M. Guy Fischer. Elle coûte de plus en plus cher !
M. le président. La parole est à Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, M. Lardeux a souligné à juste titre l’importance des déficits de la branche famille pour 2009 – 3,1 milliards d’euros – et pour 2010 – 4,4 milliards d’euros : ces chiffres traduisent éloquemment l’impact de la crise sur la branche famille, mais aussi les efforts considérables que cette dernière déploie pour aider ceux qui sont le plus touchés.
Ainsi, la situation économique pèse sur les recettes de la branche famille à hauteur de 2,7 milliards d’euros, tandis que les prestations connaissent également une augmentation de 600 millions d’euros, financée par la Caisse nationale des allocations familiales.
C’est dire l’importance du rôle joué par la branche famille en ces temps de crise ; c’est dire aussi, monsieur Lardeux, le dynamisme de notre natalité, puisqu’elle atteint, malgré cette crise, le taux de 2,08 enfants par femme, ce qui permet de renouveler les générations. Ces excellents chiffres ne sont pas le fruit du hasard, ils résultent d’une politique familiale que nous envient l’ensemble de nos voisins européens. Ils témoignent aussi, pourquoi ne pas le dire, de la confiance de nos concitoyens envers le pays dans lequel ils vivent.
Vous nous dites qu’il manque 400 000 places d’accueil. Les services de la CNAF, quant à eux, font état d’un déficit de 200 000 offres de garde sur l’ensemble du territoire. Plutôt que de nous quereller sur les chiffres, envisageons les solutions. Conformément à l’engagement du Président de la République, la nouvelle convention d’objectifs et de gestion que j’ai négociée avec M. Hortefeux et qui lie l’État et la Caisse nationale des allocations familiales pour la période 2009-2012 nous permet d’affecter des moyens concrets à la politique de développement de la garde d’enfants que je porte depuis mon arrivée au ministère de la famille.
Grâce à un taux d’augmentation de 7,5 % par an des crédits du Fonds national d’action sociale, le FNAS, qui connaîtront ainsi une progression de près de 1,3 milliard d’euros d’ici à 2012, plus de 200 000 solutions d’accueil du jeune enfant supplémentaires pourront être mises en place. M. Darcos et moi-même travaillons actuellement sur ce dossier, puisqu’il est indispensable, dans le cadre de l’égalité entre hommes et femmes, de développer aussi des modes de garde.
Parce qu’il n’y a pas de solution unique à une multitude de cas individuels, je souhaite proposer à l’ensemble de nos concitoyens une palette de solutions. D’ici à 2012, nous créerons plus de 100 000 offres d’accueil du jeune enfant chez les assistantes maternelles et plus de 100 000 places d’accueil collectif.
À cet égard, je vous incite à lire le dernier numéro du magazine Parents, dans lequel un article relate une journée passée dans le premier jardin d’éveil que nous avons inauguré, à Caussade : il montre que cette expérience agrée à la fois aux parents et aux professionnels de la petite enfance, qui n’y voient d'ailleurs aucune concurrence pour l’école maternelle.
Je voudrais vous répondre concrètement sur les regroupements d’assistantes maternelles, dispositif auquel je suis très attachée et dont j’ai pu constater le succès lors d’un déplacement à Évron, en Mayenne. Trois regroupements d’assistantes maternelles sont en train de se mettre en place, et la CNAF évoque une dizaine de projets devant voir le jour très prochainement. Nous saurons être pragmatiques et apporter, dans le cadre de ce débat, des solutions pratiques aux problèmes de terrain. Nous ne transigerons jamais, cependant, sur la qualité et la sécurité de l’accueil des enfants, point essentiel pour nous, mais nous trouverons des solutions souples, qui soient adaptées à ces regroupements d’assistantes maternelles tout en respectant le code du travail. Il s’agit de permettre à ces structures de fonctionner dans la plus grande sécurité juridique.
Madame Desmarescaux, vous avez souligné l’effort important que représente l’ONDAM médico-social en temps de crise. Son taux de progression de 5,8 % démontre la volonté forte du Gouvernement d’accompagner les personnes handicapées et les personnes âgées dépendantes. De 2006 à 2009, l’ONDAM médico-social a augmenté de 37 %, et sa part dans l’ONDAM général s’est accrue de deux points.
Vous dites, ainsi que M. Cazeau, que le taux de progression est artificiel parce qu’il tient compte d’une mesure de restitution à l’assurance maladie de 150 millions d’euros. Il s’agit plus de réalisme que d’artifice !
En effet, ces crédits sont libres de tout emploi pour l’année prochaine. En langage simple, ils n’étaient pas consommés. Il ne serait pas juste d’afficher des dépenses pour l’année 2009 qui ne correspondent pas effectivement à des places en structures médico-sociales.
En outre, comme je le disais à l’instant, le taux de progression de l’ONDAM médico-social est bien supérieur à celui de l’ONDAM général, et si le premier est contenu, ceux des autres composantes de l’ONDAM sont souvent dépassés. Il n’est donc pas anormal que des crédits non consommés viennent minorer les dépassements des autres composantes de l’ONDAM.
Il n’est pas exact de dire que des fongibilités s’exerceraient au détriment du secteur médico-social quand, précisément, les textes votés récemment par le Parlement consacrent le principe inverse d’une possible reconversion de places de soins en places pour personnes âgées ou handicapées.
Vous évoquez aussi l’effet de ciseau que subissent les finances départementales en raison du dynamisme des dépenses et de la diminution des recettes en provenance de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA. Contrairement à l’APA, la prestation de compensation est globalement bien couverte, en tenant compte des versements réalisés les années précédentes.
M. Bernard Cazeau. Inexact !
M. François Autain. Faux !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Des questions peuvent se poser sur les clés de répartition entre les départements : le Gouvernement compte ouvrir ce chantier avec l’ensemble des acteurs concernés.
Vous avez rappelé que ce PLFSS comporte une mesure essentielle d’égalité entre personnes handicapées, à savoir la prise en charge de frais de transport pour les personnes handicapées en accueil de jour, en foyer d’accueil médicalisé ou en maison d’accueil spécialisé.
Vous avez raison de dire qu’il faut aller plus loin. Les groupes de travail continueront d’étudier les modalités d’extension de cette mesure à l’accueil de semaine. Des instructions seront données pour que la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, rembourse à nouveau les frais de transport des enfants fréquentant les centres d’action médico-sociale précoce ou les centres médico-psycho-pédagogiques.
Vous avez par ailleurs déposé un amendement qui va, lui aussi, dans le sens de l’égalité entre personnes handicapées en visant à maintenir un reste à vivre pour les personnes accueillies en maisons d’’accueil spécialisé à la même hauteur que si elles étaient hébergées dans des foyers d’accueil médicalisé. Je vous remercie tout particulièrement d’avoir présenté cet amendement, auquel le Gouvernement sera favorable.
Enfin, concernant les maisons départementales des personnes handicapées, l’État tient ses engagements de compenser les postes vacants en 2009 ; tout récemment, le Gouvernement a délégué 6,5 millions d’euros aux MDPH, qui viennent compléter les 10 millions d’euros déjà versés cet été. Le projet de loi de finances pour 2010, dont la discussion à l’Assemblée nationale m’a empêchée d’être parmi vous ce matin, prévoit en outre que ces engagements seront tenus en 2010, grâce à une augmentation des crédits de 54 %.
Toutefois, nous devrons aller plus loin, comme M. Paul Blanc ou Mme Annie Jarraud-Vergnolle l’ont souligné. Nous examinons des solutions pour stabiliser le personnel des MDPH. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nora Berra, secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite de ce que Mme Desmarescaux ait souligné l’engagement soutenu des pouvoirs publics dans l’évolution des crédits consacrés à la prise en charge des personnes âgées. Si je partage nombre des constats que vous avez dressés, madame la sénatrice, vous me permettrez de ne pas partager vos réserves sur l’ONDAM pour 2010.
Les moyens de l’assurance maladie dédiés aux personnes âgées progresseront de manière significative, de 9,1 % en 2010.
M. Guy Fischer. C’est ce qu’on dit…
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Ce taux n’est pas « artificiel ». Il n’est pas non plus « insuffisant », comme l’a laissé entendre M. Cazeau. Il permettra d’engager plus de 550 millions d’euros de mesures nouvelles, afin de développer l’offre d’établissements et de services pour nos aînés et de renforcer les moyens en personnel dans les structures d’accueil et à domicile.
Cette progression des moyens permet de mettre en œuvre les mesures prévues dans le plan de solidarité grand âge. Je ne partage pas vos inquiétudes sur la pérennité de ce plan puisque, année après année, les places nouvelles s’ouvrent et la médicalisation des maisons de retraites progresse.
M. Guy Fischer. Et le reste à charge progresse !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Vous pouvez compter sur moi pour que la réforme de la tarification des services de soins infirmiers à domicile intervienne en 2010, afin de mieux rémunérer les soins lourds.
Mme Desmarescaux a appelé mon attention sur les difficultés que rencontrent les services d’aide à domicile, dont je suis pleinement consciente. Ce sujet concerne l’ensemble des financeurs de ce secteur : l’État, les conseils généraux, la caisse d’assurance vieillesse. Je lancerai en 2010 une concertation sur la tarification de ce secteur.
Pour ce qui relève de ma compétence, je souhaite poursuivre et renforcer la politique de professionnalisation des salariés et la modernisation des services. La CNSA contribue fortement à cette action avec les crédits de sa section IV, qui s’élèveront à 90 millions d’euros en 2010.
J’ai été interpellée sur les difficultés que rencontrent les conseils généraux dans le financement de l’allocation personnalisée d’autonomie. Je suis très attentive à cette question et à l’effet de ciseau qu’engendrent la progression des dépenses et les baisses concomitantes de recettes. Ces difficultés sont particulièrement sensibles dans certains départements ruraux. À cela s’est ajoutée la moindre progression des concours de la CNSA, liée à la baisse de ses ressources.
M. Guy Fischer. Eh oui, elle a moins d’argent !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le contexte de crise a fragilisé l’ensemble des finances publiques, tant à l’échelon local qu’à l’échelon national, les déficits de l’État et de la sécurité sociale s’étant creusés de manière significative.
Pour autant, la question de l’équité dans la répartition entre départements des charges de financement de la dépendance mérite d’être examinée. Je m’associe à l’exigence de dresser un premier bilan d’application des critères d’allocation des crédits de la CNSA destinés à l’APA. La répartition du concours de la CNSA entre les départements pourrait évoluer s’il apparaissait qu’elle ne permet plus, telle qu’elle existe, d’assurer l’équité de traitement sur le territoire.
De même, je ne suis pas hostile, monsieur Cazeau, madame Jarraud-Vergnolle, à ce que le sujet plus global de la répartition des charges entre l’échelon national, l’échelon local et les familles fasse l’objet d’une réflexion approfondie.
Je ne voudrais pas achever mon propos sans évoquer le cinquième risque, sujet qui a déjà donné lieu à des travaux : je pense notamment au rapport de la mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque, dont vous avez été le rapporteur, monsieur Vasselle.
Comme l’a souligné M. Darcos, un débat sur les aînés et sur le défi du vieillissement se déroulera au printemps prochain. Je tiens à ce qu’il soit le plus large possible et qu’il associe les élus, l’ensemble du secteur des personnes âgées, la société civile et nos concitoyens. Il permettra de jeter les bases d’un réexamen en profondeur de l’ensemble des questions liées au vieillissement et à l’intégration de nos aînés dans la société. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mmes Hoarau, Pasquet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n°253.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2010 (n° 82, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Annie David, auteur de la motion.
Mme Annie David, auteur de la motion. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, il y a deux ans, je soutenais ici même, au nom de mon groupe, une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.
Je déplorais, entre autres, l’étendue des déficits, le manque de recettes dû au refus de taxer les revenus financiers et dénonçais la volonté gouvernementale d’appauvrir la sécurité sociale, au risque d’entraîner, à terme, la faillite du système.
Il y a deux ans, Mme Roselyne Bachelot-Narquin semblait indignée de ce qui n’était pourtant qu’un simple constat. Mais que dire aujourd’hui, à la lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 ?
Loin de s’améliorer, la situation s’est fortement aggravée et l’entreprise de destruction de la protection sociale que je dénonçais alors continue et s’accentue.
Les chiffres sont têtus, mais objectifs et dénués de toute idéologie. Ils montrent que le texte qui nous est soumis creuse, d’une manière sans précédent, les déficits de la sécurité sociale, toutes branches confondues. Ces déficits devraient en effet connaître une croissance exponentielle, passant en une seule année de 20 milliards à 30 milliards d’euros, pour atteindre un montant cumulé qui pourrait être compris entre 150 milliards et 177 milliards d’euros en 2013. Et encore ce total exorbitant est-il celui du scénario le plus optimiste !
Face à cette situation plus qu’alarmante, les sénatrices et sénateurs communistes et du parti de gauche estiment que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 est en l’état irrecevable, car inconstitutionnel.
Les principes de valeur constitutionnelle que nous estimons mis à mal dans ce texte sont, d’une part, la protection de la santé et, d’autre part, l’obligation de présenter des comptes réguliers, sincères, donnant une image fidèle de la réalité.
En 1971, le Conseil constitutionnel a intégré dans le bloc de constitutionnalité le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui crée, de manière très explicite, des droits sociaux « particulièrement nécessaires à notre temps », opposables aux pouvoirs publics.
Ces droits ont donc une valeur juridique supérieure aux lois, notamment aux lois de financement de la sécurité sociale. Ainsi, au onzième alinéa du préambule figure le droit à la santé : la nation doit garantir à tous « la protection de la santé ». Cette proclamation nous semble, hélas ! être encore ce principe « particulièrement nécessaire à notre temps » que souhaitaient les constituants de 1946.
Cette protection constitutionnelle vaut au droit à la santé pour toutes et tous de se retrouver parmi les valeurs les plus hautes dans la hiérarchie de normes qui fondent notre société. Toute loi, quel qu’en soit le domaine, doit respecter et même faire en sorte d’atteindre cet objectif : elle ne peut rogner sur des droits que la Constitution accorde aux citoyens.
Or le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, sans directement affirmer que certains de nos concitoyens et concitoyennes n’auront plus droit à la santé, rend l’exercice de ce droit si difficile qu’il le vide de sa substance.
C’est toute la différence qu’il y a entre l’existence d’un droit et l’effectivité de sa mise en œuvre. En théorie, sur le papier, j’ai le droit de me faire poser une couronne en porcelaine, mais, en pratique, concrètement, en ai-je les moyens, au regard du reste à charge ? Toute la question est là...
Cette interrogation est devenue très concrète pour un nombre croissant de nos concitoyennes et concitoyens.
Ce texte élève, au final, un écran infranchissable entre le droit constitutionnellement garanti à la santé pour toutes et tous et l’accès réel au soin.
Ne me dites pas, monsieur le ministre, que vous ignorez qu’il existe en France des personnes qui n’ont pas ou plus les moyens de se soigner ! Le fossé se creuse entre celles et ceux qui peuvent bien se soigner, et tous les autres, de plus en plus nombreux, qui ne le peuvent pas.
Ces « autres » – hommes, femmes, enfants –, déjà bien trop nombreux, le sont encore plus année après année, au point que l’on se rapproche d’un système à l’américaine, où l’accès au soin devient le véritable clivage social. Une grave maladie deviendra-elle, en France aussi, synonyme de ruine personnelle, de maison hypothéquée ou de souscription d’emprunt pour faire face aux énormes dépenses induites ?
Savez-vous qu’aux États-Unis, dans certains États pauvres, des équipes médicales caritatives organisent de funestes tombolas à destination d’indigents, parfois atteints de maladies très graves, mais qui n’ont tout simplement pas les moyens de se faire soigner ? Que croyez-vous que gagne celui qui remporte cette loterie ? Le droit de se faire soigner gratuitement !
Espérons que de telles dérives n’arrivent pas en France, où, déjà, on constate que des femmes et des hommes n’ayant pas de mutuelle ou l’ayant résiliée en raison de son coût trop élevé renoncent à se soigner ou reportent une intervention chirurgicale nécessaire, faute de moyens.
En 1946, le constituant a posé des principes de solidarité et d’accès aux soins et à la santé pour toutes et tous. En 1971, le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle de ces principes. Aujourd’hui, monsieur le ministre, votre gouvernement s’emploie consciencieusement à les remettre en question.
L’idée des constituants de l’après-guerre était de donner à toutes et à tous l’accès à une médecine qui ne distinguerait plus ses bénéficiaires en raison de l’appartenance sociale ou des ressources : participation à raison de ses revenus ; satisfaction en fonction de ses besoins, la sécurité sociale venait de voir le jour.
Ces principes posés par le constituant de 1946 sont bien encombrants pour vous, qui souhaitez mener à bien votre entreprise de privatisation de la santé, car cette philosophie du partage et de la solidarité est à cent lieues de celle de la médecine à deux vitesses, du chacun-pour-soi et de la marchandisation de la santé.
Voulez-vous véritablement maintenir un système de protection sociale ou désirez-vous l’abandonner et basculer vers un système entièrement aux mains de société privées ?
M. Guy Fischer. Ils veulent l’abandonner !
Mme Annie David. La question est aujourd'hui clairement posée.
Non content de remettre en question le droit constitutionnel de se soigner, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 porte en lui une autre cause d’irrecevabilité : il est particulièrement insincère ou alors, comme disait tout à l’heure M. About, il comporte une sincérité à date butoir... Cela revient au même puisque ladite date butoir ne prend pas en compte les prévisions annoncées.
Or la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale a donné une consécration organique à l’obligation de sincérité. Aujourd’hui, l’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale dispose que la loi de financement de la sécurité sociale « détermine, pour l’année à venir, de manière sincère, les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale compte tenu notamment des conditions économiques et générales et de leur évolution prévisible ».
Vous nous avez parlé de transparence, monsieur le ministre, mais elle doit être associée à la sincérité et, donc, à la vérité des chiffres, ce qui ne nous semble pas être le cas dans ce texte.
De son côté, le Conseil constitutionnel a réaffirmé, dans sa décision du 29 juillet 2005, que « s’agissant des conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale pour l’année en cours et l’année à venir, la sincérité se caractérise par l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de cet équilibre ».
Or nous nous interrogeons sur la sincérité de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 au regard de certains chiffres qu’il contient, s’agissant notamment des projections pour les quatre années à venir.
Selon les propres analyses de M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales, « le cadrage pluriannuel ouvre des perspectives très préoccupantes et les évolutions sont bâties sur des hypothèses indéniablement volontaristes ». Ces termes mesurés cachent mal la profonde inquiétude qui traverse l’ensemble des élus de la nation, toutes tendances confondues.
Il est évident que votre projet de financement a été réalisé en s’appuyant sur des chiffres intenables.
Concernant le PIB, vous retenez 0,8 % de croissance en 2010, puis 2,5 % pour chacune des trois années suivantes ; quant à la masse salariale, si vous concédez une baisse de 0,4 % en 2010, vous tablez ensuite sur une augmentation de 5 % les trois années suivantes.
M. Guy Fischer. Irréaliste !
Mme Annie David. Vous avez bien noté que pour, la première fois depuis l’après-guerre, la masse salariale de notre pays a significativement baissé pendant deux années consécutives et que, de 1998 à 2007, elle avait progressé de 4,1 %, ce qui était considéré comme un très bon niveau.
La situation est donc la suivante : si tout se passe comme vous le spéculez, et selon vos propres estimations, nous allons enregistrer entre 2009 et 2013 un déficit allant de 150 milliards à 173 milliards d’euros, je dis bien « euros », car nous pourrions penser, à l’énoncé de ces chiffres impressionnants, qu’il est question de francs !
Je vous laisse imaginer la situation des comptes de la sécurité sociale si ces prédictions « volontaristes » ne devaient pas se réaliser ! Mais il sera alors trop tard, et on nous dira que la France n’a d’autre choix que d’abandonner son système de protection sociale.
Se tromper à ce point, est-ce encore une erreur ou n’est-ce pas plutôt un déni des réalités et une volonté politique de ne pas regarder les choses en face ?
Pour expliquer ces déficits que vous laissez volontairement filer, vous affirmez que c’est une nécessité et que notre système de protection sociale doit jouer son rôle d’« amortisseur social ». Faites attention, car vous êtes en train d’en casser les ressorts !
Tous les systèmes de santé ultralibéraux et privatisés sont en difficulté à la suite de la crise financière et vous redécouvrez soudainement les vertus du système à la française, solidaire et mutualisé. Vous, les chantres du libéralisme appliqué même en matière de santé, vous nous vantez aujourd’hui les avantages sociaux de la sécurité sociale !
De notre côté, nous étions déjà convaincus. Alors que nous faisons l’analyse d’un déficit structurel de la sécurité sociale, notamment causé par l’insuffisance organisée des ressources, vous préférez communiquer sur un déficit conjoncturel dû en grande part à la crise.
Certes, la crise économique a eu pour effet une baisse de certaines recettes, notamment les prélèvements assis sur la masse salariale. Cependant, ses effets ont fait long feu et la vraie cause de ces déficits est l’insuffisance criante de recettes.
La pérennité de notre sécurité sociale passe par des mesures d’une tout autre envergure, elle nécessite plus qu’une traque aux dépenses, celle que vous avez lancée en multipliant la chasse aux fraudeurs, coupables désignés, ou en visant telle petite niche sociale, je pense ici aux assurances vies dont vous allez modifier les règles « en cours de jeu », et vous aurez compris que je faisais aussi allusion à certain droit collectif à l’image...
Il faut sans conteste une augmentation importante des recettes. Nous savons tous où se trouve l’argent dont a besoin la sécurité sociale. Or, contre toute logique comptable et par pure idéologie, vous vous obstinez à ne pas aller le chercher !
Vous refusez de taxer les profits financiers et de revenir sur certains allégements de charges sociales consentis en faveur de grosses entreprises, certaines niches fiscales étant en effet maintenues. Contre vents et marées et pour tenir une prétendue promesse électorale, vous refusez d’augmenter certains impôts pour renforcer les ressources de la sécurité sociale, quitte à la laisser s’asphyxier.
C’est de la non-assistance à système en danger !
Vous savez que c’est une erreur et que nos concitoyens le pensent aussi. Ils ne comprennent pas non plus pourquoi une future hausse des prélèvements sociaux ou des impôts épargnerait la fraction la plus riche de ce pays, bien à l’abri sous son bouclier fiscal, qui, lui, ne rompt pas. On marche sur la tête, vous marchez sur la tête ! Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la plupart des mauvaises nouvelles seront adoptées par décret...
Aujourd’hui, il coûte de plus en plus cher de se soigner, et le droit même à l’accès à la santé est remis en question. Par exemple, soutenir, comme vous le faites, que, malgré les franchises médicales, nous gardons en France le taux de remboursement le plus élevé d’Europe est un tour de passe-passe comptable. Vous affirmez que le taux de remboursement est de 80 % sur les tarifs opposables, mais il faudrait préciser que ce taux n’est applicable que si vous avez consulté tel médecin, dans telle zone et pour telle maladie. Le taux de remboursement moyen pour 80 % des assurés sociaux est de 55 %, hors prise en charge par les assurances complémentaires.
Et pourtant, vous continuez à communiquer à loisir sur le trou abyssal de la sécurité sociale, alors que c’est vous-même qui le creusez consciencieusement et qui refusez de le combler. Vous préparez la faillite pour mieux convaincre les assurés sociaux que le basculement vers le secteur des assurances privées est inévitable.
Et tout est prêt !
Dans peu de temps, ce sera au tour des retraites. Vous commencez par vous attaquer aux droits des femmes en la matière, en rognant sur la majoration de durée d’assurance dont bénéficient certaines d’entre elles.
Finalement, votre démarche est cohérente. Vous nous proposez une société dans laquelle tout est peu à peu privatisé, les systèmes de soin, les hôpitaux, les écoles, les retraites et, depuis cette nuit, La Poste ; une société où les laboratoires pharmaceutiques et les compagnies privées vont voir leurs profits décupler ; en définitive, une société qui sera totalement inégalitaire dans un domaine pourtant primordial, celui de la santé.
Le seul obstacle de taille à votre entreprise est que l’avènement d’une telle société, outre qu’elle ne recueille pas l’adhésion du plus grand nombre, se heurte encore à ce jour à l’existence de principes juridiques contenus dans notre Constitution. Je pense à celui de la sincérité de la présentation.
Pour conclure, je voudrais faire remarquer que cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité n’est pas un exercice de style. Monsieur le ministre, vous croyez à la sincérité de vos chiffres ; j’estime, pour ma part, qu’ils sont insincères.
En effet, je suis profondément convaincue que ce PLFSS recèle des causes d’inconstitutionnalité. Au-delà des clivages gauche-droite, il arrive un moment où l’on doit, en tant que représentant de la nation, se poser la question : ce PLFSS est-il vraiment de nature à garantir la pérennité de notre système de protection sociale ? Les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche pensent que non !
Ce PLFSS nuit gravement à la santé de notre sécurité sociale. De surcroît, il est fondé sur un déni des réalités actuelles et futures. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)