sénateur de l’UMP. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Permettez-moi de reprendre quelques-uns des arguments que j’ai développés en réponse aux propos liminaires des orateurs qui s’étaient exprimés sur l’article.
Je le répète, il ne s’agit pas de créer une situation nouvelle. Nous prenons acte du fait qu’il existe des procédures de déchéance de la nationalité française. Il est simplement prévu de les étendre, dans des conditions encadrées, à des hommes et des femmes ayant commis, madame Escoffier, des crimes non seulement gravissimes, quels que soient les citoyens qui en sont victimes, mais également symboliques de la défiance à l’égard de la nation française dans laquelle ces personnes ont été admises, de la nationalité française qu’on leur a permis d’endosser.
Quand on sait qu’environ 90 000 personnes par an acquièrent la nationalité française pas naturalisation, il n’est tout de même pas illogique de pouvoir prononcer la déchéance de nationalité lorsque l’une d’elles se retourne contre le symbole de l’autorité publique représentant cette nation.
Les crimes perpétrés sur un gendarme, un policier, un préfet, un pompier, un juge sont, je le répète, aussi odieux que ceux qui sont commis sur d’autres citoyens. Nous ne prenons pas cette décision sous le coup de l’émotion, nous le faisons parce que ces crimes visent des personnes qui incarnent l’autorité de l’État, la mise en œuvre du vivre ensemble, symbole de la République française, symbole de notre pays.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas du tout convainquant !
Le Gouvernement souhaite que, dans ces cas précis, qui, certes – j’en donne acte à David Assouline –, ne sont pas si nombreux, la déchéance de la nationalité française soit possible.
Telles sont les raisons pour lesquelles il nous semble utile de prévoir cette possibilité, de manière encadrée, comme cela a été dit tout à l’heure. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. J’ai malheureusement l’impression que nous avons du mal à nous comprendre.
Franchement, je ne comprends pas que vous ne compreniez pas que, pour nous, la question n’est pas de savoir si le crime commis est horrible ou non. Un crime est, par définition, toujours horrible. Il va de soi qu’il ne doit pas rester impuni. Il ne saurait être question de fermer les yeux sur l’intolérable.
Vous ne comprenez pas non plus que déchoir quelqu’un de la nationalité parce que c’est un criminel et parce qu’il n’est pas un Français « de souche » est selon nous un traitement discriminatoire.
Un Français « de souche » – il est malheureux qu’il faille employer ce terme, que je ne supporte pas,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous non plus !
Mme Alima Boumediene-Thiery. … pour être compris – ne pourra pas être déchu de la nationalité. Ce n’est pas possible. En revanche, un Français « de papier », lui, pourra l’être. Vous faites donc bien, vous, monsieur le ministre, une différence entre ces deux Français. Cela, nous ne pouvons pas l’accepter. C’est intolérable, c’est de la discrimination.
C’est non pas une question de nombre – notre position serait la même si une seule personne était concernée – mais de principe : un Français est un Français, un point c’est tout.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Tout d’abord, je rappelle que nous soutenons le dispositif de la commission sur la proportionnalité, lequel nous paraît être un dispositif de raison, de bonne raison.
Ensuite, je ne reviendrai pas sur les arguments, nombreux, qui ont déjà été avancés concernant la suppression des alinéas 3 et 4 de l’article 3 bis. Permettez-moi simplement d’aborder cette question sous un angle différent.
L’article 25 du code civil prévoit les cas dans lesquels un individu peut être aujourd'hui déchu de la nationalité française. Il s’agit d’actes graves. Peut ainsi être déchu de la nationalité un individu « condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme » ou « s’il s’est livré au profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France ».
Je ne sais pas de quand date cet article, peut-être de l’entre-deux-guerres, en tout cas d’une époque où les questions d’espionnage et de services aux intérêts d’une puissance ennemie étaient au cœur du débat.
On comprend qu’il était nécessaire de punir ceux qui se rendaient coupables de tels actes.
Aujourd’hui, permettez-moi de dire que cet article est un peu daté. On peut même se demander si l’article 25, à l’exception de son alinéa 2, doit être maintenu. Compléter l’article 25 du code civil par le quatrième alinéa de l’article 3 bis nous pose un grave problème.
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.
M. Louis Mermaz. En voyant le Gouvernement manœuvrer – je n’irai pas plus loin dans mes réflexions –, je pense à Georges Bernanos, ce grand chrétien, qui a dit que, si le ridicule tuait, il y a longtemps que l’église serait morte.
Le Dictateur, de Charlie Chaplin, a très bien montré en quoi l’arbitraire et l’excès pouvaient être redoutables.
Comme tout un chacun, je ne manquerai pas de rappeler que tuer un policier, un gendarme ou tout être humain est un acte horrible, qui doit être sévèrement sanctionné.
Je ne reviendrai pas sur les débats sur la constitutionnalité du texte, sur l’égalité entre les citoyens. En revanche, je pointerai le ridicule du texte si on le prend en creux. Il faudra protéger – nous en sommes tous d’accord – les préfets, les gendarmes, les policiers,... Je note, que, en route, monsieur le rapporteur, vous avez laissé tomber les gardiens d’immeuble et un certain nombre de braves gens. Il ne faudra surtout pas tuer un gendarme ou un policier dans les dix ans suivant l’obtention de la nationalité française. En revanche, une fois ce délai passé, l’auteur d’un tel crime sera sévèrement puni, bien sûr, mais il ne sera pas déchu de la nationalité française. Tout cela est grotesque !
Quiconque commet un crime de ce genre doit être sévèrement sanctionné. Tout le monde est d’accord sur ce point. Tout le reste, c’est de la propagande à destination de l’opinion publique. Monsieur le ministre, quoi que vous en disiez, vous avez bel et bien l’horizon 2012 dans votre viseur ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. L’article 3 bis, en ses alinéas 3 et 4, constitue assurément la mesure la plus symbolique de ce texte. Il est surtout symptomatique de la façon dont le Gouvernement envisage les questions, ô combien sérieuses et complexes, des migrations. Dans ce domaine, il fait preuve de démagogie, d’opportunisme politique et d’instrumentalisation.
Il n’est contesté par personne, comme en témoignent toutes les interventions dans notre hémicycle, que la portée de cette disposition sera très limitée et qu’elle concernera peu d’individus. De ce point de vue d’ailleurs, l’incapacité du Gouvernement à fournir des statistiques sur le nombre de criminels auxquels aurait pu être appliquée la déchéance de la nationalité selon les termes de ce nouvel article, autrement dit les personnes ayant acquis la nationalité française depuis moins de dix ans, témoigne du peu de cas que le Gouvernement fait de la réalité.
Cette mesure, chacun le sait, sera peu dissuasive. Les peines susceptibles d’être appliquées à ce type de crimes contre des agents dépositaires de l’autorité publique sont déjà très lourdes. Leurs auteurs sont passibles, pour beaucoup d’entre eux, de la perpétuité, tout à fait légitimement. Notre arsenal judiciaire contre les actes odieux perpétrés contre des policiers, des gendarmes ou des magistrats est d’ores et déjà très complet. Quels que soient les auteurs de ces crimes, ils doivent être condamnés lourdement.
Les réponses de M. le ministre et de M. le rapporteur montrent bien ce qui nous sépare.
Ce qui nous inquiète – et nous le dénonçons –, c’est que le Gouvernement, monsieur le ministre, ne cesse de mêler dans son discours et dans ses initiatives législatives criminalité et immigration, proposant à nos concitoyens une image confuse et menaçante de l’étranger, alors même que la nouvelle donne mondiale appelle au contraire à renforcer nos capacités d’accueil, d’échange, de compréhension.
Avec les alinéas 3 et 4 et l’extension de la déchéance de la nationalité, monsieur le ministre, vous prenez la lourde responsabilité de pousser l’opinion publique sur une pente que ne doivent emprunter ni la république ni la justice. C’est une politique dangereuse et à court terme.
Telles sont les raisons pour lesquelles les alinéas 3 et 4 de l’article 3 bis doivent absolument être supprimés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. On s’énerve, on essaie de se convaincre sur cette question. Vous n’arrivez pas à comprendre, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, pourquoi elle est très importante pour nous.
Dans un premier temps, monsieur le rapporteur, vous avez justifié l’extension de la déchéance de la nationalité par le fait que les crimes commis sont tellement odieux que ceux à qui on a fait l’honneur d’octroyer la nationalité française doivent savoir qu’elle peut leur être retirée. Vous avez encore l’illusion qu’une telle mesure peut être dissuasive. Nous sommes tous intervenus sur ce sujet. Personne n’est convaincu que le risque d’être déchu de la nationalité française pourrait être plus dissuasif que celui d’être condamné à perpétuité.
Ensuite, vous dites que cela ne laisse pas de trace. Nous essayons de vous convaincre que non seulement cette mesure ne sera pas efficace, mais que, d’un point de vue pédagogique et symbolique, elle sera néfaste pour notre société.
Au cours de la discussion générale hier, j’ai raconté une anecdote personnelle, que je vais répéter aujourd'hui. J’ai récemment participé à un débat télévisé avec Jacques Myard, député UMP, sur la déchéance de la nationalité. Alors que chacun avançait ses arguments, je lui ai dit qu’il était, comme moi, un représentant de la nation, de la République, mais que j’étais, moi, d’origine marocaine et que j’avais été naturalisé. Pensait-il, lui ai-je demandé, que nous étions aussi français l’un que l’autre ? Il n’a pas voulu me répondre. Nous étions en direct à la télévision, je lui ai posé quatre fois la question, il n’a jamais répondu !
Si un représentant UMP de la nation n’arrive pas à répondre à ma question, c’est parce qu’il a peur de mécontenter l’électorat auquel il s’adresse, qui ne me considère peut-être pas comme un Français comme les autres puisque je suis naturalisé. Sinon, cela lui serait facile de répondre à ma question. Je vous invite, mes chers collègues, à vous rendre sur les blogs, à regarder ladite émission. Vous verrez, c’est édifiant ! J’étais stupéfait.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, comprenez ce que nous vous disons : le message que vous envoyez flatte ceux qui pensent ainsi ou pour qui le fait d’être un Français d’origine étrangère pose problème.
Si M. Myard a du mal à me répondre, imaginez comment sont considérés ceux qui ne sont ni députés ni sénateurs !
Vous ne pouvez pas ignorer les conséquences des brèches que vous ouvrez. Elles font des dégâts dans les consciences de tous nos concitoyens. Alors qu’il faudrait les élever, vous cédez à la facilité : « Ah, mon bon monsieur, ce criminel a tué un gendarme, mais les socialistes ne veulent pas qu’il soit déchu de la nationalité française ! » Tout le monde trouvera cela odieux, naturellement, comme à l’époque du débat sur la suppression de la peine de mort. Il faut pourtant parfois faire preuve d’audace : aujourd'hui, plus grand monde ne remet en cause la suppression de la peine de mort, en tout cas pas la majorité des Français.
Comprenez donc notre propos, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, et cessez de vous réfugier derrière des arguties qui ne passent pas !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La polarisation sur la déchéance de la nationalité française ne doit pas masquer les autres dispositions du projet de loi. Le texte ne serait pas parfait même s’il ne comprenait pas l’article 3 bis.
Cet article, comme bien d’autres, contribue à diviser les Français, selon qu’ils sont anciens ou récents, et à stigmatiser les étrangers.
Monsieur le ministre, votre réponse sur la déchéance de la nationalité n’est pas convaincante.
Vous dites que la déchéance de la nationalité ne sera appliquée qu’à la suite d’actes très graves contre la communauté que forment les Français. L’assassinat du préfet Claude Érignac par un nationaliste corse – je ne me prononce par sur l’auteur – qui refuse la République fut un acte très grave. Que direz-vous de l’appartenance de cette personne à la communauté que forme la République ? Rien ! Vous ne pourrez pas la déchoir de sa nationalité !
En clair, ce projet de loi vise seulement à diviser les Français entre ceux qui sont nés en France de parents français et ceux qui ont acquis leur nationalité de manière plus tardive.
Par conséquent, mieux vaut, me semble-t-il, s’abstenir d’adopter de telles mesures.
En outre, personne ne peut croire à la valeur dissuasive de ce type de dispositions. Vous le savez comme moi, monsieur le ministre, l’application de la peine de mort n’a jamais empêché les crimes – demandez donc aux Américains, qui s’entêtent pourtant dans cette voie ! –, et son abolition n’a pas fait augmenter la criminalité.
Au final, ce sont seulement des mesures d’affichage, et d’affichage très nauséabond ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Certains de nos collègues se plaisent à nous faire des grands discours sur l’Europe et affirment que nombre de pays membres de l’Union européenne ont introduit la déchéance de nationalité dans leur législation.
Je souhaite donc rappeler un élément. Aux termes de la Convention européenne sur la nationalité, la déchéance de nationalité ne peut être prononcée qu’en cas de trahison et d’activité contre les intérêts essentiels de l’État, et non pour les autres infractions à caractère pénal, quelle que soit leur gravité. Je souligne que la France n’a pas voulu ratifier cette convention…
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 30 rectifié, 108 rectifié et 278.
J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe de l'Union centriste et, l'autre, du groupe du RDSE.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 150 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 182 |
Contre | 156 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je mets aux voix l'article 3 bis, modifié.
(L'article 3 bis est adopté.)
Mme la présidente. Je constate que cet article a été adopté à l’unanimité des présents.
Article additionnel après l’article 3 bis
Mme la présidente. L'amendement n° 279, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 3 bis insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur les perspectives de ratification de la Convention de New York de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie.
La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Il s’agit d’un amendement d’appel. Comme vous le savez, un certain nombre de textes internationaux visent à réduire le nombre d’apatrides.
Ainsi, la Convention sur la réduction des cas d’apatridie, adoptée à New York le 30 août 1961, reconnaît un minimum de droits aux apatrides et incite les États à leur faciliter dans la mesure du possible l’acquisition de la nationalité. La France est signataire de cette convention des Nations unies, mais elle ne l’a jamais ratifiée.
Par conséquent, monsieur le ministre, nous souhaiterions connaître la position du Gouvernement sur les perspectives de ratification.
Tel est le sens de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission ne juge pas opportun que le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur un tel sujet et émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Le 31 mai 1962, la France a effectivement signé la Convention sur la réduction des cas d’apatridie du 30 août 1961, mais elle ne l’a pas ratifiée.
Comme vous le savez, notre droit tient compte de cette convention depuis 1961, et notre pays demeure très attaché à la prévention des cas d’apatridie.
À ce stade, le Gouvernement ne prévoit pas d’engager le processus de ratification d’un tel accord.
En effet, deux dispositions du code civil relatives à la nationalité seraient incompatibles avec cette ratification ; elles concernent des cas de figure très précis qu’il est légitime d’envisager et que la Convention ne prend pas en compte. Il serait donc juste de réclamer une modification du texte conventionnel plutôt que du droit français.
D’abord, l’article 27-2 du code civil prévoit la possibilité d’abroger les décrets portant naturalisation, réintégration en cas de fraude ou de constat que l’intéressé ne remplissait pas les conditions légales pour obtenir la nationalité française. Si la Convention prévoit bien les cas de fraude – c’est le b) du 2 de son article 8 –, elle n’institue aucune dérogation dans l’hypothèse où le requérant ne satisferait pas aux conditions légales.
Ensuite, l’article 21-4 du même code, modifié en 2006, permet au Gouvernement de s’opposer à l’acquisition de la nationalité française « pour indignité ou défaut d’assimilation ». Cette opposition peut également avoir pour effet de rendre l’intéressé apatride lorsqu’aucun des cas n’est autorisé par la Convention.
C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 279.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 3 ter
À l’article 27-2 du même code, les mots : « d’un an » sont remplacés par les mots : « de deux ans ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 109 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 280 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre, pour présenter l’amendement n° 109.
Mme Marie-Agnès Labarre. Nous souhaitons supprimer l’extension du délai pendant lequel un décret de naturalisation ou de réintégration de la nationalité française peut être rapporté par l’administration si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales en cas d’erreur.
En cas de fraude, le délai serait maintenu à deux ans à compter de la découverte de ladite fraude. En cas d’erreur sur les conditions légales, le délai actuel d’un an serait également porté à deux ans, à compter de la publication du décret.
Si l’erreur ou la fraude est avérée à l’issu de ce délai, le retrait de la nationalité est prononcé par un avis conforme du Conseil d’État.
De notre point de vue, les douze mois qui sont prévus actuellement sont suffisants pour mener à bien l’instruction préalable et l’éventuelle procédure de retrait, eu égard au respect du principe de sécurité juridique de l’intéressé.
Nous ne sommes pas favorables à l’extension du délai, qui aurait pour effet d’altérer les droits des personnes acquérant la nationalité française, en les plaçant dans une situation d’incertitude pendant une trop longue période. L’erreur et la fraude sont deux cas de figure différents ; le délai ne saurait donc être le même pour les deux, et il doit être proportionné à la gravité de l’acte.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l'amendement n° 280.
M. Richard Yung. Cet amendement est identique à celui qui vient d’être présenté par Mme Labarre.
Le Gouvernement propose de modifier l’article 27–2 du code civil pour porter le délai pendant lequel un décret de naturalisation ou de réintégration de la nationalité française peut être rapporté de un an à deux ans. D’ailleurs, nous observons qu’il y a beaucoup de dispositions de la sorte dans le projet de loi.
Pour nous, une telle extension crée de l’insécurité juridique et fait peser les conséquences éventuelles d’une erreur d’appréciation de l’administration sur l’individu ayant formulé une demande de nationalité française, alors qu’il n’en est pas responsable. C’est un peu comme une peine supplémentaire…
Nous proposons donc d’en rester au délai actuel d’un an.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
L’allongement d’un an du délai pendant lequel un décret de naturalisation, de réintégration ou d’acquisition de la nationalité française peut être rapporté lorsqu’il apparaît que l’intéressé ne satisfait pas les conditions légales se justifie par la durée d’instruction moyenne de telles procédures.
Tel n’était pas le cas des décisions rapportées pour cause de fraude. C’est ce qui a conduit la commission des lois à supprimer l’allongement pour ces dernières.
Je souhaite ajouter deux éléments. D’une part, le retrait se justifie par l’illégalité initiale, qui aurait en principe dû interdire l’acquisition de la nationalité. D’autre part, les faits retenus pour rapporter la décision doivent être suffisamment graves, ce dont s’assure le juge saisi d’une demande d’annulation du retrait en vertu d’un arrêt de principe du Conseil d'État du 13 février 1974.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Il s’agit d’harmoniser les durées dont dispose l’État pour retirer la nationalité en maintenant le délai à deux ans pour mensonge ou fraude et en le faisant passer de un à deux ans en cas de non-respect des conditions légales. L’ensemble des délais serait de deux ans. Le Gouvernement reste sur cette position et émet un avis défavorable sur les amendements nos 109 et 280.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 109 et 280.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3 ter.
(L'article 3 ter est adopté.)
Article 4
(Non modifié)
Le dernier alinéa de l’article 26-3 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Dans le cas où une procédure d’opposition est engagée par le Gouvernement en application de l’article 21-4, ce délai est porté à deux ans. »
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 9 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
L'amendement n° 31 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 110 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l'amendement n° 9.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’article 4 tend à allonger le délai d’enregistrement des déclarations acquisitives de nationalité française, à raison du mariage avec un français, afin de l’aligner sur le délai d’opposition du Gouvernement.
En effet, la modification proposée à l’article 4 a pour objet d’allonger d’une année supplémentaire le délai d’enregistrement de la déclaration.
Or rien ne justifie une telle inégalité de traitement des conjoints de ressortissants français par rapport aux autres personnes acquérant la nationalité française.
Le maintien des deux délais d’opposition ne se justifie pas plus et rend la situation juridique du déclarant conjoint de français au regard de la nationalité française provisoire et imprévisible.
Il convient donc d’adopter cet amendement afin de supprimer l’article 4 du projet de loi et de ne pas créer de discrimination supplémentaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l'amendement n° 31 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. Je ne reprendrai pas les arguments qui viennent d’être développés. J’ajoute simplement que ce nouveau durcissement ne me paraît en aucun cas justifié. Il accentue la défiance à l’égard des étrangers alors que, à l’heure actuelle, toute notre action vise à faire en sorte que les étrangers soient mieux et plus vite intégrés. C’est notamment l’objet des contrats d’intégration.
Ce durcissement paradoxal, voire contradictoire, nous gêne, raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 110.
Mme Éliane Assassi. L’article 4 vise à étendre le délai pendant lequel l’administration peut refuser d’enregistrer une déclaration de nationalité française à raison d’un mariage en cas d’opposition formée par le Gouvernement afin d’aligner le délai d’enregistrement sur le délai d’opposition du Gouvernement.
En effet, le Gouvernement dispose d’un délai de deux ans pour s’opposer à l’acquisition de la nationalité de conjoints étrangers pour indignité ou défaut d’assimilation.
Ainsi, la décision de refus d’enregistrement par l’administration pourrait intervenir également dans un délai de deux ans au lieu d’un an actuellement. Ce délai de deux ans est excessif dans les deux cas. Il crée une grande insécurité et met le conjoint dans une situation imprévisible durant une période prolongée.
Certes, il est vrai que vous vous plaisez à laisser planer le plus grand soupçon sur les mariages mixtes alors même que les conjoints de ressortissants français sont présumés intégrés.
Depuis 2006, le Gouvernement a engagé un processus visant à diminuer l’immigration familiale en rendant le parcours d’intégration des conjoints particulièrement difficile. Alors que les délais et les contrôles prévus sont déjà nombreux, ils ne cessent d’être renforcés.
Nous refusons de souscrire à cet article, qui s’inscrit dans la droite ligne de la politique de restriction des conditions et d’augmentation des délais d’acquisition de la nationalité française. Avec les quatre années de mariage exigées, le délai de deux ans pendant lequel le Gouvernement peut s’opposer à l’acquisition de la nationalité et les deux ans supplémentaires après l’annulation de la décision de refus, il faut aujourd’hui entre sept et neuf ans pour que le conjoint acquière la nationalité française, contre cinq ans pour les candidats à la naturalisation !
Cette inégalité de traitement au détriment des conjoints de ressortissants français est injustifiable et ne saurait être renforcée par cet article 4, dont nous demandons la suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’allongement à deux ans du délai pendant lequel l’administration peut refuser l’enregistrement d’une déclaration d’acquisition de la nationalité française par mariage vise à rendre ce délai compatible avec le délai de deux ans pendant lequel le Gouvernement peut s’opposer à l’acquisition de la nationalité par le déclarant pour des raisons d’indignité ou de défaut d’assimilation autres que linguistiques.
Le délai actuel d’un an fait que l’administration peut être conduite à enregistrer la déclaration, ce qui permet à l’intéressé d’acquérir la nationalité française alors même que le Gouvernement envisage d’y faire opposition et attend pour cela, par exemple, les résultats d’une enquête en cours. Si l’opposition est fondée, il en résulte une insécurité juridique pour l’intéressé, qui pourra voir l’acquisition de sa nationalité remise en cause. L’alignement des délais de refus d’enregistrement et d’opposition est donc opportun.
J’ajoute que, contrairement à ce qu’estiment les auteurs des amendements, cette disposition ne porte pas atteinte au principe d’égalité compte tenu de la différence de situation des conjoints par rapport aux autres candidats à l’acquisition de la nationalité française. Il convient de donner à l’administration les moyens de lutter contre la fraude en matière matrimoniale. D’ailleurs, d’ores et déjà, le délai prévu pour le refus d’enregistrement est d’un an, contre six mois dans les autres cas.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.
Concrètement, la mesure prévue à l’article 4 permettra d’éviter qu’une incohérence apparaisse si, dans le délai d’examen de l’opposition, la déclaration de nationalité est engagée et que, quelques semaines ou mois plus tard, lui succède la décision d’opposition.
La mesure ne met donc pas en cause les droits des conjoints de Français, comme j’ai pu l’entendre dire tout à l’heure. Elle est un outil nécessaire pour faire respecter la loi dans les cas d’abus et ne concerne pas l’ensemble des situations qui ont pu être évoquées par ailleurs.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 9, 31 rectifié et 110.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 4
Mme la présidente. L'amendement n° 281, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 27 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Cette décision ne peut être fondée sur les articles L. 622-1 à L.622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Un flou juridique permet aujourd'hui de prendre, sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, des sanctions administratives contre les demandes d’acquisition, de naturalisation et de réintégration dans la nationalité.
D’ailleurs, le code civil prévoyant que les réponses données par l’administration aux demandes d’acquisition de la nationalité, de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité doivent être motivées, il est arrivé que certains refus soient justifiés au nom de ce que les articles L. 622-1 à L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile appellent le délit d’aide au séjour et que nous appelons, comme beaucoup d’autres citoyens, le délit de solidarité.
Cet amendement puissamment humaniste suscitera, je l’espère, monsieur le ministre, votre intérêt, voire votre adhésion.
Nous avons déjà demandé à de nombreuses reprises que le délit de solidarité soit supprimé de notre droit. Sinon à quoi bon inscrire au frontispice de toutes nos mairies le mot « fraternité » ? Lorsqu’un citoyen, et il en est beaucoup, lorsqu’une association, et il en est dans toutes nos communes, s’emploie à tendre la main à un être humain, certes en situation irrégulière, mais aussi en grande précarité et en grande difficulté, pour l’aider à manger, à se soigner et pour lui offrir un toit, est-ce un délit ? Pour notre part, nous avons toujours considéré qu’il était contraire à l’esprit de fraternité de qualifier de délit un tel geste.
Peut-on refuser une demande de séjour, d’acquisition de la nationalité ou de réintégration dans la nationalité au motif que le demandeur a bénéficié de la générosité d’un citoyen, d’une citoyenne, d’une association française ? Très franchement, ce serait absurde !
Nous espérons pouvoir réussir à supprimer un jour de notre législation le délit de solidarité. En attendant, il serait raisonnable que l’on ne puisse refuser les demandes d’acquisition, de naturalisation ou de réintégration au motif que le demandeur a bénéficié de la générosité de citoyens français.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’article 21-27 du code civil prévoit que nul ne peut acquérir la nationalité française ou être réintégré dans cette nationalité s’il a été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement, non assortie d’une mesure de sursis.
Or les personnes qui se rendent coupables de délit d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier encourent une peine de cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. C’est à ce titre, et en vertu de l’article 21-27 du code civil précité, que l’administration est tenue de refuser l’acquisition de la nationalité française aux intéressés condamnés à plus de six mois fermes ou de s’y opposer.
L’amendement aurait pour conséquence de remettre en cause cette règle générale, liée non à la nature de l’infraction, mais à sa gravité, dont rend compte la peine prononcée.
C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Cet amendement tend à remettre en cause la règle selon laquelle l’autorité administrative peut refuser l’octroi de la nationalité française sur le fondement d’une période de séjour irrégulier ou d’une infraction à l’interdiction de l’aide au séjour irrégulier. Nous ne souhaitons pas aller dans cette direction. Voilà pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Soyons clairs : il nous semble tout à fait légitime – nous ne sommes pas irresponsables – que l’autorité administrative puisse refuser la naturalisation ou la réintégration dans la nationalité pour toute une série de raisons qui viennent d’être énumérées par M. le rapporteur et par M. le ministre.
Le problème que soulève cet amendement, mais peut-être est-il mal rédigé, est celui du délit de solidarité. Monsieur le ministre, j’entends bien votre argumentation. Pourriez-vous néanmoins me confirmer – ce point est important pour l’interprétation de la loi – que le délit d’aide au séjour par autrui ne pourra pas être compté parmi les motifs de refus d’une naturalisation ?
Il est difficile de faire payer à une personne en situation irrégulière le prix de la générosité d’autrui en lui refusant l’accès à la nationalité.
Bref, monsieur le ministre, je comprends bien qu’il y ait des raisons parfaitement légitimes de refuser la nationalité, mais pouvez-vous nous assurer que la générosité d’autrui ne pourra pas être invoquée en l'occurrence, comme cela a pu être le cas, même si ce fut de manière assez rare, dans notre pays ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. J’ai l’impression que vous faites une mauvaise interprétation des textes, monsieur le sénateur.
Deux cas de figure peuvent se présenter.
Le premier cas de figure concerne l’étranger en situation irrégulière ; celui-ci peut être concerné par les articles évoqués, donc nous ne souhaitons pas la suppression.
Le deuxième cas de figure, qu’a considéré M. Sueur, concerne l’aide au séjour. Dans ce cas, c’est celui qui aide qui est mis en cause et non celui qui est aidé.
Au demeurant, si celui qui aide est de nationalité française, il ne peut pas être concerné. En revanche, s’il s’agit d’un étranger qui aide un autre étranger, à ce moment-là, il peut être touché.
En tout état de cause, le fait d’être aidé ne peut porter préjudice à la personne aidée. C’est bien celui qui aide qui est mis en cause. J’ai le sentiment qu’il était nécessaire que cela soit précisé.
Mme la présidente. L'amendement n° 282, présenté par MM. Antoinette, Patient, Gillot, S. Larcher, Lise, Tuheiava, Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa de l'article 55 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans la collectivité de Guyane, les déclarations sont faites dans les quinze jours de l'accouchement. Un décret en Conseil d'État détermine la zone géographique où cette disposition s'applique au regard de l'éloignement entre le lieu de naissance et le lieu où se situe l'officier de l'état civil. »
La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.
M. Jean-Étienne Antoinette. Avec cet amendement, je souhaite toucher le cœur d’un problème important en Guyane, celui des Français sans état civil.
II s’agit des amérindiens ou des bushinengués originaires des villages isolés qui ne sont pas déclarés à la naissance. Que propose la République pour offrir à ces populations la possibilité de remplir leur obligation de déclaration des naissances ?
Elle les inscrit dans le droit commun, obligeant ainsi un voyage en pirogue d’une demi-journée, voire de plusieurs journées entières, vers le centre administratif et autant pour le retour. Or les pirogues motorisées qui peuvent effectuer ces trajets sont rares et, si la solidarité des habitants du fleuve remplace les transports publics, les habitants d’Antecum Pata par exemple – un des villages les plus proches de Maripasoula – ne se rendent au chef-lieu de cette commune qu’une fois par semaine pour se ravitailler.
Que dire alors d’autres habitants, comme ceux de Sophie, Repentir ou Dorlin, isolés sur le bras de la rivière du Petit Inini ou celle de Mana, au cœur de communes d’une superficie allant de 10 000 à plus de 18 000 kilomètres carrés ?
La conséquence est une carence générale de déclaration de naissance de la part de ces populations et un grand nombre de difficultés pour voir établir leur identité et leur nationalité lorsque le besoin rend nécessaire cette reconnaissance de la République.
Les autorités, au moins localement, ne sont pas sans ignorer ce problème. Elles utilisent alors la solution que leur offre le droit commun : le jugement déclaratif du tribunal.
Ainsi, le procureur de la République organise des audiences foraines sur le fleuve. Si on peut saluer cette proximité du service public de la justice avec les populations reculées de notre territoire, à l’heure de la restructuration des tribunaux civils et du développement des audiences en visioconférence, cette solution n’est pas concevable.
En effet, elle règle les situations uniquement sur les lieux des audiences foraines ; descendre les fleuves est une chose, mais les villages amérindiens et bushinengués sont dispersés sur tout le domaine du parc, du Maroni jusqu’à l’Oyapock.
Ensuite, ces jugements supplétifs de naissance ne rétablissent dans le droit que les situations déjà créées et aucunement celles à venir. Les familles amérindiennes ou bushinengués ne sont pas incitées à déclarer les naissances, attendant l’hypothétique venue du procureur de la République.
Pourquoi ne pas adapter la législation aux spécificités de notre territoire ? Nous en sommes capables, l’immensité du territoire guyanais est en effet la cause d’une dérogation au régime de la garde à vue, qui peut commencer, pour les infractions liées à l’orpaillage, pas moins de vingt heures après l’arrestation afin de permettre aux gendarmes de ramener à la brigade les personnes interpellées au cœur de la forêt.
La solution que je vous propose offre la possibilité aux habitants isolés de déclarer les naissances en allongeant le délai d’ouverture de cette procédure. Si dans les trois jours de la naissance, un très long voyage en pirogue est une contrainte rédhibitoire, le délai de quinze jours responsabilise les populations de l’intérieur et permet à leurs enfants d’être reconnus, dès leurs premiers jours, par la République.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement vise à étendre de trois à quinze jours le délai d’enregistrement des déclarations de naissance en Guyane, ce qui ne présente pas de liens directs avec le texte.
Pour cette raison, sans même parler du fond, cet amendement ne peut recevoir qu’un avis défavorable de la commission des lois. Je souhaiterais tout de même apporter une précision : une disposition similaire a été prévue par le passé, dans l’ordonnance du 8 juillet 1998 qui fixait un délai de déclaration à trente jours dans certains territoires de Guyane.
Cette disposition a fait l’objet d’une abrogation lors de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité au motif, et je cite les propos du Garde des Sceaux de l’époque, « qu’elle favorisait le développement d’un trafic d’enfants ».
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Je tiens à remercier et l’auteur de l’amendement et le rapporteur pour l’avis qu’il vient de donner, le Gouvernement se voyant conduit à adopter la même position.
J’aurais eu envie de donner une réponse favorable, compte tenu de la situation qu’a évoquée M. Antoinette.
Toutefois, nous nous sommes aperçus que, si les dispositions qui étaient en vigueur avaient été modifiées en 2004, c’était en raison d’un risque de trafics d’enfants.
Vous comprendrez donc qu’il nous est difficile de donner un avis favorable à cet amendement compte tenu des incertitudes qui demeurent en la matière. Cela dit, je propose qu’une étude d’impact soit réalisée, et si cette étude nous donne des réponses positives, je ferai en sorte, monsieur le sénateur, de soutenir l’adoption d’un amendement similaire à l’occasion de l’examen d’un autre texte.
C’est uniquement pour éviter d’avoir à revenir sur une disposition qui aurait été adoptée sans que les précautions nécessaires aient été prises, que nous émettons un avis défavorable.
Je vous demanderai donc, monsieur le sénateur, de retirer votre amendement, sinon je serai obligé de donner un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Jean-Étienne Antoinette, l'amendement n° 282 est-il maintenu ?
M. Jean-Étienne Antoinette. Non, je le retire, madame la présidente.
Cependant, je tiens à affirmer qu’il a un lien direct avec le texte puisqu’il s’agit de personnes nées sur le territoire français et qui, faute d’une déclaration, se trouvent sans état civil.
En tout cas, je retiens la proposition de M. le ministre.
Mme la présidente. L'amendement n° 282 est retiré.
Article 5
I A. – (Non modifié) La troisième phrase du deuxième alinéa de l’article L. 311-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complétée par les mots : «, ainsi que de la place de la France en Europe ».
I. – Le troisième alinéa du même article L. 311-9 est ainsi rédigé :
« Lors du renouvellement de la carte de séjour intervenant au cours de l’exécution du contrat d’accueil et d’intégration, ou lors du premier renouvellement consécutif à cette exécution, l’autorité administrative tient compte du non-respect, manifesté par une volonté caractérisée, par l’étranger des stipulations du contrat d’accueil, s’agissant des valeurs fondamentales de la République, de l’assiduité de l’étranger et du sérieux de sa participation aux formations civiques et linguistiques, à la réalisation de son bilan de compétences professionnelles et, le cas échéant, à la session d’information sur la vie en France. »
II. – Le début du troisième alinéa de l’article L. 311-9-1 du même code est ainsi rédigé : « Lors du renouvellement de la carte de séjour intervenant au cours de l’exécution du contrat d’accueil et d’intégration pour la famille, ou lors du premier renouvellement consécutif à cette exécution, l’autorité...(le reste sans changement) ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 111 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 283, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour défendre l'amendement n° 111.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Encore une fois, le Gouvernement ne prévoit d’aborder l’immigration, l’intégration et l’acquisition de la nationalité que pour mieux les limiter.
Cet article en est l’illustration pour le renouvellement de la carte de séjour des étrangers. En effet, les primo-arrivants sont tenus de conclure un contrat d’accueil et d’intégration qui se matérialise par le suivi d’une formation civique, et éventuellement linguistique.
Alors que le code actuel prévoit que le non-respect des obligations du contrat d’accueil est pris en compte pour le premier renouvellement de la carte de séjour, il a paru opportun au Gouvernement et à la majorité d’ajouter des éléments motivant le refus de renouvellement tels que le non-respect des valeurs fondamentales de la République, l’assiduité aux formations civiques et linguistiques et autres sessions dispensées dans le cadre du contrat d’accueil.
Ces restrictions au renouvellement de la carte de séjour ne sont évidemment pas limitatives car, quand il s’agit d’exclure et de refuser des droits aux étrangers qui souhaitent s’établir sur notre territoire, tout est envisageable.
Au lieu d’inventer sans cesse de nouveaux moyens pour durcir le droit de séjour des étrangers, nous serions bien avisés de questionner notre modèle d’intégration. Car l’immigration, et il est triste de devoir le rappeler comme si cela n’était pas une évidence, a toujours été source de richesse, évidemment culturelle mais aussi matérielle.
Elle a souvent été nécessaire pour augmenter les capacités productives de nos sociétés en faible croissance démographique, et pourrait bien devenir indispensable dans le futur.
Elle doit donc cesser d’être envisagée sous l’angle de la défiance, qui devient bien vite réciproque, et doit s’organiser autour des modalités de vie en commun, à l’antithèse de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 283.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement va exactement dans le même sens que celui qui a été présenté par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il traduit notre souhait d’une meilleure organisation par l’Office français de l’immigration et de l’intégration des sessions de formation obligatoire dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration.
Nous demandons que l’Office prenne en compte, dans ses structures et ses modules, les contraintes des publics auxquels il délivre des formations.
Si nous déposons cet amendement, ce n’est absolument pas pour mettre en cause le travail des responsables et des salariés de l’Office français de l’immigration et de l’intégration qui se donnent beaucoup de mal pour assumer leurs missions.
Cependant, il se trouve que, dans un certain nombre de cas, les personnes concernées ne peuvent pas suivre les formations qu’elles sont contraintes de suivre, en raison du simple fait qu’elles travaillent.
Nous demandons que l’on veuille bien prendre en considération cette question concrète et que l’organisation des sessions de formation prenne en compte la situation des salariés d’origine étrangère qui travaillent.
Le deuxième point de cet amendement concerne la maîtrise de la langue française, qui constitue un facteur important dans l’intégration. C’est pourquoi nous proposons d’insérer dans le code du travail la reconnaissance d’un droit à la formation linguistique au titre de la formation professionnelle continue pour les étrangers.
En effet, comme il y a un droit pour tous les salariés à la formation professionnelle, on pourrait considérer que pour un certain nombre de salariés d’origine étrangère qui doivent rapidement acquérir la connaissance de la langue française, cet enseignement du français fait partie des obligations de la formation professionnelle. Ce sont donc des propositions très pragmatiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Les auteurs des amendements de suppression contestent certains des ajouts opérés par le présent article dans les dispositions de l’article L. 311-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, relatif au refus de renouvellement des titres de séjour de l’étranger qui n’a pas satisfait aux stipulations du contrat d’accueil et d’intégration.
Est notamment contesté le contrôle de l’assiduité de l’étranger aux formations qui lui sont délivrées. Cependant, les dispositions de l’article 5 ne créent pas sur ce point une règle nouvelle ; il s’agit seulement d’une explication de ce que peut recouvrir le non-respect des stipulations du contrat d’accueil et d’intégration.
Le manque d’assiduité peut d’ores et déjà justifier le non-renouvellement du titre de séjour de l’intéressé. J’ajoute que l’autorité administrative n’a pas de compétences liées en la matière et qu’elle distingue, sous le contrôle du juge, l’absentéisme injustifié et celui qui s’explique par de justes motifs.
À ce titre, l’Office français de l’immigration tient compte des difficultés matérielles des intéressés pour l’organisation de ses formations. En conséquence de quoi, la commission des lois a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Je reprendrai les mêmes arguments que M. le rapporteur, en précisant, une nouvelle fois, que les moyens financiers mis en œuvre pour assurer ces formations, linguistiques notamment, s’élèvent à près de 50 millions d’euros : il me semble donc normal et légitime que l’assiduité des stagiaires soit contrôlée, eu égard à l’importance de ces moyens ; il serait même illogique que nous ne fassions pas preuve d’une certaine exigence en contrepartie. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements, car ces critères doivent être pris en compte dans le cadre du renouvellement du titre de séjour.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 111 et 283.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 32 rectifié bis, présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 4
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Je remercie le service de la séance d’avoir accepté que je procède à la rectification de cet amendement, qui s’est substitué en outre à l'amendement n° 33 rectifié bis.
Je ne demande pas la suppression totale de cet article 5, parce qu’il me semble que l’alinéa 1 n’appelle pas d’observations particulières ; en revanche, je demande la suppression des alinéas 2 à 4, qui modifient l’article L. 311-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Permettez-moi d’évoquer les souvenirs de mon expérience personnelle : la jurisprudence du Conseil d’État, qui procède à une interprétation stricte des textes, a toujours permis à un préfet d’accorder un titre de séjour, après examen de la situation de l’étranger, s’il estime que des motifs humanitaires le justifient. Il revient donc au préfet d’analyser la situation dans son intégralité. Or il me semble que la rédaction de l’article 5, compte tenu de cette jurisprudence, est redondante et n’apporte strictement rien.
Quant au contrat d’accueil et d’intégration, je dois dire que, lorsque j’étais encore en activité, je l’avais mis en place avant même qu’il n’existe ; je n’étais d’ailleurs pas la seule, et de nombreux préfets examinaient point par point la situation des étrangers présentant des demandes de titre de séjour. Nous appliquions la procédure du contrat d’accueil et d’intégration sans le savoir… et sans le dire. Aujourd’hui, il est de pratique constante et courante que, lors de la signature du premier contrat, mais aussi au moment du renouvellement du titre de séjour, chaque situation soit examinée de façon détaillée.
Je voudrais attirer votre attention sur le fait que ces étrangers vivent souvent des situations très difficiles, très douloureuses. Ce qui peut être facile pour une personne qui dispose d’un logement fixe, maîtrise parfaitement la langue française et se rend avec assiduité à son travail ou à des cours de formation, ne l’est pas toujours pour un étranger, qui vit dans des conditions plus difficiles. Il appartient donc, me semble-t-il, à l’autorité administrative, compte tenu de l’examen de la situation auquel elle doit procéder, de décider des conditions de renouvellement de ces contrats. Dans ces conditions, les dispositions de ces alinéas me semblent superfétatoires.
Mme la présidente. L’amendement n° 493, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après les mots :
stipulation du contrat d’accueil
insérer les mots :
et d’intégration
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 284 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :
I bis. - Avant le dernier alinéa du même article, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’Office français de l’immigration et de l’intégration a une obligation de moyen relative aux formations et aux prestations dispensées dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration. Les formations se déclinent sur tout le territoire. Les modalités de leur organisation tiennent compte des obligations auxquelles sont astreints les signataires du contrat, notamment l’exercice d’un travail, les temps de déplacement ou l’entretien d’enfants à charge. »
I ter. - Après le 13° de l’article L. 6313-1 du code du travail, il est inséré un 14° ainsi rédigé :
« 14° Les actions de formations linguistiques prévues par le contrat d’accueil et d’intégration tel que défini aux articles L. 311-9 à L. 311-9-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. »
I quater. - Au second alinéa de l’article L. 6111-2 du code du travail, après le mot : « française », sont insérés les mots : « et les formations linguistiques prévues dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration tel que défini aux articles L. 311-9 à L. 311-9-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, il ne vous aura pas échappé, car je connais votre vigilance, que j’ai défendu cet amendement n° 284 rectifié – effectuant une légère confusion que je regrette ! – en présentant l’amendement n° 283. Je sollicite donc votre bienveillance, pour considérer que l’explication que j’ai fournie pour l’amendement n° 283 vaut aussi pour l’amendement n° 284 rectifié !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement n° 284 rectifié est largement satisfait par le droit en vigueur ou la pratique suivie par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII. Il vise, d’une part, à compléter les obligations auxquelles l’OFII est tenu dans l’organisation des formations prévues dans le contrat d’accueil et d’intégration signé par l’étranger et, d’autre part, à intégrer les formations linguistiques dispensées dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration à celui de la formation professionnelle.
Sur le premier point, l’obligation de moyens et l’accès aux formations sur tout le territoire sont d’ores et déjà garantis, puisque le budget de l’OFII consacré à ses actions s’élève à 45 millions d’euros et que l’OFII compte 870 agents regroupés dans 51 directions territoriales. L’organisation des formations est prévue pour s’adapter aux contraintes légitimes que certains étrangers peuvent faire valoir.
Sur le deuxième point, outre le fait que les articles L. 6111-2 et L. 6313-1 du code du travail visent déjà les actions de lutte contre l’illettrisme et l’apprentissage de la langue française, il est préférable de ne pas confondre les dispositifs de formation professionnelle, financés par l’employeur, et ceux du contrat d’accueil et d’intégration, financés par l’État au titre de sa politique d’intégration.
Par conséquent, l’avis de la commission est défavorable.
Sur l’amendement n° 32 rectifié bis, l’avis de la commission est également défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Madame Escoffier, supprimer le contrat d’accueil et d’intégration constituerait un recul préjudiciable aux immigrés eux-mêmes. Cela reviendrait à leur dénier la possibilité d’apprendre le français et de réaliser un bilan de compétence professionnelle, ce que vous ne souhaitez évidemment pas. Se familiariser avec nos lois, qui plus est dans le cadre des prestations organisées et financées par l’État, engager le processus d’intégration, en France, dès l’arrivée de l’immigrant et, depuis 2007, dans le pays d’origine, a indéniablement constitué une grande avancée que beaucoup de pays européens observent avec attention. Depuis le début de la mise en œuvre de ce dispositif, plus d’un demi-million de personnes ont bénéficié du contrat d’accueil et d’intégration. Il serait donc difficile d’imaginer que nous renoncions à ces acquis, c’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur l'amendement n° 32 rectifié bis
L’amendement n° 493 de la commission reçoit un avis favorable ; en revanche, en ce qui concerne l’amendement n° 284 rectifié, les explications de la commission sont conformes à la position du Gouvernement, qui émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour explication de vote.
Mme Anne-Marie Escoffier. Je prie M. le ministre de m’excuser si je me suis mal fait comprendre, mais j’ai défendu l’amendement n° 32 rectifié bis, car j’avais retiré l’amendement n° 33 rectifié bis, qui n’avait plus d’objet. Il est bien clair que, pour moi, le contrat d’accueil et d’intégration doit être maintenu et j’en souligne d’ailleurs l’intérêt. En revanche, il ne me paraît pas bon d’y revenir au moment du renouvellement du titre de séjour.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Je n’ai peut-être pas très bien suivi le processus de rectification des amendements, mais il me semble que mes explications restent malgré tout valables.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je confirme que l’avis de la commission sur l’amendement n° 32 rectifié bis est défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 32 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 5, modifié.
(L’article 5 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 5
Mme la présidente. L’amendement n° 285, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l’article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - L’article L. 211-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est abrogé.
II. - La perte de recettes résultant pour l’Office français de l’immigration et de l’intégration du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Cet amendement vise à supprimer l’article L. 211-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et donc la taxe affectée à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII ; nous compensons par ailleurs la perte qui en résulterait pour cet organisme.
Je rappelle que, selon le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les personnes qui se proposent d’accueillir des étrangers souhaitant séjourner en France dans le cadre d’une visite familiale ou privée – c’est louche ! – doivent solliciter auprès de la mairie du lieu d’hébergement la délivrance d’une attestation d’accueil. Lors de cette délivrance, ces personnes doivent acquitter une taxe dont le produit est versé à l’OFII : c’est un droit de timbre, en quelque sorte.
Le montant de cette taxe – dont le principe est un peu paradoxal, puisqu’elle pèse sur la personne qui accepte d’héberger un étranger qui souhaite venir en France – était initialement fixé à 15 euros, puis il est passé à 30 euros en 2007. Comme les caisses sont de plus en plus vides, la loi de finances pour 2008 a fait passer cette taxe à 45 euros pour financer la création du contrat d’accueil et d’intégration et la mise en place de l’évaluation de la maîtrise du français, dont nous avons déjà débattu. La revalorisation de cette taxe était aussi rendue nécessaire par la baisse progressive de la subvention de fonctionnement de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations, l’ANAEM, organisme qui a précédé l’OFII.
En 2011, curieusement, s’est produit un mouvement inverse : ladite taxe est redescendue à 30 euros. Nous ne savons pas très bien pourquoi, mais le Gouvernement a dû considérer que le montant de cette taxe était relativement élevé.
Quant à nous, nous considérons qu’il n’est pas acceptable de faire supporter par des gens qui assument un devoir d’hospitalité envers des étrangers une taxe censée compenser la baisse de la subvention de l’OFII. Nous proposons donc de supprimer cette taxe.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La taxe perçue au profit de l’OFII représente 45 euros par attestation d’accueil délivrée. Elle compte pour 3,5 % des recettes totales de l’OFII et 8,7 % de ses dépenses de formation.
Compte tenu des prestations offertes par l’OFII au primo-arrivant, elle ne paraît pas constituer une charge excessive. C’est en tout cas ce qu’a considéré la commission des lois. L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Supprimer la taxe perçue en faveur de l’OFII lors de la demande de validation d’une attestation d’accueil aurait évidemment des conséquences en termes de financement de l’organisme.
La loi de financement pour 2011, je le rappelle, a déjà opéré un rééquilibrage des contributions au profit de l’OFII en augmentant certaines taxes pour en alléger d’autres, dont celles qui s’appliquent aux attestations d’accueil. Ainsi, cette taxe a été réduite de 45 euros à 30 euros, dans le but de prendre en compte les ressources souvent modestes des personnes souhaitant accueillir des membres de leur famille à l’occasion des congés ou d’un événement familial.
Nous ne souhaitons pas aller plus loin aujourd’hui. En tout cas, nous ne souhaitons pas supprimer cette taxe purement et simplement, comme vous le proposez, monsieur Yung.
L’avis est défavorable.
Mme la présidente. L'amendement n° 286, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre II du Titre II du livre Ier du code civil est complété par une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« Du parrainage républicain
« Art. 62-2. - Tout citoyen français peut demander à l'officier d'état civil de sa commune de résidence de célébrer son parrainage républicain.
« Pour un enfant mineur, le père ou la mère de l'enfant peut demander à l'officier d'état civil de la commune de résidence de l'enfant de célébrer ce parrainage. L'accord des deux parents est nécessaire.
« L'officier d'état civil est tenu de célébrer publiquement le baptême, et ce dans le délai de trois mois à compter de la demande du parrainage. »
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Cet amendement vise à instaurer et, au fond, à codifier le parrainage républicain, que nous considérons comme étant une belle institution.
Comme vous le savez, mes chers collègues, il existe un baptême républicain pour les enfants et un parrainage républicain pour les adultes, ce dernier permettant d’ailleurs de faciliter l’intégration.
Je connais plusieurs mairies dans lesquelles on pratique le parrainage républicain. L’étranger entrant dans la communauté nationale dispose d’un référent volontaire, qui peut l’aider à mieux s’intégrer dans la cité.
Les attendus qui accompagnent le texte de l’amendement étant assez clairs, je ne les commenterai pas.
Je précise néanmoins que ce parrainage républicain n’a jamais bénéficié d’un encadrement législatif et que, par conséquent, il peut varier selon le bon ou mauvais vouloir des élus. Ceux-ci refusent même parfois de le pratiquer, n’en ayant jamais entendu parler.
De plus, n’étant fondée sur aucun texte, la cérémonie est elle-même soumise à la libre inspiration des élus, qui, souvent, lui donnent un caractère solennel en faisant un discours sur les valeurs républicaines.
Enfin, le parrainage républicain n’est pas un acte d’état civil et n’est pas inscrit sur les registres d’état civil.
C’est pourquoi nous vous proposons de codifier le parrainage républicain pour apporter notre pierre à la politique d’intégration.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il est défavorable, au motif qu’il n’y a pas de lien direct entre cet amendement et le texte que nous examinons aujourd’hui.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Cet amendement tend à consacrer dans le code civil l’existence du parrainage républicain.
On peut comprendre le souhait de certains, toutes familles politiques confondues d’ailleurs, de donner davantage de relief à cette cérémonie qui manifeste l’une des valeurs essentielles de notre République, la fraternité. Cette cérémonie, si elle est célébrée dans le respect de la République et de ses symboles, peut faire sens pour tous nos citoyens.
Toutefois, je ne suis pas persuadé que telle soit véritablement l’intention des auteurs de cet amendement…
Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est de la suspicion !
M. Philippe Richert, ministre. On peut se demander s’il n’est pas davantage question d’offrir une tribune aux familles d’étrangers en situation irrégulière afin de faire échec à l’application de la loi. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
La démarche correspondrait donc plus à une instrumentalisation du parrainage républicain, dont les illustrations sont malheureusement régulières, et ne peut recevoir l’aval du Gouvernement.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.
Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen des amendements tendant à insérer un article additionnel après l’article 5.
Articles additionnels après l'article 5 (suite)
M. le président. L'amendement n° 287, présenté par MM. Patient, Antoinette, S. Larcher, Lise, Gillot, Tuheiava, Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet, avant le 31 décembre 2011, un rapport sur la non-scolarisation importante en Guyane et ses effets sur les finances des collectivités.
La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.
M. Jean-Étienne Antoinette. La Guyane est un territoire où se posent avec une très forte acuité les questions liées à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. La mission sénatoriale d’information sur les DOM estimait dans son rapport « le nombre d’étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire des DOM à environ 59 000 » et jugeait que, « à elle seule, la Guyane représente les deux tiers de ce volume, avec 40 000 étrangers en situation irrégulière estimés, soit environ 20 % de la population du département ».
Les élus doivent faire face à cette immigration et relever un certain nombre de défis, parmi lesquels l’intégration inévitable de ces nouvelles populations. Dans cette perspective, l’accès à l’éducation pour tous est une condition préalable.
On le sait bien : l’éducation est un vecteur indispensable de socialisation. Or, en dépit du caractère obligatoire de la scolarisation, avec ou sans papiers, on constate en Guyane un fort taux de non-scolarisation d’enfants de parents sans papiers arrivés du Brésil, du Surinam ou des Caraïbes.
L’observatoire de la non-scolarisation dénombrait plus de 3 000 enfants non inscrits à l’école dans le département de la Guyane, qui comptait 26 454 élèves de primaire en 2009. La HALDE, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, a d’ailleurs mis en évidence certains problèmes et pointé du doigt plusieurs collectivités qui ne respectaient pas la loi en la matière. Toutefois, le problème est plus complexe.
Il apparaît que l’un des premiers obstacles à la scolarisation reste la construction de nouveaux établissements scolaires. Or les collectivités territoriales, dont les finances sont exsangues, éprouvent de plus en plus de difficultés à faire face aux besoins croissants de nouvelles constructions scolaires.
Je rappelle que la population scolaire, notamment dans le premier degré, a doublé en dix ans. Dans certaines parties du territoire, en particulier dans l’ouest, le taux de croissance annuel est de 4 % à 5 %, voire de 8 % pour certains établissements situés près de Saint-Laurent du Maroni.
L’importance de ce problème, qui avait été abondamment soulignée par la mission sénatoriale sur les DOM, rend nécessaire la remise d’un rapport présentant des mesures efficaces pour garantir à tous les enfants de Guyane une scolarisation normale et régulière, telle qu’elle devrait exister partout dans la République française.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je conçois tout à fait que le sujet abordé ici soit important et difficile. Toutefois, en ce qui concerne les rapports demandés au Gouvernement, la commission des lois a une jurisprudence constante : plutôt que de réclamer des documents supplémentaires, elle préfère que soient sollicitées directement les missions de contrôle traditionnelles du Parlement.
J’émets donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Monsieur le sénateur, il s'agit là, en effet, d’un problème important pour la Guyane. Ce département, vous le savez mieux que moi, est confronté à une forte poussée démographique, liée en particulier à l’immigration, qui suscite bien des difficultés.
J’ai pu constater, lors de mon dernier déplacement à Saint-Laurent du Maroni, que la scolarisation des enfants posait un véritable problème en Guyane ; il est exact qu’un effort particulier doit être accompli dans ce domaine.
C’est la raison pour laquelle, vous le savez, nous avons inscrit dans le budget pour 2011 des crédits de plus de 5 millions d’euros pour permettre aux collectivités de construire les établissements scolaires nécessaires.
Au travers de votre amendement, vous demandez la réalisation d’un rapport supplémentaire. Toutefois, monsieur le sénateur, cette question peut tout à fait être abordée dans le cadre de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’outre-mer.
De même, puisque vous faites le lien entre ce problème et les finances des collectivités locales en outre-mer, je vous rappelle qu’un rapport demandé sur ce thème par différentes missions parlementaires doit être examiné prochainement par la représentation nationale.
Dès lors, plutôt que de réclamer un rapport de plus, je crois que vous pourriez aborder cette question dans le cadre des travaux de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’outre-mer, à laquelle appartient d'ailleurs votre collègue Georges Patient. Cette démarche serait plus opportune car, à l’évidence, la disposition que vous proposez ne semble pas nécessaire au regard des mécanismes d’évaluation qui ont déjà été mis en place.
Je vous invite donc à retirer cet amendement.
M. le président. Monsieur Antoinette, l'amendement n° 287 est-il maintenu ?
M. Jean-Étienne Antoinette. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 287 est retiré.
Article 5 bis
(Non modifié)
La première phrase du cinquième alinéa de l’article L. 225-102-1 du code de commerce est complétée par les mots : « et en faveur de la lutte contre les discriminations et de la promotion de la diversité ».
M. le président. L'amendement n° 290, présenté par Mme Khiari, MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, MM. Guérini et Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après le mot :
discriminations
insérer les mots :
directes et indirectes
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. En répondant hier aux orateurs qui s’étaient exprimés dans la discussion générale, et notamment à David Assouline, M. Hortefeux regrettait que nous ne parlions pas des personnes en situation régulière présentes sur notre sol. Voici justement une série d’amendements qui visent celles-ci, ainsi que les discriminations dont elles sont encore trop souvent l’objet.
Nous estimons qu’il est louable de vouloir inciter les entreprises à travailler sur ces questions complexes et difficiles. Néanmoins, si nous souhaitons être efficients, autant faire preuve de la plus grande rigueur. Or l’article 5 bis est trop imprécis, me semble-t-il.
Quand on évoque la lutte contre les discriminations, on pense régulièrement aux discriminations directes, c'est-à-dire qui sont constatables assez aisément et qui concernent les restrictions d’accès à l’emploi. À titre d’exemple, le tri des CV selon la couleur de peau ou le genre constitue une discrimination directe ; en agissant ainsi, on empêche une personne cherchant un emploi de défendre sa candidature devant un recruteur. C’est une entrave à l’embauche directe.
Ces discriminations sont connues, désormais, et la nécessité d’œuvrer à leur disparition fait l’objet d’un relatif consensus. Il est vrai qu’il est difficile de les nier, tant un simple testing permet de les mettre en évidence.
Toutefois, il est d’autres types de discriminations qui sont plus subtiles et plus discrètes, mais non moins préoccupantes dans leurs conséquences humaines et sociales : les discriminations indirectes.
De fait, il s’agit là non plus de restreindre l’accès à l’emploi des personnes visées, mais de freiner leur progression, que ce soit pour les postes à occuper ou pour les salaires dans l’entreprise. Cette pratique a été popularisée sous le doux vocable de « plafond de verre ». Les femmes en furent les premières victimes, mais elles sont loin d’en avoir le monopole.
Les discriminations indirectes sont tout autant problématiques que celles qui sont directes. Elles minent les personnes qui en souffrent, en leur donnant l’impression que leur travail n’est pas suffisamment reconnu et que leur place dans l’entreprise fait débat. Elles sont d’autant plus cruelles que, si l’employé peut avoir l’impression d’être discriminé, il lui est difficile de le prouver.
En effet, ces discriminations demandent une observation fine, sur le long terme, des carrières des personnes visées et de l’évolution de leurs salaires. Les dernières affaires jugées mettaient en évidence des discriminations menées sur trente ans de carrière.
L’ampleur des dossiers à constituer et la difficulté de réunir toutes les preuves possibles font que nombre de cas en restent au stade du sentiment de discrimination et ne sont pas portés devant les tribunaux. Il nous semble nécessaire de remédier à cette situation en sensibilisant les entreprises à cette question. Il s’agit là d’un premier stade indispensable avant la mise en place de sanctions fermes et dissuasives destinées à faire cesser ces pratiques.
Il nous paraît donc plus judicieux de mentionner dans le projet de loi les deux types de discriminations, directes et indirectes, pour affirmer la volonté du législateur de traiter l’ensemble du problème et de veiller à l’attention équivalente des entreprises à ces questions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission des lois a émis un avis défavorable sur cet amendement. En effet, cette précision rédactionnelle nous paraît totalement inutile, dès lors que le terme générique de « discrimination » doit être entendu dans tous les sens possibles, qu’il s’agisse de pratiques directes ou indirectes.
Par conséquent, nous maintenons l’avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Comme l’a souligné M. le rapporteur, cette disposition nous paraît inutile : mentionner les discriminations directes ou indirectes n’apporterait rien de plus au texte.
Madame la sénatrice, je vous propose donc de retirer votre amendement.
M. le président. Madame Khiari, l'amendement n° 290 est-il maintenu ?
Mme Bariza Khiari. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 289, présenté par Mme Khiari, MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, MM. Guérini et Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Remplacer les mots :
de la diversité
par les mots :
des diversités
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Le présent article pèche par une rédaction partielle. En effet, l’usage du singulier pour le mot « diversité » prête à confusion et ouvre la voie à une interprétation très restrictive de son sujet d’étude.
Trop souvent, on utilise le terme « diversité » pour signifier « diversité ethnoculturelle » et renvoyer les entreprises à la nécessité de prendre en compte dans leur recrutement les personnes issues de l’immigration.
C’est là une interprétation fâcheuse, car la promotion des diversités recouvre des champs d’application bien plus vastes, comme nous le montrerons. Le présent article semble lui aussi donner dans ce travers, puisqu’il est issu d’un texte portant sur l’immigration et l’intégration. Autant dire que le prisme ethnoculturel est fortement sollicité et que l’on semble ici vouloir le privilégier aux dépens des autres.
En ce sens, nous aurions préféré que cet article figure dans un texte portant sur la lutte contre les discriminations en général. En effet, une telle configuration aurait difficilement autorisé une interprétation limitée.
Madame la ministre, puisque vous semblez vouloir faire figurer dans un tel projet de loi cette obligation d’un rapport sur les actions des entreprises en faveur de la promotion des diversités, autant faire en sorte que ce document soit le plus complet possible et ne ressemble pas à une formalité remplie trop rapidement.
Certes, l’intégration des personnes issues de l’immigration est une question essentielle, qui doit faire l’objet d’une attention importante des acteurs publics. Toutefois, parler de diversité, notamment dans les entreprises, c’est mettre l’accent sur un domaine d’action très vaste, qui comprend tant la dimension ethnoculturelle que les questions du genre, du handicap, de la préférence sexuelle, entre autres.
Ces questions se recoupent, parce que les processus discriminatoires à l’œuvre dans chacune de ces catégories sont similaires et renvoient à une problématique semblable : l’intégration de la différence.
Dès lors, il nous semble plus judicieux d’user du pluriel et d’évoquer les diversités plutôt que d’en rester à un usage du singulier qui pourrait laisser croire que la seule diversité visée est ethnoculturelle.
D’une part, il convient en effet d’avoir une approche globalisante, qui ne laisse personne de côté. D’autre part, on voit mal ce qui pourrait justifier une particularisation de la diversité ethnoculturelle par rapport aux autres. Puisque les processus discriminatoires sont semblables, il apparaît logique de les considérer globalement.
Aussi, nous suggérons de remplacer le mot « diversité » au singulier par le mot « diversités » au pluriel, de manière à inciter les entreprises à traiter de l’ensemble de ces questions, plutôt que d’en avoir une interprétation limitative. C’est l’ensemble des thématiques qu’il convient de traiter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.
L’explication est de même nature que pour l’amendement précédent : les concepts et les termes généraux s’écrivent traditionnellement au singulier. La notion de diversité renvoie bien à toutes les formes de diversités, sans distinction.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le terme « diversité » peut englober toutes les diversités. Cependant, je peux comprendre, madame la sénatrice, votre volonté d’élargir le concept de diversité à toutes les situations.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement n’a pas d’objection particulière à opposer à cet amendement, auquel il donne un avis favorable.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je voterai bien volontiers cet amendement. D’abord, je ne vois pas ce qu’il change. Ensuite, dans la mesure où nous avons été appelés à voter un texte sur les outre-mer, pourquoi ne ferions-nous pas de même pour les diversités ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On va tout mettre au pluriel maintenant !
M. David Assouline. Et au féminin !
M. le président. L'amendement n° 288, présenté par Mme Khiari, MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, MM. Guérini et Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Après le sixième alinéa du même article sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Des informations erronées ou lacunaires, susceptibles d'induire une mauvaise appréciation sur les activités et les risques de l'entreprise, sont fautives et engagent la responsabilité des dirigeants et du conseil d'administration. Ces fautes sont sanctionnées par le juge et, pour les sociétés cotées, par l'Autorité des marchés financiers.
« Lorsque le rapport annuel ne comprend pas les mentions prévues par le présent article ou des informations inexactes, les associations minoritaires d'actionnaires visées à l'article L. 225-120, les syndicats professionnels visés à l'article L. 2132-3 du code du travail, le comité d'entreprise et les associations agréées de protection de l'environnement au plan national au titre de l'article L. 141-1 du code de l'environnement, peuvent demander au tribunal d'enjoindre sous astreinte au conseil d'administration ou au directoire, selon le cas, de leur communiquer ces informations, de supprimer les informations inexactes, de compléter le rapport annuel avant l'assemblée générale et de procéder à une nouvelle diffusion auprès des actionnaires. Cette mesure peut être ordonnée par le président du tribunal statuant en référé en application de l'article L. 238-1 du code de commerce. »
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. C’est avec satisfaction que le groupe socialiste constate qu’un combat qu’il mène depuis longtemps se voit aujourd’hui couronné de succès.
Nous avons fait mention à de multiples reprises de la nécessité d’imposer aux entreprises une réflexion sur les discriminations et les moyens de lutter contre ces pratiques par le biais, notamment, d’une obligation de remettre un rapport annuel traitant de ces questions et d’autres thèmes sociaux. Ce rapport faisait ainsi office de bilan social de l’entreprise, lui permettant de cibler des domaines où elle se trouvait en retrait.
Longtemps, vous avez considéré avec une nuance de mépris tous les amendements que nous déposions sur ce thème lors des discussions de textes ayant trait à des questions proches, comme si nous étions de doux rêveurs cherchant à empêcher nos braves entreprises de travailler correctement. Voici que vous nous rejoignez ; il était plus que temps !
Cependant, notre joie est teintée d’amertume. Le choix de ce véhicule législatif pour porter le présent article n’est guère judicieux. Alors que la tendance forte de ce projet de loi est de réduire encore davantage les droits des étrangers, de rendre toujours plus difficile leur présence sur notre territoire, il est curieux d’y voir figurer un encart incitant les entreprises à être soucieuses de lutter contre les discriminations. Certes, nous souscrivons à cette disposition car elle va dans le bon sens, mais c’est une bien maigre consolation face à tant de recul.
Cela est d’autant plus vrai que rien dans la rédaction actuelle ne vient sanctionner les entreprises en cas de non-remise, ou de réalisation incomplète ou erronée, du rapport.
À croire qu’il suffirait que ce dernier soit mentionné dans la loi pour qu’il soit automatiquement rédigé. Nous savons tous pourtant que certains acteurs économiques sont peu sensibles à la lutte contre les discriminations.
Sans possibilité de sanctions, cette mesure restera lettre morte dans la plupart des cas alors que la lutte contre les discriminations, véritables morts sociales, doit être une priorité pour notre pays. Nous ne pouvons avoir l’égalité pour devise sur le fronton de nos mairies et laisser perdurer un traitement inégal des personnes.
Des mesures simples s’imposent, comme ce bilan social incluant une dimension de lutte contre les discriminations, ainsi que vous le préconisez.
Cependant, nous considérons qu’il faut aller plus loin en leur donnant un caractère contraignant. On ne peut constamment s’en remettre à la bonne volonté des acteurs. Une loi ne prévoyant pas de possibilité de sanction est purement déclaratoire. Il est difficile de l’accepter.
Aussi, nous proposons qu’en l’absence de rapport, les personnes physiques ou morales ayant intérêt à agir puissent contraindre l’entreprise à s’exécuter, faute de quoi elle pourrait être l’objet de sanctions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement, qui vise à créer une sanction en cas de défaut d’information dans le rapport annuel, présente un vrai risque d’inconstitutionnalité, faute de définir avec précision le champ de la sanction et la peine encourue.
Par ailleurs, s’il pourrait être effectivement justifié, pour les informations les plus sensibles, de prévoir des sanctions pénales ou de conférer au juge un vrai pouvoir d’injonction, il convient, pour les autres informations, de s’appuyer tout simplement sur les mécanismes internes de responsabilités des dirigeants à l’égard de l’assemblée générale des actionnaires.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. On peut considérer que cet amendement est effectivement hors du champ de ce projet de loi et relève davantage de l’organisation interne des entreprises. En outre, il ne me semble pas que cet aspect relève vraiment du rôle de l’Autorité des marchés financiers.
Pour cette raison, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 5 bis, modifié.
(L'article 5 bis est adopté.)
Articles additionnels après l'article 5 bis
M. le président. L'amendement n° 291 rectifié, présenté par Mme Khiari, MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, MM. Guérini et Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 5 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Le code du travail est ainsi modifié :
1° À l'article L. 1132-1, après les mots : « nom de famille », sont insérés les mots : «, de son lieu de résidence » ;
2° Le chapitre III du titre III du livre Ier de la première partie est complété par un article L. 1133-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 1133-5. - Les mesures prises en faveur des personnes résidant dans certaines zones géographiques et visant à favoriser l'égalité de traitement ne constituent pas une discrimination. »
II. - Le code pénal est ainsi modifié :
1° L'article 225-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « patronyme, », sont insérés les mots : « de leur lieu de résidence, » ;
b) Au second alinéa, après le mot : « patronyme, », sont insérés les mots : « du lieu de résidence, » ;
2° L'article 225-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les mesures prises en faveur des personnes résidant dans certaines zones géographiques et visant à favoriser l'égalité de traitement ne constituent pas une discrimination. »
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Les discriminations aboutissent à rejeter des individus, à les exclure du système normal, à les reléguer dans un sous-statut en les différenciant du reste de la société. En cela, le rôle du législateur est nécessairement d’œuvrer à leur disparition, parce que cela permet l’émergence d’une société pacifiée et réconciliée.
La difficulté de la tâche qui nous incombe est à la mesure, notamment, de la complexité des processus discriminatoires. Pour lutter efficacement contre les discriminations, il faut pouvoir les caractériser, les nommer et les définir. Or, si le modèle est similaire d’une discrimination à l’autre, son objet peut changer du tout au tout. Dès lors, il devient difficile d’établir une liste précise des discriminations possibles tant leur variété peut étonner.
Cette liste est pourtant fondamentale. Sans elle, il est difficile de faire condamner les pratiques discriminatoires, puisque l’on aura tôt fait de nous répondre que la pratique visée ne correspond nullement à une discrimination réelle.
Pour sortir de cette impasse, il convient donc d’établir une liste souple pouvant évoluer avec le temps. Ainsi, il sera possible de l’enrichir si l’on constate de nouvelles pratiques.
C’est précisément ce qui se produit aujourd’hui. Des observations fines tendent à montrer que la provenance géographique des candidats à un poste constitue parfois un critère de sélection alors qu’il traduit une discrimination pure et simple.
Nombreux sont les témoignages de personnes cherchant un métier qui affirment masquer leur adresse réelle par crainte de ne pouvoir décrocher un entretien. Ces personnes confient avoir déjà eu des réflexions désobligeantes sur leur lieu de résidence de la part d’employeurs potentiels qui estiment que les agissements d’une minorité doivent nécessairement caractériser l’ensemble des habitants du quartier visé. Pour éviter toute stigmatisation, bien souvent les personnes en quête d’un emploi rusent en indiquant d’autres adresses que la leur.
En d’autres termes, venir d’une cité constitue un handicap supplémentaire pour certains candidats dans leur recherche d’emploi. Avant même de juger la personne sur place en fonction de ses diplômes, de sa prestance, de son aptitude à effectuer le travail, on préfère écarter ceux qui n’ont pas le bonheur de vivre dans un espace dit habituel.
Nous ne pouvons pas accepter ces pratiques ni de tels discours, qui ghettoïsent encore davantage des territoires peu favorisés de notre pays. C’est avec fermeté qu’il faut répondre en faisant de la discrimination géographique un délit.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement vise à interdire les discriminations fondées sur le lieu de résidence de la personne. C’est en effet un sujet important.
Il prend en compte la forme de discrimination détournée que constitue, pour certains employeurs, le fait d’écarter les candidats à un poste en raison de leur lieu de résidence, en estimant que ce dernier donne une indication sur leur niveau social, leur origine ou leur nationalité.
Cependant, l’objectif visé semble déjà satisfait par le droit en vigueur : la pratique décrite tombe d’ores et déjà sous le coup des dispositions de l’article L. 225–1 du code pénal dans la mesure où il s’agit d’une discrimination fondée sur l’origine de la personne, puisque la mention du lieu de résidence ne sert qu’à donner une indication stigmatisante sur sa condition sociale ou son origine.
En outre, il est des cas où le lieu de résidence du candidat à un poste peut constituer a contrario un critère pertinent pour privilégier une candidature, sans qu’entrent en compte l’origine sociale ou la nationalité de l’intéressé.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. J’ajoute à ce que vient de dire M. le rapporteur que la notion de « lieu de résidence » est trop imprécise et laisse place à une appréciation subjective.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis favorable.
M. le président. L'amendement n° 293, présenté par MM. Yung, Rebsamen, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 5 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 30 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Sauf le cas de fraude manifeste dont la preuve incombe à l'autorité administrative, la nationalité française d'une personne titulaire d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport est réputée définitivement établie. »
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Si vous le permettez, monsieur le président, je présenterai en même temps les amendements nos 293 et 294, car ils sont issus d’une réflexion résultant de la même expérience.
M. le président. J’appelle donc en discussion l'amendement n° 294, présenté par MM. Yung, Rebsamen, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, et ainsi libellé :
Après l'article 5 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 30 du code civil est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« La première délivrance d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport certifie l'identité et la nationalité de son titulaire. Les mentions relatives à l'identité et à la nationalité inscrites sur ces derniers font foi jusqu'à preuve du contraire par l'administration.
« L'alinéa précédent est applicable aux demandes de renouvellement de carté d'identité et de passeport en cours d'instruction, ainsi qu'aux recours administratifs et contentieux pour lesquels une décision définitive n'est pas encore intervenue. »
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Richard Yung. C’est notamment notre expérience de sénateurs représentant les Français établis hors de France qui nous a conduits à formuler cette proposition.
En effet, près de la moitié des dossiers que nous suivons concernent des cas de refus de renouvellement de carte d’identité ou de passeport, ou de doutes émis concernant ces titres, en particulier dans les consulats, en considération de critères éminemment variables, comme le nom ou le lieu de naissance.
Les consulats demandent alors aux personnes concernées, la plupart du temps déjà titulaires d’une carte d’identité ou d’un passeport, de produire un certificat de nationalité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai ! C’est là que le bât blesse !
M. Richard Yung. C’est alors une croisade sans espoir ni retour. Pour l’établissement de ce document, ces personnes doivent s’adresser au greffe du tribunal d’instance du premier arrondissement de Paris et au célèbre « Château des rentiers » – rue du Château des rentiers –, où, dans un tonneau des Danaïdes sans fond, quasiment toutes les demandes disparaissent. Parfois, une réponse arrive au bout de deux ans, mais de façon très aléatoire.
Ainsi, des personnes sont privées de la possibilité de renouveler leur titre, simplement parce qu’un fonctionnaire un peu méfiant se tenait au guichet le jour où elles ont présenté leur demande de renouvellement.
Le problème est connu, et je pense que mes collègues interviendront dans le même sens. Le président de la commission des lois y est d’ailleurs bien sensibilisé.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
M. Richard Yung. D’ailleurs, Christian Cointat, Yves Détraigne et moi-même avions rédigé voilà quelques années un rapport d’information sur la question. Mais tous les rapports disparaissent dans les tiroirs, et rien ne se passe !
Je dois cependant à la vérité de dire qu’il y a un peu moins d’un an, le ministre de l’intérieur et le ministre des affaires étrangères de l’époque avaient adressé une circulaire commune aux consulats et aux préfectures, rappelant aux fonctionnaires qu’il n’y avait pas lieu de demander un certificat de nationalité à ceux qui présentaient une carte d’identité ou un passeport régulièrement établis.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà !
M. Richard Yung. C’est un principe simple, et cette circulaire a été suivie de quelques effets, mais son incidence reste ponctuelle et marginale.
Par conséquent, nous proposons de graver dans le marbre de la loi deux dispositions. La première, très claire, visée par l’amendement n° 293, est ainsi libellée : « Sauf le cas de fraude manifeste dont la preuve incombe à l’autorité administrative, la nationalité française d’une personne titulaire d’une carte nationale d’identité ou d’un passeport est réputée définitivement établie. »
La seconde, présentée par l’amendement n° 294, est la suivante : « La première délivrance d’une carte nationale d’identité ou d’un passeport certifie l’identité et la nationalité de son titulaire. Les mentions relatives à l’identité et à la nationalité inscrites sur ces derniers font foi jusqu’à preuve du contraire. » Cette mesure est destinée à faciliter les demandes de renouvellement de carte d’identité et de passeport.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La charge de la preuve de la nationalité incombe à celui dont la nationalité est en cause. Par exception, l’intéressé doté d’un certificat de nationalité est présumé avoir cette nationalité, jusqu’à preuve contraire.
L’amendement n° 293, qui a déjà été présenté lors de la discussion sur la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, tend à remplacer une présomption simple par une présomption irréfragable, qui ne pourrait plus être contestée. Une telle présomption est contraire à l’esprit des dispositions de l’article 30 du code civil.
Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable.
L'amendement n° 294 est un amendement de repli qui vise à substituer une présomption simple à la présomption irréfragable prévue à l’amendement n° 293.
Cependant, la disposition en cause relève plutôt du domaine réglementaire et elle est satisfaite par l’article 2 du décret n° 2000-1277 du 26 décembre 2000 portant simplification administrative et suppression de la fiche d’état civil. Cet article prévoit en effet d’ores et déjà que la carte nationale d’identité et le passeport prouvent la nationalité de leur titulaire dans ses relations avec l’administration.
Les difficultés qui subsistent tiennent à une mauvaise application de la réglementation, à laquelle M. le garde des sceaux, lors de la discussion de la proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, s’est engagé, au nom du Gouvernement, à porter remède.
Sur le fond, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 294. Toutefois, il serait utile que Mme la ministre apporte des éclaircissements sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le certificat de nationalité française possède une force probante pour démontrer qu’une personne a la nationalité française.
Nous avons bien conscience des difficultés qui peuvent survenir, notamment au moment du renouvellement des cartes nationales d’identité et des passeports. Un décret a été pris au mois de mai 2010 et une circulaire qui vient d’être complétée par une deuxième circulaire a été adressée à l’ensemble des préfets pour rappeler la nécessité d’alléger les procédures.
Par conséquent, il n’y pas de raison de donner suite aux amendements nos 293 et 294. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je crois que l’on progresse.
Monsieur Yung, vous évoquez le cas des Français établis hors de France. Mais cela concerne tous les Français nés à l’étranger !
M. Richard Yung. Oui !
Mme Nathalie Goulet. C’est exact !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En effet, vous connaissez les problèmes que connaissent ces derniers, qui dépendent des services de l’état civil de Nantes.
Et en plus, il est souvent demandé un certificat de nationalité française
Madame la ministre, nous avions fait état de tous ces problèmes dans un rapport – les rapports de la commission des lois n’ont pas vocation à finir au fond d’un tiroir ! – et avions formulé des recommandations pour améliorer la situation.
Toutes ces procédures dépendent du tribunal d’instance du premier arrondissement de Paris.
Un extrait de naissance est demandé aux Français qui établissent pour la première fois un passeport ou une carte nationale d’identité ou qui, au moment du passage des anciens titres aux nouveaux, ont demandé le renouvellent de ces documents.
Je peux évoquer mon cas personnel : on a failli me demander un certificat de nationalité, parce que mon nom n’avait pas une consonance très familière. Rassurez-vous, cela m’est complètement égal. (Sourires.)
M. Louis Mermaz. C’est moins répandu que Dupont ou Durand !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est un nom du Gâtinais, que les agents des services de l’état civil ne connaissent pas forcément et qui leur semble étranger.
Madame la ministre, le problème, c’est que nos concitoyens attendent quelquefois deux ans ...
M. Richard Yung. Même plus !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. ... ou trois ans, pour obtenir un certificat de nationalité française, ce qui leur interdit pendant ce délai d’avoir un passeport ou une carte nationale d’identité.
C’est absurde ! C'est la raison pour laquelle nous avions d’abord demandé que cette procédure relève du tribunal d’instance de Nantes. Mais celui-ci semble avoir des problèmes.
M. David Assouline. Des problèmes d’effectifs ! Voilà ce qui se passe quand on remplace un fonctionnaire sur deux !
Mme Éliane Assassi. Manque de fonctionnaires !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non, c’est un problème de magistrats ! Pourtant, leur nombre a augmenté !
M. Richard Yung. Mais pas dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Madame la ministre, nous touchons au cœur du problème ! Pour nos concitoyens qui attendent dix-huit mois un document, la situation est insupportable !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Exactement !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. N’ayant pas de passeport, ils ne peuvent bien évidemment pas voyager !
Nous avons alerté le garde des sceaux, qui a pris un engagement, comme l’avait fait son prédécesseur et, avant lui, le prédécesseur de son prédécesseur ! Nous commençons à trouver le temps long. Il faut régler ce problème qui est terrible pour nos concitoyens, qu’il s’agisse des Français établis hors de France ou de ceux qui sont nés à l’étranger.
M. Christian Cointat. Tout à fait !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je voterai ces deux amendements.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela ne résoudra pas le problème ! Juridiquement, ce n’est pas possible !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cela ne tient pas !
Mme Nathalie Goulet. Je peux citer l’exemple d’une personne, dans mon département, à qui l’on a demandé un certain nombre de documents, notamment un extrait de naissance, alors qu’elle était née dans un village à la frontière russo-polonaise qui aujourd'hui n’existe plus. Il a fallu une demi-page dans Ouest-France révélant que l’on refusait à un ancien déporté survivant un passeport pour que le préfet revoie son jugement.
J’entends bien les arguments de M. le président de la commission des lois et je suis sensible aux efforts de nos collègues. Toutefois, si nous prenions une décision en la matière, peut-être parviendrions-nous à régler cette question d’une façon plus rapide et plus humaine. Je rappelle que le problème concerne des individus qui, à un moment ou à un autre, ont détenu un passeport ou une carte nationale d’identité. C’est bien là tout le problème ! C’est au moment où ils ont voulu procéder à leur renouvellement que l'administration a émis des doutes sur les documents initialement délivrés.
À ce moment-là, nous devons nous poser la question de la présomption ! À mon sens, elle doit profiter au citoyen. Il revient à l'administration de se débrouiller pour rassembler les preuves nécessaires au renouvellement des documents en question.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je soutiendrai, moi aussi, ces deux amendements, car la situation est absolument intolérable et inadmissible. Cela fait longtemps que nous en parlons.
J’ai d’ailleurs interrogé Brice Hortefeux à ce sujet au cours de la discussion générale. Il m’a répondu qu’une nouvelle circulaire avait été signée avant-hier, le 1er février. Malheureusement, nous savons que les préfectures ne tiennent pas compte des circulaires.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Nous pouvons tous citer des exemples totalement ubuesques ; j’en ai des dizaines ! Des reportages sur le sujet ont été diffusés, il y en a eu un sur France 2 encore récemment. Pour autant, les choses n’avancent pas.
Je ne fais pas partie de la commission des lois, mais je comprends la position de son président. Cependant, j’insiste : par principe, nous devons donner un signal fort. Peut-être la commission mixte paritaire ne maintiendra-t-elle pas les dispositions que tendent à insérer ces amendements ; il n’en demeure pas moins que nous ne pouvons supporter plus longtemps des agissements qui témoignent d’une suspicion inadmissible envers des personnes de nationalité française ayant eu le malheur de naître hors de nos frontières.
Je terminerai en relatant le cas d’un ancien élu, Croix de guerre, commandeur de la Légion d’honneur, à qui l’on a demandé de faire la preuve de sa nationalité. Imaginez sa réaction ! Décidément, non, cette situation n’est plus acceptable.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mes chers collègues, je vous supplie de ne pas voter l'amendement n° 293, qui tend à instaurer une présomption irréfragable, c'est-à-dire impossible à contester. Cela signifie que les fraudeurs eux-mêmes échapperaient à la sanction !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si l’amendement n° 294 est très imparfait et n’apporterait pas de solution satisfaisante, il est tout de même moins mauvais que le premier. Certes, on peut faire ce que l’on veut, que l’on soit juriste ou non. Mais, monsieur Yung, je vous suggérerais de retirer l'amendement n° 293. Il restera l’autre !
M. le président. Monsieur Yung, l'amendement n° 293 est-il maintenu ?
M. Richard Yung. Je le maintiens, monsieur le président !
Pour répondre aux objections de M. le président de la commission des lois, je me demande s’il ne serait pas possible de modifier l’amendement n° 293, en supprimant le premier membre de phrase : « Sauf le cas de fraude manifeste dont la preuve incombe à l’autorité administrative, ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est pire !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La présomption est irréfragable ! Elle ne souffre aucune exception !
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.
M. Christian Cointat. Le président de la commission des lois a parfaitement expliqué la situation dans laquelle nous nous trouvons. Nous ne pouvons pas rester sans rien faire.
Mes chers collègues, si, comme nous, sénateurs représentant les Français établis hors de France, vous étiez tous les jours confrontés à ces difficultés, qui engendrent de véritables drames humains, vous réagiriez non pas d’une manière juridique mais d’une manière politique. Car, là, c’est une affaire politique !
Si nous voulons que ce projet de loi, qui durcit les conditions pour les immigrés, soit bien perçu par les plus de deux millions de Français établis hors de France, il faut tout de même faire un geste envers eux, qui sont tout à fait sérieux et responsables.
M. David Assouline. Et pas les immigrés ?
M. Christian Cointat. Il faut tout faire pour débloquer leur situation. Imaginez un instant la douleur de quelqu’un qui veut renouveler un passeport ou une carte nationale d’identité et qui, pour toute réponse, s’entend dire qu’il s’appelle d’une drôle de façon, qu’il n’est sûrement pas français et qu’une erreur a dû survenir. C’est abominable. On touche à l’essence même de la citoyenneté. Par conséquent, on ne peut pas rester sans réagir.
Cela dit, l'amendement n° 293 me pose un problème dans la mesure où il tend à préciser que la nationalité est « définitivement établie ». L’adverbe « définitivement » ne me convient pas. S’il est retiré, je voterai cet amendement
En tout état de cause, je voterai l'amendement n° 294, parce qu’il faut lancer un signal fort. Comme l’a rappelé fort justement Joëlle Garriaud-Maylam, les circulaires, c’est très bien, c’est mieux que rien, mais nombreux sont ceux qui ont tendance à les ignorer. En outre, on le sait, les circulaires ont une vie très courte, alors que la loi, elle, dure.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mes chers collègues, je comprends très bien votre volonté d’agir. Je veux bien que l’on distingue les juristes des politiques ! Mais alors, nous pouvons aussi bien nous en aller…
M. Richard Yung. Ne faites pas cela ! (Sourires.)
M. David Assouline. Pas de chantage ! (Nouveaux sourires.)
Mme Bariza Khiari. On ne peut rien faire sans vous ! (Rires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je dis cela à l’intention de mon excellent ami Christian Cointat. C’est vrai que nous sommes parfois des empêcheurs de danser en rond !
M. David Assouline. Entre la commission des lois et la commission des finances, on ne peut plus rien faire !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais si, on fait beaucoup !
En l'occurrence, mes chers collègues, je vous propose de demander que le Sénat se prononce en priorité sur l'amendement n° 294, qui me semble plus applicable. Son adoption rendrait l'amendement n° 293 sans objet.
Monsieur le président, je vous soumets donc cette demande de priorité, au nom de la commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur la demande de priorité formulée par la commission ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Je comprends qu’il faille trouver un juste équilibre pour aider nos concitoyens qui se trouvent dans une situation insupportable.
Certes, une circulaire n’a pas la force d’une loi, mais la dernière circulaire ne date que du 1er février ! En outre, on prend un risque trop grand en proposant un autre dispositif. Il faut faire attention aux possibilités de fraude.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Arrêtez cette suspicion systématique !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Nous sommes face à un sujet trop complexe pour le traiter ainsi.
Je maintiens donc l’avis défavorable du Gouvernement sur les amendements nos 293 et 294.
Cela dit, le Gouvernement émet un avis favorable sur la demande de priorité.
M. le président. La priorité est de droit.
La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote sur l'amendement n° 294.
M. David Assouline. Je souhaite réagir à l’intervention de M. Christian Cointat.
Nous partageons l’émotion de nos collègues face aux tracasseries absolument insupportables que peuvent subir nos concitoyens français. Toutefois, monsieur Cointat, vous demandez que nous accomplissions en quelque sorte un geste en faveur des Français établis hors de France ou nés à l’étranger pour mieux leur faire accepter l’ensemble des difficultés que créera ce texte aux étrangers et aux immigrés.
Franchement, mon cher collègue, ce n’est pas agir dans le souci de l’intérêt général ! De tels propos sont étonnants dans la bouche d’un parlementaire, dont on attend plutôt qu’il obéisse aux principes. Vraiment, monsieur Cointat, j’aurais aimé que vous invoquiez d’autres arguments.
Nous, nous nous intéressons à l’intérêt de nos concitoyens et de la France, et nous déployons toute notre énergie pour éviter les tracasseries supplémentaires. Votre idée selon laquelle les contraventions à la loi doivent être endiguées par le renforcement de législation rend la situation insupportable, non pas pour les quelques fraudeurs mais pour les millions de citoyens qui ne fraudent pas. En ce qui concerne les immigrés, c’est exactement la même chose. Parce qu’il faut empêcher les fraudes, on ajoute une loi supplémentaire, une loi qui rend la vie des étrangers en situation régulière insupportable quand ils veulent faire refaire un papier ou prouver qu’ils habitent en France alors qu’ils ont un contrat de travail depuis tant d’années.
Je voudrais que l’ensemble de l’hémicycle soit autant ému par les tracasseries que subissent les Français quand ils doivent faire la preuve de leur nationalité que par les étrangers qui veulent pouvoir vivre tranquillement sans être considérés en permanence comme des fraudeurs.
Je voulais faire cet éclaircissement pour appeler l’ensemble de mes collègues à plus d’ouverture et de générosité envers ceux pour qui nous légiférons.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 5 bis.
Dans ces conditions, vous retirez l'amendement n° 293, monsieur Yung ?
M. Richard Yung. Je suis sensible à l’argument de mon collègue Christian Cointat et je suis prêt à modifier l’amendement n° 293 en supprimant le terme « définitivement ». Je comprends les problèmes que son maintien pourrait poser juridiquement.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Franchement, les préoccupations que vous avez exprimées sont largement satisfaites par l'amendement n° 294. D’ailleurs, vous avez dit vous-même que l’un de ces amendements était de repli par rapport à l’autre.
Je vous rappelle qu’il faut faire très attention à ce que l’on fait parce qu’il y a aussi des milliers de gens qui se voient privés de leur identité du fait d’usurpations ou de fraudes. C’est un fait. Votre dispositif, qui a été voté par le Sénat, me paraît tout à fait suffisant puisque, dès lors que la première délivrance de document a été faite, on ne peut plus revenir dessus. Restons-en là pour ce soir ; je vous supplie de retirer votre amendement.
M. David Assouline. Vous étiez contre les deux tout à l’heure !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. J’étais beaucoup plus hostile à l'amendement n° 293.
M. Richard Yung. Je me rends ! Je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° 293 est retiré.
Titre II
DISPOSITIONS RELATIVES À L’ENTRÉE ET AU SÉJOUR DES ÉTRANGERS
Chapitre Ier
Dispositions relatives à la zone d’attente
Article 6
Après le premier alinéa de l’article L. 221-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’il est manifeste qu’un groupe d’au moins dix étrangers vient d’arriver en France en dehors d’un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres situés à proximité d’une frontière maritime ou terrestre, la zone d’attente s’étend, pour une durée maximale de vingt-six jours, du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu’au point de passage frontalier le plus proche. »
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. Nous assistons à un véritable ballet au banc du Gouvernement digne du Châtelet, probablement parce que les ministres veulent se passer et se repasser le mistigri. Nous ne savons pas qui nous verrons mardi… Nous finirons par voir tout le Gouvernement !
Le 17 février 2001, l’East Sea échoue sur les côtes varoises. Le Préfet crée la première zone d’attente ad hoc à proximité. Le tribunal administratif de Nice annule cet arrêté, cette zone d’attente ne pouvant pas exister puisque, d’après les lois en vigueur, elle devait être à proximité ou dans une gare ferroviaire, un port ou un aéroport. M. Sarkozy étant alors ministre de l’intérieur, la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité va tenir compte de ce que le Préfet s’était trouvé, à son corps défendant, dans l’illégalité pour prévoir que l’on pourrait désormais créer des zones d’attente à proximité des lieux de débarquements.
En janvier 2010, 123 Kurdes ayant échoué sur les rivages de Corse n'ont pas été placés en garde à vue mais ont été dirigés sur un gymnase, qui a donc fonctionné comme une zone d'attente de facto. Une fois ces personnes transférées dans des centres de rétention administrative sur le continent, trois juges des libertés et de la détention considèrent, appliquant les lois en vigueur, qu’elles ont été, de ce fait, privées illégalement de liberté.
L'article 6 vise donc à légaliser cette privation de liberté, dénoncée par les juges des libertés et de la détention, de personnes connaissant une situation similaire et crée des zones d'attente « sur mesure » pour que les préfets ne soient pas, à l’avenir, dans l’illégalité. Il se trouve que ces zones d’attente, dites ad hoc, vont compromettre l’exercice des droits des personnes retenues. Ces personnes ont en effet le droit d’avertir ou faire avertir le conseil de leur choix, leur consulat ou un membre de leur famille résidente en France, refuser d'être expatriées avant l'expiration du délai d'un jour franc, bénéficier de l'assistance d'un interprète et d'un médecin, communiquer avec leur conseil, quitter à tout moment la zone d'attente pour toute destination située hors de France. En effet, l'étranger placé en zone d'attente, un lieu privatif de liberté, est considéré comme n'étant pas présent sur le territoire français. Il ne bénéficie donc, au début, d’aucune des garanties de droit commun et peut ainsi être refoulé à tout moment.
En l'état actuel de la législation, les règles sont différentes selon que l'on se trouve en zone d'attente ou sur le territoire français.
En zone d'attente, deux cas sont possibles.
En cas de demande d'asile, les personnes peuvent être privées de liberté le temps de l'examen du caractère « manifestement infondé » de leur demande par le ministère de l'immigration, et cela peut prendre 26 jours. Si leur demande est rejetée, elles peuvent être renvoyées dans leur pays de provenance ou d’origine, sans pouvoir déposer une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, sauf si elles déclenchent un recours suspensif dans le délai de 48 heures auprès du tribunal administratif du ressort.
L’adoption d’une telle disposition, en l’occurrence l'article 6 dont nous discutons, aura donc un impact négatif sur le respect du droit d’asile puisque l’on sait que la procédure d’asile à la frontière actuellement en vigueur dans les aéroports, les ports et les gares, est utilisée par l’administration comme un filtre. J’ai pu constater que quelqu’un qui arrive, par exemple à Roissy, et qui dit j’arrive parce que ma famille a été massacrée, parce que je suis persécuté mais ne prononce pas la formule « je demande à bénéficier du droit d’asile » peut se voir refuser ce même droit, sur le principe qu’on peut par là même considérer qu’il ne l’a pas demandé. Dans l’état où les personnes arrivent, vous voyez ce que cela peut avoir comme conséquence…
Dans le cas où les personnes en zone d’attente ne sollicitent pas l’asile, il peut leur être notifié un refus d'entrée exécutoire d'office sauf si la personne demande à bénéficier d'un jour franc – encore faut-il qu’elle comprenne ce que cela signifie – mais sans possibilité d'un recours suspensif. On sait de ce droit qu'il n'est ni systématique, ni effectif puisque c'est l'étranger qui doit exprimer clairement sa volonté de refuser d'être rapatrié avant l'expiration de ce jour franc. Trop souvent, on fait en sorte qu’il ne demande pas à bénéficier du jour franc.
En revanche, les personnes interpellées sur le territoire français et qui demandent l'asile sont dans une situation plus favorable. La demande se fait auprès de la préfecture, puis de l'OFPRA, qui examinera sur le fond leur demande d'asile sous le contrôle de la cour nationale du droit d'asile. Ces personnes sont admises à séjourner provisoirement, en étant logées dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile. Si elles sont sur le territoire sans titre de séjour et qu'elles sont arrêtées, il est possible de leur notifier une mesure d'éloignement pour séjour irrégulier qui lui, en revanche, peut faire l'objet d'un recours suspensif et urgent devant le tribunal administratif.
Tout lieu du territoire national devenant potentiellement une zone d'attente, cette nouvelle nature « provisoire et disséminée » des zones d'attente entravera ainsi toute possibilité de contrôle effectif et indépendant des associations, maintiendra les étrangers dans l'ignorance de leurs droits et ne leur permettra pas de faire appel à des personnes qui pourraient les aider.
Dans l'article 7 du projet, des dispositions sont prévues pour rendre encore plus difficile l’exercice du droit de ces personnes.
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l’article.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, puisque vous avez eu l’élégance de ne pas interrompre notre collègue Louis Mermaz, qui a parfaitement expliqué cet article 6, je vais renoncer à mon temps de parole sur article.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l’article.
M. David Assouline. Je voudrais ajouter à cette explication absolument complète un argument se rapportant aux conventions européennes.
La notion de groupe d’étrangers a été précisée à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’un groupe d’au moins dix étrangers. La directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres prévoit la possibilité d’une zone d’attente spécifique mais la réserve à l’arrivée d’un nombre exceptionnellement élevé d’étrangers. C’est conforme à votre logique puisque vous décidez de légiférer pour l’arrivée de cent personnes. Or, dans la décennie, il n’y a eu que deux cas d’arrivée de cent personnes, et cela vous a conduit à vouloir légiférer.
Pourquoi décidez-vous arbitrairement, selon moi en contradiction avec la directive européenne, que le groupe « exceptionnellement élevé » doit être de dix personnes ? Pourquoi pas vingt ? Pourquoi pas trente personnes ? Je pense que cela peut nous mettre en contradiction avec Schengen.
Nous vous demandons donc d’arrêter d’ajouter des restrictions aux restrictions, en limitant les droits, en créant des situations tout à fait exceptionnelles. C’est quasiment une législation d’exception que vous mettez en place pour régler quelques problèmes qui sont apparus les années passées. Je vous le dis très franchement, vous avez une vision encore plus restrictive que l’ensemble des pays européens en la matière.
Je voudrais revenir sur la question de l’asile. J’ai entendu hier M. Hortefeux insister sur une explosion absolument phénoménale des demandeurs d’asile, particulièrement en France, qui justifiait qu’on apporte encore de nouvelles restrictions. Alors, je veux tout de même rappeler quelques chiffres.
La France est l’un des pays qui reçoit le plus grand nombre de demandes d’asile. Elle le doit à sa tradition, à son positionnement géographique, à ce qu’elle représente aux yeux du monde. C’est un fait ! Les États-Unis sont dans une situation similaire.
Je me suis intéressé au pourcentage d’acceptation de ces demandes d’asile, pour voir s’il fallait vraiment encore restreindre, si la législation actuelle n’était pas déjà suffisante. Or la France est loin derrière d’autres pays : elle refuse respectivement 31 % et 51 % de demandes de plus que les États-Unis et le Canada ; même l’Allemagne notifie moins de refus que nous !
On peut toujours chercher à nous effrayer en prétendant qu’il y a trop de demandes. Mais ce n’est pas le problème. Avec la législation actuelle, notre pays ne dispose-t-il pas déjà des moyens de rejeter plus de demandes que d’autres pays comme les États-Unis, le Canada, l’Allemagne ?
M. David Assouline. Apparemment, si !
Et vous voulez aller plus loin encore, comme s’il était nécessaire de renforcer le droit en la matière dans un sens plus restrictif !
Je crois que, de votre fait, la France est en train de perdre l’image qu’elle avait conquise aux yeux des peuples en termes de droit d’asile.
Qui peut croire que la France court le risque d’être envahie par une vague d’immigration par le biais de la demande d’asile politique ? Franchement, ce n’est pas le sujet !
À une époque, sur le fondement du droit français, on aurait très bien pu considérer – comme vous avez tous l’air de le faire désormais ! – que les Tunisiens vivaient sous le joug d’une oppression politique absolue, d’une privation totale de liberté et qu’à ce titre ils auraient pu bénéficier de l’asile. Mais personne n’en parle ! Aujourd’hui, on se focalise sur le cas des Afghans.
Vraiment, qu’on arrête de restreindre toujours davantage, qu’on cesse d’être aussi frileux !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 34 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, M. Baylet, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L’amendement n° 112 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L’amendement n° 296 rectifié est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l’amendement n° 34 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. Pour qui veut bien étudier les lois sur les étrangers, il apparaît que l’ensemble qu’elles constituent est devenu illisible : d’année en année, se sont ajoutées des dispositions censées répondre à des événements ponctuels, et le présent article 6 est une nouvelle illustration de ce phénomène, ainsi que cela a été très justement indiqué.
Il concerne donc la création de zones d’attente ad hoc et tend à transposer l’article 18 de la directive « retour », lequel pose un certain nombre de conditions très précises puisqu’il autorise la création de zones d’attente provisoires « lorsqu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fait peser une charge lourde et imprévue sur la capacité des centres de rétention d’un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire ». Cette situation exceptionnelle autorise alors, aux termes de la directive, un allongement des délais de contrôle juridictionnel et de garantie des droits.
Or la transposition qui est opérée au travers de l’article 6 ne respecte ni la lettre ni l’esprit de la directive. Celle-ci mentionne un nombre « exceptionnellement élevé » d’étrangers quand le projet de loi évoque un « groupe d’au moins dix étrangers » : ce n’est pas tout à fait la même chose !
Le projet de loi ne fait pas non plus référence à la notion de « charge lourde et imprévue » mentionnée par la directive, non plus qu’à l’urgence requise.
Voilà donc un texte qui rend permanentes les zones temporaires puisqu’elles pourront être constituées à tout moment, en n’importe quel point frontalier, ou presque. Cela revient, dès lors, à banaliser la privation de liberté en tant que « mode de gestion ordinaire de l’immigration », comme le notait d’ailleurs la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans son avis du 6 janvier dernier.
La rétention en zone d’attente est bien un régime de privation de liberté. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 février 1992, l’a clairement indiqué, considérant, à propos du maintien en zone de transit, que conférer « à l’autorité administrative le pouvoir de maintenir durablement un étranger en zone de transit, sans réserver la possibilité pour l’autorité judiciaire d’intervenir dans les meilleurs délais, » était contraire à la Constitution.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, notre groupe souhaite la suppression de l’article 6.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 112.
Mme Éliane Assassi. Comme cela a été fort bien dit précédemment, avec cet article 6, il nous est proposé d’innover en créant des zones d’attente ad hoc pour les groupes d’au moins dix étrangers arrivant sur notre territoire.
Actuellement, les zones d’attente se situent dans un port, un aéroport, une gare internationale ou à proximité d’un autre lieu de débarquement. Déterminées par arrêté préfectoral, elles permettent de créer des lieux d’enfermement en fonction des arrivées des migrants.
D’ores et déjà, le critère de détermination de ces zones est celui des besoins de la police des migrants. Malgré cette souplesse, qui nuit aux droits et à la protection des primo-arrivants, l’article 6 introduit une nouvelle adaptation, laquelle fait suite à l’arrivée, en janvier 2010, de 123 Kurdes en Corse : le régime juridique de la procédure de placement en zone d’attente n’ayant pas pu leur être appliqué, sous peine d’irrégularité, ils ont tous dû être libérés.
Le présent article organise un régime dérogatoire puisque les zones d’attente sont constituées de fait, sans que l’autorité administrative ait à prendre une décision, du moment que cela concerne l’arrivée récente d’un groupe d’au moins dix migrants en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres. Un groupe de dix migrants est ainsi abusivement considéré comme constituant une immigration massive.
En clair, tout lieu du territoire situé à dix kilomètres de la frontière deviendrait une zone d’attente potentielle, du seul fait de la présence d’étrangers.
Nous nous opposons évidemment à la création de nouvelles zones d’attente. Ce sont autant de lieux d’enfermement supplémentaires pour les étrangers, sans encadrement suffisant, et qui portent atteinte aux droits et aux libertés des primo-arrivants, notamment de celles et ceux qui sont en quête de protection.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l’amendement n° 296 rectifié.
M. Richard Yung. Cet article ressortit, selon nous, à la partie de la législation que l’on pourrait qualifier d’« autonome », c’est-à-dire celle qui n’est pas du tout exigée par la transposition des directives.
Rien ne justifie d’assouplir les conditions permettant la création de ces zones d’attente ad hoc – ou « sac à dos », pour reprendre une expression scoute –, si ce n’est la volonté du Gouvernement d’empêcher l’accès au séjour de migrants présents sur le territoire français. Ce n’est pas acceptable.
Ainsi, le nombre de dix qui est mentionné dans cet article ne correspond pas à la notion d’afflux massif telle qu’elle est définie par le droit communautaire. En outre, la proposition de notre rapporteur de limiter à vingt-six jours la durée d’existence d’une zone d’attente spéciale constitue sans doute un effort louable, mais peut être aussi interprétée comme un allongement de la durée de maintien en zone d’attente.
Le plus grave, c’est probablement l’atteinte au droit constitutionnel d’asile.
M. Louis Mermaz. Oui !
M. Richard Yung. Les personnes placées en zone d’attente ad hoc pourraient, certes, solliciter l’admission au séjour au titre de l’asile, mais elles seraient soumises à la procédure spéciale de l’asile à la frontière, qui consiste en un simple examen de la recevabilité de la demande. Cette dernière procédure a d’ailleurs fait l’objet d’un avis négatif de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
En cas de rejet de leur demande, les candidats à l’asile ainsi placés en zone d’attente peuvent être expulsés sous réserve d’exercer un recours suspensif auprès du juge administratif dans un délai de quarante-huit heures, sans qu’ils puissent déposer une demande d’asile auprès de l’OFPRA. Comment un représentant de l’OFPRA pourrait-il d’ailleurs être présent puisque ces zones sont créées dans des conditions tout à fait exceptionnelles ?
Quand on est somalien et qu’on se trouve dans une telle situation, quarante-huit heures, ce n’est vraiment pas beaucoup pour préparer un recours !
Les personnes placées en zone d’attente et qui ne solliciteraient pas l’asile pourraient, elles, se voir notifier un refus d’entrée, exécutoire d’office.
Enfin, les dispositions de l’article 6 ne sont guère acceptables pour les mineurs étrangers isolés, qui pourraient être enfermés dans ces zones d’attente spéciales. Nous sommes nombreux – peut-être même unanimes – à le reconnaître.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’article 6 a pour but de permettre aux autorités de faire face à des situations exceptionnelles. L’exemple le plus récent a été cité : il s’agit du débarquement d’une centaine de migrants kurdes sur une plage de Corse-du-Sud en janvier 2010.
La commission des lois a précisé le dispositif de ces zones d’attente ad hoc : de telles zones ne pourront être créées qu’à proximité d’une frontière maritime ou terrestre et pour une durée strictement limitée au temps nécessaire à l’examen de la situation des migrants, plus précisément pour une durée maximale de vingt-six jours.
Il importe de souligner que les étrangers maintenus dans une telle zone bénéficieront évidemment de l’ensemble des droits reconnus en zone d’attente, notamment celui de demander leur admission sur le territoire au titre de l’asile. Sur ce point, monsieur Yung, la décision est, certes, prise dans des circonstances particulières puisque l’OFRA n’est pas physiquement présente, mais celle-ci est systématiquement consultée par les services de l’administration et son avis est suivi dans la quasi-totalité des cas.
Les inquiétudes exprimées ne paraissent donc pas fondées en l’état du droit applicable et au regard de la gestion des situations actuelles. En tout état de cause, il faut le souligner, la directive « retour » n’est pas applicable aux étrangers maintenus en zone d’attente.
Sur le dispositif des zones d’attente ad hoc, la commission a, me semble-t-il, apporté des précisions suffisantes pour parvenir à un dispositif équilibré. En conséquence, elle émet un avis défavorable sur les trois amendements de suppression de l’article 6.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Pour compléter les propos de M. le rapporteur, je préciserai que l’article 6 vise, en réalité, non pas à introduire un régime dérogatoire, mais à élargir et renforcer le dispositif tel qu’il a été prévu par la loi de juillet 1992, afin d’éviter l’annulation de certaines procédures.
En tout état de cause, le cadre juridique est exactement le même que pour les autres zones d’attente. Les migrants concernés verront l’ensemble de leurs droits, sans exception, respectés puisque le préfet établira ces nouvelles zones d’attente temporaires sous le contrôle du juge administratif. Le juge des libertés et de la détention sera amené à intervenir dans les mêmes conditions que pour une zone d’attente fixe. Enfin, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté aura accès à ces zones d’attente temporaires.
Il n’y a donc pas de raison de donner suite à ces amendements, sur lesquels le Gouvernement émet un avis défavorable.
MM. David Assouline et Richard Yung. C’est le paradis, alors ?
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.
Mme Bariza Khiari. Il convient de souligner que cette disposition est, comme l’a rappelé Louis Mermaz, le fruit d’une situation exceptionnelle et particulière et de dire une nouvelle fois qu’elle revêt des aspects dangereux.
Premièrement, la notion de groupe n’est pas clairement définie. La directive évoque un « nombre exceptionnellement élevé » de personnes. En quoi dix personnes constitueraient-elles un groupe exceptionnellement nombreux ? Comme l’ont relevé nos collègues, il est fait ici une interprétation quelque peu biaisée du texte de la directive.
Deuxièmement, les articles relatifs à la zone d’attente sont particulièrement confus et créent une indistinction entre la zone d’attente et les territoires. De telles dispositions, si elles étaient adoptées, porteraient gravement atteinte au droit des personnes.
Il faut surtout rappeler que la création de la zone d’attente conduirait à rendre moins effectif le droit d’asile, ce qui serait contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, notamment à sa décision n° 93-325 DC du 13 août 1993.
Nous estimons donc que la création de cette zone « clé en main » n’est pas une bonne initiative et qu’elle pose plus de problèmes de définition qu’elle n’en résout.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour explication de vote.
M. Louis Mermaz. Lors du débat sur la protection temporaire, les sénateurs de l’opposition avaient souhaité que le gouvernement français puisse invoquer une disposition communautaire afin de faciliter l’accueil de personnes étrangères arrivant en grand nombre sur notre territoire et de permettre à la solidarité européenne de jouer pleinement.
Lorsque cette situation s’est produite dans le Calaisis, on nous a répondu que ces personnes n’étaient pas assez nombreuses, alors même que des étrangers se sont présentés par centaines dans la région au cours des dernières années, et même des derniers mois.
Et voilà qu’aujourd’hui on fabrique des zones d’attente pour dix personnes qu’on a trouvées dans un rayon de dix kilomètres ! C’est dire tout l’arbitraire de cette disposition. (M. Richard Yung applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 34 rectifié, 112 et 296 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Je rappelle que la commission a émis un avis défavorable, de même que le Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 151 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 183 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Tous quatre sont présentés par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 300 est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Lorsqu'un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers vient d'arriver en France en dehors d'un point de passage frontalier, les articles L. 811-1 à L. 811-8 s'appliquent. »
L’amendement n° 299 est ainsi libellé :
Alinéa 2
Au début de cet alinéa, ajouter les mots :
Dans une situation exceptionnelle,
L’amendement n° 298 est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
groupe d'au moins dix
par les mots :
nombre exceptionnellement élevé d'
L’amendement n° 297 est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres
La parole est à M. Richard Yung, pour présenter ces quatre amendements.
M. Richard Yung. Ces quatre amendements sont effectivement liés et s’inscrivent dans la droite ligne de notre précédente discussion.
L’amendement n° 300 vise à permettre le déclenchement du mécanisme de la protection temporaire, prévu par la directive du 20 juillet 2001 lorsqu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers vient d’arriver en France. En droit interne, la mise en œuvre de ce mécanisme est prévue aux articles L. 811-1 à L. 811-8 du CESEDA.
Contrairement au placement en zone d’attente, l’attribution de la protection temporaire apporte des garanties aux étrangers, qui se voient délivrer un document provisoire de séjour assorti, le cas échéant, d’une autorisation provisoire de travail. Ils bénéficient également d’un droit de séjour d’un an renouvelable, dans la limite de trois ans. Par ailleurs, la protection temporaire ne préjuge pas de la reconnaissance du statut de réfugié.
Nous pensons que cette solution est bien plus respectueuse du droit.
J’en viens à l’amendement n° 299.
D’après l’exposé des motifs du présent projet de loi, l’assouplissement des conditions de création d’une zone d’attente vise à répondre à des situations exceptionnelles. Or les dispositions de l’article 6 ne font pas ressortir le caractère exceptionnel de l’extension de la zone d’attente. Par conséquent, nous proposons de limiter la possibilité de créer des zones d’attente ad hoc en reprenant dans la loi les termes de la directive « retour », qui conditionne explicitement les mesures dérogatoires au droit commun à une situation exceptionnelle.
Par ailleurs, l’article 6 permet la création d’une zone d’attente en cas d’arrivée sur le territoire d’« un groupe d’au moins dix étrangers ». Cette notion, introduite à l’Assemblée nationale – cela n’étonnera personne ! –, n’a aucun fondement juridique.
En outre, il est quelque peu paradoxal de fixer à dix le nombre d’étrangers à partir duquel on peut considérer qu’il y a une arrivée massive de personnes. Dans le Calaisis, on nous a expliqué qu’un nombre d’immigrants supérieur à cent n’était pas exceptionnel. Cette notion est donc vraiment à géométrie variable !
Afin de surmonter cette contradiction, nous proposons, par l’amendement n° 298, de reprendre dans la loi les termes de l’article 18 de la directive « retour », qui conditionne explicitement les mesures dérogatoires au droit commun à la présence d’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers. Vous voyez que nous sommes respectueux des directives européennes !
L’amendement n° 297 porte sur l’aspect géographique.
Le rapporteur a précisé la délimitation spatio-temporelle des zones d’attente ad hoc. Cependant, il a maintenu la possibilité de transformer en zone d’attente spéciale « un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres », alors que, en l’état actuel du droit, les zones d’attente s’étendent des points d’embarquement et de débarquement – que le mode de transport soit le bateau, le train ou l’aéronef – aux points de contrôle frontaliers. Il souhaite ainsi « permettre aux autorités de prendre en compte les stratégies déployées par les réseaux de passeurs pour déjouer le dispositif de contrôles aux frontières ».
En soi, c’est certainement une bonne idée. Cependant, concrètement, l’entrée en vigueur de telles dispositions pourrait avoir pour conséquence de transformer en zones d’attente spéciales des régions entières, telles que le Calaisis ou la côte de la mer du Nord. Une telle extension des zones d’attente poserait des problèmes insurmontables.
Faute d’être parvenus à supprimer le principe des zones d’attente ad hoc, nous proposons de réduire la possibilité de créer ces lieux de privation de liberté, en supprimant les mots « ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement n° 300 vise à lier la création des zones d’attente ad hoc au dispositif de la protection temporaire.
Cet amendement soulève une difficulté certaine. Il convient en effet de ne pas confondre, d’une part, l’arrivée en France, en dehors d’un point de passage frontalier, d’un nombre important d’étrangers dont la situation doit être examinée au regard du droit à l’entrée et au séjour des étrangers, et, d’autre part, les afflux massifs de personnes déplacées en raison d’un conflit, qui peuvent relever des dispositions sur la protection temporaire ou, en tout état de cause, de celles relatives à l’asile.
S’agissant de la protection temporaire, l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées doit être constatée par une décision du Conseil de l’Union européenne, prise sur proposition de la Commission européenne.
Les deux dispositifs relèvent donc de logiques juridiques différentes, étant entendu que le dispositif des zones d’attente ad hoc n’a aucunement vocation à empêcher la mise en œuvre du mécanisme de la protection temporaire lorsque les conditions de son déclenchement sont réunies.
La commission a donc émis un avis défavorable.
L’amendement n° 299 vise à préciser qu’une zone d’attente ad hoc ne peut être créée que pour répondre à une situation exceptionnelle.
Il me paraît nécessaire de préciser ici que le dispositif des zones d’attente ad hoc a bien vocation à n’être appliqué qu’à titre exceptionnel : lorsqu’un groupe important d’étrangers vient d’arriver en France en dehors d’un point de passage frontalier, il est en effet nécessaire de permettre aux autorités d’examiner leur situation dans un cadre juridique clair.
À cet égard, l’amendement déposé par nos collègues n’ajoute rien au dispositif prévu par le projet de loi et la commission a donc émis un avis défavorable.
L’amendement n° 298 vise à remplacer la notion de « groupe d’au moins dix étrangers » par celle de « nombre exceptionnellement élevé d’étrangers ». Cette discussion a eu lieu en commission.
M. Richard Yung. Ce sont les termes de la directive !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cependant, la notion de « nombre exceptionnellement élevé d’étrangers » crée une incertitude qui ne peut que fragiliser les procédures. Que veut dire au juste cette expression ? De notre point de vue, mieux vaut en rester à un seuil de dix étrangers, qui n’est peut-être pas pleinement satisfaisant, mais qui présente l’avantage de la clarté.
Je rappelle par ailleurs que le dispositif des zones d’attente ad hoc n’est pas soumis au respect de la directive « retour », qui n’est applicable qu’à l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, et non à leur entrée sur le territoire.
La commission des lois a donc émis un avis défavorable.
Enfin, concernant l’amendement n° 297, il nous a paru nécessaire de conserver la notion de « lieux distants d’au plus dix kilomètres » afin de permettre aux autorités de prendre en compte les stratégies qui peuvent être déployées par les réseaux de passeurs, ceux-ci tentant de contourner par tous les moyens, nous le savons, les dispositifs de contrôle aux frontières.
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le dispositif de protection temporaire prévu par les auteurs de l’amendement n° 300 ne me semble pas adapté à l’objectif de l’article 6.
S’agissant des amendements nos 299, 298 et 297, ils visent à mettre en place des critères plus subjectifs que ceux, précis et clairs, qui sont définis à l’article 6.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces quatre amendements.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l'amendement n° 298.
M. Jean-Pierre Sueur. Je suis quelque peu déçu de voir que les efforts opiniâtres de notre collègue Richard Yung pour proposer des amendements de repli, des solutions, des dispositions susceptibles d’être acceptées par les uns et les autres, ne sont finalement sanctionnés que par des avis défavorables. En gros, tout ce qu’on trouve à répondre, c’est : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »
Je voudrais néanmoins insister sur les conséquences de tout ce dispositif.
Nous avons le sens des responsabilités et nous voyons bien que, face à une situation véritablement exceptionnelle, il est permis d’imaginer – comme le prévoit une directive européenne – une réponse exceptionnelle.
Cependant, le dispositif que vous cherchez à faire adopter ici est totalement imprécis. Vous jugez préférable de préciser que le groupe d’étrangers doit être composé d’au moins dix personnes. Mais, avec ces collections de dix personnes, vous ne faites rien d’autre que de généraliser la zone d’attente ! Tout point du territoire pourra désormais devenir une zone d’attente.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Non, justement !
M. Jean-Pierre Sueur. À tout le moins, beaucoup de points du territoire.
De même, vous créez des tribunaux ou des « para-tribunaux » à côté de chaque centre de rétention.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et M. François-Noël Buffet, rapporteur. Mais non, justement !
M. Jean-Pierre Sueur. Ainsi, les zones d’attente se trouveront un peu partout, comme il y aura des ersatz de tribunal un peu partout.
Voilà qui correspond tout de même à une certaine conception de la société, à une certaine conception du droit, à une certaine conception de l’accueil, à une certaine conception du respect des droits des personnes, notamment du droit d’asile.
On s’engage ainsi dans une logique de généralisation d’institutions à caractère flou, ad hoc, opportunistes : pour les besoins de la cause, il suffira de trouver dix personnes. Et l’on est en train de défaire un état de droit qui s’appuyait sur des lieux déterminés, ayant des fonctions déterminées, répondant à des impératifs précis.
C’est votre choix ; nous verrons comment le dispositif se mettra en œuvre…
En tout cas, les membres du groupe socialiste tiennent à exprimer avec force qu’ils sont bien entendu opposés à une telle conception. Ils regrettent en outre l’intransigeance avec laquelle les multiples amendements présentés par Richard Yung et notre groupe pour essayer de trouver des améliorations au dispositif ont été refusés.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
Après le premier alinéa de l’article L. 221-4 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers, la notification des droits mentionnés au premier alinéa s’effectue dans les meilleurs délais possibles, compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles. De même, dans ces mêmes circonstances particulières, les droits notifiés s’exercent dans les meilleurs délais possibles. »
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. L’article 7 peut être considéré comme le frère jumeau du précédent.
Cet article vise à rendre régulières, par un régime dérogatoire, des privations de liberté de plusieurs heures, hors de tout cadre, en zone d’attente.
Il prévoit en effet : « En cas de maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers, la notification des droits mentionnés au premier alinéa s’effectue dans les meilleurs délais possibles, compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles. De même, dans ces mêmes circonstances particulières, les droits notifiés s’exercent dans les meilleurs délais possibles ». Bien malin qui pourra nous dire combien de temps tout cela va prendre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un certain temps… Comme le refroidissement du fût du canon !
M. Louis Mermaz. Ici encore, le Gouvernement va de dérive en dérive et cherche à légitimer et à renforcer des pratiques administratives arbitraires déjà utilisées en demandant au législateur de légaliser ce qui se faisait jusqu’alors illégalement. En effet, un certain nombre d’articles que nous examinons à présent visent simplement à régulariser des illégalités qui sont commises semaine après semaine, et depuis fort longtemps.
Le phénomène n’est pas nouveau : déjà, aux termes de la « loi Sarkozy » de 2003, l’étranger n’était plus informé « immédiatement », mais seulement « dans les meilleurs délais ». Cette fois-ci, comme si cela ne suffisait pas, les termes « dans les meilleurs délais » ont été remplacés par les termes « dans les meilleurs délais possibles »… Molière est décidément un auteur encore très actuel !
Le Gouvernement propose ainsi au législateur d’adopter une règle dérogatoire en matière de notification des droits en zone d’attente ; voilà ce que signifie une telle disposition ! C’est l’exception !
L’article mentionne les cas de « maintien simultané en cette zone d’attente d’un nombre important d’étrangers », ce qui est fréquent à Roissy. Là, c’est encore plus grave, car encore plus de latitude est donnée à l’administration quant aux obligations qu’elle doit pourtant respecter.
C’est bien un régime d’exception qui se met en place, dans une véritable police des étrangers.
Heureusement que la notification des droits des personnes privées de liberté est une garantie essentielle, qui est au cœur du contrôle du juge de la liberté individuelle, et que la Cour de cassation est très exigeante sur ce point ! On peut donc penser qu’il y a là un fort risque d’inconstitutionnalité.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.
M. Jean-Pierre Sueur. M. le rapporteur et Mme la ministre semblent penser que le salut est dans le nombre dix. Les formules proposées par M. Yung ont été considérées comme inappropriées parce que trop vagues, et ils ont proclamé que le droit ne saurait être vague.
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, de deux choses l’une : ou vous ne pensez pas ce que vous dites – et je ne peux le croire ! –, ou vous le pensez ; c’est l’hypothèse que je retiens. Dès lors, vous ne pouvez que plaider pour la suppression de l’article 7 !
En effet, s’il était conservé dans sa rédaction actuelle, ce serait un monument à faire visiter aux générations futures comme l’exemple même de ce qui peut être fait au sein de l’édifice juridique pour pulvériser le droit et de la façon dont le non-droit peut s’insinuer partout !
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, après avoir insisté sur le fait que dix c’était dix, et non pas neuf ou onze, que ce chiffre était clair, précis, explicite, vous défendez un article qui prévoit : « En cas de maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers »… Louis Mermaz a eu bien raison d’évoquer Molière !
Pouvez-vous nous dire à quoi correspond précisément « un nombre important » ?…
Mme Nathalie Goulet. Dix personnes…
M. Jean-Pierre Sueur. À partir de combien de personnes a-t-on affaire à un « nombre important » de personnes ? Cent ? Deux cents ? Mille ? Cinquante ? Trois mille ? Dites-nous un peu, madame la ministre, ce que c’est qu’un « nombre important » !
L’article 7 dispose en outre que « la notification des droits mentionnés au premier alinéa s’effectue dans les meilleurs délais possibles… » : autant dire qu’il n’y a plus de délai ! La notification peut donc éventuellement ne jamais s’effectuer !
Je poursuis : « … compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative […] disponibles »… (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Quand on voit l’émoi suscité par des déclarations faites ce matin même… Quand on entend des magistrats expliquer que ce serait très bien de mettre telle ou telle mesure en œuvre, mais que le budget du ministère de la justice étant ce qu’il est…
Madame la ministre, prenez les chiffres de ce budget et mettez-les en regard de cette formule : « compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles »…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sans compter les moments où les agents sont en grève !
M. David Assouline. N’en jetez plus !
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, monsieur le rapporteur, je proposerai que nous gravions cet article en lettres d’or dans l’hémicycle. C’est tellement beau !
M. Louis Mermaz. Bientôt, ici, nous aurons des ministres disponibles dans les meilleurs délais possibles ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Sueur. Je continue : « De même, dans ces mêmes circonstances particulières, les droits notifiés s’exercent dans les meilleurs délais possibles. » Mais lorsqu’on parle de « circonstances particulières », on n’est guère avancé : en fait, cela veut dire « dans n’importe quelle circonstance ». L’adjectif « particulier » est aussi imprécis que l’adjectif « significatif ».
Bref, la loi s’appliquerait dans des « circonstances particulières » et « dans les meilleurs délais possibles », c’est-à-dire éventuellement jamais !
Dans ces conditions, madame la ministre, je propose que nous disposions une fois pour toutes que la loi est à dimension variable, qu’elle s’applique de manière tout à fait conjoncturelle et aléatoire, en fonction des disponibilités et des circonstances particulières, et que nous cessions de légiférer.
Disons-le : si quelqu’un, dans cet hémicycle, vote l’article 7, il portera atteinte à la dignité du législateur. Si nous votons cette disposition, qui est un chef-d’œuvre de non-loi, nous renonçons à notre tâche et à notre office, comme disait encore Jean-Baptiste Poquelin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Jean-Pierre Sueur, avec le talent oratoire qu’on lui connaît, a montré l’impossibilité d’appliquer en droit des termes aussi imprécis et des notions aussi conjoncturelles. Et cet article me paraît d’autant plus inapplicable qu’en ce moment même on est en train de réécrire les dispositions relatives à la garde à vue !
Avec cette liberté laissée à la puissance publique de remplir ou non des obligations, nous sommes dans la plus complète approximation et, à l’évidence, ce texte court le risque d’être remis en cause par le Conseil constitutionnel ou par la Cour européenne des droits de l’homme.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 35 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 113 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 301 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l’amendement n° 35 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. Je dirai simplement que je reprends à mon compte les arguments qui viennent d’être avancés sur le caractère aléatoire des dispositions de l’article 7.
Je relève cependant qu’il ressortait des observations formulées par notre rapporteur et par vous-même, madame la ministre, lors de l’examen de l’article 6, que la notification des droits et les droits notifiés seraient complètement respectés. Or il vient d’être brillamment démontré qu’il n’en serait rien.
J’ajouterai seulement que, au cas où cet article serait malheureusement maintenu, il conviendrait de l’amender sur la forme. Pour ma part, je me référerai non pas à Poquelin, mais à mon ami le grammairien Grevisse…
M. Christian Cointat. Il était belge !
Mme Anne-Marie Escoffier. … pour dire qu’il est regrettable que, dans un texte présenté par le Gouvernement, ait été mis le « s » du pluriel au mot « possible », qui a ici, selon moi, valeur adverbiale. Il me semblerait tout à fait dommageable qu’un texte de loi se trouvât entaché d’une telle faute. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet, pour présenter l'amendement n° 113.
M. Jean-François Voguet. On voit ici que tout est possible ! (Sourires.)
L’article 7 s’inscrit dans la lignée du précédent : après l’extension des zones d’attente, il s’agit maintenant d’affaiblir davantage les droits, qui n’étaient pourtant déjà guère importants, des étrangers maintenus dans ces zones.
L’étranger placé en zone d’attente était informé, dans les meilleurs délais, qu’il pouvait avoir l’assistance d’un médecin ainsi que d’un interprète et qu’il pouvait communiquer avec toute personne de son choix.
Désormais, « en cas de maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers », le délai d’information n’est plus le meilleur, mais seulement le meilleur possible compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et du nombre d’interprètes disponibles.
Déjà, la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité avait supprimé l’obligation d’une information immédiate pour la remplacer par une information dans les meilleurs délais.
Pourtant, ces délais d’information sont justifiés par le fait qu’avant placement en zone d’attente l’étranger se trouve dans une situation non régie par le droit. Il est important d’y mettre fin dans les plus brefs délais pour maintenir les garanties essentielles des étrangers privés de liberté.
Ce ne sont manifestement pas ces critères qui ont motivé la rédaction de cet article. Il s’agit au contraire de limiter les invalidations de procédure de maintien en zone d’attente par le juge judiciaire et de permettre à l’autorité administrative de mener la procédure comme bon lui semble.
Pourtant, une modification législative ne saurait permettre à l’administration de manquer à l’impératif de notification immédiate des droits par tous les moyens nécessaires, y compris en termes d’effectifs : rien ne peut entériner une privation de liberté.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour présenter l'amendement n° 301.
M. Louis Mermaz. En vertu de la loi du 26 novembre 2003, les étrangers maintenus en zone d’attente ne se voient plus notifier leurs droits « immédiatement », mais « dans les meilleurs délais ».
Les dispositions de l’article 7 visent à assouplir encore davantage les conditions dans lesquelles s’effectue la notification des droits ainsi que les conditions dans lesquelles s’exercent ces droits en cas de « maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers ».
Ces dispositions, qui sont, hélas ! dans la logique de l’article 6, ne sont pas acceptables, car elles tendent à fragiliser les garanties essentielles dont devrait pourtant bénéficier tout étranger privé de liberté.
Si elles entraient en vigueur en l’état, il pourrait s’écouler une longue période pendant laquelle le migrant, placé dans une zone « fictive » – car ce n’est pas le territoire français – dite « d’attente », serait privé de l’ensemble de ses droits entre le moment de son interpellation et celui de son placement dans cette zone. Il serait ainsi exposé à un quasi-vide juridique et donc, éventuellement, au risque de l’arbitraire auquel certains membres de l’administration seraient tentés de le soumettre.
Dans l’étude d’impact, le Gouvernement évoque la « nécessité d’une approche pragmatique pour la notification et la prise d’effet des droits ». C’est Diafoirus ! Rien qu’à lire cette phrase, j’en reste pantois ! « Une approche pragmatique » : voilà encore une notion juridique qui en fera frémir plus d’un, à commencer par notre ami Jean-Pierre Sueur !
La création de ce régime dérogatoire n’a aucune autre justification que la volonté du Gouvernement de réduire le risque d’invalidation par le juge des libertés et de la détention du maintien en zone d’attente.
C’est donc un texte contre les juges – on a d’ailleurs vu ce qui se passait à Nantes –…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les nouvelles « bêtes noires » du régime !
M. Louis Mermaz. …et contre les immigrés !
Ces dispositions sont d’autant plus inacceptables qu’elles pourraient s’appliquer, par une sorte de dilution, à toutes les zones d’attente, et non pas seulement aux zones d’attente ad hoc.
Compte tenu de l’imprécision des critères conditionnant leur mise en œuvre, de la baisse des effectifs – 200 agents en moins, nous dit-on, à Roissy –, du manque de formation des personnels, de la pénurie de moyens, l’application systématique du régime dérogatoire, accompagnée d’un développement de l’arbitraire, est à craindre. Et elle l’est d’autant plus, d’ailleurs, que le Président de la République, que M. Sueur a entendu aujourd'hui à Orléans, n’a pas du tout l’air décidé à donner davantage de moyens aux administrations pour assurer leur fonctionnement !
Pour toutes ces raisons, nous vous proposons, chers collègues de la majorité, de supprimer les dispositions de l’article 7. Vous ne le ferez peut-être pas, mais au moins aurons-nous l’honneur de vous avoir demandé de le faire !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ces amendements de suppression appellent un avis défavorable.
Dans sa décision du 20 novembre 2003, le Conseil constitutionnel a en effet jugé que les dispositions prévoyant une notification des droits « dans les meilleurs délais » prescrivaient une information « qui, si elle ne peut être immédiate pour des raisons objectives, doit s’effectuer dans le plus bref délai possible ».
L’article 7 du projet de loi ne fait que décliner cette notion retenue par le Conseil constitutionnel de « raisons objectives » permettant de justifier, dans des cas exceptionnels, un report dans la notification des droits à l’étranger maintenu en zone d’attente.
Faut-il préciser qu’en toute hypothèse la notion de « meilleurs délais » continuera à s’apprécier in concreto, en fonction des circonstances de l’espèce et des difficultés concrètes rencontrées par l’administration ?
J’ajoute que, pour éviter toute ambiguïté, la commission a apporté quelques améliorations rédactionnelles à cet article.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Alors que les amendements déposés sur l’article 6 visaient, on l’a vu, à rendre cet article inapplicable, les auteurs des trois amendements de suppression de l’article 7 critiquent l’imprécision de l’expression « dans les meilleurs délais ».
Or, M. le rapporteur l’a rappelé, il s’agit de termes utilisés en droit et l’on peut faire confiance aux juges : je rappelle que les zones d’attente temporaires sont tout de même placées sous l’autorité de deux juges, qui auront le souci de faire respecter le droit des personnes.
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne vois pas en quoi cela répond à nos questions !
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.
M. Christian Cointat. Tout à l’heure, on a opposé la rigueur juridique à une nécessité politique pourtant reconnue. S’agissant maintenant de l’article 7, je dois le dire, il ne me paraît pas frappé au coin d’une absolue rigueur juridique. Sa rédaction relève d’une approche presque poétique,…
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La commission a déposé un amendement !
M. Christian Cointat. …mais son dispositif traduit néanmoins une idée que je partage. Je ne voterai donc pas les amendements de suppression.
M. Jean-Pierre Sueur. Dommage !
M. Christian Cointat. Cela ne m’empêche pas de regretter que la rédaction ne soit pas un peu plus rigoureuse sur le plan juridique.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle va l’être !
M. Christian Cointat. Cela étant, je me tourne vers Mme Escoffier pour lui dire que je crois que le « s » au mot « possibles » est tout à fait volontaire, car chacun sait que ce possible a de multiples facettes…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. De toute façon, la commission va proposer de supprimer le mot !
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. On m’a dit, lorsque je suis arrivée dans cette assemblée, que la précision y était la règle et que toutes les expressions au sens trop aléatoire, en particulier le mot « notamment », devaient être bannies des textes. Or la lecture de l’article 7 me donne le sentiment que tout ce que j’ai appris depuis quelque six ans – déjà ! – tombe à l’eau.
« Un nombre important », « meilleurs délais possibles », « disponibles » : tout est flou dans cet article. J’en appelle donc à M. Hyest : lui qui, d’habitude, veille à ce que la loi soit précise, concise, claire, pourra peut-être me rassurer, car tous ces termes me semblent aller vers beaucoup plus d’arbitraire et beaucoup moins de droit.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est du droit vaporeux !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. L’inconvénient, avec les amendements de suppression, c’est qu’ils sont examinés avant les amendements suivants. Or je signale que la commission a déposé un amendement qui supprime le mot « possibles » : on revient donc à la formule : « dans les meilleurs délais ». (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Eh bien oui, mes chers collègues, nous avons travaillé, et nous allons répondre à certaines des objections qui ont été faites. Mais je m’étonne que d’éminents membres de la commission des lois, qui ont participé à tous nos travaux, ne se souviennent pas de ce que nous avons fait.
Je signale par ailleurs qu’il y avait dans le texte initial un « notamment » que la commission a supprimé.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous défendez donc le droit vaporeux ! C’est nouveau !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Monsieur Hyest, cet amendement de la commission ne changera pas grand-chose. Vous faites preuve, en général, de beaucoup plus de rigueur. Très souvent même, au nom de la rigueur, vous balayez d’un revers de main des rédactions un peu trop vagues à votre goût.
Vous proposez de supprimer le mot « possibles » dans l’expression « dans les meilleurs délais possibles »,…
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Attendez, nous allons y venir !
M. David Assouline. … mais « dans les meilleurs délais », ce n’est pas beaucoup plus précis.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est pareil !
M. David Assouline. Même si l’on enlève le mot « possibles », il est sous-entendu, car l’impossible, par définition, n’est pas possible ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Tout à l'heure, vous teniez à ce que le nombre de personnes soit précisé. Eh bien, faites donc preuve ici du même souci de précision !
Si tout est imprécis, qu’il s’agisse des fonctionnaires disponibles ou des délais, c’est parce qu’il faut laisser le champ à un arbitraire !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. David Assouline. La décision dans certains délais, par exemple, ne sera plus un droit ni une donnée contrôlable. Tout dépendra du bon vouloir et du pouvoir de la personne qui prendra la décision.
Nous ne pouvons pas accepter cela dans la loi ! Vous ne pouvez pas justifier une telle imprécision ni donner un tel pouvoir à ceux qui interpréteront le texte, dans une situation et à un moment donnés, alors qu’il s’agit de droits aussi fondamentaux.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Nous nous heurtons à une difficulté pratique. Nous ne parvenons pas à maîtriser ni à encadrer juridiquement cette situation.
Il s’agit d’une zone de non-droit qui n’est pas sur notre territoire…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non, ce n’est pas une zone de non-droit !
Mme Nathalie Goulet. Il n’empêche que l’on envisage qu’il n’y ait pas de fonctionnaires disponibles ni d’interprètes disponibles et, de surcroît, les délais ne sont pas précisés ! Le texte est tout de même difficilement lisible !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. C’est faux !
Mme Nathalie Goulet. Je veux bien soutenir la position de la commission et je ne mets pas en doute le travail qui a été accompli. Mais avouez que la lecture et la compréhension de ce texte ne sont pas évidentes. Acceptez au moins que nous ayons des difficultés à comprendre comment les choses vont se passer concrètement pour les gens qui seront contrôlés. On se demande comment ils pourront exercer leurs droits dans des conditions aussi peu claires.
M. David Assouline. On leur répondra « dans les meilleurs délais » !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 35 rectifié, 113 et 301.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 302, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer le mot :
important
par les mots :
exceptionnellement élevé
La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Il s’agit d’un amendement de repli. Nous ne pratiquons pas la politique du pire et nous cherchons donc à adoucir quelque peu la situation qui est ainsi faite aux personnes, car leur sort nous tient à cœur.
La rédaction imprécise de la première phrase de l’alinéa 2 de l’article 7 fait craindre que le régime dérogatoire en matière de notification des droits ne devienne la règle. Nous l’avons dit, les termes « un nombre important d’étrangers » nous semblent vagues, donc dangereux. Ils pourraient, en effet, être interprétés par l’administration, ou par certains dans l’administration, de manière abusive.
Les dispositions prévues à l’article 7 pourraient être mises en œuvre dès que le nombre d’étrangers maintenus en zone d’attente sort de l’ordinaire.
Depuis de nombreuses heures, nous ne cessons de nous élever contre l’imprécision d’un texte dont on pourra faire tout et n’importe quoi. La possibilité d’interpréter et de tordre ce texte de guimauve est tout à fait redoutable. L’interprétation sera plus importante que le texte lui-même ! C’est, au fond, un refus de légiférer, en se contentant de déclarations générales !
Afin de prévenir un tel risque, nous proposons de reprendre dans la loi au moins les termes de l’article 18 de la directive « retour », qui est d’ailleurs loin de nous satisfaire puisque tous les députés européens de gauche ont voté contre. Cet article 18 conditionne les mesures dérogatoires au droit commun à la présence d’« un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers ».
Certes, cela manque encore de précision. Mais, tout le monde en conviendra, la formule « exceptionnellement élevé » fait référence à un groupe de plus de dix personnes !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Les auteurs de l’amendement proposent de faire référence à un « nombre exceptionnellement élevé d’étrangers » plutôt qu’à un « nombre important d’étrangers », s’agissant des dispositions justifiant un report du délai de notification et d’exercice des droits.
La notion de « nombre exceptionnellement élevé » risque d’être trop restrictive. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Je vais vous dire pourquoi.
Je vous rappelle, par ailleurs, que la directive « retour » n’est pas applicable aux zones d’attente.
Ce qui importe le plus, c’est la situation de fait, et c’est elle qui permettra de déterminer la solution à apporter. L’arrivée de cinquante personnes dans un secteur isolé, dépourvu de structures administratives, pose un problème. Un tel groupe représente un nombre important d’étrangers pour ce type de territoire. En revanche, l’arrivée de cinquante personnes dans un lieu équipé et doté d’une structure d’accueil, comme Roissy, ne pose pas de problème.
J’attire votre attention sur le fait qu’il appartiendra à l’administration de faire état des difficultés concrètes rencontrées pour justifier tout délai dans la notification des droits.
Pour répondre à la question soulevée tout à l’heure, je reviendrai sur le nombre d’agents et d’interprètes disponibles par rapport au nombre d’étrangers maintenus en zone d’attente.
Dans ces zones d’attente, tous les droits prévus pour les étrangers sont ouverts et tous les moyens sont mis en place. Que ce soit bien clair : il n’existe pas de système dérogatoire. Vous pouvez examiner tous les textes et même les « tordre », pour reprendre le mot de M. Mermaz, vous ne trouverez pas une phrase confirmant votre analyse.
Par ailleurs, ces zones d’attente sont établies sous le contrôle de la juridiction administrative, sur l’intervention, le moment venu, du juge des libertés et de la détention. Il ne s’agit donc pas d’une zone de non-droit !
La commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 494 rectifié, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer deux fois le mot :
possibles
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. J’espère que cela fera plaisir : nous allons supprimer les « possibles » !
L’objectif est d’établir une coordination avec les modifications introduites à l’article 38 lors de l’examen du projet de loi en commission. L’adjectif « possibles » n’ajoute rien à la notion de « meilleurs délais ». Il faut donc le supprimer les deux fois où il apparaît dans cet article.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet, pour explication de vote.
M. Jean-François Voguet. Nous avons indiqué notre opposition au contenu de l’article 7, qui s’attaque, en quelques mots, aux droits des étrangers placés en zone d’attente lors des opérations de reconduite à la frontière.
L’amendement de la commission des lois présente un caractère rédactionnel apparent, mais, finalement, il s’avère particulièrement éclairant sur le contenu réel de l’article.
Voici en effet que la commission des lois nous invite à retirer dans le texte de cet article le mot « possibles » s’agissant des « meilleurs délais ». Cette suppression, implicitement, nous prouve au moins que les conditions de fonctionnement des zones d’attente, telles qu’elles existent et a fortiori telles que l’on se prépare à les mettre en place, sont de qualité et de niveau tellement variables que l’on ne peut être sûr à tout coup que les ressortissants étrangers qui y seront placés pourront bénéficier de la nécessaire information sur leurs droits et de l’opportunité qui peut leur être offerte de les mettre en œuvre.
En effet, dès lors qu’il est question de « meilleurs délais possibles », on va rapidement se retrouver en présence de cas où l’on pourrait faire valoir, devant le juge administratif appelé à statuer sur le maintien ou non en zone d’attente d’un ou de plusieurs ressortissants étrangers, que, faute d’avoir trouvé un interprète parlant la langue de tel ou tel, on n’a pu l’informer complètement et correctement de ses droits. Cela, en fonction de la jurisprudence, pourrait suffire à maintenir les personnes incriminées en zone d’attente ou conduire à prendre à leur encontre toute disposition visant notamment à leur faire quitter le territoire français.
Devons-nous laisser subsister dans la loi ce qui procède du mauvais coup porté à une jurisprudence administrative qui, bien souvent, revient sur la forme des mises en zone d’attente au seul motif de l’insuffisance des informations dispensées aux personnes concernées ?
La commission des lois, dans sa prudence rédactionnelle, ne fait que nous révéler toute la perversité d’un article qui, d’une certaine manière, vise à accorder aux seules autorités de police la primauté sur toute autre considération en matière de droit de séjour sur le territoire français.
Plutôt qu’un État trop directement policier, elle préfère finalement adopter un langage plus policé pour mieux faire passer le recul imposé au droit, en général, et à la liberté de circulation et d’établissement, en particulier.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je ne parviens pas à comprendre la signification de la formule « dans les meilleurs délais ». Faut-il comprendre vingt-quatre heures, quarante-huit heures ou bien s’agit-il du temps nécessaire pour procéder à l’expulsion, pour trouver un avion le plus vite possible, ou encore d’un délai suffisamment court pour ne pas trouver un interprète ou un avocat ? (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Il faut avoir le courage de le dire ! Qu’est-ce qui vous empêche de nous donner une limite précise ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils ne peuvent pas !
M. le président. Je mets aux voix l'article 7, modifié.
(L'article 7 est adopté.)
Article 8
L’article L. 222-3 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« À peine d’irrecevabilité, prononcée d’office, aucune irrégularité antérieure à l’audience relative à la première prolongation du maintien en zone d’attente ne peut être soulevée lors de l’audience relative à la seconde prolongation. »
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.
Mme Bariza Khiari. Avec l’article 8, nous sommes au début du processus qui vise à limiter le contrôle du juge judiciaire et que l’on retrouve notamment dans l’article 10.
Nous voici devant les premiers fondements du système de « purge des nullités » que vous souhaitez mettre en place s’agissant des étrangers. Cet article vise en effet à déclarer irrecevable d’office tout moyen d’irrégularité soulevé après la première audience, à moins que ladite irrégularité ne soit postérieure à l’audience. En d’autres termes, le vice de procédure n’est valable qu’en première audience et plus en seconde.
L’article 3 bis faisait des naturalisés des Français de seconde zone ; voici maintenant que l’article 8 fait des étrangers des justiciables de seconde zone !
Il est toujours intéressant de voir que vous appelez progrès et pragmatisme la violation des droits et le déni de justice. Chacun ses mots ! Les nôtres ont le mérite de réellement désigner la chose par son nom.
Pourtant, la rétention des étrangers est la seule procédure civile où il y ait privation de liberté. Aussi, la défense de leurs droits et les moyens qui doivent y être affectés mériteraient que l’on respecte tous les arguments qui peuvent être avancés par la défense au fur et à mesure de la procédure et non que l’on néglige leurs droits les plus élémentaires.
La prolongation du maintien en zone d’attente n’est qu’une faculté. Si cette dernière est choisie, l’étranger a le droit de pouvoir se défendre normalement.
Ces dispositions sont la preuve manifeste d’une défiance de ce gouvernement à l’égard des juges judiciaires qui, constatant qu’une irrégularité violant les droits de l’étranger aurait été commise, seraient toutefois dans l’obligation de feindre de ne pas la voir et de s’interdire de la constater pour ordonner la mise en liberté sur ce fondement.
Le juge ne saurait négliger quelque chose qui tombe sous le sens pour la seule raison que cette irrégularité n’aurait pas été invoquée dès le premier passage devant le juge.
Cette disposition néglige les conditions de travail des avocats, ce qui la rend d’autant plus cynique. Les avocats ayant connaissance de la procédure judiciaire très peu de temps avant les audiences, ils sont fréquemment conduits à soulever en appel des moyens de nullité : ils ne le font pas avant, et vous le savez fort bien !
Détaillons un peu cette procédure, pour que vous ne puissiez le nier. La première audience doit actuellement avoir lieu dans les quarante-huit heures. La personne placée en rétention est rarement en mesure de préparer efficacement sa défense, ne serait-ce qu’en raison de la barrière de la langue, d’une méconnaissance du droit et de conditions matérielles et psychologiques souvent difficiles.
Je doute que quiconque puisse déclarer que l’on prépare efficacement sa défense en rétention.
L’avocat prend souvent connaissance du dossier une heure avant l’audience. Il n’a donc pas réellement le temps de l’approfondir et d’obtenir des informations qui permettraient de détecter une erreur de procédure. C’est pourquoi cette disposition est particulièrement grave.
Pis, cet article va à contre-courant des règles fixées par le code de procédure civile et de la jurisprudence qui en découle. Pour vous en convaincre, relisez l’article 561, qui définit l’objet de l’appel : « L’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit ».
En d’autres termes, il est pour le moins surprenant qu’un deuxième jugement ne puisse remettre en cause le premier, de surcroît sur des éléments nouveaux.
Relisez également l’article 563 du code de procédure civile : « Pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves ».
Comment pouvez-vous revenir sur des dispositions aussi claires ?
Nous savons que beaucoup de procédures sont annulées pour irrégularités, notamment lors des arrestations. Assurément, ce texte facilitera la tâche de l’administration puisqu’il rendra les annulations pour vice de forme plus difficiles à obtenir. Or c’est bien souvent après coup que l’on s’aperçoit que les droits n’ont pas été notifiés ou que le contrôle du titre de séjour qui a provoqué l’arrestation n’était pas régulier.
Notre Constitution protège les personnes contre les abus de pouvoir. La seule justification que l’on peut trouver pour limiter un droit constitutionnel, c’est le cas où l’on tente de le concilier avec d’autres droits constitutionnellement protégés. Dans la situation présente, je ne vois pas quel droit constitutionnel est mis en avant pour justifier la limitation des droits de la défense et l’atteinte au droit à un procès équitable.
Louis Mermaz évoquait un texte contre les juges et les immigrés. Pour ma part, je parlerai d’un billard à trois bandes : c’est un texte contre les juges, contre les immigrés et contre les avocats.
Le Conseil constitutionnel, saisi sur ce point, risque fort de censurer cette disposition, dont notre groupe demande la suppression.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 36 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 114 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 303 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l’amendement n° 36 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. Je ne vais pas davantage retenir l’attention du Sénat, car je souscris totalement aux propos de Mme Khiari.
Pour les mêmes raisons que celles qu’elle a exposées, je demande également la suppression de l’article 8.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre, pour présenter l'amendement n° 114.
Mme Marie-Agnès Labarre. Nous nous opposons à cet article, qui restreint le pouvoir du juge des libertés et de la détention ainsi que les droits de la défense.
L’étranger est maintenu les quatre premiers jours en zone d’attente. Au-delà, son maintien peut être prolongé d’une durée de huit jours par le juge des libertés et de la détention. Une fois ce délai écoulé, l’administration peut de nouveau demander une prolongation de huit jours.
Cet article introduit une nouvelle disposition : les irrégularités relatives au maintien de l’étranger en zone d’attente doivent être invoquées au cours de la première audience de prolongation de la détention et ne peuvent plus l’être au cours de la seconde audience, sous peine de nullité.
Pourtant, le rôle du juge des libertés et de la détention ne se limite pas à la prolongation du délai sur demande de l’administration. Il veille également à ce qu’il n’y ait pas eu d’atteinte aux droits fondamentaux des étrangers placés en zone d’attente et à ce que la procédure suivie soit conforme. Si tel n’est pas le cas, il peut invalider la procédure, ce qui débouche sur l’admission de l’étranger sur le territoire français.
Les délais et l’instruction étant très brefs, introduire une nullité des actes précédant la première prolongation lors de l’instruction de la deuxième constitue une régression importante des droits des étrangers. En outre, cet article tend à protéger l’impunité de l’administration en réduisant autant que faire se peut le pouvoir de contrôle du juge des libertés et de la détention sur ces actes. C’est pourquoi nous en demandons la suppression.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l'amendement n° 303.
M. Richard Yung. Nous n’aimons vraiment pas cet article, qui vise à « purger les nullités ».
Décidément, le juge est de plus en plus encadré. Non seulement, on repousse de deux à cinq jours la durée pendant laquelle l’administration peut maintenir l’étranger en rétention sans son intervention, mais on lui dit également que d’autres feront le travail et surtout comment il doit faire le sien.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le juge doit appliquer la loi !
M. Richard Yung. Selon notre conception de la justice, les jugent doivent être libres et se prononcer en leur âme et conscience.
On voit bien à quoi conduit votre volonté d’introduire des critères indiquant ce qu’il a le droit de faire ou non, ce qu’il peut juger ou non. Derrière tout cela, il y a un impératif d’accélération.
M. David Assouline. Ils n’aiment pas les juges !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si, je les adore, quand ils appliquent la loi !
M. Richard Yung. Le souci de faciliter l’administration de la justice ne saurait en aucun cas justifier ce genre de mesure, qui apparaît déplacée dans un État de droit. Je pense que le Conseil constitutionnel se penchera sur la question.
Par ailleurs, la « purge des nullités » est une procédure issue du droit civil. Elle n’est pas adaptée à la procédure de maintien en zone d’attente, qui met en jeu la liberté individuelle et oppose l’administration et un migrant. Elle fragilisera l’exercice des droits des étrangers.
Il est à craindre en effet que, compte tenu du délai particulièrement bref dont dispose l’étranger pour organiser sa défense, des irrégularités n’aient pas été repérées et invoquées lors de la première audience. Or le droit, c’est le droit, même si cela chagrine quelque peu l’actuel ministre de l’intérieur !
Les dispositions de l’article 8 apparaissent donc contraires à l’article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’article 8 du projet de loi vise à inscrire un principe de « purge des nullités » entre la première et la seconde audience de prolongation devant le juge des libertés et de la détention. Il ne concerne pas l’appel, contrairement à l’article 12, que la commission des lois a supprimé.
Cet article 8 est conforme à une jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui considère, s’agissant de la rétention, que les conditions de l’interpellation d’un étranger ne peuvent plus être discutées à l’occasion de la seconde prolongation.
Cette position se justifie par la raison d’être de la seconde audience de prolongation, qui a pour unique objet d’examiner les motifs pour lesquels, douze jours après son placement en zone d’attente, l’étranger n’a été ni rapatrié ni admis sur le territoire pour y solliciter l’asile. D’ailleurs, la seconde prolongation ne peut être autorisée qu’à titre exceptionnel ou en cas de volonté délibérée de l’étranger de faire échec à son départ.
Dans un souci de sécurisation des procédures et d’unification des jurisprudences, ce qui n’est pas négligeable, la commission a approuvé l’article 8, qui vise à inscrire dans le projet de loi cette position constante de la Cour de cassation. C’est pourquoi elle est défavorable à ces trois amendements de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Une fois de plus, je m’adresse au Gouvernement pour lui demander pourquoi il fait preuve d’une telle méfiance à l’égard du juge, pourquoi il a peur du juge des libertés et de la détention. Est-ce son indépendance qui le conduit à remettre en cause certains principes tels que le principe d’appréciation ou celui d’individualisation ?
Lorsqu’on a un minimum de respect pour l’état de droit, ce genre d’article est tout à fait inacceptable.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Comme nous sommes enfermés dans cet hémicycle depuis de nombreuses heures, certains d’entre nous n’ont peut-être pas pu suivre l’actualité. Pourtant, elle n’est pas sans lien avec notre débat.
Aujourd’hui même, les magistrats ont été gravement mis en cause par le Président de la République. Cette nouvelle provocation, qui a mis le milieu judiciaire en émoi, je ne peux m’empêcher de la rapprocher de cette méfiance envers les juges telle qu’elle apparaît dans ce projet de loi.
Ils sont dans votre collimateur, tout comme les avocats. Vous voyez en eux des obstacles ou des freins à l’efficacité, votre maître mot. Voilà pourquoi plusieurs des articles que nous venons d’examiner créent un flou qui offre une large marge d’interprétation de l’administration, tandis que le juge, lui, voit son pouvoir d’intervention restreint.
Cette pratique me fait penser à certains régimes où les juges sont strictement encadrés et où une très grande place est laissée à l’arbitraire de l’administration. Je n’en dirai pas plus…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation !
M. David Assouline. Je vous invite vraiment à réfléchir. Repensez à toutes les dispositions que nous avons examinées depuis hier et à toutes celles que nous examinerons la semaine prochaine : on n’y trouve que des restrictions, des peurs. Vous les justifiez en disant que c’est pour empêcher des détournements, des fraudes. Finalement, nous ne sommes plus totalement dans une société confiante, ouverte et démocratique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne serais pas intervenu si M. le rapporteur n’avait pas fait état de la jurisprudence de la Cour de cassation.
La CIMADE nous indique que l’article 8 du projet de loi est à contre-courant des règles fixées par le code de procédure civile et de la jurisprudence qui en découle.
L’article 561 du code de procédure civile définit l’objet de l’appel : « L’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. L’appel, c’est à l’article 12, que nous supprimons !
M. Jean-Pierre Sueur. L’article 563 du même code dispose : « Pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves ». C’est la loi et elle est parfaitement claire !
L’article 565 du même code affirme le principe suivant : « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ».
Dans un arrêt de principe du 1er juillet 2009, qui n’a certainement pas échappé à votre sagacité, monsieur le président de la commission, la Cour de cassation a précisé la définition du périmètre de la notion d’exception, notamment de procédure : « Mais attendu qu’ayant relevé que le moyen concernait l’exercice effectif des droits de l’étranger dont le juge devait s’assurer, de sorte qu’il ne constituait pas une exception de procédure au sens de l’article 74 du code de procédure civile, le premier président en a justement déduit que, bien que n’ayant pas été soulevé devant le juge des libertés et de la détention, il convenait d’y répondre ; que le moyen n’est pas fondé ; ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous n’avez pas l’air de comprendre ce dont vous parlez !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, quel est votre sentiment à propos de cet arrêt du 1er juillet 2009 ? Cette jurisprudence s’impose-t-elle ou est-elle nulle et non avenue ?
Je pense que vos réponses à ces questions permettront d’éclairer le vote du Sénat.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur Sueur, ce que vous dites est parfaitement exact, mais s’applique à l’appel, c'est-à-dire à l’article 12, que la commission a supprimé.
On peut toujours tout déformer, mais la jurisprudence de la Cour de cassation concerne bien l’article 8 !
M. David Assouline. Ce n’est pas la peine de l’engueuler !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je ne suis pas sûr de faire partie de ceux qui s’emportent le plus ! Ce sont d’ailleurs souvent ceux qui parlent le plus fort qui reprochent aux autres d’élever parfois un peu la voix.
Si vous parlez de l’article 12, monsieur Sueur, nous sommes d’accord. C’est bien pourquoi la commission des lois a supprimé cet article
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je ne peux que confirmer ce qu’a excellemment dit le président de la commission.
La jurisprudence que vous avez évoquée, monsieur Sueur, concerne l’article 12 et la procédure d’appel. Sur ce point, la commission des lois a pris une position extrêmement claire en supprimant l’article 12. Ainsi, l’effet dévolutif de l’appel fait que le magistrat d’appel pourra apprécier les nullités.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. S’agissant de l’article 8, la situation est nettement différente. Il s’agit en effet du prolongement du maintien en zone d’attente. La Cour de cassation a précisé à ce propos que, au moment de la prolongation du maintien en zone d’attente, les nullités non soulevées au moment de la première prolongation étaient purgées.
Il ne s’agit pas de transcrire dans ce texte une volonté de bloquer les magistrats : la jurisprudence de la Cour de cassation – il s’agit donc de décisions prises par des magistrats – est intégrée au texte. Il est impossible de nous accuser de vouloir museler les juges puisque nous intégrons dans la loi une position qu’eux-mêmes ont définie.
M. Jean-Pierre Sueur. Oui, mais la CIMADE considère que cela s’applique à l’article 8. La seconde audience ressemble beaucoup à un appel et il n’est pas illogique de l’aborder avec le même état d’esprit.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 36 rectifié, 114 et 303.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 8.
(L'article 8 est adopté.)
Article 9
L’article L. 222-3 du même code est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, après le mot : « statue », sont insérés les mots : « dans les vingt-quatre heures de sa saisine ou, lorsque les nécessités de l’instruction l’imposent, dans les quarante-huit heures de celle-ci » ;
2° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’existence de garanties de représentation de l’étranger n’est pas à elle seule susceptible de justifier le refus de prolongation de son maintien en zone d’attente. »
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l’article.
M. Louis Mermaz. Nous sommes toujours, hélas ! dans la même logique funeste. En effet, l’article 9 vise à interdire au juge – s’il était possible de lui passer les menottes, vous ne vous en priveriez pas !– de fonder l’élargissement d’une personne retenue en zone d’attente sur le fait qu’elle présente toutes les possibilités de représentation. Pourtant, jusqu’à présent, cela était évident : qu’il s’agisse des instances européennes ou françaises, il avait toujours été considéré que les choses devaient se passer ainsi.
Les alinéas 4 et 5 de l’article 9 reviennent sur une jurisprudence constante de la Cour de cassation – oui, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur : la Cour de cassation – qui considère que, le maintien en zone d’attente n’étant qu’une faculté, l’étranger présentant des garanties de représentation peut exécuter le refus d’entrée dont il fait l’objet sans être privé de liberté.
Cette disposition vise, là encore, à instaurer une toute-puissance, sans aucun contrôle, de la police aux frontières et à revenir sur une jurisprudence de la Cour de cassation.
Le Gouvernement tenterait donc, une fois de plus, de contrecarrer les pouvoirs du juge judiciaire saisi de requêtes en prolongation du maintien en zone d’attente. En effet, même s’il constate qu’il n’y a pas de risque à laisser entrer la personne sur le territoire, dès lors que celle-ci justifie d’un billet de retour, d’une réservation hôtelière, d’une somme d’argent en espèces ou encore de la présence de membres de sa famille en France, le juge ne pourra plus fonder une décision de refus du maintien en zone d’attente sur cette seule constatation. Il lui sera donc désormais impossible de fonder un refus de prolongation sur la seule base de l’existence de garanties solides de représentation.
Le 2° de cet article a pour but de mettre un terme à une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Cette dernière considère qu’en toute hypothèse le maintien en zone d’attente au-delà du délai de quatre jours déjà utilisé par l’administration n’est qu’une faculté pour le juge des libertés et de la détention. Ce dernier peut ainsi, sans préjuger de la légalité de la décision administrative refusant l’entrée sur le territoire, refuser le maintien en zone d’attente dès lors que l’étranger présente des garanties de représentation.
La IIe chambre civile a, par exemple, considéré qu’en retenant qu’un étranger possédait un billet de retour – ou tout autre élément que j’ai indiqué –, le juge n’avait fait qu’apprécier la garantie de représentation de l’intéressé, sans remettre en cause l’application de la décision administrative.
Cette situation est source de difficultés pour l’administration. En effet, à la différence du régime de la rétention administrative, dans lequel l’étranger peut, lorsque le juge refuse la prolongation du placement en centre de rétention administrative, être assigné à résidence dans l’attente de son départ, le refus du maintien en zone d’attente autorise automatiquement l’étranger à entrer sur le territoire sous le couvert d’un visa de régularisation de huit jours. De ce fait, le refus d’autoriser la prolongation du maintien en zone d’attente a de facto pour effet de faire échec au refus d’entrée sur le territoire opposé par l’administration.
D’après les informations communiquées par le Gouvernement en 2009, 27,59 % des demandes de prolongation de maintien en zone d’attente ont été refusées en raison des garanties de représentation présentées par l’étranger.
Le 2° du présent article a pour but de revenir sur cette jurisprudence de la Cour de cassation en inscrivant dans la loi le principe selon lequel l’existence de garanties de représentation de l’étranger n’est pas à elle seule susceptible de justifier le refus de prolongation de son maintien en zone d’attente.
Bref, c’est toujours la même chose : moins de pouvoirs pour le juge et moins de garanties pour la personne retenue !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 115 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 304 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 115.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Mermaz vient de rappeler avec talent le contenu de cet article et les raisons de son caractère dangereux. On restreint les possibilités d’appréciation du juge. Si on ne lui passe pas les menottes, on le tient au moins en laisse !
D’abord, je crois au caractère bénéfique de la limitation à quarante-huit heures.
Ensuite, prévoir que le seul fait que l’étranger présente des garanties de représentation n’est pas suffisant pour motiver le refus de prolongation est contraire à une jurisprudence constante. En effet, il semble que ce soit souvent ce qui justifie le refus des juges.
Après tout, le fait d’être en centre de rétention n’est pas normal puisque l’étranger n’est pas coupable. Pourtant, il est bel et bien privé de liberté. S’il présente toutes garanties de représentation, conformément au droit en vigueur, il n’y a aucune raison pour qu’il soit maintenu en zone d’attente.
En fait, vous voulez empêcher l’étranger se trouvant en zone d’attente d’en sortir ! Il vaudrait mieux le dire plutôt que de chercher des subterfuges et d’enfreindre, ce faisant, le droit en vigueur.
Il faut des motifs graves pour priver quelqu’un de liberté ! Nous pourrions débattre à l’infini sur ce que signifie la rétention. En tout cas, il s’agit bien d’une privation de liberté. En ce sens, au-delà d’un certain nombre de caractéristiques, les centres de rétention sont des prisons !
Considérer que l’on doit à tout prix maintenir les étrangers dans ces centres, mêmes lorsque les intéressés présentent toutes garanties de représentation, cela aggrave considérablement les choses.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 304.
M. Jean-Pierre Sueur. Les dispositions prévues aux alinéas 1 et 2 de l’article 9 visent à obliger le juge des libertés et de la détention à statuer dans un délai de vingt-quatre heures sur la prolongation du maintien en zone d’attente. M. le rapporteur a fait adopter un amendement tendant à allonger ce délai de vingt-quatre heures lorsque les nécessités de l’instruction l’imposent.
Ces dispositions nous posent problème. En effet, le maintien en zone d’attente décidé par l’autorité administrative est d’une durée de quatre jours, soit une durée équivalente à celle de la garde à vue dans les affaires liées à des infractions terroristes ou commises en bande organisée. Le délai accordé au juge permettrait donc de priver de liberté un étranger pendant une période maximale de six jours. Or une telle durée serait manifestement excessive et contraire à la jurisprudence constitutionnelle.
Il convient donc de maintenir le droit en vigueur, qui prévoit que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention est rendue « sans délai ».
S’agissant des dispositions prévues aux alinéas 3 et 4 de l’article 9, elles ne sont pas plus acceptables, ainsi que l’a expliqué Mme Borvo Cohen-Seat. Le Gouvernement propose d’inscrire dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile le principe selon lequel l’existence de garanties de représentation de l’étranger n’est pas à elle seule susceptible de justifier le refus de prolongation du maintien en zone d’attente. Ces dispositions tendent à limiter les pouvoirs de décision du juge judiciaire. Le Gouvernement souhaite ainsi remettre en cause une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle la prolongation du maintien en zone d’attente n’est qu’une faculté.
On cherche donc, une fois de plus, à dire aux juges ce qu’ils doivent faire ! On porte en outre atteinte aux droits des personnes concernées. En effet, le délai va devenir très long et les étrangers pourront être privés des libertés et des droits qui doivent être les leurs pendant six jours, soit, en l’espèce, une longue période.
Pour ces raisons, nous proposons la suppression de l’article 9.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Les dispositions de l’article 9 visent, d’une part, à préciser le délai dans lequel statue le juge des libertés et de la détention. Il vient d’être rappelé que nous avons donné vingt-quatre heures supplémentaires à ce magistrat pour qu’il puisse prendre sa décision ; cela est de nature à accroître ses pouvoirs et à lui permettre de mieux envisager la situation de l’étranger.
D’autre part, les dispositions considérées prévoient que l’existence de garanties de représentation ne peut, à elle seule, justifier un refus de prolongation du maintien en zone d’attente.
Sur ce dernier point, j’attire votre attention sur les difficultés que suscite la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière. En effet, le fait de refuser la prolongation du maintien en zone d’attente d’un étranger au seul motif que celui-ci justifie de garanties de représentation a pour effet de faire automatiquement échec au refus d’entrée sur le territoire opposé par l’administration puisque l’étranger est alors autorisé à entrer sur le territoire alors qu’il n’y est pas autorisé juridiquement. Or la décision de l’administration peut être tout à fait fondée.
Les modifications apportées par l’article 9 me paraissent apporter une clarification plutôt opportune des rôles de chacun.
Pour ces raisons, l’avis de la commission des lois est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je souhaite dénoncer un certain amalgame.
En effet, la privation de liberté – dans des délais tout à fait disproportionnés et démesurés, allant au-delà de la durée d’une garde à vue, y compris de la garde à vue visant des personnes suspectées de terrorisme – nous rappelle qu’une fois encore un amalgame est fait entre le sans-papier et le délinquant, voire le terroriste.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 115 et 304.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 305 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mmes Tasca, Bricq et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots ;
dans les vingt-quatre heures de sa saisine
par les mots :
dans un délai raisonnable
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à imposer au juge des libertés et de la détention de statuer dans un « délai raisonnable ».
Ce principe est issu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans plusieurs arrêts, a reconnu l’obligation de rendre la justice dans ce délai raisonnable.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Mes chers collègues, j’attire de nouveau votre attention sur le fait que les dispositions de l’article 9 ont justement pour but de préciser le délai dont dispose le juge pour statuer sur la prolongation du maintien en zone d’attente, les textes étant extrêmement imprécis sur ce point. Une telle clarification est, de notre point de vue, bienvenue puisque le délai sera désormais clairement établi.
En outre, la commission a souhaité laisser au juge des libertés et de la détention la possibilité de disposer de vingt-quatre heures supplémentaires lorsque les nécessités de l’instruction l’imposent, afin de lui permettre de se prononcer et d’exercer son devoir de contrôle de la liberté et de la détention dans les meilleures conditions possibles, ce qui est incontestablement un élément important.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :
Alinéas 3 et 4
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Les alinéas 3 et 4 de l’article 9 visent à insérer un troisième alinéa à l’article L. 222-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Or cet ajout remet en cause une jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui fait du maintien en zone d’attente une simple faculté lorsque l’étranger présente des garanties de représentation.
Nous constatons une nouvelle fois la méfiance dont fait l’objet le juge judiciaire, cette disposition visant à contrecarrer ses pouvoirs lorsqu’il est saisi de requêtes en prolongation du maintien en zone d’attente.
Même lorsqu’il constate l’absence de risque à laisser entrer la personne sur le territoire, celle-ci justifiant d’un billet de retour, d’une réservation hôtelière, d’une somme d’argent en espèces ou encore de la présence de membres de sa famille en France, le juge ne pourra fonder une décision de refus du maintien en zone d’attente sur cette seule constatation.
Pourtant, le juge judiciaire évalue l’ensemble des éléments qui lui sont présentés par l’administration, d’une part, et par l’étranger, d’autre part. Dans le cadre de cette évaluation, il peut notamment tenir compte des garanties de représentation de l’étranger, mais ces éléments ne sont ni impératifs, ni exhaustifs. Il s’agit là d’un critère parmi d’autres et aucunement d’une exigence telle que celle qui est prévue en matière de rétention administrative.
Le juge judiciaire peut aussi écarter le motif invoqué par l’administration et tiré des contraintes liées à l’organisation du départ, même dans le cas où l’étranger ne dispose pas de garanties de représentation.
À la lumière de ces jurisprudences, nous demandons la suppression de ces alinéas.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Nous nous sommes déjà expliqués sur les fondements de cette disposition : avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 9.
(L'article 9 est adopté.)
Article 10
Après l’article L. 222-3 du même code, il est inséré un article L. 222-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 222-3-1. – Une irrégularité formelle n’entraîne la mainlevée de la mesure de maintien en zone d’attente que si elle présente un caractère substantiel et a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger. »
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. Cet article concerne les irrégularités susceptibles d’être invoquées pour faire échec à un maintien en zone d’attente.
L’Assemblée nationale avait adopté la rédaction suivante : « Une irrégularité n’entraîne la mainlevée de la mesure de maintien en zone d’attente que si elle présente un caractère substantiel et a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger. »
La commission des lois du Sénat a apporté une modification, que nous allons essayer de peser, un peu comme on pesait les substances au Moyen-Âge : « Une irrégularité formelle n’entraîne la mainlevée de la mesure de maintien en zone d’attente que si elle présente un caractère substantiel et a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger. »
Cet article, dans le fond, tend à inscrire dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile le principe selon lequel les irrégularités « formelles » non substantielles ne peuvent fonder un refus de prolongation du maintien en zone d’attente. À quelle autorité faudra-t-il donc s’adresser pour savoir ce que sont ces irrégularités formelles non substantielles ? À la Curie romaine ? À des sages ? À des féticheurs ?…
M. Richard Yung. À l’Académie française !
M. Louis Mermaz. Pourquoi pas ? Ou à l’Académie des sciences !
La commission des lois du Sénat ayant eu cette idée lumineuse de préciser qu’il devait s’agir d’irrégularités « formelles », j’espère que le rapporteur nous éclairera sur cette question.
Pour notre part, nous demandons la suppression de cet article et proposons donc de maintenir les pouvoirs d’appréciation du juge des libertés et de la détention lors des audiences de prolongation du maintien en zone d’attente.
Le fait que la commission des lois du Sénat ait ajouté « formelles » ne change rien à l’objectif du Gouvernement, toujours le même : limiter le contrôle du juge judiciaire et encadrer ses pouvoirs. Le but visé est clairement de l’empêcher de libérer les étrangers pour vice de forme, comme on vient de le voir à l’article 9.
La discussion sera sans fin pour distinguer ce qui est formel de ce qui ne l’est pas et, parmi ces irrégularités formelles elles-mêmes, celles qui porteraient atteinte ou non aux droits des étrangers. On n’y comprend rien !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous non plus, nous ne comprenons rien à ce que vous racontez !
M. Louis Mermaz. En quoi consistent des irrégularités purement formelles et ne portant pas atteinte aux droits de l’étranger ? Quels seront les critères ? Qui en décidera ? Cela va susciter un invraisemblable contentieux ! Comment définir ce qui est « substantiel » quand il s’agit des droits d’une personne ?
On nous dit par exemple que, si le document ne porte pas le nom de l’interprète, l’irrégularité est formelle et ne doit pas être prise en compte. En revanche, s’il n’y a pas eu d’interprète, l’irrégularité est totale et entraîne la nullité de la procédure ; de même pour l’absence d’une signature sur un procès-verbal.
Mais ces vices de forme, substantiels ou non, sont des violations de la loi et des libertés constitutionnelles des individus, quand bien même ils ne concerneraient qu’un simple tampon administratif. Heureusement que la peine de mort a été abolie ! Cela fait frémir !
Tout est dit sur la philosophie qui sous-tend ce texte quand on lit dans le rapport que « le projet de loi comporte des dispositions destinées à renforcer la sécurité juridique des procédures d’éloignement » ! Je plains les fonctionnaires, je plains les magistrats. Faut-il plaindre ce pauvre gouvernement ? Drôle de société que celle qui préfère protéger les procédures – et quelles procédures ! – plutôt que les hommes…
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.
Mme Bariza Khiari. Après la purge des nullités, voici la sélection des vices de procédure.
Comme je l’ai souligné, il est prévu, à l’article 8, que l’on ne puisse soulever d’irrégularité qu’à la première audience. L’article 10 ajoute que cette irrégularité ne peut entraîner de remise en liberté que si elle est « substantielle » et porte atteinte aux droits de l’étranger. L’article 10 limite donc les cas dans lesquels le juge pourrait sanctionner les irrégularités qu’il constate par la remise en liberté de la personne maintenue en zone d’attente.
On introduit de fait une hiérarchie entre les irrégularités, en tout cas si elles sont formelles, suivant qu’elles auraient un caractère substantiel ou non.
Puisque nous sommes dans la sémantique depuis quelques heures, comme mon collègue Louis Mermaz, j’aimerais que l’on nous précise le sens des mots et leur portée en droit. Je m’interroge sur le placement du curseur pour définir le caractère « substantiel » de l’irrégularité. À mes yeux, toute irrégularité est grave.
Par ailleurs, le juge ne peut prendre en compte que les irrégularités qui porteraient atteinte aux droits de l’étranger, les autres devant être mises de côté. Concrètement, cela signifie que l’étranger devra justifier devant le juge de cette « atteinte aux droits », notion éminemment subjective, pour pouvoir obtenir l’annulation de la procédure. Vous donnez à l’étranger une charge de la preuve supplémentaire : prouvez-nous non seulement que vous avez été victime d’une irrégularité, mais qu’elle a aussi gravement porté atteinte à vos droits !
Cet article soulève des problèmes de fond et de forme.
On voit clairement la manœuvre : empêcher le juge judiciaire de libérer les étrangers pour vice de forme. Le Président de la République vitupère sans cesse les juges. Ce texte, s’il est voté, lui donnera satisfaction !
Il faut encadrer tout le monde : les juges, les avocats, les journalistes, les médias audiovisuels… Mais enfin, dans quelle société vivons-nous ? Il n’y a plus de contre-pouvoirs, plus de corps intermédiaires !
Il est vrai que les juges ne font qu’appliquer la loi, la loi qui est faite avant tout pour défendre les personnes et non pour les acculer. Ces vices de forme, faut-il le rappeler, sont des violations de la loi et des libertés constitutionnelles des individus. Il ne s’agit donc pas de simples erreurs de tampon administratif, de virgules oubliées et de points de suspension négligés. Il s’agit d’erreurs bien plus graves : nous parlons ici de libertés individuelles.
J’estime que cette combinaison de dispositions viole l’esprit et la lettre de l’article 66 de la Constitution. Chers collègues, soyons collectivement raisonnables avant que le Conseil constitutionnel ne le soit pour nous ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 37 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 116 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 306 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l’amendement n° 37 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. À l’étude de l’évolution de la législation concernant le droit des étrangers, on s’aperçoit que, chaque fois, on a essayé de clarifier des situations qui étaient très complexes, très confuses. Or les dispositions que nous sommes en train d’inscrire dans la loi ne font qu’ajouter à cette confusion.
Je n’irai pas plus loin dans mes explications : l’article qui nous est proposé tend à rendre encore plus complexe un droit qui l’est déjà énormément ; il donnera lieu à des contentieux sans fin. C'est la raison pour laquelle nous y sommes très fortement opposés.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 116.
Mme Éliane Assassi. Si cet article était malheureusement adopté, les irrégularités formelles durant la privation de liberté des étrangers placés en zone d’attente ne permettraient plus d’y mettre fin, si ce n’est dans les cas où elles présenteraient un caractère substantiel et porteraient atteinte aux droits de l’étranger.
L’enjeu d’un tel article réside dans la limitation des mainlevées du maintien en zone d’attente.
Actuellement, la Cour de cassation estime qu’en matière de mesures privatives de liberté – et le maintien en zone d’attente en est une – les irrégularités doivent être considérées avec la plus grande rigueur. Ainsi, en matière de rétention d’un étranger, il n’appartient pas à celui-ci de fournir la preuve du préjudice. C’est le juge qui doit s’assurer que l’intéressé a été pleinement informé de ses droits et a été en mesure de les faire valoir.
De plus, toute irrégularité porte potentiellement atteinte aux droits de la personne privée de liberté, et c’est ce que consacre la Cour de cassation en matière pénale.
Un tel article tend à revenir sur la jurisprudence de la Cour de cassation, qui apporte pourtant les protections nécessaires aux personnes privées de leur liberté.
Il est indispensable que la procédure soit respectée. Parce qu’elle garantit l’effectivité des droits accordés aux étrangers maintenus en zone d’attente, son irrégularité ne doit pas rester sans effets.
C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 10.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l'amendement n° 306.
M. Richard Yung. Beaucoup ayant déjà été dit, je reviendrai simplement sur les difficultés d’interprétation que posent les termes « irrégularité formelle et substantielle », afin de comprendre ce qu’ils signifient.
Le défaut de mise à disposition d’interprète constitue, on le comprend, une irrégularité de fond. Une erreur dans l’orthographe du nom de l’interprète correspond, on le comprend aussi, à une irrégularité formelle non substantielle.
Mais quid, par exemple, du cas où un interprète ourdou a été fourni à un Tamoul ? Est-ce là une irrégularité formelle substantielle ou une irrégularité de fond ? Pour ma part, je ne sais pas faire la différence.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Relisez Aristote !
M. Richard Yung. Je pense – cela a été indiqué, je n’y insiste pas – que vous ouvrez un champ infini à la contestation et à la chicanerie devant tous les tribunaux de France et de Navarre. Il s’agit là d’un mauvais texte, qui affaiblit la loi et crée une hiérarchie des causes de nullité de la procédure selon la gravité supposée de leurs conséquences. Ce n’est pas habituel dans le système juridique français.
Je n’en dis pas plus, mais réfléchissons-y !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’article 10 du projet de loi vise à inscrire dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile l’adage « pas de nullité sans grief ».
La commission considère que ces dispositions ne devraient pas avoir pour effet de remettre en cause la jurisprudence de la Cour de cassation sur la charge de la preuve : puisqu’il s’agit d’une mesure privative de liberté, toute irrégularité porte potentiellement atteinte aux droits de la personne privée de liberté. Il appartient donc à l’administration ou au juge, et non à la personne concernée, de démontrer que l’irrégularité commise n’a pas fait grief à l’étranger.
En outre, la commission des lois a souhaité préciser que seules étaient concernées par le présent article les irrégularités « formelles », telles que celles qui sont susceptibles de concerner la rédaction d’un procès-verbal, et non les irrégularités de fond portant sur l’exercice des droits reconnus à l’étranger.
Elle émet par conséquent un avis défavorable sur les amendements identiques nos 37 rectifié, 116 et 306.
Si vous me le permettez, monsieur le président, je présenterai maintenant l’amendement n° 495, car il tend à régler une partie des problèmes qui viennent d’être évoqués.
M. le président. J’appelle donc en discussion l'amendement n° 495, présenté par M. François-Noël Buffet, au nom de la commission, et qui est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
présente un caractère substantiel et
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. À la distinction entre formalités substantielles et non substantielles, la commission a préféré celle entre irrégularités formelles et non formelles qui vise de façon plus explicite les seules formalités procédurales – rédaction du procès-verbal, notamment –, à l'exclusion des irrégularités affectant la mesure de privation de liberté.
Par cohérence et dans un souci de clarification, l’amendement n° 495 a donc pour objet de supprimer toute référence aux irrégularités présentant un caractère substantiel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements identiques nos 37 rectifié, 116 et 306, ainsi que sur l’amendement n° 495 ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement émet bien évidemment un avis défavorable sur les amendements identiques nos 37 rectifié, 116 et 306.
J’en viens à l’amendement n° 495, présenté par la commission des lois. Le Gouvernement, bien que préférant l’adjectif « substantiel » – c’est celui qu’utilise la Cour de cassation –, reconnaît bien volontiers que les termes « formel » et « non substantiel » sont proches. En conséquence, il s’en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote sur les amendements nos 37 rectifié, 116 et 306.
M. David Assouline. J’aimerais, madame la ministre, que vous vous exprimiez plus longuement, afin de clarifier un certain flou juridique. M. le rapporteur, lui, prend la peine de nous rassurer lorsqu’il estime un peu outranciers ou paranoïaques les meccanos que nous imaginons.
Nous avons la conviction que les dispositions présentes vont créer des contentieux et que le juge aura des difficultés à prendre une décision. Nous souhaiterions, par conséquent, que les débats de la Haute Assemblée permettent au moins d’éclairer ce dernier. Pour cela, il faudrait que vous nous donniez plus d’explications, lesquelles feraient foi en cas de difficulté d’interprétation de la loi.
En général, les membres du Gouvernement nous fournissent gracieusement les explications que nous réclamons fréquemment, afin que nous cessions toute supputation.
En la circonstance, madame la ministre, vous ne nous dites rien, et je ne pense pas que M. le rapporteur puisse vous remplacer.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 37 rectifié, 116 et 306.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 10, modifié.
(L'article 10 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 10
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 203 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 221-5 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 221-5. - Un mineur ne peut être placé en centre de rétention, ni être séparé de ses parents ou de ses collatéraux. »
La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. Les mineurs étrangers doivent bénéficier d’une attention particulière, quelle que soit la procédure engagée à leur encontre, du fait même de leur condition de mineur, laquelle les place dans une position particulièrement vulnérable.
Les conditions d’accueil en centre de rétention administrative sont singulièrement dégradantes et sont dénoncées par de nombreuses organisations : en raison de la surpopulation et de l’absence d’intimité, on peut parler de « lieux déshumanisés ». Ceux-ci sont, en outre, des lieux de privation de liberté. La banalisation du placement des enfants dans ces centres prévu par le présent projet de loi est particulièrement dangereuse, d’autant que la durée maximale de ce dernier sera également renforcée.
Ce placement a plusieurs fois déjà été considéré comme un traitement inhumain et dégradant, au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Ce projet de loi prévoit pourtant qu’il sera possible d’enfermer les enfants durant des périodes pouvant atteindre jusqu’à quarante-cinq jours, au mépris de l’intérêt supérieur des enfants. La directive Retour préconise pourtant un tel placement « en dernier ressort ».
Le présent amendement vise donc à interdire le placement de mineurs en centre de rétention et leur séparation de leurs parents.
M. le président. L'amendement n° 309 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 221-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L'étranger mineur non accompagné d'un représentant légal ne peut être renvoyé. »
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de cet amendement est l’occasion pour vous de prouver à notre assemblée que vous êtes attentifs aux droits humains, notamment à ceux des plus fragiles, à savoir les mineurs. Vous devriez faire preuve d’ouverture et l’accepter, ainsi que le précédent.
En l’état actuel du droit, les mineurs étrangers isolés qui ne sont pas admis sur notre territoire peuvent être refoulés à l’issue d’un placement en zone d’attente. Ce régime est dérogatoire au droit commun.
La législation française prohibe en effet toutes les formes d’éloignement forcé à l’égard des mineurs, qu’il s’agisse de mesures administratives – une expulsion – ou judiciaires – une interdiction du territoire français. Les enfants maintenus en zone d’attente sont donc traités comme des étrangers adultes !
Ce dispositif n’a pas d’équivalent dans les États européens qui connaissent des flux migratoires entrants comparables à ceux de la France. Très souvent, vous faites référence à l’Europe, notamment à l’Allemagne et au Royaume-Uni. Or ces deux pays ne recourent pas au placement en zone d’attente pour les mineurs étrangers isolés. Ils ne leur refusent pas non plus l’entrée sur leur territoire.
En 2008, sur environ 1 000 mineurs étrangers isolés arrivés à l’aéroport de Roissy, 341 ont été expulsés ou ont poursuivi leur voyage vers une autre destination.
Cette pratique n’est pas acceptable car, selon le Conseil d’État, la décision de renvoyer un mineur étranger isolé vers son pays d’origine peut porter « atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant et doit être regardée comme contraire à l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant ».
Par ailleurs, les mineurs étrangers isolés placés en zone d’attente sont parfois éloignés vers des pays où ils n’avaient fait que transiter – de tels cas sont connus –, sans bénéficier des garanties suffisantes permettant de leur assurer qu’ils ne seront pas exposés à des exactions et qu’ils seront pris en charge à leur arrivée. Ce faisant, les autorités françaises mettent ces enfants en situation de danger.
Une telle pratique est contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans un arrêt du 12 octobre 2006, a considéré qu’une « situation d’extrême vulnérabilité » est « un élément qui est déterminant et que celui-ci prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal ».
Soucieux de garantir le respect des droits de l’enfant, nous proposons d’interdire l’expulsion des mineurs étrangers isolés placés en zone d’attente. Le présent amendement vise à permettre d’organiser la protection de ces migrants en prenant en considération leur intérêt supérieur, conformément à la Convention internationale des droits de l’enfant.
Il n’est pas dans notre intention d’autoriser de façon absolue tous les mineurs étrangers isolés à séjourner en France. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant peut en effet dicter une décision de retour dans le pays d’origine.
Nous souhaitons laisser du temps aux autorités compétentes pour qu’elles puissent évaluer sereinement les dangers auxquels les mineurs étrangers isolés risquent d’être confrontés en cas de retour dans le pays où ils ont leur résidence habituelle. En cas d’éloignement, les autorités devraient également s’assurer que la procédure est menée avec l’accord du mineur et qu’elle prend en considération prioritairement son projet de vie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je pense que l’amendement n° 203 rectifié comporte une confusion. En effet, ses auteurs visent le placement de mineurs en centre de rétention tout en faisant référence à l’article du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatif aux mineurs isolés en zone d’attente. Or ces deux types de placements obéissent à des règles différentes.
L’amendement n° 203 rectifié tend à interdire le placement des mineurs en centre de rétention qui est d’ores et déjà impossible.
Au surplus, pour ce qui concerne les mesures d’éloignement dont peuvent faire l’objet des mineurs accompagnant leurs parents, je rappelle que le code précité n’empêche pas l’éloignement de parents d’enfants mineurs et que l’administration s’efforce de ne pas séparer les enfants de leurs parents, ce qui rend inévitable parfois, malheureusement, la présence d’enfants en centre de rétention. Toutefois, cette situation n’est pas visée par le dispositif de l’amendement.
En conséquence, la commission des lois émet un avis défavorable sur cet amendement.
L’amendement n° 309 rectifié vise à interdire le renvoi dans son pays d’un mineur isolé qui n’a pas été autorisé à entrer sur le territoire et qui se trouve donc en zone d’attente.
Le droit positif prévoit d’ores et déjà que les mineurs dans une telle situation se voient désigner un administrateur ad hoc, qui les assiste durant leur maintien en zone d’attente et assure leur représentation dans le cadre des procédures administratives et juridictionnelles relatives à ce maintien.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Eh oui !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’administrateur ad hoc doit être désigné sans délai.
Par ailleurs, en cas de danger pour le mineur, le juge pour enfants peut prendre l’ensemble des mesures de protection qu’il estime utiles.
Le droit apporte donc déjà de nombreuses garanties aux mineurs isolés qui se présentent à la frontière.
L’amendement n° 309 rectifié est trop systématique. De surcroît, son adoption risquerait d’encourager les filières de passeurs, pour lesquelles, on le sait, tous les moyens sont bons pour faire entrer des étrangers sur notre territoire.
La commission émet donc également un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Tout d’abord, monsieur Assouline, je me suis exprimée longuement sur un certain nombre d’amendements, notamment lorsqu’une précision complémentaire devait être apportée. En revanche, il ne m’a pas semblé utile de répéter les propos de M. le rapporteur ; je ne vois pas ce que cela aurait apporté au débat !
J’en viens plus précisément aux amendements nos 203 rectifié et 309 rectifié.
Je vous rappelle que la protection des mineurs concernés par le dispositif est une préoccupation constante du Gouvernement. Il n’est pas question de déroger à ce principe, y compris en matière de mesures d’éloignement. D’ailleurs, comme vous le savez, un mineur ne peut pas être placé en rétention à titre individuel.
Cependant, les enfants peuvent accompagner leurs parents lorsque ceux-ci font l’objet d’un placement en rétention. Les familles sont alors dirigées vers des centres spécialisés, qui sont aménagés dans le respect de normes exigeantes.
Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune violation de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de la Convention internationale des droits de l’enfant. Il était, me semble-t-il, utile de le préciser.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. David Assouline. Ils ne sont pas identiques !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour explication de vote sur l'amendement n° 309 rectifié.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Il arrive parfois que les jeunes concernés ne sachent pas s’exprimer dans notre langue et que l’on ne connaisse pas leur âge. Ce sont alors les services médicaux qui déterminent si la personne est mineure ou non. Or, selon certains services de l’Assistance publique, la méthode utilisée à cette fin – il s’agit d’un bilan osseux – ne serait pas toujours fiable et ses résultats auraient besoin d’être confirmés par des examens complémentaires.
C’est donc un véritable problème, et je crois qu’il faut mener une réflexion sur le sujet. En tout cas, je tenais à attirer l’attention du Gouvernement et de la Haute Assemblée sur ce point.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame Hermange, j’ai déposé un amendement sur le sujet que vous venez d’évoquer. J’espère que je pourrai compter sur votre soutien lorsque nous l’examinerons…
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En tout cas, nous, nous vous soutiendrons, madame Boumediene-Thiery.
Je souhaite remercier Mme Hermange d’avoir soulevé un tel problème.
Pour ma part, j’ai interpellé à maintes reprises les gouvernements successifs sur la question des évaluations osseuses. À chaque fois, on m’a répondu qu’une réflexion sur le sujet s’imposait, mais qu’il fallait continuer d’utiliser la méthode employée, pourtant sujette à caution. La situation n’a guère évolué…
Mais, aujourd'hui, puisque nous discutons des mineurs, l’occasion nous est donnée de nous poser les véritables questions. Quels moyens d’évaluation faut-il retenir ? La méthode utilisée ne devrait-elle pas être abandonnée compte tenu du nombre d’erreurs qu’elle a provoquées ?
M. le président. L'amendement n° 90, présenté par Mme Troendle, est ainsi libellé :
Après l'article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 222-4 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’étranger est maintenu à disposition de la justice dans des conditions fixées par le procureur de la République, pendant le temps strictement nécessaire à la tenue de l’audience et au prononcé de l’ordonnance. »
Cet amendement n'est pas soutenu.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je le reprends au nom de la commission, monsieur le président.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 515, présenté par M. François-Noël Buffet, au nom de la commission, et dont le libellé est strictement identique à celui de l’amendement n° 90.
Vous avez la parole pour le défendre, monsieur le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement est important.
En fixant au juge des libertés et de la détention un délai de vingt-quatre heures, pouvant éventuellement être porté à quarante-huit heures, pour statuer, l’article 9 du projet de loi lui permettra de ne plus rendre son ordonnance sans délibérer, afin, éventuellement, de prendre le temps de mener les investigations qui lui paraîtraient nécessaires.
Le présent amendement vise à indiquer que, pendant ce temps, et jusqu’au prononcé de l’ordonnance, l’étranger est maintenu à la disposition de la justice dans des conditions définies par le procureur de la République. C’est une précision qui me semble utile.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement de précision.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 10.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 117 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 308 rectifié est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa de l'article L. 751-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le mineur isolé ne peut être éloigné avant d'avoir rencontré l'administrateur ad hoc qui lui a été désigné. »
La parole est à M. Jean-François Voguet, pour présenter l’amendement n° 117.
M. Jean-François Voguet. Cet amendement a pour objet d’introduire une protection renforcée des mineurs étrangers placés en zone d’attente.
Alors que 40 % d’entre eux restent moins de vingt-quatre heures dans la zone avant d’être éloignés, ils ne peuvent pas faire valoir les protections juridiques qui leur ont pourtant été accordées, notamment la rencontre avec un administrateur ad hoc qui les informe de leurs droits et les représente juridiquement. Eu égard aux actuels délais, l’administrateur n’a pas le temps d’être désigné avant que le mineur soit refoulé.
Pourtant, l’administrateur a pour rôle d’améliorer la situation juridique du mineur isolé, qui se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière. Le droit commun doit être appliqué à tous, et l’administrateur, qui en est en l’espèce le garant, ne devrait en aucun cas pouvoir être évincé.
C’est pourquoi nous souhaitons introduire une obligation dans la loi : le mineur ne peut pas être éloigné sans avoir rencontré l’administrateur ad hoc.
Ce qui doit primer, c’est le respect des droits humains, et non l’efficacité d’une procédure de refoulement précipitée !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour présenter l'amendement n° 308 rectifié.
M. David Assouline. Conformément à l’article L. 221-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, lorsqu’un étranger mineur non accompagné d’un représentant légal qui n’est pas autorisé à entrer en France est placé en zone d’attente, le procureur de la République, saisi par la police de l’air et des frontières, lui désigne sans délai un administrateur ad hoc pour assurer sa représentation dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles relatives au maintien en zone d’attente.
Ce dispositif, qui a été créé en 2002, connaît de nombreux dysfonctionnements préjudiciables aux droits des mineurs étrangers isolés.
Un administrateur ad hoc n’est pas présent au moment de la notification au mineur du refus d’entrée qui lui est opposé et de son placement en zone d’attente.
En outre, ces administrateurs sont souvent victimes d’obstruction policière et doivent engager une course contre la montre lorsqu’ils essaient d’empêcher l’éloignement d’un mineur vers un pays où celui-ci serait exposé à des risques.
Dans ces conditions, nombre de mineurs étrangers isolés sont expulsés sans même avoir pu contester leur placement en zone d’attente, ainsi que leur expulsion.
Nous craignons que ces difficultés – elles existent déjà ! – ne s’accentuent en cas de création d’une zone d’attente spéciale. Ces inquiétudes sont partagées par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, qui, dans un avis très critique en date du 5 juillet dernier, a affirmé ceci : « Du fait de la mobilité des zones d’attentes ad hoc, les difficultés rencontrées pour désigner un administrateur ad hoc qualifié dans les meilleurs délais, comme l’exige la loi, vont être démultipliées et la représentation des mineurs risque d’être inexistante. »
Afin de garantir le respect des droits des mineurs étrangers isolés, nous proposons d’insérer un article additionnel après l’article 10 pour poser le principe selon lequel ceux-ci ne peuvent pas être éloignés avant d’avoir rencontré un administrateur ad hoc. Franchement, c’est bien le moins que nous puissions faire !
Certains nous disent qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter, le droit des mineurs garantissant déjà la désignation de l’administrateur. Soit ! Mais, dans ce cas, pourquoi ne pas ajouter dans le projet de loi une disposition précisant que le mineur isolé ne peut pas faire l’objet d’une mesure d’éloignement avant d’avoir rencontré un administrateur ad hoc ?
Aujourd'hui, certains mineurs n’ont même pas le temps de rencontrer une telle personne. Ce fait justifie que vous acceptiez notre amendement, mes chers collègues.
La précision que nous proposons d’ajouter dans le projet de loi ne déforme en rien ce qui existe déjà, mais elle donnerait du crédit aux propos de ceux qui nous invitent à ne pas nous inquiéter pour les mineurs étrangers…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ces deux amendements identiques concernent les mineurs isolés présents sur le territoire national.
Or, aux termes des articles L. 511–4 et L. 521–4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les mineurs isolés ne peuvent pas faire l’objet d’une mesure d’éloignement. Le dispositif souhaité par les auteurs de ces deux amendements est donc satisfait par le droit en vigueur. (M. le président de la commission des lois acquiesce.)
Toutefois, j’observe qu’il y a une contradiction entre le dispositif et l’objet de l’amendement n° 117.
En effet, l’exposé des motifs de cet amendement vise le cas des mineurs isolés placés en zone d’attente, c’est-à-dire n’ayant pas été autorisés à entrer sur le territoire.
Là encore, les dispositions de l’article L. 221–5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoient – cela vient d’être évoqué – la présence et la désignation sans délai de l’administrateur ad hoc durant le maintien en zone d’attente. C’est donc ce dernier qui assure la représentation du mineur dans le cadre des procédures administratives et juridictionnelles relatives à ce maintien.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 117 et 308 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Article 10 bis
(Supprimé)
Article 11
À la seconde phrase de l’article L. 222-5 et à la deuxième phrase du second alinéa de l’article L. 222-6 du même code, le mot : « quatre » est remplacé par le mot : « six ».
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. Cet article concerne l’appel suspensif du parquet.
Il est proposé de donner davantage de temps au ministère public pour contester des décisions de remise en liberté ou de maintien en zone d’attente prononcées par le juge des libertés et de la détention. L’article 11 porte ainsi de quatre heures à six heures le délai dont dispose le parquet pour demander un appel suspensif de la décision de remise en liberté par le juge des libertés et de la détention.
Cette prolongation est valable tant pour le maintien en zone d’attente prévu par l’article 11 qu’en matière de placement en rétention administrative ; nous le verrons lors de l’examen de l’article 44.
Concrètement, une telle procédure, qui est ancienne, consistait à limiter les décisions des juges ayant pour effet de remettre les étrangers en liberté.
À nos yeux, rien ne justifie que le délai imparti au ministère public pour former un appel suspensif auprès du président de la cour d’appel contre une décision de refus de maintien en zone d’attente prise par un juge des libertés et de la détention soit porté à six heures, contre quatre actuellement. En réalité, il s’agit, une nouvelle fois, d’une volonté de mettre ce dernier magistrat sous contrôle et de limiter ses prérogatives !
Ce n’est pas étonnant. Comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises, le présent projet de loi est imprégné d’un esprit de défiance à l’égard du juge judiciaire, accusé d’être laxiste, de relâcher trop souvent les étrangers et d’empêcher le Gouvernement d’atteindre ses objectifs chiffrés d’expulsion. Voilà donc une nouvelle manifestation de défiance vis-à-vis du juge judiciaire et une tentative de réduire l’indépendance du juge, en général !
L’effet suspensif n’a d’effectivité que dans un sens, celui permettant le maintien en rétention de l’étranger, dont les garanties une fois de plus sont affaiblies.
L’article 11 renforcera encore une disposition déjà fortement défavorable aux droits de l’étranger, puisque le caractère suspensif de l’appel est réservé exclusivement au procureur, sans que l’étranger puisse user, via son avocat, d’une disposition symétrique en cas de décision qui lui serait défavorable, c'est-à-dire la prolongation de sa détention. Pourtant, l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance mettant fin à son maintien en zone d’attente peut voir cette ordonnance faire l’objet d’un appel suspensif de la part du procureur de la République. C’est dire à quel point il n’y a pas égalité des armes.
C’est contraire à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui exige, notamment, l’égalité des armes entre parties, l’égalité des parties en termes de moyens de recours. Or en faisant passer de quatre à six heures le délai au cours duquel le procureur peut demander l’effet suspensif, vous aggravez encore cette inégalité qui porte atteinte au principe même d’un procès équitable.
On peut faire beaucoup de reproches à l’Europe, mais force est de reconnaître que, en matière de droit de l’homme, elle est souvent en avance sur la France.
M. David Assouline. C’est très vrai !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 38 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 118 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 307 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l'amendement n° 38 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. J’ajouterai deux arguments à ceux qui viennent d’être développés.
Premièrement, l’allongement du délai imparti au parquet pour former un appel suspensif créera stress et inquiétude pour l’étranger, ce qui n’est pas acceptable.
Deuxièmement, les avocats seront dans l’obligation de réagir encore plus rapidement.
Ces deux lourdes conséquences justifient pleinement la suppression de l’article 11.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre, pour présenter l'amendement n° 118.
Mme Marie-Agnès Labarre. Nous proposons de maintenir le délai de quatre heures dont le ministère public dispose pour former un appel suspensif après la décision du juge des libertés et de la détention de ne pas maintenir l’étranger en zone d’attente.
Rien ne saurait justifier qu’un tel délai passe à six heures. Quatre heures suffisent largement au parquet pour fournir une demande motivée.
L’allongement du délai facilitera le recours à la procédure en cause, qui est utilisée pour neutraliser une décision favorable à l’étranger.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l'amendement n° 307.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’article 11 tend à faire passer de quatre à six heures le délai pendant lequel le procureur de la République peut relever appel d’une décision de refus de maintien en zone d’attente.
Comme mes collègues l’ont souligné, l’allongement du délai facilitera l’usage par le parquet de cette arme redoutable, qui permet de neutraliser une décision favorable à l’étranger.
Par ailleurs, les dispositions de l’article 11 renforcent encore, au détriment de l’étranger, l’inégalité résultant déjà du fait que l’appel suspensif est réservé au seul procureur de la République. Elles sont donc contraires au principe d’égalité des armes posé par la Convention européenne des droits de l’homme.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’actuel délai de quatre heures laissé au parquet pour former un appel suspensif à l’encontre d’une décision de refus de maintien en zone d’attente ne paraît pas suffisant pour permettre au ministère public d’accomplir les diligences nécessaires. En effet, la demande du parquet doit être motivée. Or, celui-ci étant rarement présent aux audiences devant le juge des libertés et de la détention, il doit, avant de faire appel, obtenir communication du dossier, en prendre connaissance et motiver sa demande. L’allongement à six heures du délai permettant de faire valoir le caractère suspensif de l’appel améliorera sans doute les conditions dans lesquelles le juge est amené à intervenir.
Toutefois, madame le ministre, pour être efficace, une telle mesure devrait être accompagnée d’une circulaire invitant le ministère public à être présent de façon plus systématique aux audiences devant le juge des libertés et de la détention, et des moyens spécifiques devront êtres alloués à cette tâche.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement est défavorable à ces amendements.
Je souhaite rassurer M. le rapporteur : bien évidemment, la circulaire qu’il demande sera publiée. Cela étant, l’ambition qui sous-tend l’article 11 est de permettre une décision motivée pour que la procédure de l’appel suspensif soit plus largement utilisée, car, actuellement, celle-ci ne concerne que 6 % des cas.
J’ajoute que l’article 11, comme bon nombre de dispositions du présent projet de loi, relève des préconisations et des travaux de la commission présidée par Pierre Mazeaud.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 38 rectifié, 118 et 307.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 270, présenté par M. J. Gautier, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
La section 2 du chapitre II du titre II livre II du même code est complétée par un article L. 222-6-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 222-6-1. - À peine d'irrecevabilité, prononcée d'office, aucune irrégularité formelle antérieure à la décision du premier juge ne peut être soulevée pour la première fois en cause d'appel. »
La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Compte tenu des éléments d’information fournis par M. le président de la commission et par M. le rapporteur lors de l’examen de l’article 8, je retire cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 270 est retiré, et l’article 12 demeure supprimé.
Article 12 bis (nouveau)
Le troisième alinéa de l’article L. 211-2 du même code est ainsi rédigé :
« 2° Conjoints, enfants de moins de vingt et un ans ou à charge, ascendants de ressortissants français et partenaires liés à un ressortissant français par un pacte civil de solidarité ; ».
M. le président. L'amendement n° 496, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination. Les dispositions prévues à l’article 12 bis relatives aux visas de long séjour ont vocation à figurer dans le chapitre du projet de loi portant sur les titres de séjour plutôt que dans celui qui est consacré aux zones d'attente. Dans un souci de clarté formelle, il est donc proposé de transformer l’article 12 bis en un article additionnel après l'article 21 ter.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Dans la mesure où le déplacement des dispositions de l’article 12 bis vers un autre chapitre du projet de loi semble tout à fait fondé, le Gouvernement est favorable à cet amendement de coordination.
M. le président. En conséquence, l'article 12 bis est supprimé.
Chapitre II
La carte de séjour temporaire portant la mention « carte bleue européenne »
Article 13
I. – L’article L. 313-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un 6° ainsi rédigé :
« 6° À l’étranger titulaire d’un contrat de travail visé conformément au 2° de l’article L. 5221-2 du code du travail, d’une durée égale ou supérieure à un an, pour un emploi dont la rémunération annuelle brute est au moins égale à une fois et demie le salaire moyen annuel de référence, et qui est titulaire d’un diplôme sanctionnant au moins trois années d’études supérieures délivré par un établissement d’enseignement supérieur reconnu par l’État dans lequel cet établissement se situe ou qui justifie d’une expérience professionnelle d’au moins cinq ans d’un niveau comparable, sans que lui soit opposable la situation de l’emploi. Un arrêté du ministre chargé de l’immigration fixe chaque année le montant du salaire moyen annuel de référence.
« Elle porte la mention “carte bleue européenne”.
« Par dérogation aux articles L. 311-2 et L. 313-1, cette carte de séjour a une durée de validité maximale de trois ans et est renouvelable. Dans le cas où le contrat de travail est d’une durée égale ou supérieure à un an et inférieure à trois ans, la carte de séjour temporaire portant la mention “carte bleue européenne” est délivrée ou renouvelée pour la durée du contrat de travail.
« Le conjoint, s’il est âgé d’au moins dix-huit ans, et les enfants entrés mineurs en France dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3, d’un étranger titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention “carte bleue européenne” bénéficient de plein droit de la carte de séjour mentionnée au 3° de l’article L. 313-11.
« L’étranger qui justifie avoir séjourné au moins dix-huit mois dans un autre État membre de l’Union européenne sous couvert d’une carte bleue européenne délivrée par cet État obtient la carte de séjour temporaire portant la mention “carte bleue européenne”, sous réserve qu’il remplisse les conditions mentionnées au premier alinéa et qu’il en fasse la demande dans le mois qui suit son entrée en France, sans que soit exigé le respect de la condition prévue à l’article L. 311-7.
« Son conjoint et ses enfants tels que définis au quatrième alinéa du présent 6° lorsque la famille était déjà constituée dans l’autre État membre bénéficient de plein droit de la carte de séjour temporaire prévue au 3° de l’article L. 313-11 à condition qu’ils en fassent la demande dans le mois qui suit leur entrée en France, sans que soit exigé le respect de la condition prévue à l’article L. 311-7.
« La carte de séjour accordée conformément aux quatrième et sixième alinéas du présent 6° est renouvelée de plein droit durant la période de validité restant à courir de la “carte bleue européenne”.
« Le conjoint, titulaire de la carte de séjour mentionnée au 3° de l’article L. 313-11 bénéficie de plein droit, lorsqu’il justifie d’une durée de résidence de cinq ans, du renouvellement de celle-ci indépendamment de la situation du titulaire de la carte de séjour temporaire portant la mention “carte bleue européenne” au regard du droit de séjour sans qu’il puisse se voir opposer l’absence de lien matrimonial.
« Il en va de même pour les enfants devenus majeurs qui se voient délivrer de plein droit la carte de séjour mentionnée au 3° de l’article L. 313-11 lorsqu’ils justifient d’une durée de résidence de cinq ans. »
II. – (Non modifié) La première phrase du second alinéa du A de l’article L. 311-13 du même code est complétée par les mots : «, ni aux titulaires de la carte de séjour mentionnée au 6° du même article L. 313-10 ».
M. le président. L'amendement n° 119, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, avec votre permission je présenterai également les amendements nos 120, 121 et 122.
Les articles 13, 14, 15 et 16 du présent projet de loi visent à transposer la directive 2009/50/CE du 25 mai 2009 dite « directive Carte bleue ».
Tant que les étrangers rapportent plus qu’ils ne coûtent, car les « cerveaux » recrutés sont bien trop souvent sous-payés par rapport aux nationaux, ils sont les bienvenus. À titre d’exemple, le salaire des médecins étrangers, à travail égal, est inférieur de 30 % à 50 % à celui des nationaux. Cette situation est scandaleuse.
Ce prisme d’analyse économique est, en réalité, la caution rationnelle et technicienne d’une politique d’immigration choisie à laquelle nous sommes fermement opposés.
Parce que les marchés fonctionnent plus sur des complémentarités que sur des substitutions, le marché du travail s’est toujours spontanément adapté aux flux d’immigrants et a été capable d’absorber ces derniers. Le seul effet de l’immigration choisie est de discriminer les migrants sur des bases faussement économiques.
Lorsqu’il est question d’immigration, vous agitez, en brandissant les charges ou les coûts déraisonnables, le spectre d’une menace pour nos emplois et nos systèmes sociaux.
Cependant, il est avéré que les migrants rapportent plus qu’ils ne coûtent à notre système. La preuve en est que, malgré les six textes précédents durcissant les conditions d’entrée des étrangers adoptés depuis 2003, le taux de chômage n’a pas baissé pour autant !
Nous l’avons précisé au début de ce débat, l’immigration coûte à la France 47,9 milliards d’euros, mais les immigrés reversent au budget de l’État près de 61 milliards d’euros.
Les exonérations fiscales accordées aux entreprises, afin de « favoriser l’emploi », coûtent environ 4,1 milliards d’euros à l’État et ne rapportent rien, puisque le taux de chômage n’a cessé d’augmenter. Il n’a même jamais atteint son niveau actuel depuis dix ans.
En 1984, les économistes Bob Hamilton et John Whalley ont estimé qu’une libéralisation intégrale des mouvements migratoires conduirait à doubler le PIB mondial.
Comme le prouve une étude de la Banque mondiale publiée en 2006, une augmentation de 1 % de la population active engendre une croissance du PIB de 1,25 %. En fait, l’idée est relativement simple : pour les pays d’accueil, l’arrivée des migrants a un effet comparable à celui d’un accroissement de la population.
Le concept d’immigration choisie, dont les articles 13, 14, 15 et 16 se font l’écho, n’est donc qu’une manipulation idéologique de premier ordre, qui nie les réalités humaines. Voilà pourquoi nous demandons la suppression de ces textes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La création d’une carte bleue européenne vise à transposer en droit positif, conformément à une exigence constitutionnelle, la directive du 25 mai 2009.
Sur le fond, j’indique que ce titre de séjour permettra d’accroître l’attractivité du territoire européen pour les travailleurs qualifiés. Nous nous sommes déjà expliqués sur ce point dans le cadre de la discussion générale, et il n’y a pas lieu d’y revenir.
J’indique que la directive susvisée doit beaucoup au travail réalisé par la France, lorsqu’elle présidait l’Europe, pour harmoniser les politiques migratoires sur le territoire européen.
La commission est donc défavorable aux amendements nos 119,120, 121 et 122.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de six amendements, présentés par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 310 est ainsi libellé :
Alinéa 4, première et seconde phrases
Remplacer le mot :
trois
par le mot :
quatre
L’amendement n° 312 est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après le mot :
enfants
insérer les mots :
majeurs à charge ou
L'amendement n° 311 est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
« Celle-ci est délivrée au plus tard dans les six mois suivant la date de dépôt de la demande. À défaut, un récépissé de demande de titre de séjour est délivré aux membres de la famille. »
L'amendement n° 313 est ainsi libellé :
Alinéa 9
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Le conjoint titulaire de la carte de séjour mentionné au 3° de l'article L. 313-11 bénéficie de plein de droit, lorsqu'il justifie d'une durée de résidence de trois ans, du renouvellement de celle-ci indépendamment de la situation du titulaire de la carte de séjour temporaire "carte bleue européenne" au regard du droit de séjour, sans qu'il puisse se voir opposer l'absence de lien matrimonial.
L'amendement n° 314 est ainsi libellé :
Alinéa 9
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le calcul de ces cinq années de résidence prend en compte les durées des séjours effectués en France et dans un ou plusieurs autres États membres.
L'amendement n° 315 est ainsi libellé :
Après l'alinéa 9
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le conjoint titulaire de la carte de mentionnée au 3° de l'article L. 313-11 bénéficie de plein droit du renouvellement de celle-ci indépendamment de la situation du titulaire de la carte de séjour "carte bleue européenne" au regard du droit de séjour, sans qu'il puisse se voir opposer l'absence de lien matrimonial en cas de rupture de la vie commune consécutive à des violences conjugales.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. L’article 13 vise à créer une nouvelle carte de séjour temporaire, appelée « carte bleue européenne », copiée sur la carte verte américaine, mais clairement moins généreuse et moins attractive : la carte bleue européenne a une durée de validité de trois ans, alors que la carte verte américaine ouvre un droit de résidence de dix ans ; la carte bleue européenne permet au bout de cinq ans de devenir résident de longue durée, alors que la carte verte offre la possibilité de demander la citoyenneté américaine au bout de cinq ans.
Les amendements que nous avons déposés visent à améliorer le dispositif proposé.
L’amendement n° 310 tend à porter à quatre ans la durée de validité maximale de la carte bleue, car une validité de trois ans n’est pas suffisante.
L’esprit et la finalité de la directive Carte bleue consistent à rendre l’Union européenne plus attractive pour les travailleurs hautement qualifiés des pays tiers, afin que ceux-ci participent au développement de son économie. Le programme de la Haye, adopté par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne en 2004, a reconnu le rôle déterminant de l’immigration légale dans le développement économique de l’Europe, mais cette reconnaissance ne s’est pas vraiment traduite dans la réalité.
S’il existe une compétition mondiale, notamment entre l’Europe et les États-Unis, pour attirer cette élite migratoire, cette concurrence existe également entre les États membres de l’Union européenne. Aussi nous semble-t-il plus judicieux d’offrir les conditions les plus favorables possibles, dans le cadre fixé par la directive. L’amendement n° 310 tend donc à porter de trois à quatre ans la durée de la carte bleue.
L’amendement n° 312 vise à intégrer les enfants majeurs à charge dans le dispositif de la carte bleue, car l’absence de prise en compte de ces enfants parmi les bénéficiaires de la carte de séjour « vie privée et familiale » va à l’encontre de l’objet de la directive 2009/50/CE qui est « de faciliter l’admission des travailleurs hautement qualifiés et de leur famille ».
Les critères à réunir afin d’obtenir la carte bleue européenne sont extrêmement sélectifs. En effet, il faut justifier d’un diplôme de l’enseignement supérieur obtenu au terme d’au moins trois années d’études ou de cinq années d’expérience sur un poste hautement qualifié ; il faut également disposer d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche ferme pour un emploi hautement qualifié d’une durée d’au moins un an et percevoir un salaire annuel s’élevant, actuellement, à 4 000 euros environ. Les élus seront donc peu nombreux !
Puisque ce dispositif concerne un très petit nombre de personnes, je ne vois pas quelle difficulté il y aurait à permettre à leurs enfants majeurs à charge d’obtenir un titre de séjour temporaire.
L’amendement n° 311 tend à améliorer les conditions de délivrance de la carte bleue. Le choix du Gouvernement de ne pas soumettre la famille du titulaire d’une carte bleue européenne à la procédure du regroupement familial, alors que la directive précitée prévoit non pas cette exception mais seulement des aménagements, nous semble aller dans le bon sens. En effet, pouvoir s’installer avec sa famille en France, sans trop de difficultés ni de complications, est de nature à rendre notre pays plus attractif.
On peut toutefois regretter de voir se mettre en place un système à deux vitesses avec, d’une part, des procédures allégées pour « l’élite migratoire » que représenteront les titulaires de la carte bleue européenne – des personnes qui gagnent environ 4 000 euros par mois – et, d’autre part, des immigrants moins fortunés.
Je tiens également à souligner la situation difficile que vivent les couples dits « mixtes » – c’est-à-dire, en fait, binationaux. L’attitude soupçonneuse du Gouvernement à leur égard s’illustre encore une fois avec l’article 21 ter relatif aux mariages gris, mais nous y reviendrons !
L’amendement n° 311 tend donc à fixer à six mois le délai au terme duquel le titre de séjour doit être délivré aux membres de la famille, afin de faciliter le regroupement familial. À défaut, un récépissé de demande de titre de séjour devra être remis.
L’amendement n° 313 a pour objet d’apporter une quatrième amélioration : il vise à aligner les conditions exigées des conjoints des titulaires de la carte bleue européenne sur celles qui sont demandées aux conjoints de Français ou à ceux de ressortissants étrangers.
L’amendement n° 314 vise à préciser que les cinq années de résidence exigées des conjoints de titulaires de la carte bleue européenne pour obtenir le titre de séjour « vie privée et familiale » peuvent avoir été effectuées en France, mais aussi dans d’autres États membres de l’Union européenne. En effet, puisqu’il s’agit d’une carte européenne, cette proposition semble assez cohérente.
Enfin, l’amendement n° 315 concerne le cas des séparations conjugales pour cause de violences. Nous proposons que les conjoints de Français ou de ressortissants étrangers entrés sur le territoire dans le cadre du regroupement familial bénéficient de la possibilité de renouvellement de leur carte de séjour en vertu des articles L. 313-12 et L. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Nous voulons ainsi couvrir les personnes victimes de violences conjugales et faciliter le renouvellement de la carte bleue indépendamment de leur statut familial, dans la mesure où la vie familiale peut avoir été brisée par ces violences.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’article 7 de la directive du 25 mai 2009 prévoit que la carte bleue européenne peut avoir une durée de validité comprise entre un an et quatre ans.
La durée de trois ans choisie par le Gouvernement permet d’harmoniser la durée de validité de ce nouveau titre avec celle des titres « salarié en mission » et « compétences et talents ». Elle s’inscrit donc en cohérence avec les dispositifs d’ores et déjà existants. C’est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 310.
En l’état du texte, l’article 13 prévoit d’accorder, de plein droit, une carte de séjour « vie privée et familiale » au conjoint et aux enfants entrés mineurs en France du titulaire d’une carte bleue européenne. Les auteurs de l’amendement n° 312 proposent d’étendre le champ de ces dispositions aux enfants majeurs à charge du titulaire de la carte bleue.
Sur le fond, la commission des lois n’y voit pas d’inconvénient, car une telle extension paraît de nature à favoriser l’attractivité de ce nouveau titre. Elle souhaite toutefois connaître l’avis du Gouvernement.
Quant à l’amendement n° 311, l’article 13 prévoit que le conjoint et les enfants entrés mineurs en France du titulaire d’une carte bleue européenne bénéficient de plein droit d’une carte de séjour « vie privée et familiale ». En outre, en vertu de l’article 17 bis du présent projet de loi, la durée de validité de ce titre sera, par exception au droit commun, identique à celle de la carte bleue européenne. Nos collègues proposent de préciser que ce titre est délivré dans un délai maximal de six mois.
Cette précision ne paraît pas relever du domaine législatif : les modalités de délivrance de ce titre pourront tout à fait être définies par voie réglementaire. Pour cette raison, la commission émet un avis défavorable.
La directive du 25 mai 2009 créant la carte bleue européenne instaure un droit au séjour autonome pour le conjoint et les enfants du titulaire d’un tel titre de séjour. L’amendement n° 313 tend à abaisser de cinq ans à trois ans le seuil à partir duquel s’acquiert ce droit au séjour autonome.
La commission estime qu’il n’est pas souhaitable de faire droit à cette demande. En effet, le projet de loi prévoit déjà des dispositions très favorables, puisque le conjoint a vocation à bénéficier d’un titre de séjour d’une durée égale à celle de la carte bleue européenne. La commission émet donc un avis défavorable.
L’article 13 du projet de loi instaure un droit au séjour autonome pour les conjoints et enfants du titulaire d’une carte bleue européenne à partir de cinq années de résidence. Les auteurs de l’amendement n° 314 proposent de tenir compte, pour le calcul de ces cinq années de résidence, des années passées dans un ou plusieurs autres États membres de l’Union européenne.
Cette possibilité est expressément ouverte au paragraphe 7 de l’article 15 de la directive du 25 mai 2009 ; il est donc juridiquement possible de l’introduire dans notre droit. Quant à l’opportunité de permettre l’acquisition d’un droit au séjour autonome pour des personnes ayant peut-être résidé moins de cinq ans en France, la commission s’en remet à la sagesse du Sénat.
Si cet amendement devait être adopté, je précise toutefois qu’il conviendrait de le rectifier pour l’insérer après l’alinéa 10 de l’article 13, afin de viser également les enfants du titulaire de la carte bleue, plutôt qu’après l’alinéa 9.
Enfin, l’amendement n° 315 tend à instaurer le renouvellement automatique du titre de séjour du conjoint d’un étranger titulaire d’une carte bleue européenne, d’une carte « salarié en mission » ou d’une carte « compétences et talents », lorsque la vie commune a été rompue du fait de violences conjugales.
En l’état du droit, le renouvellement du titre de séjour est d’ores et déjà automatique lorsque le conjoint, victime de violences conjugales, bénéficie d’une ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales. En dehors de cette hypothèse, le préfet peut accorder le renouvellement du titre de séjour lorsque la vie commune a été rompue du fait de violences conjugales. Enfin, le conjoint aura un droit au séjour autonome à partir de cinq années de résidence.
Le droit en vigueur étant déjà très protecteur, la commission n’estime pas utile d’aller au-delà. En conséquence, elle émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Sur l’amendement n° 310, le Gouvernement partage la position de la commission et émet un avis défavorable.
Par ailleurs, je tiens à préciser que les enfants majeurs à charge des titulaires de la carte bleue européenne pourront recevoir un titre de séjour en fonction de leur situation individuelle : la précision que tend à apporter l’amendement n° 312 ne semble donc pas utile et le Gouvernement émet un avis défavorable.
Un décret fixera le délai de remise du titre de séjour à six mois. Sur le fond, le Gouvernement est d’accord avec les auteurs de l’amendement n° 311, mais cette fixation relève bien du domaine réglementaire. Il émet par conséquent, comme la commission, un avis défavorable.
Il est également défavorable à l’amendement n° 313.
Il s’en remet, comme la commission, à la sagesse du Sénat sur l’amendement n° 314.
Enfin, pour les mêmes raisons que celles qu’a exprimées M. le rapporteur, le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 315.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote sur l’amendement n° 312.
M. Richard Yung. J’avoue que je comprends mal la position du Gouvernement : selon lui, le cas de figure visé est déjà prévu et devra trouver une solution « en fonction des situations individuelles ». Cela signifie-t-il que l’on examinera la situation de chaque enfant à charge avant de se prononcer sur la possibilité de leur délivrer un titre de séjour ? Si tel est le cas, la procédure, déjà très bureaucratique, sera inutilement alourdie. Il serait beaucoup plus simple de décider que les enfants majeurs à charge sont couverts en principe, ce qui rendrait la carte bleue plus attractive, car telle est notre seule préoccupation !
Je regrette d’ailleurs que la commission et le Gouvernement aient émis des avis défavorables sur la quasi-totalité de ces amendements, qui visent uniquement à rendre la carte bleue plus favorable.
M. le président. Monsieur Yung, acceptez-vous de procéder à la rectification de l’amendement n° 314 suggérée par M. le rapporteur ?
M. Richard Yung. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 314 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, et qui est ainsi libellé :
Alinéa 10
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le calcul de ces cinq années de résidence prend en compte les durées des séjours effectués en France et dans un ou plusieurs autres États membres.
Je le mets aux voix.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
Je mets aux voix l’amendement n° 315.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 13, modifié.
(L’article 13 est adopté.)
Article 14
(Non modifié)
I. – Au second alinéa de l’article L. 311-8 du même code, les mots : « mention “salarié” ou “travailleur temporaire” » sont remplacés par les mots : « mention “salarié”, “travailleur temporaire” ou “carte bleue européenne” ».
II. – À la dernière phrase du quatrième alinéa de l’article L. 311-9 du même code, la référence : « au 5° » est remplacée par les références : « aux 5° et 6° ».
III. – À la première phrase du 3° de l’article L. 313-11 du même code, les mots : « ou de la carte de séjour temporaire portant la mention “salarié en mission” » sont remplacés par les mots : «, de la carte de séjour temporaire portant la mention “salarié en mission” ou “carte bleue européenne” ».
M. le président. L’amendement n° 120, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement a déjà été défendu.
Je rappelle que cet amendement a fait l’objet d’un avis défavorable de la commission et du Gouvernement.
Je le mets aux voix.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 14.
(L’article 14 est adopté.)
Article 15
(Non modifié)
I. – Après l’article L. 314-8 du même code, il est inséré un article L. 314-8-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 314-8-1. – L’étranger titulaire de la carte de séjour temporaire prévue au 6° de l’article L. 313-10 peut se voir délivrer une carte de résident portant la mention “résident de longue durée-CE” s’il justifie d’une résidence ininterrompue, conforme aux lois et règlements en vigueur, d’au moins cinq années sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne sous couvert d’une carte bleue européenne, dont, en France, les deux années précédant sa demande de délivrance de la carte de résident.
« Les absences du territoire de l’Union européenne ne suspendent pas le calcul de la période mentionnée à l’alinéa précédent si elles ne s’étendent pas sur plus de douze mois consécutifs et ne dépassent pas au total dix-huit mois sur l’ensemble de cette période de résidence ininterrompue d’au moins cinq années.
« L’étranger titulaire de la carte de séjour temporaire prévue au 6° de l’article L. 313-10 doit également justifier de son intention de s’établir durablement en France dans les conditions prévues à l’article L. 314-8.
« Son conjoint et ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3, admis en France conformément au 6° de l’article L. 313-10 peuvent se voir délivrer une carte de résident portant la mention “résident de longue durée-CE” dans les conditions prévues à l’article L. 314-8. »
II. – Au premier alinéa de l’article L. 314-14 du même code, après la référence : « L. 314-8 », est insérée la référence : « L. 314-8-1 ».
M. le président. L’amendement n° 121, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement a déjà été défendu.
Je rappelle que cet amendement a fait l’objet d’un avis défavorable de la commission et du Gouvernement.
Je le mets aux voix.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 15.
(L’article 15 est adopté.)
Article 16
(Non modifié)
L’article L. 531-2 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Il en est également de même de l’étranger détenteur d’une carte de séjour temporaire portant la mention “carte bleue européenne” en cours de validité accordée par un autre État membre de l’Union européenne lorsque lui est refusée la délivrance de la carte de séjour temporaire prévue au 6° de l’article L. 313-10 ou bien lorsque la carte de séjour temporaire portant la mention “carte bleue européenne” dont il bénéficie expire ou lui est retirée durant l’examen de sa demande, ainsi que des membres de sa famille. Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent alinéa. »
M. le président. L’amendement n° 122, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement a déjà été défendu.
Je rappelle que cet amendement a fait l’objet d’un avis défavorable de la commission et du Gouvernement.
Je le mets aux voix.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 16.
(L’article 16 est adopté.)
Article additionnel après l'article 16
M. le président. L'amendement n° 123, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 16, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase du premier alinéa de l'article 5 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, les mots : « Les ressortissants des États membres de la Communauté européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen autres que la France » sont remplacés par les mots : « Les ressortissants des États membres de l'Union européenne autres que la France, les ressortissants des États parties à l'accord sur l'Espace économique européen autres que la France, ou les ressortissants des autres États établis régulièrement en France ».
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Par le biais de cet amendement, nous voulons aborder la question de l’égalité d’accès des étrangers aux emplois qui leur sont actuellement fermés.
Nous en avons déjà débattu voilà deux ans ; pour autant, la situation n’a pas progressé.
Donner aux étrangers non communautaires, à l’instar des étrangers communautaires depuis la loi du 26 juillet 1991 portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, la possibilité de concourir aux emplois de l’une des trois fonctions publiques permettrait d’éviter les discriminations à l’embauche dont ils sont l’objet.
À diplôme égal, un étranger non communautaire doit en effet pouvoir accéder aux professions réglementées et à la fonction publique non régalienne, tout comme les Français et les ressortissants communautaires et dans les mêmes conditions que ces derniers.
J’ai bien conscience que nous prenons, avec cet amendement, l’exact contre-pied de la position du Gouvernement, madame la ministre. Mais il faut savoir que la condition de nationalité dans l’accès au marché du travail n’est pas sans effet sur la dynamique de l’emploi des étrangers et sur leur intégration.
Ce sont précisément ces discriminations légales qui, en se propageant dans toute la société, finissent par entraîner des discriminations illégales.
En instituant des distinctions entre Français et étrangers et entre communautaires et non communautaires à l’égard de nombreuses professions, le droit entretient l’idée selon laquelle il serait normal d’opérer des discriminations envers les étrangers, singulièrement quand ils sont extracommunautaires.
La condition de nationalité explique non seulement la structure de l’emploi des étrangers – ils restent cantonnés dans certains secteurs du marché du travail et sont totalement absents de certains autres –, mais également le fait que les étrangers non européens sont deux fois plus touchés par le chômage et l’emploi précaire que les Français et les ressortissants européens.
Ainsi, l’on estime que près de 7 millions d’emplois sont interdits aux étrangers extracommunautaires. Au total, ceux-ci sont exclus, partiellement ou totalement, de 30 % de l’ensemble des emplois.
Dans le secteur privé, environ cinquante professions sont plus ou moins fermées aux étrangers. Mais les emplois dont ils sont exclus se situent, pour la plupart – 5,2 millions –, dans la fonction publique non régalienne : étatique, hospitalière et territoriale.
Si l’accès au statut de fonctionnaire est refusé aux étrangers extracommunautaires, ceux-ci sont bien souvent recrutés pour effectuer les mêmes tâches en qualité d’auxiliaires ou de contractuels, sous des statuts précaires. Je n’évoquerai pas le cas des médecins étrangers ou de certains maîtres auxiliaires de l’éducation nationale…
Par ailleurs, il est utile de rappeler que des postes de titulaires ont été ouverts aux étrangers extracommunautaires dans les corps de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce sont autant de brèches, qui tendent à démontrer que l’exclusion des étrangers non communautaires de la fonction publique n’est pas figée.
Je vous propose donc, mes chers collègues, d’adopter le présent amendement, qui vise à ouvrir les concours de la fonction publique, sans remettre en cause le statut de cette dernière, aux personnes régulièrement établies en France, c’est-à-dire à celles qui ont été autorisées à résider sur notre sol et à y travailler.
Je précise que seules les missions non régaliennes de l’État sont concernées par ce dispositif, qui exclut donc tous les emplois comportant une participation directe ou indirecte à l’exercice des prérogatives de puissance publique ou relevant de la souveraineté nationale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’ouverture de la fonction publique aux étrangers communautaires découle de nos engagements européens, dont sont exonérés les pays tiers. La situation est donc claire.
En revanche, un étranger non communautaire peut parfaitement travailler au sein de la fonction publique dans le cadre d’un statut contractuel.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Premier ministre a indiqué, au mois de juillet 2009, qu’il n’était pas dans les intentions du Gouvernement d’aller au-delà des pratiques actuelles s’agissant de la fonction publique.
Quoi qu’il en soit, je suis quelque peu étonnée : une évolution aussi radicale de la fonction publique que celle que proposent les auteurs de l’amendement n° 123 exigerait d’engager une concertation préalable avec les représentants syndicaux de façon à connaître leur position.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 123.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 16 bis
(Supprimé)
Chapitre III
Dispositions diverses relatives aux titres de séjour
Article additionnel avant l'article 17 AA
M. le président. L'amendement n° 124, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Avant l'article 17 AA, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le Gouvernement présente, avant le 31 décembre 2011, un plan de régularisation des sans-papiers présents sur le territoire français qui justifient d'attaches familiales en France ou détenir une promesse d'embauche ou être inscrits dans un établissement scolaire ou universitaire.
« Les conditions d'application de cet article sont définies par un décret en Conseil d'État. »
La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. Nous proposons qu’un plan de régularisation des sans-papiers soit présenté par le Gouvernement, avant la fin de cette année, sur la base de certains critères.
Sont concernés en l’espèce les étrangers présents sur le territoire français et pouvant justifier qu’ils ont des attaches familiales en France, détiennent une promesse d’embauche ou sont inscrits dans un établissement scolaire ou universitaire.
Chacune de ces raisons rend effectivement légitime l’obtention d’un titre de séjour.
Le combat des travailleurs sans-papiers sortis de l’ombre pour exiger leur régularisation et un salaire équitable, celui des parents sous le coup d’une expulsion alors que leurs enfants sont scolarisés ou étudient en France, tous ces combats qui sont soutenus par une mobilisation citoyenne démontrent, si besoin en était, la nécessité de régulariser ces personnes sur la base de critères clairement énoncés. Cela éviterait les décisions arbitraires des préfectures, qui rejettent trop souvent les demandes de régularisation.
Depuis 2003, différentes lois et circulaires ministérielles ont considérablement durci les conditions de séjour des étrangers en France : il est aujourd’hui quasiment impossible pour eux de faire régulariser leur situation.
Si le présent projet de loi est adopté, ce sera pire demain !
Comme vous le savez, mes chers collègues, les étrangers hésitent à se rendre dans les préfectures de peur de se jeter dans la gueule du loup,… sans parler de l’accueil déplorable qu’on leur y fait : interminables files d’attente, obligation de se présenter dès quatre heures ou cinq heures du matin devant le bâtiment pour espérer, sans garantie aucune, déposer son dossier de demande de régularisation. Je pense, notamment, aux préfectures de Bobigny ou de Créteil.
Dans ces conditions, les sans-papiers se retrouvent condamnés à la clandestinité, alors que la plupart d’entre eux sont entrés régulièrement en France.
Cette clandestinité, chacun le reconnaît, profite aux employeurs, qui n’hésitent pas à exploiter ces personnes en toute connaissance de cause, et aux marchands de sommeil qui leur louent des taudis à des prix exorbitants.
Pour éviter que de telles situations ne perdurent et redonner à ces femmes, ces hommes et ces enfants leur dignité, nous estimons qu’il faut régulariser les enfants étrangers scolarisés et leurs parents, tout comme les étrangers détenant une promesse d’embauche ou disposant d’attaches familiales en France. C’est un minimum !
Tel est, mes chers collègues, le sens de l’amendement que nous vous proposons d’adopter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement est contraire au principe constitutionnel interdisant au Parlement de délivrer des injonctions au Gouvernement. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement est fermement opposé à l’idée d’une régularisation massive des étrangers en situation irrégulière. La politique qu’il mène, fondée sur un examen des situations au cas par cas, va dans ce sens. Le Gouvernement ne reviendra pas sur ce point et émet donc un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 124.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 17 AA (nouveau)
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa de l’article L. 313-12 est supprimé ;
2° Le dernier alinéa de l’article L. 431-2 est supprimé ;
3° L’article L. 316-3 est ainsi rédigé :
« Art. L. 316-3. – Sauf si sa présence constitue une menace à l’ordre public, l’autorité administrative délivre une carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” à l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil, en raison des violences commises par son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin. La condition prévue à l’article L. 311-7 du présent code n’est pas exigée. Cette carte de séjour temporaire ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle.
« Le titre de séjour arrivé à expiration de l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-9 du code civil, en raison des violences commises par son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin est renouvelé. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 317, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. L’article 17 AA tend à supprimer deux alinéas de deux articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ces suppressions constituent un véritable recul du droit des femmes.
Aux termes de l’article L. 431-2 du code susvisé, « lorsque la communauté de vie a été rompue en raison de violences conjugales qu’il a subies de la part de son conjoint, l’autorité administrative ne peut procéder au retrait du titre de séjour de l’étranger admis au séjour au titre du regroupement familial et peut en accorder le renouvellement. En cas de violence commise après l’arrivée en France du conjoint mais avant la première délivrance de la carte de séjour temporaire, le conjoint se voit délivrer, sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, une carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale.” »
Les associations de défense des droits des femmes sont attachées à cet article dans sa rédaction actuelle, car il permet de libérer efficacement les victimes grâce à l’obtention d’un titre de séjour indépendant.
Le projet de loi tend à revenir sur cette avancée majeure en subordonnant les possibilités de délivrance et de renouvellement des titres de séjour aux victimes de violences conjugales au fait que le juge prononce une ordonnance de protection.
Nous nous étonnons de cette remise en cause du droit acquis, puisque, selon la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, l’ordonnance de protection s’ajoute aux dispositions antérieures et ne les remplace pas.
Je tiens à vous faire part, madame la ministre, de notre profonde incompréhension et de notre indignation face à ce recul, alors même que nous venons de voter, voilà à peine quelques mois, la loi susvisée.
À peine l’année 2010 finie, le Gouvernement oublie ses engagements !
On aurait pu croire que, dès lors qu’il érigeait la lutte contre les violences faites aux femmes en grande cause nationale, il s’engagerait au moins à protéger les victimes au-delà de 2010, même si celles-ci sont étrangères.
Nous dénonçons donc un recul de la protection des victimes de violences conjugales en ce qui concerne la situation des personnes étrangères et souhaitons le maintien du dernier alinéa de l’article L. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
De plus, nous nous opposons à ce que l’accès à la majorité de l’enfant français puisse faire obstacle au renouvellement de la carte de séjour « vie privée et familiale ». L’amendement n° 317 vise donc le maintien dans le code précité du troisième alinéa de l’article L. 313-12.
M. le président. L'amendement n° 129, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Après le mot : « et », la fin de la première phrase du dernier alinéa de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi rédigée : « en accorde le renouvellement ».
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. À l’heure actuelle, le renouvellement des titres de séjour des personnes qui rompent la vie commune à la suite de violences conjugales est laissé à la libre appréciation du préfet.
Mais quel choix une personne étrangère victime de telles violences a-t-elle ? Quitter son conjoint et prendre le risque de perdre son droit au séjour ou rester et subir les coups ?
D’une préfecture à l’autre, les documents requis varient. S’il est nécessaire d’apporter la preuve des violences conjugales par le dépôt d’une plainte et la production de certificats médicaux, les préfectures exigent également, de plus en plus, le prononcé d’un divorce pour faute et d’une condamnation pénale de l’auteur des faits pour décider de renouveler le titre de séjour. Ces documents sont extrêmement longs et difficiles à obtenir.
Par ailleurs, le pouvoir d’appréciation engendre des différences de traitements d’une préfecture à l’autre et a pour conséquence le maintien des personnes étrangères dans un cadre de violence.
Aussi, comme pour la délivrance du premier titre de séjour, le préfet doit non plus utiliser son pouvoir discrétionnaire, mais renouveler le titre de séjour temporaire des personnes étrangères victimes de violences, afin que celles-ci puissent effectivement se protéger de l’auteur des violences, quitter le domicile conjugal, travailler et avoir un logement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’article 17 AA a pour unique objet de simplifier, à droit constant, le dispositif de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants : les victimes bénéficiant d’une ordonnance de protection se verront automatiquement délivrer ou renouveler leur titre de séjour.
Il regroupe simplement dans un seul article au sein du code susvisé certaines dispositions. La commission a, par ailleurs, procédé à la correction de deux erreurs de référence, qui figuraient dans le texte voté par les députés.
Vos inquiétudes, madame Khiari, n’ont donc pas lieu d’être. Par conséquent, la commission vous demande de bien vouloir retirer l’amendement n° 317, faute de quoi elle émettra un avis défavorable.
L’amendement n° 129, quant à lui, vise à permettre un renouvellement automatique du titre de séjour d’une victime de violences conjugales résidant en France dans le cadre du regroupement familial. À l’heure actuelle, la délivrance est de droit lorsque les violences ont précédé l’octroi du premier titre de séjour.
Les dispositions de la loi du 9 juillet 2010 qui permettent de lier ordonnance de protection et délivrance ou renouvellement automatique du titre de séjour de la victime de violences conjugales semblent suffisamment protectrices. Il ne paraît donc pas souhaitable d’aller au-delà, étant entendu – c’est important de le rappeler – que, en cas de procédure pénale ultérieure, le préfet pourra décider du renouvellement du titre de séjour au regard des circonstances de l’espèce.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement souhaite également le retrait de l’amendement n° 317. À défaut, il émettra un avis défavorable.
Par ailleurs, la loi du 9 juillet 2010 prévoit des dispositifs de protection, notamment en cas de violences faites aux femmes. Une évaluation parlementaire, qui sera réalisée dans les mois qui viennent, permettra d’apprécier l’impact de cette loi. Pour cette raison, le Gouvernement est également défavorable à l’amendement n° 129.
M. le président. Madame Khiari, l'amendement n° 317 est-il maintenu ?
Mme Bariza Khiari. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 126, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 5, première phrase
Remplacer le mot :
bénéficie
par les mots :
a bénéficié
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. J’espère, mes chers collègues, que vous adopterez cet amendement, simple mais indispensable.
Vous savez, comme moi, que la sémantique est importante – nous l’avons vu abondamment ce soir –, et qu’il convient d’être précis, d’autant que nous traitons en l’espèce du droit au séjour des victimes de violences conjugales.
L’article 17 AA du projet de loi prévoit la délivrance d’une carte de séjour temporaire à l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection en raison des violences commises par son conjoint.
Toutefois, les ordonnances de cette nature ne sont valables que quatre mois. Par conséquent, il convient de modifier la rédaction de cet article, afin de ne pas pénaliser les femmes qui ont bénéficié de tels documents et qui peuvent être en attente de leur renouvellement, notamment en raison des délais d’instruction.
M. le président. L'amendement n° 318, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5, première phrase
Remplacer le mot :
bénéficie
par les mots :
a bénéficié il y a trois ans maximum
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. S’il supprime, à notre grand regret, une disposition essentielle pour la protection des victimes de violence conjugale, l’article 17 AA en prévoit une autre.
Or, bien que le rapporteur affirme qu’il s’agit d’une simplification à droit constant, nous considérons qu’il y a là un recul face à un droit acquis.
En effet, contrairement à ce qui est actuellement prévu dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il faudra désormais que la victime, pour obtenir de plein droit la délivrance ou le renouvellement de sa carte de séjour, bénéficie d’une ordonnance de protection, cette dernière permettant au juge aux affaires familiales de prendre en urgence et pour une durée maximale de quatre mois l’ensemble des mesures propres à assurer la protection de la victime.
Au travers du présent amendement, nous proposons de prendre en compte dans le dispositif le caractère temporaire et limité de l’ordonnance de protection, soit quatre mois au maximum.
Concrètement, il s’agit de permettre au préfet d’accorder de plein droit un titre de séjour aux personnes victimes de violences qui ont fait l’objet d’une ordonnance de protection voilà trois ans au maximum, et non plus aux seules personnes qui bénéficient à ce moment précis d’une ordonnance de protection.
Tel qu’il est actuellement rédigé, l’article 17 AA est extrêmement réducteur et exclut du dispositif de protection de nombreuses femmes battues.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Les auteurs de l’amendement n° 126 proposent de permettre à une victime de violences conjugales d’obtenir automatiquement la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour dès lors qu’elle a, à un moment donné, bénéficié d’une ordonnance de protection.
Nous comprenons leur intention, tout à fait légitime, mais une telle disposition risquerait de créer des effets inopportuns.
Certes, l’ordonnance de protection est une mesure temporaire, destinée à protéger la victime dans l’urgence. Elle peut d'ailleurs être suivie d’une procédure pénale ; dans ce cas, la victime est susceptible de bénéficier de dispositions protectrices.
Toutefois, la proposition de nos collègues va trop loin, nous semble-t-il, car elle offrirait un droit au séjour quasiment permanent aux victimes de violences conjugales, quelle que soit la date à laquelle leur a été délivrée l’ordonnance de protection et quelle que soit l’issue donnée à la procédure par la justice. Le droit en vigueur paraît déjà suffisamment protecteur.
C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
De même, pour des raisons identiques, elle est défavorable à l’amendement n° 318.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. En complément des propos de M. le rapporteur, je tiens à préciser que la loi du 9 juillet 2010 possède un pouvoir de protection important, notamment à l’égard des femmes victimes de violences.
Il n’est pas possible de créer, comme le souhaitent les auteurs des amendements que nous examinons, un principe d’automaticité ; il appartiendra aux autorités administratives d’apprécier, en fonction des situations, s’il faut, ou non, émettre le titre de séjour.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne recommencerons pas le débat sur la loi du 9 juillet 2010. Une évaluation de ce texte sera réalisée, dont nous tirerons un certain nombre d’enseignements. Pour le moment, le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements nos 126 et 318.
M. le président. Je mets aux voix l'article 17 AA.
(L'article 17 AA est adopté.)
Articles additionnels après l'article 17 AA
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 130, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 17 AA, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifié :
1° Au début, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L'étranger, pour lequel il existe des motifs raisonnables de croire qu'il est victime des infractions mentionnées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, bénéficie, s'il le souhaite, d'un délai de réflexion de trois mois pendant lequel il est autorisé à séjourner sur le territoire, afin de lui permettre de se rétablir, de se soustraire à l'influence des auteurs de l'infraction et de décider en connaissance de cause de coopérer ou non avec les autorités compétentes. »
2° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public, une carte de séjour temporaire portant le mention “vie privée et familiale” est délivrée à l'étranger qui coopère avec les autorités publiques concernant les infractions visées aux articles 225-4-1 à 225-4-6 et à 225-5 à 225-10 du code pénal soumises à son encontre. »
3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« La condition prévue à l'article 311-7 n'est pas exigée. »
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Depuis la loi du 24 juillet 2006, l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit la possibilité de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » aux ressortissants des pays tiers victimes d’atteintes à la dignité humaine qui témoignent ou portent plainte.
Bien sûr, nous nous félicitons de cette amélioration du statut accordé aux victimes qui acceptent de participer aux procédures engagées aux fins de faire cesser les atteintes en question.
Toutefois, je le répète, nous souhaitons d’autres améliorations.
D’une part, nous proposons de réécrire le premier alinéa de l’article L. 316-1 du code susvisé, afin d’aller au-delà de la simple possibilité de délivrer un titre de séjour.
D’autre part, nous suggérons d’instituer un délai de réflexion pour ces victimes, afin de leur permettre de mesurer la réelle portée de leur engagement à coopérer. En effet, celles-ci peuvent, et c’est légitime, craindre des représailles à leur encontre ou envers leurs proches, par exemple si elles participent à l’identification des auteurs des infractions dont elles ont été victimes, et refuser dès lors toute contribution à l’enquête.
L’instauration d’un délai de réflexion de trois mois doit leur permettre de s’engager, ou non, mais de façon éclairée, dans une coopération avec les autorités compétentes.
D’ailleurs, la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains, adoptée par le Conseil de l’Europe et ratifiée par la France en 2008, réaffirme la nécessité d’offrir un délai de réflexion « lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que la personne concernée est une victime ».
Elle précise : « Ce délai doit être d’une durée suffisante pour que la personne concernée puisse se rétablir et échapper à l’influence des trafiquants et/ou prenne, en connaissance de cause, une décision quant à sa coopération avec les autorités compétentes. Pendant ce délai, aucune mesure d’éloignement ne peut être exécutée à son égard ».
Mes chers collègues, nous vous proposons par conséquent de reconnaître la situation de ces personnes, qui sont avant tout des victimes.
M. le président. L'amendement n° 339 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 17 AA, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase du premier alinéa de l'article L. 316-1 du code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile, les mots : « peut être » sont remplacés par le mot : « est ».
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, si vous le permettez, je défendrai en même temps les amendements nos 339 rectifié et 341 rectifié, qui sont de même facture.
M. le président. J’appelle donc en discussion l'amendement n° 341 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, et qui est ainsi libellé :
Après l'article 17 AA, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au second alinéa de l'article L. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les mots : « peut être délivrée » sont remplacés par les mots : « est délivrée ».
Veuillez poursuivre, monsieur Yung.
M. Richard Yung. Ces amendements visent à assurer la délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire aux personnes victimes de la traite des êtres humains, c'est-à-dire, essentiellement, de la prostitution ou de l’exploitation de la mendicité – nous observons d'ailleurs des exemples de cette dernière dans les transports en commun.
Actuellement, les mesures prises en matière d’éloignement des victimes sont insuffisantes.
En effet, les personnes qui décident de porter plainte contre l’auteur de tels faits sont maintenues dans une situation de précarité et d’extrême fragilité, alors même que la justice a reçu leur plainte ou reconnu le préjudice qu’elles ont subi. Même s’il existe un dispositif de protection de celles ou ceux qui acceptent de parler, il est très peu utilisé et ne sert pas à grand-chose.
Lorsque la personne victime de la traite humaine ne bénéficie pas d’un titre de séjour, il lui est difficile de se loger, de travailler, en un mot de vivre.
Afin de protéger ces personnes et de leur permettre de se reconstruire, il est essentiel de leur offrir de plein droit un titre de séjour pérenne.
Tel est l'objet de ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Les auteurs de l’amendement n° 130 proposent d’offrir un droit de réflexion, assorti d’un droit au séjour de trois mois, aux victimes de la traite des êtres humains avant que celles-ci ne décident, ou non, de s’engager dans une procédure pénale à l’encontre des auteurs des faits.
Les dispositions de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permettent d’ores et déjà de délivrer une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » à l’étranger victime de la traite des êtres humains ou de proxénétisme ou qui accepte de témoigner dans une telle affaire. En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, la victime, ou le témoin, peut se voir délivrer une carte de résident.
Il a donc semblé à la commission des lois que le droit en vigueur était déjà très protecteur. En revanche, les dispositions proposées par nos collègues iraient trop loin, voire risqueraient d’encourager des démarches dilatoires.
C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
J’en viens à l’amendement n° 339 rectifié. Ses auteurs proposent de rendre automatique la délivrance d’une carte de séjour à l’étranger qui porte plainte ou témoigne dans une affaire relative à la traite des êtres humains ou au proxénétisme.
À l’heure actuelle, je le rappelle, une telle délivrance relève du pouvoir d’appréciation du préfet. Il est important de conserver cette faculté de l’autorité administrative, faute de quoi nous risquerions de voir apparaître des dépôts de plaintes dilatoires, motivés par la seule recherche d’un titre de séjour.
Par ailleurs, la modification de la partie réglementaire du code précité relève de la compétence du Gouvernement, la loi prévoyant d’ores et déjà la possibilité de délivrer un titre de séjour d’un an à ces victimes.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
Enfin, pour des raisons identiques, elle est défavorable à l’amendement n° 341 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement émet lui aussi un avis défavorable sur les amendements nos 130, 339 rectifié et 341 rectifié.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 338 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 17 AA, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Au premier alinéa de l'article 15-3 du code de procédure pénale, après le mot : « pénale », sont insérés les mots : «, et ce sans condition de nationalité ou de régularité de séjour, ».
II. - Après le 10° de l'article L. 511-4 du code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile, il est inséré un 10°bis ainsi rédigé :
« 10° bis L'étranger qui se présente dans un commissariat ou une gendarmerie pour déposer plainte pour des faits de violences ; ».
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Au travers de cet amendement, nous entendons encourager les personnes qui souhaitent porter plainte à s’engager dans cette procédure.
En effet, il existe un risque réel que les personnes étrangères en situation irrégulière victimes de violences – ce sont les cas que nous avons évoqués tout à l'heure – ne se fassent interpeller lorsqu’elles décident de porter plainte si la police judiciaire a une interprétation restrictive de sa fonction. Il s'agit là d’un problème majeur, dont témoignent certaines affaires récentes.
Or le droit à porter plainte est un principe général, qui constitue une traduction directe du droit d’accès à la justice. Il est donc indispensable d’assurer à toute personne la possibilité de porter plainte, et cela sans condition de séjour ou de nationalité.
Les membres de feu la CNDS, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, ont observé que « en faisant primer la situation irrégulière des personnes victimes de violences dépourvues de titres de séjour, celles-ci se voient interdire, de fait, de déposer plainte et de faire sanctionner les auteurs de ces violences, permettant ainsi leur impunité ».
Par ailleurs, les modifications proposées du code susvisé sont nécessaires pour permettre aux personnes étrangères de ne pas être interpellées puis expulsées lorsqu’elles se rendent dans un commissariat ou une gendarmerie pour porter plainte.
Je crois que l’intérêt de la société, ainsi que celui de la police et de la gendarmerie, est de faciliter ce type de dépôt de plainte : c’est ainsi que nous pourrons remonter les filières et démanteler les réseaux qui exploitent la prostitution ou la mendicité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il s'agit ici de la lutte contre les violences, pas contre les réseaux !
M. Richard Yung. Cette disposition serait donc tout à fait positive pour notre pays.
M. le président. L'amendement n° 127, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 17 AA, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l'article 15-3 du code de procédure pénale, après les mots : « à la loi pénale », sont insérés les mots : «, et ce sans condition de nationalité ou de régularité de séjour ».
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le rapporteur, je regrette que vous ayez émis un avis défavorable sur l’amendement n° 130. Je constate que vous refusez de vous conformer aux préconisations du Conseil de l’Europe.
Comme l’a souligné M. Yung, si le droit prévoit que « les victimes d’infractions à la loi pénale » peuvent porter plainte, en pratique les officiers de police ont trop souvent une vision restrictive de la définition des victimes, ne retenant que les seules personnes françaises ou titulaires d’une carte de séjour. Telle est la réalité !
Des modifications du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont nécessaires pour permettre aux personnes étrangères de ne pas être interpellées, puis expulsées, lorsqu’elles se rendent dans un commissariat ou une gendarmerie pour porter plainte contre des faits de violence les plaçant en situation de danger.
Ces modifications permettraient de rendre conforme la loi avec l’avis adopté par la Commission nationale de déontologie de la sécurité, à la suite duquel le directeur de cabinet du garde des sceaux a indiqué à l’époque : « l’identification des auteurs d’actes délictueux et l’effectivité du droit reconnu à toute personne de déposer une plainte nécessitent qu’un étranger en situation irrégulière victime d’une infraction pénale, puisse porter plainte dans un service ou une unité de police judiciaire sans risquer de se voir inquiéter et de faire l’objet de poursuites pénales en raison de sa situation administrative ».
De même, dans son avis 2008-85 du 19 octobre 2009, feu la Commission nationale de déontologie de la sécurité observe que « en faisant primer la situation irrégulière, des personnes victimes de violences et dépourvues de titres de séjour, [celles-ci] se voient interdire, de fait, de déposer plainte et de faire sanctionner les auteurs de ces violences, permettant ainsi leur impunité. »
En conséquence, nous serions tous bien avisés de voter le présent amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement n° 338 rectifié vise, en son paragraphe I, à préciser que l’officier de police judiciaire est tenu d’enregistrer la plainte déposée par l’étranger, fût-il en situation irrégulière. C’est également l’objet de l’amendement n° 127.
Le paragraphe II de l’amendement n° 338 rectifié tend à indiquer qu’un étranger qui dépose plainte pour des faits de violence ne peut être éloigné.
Sur le premier point, il va de soi que n’importe quelle personne se présentant au commissariat de police ou à la gendarmerie peut parfaitement déposer plainte et que cette dernière doit être impérativement enregistrée quand bien même le plaignant serait en situation irrégulière.
Sur le second point, il ne paraît pas souhaitable d’indiquer dans la loi que la circonstance, ponctuelle, selon laquelle un étranger s’est présenté pour porter plainte pour des faits de violence peut, à elle seule, entraîner la possibilité générale de prononcer une mesure d’éloignement.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 338 rectifié et 127.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. L'amendement n° 131, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 17 AA, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La carte de séjour temporaire prévue à l'article 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peut être délivrée pour un an à un étranger qui justifie d'une démarche de réinsertion, attestée par la participation à un programme de réinsertion, en accord avec les personnes concernées, organisée par les services de l'État ou par une association figurant sur une liste établie chaque année par arrêté préfectoral dans le département concerné, et qui se propose, par son statut, d'aider les victimes.
Cette carte donne droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelable à deux reprises dans les mêmes conditions et pour la même durée.
À l'expiration de ce délai, la carte de séjour temporaire peut être renouvelée si l'étranger apporte la preuve qu'il peut vivre de ses ressources propres.
Un décret en Conseil d'État détermine les conditions d'application du présent article.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Déjà en 2002 j’avais déposé une proposition de loi comportant une disposition similaire à celle que je vous soumets ce soir, mes chers collègues.
Nous souhaitons aider les personnes prostituées victimes de réseaux mafieux à recouvrer leur dignité en leur reconnaissant le statut de victimes avec les conséquences que ce statut induit.
Les personnes prostituées, majoritairement d'origine étrangère et très souvent soumises à des violences terribles de la part de leurs exploiteurs, peuvent se retrouver rapidement privées de tout droit et de toute dignité humaine. On le sait, la prostitution va de pair avec la violence, l'humiliation, la domination.
Ces personnes sont d'autant plus fragilisées qu'elles ne possèdent pas de papiers et sont à la merci de leur proxénète ou de réseaux de proxénétisme.
La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, en s'attaquant aux personnes prostituées étrangères pour atteindre leur proxénète, n'a fait que les fragiliser davantage en mettant fin à la situation de violence dans laquelle elles se trouvent dans des conditions souvent difficiles et en facilitant leur reconduite à la frontière.
De telles expulsions du territoire sont d'autant plus inacceptables qu'elles peuvent exposer les personnes prostituées à de réels dangers. On en voit des exemples quotidiens dans la presse si l’on y prête attention.
C'est pourquoi nous proposons de délivrer une carte de séjour temporaire d’une durée d’un an à toute personne prostituée étrangère qui justifie d'une démarche de réinsertion, qu'elle ait ou non s ses exploiteurs, à l’inverse de ce que prévoit la loi de 2003.
Nous considérons en effet contraire à nos principes fondamentaux le fait de conditionner la sécurité d'une personne à une coopération avec les forces de l’ordre ou la justice. On sait d’ailleurs très bien que, dans ce domaine, c’est impossible. D'autant que les personnes prostituées se trouvent dans un état psychologique fragilisé et peuvent hésiter à dénoncer leur proxénète aux services de police.
Ce titre de séjour doit par ailleurs être renouvelable et donner droit à l'exercice d'une activité professionnelle, afin de permettre à ces personnes, autant que possible, de reprendre leur vie en main.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je précise que l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permet d’ores et déjà à une victime de la traite des êtres humains, qui a déposé plainte ou témoigné dans une affaire de proxénétisme ou de traite des êtres humains, de se voir délivrer une carte de séjour temporaire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident peut être délivrée à la victime ou au témoin. Le droit en vigueur offre donc d’ores déjà des dispositions protectrices, voire très protectrices. En outre, l’amendement n° 131 paraît relativement complexe et ne vise pas spécifiquement les victimes de la traite des êtres humains.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 8 février 2011
À quatorze heures trente :
1. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (n° 27, 2010-2011).
Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 239, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 240, 2010-2011).
De dix-sept heures à dix-sept heures quarante-cinq :
2. Questions cribles thématiques sur l’aggravation des inégalités sociales dans le système scolaire.
À dix-huit heures :
3. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (n° 27, 2010-2011).
Le soir et, éventuellement, la nuit :
4. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
Rapport de M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour le Sénat (n° 261, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 262, 2010-2011).
5. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (n° 27, 2010-2011).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 4 février 2011, à deux heures cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART