M. François Autain. Quelle surprise !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. … sous réserve de l’adoption des amendements qu’elle vous propose, notamment de celui qui concerne le traitement de la dette sociale.
Mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 nous conduit à nous interroger, indépendamment de toute appartenance politique, sur nos responsabilités.
Mme Raymonde Le Texier. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. Il est temps de faire ce que l’on dit et de dire ce que l’on va faire. Il est impératif que nous réagissions dès 2010 à la situation présentée dans le cadre de ce PLFSS. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Patricia Schillinger et M. Bernard Cazeau applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes.
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, je me réjouis que la commission des affaires sociales ait, comme je le souhaitais, saisi notre délégation aux droits des femmes sur la question des majorations de durée d’assurance des mères de famille, dont la réforme est inscrite à l’article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Je tiens à en remercier sa présidente, Mme Muguette Dini, que je sais très mobilisée sur toutes les questions qui intéressent les droits des femmes, et qui est d’ailleurs membre de la délégation.
Il me paraissait indispensable que notre délégation soit consultée sur cette réforme pour au moins trois raisons.
La première tient au fait que ce dispositif, qui permet aux mères de famille de bénéficier de deux années de majoration d’assurance par enfant, a été conçu pour les femmes. Il intéresse, dans la pratique, la très grande majorité d’entre elles. Ainsi, en 2005, il a bénéficié à 90 % des femmes parties à la retraite qui relevaient du régime général.
La deuxième raison est liée au fait que ce dispositif majore de 20 % en moyenne les pensions des femmes, et contribue donc partiellement, mais de façon significative, à compenser des inégalités de retraite entre hommes et femmes, inégalités fortes puisque le montant moyen des retraites des femmes représente à peine les deux tiers – 62 % pour être précise – de celui des hommes.
Mais – gardons bien cela à l’esprit – ce dispositif ne joue ce rôle correcteur que parce qu’il a été conçu, à l’origine, pour ne bénéficier qu’aux femmes, contrairement à la plupart des autres avantages familiaux, qui bénéficient aux pères et aux mères.
La troisième raison tient aux motifs de la réforme que l’on nous propose, et qui soulèvent une question de fond sur laquelle nous nous devons de prendre position sans ambiguïté.
Le Gouvernement est en effet conduit à remanier le dispositif actuel, car un récent arrêt de la Cour de cassation, amplifiant une jurisprudence amorcée en 2006, a estimé discriminatoires les règles qui réservent la majoration aux femmes. Il a décidé, en conséquence, d’en étendre, sans conditions, le bénéfice aux pères, en s’appuyant sur les principes posés par la Convention européenne des droits de l’homme. Était-ce la seule réponse possible ? Peut-être ! Quoi qu’il en soit, tel est le choix retenu.
Cette décision soulève une question de fond : des mécanismes asymétriques compensant les inégalités de retraite entre hommes et femmes restent-ils aujourd’hui légitimes et justifiés ? Pour nous, la réponse ne fait aucun doute, pour des raisons de fait, de droit et d’équité.
Les raisons de fait sont bien connues et statistiquement établies. Les écarts entre les pensions des femmes et celles des hommes sont considérables. Ils tiennent au fait que les carrières des femmes sont aujourd’hui encore plus courtes que celles des hommes et plus encore au fait que la rémunération des femmes est en moyenne inférieure de 25 % à celle des hommes.
Comme l’a très bien montré le rapport de Mme Grésy, ces écarts s’expliquent en partie parce que les naissances affectent durablement les parcours professionnels des femmes, parce que ce sont les femmes qui optent alors pour un travail à temps partiel ou qui s’arrêtent de travailler pour assurer l’éducation de leurs enfants : 98 % des allocataires des prestations servies par les caisses d’allocations familiales dans le cadre du congé parental sont des femmes. Nous nous prenons à rêver au système existant dans certains pays du Nord, où la durée du congé parental est aussi longue pour les pères que pour les mères. Nous en parlerons ultérieurement.
Les raisons de droit pèsent beaucoup dans ce dossier. Il faut répéter que tant le droit constitutionnel français que le droit communautaire nous autorisent à compenser ces inégalités, dont personne ne conteste la réalité.
Le Conseil constitutionnel a confirmé, lors de la réforme des retraites de 2003, qu’il appartenait au législateur de prendre en compte les inégalités de fait dont les femmes ont jusqu’à présent fait l’objet, et que celui-ci pouvait maintenir, en les aménageant, les dispositions destinées à compenser ces inégalités.
Le droit communautaire va dans le même sens. J’aimerais citer, même s’il n’a pas été conçu pour s’appliquer au régime général des retraites français, l’article 141 du traité d’Amsterdam, qui pose le principe suivant : « Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle. »
Mme Raymonde Le Texier. Parfaitement !
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Je crois, mes chers collègues, que nous pourrions faire référence en permanence à cette disposition !
Mme Raymonde Le Texier. Absolument !
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Enfin, des raisons d’équité : n’oublions pas que si les femmes sont pénalisées dans leur carrière, c’est à cause du temps qu’elles ont consacré à une activité non rémunérée, mais cruciale pour l’avenir de la société : l’éducation de leurs enfants.
Certes, parce qu’il n’est pas payé, ce travail que l’on pourrait qualifier de « clandestin » ou de « fantôme » est superbement ignoré par la comptabilité nationale.
Mme Annie David. Très juste !
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Pourtant, il existe bien – son absence ne passe pas inaperçue ! –, et nous devons le prendre en compte pour les retraites.
Que l’on m’entende bien : je ne pense pas qu’il faille systématiquement refuser aux hommes toute possibilité de bénéficier d’une majoration pour enfants.
Nous connaissons tous aujourd’hui des pères qui, à suite d’un veuvage ou d’une séparation, assurent seuls, ou à titre principal, l’éducation de leurs enfants, et qui, comme les femmes, en pâtissent dans le déroulement de leur carrière.
Notre société juge d'ailleurs ces hommes admirables, alors que l’on n’en dit pas autant des femmes qui élèvent seules leurs enfants !
Mmes Annie David et Christiane Demontès. On considère que ces femmes ne font que leur devoir…
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Tout à fait, mes chères collègues. Je vois qu’un consensus se dessine sur ce point : pour nous, les femmes, c’est naturel, pour eux, les hommes, c’est admirable !
M. Guy Fischer. Attention, ma chère collègue… (Sourires.)
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Je suis dans mon rôle, monsieur Fischer !
C’est ce que montrait un film qui n’est pas récent mais que certains d’entre vous ont peut-être revu voilà peu, Kramer contre Kramer, dans lequel un père, abandonné par son épouse avec un petit garçon, se rend compte peu à peu du temps qu’il faut consacrer à ce dernier et finit par perdre son emploi ! Regardez ce film, si ce n’est déjà fait, mes chers collègues.
Si les hommes s’occupent de leurs enfants de cette manière, ils doivent pouvoir bénéficier des MDA. Toutefois, l’arbre ne doit pas cacher la forêt et cette situation nous faire oublier que, aujourd’hui, dans la très grande majorité des cas, c’est sur la femme que repose lourdement l’éducation des enfants.
Mme Annie David. Tout à fait !
Mme Gisèle Printz. Effectivement !
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est pourquoi je crois que nous devons réaffirmer solennellement, dans la perspective du texte dont nous sommes saisis comme dans celle de la prochaine réforme des retraites, annoncée pour 2010, que tant qu’il y aura des inégalités réelles et statiquement prouvées entre les hommes et les femmes, des dispositions asymétriques et compensatrices resteront parfaitement légitimes et justifiées.
Ce n’est que dans l’avenir,…
Mme Annie David. Dans un monde utopique !
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. … lorsque l’égalité sera effective, que le principe d’égalité pourra conduire à attribuer des avantages familiaux de retraite aux femmes et aux hommes dans les mêmes conditions.
Cette égalité effective à laquelle nous aspirons pour l’avenir, nous devons la préparer dès aujourd’hui.
Aussi, je tiens à vous indiquer, madame et messieurs les ministres, que notre délégation se montrera très attentive aux efforts que, vendredi dernier, M. le ministre du travail a annoncé vouloir engager en faveur de l’égalité salariale et d’un véritable accès des femmes aux responsabilités dans l’entreprise.
Mme Annie David. Enfin !
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Ce combat ne doit d’ailleurs pas se limiter à la sphère sociale et économique. Je puis vous assurer que nous serons également très exigeants dans le domaine politique, quand il s’agira de réformer les collectivités territoriales. Nous ne voulons pas d’un recul de la parité dans les conseils territoriaux et nous aurons l’occasion de le répéter ! (M. Guy Fischer ainsi que Mmes Gisèle Printz et Christiane Demontès applaudissent.)
Pour conclure, entre la protection et l’égalité nous sommes souvent amenés à choisir.
L’idéal, bien sûr, c’est l’égalité. Toutefois, nous partons d’une situation où l’inégalité oblige encore à mettre en œuvre des mesures spécifiques de protection. Le travail de notre délégation est de hâter l’évolution de la société en ce sens, mais il reste à faire, et nous devons l’affirmer haut et fort. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – MM. Alain Milon et Marc Laménie applaudissent également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour que ceux qui le souhaitent puissent, selon l’usage, rejoindre M. le président du Sénat en haut de l’escalier d’honneur et rendre hommage aux sénateurs et fonctionnaires de la Haute Assemblée morts durant la Première Guerre mondiale.
Organisation des débats
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Comme l’a indiqué tout à l'heure M. Vasselle, et en accord avec la commission des affaires sociales, je propose de reporter le débat thématique prévu sur les retraites afin de faciliter le bon déroulement de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Cela dit, il va de soi que ce débat, qui est de la plus haute importance, doit être programmé durant une semaine de contrôle et avant le rendez-vous de 2010 sur les retraites promis par le Président de la République.
M. François Autain. On a tout le temps ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Muguette Dini, présidente de la commission. La commission a donc accepté de reporter ce débat, à condition qu’il soit organisé à une heure décente.
M. François Autain. Comme d’habitude ! (Mêmes mouvements.)
Mme Muguette Dini, présidente de la commission. Enfin, je rappelle que la commission se réunira à douze heures quarante pour examiner les amendements déposés sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. le président. M. le président du Sénat avait déjà donné son accord à un tel report.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
5
Saisine du conseil constitutionnel
M. le président. J’ai été informé par le président du Conseil constitutionnel que celui-ci a été saisi le 9 novembre 2009 d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution par plus de soixante sénateurs de la loi relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports.
Acte est donné de cette communication.
6
financement de la sécurité sociale pour 2010
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, adopté par l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, compte tenu des impératifs qui sont les nôtres, pourriez-vous nous indiquer vers quelle heure la séance sera levée ce soir et quand commencera celle de jeudi ?
M. le président. La conférence des présidents a décidé que la séance serait levée en fin d’après-midi et que le Sénat ne siégerait pas ce soir. J’ai souligné hier que c’était à titre exceptionnel qu’il avait été décidé, en concertation avec Mme la présidente de la commission des affaires sociales, que notre séance d’aujourd’hui commencerait ce matin à neuf heures quarante-cinq.
Nous reprendrons l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale jeudi 12 novembre, à neuf heures trente, à moins que Mme la présidente de la commission des affaires sociales ne souhaite que nous ne commencions nos travaux qu’à dix heures.
Vous avez la parole, madame la présidente.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, un certain nombre de nos collègues de la commission des affaires sociales nous ont fait savoir qu’il leur serait très difficile d’être présents en séance dès neuf heures trente jeudi matin. C'est la raison pour laquelle j’ai demandé hier soir que nos travaux ne reprennent qu’à dix heures.
M. le président. Je ne saurais rien vous refuser, madame la présidente ! (Sourires.) Par conséquent, la séance sera ouverte à dix heures jeudi matin. (Marques d’approbation sur diverses travées.) Je vous rappelle toutefois que la conférence des présidents se réunira ce matin-là.
M. Guy Fischer. Sans moi !
M. François Autain. Et pour ce soir ?
M. Guy Fischer. Vous n’avez pas répondu sur l’heure de levée de la séance, monsieur le président !
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Jacqueline Panis, rapporteur.
Mme Jacqueline Panis, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur les dispositions relatives à la retraite des mères de famille. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi de me féliciter de ce que notre délégation ait été saisie, sur votre initiative, madame la présidente de la commission des affaires sociales, de l’article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
Ma satisfaction tient à trois motifs.
Tout d’abord, les femmes retraitées constituent l’une des catégories de la population les plus fragiles.
En outre, étant donné les contraintes qui s’exercent sur les retraites – on comptera deux actifs pour un retraité en Europe à l’horizon 2050, contre quatre en 2005 –, la prise en compte de l’égalité entre hommes et femmes risquait de se traduire par un alignement par le bas des avantages accordés aux mères.
Enfin, eu égard à la subtilité de certains raisonnements juridiques, il était essentiel de rappeler quelques données de bon sens.
Ma première préoccupation, en tant que rapporteur de ce texte, a été de mieux situer les majorations de durée d’assurance, appelées communément MDA, dans l’ensemble des avantages familiaux et dans l’évolution récente de notre « mosaïque » de régimes de retraite.
Premier constat : la plupart des avantages familiaux de retraite ne sont pas réservés aux femmes. Par exemple, les parents de trois enfants et plus bénéficient, dans tous les régimes, de majorations du montant de leur pension d’au moins 10 %, et ces majorations, qui représentent, comme les MDA, environ 6 milliards d’euros, avantagent nettement les pères : ceux-ci percevaient en moyenne 123 euros par mois en 2004, les femmes 56 euros seulement.
Bref, les majorations de durée d’assurance dans le régime général de base – deux ans par enfant – demeurent aujourd’hui l’un des seuls avantages réservés exclusivement aux femmes. Elles ont été créées en 1971 par le ministre de la santé publique et de la sécurité sociale, M. Robert Boulin : à l’époque, au cours des débats parlementaires, un député que nous connaissons bien, M. Christian Poncelet, justifiait cette mesure en insistant sur le « double fardeau » pesant sur les mères. Quarante ans après, le cumul des activités professionnelles et familiales est toujours d’actualité, même si, aujourd'hui, on observe que les pères participent de plus en plus aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants. Mme Michèle André a évoqué ce matin la situation à cet égard dans les pays nordiques, sur lesquels il nous faudrait prendre exemple.
Financièrement, la masse des MDA atteint donc un peu plus de 6 milliards d’euros. En divisant cette somme par le nombre de femmes retraitées, qui est d’à peu près 6 millions, on constate que l’allocation moyenne est de 1 000 euros par an, soit 80 euros par mois : les MDA représentent ainsi 20 % de la pension de base moyenne des femmes, qui est de 400 à 500 euros par mois.
Deuxième constat : cet avantage de retraite féminin a été volontairement préservé jusqu’à aujourd’hui, en dépit d’une tendance à l’alignement des situations des deux sexes par les régimes de retraite.
Il a tout d’abord été préservé des exigences du droit communautaire, qui distingue le régime général et les régimes spéciaux.
Les pensions du régime général de base relèvent de la sécurité sociale. Dans ce cadre, le droit communautaire admet les mesures de compensation des inégalités et la protection de la maternité : tel est le sens de la directive du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale. En revanche, les pensions de retraite des régimes spéciaux sont assimilées à des rémunérations différées. C’est pourquoi la Cour de justice des Communautés européennes leur a appliqué le principe d’égalité salariale entre femmes et hommes : tel est le sens du célèbre arrêt Griesmar du 29 novembre 2001.
Qu’on la trouve pertinente ou artificielle, cette distinction a permis de préserver les MDA en faveur des mères salariées, alors que les avantages familiaux de la fonction publique et des régimes spéciaux ont progressivement été étendus aux pères, depuis la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites jusqu’à une série de décrets pris en 2008, certains régimes relevant du domaine réglementaire.
L’essentiel est de constater que dans cette séquence de réformes se manifeste la volonté très ferme du législateur de préserver les MDA du régime général en tant qu’avantage réservé aux femmes. Est-ce discriminatoire à l’égard des pères ? Le Conseil constitutionnel a répondu très clairement à cette question dans sa décision du 14 août 2003 sur la loi portant réforme des retraites : premièrement, le législateur peut régler « de façon différente des situations différentes » ; deuxièmement, il appartient au législateur « de prendre en compte les inégalités de fait dont les femmes ont jusqu’à présent été l’objet ».
Par la suite, cet édifice juridique a commencé à se fissurer. En 2006, la Cour de cassation a accordé les majorations à un père ayant élevé seul ses enfants. Le Gouvernement a alors considéré qu’il s’agissait d’un cas d’espèce et qu’il n’y avait pas lieu de légiférer. Cependant, depuis le début de l’année 2009, une rafale d’arrêts a recouru à une formulation plus générale, ce qui renforce les chances de succès d’un éventuel afflux de recours intentés par des pères salariés. La Cour de cassation ne se fonde ni sur le droit interne français ni sur le droit communautaire, mais sur deux dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales imposant le respect de la propriété et interdisant toute discrimination fondée sur le sexe.
Face à une telle situation, les solutions les plus simples pour préserver intégralement la répartition actuelle ont été considérées comme trop fragiles. Le Gouvernement s’est donc engagé dans une voie entièrement nouvelle : le résultat est assez complexe, mais consensuel et innovant.
Qu’en pense la délégation ? Je rappelle que le droit en vigueur tient en une seule phrase : « Les femmes assurées sociales bénéficient d’une majoration […] de huit trimestres par enfant. » En revanche, l’article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 comporte, quant à lui, trente-quatre alinéas.
La logique du dispositif a parfaitement été résumée par M. le ministre.
Pour les enfants nés avant le 1er janvier 2010, des mesures transitoires visent à préserver les droits acquis de la mère, tout en ouvrant droit aux majorations au père dans des cas précis et limités.
Pour les enfants nés après le 1er janvier 2010, la réforme prévoit d’attribuer un an à la mère au titre de « l’incidence sur sa carrière de la maternité »…
M. Paul Blanc. C’est juste !
Mme Jacqueline Panis, rapporteur. … et un an au titre de l’éducation de l’enfant. C’est cette seconde année qui fait l’objet d’un dispositif de répartition, dont le détail est complexe.
Deux caractéristiques essentielles se dégagent toutefois : d’une part, le silence du couple dans les six mois suivant le quatrième anniversaire de l’enfant vaut désignation de la mère pour le bénéfice de la majoration, ce mécanisme, inspiré du système allemand, qui est, dans le détail, très différent du nôtre, devant correspondre, selon le Gouvernement, au cas le plus fréquent ; d’autre part, le partage ou l’attribution de la MDA est irrévocable.
J’ajoute que l’article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale traite également le cas de l’adoption et celui des personnes auxquelles la garde d’un enfant a été confiée par une décision de justice : les intéressés sont substitués dans les droits des parents. Nous avons, au sein de la délégation, évoqué le cas des grand-mères, car ce sont le plus souvent elles qui élèvent leurs petits-enfants en cas de défaillance des parents. Le Gouvernement aura sans doute l’occasion de nous préciser que le dispositif pourra leur permettre de bénéficier à terme des MDA.
Vous l’aurez compris, nos recommandations reposent avant tout sur le constat de la persistance du partage inégal des tâches familiales, ainsi que des écarts salariaux et en matière de retraite entre femmes et hommes. N’oublions pas que, contrairement à une idée reçue, les femmes partent à la retraite plus tard que les hommes.
Dans ce contexte, les MDA ont jusqu’à présent joué un rôle compensateur non négligeable. J’ajoute que les gains liés à la validation de ces trimestres représentent jusqu’à 50 % de la pension de base pour les petites pensions, contre à peine 5 % pour les pensions plus élevées.
Parce qu’il s’efforce de préserver les MDA au bénéfice des mères en les adaptant aux nouvelles contraintes juridiques, la délégation a convenu que le mécanisme de répartition prévu par le présent projet de loi était la moins mauvaise des solutions au regard du principe d’égalité entre femmes et hommes.
La délégation a également approuvé qu’un pas soit franchi en direction des pères, en particulier de ceux qui élèvent à titre principal leurs enfants.
De façon plus précise, la délégation a recommandé de prendre en compte trois préoccupations.
Tout d’abord, l’Assemblée nationale a ramené de quatre à trois ans le délai à compter duquel le couple peut effectuer son choix.
M. le président. Il vous reste trente secondes de temps de parole, ma chère collègue !
Mme Jacqueline Panis, rapporteur. Je termine donc, monsieur le président.
Pour notre part, nous souhaitons que ce délai soit fixé à quatre ans, comme initialement prévu.
En conclusion, la délégation forme le vœu que, dans l’avenir, lorsque l’égalité entre les sexes sera parfaite, on puisse attribuer les avantages familiaux de retraite dans les mêmes conditions aux femmes et aux hommes. (Bravo ! et applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la présentation qui nous a été faite ce matin du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 revêt un caractère quelque peu surréaliste, tant se succèdent des chiffres que chacun s’accorde à qualifier de « vertigineux », ou plutôt d’« abyssaux ».
M. François Autain. Oui !
M. Gilbert Barbier. Un déficit du régime général de 23,5 milliards d’euros en 2009, qui devrait atteindre plus de 30 milliards d’euros en 2010, près de 170 milliards d’euros de déficits cumulés, tous régimes confondus, à l’horizon 2013… Ces chiffres finiraient par perdre toute signification s’ils ne révélaient la menace réelle qui pèse sur notre système de protection sociale, « sanctuarisé » depuis soixante-cinq ans.
Bien sûr, il faut tenir compte du poids de la conjoncture. La crise financière et économique a eu en 2009, et aura encore en 2010, voire, je le crains, dans les années suivantes, une incidence majeure sur les comptes sociaux. Avec un recul de la masse salariale de 2 % en 2009, la perte de recettes atteint 11 milliards d’euros entre 2008 et 2009 !
L’an dernier déjà, j’avais émis de sérieux doutes sur les prévisions retenues par le Gouvernement pour bâtir son PLFSS et annoncer un retour à l’équilibre du régime général en 2012. Cette année encore, je ne suis pas très sûr de pouvoir partager votre vision, monsieur le ministre, quelque peu optimiste me semble-t-il.
Vous restez certes prudent pour 2010, en estimant que la progression du PIB devrait atteindre 0,8 %, mais l’hypothèse d’une croissance annuelle de 2,5 % du PIB et de 5 % de la masse salariale à partir de 2011 me semble particulièrement hasardeuse. Même si l’on assiste à une reprise d’activité, je crains que les recettes ne soient pas à la hauteur des espérances, car une crise comme celle que nous avons vécue ne se limite pas à un aller-retour rapide sur une courbe de Gauss… Après une dégradation aussi profonde, le retour au niveau antérieur de recettes sera lent, tandis que les dépenses continueront de progresser selon leur rythme propre.
Quoi qu’il en soit, rien ne serait plus dangereux que de tirer prétexte de la crise pour refuser de voir que, avant même son apparition, la sécurité sociale présentait un déficit structurel grave, ainsi que l’a souligné M. le rapporteur pour avis de la commission des finances ce matin.
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, l’assurance maladie n’a pas connu une seule année d’excédent. Le déficit de la branche atteignait 6 milliards d’euros en 1996, 12 milliards d’euros en 2004 et devrait être voisin de 15 milliards d’euros en 2010, après, il est vrai, quelques années de baisse.
C’est donc une évidence : même dans les hypothèses les plus favorables, la seule reprise de la croissance ne suffira pas pour stabiliser durablement nos comptes sociaux.
Certes, les réformes n’ont pas été inexistantes, certaines pouvaient même paraître courageuses, mais elles sont lentes, semblant parfois se perdre dans les sables des compromis ou souffrir d’une application insuffisante ou partielle, quand elles ne sont pas obsolètes, voire contre-productives, comme l’a démontré la Cour des comptes à propos de certaines dispositions de la réforme des retraites de 2003.
Quant aux mesures d’économies proposées ces dernières années, pour indispensables et méritoires qu’elles soient, elles n’ont pas toujours eu le rendement attendu et ne sont pas à la hauteur des enjeux.
En réalité, on a voulu jusqu’à présent mettre en œuvre les réformes « faisables », c’est-à-dire souvent les moins impopulaires. Mais plus l’heure des choix est retardée, plus ces derniers induiront des conséquences douloureuses.
Comment justifier le report sur les générations suivantes du coût des inadaptations structurelles entre les dépenses, que nous n’arrivons pas à maîtriser, et les recettes, que nous ne voulons pas augmenter ? Le temps est venu, malgré la crise, des réformes profondes.
S’agissant des recettes, les niches sociales, dont certaines ont une justification contestable, sont évidemment un des premiers leviers. Vous vous y attaquez en proposant, notamment, une imposition des plus-values sur valeurs mobilières dès le premier euro et sur les contrats d’assurance-vie en cas de dénouement par succession. Une plus large révision de ces niches aurait dû être proposée.
En outre, l’Assemblée nationale a adopté un amendement sur un sujet emblématique, celui du droit à l’image collective des sportifs professionnels. Je suis personnellement favorable à cette mesure et je ne voterai d’ailleurs pas le report de six mois proposé par la commission des affaires sociales. En effet, le lobbying exercé par les clubs et les fédérations sur les parlementaires est à la fois honteux et indécent au regard de la situation de précarité de millions de foyers dans notre pays.