M. Guy Fischer. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Ceux de nos collègues qui assistent à nos travaux l’auront compris,…
M. Guy Fischer. Les troupes sont maigres !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. … la mise en cause de la sincérité n’est pas justifiée.
Si l’on se réfère à mon rapport, on observera que j’interpelle le Gouvernement sur notre situation, qui est particulièrement préoccupante, notamment en raison de l’évolution des déficits. Éric Woerth l’a lui-même reconnu dans sa réponse aux orateurs, disant que, dès qu’il y aurait un retournement favorable de la conjoncture, il faudrait prendre la situation à bras-le-corps et y porter remède. Pour notre part, nous considérons qu’il faut prendre des mesures dès à présent.
On ne peut pas qualifier d’insincère le projet de loi de financement de la sécurité sociale. À la rigueur, on peut y trouver un peu trop d’optimisme, notamment à l’annexe B, ou un peu trop de pessimisme au regard des conséquences qui pourraient résulter de l’adoption de nos amendements.
Quant à prétendre que ce PFLSS porterait atteinte au droit à la santé, l’argument ne tient pas. Le Gouvernement a en effet tout mis en œuvre pour répondre aux besoins de nos concitoyens. En période de crise, fixer un ONDAM à 3 % tant pour l’hôpital que pour les soins de ville et un ONDAM à 5,8 % pour le secteur médico-social, c’est, pour le Gouvernement, démontrer sa volonté de ne pas relâcher l’effort en matière de soins.
Voilà les raisons pour lesquelles la commission des affaires sociales n’a pas jugé bon d’émettre un avis favorable sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Mme Annie David. C’est bien dommage !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Je vous encourage donc, mes chers collègues, à vous opposer à cette demande du groupe CRC-SPG.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Woerth, ministre. Madame la sénatrice, vous nous dites que le droit à la santé est bafoué. S’il l’est en France, il l’est partout dans le monde !
Mme Annie David. Ce n’est pas un argument !
M. Éric Woerth, ministre. Notre système de santé est organisé, financé et prend en compte les besoins de nos concitoyens comme probablement aucun autre. Fruit des politiques qui se sont succédé depuis la guerre, on peut vraiment dire qu’il est généreux, au sens le plus noble du terme.
La France est au premier rang mondial en termes de dépenses publiques de santé. Celles-ci représentent 9 % de notre produit intérieur brut. Un Français reçoit de l’assurance maladie 1 920 euros par an, contre 1 300 euros pour un Néerlandais, 1 000 euros pour un Espagnol ou 1 700 euros pour un Allemand.
Autant on peut être en opposition sur le plan politique, et je respecte vos positions, autant on ne peut pas, comme vous le faites, caricaturer le système de santé français.
Mme Annie David. Je n’ai pas caricaturé !
M. Éric Woerth, ministre. Le reste à charge de chaque citoyen, en France, est de 7 %, après le remboursement des complémentaires, contre 13 % en Allemagne, soit six points d’écart avec notre principal partenaire.
L’effort public est donc énorme. Il est même complété, en dehors même de l’assurance maladie, par l’accès à la CMU, à la CMU-C – près de cinq millions de personnes – et par l’aide à l’acquisition de complémentaires, dont Roselyne Bachelot-Narquin a profondément renforcé les conditions l’année dernière. Ainsi, 30 % de personnes supplémentaires ont eu accès à la CMU-C.
M. François Autain. Mais cela se dégrade en France !
M. Guy Fischer. Si !
M. Éric Woerth, ministre. Le reste à charge est le même depuis des années ! La prise en charge de la sécurité sociale est, à un ou deux points près, exactement la même sur une longue période.
M. François Autain. Non !
M. Guy Fischer. Pas du tout !
M. Éric Woerth, ministre. Quant à l’insincérité des comptes de la sécurité sociale, je pense que vous confondez gravité et insincérité. Notre situation est bien évidemment grave et préoccupante - nous en avons d’ailleurs longuement discuté ces derniers jours avec la commission, comme peut en témoigner Mme Dini -, mais, je le répète, il n’y a pas d’insincérité des comptes. À mon avis, c’est même le contraire : ils sont de plus en plus justes.
M. François Autain. N’exagérons rien !
M. Éric Woerth, ministre. Ils sont audités par la Cour des comptes, certifiés et, lorsque des problèmes se posent et que les comptes de tel ou tel régime ne sont pas certifiés, les raisons en sont données. Tout cela est parfaitement transparent.
Comment voulez-vous que nous parlions sérieusement si vous caricaturez tout ?
Mme Annie David. C’est vous qui caricaturez mes propos !
M. Éric Woerth, ministre. La motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité n’est donc pas justifiée. En fait, le seul texte irrecevable ici, c’est votre motion !
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Je voudrais rétablir un certain nombre de vérités, monsieur le ministre.
S’il y a une réforme d’ampleur que vous ne faites pas, c’est bien celle de l’assiette des cotisations sociales, et elle est pourtant nécessaire. Aujourd'hui, tout repose sur les salaires, avec une très grande inégalité d’assujettissement, donc sans justice sociale.
Nous proposons donc que les produits financiers bruts des entreprises non financières, qui s’élevaient en 2008 à 254,6 milliards d’euros, ainsi que les revenus financiers nets des sociétés financières, qui s’établissaient, quant à eux, à 13,7 milliards d’euros en 2008, soient assujettis à la part patronale des cotisations sociales. Cela permettrait de dégager 34,3 milliards d’euros pour la branche maladie, 22,2 milliards d’euros pour la branche vieillesse et 13,4 milliards d’euros pour la branche famille, soit au total près de 70 milliards d’euros en plus pour la sécurité sociale.
Vous voyez bien que des pistes de recettes restent inexplorées et que favoriser une plus grande justice sociale est possible. Mais je sais que l’on va encore nous accuser de caricaturer.
Mme Annie David. C’est sûr !
M. Guy Fischer. Reconnaissez quand même que des pas pourraient être faits.
Mme Annie David. Absolument !
M. Guy Fischer. Nous l’avons rappelé à plusieurs reprises, nous sommes opposés aux exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises. La Cour des comptes elle-même émet des doutes quant à leur vertu créatrice d’emplois. Il s’agit – le gouvernement auquel vous appartenez feint de l’ignorer – d’une part importante des salaires différés et socialisés qui appartiennent aux travailleurs et aux salariés de notre pays.
Que le Gouvernement estime nécessaire d’apporter certaines aides aux entreprises de notre pays, surtout en cette période, nous pouvons le concevoir, à condition que ces aides soient mieux encadrées et soumises à condition, par exemple des obligations en matière d’emploi, de santé au travail et de rémunération.
Mme Annie David. Exactement !
M. Guy Fischer. On assiste en 2009, et cela se poursuivra en 2010, à un véritable écrasement non seulement des salaires, mais aussi des retraites. Celles de la fonction publique, par exemple, augmenteront de 0,50 % l’année prochaine. Autant dire que ce sont des pertes de pouvoir d’achat cumulées.
Ces exonérations que nous dénonçons - plus de 3 milliards d’euros ne sont pas compensés par l’État -, sont de véritables trappes à bas salaire, un appel d’air à la précarité. Voyez l’explosion de la précarité dans notre pays. On tend véritablement à copier le modèle anglo-saxon, et pas seulement dans le système de santé.
La motion présentée par Annie David, si elle est contestée, n’est pas contestable. Nous vous montrerons toute cette semaine en défendant pied à pied nos amendements que le financement de la protection sociale dans ce pays est de plus en plus inégalitaire et qu’il y a deux poids et deux mesures. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote.
M. Bernard Cazeau. Le droit à la santé est un droit pour tous les assurés. Or, même si les chiffres que vous nous avez fournis gagneraient à être comparés à ceux d’autres pays - vous vous êtes bien gardé de toute comparaison -, on ne peut pas dire que, depuis un certain nombre d’années, vous ne faites pas supporter à ces assurés les dépenses de santé. Comme je l’ai dit tout à l’heure, vous manifestez un véritable entêtement à faire payer les malades.
Pour les seuls soins de ville, je ne sais pas si vous pourrez contester ce chiffre, ce sont 3 milliards d’euros de plus depuis 2004, sans oublier l’augmentation du forfait hospitalier.
S’y ajoute une sanction indirecte, au niveau des mutuelles. Car tous ces transferts se traduiront par une hausse des cotisations de 4 % à 7 % selon la Mutualité française. Déjà, 8 % à 10 % des Français ne peuvent pas se payer une mutuelle ; combien seront-ils demain ?
Nous sommes dans un système de santé évolué, je vous l’accorde. C’est notre tradition, et heureusement.
Mme Annie David. Bien sûr, il faut le garder !
M. Bernard Cazeau. Nous ne pouvons quand même pas être les derniers partout …
Le problème, c’est qu’il ne faut pas que l’aggravation de ces transferts fasse que le droit à la santé dont parlait Mme David diminue de jour en jour pour les assurés. C’est pour cette raison que nous voterons la motion.
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 253, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 62 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l’adoption | 138 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Le Texier et Jarraud-Vergnolle, MM. Cazeau, Daudigny et Desessard, Mmes Demontès, Campion, Alquier, Printz, Chevé et Schillinger, MM. Le Menn, Jeannerot, Godefroy, S. Larcher et Gillot, Mmes San Vicente-Baudrin et Ghali, M. Teulade et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°67.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2010 (n° 82, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Raymonde Le Texier, auteur de la motion.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, « près de 170 milliards d’euros de déficits cumulés à l’horizon 2013, près de 90 milliards d’euros de dette à amortir reprise par la CADES, une autorisation de découvert à court terme de l’ACOSS à hauteur de 65 milliards d’euros, un déficit du régime général de plus de 30 milliards d’euros pour 2010 […] : autant d’évolutions sans précédent dans l’histoire de la sécurité sociale dans notre pays. »
« Les chiffres atteignent un tel niveau qu’ils finiraient par en perdre toute signification et suggérer ainsi, paradoxalement, que les déficits peuvent s’accumuler année après année sans que rien ne change fondamentalement. »
« Or, il ne s’agit plus d’une aggravation du “trou de la sécu” comme notre pays en a connu au cours des deux dernières décennies mais d’un changement d’échelle, d’une situation totalement inédite face à laquelle les solutions habituelles seront insuffisantes. »
Ce PLFSS est ainsi « le projet de loi de tous les records : le plus court, mais surtout celui dans lequel se succèdent des chiffres que chacun s’accorde à décrire comme “vertigineux” ou “abyssaux”. »
« Ces déficits mettent en danger le socle même de notre protection sociale obligatoire. Dès lors, on ne peut plus exclure une augmentation des prélèvements sociaux. Ce serait une capitulation et l’explosion assurée du système. Je sais que cette idée reste taboue, mais si on ne la traite pas frontalement, on n’aboutira jamais qu’à de fausses solutions. »
Face à un enjeu aussi crucial pour l’avenir de la cohésion sociale, on nous propose « un projet d’attente », alors même que, nous le savons tous : « Plus l’heure des choix est retardée, plus ceux-ci sont porteurs de conséquences douloureuses. »
Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la plupart, les mots que je viens de prononcer depuis le début de mon intervention ne sont pas de moi, mais émanent de M. Vasselle, de M. Bur, de M. Séguin ; ils constituent la toile de fond des interventions des parlementaires de droite qui maîtrisent ces dossiers.
Tous rappellent que, si la crise a aggravé la situation, la sortie de crise ne ramènera pas les déficits à la situation antérieure.
Tous affirment que notre protection sociale a été un rempart efficace pour protéger les citoyens des effets les plus violents de la crise. Tous disent que le système est au bord de l’explosion.
Tous constatent que ce PLFSS n’est pas à la hauteur des enjeux.
Certes, cela fait des années que les mêmes qui tiennent des discours alarmistes en commission, voire en séance publique, n’en tirent aucune conséquence dans leur vote. Il est donc logique que le Gouvernement ne tienne pas compte de leur parole.
C’est ainsi qu’avec une augmentation dérisoire du forfait social et une taxation ridicule des « retraites chapeau », le Gouvernement est en train d’acheter le droit de dilapider l’héritage du Conseil national de la Résistance et de saper les fondamentaux de notre protection sociale. Et vous le laissez faire !
Il faut dire que le « trou » de la sécu a ceci de pratique qu’année après année il permet de justifier tous les reculs, tous les abandons, tous les fatalismes. Or, plutôt que d’agir pour le renouvellement du système, le Gouvernement préfère assister à sa débâcle pour faire accepter le sacrifice de l’essentiel au nom de la préservation de l’indispensable.
Certes, l’ampleur de la dette cumulée et de celle qui est à venir implique des réformes structurelles, le groupe socialiste en est conscient, mais ce que le Gouvernement appelle « réforme » tient plus de la liquidation que de la refondation.
En démocratie, on ne borne pas son action à « sauver ce qui peut être sauvé ». Un gouvernement n’est pas un syndic de faillite !
En démocratie, on se bat pour faire vivre ses valeurs dans le champ du réel. Et quoi de plus structurant pour une société que la solidarité entre ses membres, la dignité face à la vieillesse et la maladie, la protection partagée face aux aléas de la vie ?
C’est à cette aune qu’il faut mesurer ce PLFSS. Or, que constate-t-on ?
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, comme ceux qui l’ont précédé, est financièrement mensonger, il organise l’injustice sociale, détruit la solidarité entre les générations et ne prend pas en compte le détournement du contrôle démocratique de l’organisation des soins.
Il est financièrement mensonger. Non seulement les déficits sont colossaux, mais ils sont sous-évalués. La Cour des comptes a refusé de certifier les comptes des branches famille et vieillesse. La commission des finances de l’Assemblée nationale n’a pas approuvé ce PLFSS. En effet, une fois de plus, les hypothèses économiques sur lesquelles vous fondez vos prévisions sont, au mieux, surévaluées, au pire, surréalistes – croissance annuelle de la masse salariale de 5 % à partir de 2011, croissance du PIB de 2,5 %. C’est un pari perdu d’avance quand on sait que la masse salariale n’a jamais progressé à ce niveau depuis 2002, et qu’un rythme de croissance de 2 % par an est considéré comme normal.
L’espoir vous fait vivre, mais il risque de nous coûter cher !
Ce PLFSS est socialement injuste. C’est une constante de ce gouvernement : tandis que les réformes de l’impôt favorisent systématiquement les plus riches – bouclier fiscal, forfaitisation des dividendes, baisse des droits de mutation, et j’en passe –, celles de la sécurité sociale pèsent essentiellement sur les ménages modestes – impôts proportionnels et non progressifs, déremboursements, forfaits, franchises, baisse des pensions de retraite et, cerise sur le gâteau, imposition des indemnités journalières versées aux victimes d’accidents du travail. C’est la redistribution à l’envers !
Selon une note de la fondation Terra Nova, près de 20 milliards d’euros seront prélevés en 2010 sur les classes moyennes pour être versés aux plus aisés.
Autre exemple : au congrès de la Mutualité française, le Président de la République a clairement annoncé sa volonté de voir les complémentaires prendre le relais de l’assurance maladie.
M. Guy Fischer. Si, si !
Mme Raymonde Le Texier. Il ne peut qu’être exaucé : hors affections longue durée, autrement dit pour les maladies ou traitements qui concernent 80 % des Français, le taux de remboursement, hors mutuelles ou hors assurances, tombe à moins de 55 %.
Une bonne affaire pour le Gouvernement : les mutuelles prennent de plus en plus en charge ce qui devrait relever de la solidarité nationale, et les Français, pour l’instant, ne s’en rendent pas trop compte,…
M. Guy Fischer. Cela va venir !
Mme Raymonde Le Texier. … pour l’instant seulement, car ce transfert de charge sera bien sûr répercuté sur le coût des contrats complémentaires.
Mais, surtout, avec ce déplacement des frontières entre ce qui relève de la solidarité et ce qui relève de l’assurance individuelle, c’est tout l’esprit du système qui est nié.
Enfin, outre qu’il est financièrement mensonger et socialement injuste, ce PLFSS détruit la solidarité entre les générations : avec une dette sociale de 170 milliards d’euros et une extinction de la CADES prévue en 2021 pour les plus optimistes, nous faisons déjà lourdement peser sur les épaules de nos enfants et petits-enfants le poids de nos dépenses sociales.
Que faire alors de la dette qui s’est accumulée et qui n’a pas été transférée à la CADES ? La faire porter par l’ACOSS, bien sûr ! Et peu importe si, pour cela, il faut porter le plafond des emprunts que le régime général est autorisé à contracter à un niveau inégalé de 65 milliards d’euros !
Cette gestion de gribouille est devenue l’alpha et l’oméga des plans de financement de la droite au pouvoir. Vos propres troupes le disent. Je cite les propos de Marie-Anne Montchamp, rapporteur spécial de la commission des finances de l’Assemblée nationale : « Plus la reprise de dette interviendra tardivement, plus elle sera coûteuse. Attendre 2011 exigerait, pour une reprise de dette de plus de 50 milliards, le doublement du taux de la CRDS. C’est tout simplement impossible. » Elle n’a, bien sûr, pas été entendue.
Pourtant, face à une situation aussi dramatique, des propositions ont été faites en matière de recettes, pour veiller à ce que les évolutions fiscales servent la justice sociale. C’est ainsi que le groupe socialiste a été rejoint par certains de vos amis dans le combat qu’il mène contre le bouclier fiscal.
La position de M. Warsmann en témoigne. Il estime que la CRDS devrait être retirée des impositions prises en compte dans le bouclier fiscal, car, je le cite, « lutter contre cette dette est une cause nationale qui suppose la solidarité de tous. La CRDS se distingue de l’impôt. Sa seule raison d’être est le remboursement de la dette sociale. »
Les membres du groupe socialiste réclament depuis longtemps la mise à plat de la politique d’exonérations de charges accordées aux entreprises et un véritable travail sur la fin des niches fiscales. Il semble que ces demandes aient finalement rencontré un certain écho ici.
Ainsi, les politiques d’exonérations sociales représentent un total annuel de près de 76 milliards d’euros. Les dispositifs ont été sans cesse multipliés. Au nombre de 46 en 2006, ils sont 65 cette année !
Selon le rapport d’Alain Vasselle, « l’État fait le choix délibéré de mettre à la charge de la sécurité sociale des politiques qui sont de sa responsabilité ».
Enfin, la crise des finances sociales est adossée sur un confortable magot, celui des niches fiscales. La France détient le record en la matière, puisqu’elle compte plus de 470 de ces niches, pour un coût budgétaire supérieur à 110 milliards d’euros. Ainsi, en 2008, 100 contribuables ont pu économiser pas moins de 1,5 million d’euros chacun !
Grâce à tous ces aménagements, jamais les plus aisés n’auront aussi peu contribué à l’effort commun. Et au cas où certains n’auraient pas su tirer toutes les ressources des niches fiscales, le bouclier fiscal a fait le reste ! Nous souhaiterions que les assurés sociaux fassent l’objet d’autant d’attentions.
La question du financement de la sécurité sociale ne saurait être résumée au seul travail sur les recettes. La refondation du système doit également être évoquée. Or, en la matière, les garanties démocratiques ne sont pas au rendez-vous. Les négociations entre l’assurance maladie et les professions médicales, par exemple, influencent lourdement la lettre comme l’esprit de notre système, mais tendent à échapper au contrôle du Parlement. Pourtant rien n’est moins neutre pour la protection de chacun des habitants de notre pays que les discussions actuelles entre l’UNCAM et les professions médicales, notamment sur la création d’un secteur optionnel.
Les déserts médicaux s’étendent ; les dépassements d’honoraires sont depuis longtemps pratiqués hors de toute notion de « tact et mesure » ; la prévention et la santé publique sont fort peu prises en compte ; les refus de soins ne diminuent pas ; la permanence des soins est de moins en moins assurée par la médecine de ville. Et c’est le moment que l’on choisit pour proposer aux médecins de secteur 1 de pratiquer des dépassements d’honoraires, sans vraiment exiger de ceux du secteur 2 de revenir à des tarifs plus raisonnables.
À terme, le secteur optionnel porte en lui la fin du secteur opposable.
Il faut le rappeler : l’économie de la santé est largement socialisée. Il serait temps d’en tirer les conséquences en termes de priorité et de rappeler que l’égalité d’accès aux soins est constitutionnellement garantie. Mais, pour l’instant, ces réformes sont négociées ailleurs. Or cela pose un réel problème de gouvernance démocratique.
Le Parlement est largement évincé de la question de l’utilisation d’un budget qui est, je le rappelle, supérieur à celui de l’État. Ni les contribuables, ni les usagers du système de soins ne sont invités à la table des négociations.
L’avenir de notre protection sociale est ainsi largement compromis et le terme ne cesse de se rapprocher.
Face à la dégradation sans précédent des comptes sociaux, le PLFSS pour 2010 ne contient que des mesures techniques ou des ajustements de dispositifs existants. Rien ne permet d’espérer un quelconque redressement.
Pourtant, c’est le socle même de notre cohésion sociale qui est ici en cause. Je sais que de nombreux collègues de la commission des affaires sociales, qu’ils soient de droite ou de gauche, partagent ce constat.
Même si nous ne proposons pas tous les mêmes solutions, nous avons tous, en tant que parlementaires, le même devoir, le même pouvoir : le devoir de protéger nos concitoyens, de lutter contre tout ce qui pourrait défaire notre pacte social et le pouvoir d’empêcher un gouvernement de nous conduire à la catastrophe.
Chers collègues de la majorité,…
M. Guy Fischer. Ils ne sont pas nombreux !
Mme Raymonde Le Texier. … si les mots ont encore un sens, comment pouvez-vous donner un blanc-seing à un gouvernement qui, face à une crise structurelle sans précédent, pratique à dessein la politique de l’autruche ? Un parlement n’est pas qu’un espace de parole ; c’est aussi un lieu d’action.
Est-il utile de débattre d’un PLFSS qui ne nous propose rien d’autre que de fermer les yeux collectivement et d’entonner le fameux « jusqu’ici tout va bien » de celui qui dégringole du haut de la tour Montparnasse ?
Nous valons tous mieux que cela. Surtout, nous avons des obligations, de par la mission dont nous sommes investis.
Parce que l’enjeu, aujourd’hui, n’est rien d’autre que la fin d’un modèle social, nous devons refuser que le Gouvernement se détourne de l’intérêt général. Rappelons-le à cette exigence en assumant le mandat qui nous a été confié.
Telles sont les raisons pour lesquelles les membres du groupe socialiste vous invitent, mes chers collègues, à voter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. La demande de nos collègues socialistes visant à faire adopter par le Sénat la motion tendant à opposer la question préalable n’a pas remporté plus de succès que la précédente motion défendue par Mme David.
M. François Autain. C’est désespérant !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Aux dires de Mme Le Texier, le PLFSS ne prend pas en considération la situation présente, ne prépare pas l’avenir et ne tient pas compte de la crise.
Ma chère collègue, en réalité, n’oubliez-vous pas justement l’existence de cette crise et la façon dont nous devons nous préparer à en sortir ? En sollicitant plus nos concitoyens financièrement, allons-nous réellement favoriser cette sortie de crise ?
Je vous invite à revoir les points de vue qu’a développés dans différents médias le président du FMI, M. Strauss-Kahn, que vous connaissez bien. Son analyse sur les solutions proposées pour sortir de la crise ne semble pas aussi critique que la vôtre, s’agissant tant de la situation du budget de la France que de celle de la sécurité sociale.
Sur un certain nombre de points, vous vous êtes plu à rappeler des propos que j’ai consignés dans mon rapport et par lesquels j’ai appelé l’attention du Gouvernement. J’ai rappelé combien il était nécessaire non seulement de tenir compte de l’environnement économique et social, mais aussi de ne pas rester l’arme au pied en attendant des jours meilleurs. Peut-être conviendrait-il de commencer dès à présent à intégrer un certain nombre de mesures dans le PLFSS qui permettront une meilleure préparation à la sortie de crise et à la maîtrise des déficits que connaissent le budget et la sécurité sociale.
Même si je partage certains de vos propos, je ne pense pas que le Sénat soit prêt à se montrer maximaliste et à adopter la motion tendant à opposer la question préalable. Nous devons en effet avoir un comportement responsable et convaincre nos concitoyens de la nécessité d’un PLFSS qui leur permette au moins de continuer à accéder aux soins dans des conditions qui, certes, ne sont pas les meilleures – notre pays n’est plus en pleine croissance – mais sont les moins mauvaises possible. Éric Woerth a rappelé que La France a l’avantage d’avoir le meilleur système de protection sociale au monde.