M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au terme de cette discussion générale de la proposition de loi de Robert Hue et des membres du groupe CRC-SPG, le Sénat doit se prononcer sur l’opportunité de la création d’une commission nationale de contrôle et d’évaluation des aides publiques aux entreprises, qui, naturellement, serait accompagnée d’institutions similaires au niveau régional.
Aussi bien M. le rapporteur que Mme la ministre et M. Gournac ont exprimé un point de vue proche de celui de la commission des finances.
Bien sûr, le contexte de crise dans lequel nous nous trouvons oblige soudain à replacer l’État au cœur de l’économie, afin de rétablir la confiance et de prévenir le risque systémique.
Bien sûr, nous devons engager des fonds publics dans des proportions considérables, et nos concitoyens exigent que nous exercions pleinement notre devoir de vigilance, de contrôle et d’évaluation. C’est bien d'ailleurs ce que nous entendons faire !
Madame la ministre, comme vous l’avez rappelé, vous avez mis en place un comité de suivi du dispositif de financement de l’économie. J’en suis membre, ainsi que mon homologue président de la commission des finances de l’Assemblée nationale et les deux rapporteurs généraux. Mme Bricq comme M. Vera pourront témoigner que Philippe Marini et moi-même veillons à rendre compte systématiquement à la commission des finances du Sénat des propos tenus au sein de ce comité de suivi.
Toutefois, au-delà de l’actualité immédiate, je voudrais vous rappeler, mes chers collègues, que nous avons révisé la Constitution, dont l’article 24 pose désormais clairement les principes qui régissent le rôle du Parlement. Celui-ci, certes, « vote la loi », mais aussi « contrôle l’action du Gouvernement » et « évalue les politiques publiques ».
Mme Bricq fait état de certaines déceptions nées en cette période de rodage de procédures nouvelles. Il est vrai que nous ne sommes pas toujours très nombreux dans l’hémicycle quand, sur l’initiative des groupes, des séances sont consacrées au contrôle… Toutefois, mes chers collègues, le contrôle du Parlement ne saurait se réduire à la discussion plus ou moins improvisée de quelques questions orales ! (M. Nicole Bricq acquiesce.)
Le contrôle, c’est un engagement permanent, du début à la fin de l’année, qui nous oblige à procéder à des vérifications sur place et sur pièces et nous rend attentifs aux dysfonctionnements de la sphère publique.
Si le Parlement n’exerce pas ses missions de contrôle, qui, à mes yeux, sont au moins aussi importantes que son rôle législatif, que fait-il quand il devient évident que la puissance publique n’a plus de prise sur la réalité ? Une loi ! Or rien ne change et, très vite, nos compatriotes sont témoins de l’impuissance publique. Il faut des lois, certes, mais sachons ne légiférer que d’une main tremblante !
Le contrôle et l’évaluation, en revanche, nous mettent au contact des réalités et nous aident à sortir des considérations idéologiques ou dogmatiques.
C’est en constatant ce qui se passe sur le terrain que nous forgeons nos convictions, et nous pouvons alors tenter de les faire partager aux autres parlementaires. Si tel n’est pas le cas, nous restons dans le registre des propos convenus. Il nous arrive alors de parler pour ne rien dire, au risque de donner du Parlement une image quelque peu dérisoire eu égard à la gravité des situations auxquelles se trouvent confrontés nos compatriotes...
Mes chers collègues, nous devons, nous, parlementaires, conduire notre propre réforme et sortir d’un rituel qui est finalement assez commode. Il ne suffit pas d’affirmer que, une semaine par mois, le Sénat se consacre au contrôle en séance publique pour changer l’image du Parlement et accroître sa valeur ajoutée spécifique !
Notre mission ne peut se borner à l’interpellation et à l’incantation : nous devons aller observer ce qui se passe sur le terrain. C’est à ce prix que nous ferons disparaître ce soupçon de complicité avec les dysfonctionnements de la sphère publique qui pèse sur le Parlement.
Mes chers collègues, je vous encourage donc à persévérer dans le contrôle et l’évaluation.
Dans ces conditions, monsieur Hue, est-il nécessaire de nous dessaisir de nos prérogatives pour les confier à une commission nationale de contrôle et d’évaluation des aides publiques ?
M. Robert Hue. Les deux formes de contrôle sont possibles !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mais à quoi bon cette duplication ?
M. Robert Hue. Dans la commission que je propose, les salariés sont représentés !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Rejeter sur les autres les responsabilités qui nous incombent, c’est nous dispenser à bon compte d’assumer notre propre mission. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.) Si nous voulons une société responsable, de grâce, évitons de dupliquer les structures de contrôle !
Quant à l’utilisation des aides publiques par les entreprises, la transparence est désormais suffisante, me semble-t-il, pour que les comités d’entreprise et les délégués du personnel puissent prendre connaissance des comptes,…
M. Robert Hue. Ce n’est pas ce que disent les salariés !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … du moins dans les sociétés qui ne dissimulent pas ou n’externalisent pas une partie de leurs opérations dans des territoires non coopératifs. Du reste, ceux-ci disparaîtront bientôt, grâce à vous, madame la ministre, et grâce à la Commission européenne, et nous pourrons alors réaliser un contrôle interne des entreprises.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Contrôlez vraiment une seule entreprise, et on en reparlera !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Au-delà de ce problème, je rêve d’une société où il n’y aurait plus d’aides publiques aux entreprises (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) et où, en tenant compte des enjeux de la mondialisation, nous pourrions réviser nos systèmes de prélèvement obligatoires.
En effet, madame la ministre, nous devrons un jour avoir ce grand débat devant les Français et nous interroger sur nos prélèvements obligatoires.
Certains trouvent formidable que les entreprises payent des impôts. Formidable, en effet… Toutefois, les impositions des sociétés sont, en définitive, supportées par les consommateurs,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est sûr !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … car elles sont répercutées sur les prix de marché. Qui pourrait affirmer que les impôts des entreprises sont payés par d’autres que les Français eux-mêmes ?
Dès lors, nous devons pouvoir inspirer une réforme des prélèvements obligatoires qui viserait à supprimer les aides publiques et, probablement, à alléger très significativement les impôts payés par les entreprises, parce que ceux-ci se retrouvent dans le prix des produits et des services mis sur le marché et achetés par les consommateurs, c'est-à-dire par nos concitoyens.
Cela étant, chers collègues, ne perdez pas de vue que, si l’impôt transite par les entreprises, il peut être tentant pour certaines d’entre elles – ce n’est pas très compliqué –, d’aller produire ailleurs, là où les coûts sont moins élevés ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.) Dans ce cas, nous nous rendons complices de ce processus de désindustrialisation que vous déplorez par ailleurs.
Mais nous devrons bien un jour surmonter nos contradictions et dominer nos tendances schizophréniques. Car, c’est bien connu, les Français ne veulent pas travailler le dimanche, mais ils aiment faire leurs courses ce jour-là. (Sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est hors sujet !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. De même, ils veulent payer le moins cher possible les produits qu’ils consomment, mais ils veulent aussi un salaire convenable et une protection sociale suffisante.
Nous aurons à débattre de toutes ces questions, et il serait intéressant de le faire ici même…
M. Alain Gournac. J’y suis très favorable !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Excellente idée !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … pour tenter de faire justice de ces contradictions, faute de quoi nous risquons d’être suspectés de nous contenter facilement d’incantations et de gesticulations. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Bernard Vera. Vous en faites une belle démonstration !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Merci, mon cher collègue. Votre évaluation est un encouragement ! (Sourires sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Voilà donc votre idéal de société !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je souhaite que nous puissions dégager des espaces de dialogue, parce que les Français attendent que nous répondions concrètement à leurs préoccupations, au lieu de nous contenter de mettre en place de nouvelles commissions.
Il n’est pas inutile de chercher à multiplier les possibilités de contrôle, mais – je me permets d’y insister – cela relève d'abord des prérogatives du Parlement, qui a été créé pour cela, et pour consentir l’impôt !
Dans ces conditions, vous le comprendrez, la commission des finances, tout en respectant ce texte, ne le soutiendra pas et demandera au Sénat de le rejeter. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Il est créé une Commission nationale d'évaluation et de contrôle des aides publiques aux entreprises, chargée de mesurer les impacts économiques et sociaux et de vérifier l'utilisation des aides publiques de toute nature accordées aux entreprises et aux établissements financiers par l'État et les collectivités locales ou leurs établissements publics, afin d'en améliorer l'efficacité pour l'emploi, la formation professionnelle et les équilibres territoriaux.
La Commission nationale est également compétente pour évaluer et contrôler l'utilisation des fonds structurels européens.
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, sur l'article.
M. Bernard Vera. Nous estimons qu’il est indispensable de renforcer le contrôle de l’utilisation de l’argent public par tout moyen approprié.
Monsieur le rapporteur, vous affirmez que le Parlement est là pour cela, que la Cour des comptes peut jouer son rôle de gardienne de la lisibilité et de la sincérité budgétaires, que la loi organique relative aux lois de finances, comme M. le président de la commission vient de le rappeler, nous dote de nouveaux moyens d’investigation.
Mais alors, pourquoi le Sénat ne s’est-il jamais penché, de sa propre initiative, sur la politique d’allégement des cotisations sociales, d’une manière plus critique que celle qui consiste, au fil des discussions relatives aux projets de loi de finances ou de loi de financement de la sécurité sociale, à faire un rapide point d’ordre sur la situation ?
Madame la ministre, vous nous avez affirmé tout à l'heure que la progression des dépenses d’allégement des cotisations sociales était, pour l’essentiel, liée aux 35 heures.
Or l’une des premières dispositions adoptées par François Fillon, à l’époque, pas si lointaine, où celui-ci avait la charge du ministère du travail, fut de supprimer l’incitation à la réduction du temps du travail, pour lui substituer un allégement général des cotisations sociales sur les bas salaires ! C’est cette décision que nous payons aujourd’hui, et à plus d’un titre, d’ailleurs.
M. Robert Hue. Bien sûr !
M. Bernard Vera. En effet, les allégements de cotisations sociales sur les très bas salaires ont pour conséquence, notamment, la généralisation de ce type de rémunération, car les entreprises sont fortement incitées à privilégier ces très bas salaires, le plus souvent sans tenir compte de la réalité de la qualification des salariés, ni même du contenu de leur travail !
Dans de nombreuses branches professionnelles, dans maints bassins d’emploi, les rémunérations qui égalent ou approchent le SMIC sont le lot commun des salariés !
Les administrateurs de Pinault-Printemps-Redoute peuvent bien se distribuer de généreuses plus-values ou des stock-options, il n’empêche que, pour une très large part, les salariés du groupe n’ont souvent que le SMIC pour toute rémunération, sans compter le temps partiel subi, qui est pratique courante !
Si nous proposons de créer cette commission nationale, c’est parce que nous voulons faire précisément le point sur le sens de l’action publique tournée vers les entreprises. En effet, l’argent public, c’est celui de tous les Français, qu’ils soient riches ou plus modestes. Il est légitime que nos compatriotes sachent où va cet argent et à quoi il sert !
Telle est la mission que nous entendons confier à cette commission nationale, en faisant d’elle l’outil d’une juste évaluation de l’allocation des ressources publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Mes chers collègues, sans revenir sur les différents arguments qui ont été évoqués alors, je rappellerai que la commission n’a pas adopté cet article 1er.
Oui, nous devons contrôler l’utilisation de l’argent public ! Mais, comme vient de le rappeler le président de la commission des finances, c’est le Parlement, aux termes de l’article 24 de la Constitution, qui se trouve chargé de cette mission d’évaluation, et non une quelconque commission dont j’ai démontré qu’elle ne pourrait pas fonctionner.
M. Alain Gournac. Bien dit !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. À nous maintenant d’inventer notre rôle, dans le cadre de la semaine de contrôle parlementaire, procédure encore toute nouvelle. À nous d’examiner les aides publiques, mais aussi les allégements de charges sociales, car j’ai bien noté les remarques qui ont été formulées à cet égard.
Mes chers collègues, nous avons tout à fait la légitimité nécessaire pour exercer cette mission, bien plus en tout cas qu’une commission ressuscitant une structure qui, par le passé, n’a pas fonctionné !
Je vous invite donc à suivre la position de la commission et à ne pas voter l’article 1er de la présente proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre. Je souhaite revenir sur la conditionnalité des aides.
Je le rappelle, le Sénat a adopté en novembre dernier le projet de loi en faveur des revenus du travail, qui prévoit précisément la mise en œuvre du principe de conditionnalité. En l’occurrence, les allégements de charges ne seront maintenus au bénéfice des entreprises que dès lors que celles-ci engagent une négociation annuelle des salaires.
Or il a été prévu, très intelligemment d'ailleurs, qu’un bilan serait dressé, à la fin de l’année 2009, pour vérifier que les entreprises procèdent bien à cette négociation annuelle des salaires.
Je rappelle aussi que, aux termes de ce texte, les entreprises qui ne respecteraient pas cette obligation seraient soumises à une pénalité équivalant à 10 % du montant des allégements de charges.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 146 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 2
La Commission nationale est composée :
- de députés et sénateurs désignés par leur assemblée respective ;
- de représentants de l'État ;
- de représentants des organisations syndicales représentatives de salariés ;
- de représentants des organisations professionnelles représentatives d'employeurs ;
- de personnalités qualifiées, à raison de leur compétence en matière économique et sociale. Une représentation du milieu associatif est prévue à ce titre.
M. le président. La parole est à M. Robert Hue, sur l'article.
M. Robert Hue. L’article 2 tend à préciser la composition de la commission nationale d’évaluation et de contrôle des aides publiques aux entreprises que nous appelons de nos vœux.
Naturellement, j’ai analysé avec beaucoup de soin la position de la commission des finances et le rapport de M. de Montgolfier. J’avoue que, si je ne suis peut-être pas vraiment surpris, je ne suis pas moins scandalisé par une partie de l’argumentation développée.
M. le rapporteur écrit qu’il « est pour le moins circonspect sur la composition envisagée de la commission. L’absence de précisions quant au nombre de ses membres, tant au niveau global que par catégorie de titulaires, est de nature à la rendre pléthorique, bavarde, et à paralyser son fonctionnement. »
Une « catégorie de titulaires » rendrait donc cette instance « bavarde »… Une telle position témoigne d’un terrible mépris pour le dialogue social.
Au fond, ceux que l’on ne veut pas entendre dans cette affaire, ce sont les salariés !
J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les arguments de M. le président de la commission des finances, de M. le rapporteur et de Mme la ministre sur les pouvoirs du Parlement ou le contrôle juridictionnel. Nous pourrions parfaitement débattre de ces points sur lesquels, comme vous le savez, nous ne sommes pas d’accord.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. J’aimerais bien qu’on en débatte !
M. Robert Hue. Il n’empêche que la question clé peut être résumée en deux termes : transparence et salariés.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Très bien !
M. Robert Hue. Le Gouvernement ne veut pas de la transparence parce qu’il relaie ce qui peut apparaître comme une volonté du patronat de dissimuler certaines choses.
Quant aux salariés, dès que leur présence au sein d’une commission est envisagée, on parle aussitôt, monsieur le rapporteur, de bavardage… Je trouve cela tout à fait édifiant !
Notre collègue Alain Gournac, quant à lui, estime inconcevable que tous les maires,…
M. Alain Gournac. Il y en a 36 000, cela fait beaucoup !
M. Robert Hue. … les 36 000 maires, soient en mesure de saisir la commission.
Mon cher collègue, je sais d’expérience que certaines situations sont inacceptables localement. Je ne suis plus maire depuis quelques semaines, mais je l’ai été pendant trente-deux ans.
M. Alain Gournac. Moi, je le suis encore !
M. Robert Hue. Je m’en réjouis pour vous, mais là n’est pas la question.
Ne faut-il pas, à un moment donné, que le maire d’une commune accueillant sur son territoire une entreprise qui fait vivre un quartier complet, voire le village ou la ville entière, puisse disposer d’une possibilité de saisine ? La commission régionale qu’il est proposé d’instaurer le permettrait, mais, de ce contrôle-là, on ne veut pas non plus !
Globalement, le contrôle exercé par les élus du peuple, par les maires des petites villes, ce contrôle-là ne compte pas quand il s’agit des aides publiques. Il en va naturellement de même pour celui des salariés : à la limite, ceux-ci peuvent disposer d’un brin d’information, mais, du côté de la majorité, on ne souhaite ni leur participation ni leur intervention concrète !
C’est dans la nature des choses… À une autre époque, j’aurais même dit que c’est dans la « nature de classe » des choses. (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
À propos précisément des salariés, Mme la ministre, dont je me félicite également de la présence aujourd'hui, a fait référence, dans son intervention, au secteur automobile et aux contreparties exigées pour les 11 milliards d’euros d’aides publiques. Elle a mentionné le pacte automobile et a dit ce que j’ai déjà entendu mille fois, à savoir qu’il n’y aurait pas de plans sociaux dans les entreprises ayant reçu des aides publiques.
J’ai ici, sous les yeux, un document qui m’a été adressé hier, dans la perspective de notre débat de ce jour. Il concerne l’entreprise PTPM d’Ay, dans la Marne, et le groupe Trèves, un sous-traitant de PSA Peugeot Citroën, qui a été largement soutenu dans le cadre du pacte automobile.
Le groupe Trèves a notamment bénéficié, à hauteur de 55 millions d’euros, du fonds de modernisation des équipementiers automobiles, donc d’argent public. Or il organise des licenciements et une délocalisation à l’étranger, avec la menace de 700 suppressions d’emplois en France, dont 130 suppressions dues à la fermeture du site de la Marne.
Les salariés se sont organisés. Ils ont fait la démonstration qu’une autre gestion, un autre fonctionnement étaient envisageables. Faute de lieu d’où les salariés puissent être entendus, la section syndicale CGT de ce sous-traitant du secteur automobile a proposé aux habitants de la petite ville de signer un dépôt de plainte contre le groupe industriel, qui utilise les fonds publics pour restructurer, et non pour développer le potentiel industriel. Plus de 400 citoyens ont déjà signé.
À travers cet exemple de proximité, on voit bien que les salariés n’avaient aucun recours. Si une commission régionale avait existé, ils auraient pu la saisir et on aurait pu discuter de la qualité du plan qu’ils proposaient. Là, c’était impossible !
Cet exemple démontre le bien-fondé d’une commission régionale que pourraient saisir les salariés et les élus. Quant aux contreparties du groupe PSA Peugeot Citroën au titre du pacte automobile, je vous demande, madame la ministre, de regarder de très près le dossier. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ces séances doivent réellement être l’occasion de débats : j’ai bien écouté Robert Hue et entendu ses interrogations quant aux maires et aux élus territoriaux. Je vais tenter de lui répondre.
Mon expérience d’élu territorial me laisse penser qu’il n’existe pas de réelles difficultés en matière de contrôle des fonds publics.
Lorsque nous décidons d’attribuer une aide dans le cadre défini par la loi, nous passons des conventions avec les entreprises concernées et nous subordonnons l’octroi de cette aide à un engagement en termes de création d’emploi.
Que peut-on faire quand, malheureusement, l’objectif n’a pas été atteint à l’échéance conventionnelle ? Pour peu que l’entreprise traverse des difficultés, raison pour laquelle elle n’a pas pu créer tous les emplois qu’elle ambitionnait de créer, faut-il lui demander de rembourser les aides, au risque de précipiter alors le dépôt de bilan ?
Mme Nicole Bricq. Il existe une jurisprudence !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Que faites-vous, mes chers collègues, dans de tels cas ?
Des opérations de contrôle ont donc bien lieu au quotidien, dans la France entière, mais les élus sont souvent piégés dans des situations difficilement supportables.
Que doit faire un maire qui, à la veille d’une élection, se voit signifier que, s’il n’attribue pas une aide particulière, l’entreprise ira ailleurs parce qu’une commune dans le département voisin ou dans le canton voisin lui propose des conditions plus favorables ?
M. Robert Hue. C’est le chef d’entreprise qui vous dit cela, mais il y a aussi des salariés !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Avez-vous eu l’occasion de diriger une entreprise, même petite ? Discuter est formidable, mais on vous appelle aussi à l’action !
La politique privilégie malgré tout l’action. On ne peut se contenter d’incantations. Peut-on vraiment estimer avoir rempli sa mission en créant une commission nationale et des commissions locales ? Peut-on, de ce seul fait, se considérer comme le garant du bon usage des fonds publics ? Ce serait trop facile ! Et à quoi bon, alors, élire périodiquement des députés et des sénateurs ?
Vraiment, je voudrais vous en convaincre, nous devons maintenant nous préoccuper de la compétitivité des entreprises et de nos territoires…
M. Alain Gournac. C’est le plus important !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … et nous interroger sur des dispositifs législatifs et réglementaires certes admirables et que le monde entier nous envie, mais qui ne jouent pas toujours dans le sens de cette exigence.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Si c’est pour servir des dividendes aux actionnaires…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je partage vos sentiments sur ce sujet : je considère aussi comme une véritable injustice ces surrémunérations et ces bonus. Ils accréditent une espèce de gloutonnerie et de cupidité que rien ne retiendrait,…
M. Robert Hue. Attention à la suspicion !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … comme si l’éthique avait disparu !
Nous devons donc apporter une attention particulière à la transparence. Je vous demande d’ailleurs de noter, mes chers collègues, que j’ai là un point de convergence avec M. Hue. Nous progressons ! (Sourires.)
La transparence est effectivement le meilleur régulateur. C’est elle qui peut nous permettre de prévenir certains excès. Nous devons donc établir des règles qui garantissent cette transparence.
Cependant, monsieur Hue, lorsque vous légiférez, vous le faites pour le territoire national. Or l’économie est largement européenne, voire, aujourd’hui, globale.
Si vous pouvez voter des lois extrêmement strictes, qui vous donneront bonne conscience et le sentiment, au coucher, du devoir accompli, la matière néanmoins s’échappe : les entreprises sont effectivement volatiles et peuvent passer d’un territoire à l’autre sans aucune difficulté.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cela rapporte !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ce constat doit sans doute vous amener à militer pour l’Europe, et pour une Europe en mesure d’édicter des principes et des règles. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Quoi qu’il en soit, n’ayant pas été pleinement convaincu par votre propos, cher collègue, à titre personnel, je ne voterai pas l’article 2.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Puisque M. le président de la commission des finances engage un débat fort sérieux au sujet des collectivités locales, je voudrais l’informer que des collectivités ayant accordé des aides publiques à des entreprises ont été conduites, parce que les engagements n’étaient pas respectés, à porter l’affaire en justice.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
Mme Nicole Bricq. Le juge leur a quelquefois donné raison. Si la jurisprudence peut s’appuyer sur la loi, c’est encore mieux : les collectivités peuvent ainsi récupérer plus facilement les aides qui ont été indûment employées.
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, pour explication de vote.
M. Alain Gournac. Monsieur Hue, avec beaucoup de respect, je ne voudrais pas vous laisser penser un instant que je souhaite affaiblir le rôle du maire. Telle n’est certainement pas mon intention, en ce qui me concerne !