Mme la présidente. L'amendement n° 419 rectifié, présenté par Mme Herviaux, MM. Repentin, Teston, Ries, Raoul, Guillaume, Raoult, Le Menn et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Avant l'article 28, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La politique agricole organise des modes de production capables de garantir la sécurité alimentaire de la France, le renouvellement des générations en agriculture, et de répondre aux besoins en alimentation de la planète dans le respect des hommes, particulièrement de leur santé, des écosystèmes et de la biodiversité.
La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Au premier abord, les dispositions de cet amendement peuvent sembler quelque peu redondantes par rapport à celles de l’article 28.
Toutefois – il est important de le réaffirmer –, nous souhaitons une mise en cohérence avec les orientations du « Grenelle » de l’ensemble des politiques menées par les divers ministères, ainsi que des décisions politiques relatives à l’agriculture.
En effet, si nous considérons les décisions qui ont déjà été adoptées, par exemple dans la dernière loi de finances, et celles qui doivent être examinées plus tard, comme les applications de la politique agricole commune, cette cohérence n’est pas toujours assurée, semble-t-il…
C'est pourquoi nous avons souhaité réaffirmer la notion de « politique agricole » avant d’aborder l’article 28.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Bruno Sido, rapporteur. Certes, nous examinons une loi de programme, qui d'ailleurs deviendra peut-être une loi de programmation – c’est l’objet du dernier amendement déposé par la commission –, ce qui nous autorise à y inscrire des considérations assez générales. Toutefois, n’oublions pas, sur quelque travée que nous siégions, que l’on nous reproche sans cesse de voter des lois bavardes !
Madame Herviaux, nous ne pouvons qu’approuver votre proposition. Qui pourrait d’ailleurs s’y opposer ? Toutefois, pour la majorité des membres de la commission, elle alourdit le projet de loi, sans introduire quoi que ce soit de nouveau …
M. Jean-Jacques Mirassou. Mais si !
M. Bruno Sido, rapporteur. … ou de réellement normatif, encore qu’une loi de programmation ne doive pas nécessairement remplir cette fonction !
Des objectifs similaires sont déjà énoncés au premier alinéa de l’article 28. Aussi, la commission vous demande de retirer cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État. Madame Herviaux, j’ai bien compris qu’il s’agissait d’un amendement d’appel, et le Gouvernement vous a entendue.
D'ailleurs, l’article 28 répond en principe à vos attentes, puisque s’y trouve soulignée la nécessité de satisfaire les besoins alimentaires des populations tout en respectant leur santé, l’environnement, les écosystèmes et la biodiversité.
Je le répète, nous avons entendu votre appel et j’espère que vous serez satisfaite par la rédaction de l’article 28.
Mme la présidente. Madame Herviaux, l'amendement n° 419 rectifié est-il maintenu ?
Mme Odette Herviaux. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d'État, mais ma proposition est un peu plus qu’un amendement d’appel ! (Sourires.)
Dans ma présentation, j’ai insisté sur la nécessité de mettre en cohérence l’ensemble des politiques qui sont menées avec les décisions qui doivent être adoptées dans le cadre du « Grenelle ».
Aussi, je maintiens mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. L’objectif de sécurité alimentaire va de soi, tout le monde en est d'accord.
En ce qui concerne le renouvellement des générations en agriculture, tout le monde semble également d'accord, mais les politiques menées actuellement ne vont pas dans ce sens, car elles favorisent l’agriculture intensive, la mécanisation et les intrants chimiques.
Il me semble donc important, au nom du « grenellement volontaire » (Sourires), d’inscrire dans le projet de loi le « renouvellement des générations en agriculture ».
Quant à « répondre aux besoins en alimentation de la planète », je vous rassure, mes chers collègues, cela ne signifie pas que la France va nourrir le reste du monde ; loin de nous cette idée !
En fait, nous souhaitons mesurer ce qui entre chez nous et ce qui sort de chez nous, afin de ne pas altérer les dispositifs de production endogènes des autres peuples de la planète, qui n’ont pas envie de vivre de nos exportations et qui souhaitent au contraire garder leur autonomie.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 419 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 28
La vocation première et prioritaire de l'agriculture est de répondre aux besoins alimentaires de la population, et ce de façon accentuée pour les décennies à venir. Le changement climatique, avec ses aléas et sa rapidité, impose à l'agriculture de s'adapter, de se diversifier et de contribuer à la réduction mondiale des émissions de gaz à effet de serre.
Cependant les processus intensifs de production font peser des risques parfois trop forts sur les milieux, menaçant aussi le caractère durable de l'agriculture elle-même.
Au-delà des importantes évolutions des pratiques agricoles mises en œuvre depuis une dizaine d'années, un mouvement de transformation s'impose à l'agriculture pour concilier les impératifs de production quantitative et qualitative, de sécurité sanitaire, d'efficacité économique, de robustesse au changement climatique et de réalisme écologique : il s'agit de produire suffisamment, en utilisant les fonctionnements du sol et des systèmes vivants et, leur garantissant ainsi une pérennité, de sécuriser simultanément les productions et les écosystèmes. L'agriculture contribuera ainsi plus fortement à l'équilibre écologique du territoire, notamment en participant à la constitution d'une trame verte et bleue, au maintien de la biodiversité, des espaces naturels et des milieux aquatiques, et à la réhabilitation des sols.
À cet effet, les objectifs à atteindre sont :
a) De parvenir à une production agricole biologique suffisante pour répondre d'une manière durable à la demande croissante des consommateurs et aux objectifs de développement du recours aux produits biologiques dans la restauration collective publique ou à des produits saisonniers à faible impact environnemental, eu égard à leurs conditions de production et de distribution. Pour satisfaire cette attente, l'État favorisera la structuration de cette filière et la surface agricole utile en agriculture biologique devrait atteindre 6 % en 2012 et 20 % en 2020. À cette fin, le crédit d'impôt en faveur de l'agriculture biologique sera doublé dès l'année 2009 afin de favoriser la conversion des exploitations agricoles vers l'agriculture biologique ;
b) De développer une démarche de certification environnementale des exploitations agricoles afin que 50 % des exploitations agricoles puissent y être largement engagées en 2012. Des prescriptions environnementales pourraient être volontairement intégrées dans les produits sous signe d'identification de la qualité et de l'origine. Une incitation pour les jeunes exploitants s'installant en agriculture biologique ou en haute valeur environnementale sera étudiée ;
c) De généraliser des pratiques agricoles durables et productives. L'objectif est, d'une part, de retirer du marché, en tenant compte des substances actives autorisées au niveau européen, les produits phytopharmaceutiques contenant les quarante substances les plus préoccupantes en fonction de leur substituabilité et de leur dangerosité pour l'homme, trente au plus tard en 2009, dix d'ici à la fin 2010, et, d'autre part, de diminuer de 50 % d'ici à 2012 ceux contenant des substances préoccupantes pour lesquels il n'existe pas de produits ni de pratiques de substitution techniquement et économiquement viables. De manière générale, l'objectif est de réduire de moitié les usages des produits phytopharmaceutiques et des biocides en dix ans en accélérant la diffusion de méthodes alternatives sous réserve de leur mise au point. Un programme pluriannuel de recherche appliquée et de formation sur l'ensemble de l'agriculture sera lancé au plus tard en 2009, ainsi qu'un état des lieux de la santé des agriculteurs et des salariés agricoles et un programme de surveillance épidémiologique. Une politique nationale visera la réhabilitation des sols agricoles et le développement de la biodiversité domestique, cultivée et naturelle dans les exploitations. La politique génétique des semences et races domestiques aura pour objectif de généraliser, au plus tard en 2009, le dispositif d'évaluation des variétés, d'en étendre les critères aux nouveaux enjeux du développement durable et d'adapter le catalogue des semences aux variétés anciennes, y compris les variétés de population, contribuant à la conservation de la biodiversité dans les champs et les jardins, et aux semences de populations, et de faciliter leur utilisation par les professionnels agricoles. Un plan d'urgence en faveur de la préservation des abeilles sera mis en place en 2009 et s'appuiera notamment sur une évaluation toxicologique indépendante relative aux effets, sur les abeilles, de l'ensemble des substances chimiques ;
c bis) De réduire la dépendance des systèmes de production animale aux matières premières importées entrant dans la composition des produits d'alimentation animale et notamment les protéagineux et les légumineuses ;
d) D'accroître la maîtrise énergétique des exploitations afin d'atteindre un taux de 30 % d'exploitations agricoles à faible dépendance énergétique d'ici à 2013 ;
e) D'interdire l'épandage aérien de produits phytopharmaceutiques, sauf dérogations.
L'État mettra en place un crédit d'impôt pour la réalisation d'un diagnostic énergétique de l'exploitation agricole. Il s'agira de suivre de manière précise la consommation et de réaliser des bilans énergétiques des exploitations agricoles afin de réaliser des économies d'énergie directes et indirectes (tracteurs et machines, bâtiments et serres, consommation d'intrants). Il faudra produire et utiliser des énergies renouvelables dans les exploitations agricoles (expérimentation, méthanisation, mobilisation du bois agricole, adaptation de la fiscalité sur l'énergie).
L'État agira par une combinaison d'actions : l'encadrement des professions de distributeurs et d'applicateurs de produits phytopharmaceutiques par des exigences en matière de formation, d'identification ou de séparation des activités de vente et de conseil, dans le cadre d'un référentiel vérifiable d'enregistrement et de traçabilité des produits ; un renforcement des crédits d'impôt et des aides budgétaires pour aider les agriculteurs à développer l'agriculture biologique ; des instructions données à ses services en matière de restauration collective ; la promotion d'une organisation des acteurs agricoles et non agricoles pour mettre en œuvre des pratiques agricoles avancées sur l'ensemble du territoire concerné ; une réorientation des programmes de recherche et de l'appareil de formation agricole pour répondre d'ici à 2012 aux besoins de connaissance, notamment en microbiologie des sols, et au développement des pratiques économes en intrants et économiquement viables, notamment par un programme de recherche renforcé sur les variétés et itinéraires améliorant la résistance aux insectes et aux maladies ; l'objectif est qu'au moins 20 % des agriculteurs aient bénéficié de cette formation en 2012 ; la généralisation de la couverture des sols en hiver en fonction des conditions locales ; l'implantation progressive, pour améliorer la qualité de l'eau et préserver la biodiversité, de bandes enherbées et zones végétalisées tampons d'au moins 5 mètres de large le long des cours d'eau et plans d'eau. Ces bandes enherbées contribuent aux continuités écologiques de la trame verte et bleue.
En outre, la France appuiera au niveau européen une rénovation de l'évaluation agronomique des variétés candidates à la mise sur le marché pour mieux prendre en compte les enjeux de développement durable et notamment la réduction progressive de l'emploi des intrants de synthèse.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l'article.
M. Didier Guillaume. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le présent texte est rappelée la vocation première de l’agriculture : répondre aux besoins alimentaires de la population.
J’évoquerai plus spécifiquement l’agriculture biologique, et, parodiant un célèbre poète bigourdan, François Fortassin, …
M. Charles Revet. Et quel poète…
M. Didier Guillaume. … qui nous affirmait, hier soir, être un « militant de l’eau », je vous annoncerai que je suis un « militant du bio ». (Sourires.)
Dans le domaine de l’agriculture biologique, c’est en participant au développement d’expérimentations que l’État, les collectivités locales et les acteurs publics peuvent faciliter l’émergence d’une filière de qualité.
Dans les départements fortement engagés en faveur de l’agriculture biologique, des signes extrêmement encourageants peuvent, d’ailleurs, être d’ores et déjà notés : un taux de conversion significatif de l’agriculture conventionnelle vers l’agriculture biologique, la notoriété accrue de ces territoires, une attente « sociétale » – pour employer un terme à la mode – de plus en plus importante pour les produits « bio » et le développement de filières économiques et de formations dédiées à cette agriculture.
Ces signaux doivent nous encourager à aller plus loin. D’ailleurs, dans le présent texte, madame la secrétaire d’État, l’agriculture biologique est mise en avant.
Toutefois, il faut se méfier des clichés.
Ainsi – ce point nous tient particulièrement à cœur –, il faut arrêter d’opposer les agriculteurs « bio » et les agriculteurs conventionnels. Ce faux débat est un vrai combat d’arrière-garde, qui ne sert à rien et ne favorise ni les uns ni les autres.
Les agriculteurs « bio » ne sont pas tous des post-soixante-huitards travaillant sur de petites parcelles, se contentant de petits rendements et ne sachant pas valoriser leur production ; les agriculteurs conventionnels ne sont pas tous d’affreux adeptes de l’agriculture intensive qui polluent les sols et abusent des intrants.
Notre agriculture, pour nourrir l’ensemble de la population, a besoin des deux, de l’agriculture biologique et de l’agriculture conventionnelle, l’une nourrissant l’autre, et vice-versa, si je puis me permettre ici cette image.
D’ailleurs, les techniques aujourd’hui mises au service de la culture biologique sont utilisées aussi par l’agriculture conventionnelle.
Je vois un autre cliché dans le sempiternel débat sur culture d’OGM en plein champ et agriculture « bio ».
J’ai la conviction profonde qu’il n’y a aucune compatibilité entre l’agriculture biologique et la culture d’OGM en plein champ. Ces deux cultures sont totalement antinomiques. Si nous voulons développer l’agriculture biologique, nous devons affirmer haut et fort que ne peuvent coexister sur le même territoire champs d’OGM et cultures « bio ». On sait très bien jusqu’où la solution inverse risquerait de nous entraîner…
Pour conclure sur ce sujet de l’agriculture « bio », je déplore la trop grande dispersion des producteurs, le manque de plateformes, l’insuffisance de l’offre par rapport aux besoins des consommateurs.
Je souhaiterais donc que soit définie une stratégie de circuits de distribution. L’État doit pouvoir aider les acteurs de la filière et les collectivités locales à organiser de véritables circuits de distribution, les meilleurs possibles, qui permettent aux responsables de cantines, notamment, et à la population d’acheter des produits « bio ».
Il ne faudrait pas que l’agriculture biologique soit réservée aux consommateurs qui en ont les moyens. Il est donc de notre responsabilité, à nous, élus de la nation, de faire en sorte que l’évolution des techniques et le développement de cette agriculture ne se traduisent pas par des niveaux de prix trop élevés. Je sais que toutes les associations concernées travaillent en ce sens.
Les amendements que nous présenterons sont inspirés par ce souci : si nous voulons que, dans quelques années, la restauration scolaire offre 20 % de produits « bio », il faut absolument que, dans le cadre des marchés publics, les responsables que nous sommes puissent s’adresser à des producteurs locaux, dont les prix ne seront pas forcément plus élevés que ceux des autres agriculteurs, notamment en raison des économies réalisées en termes d’impôt carbone.
Nous devrons de même prendre des mesures pour faire en sorte que les centrales d’achat ou les collectivités, départements et communes, puissent s’approvisionner par les circuits les plus courts possible. Nous avons également déposé un amendement en ce sens.
Il faudra en outre organiser les filières de la recherche, notamment pour trouver des opérateurs en aval. En effet, aujourd’hui, la demande de produits « bio » est supérieure à l’offre, de sorte que, dans le premier département « bio » de France, la Drôme, dont je suis élu, où sont cultivées beaucoup de plantes aromatiques et à parfum, les producteurs sont obligés d’importer de Bulgarie et de Hongrie du tilleul ou des plantes aromatiques afin de répondre à la demande. Nous devons absolument remédier à cette insuffisance de la production, et, donc, réorganiser ces filières.
Enfin, il faut impérativement favoriser le lancement de programmes nationaux de recherche. En effet, c’est aussi par la recherche, par l’évolution, par l’innovation et par le progrès technique que nous parviendrons à avancer.
Notre tâche est immense, notre ambition doit être à sa hauteur. C’est pourquoi la politique que porte ce texte doit être volontariste en termes tant d’objectifs à atteindre que de moyens à mettre en œuvre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Herviaux, sur l'article.
Mme Odette Herviaux. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, avant que nous commencions à étudier les amendements déposés sur cet article, dont le nombre prouve bien notre attachement au monde agricole, je souhaitais formuler quelques remarques.
C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai fait partie du groupe de travail n° 4 du Grenelle de l’environnement en tant que membre de l’Association des régions de France. J’ai pu mesurer les efforts qu’ont faits, à cette occasion, des personnes qui n’avaient pas l’habitude de se parler, pour débattre, formuler de propositions et aboutir parfois à un consensus.
Depuis, nous sommes entrés dans la phase de concrétisation.
Il me semble important de rappeler que, depuis des décennies, le nombre des agriculteurs ne cesse de diminuer, au point qu’ils sont devenus très minoritaires par rapport à la population nationale, même si, dans certaines régions, dont la mienne, la Bretagne, ils continuent, appuyés par tous les professionnels qui dépendent d’eux, en amont et en aval, de donner toute son importance à ce secteur…
M. Bruno Sido, rapporteur. Ah oui !
Mme Odette Herviaux. … et sont des acteurs incontournables. Toutefois, parce qu’ils sont minoritaires, ils voient leurs problèmes, au mieux, méconnus, au pire, incompris.
J’espère donc que ce texte, qui doit confirmer les débats menés lors du Grenelle de l’environnement, permettra à nos concitoyens de mieux comprendre les problèmes du secteur agricole et, donc, de mieux les assumer collectivement.
Quels sont les grands enjeux d’une agriculture durable ?
Force est d’abord de dresser un constat inquiétant : les prix des produits alimentaires de base ont flambé dans le monde, notamment dans les pays en voie de développement. Globalement, selon la Banque mondiale, ils ont progressé, ces trois dernières années, de 83 % !
En France, la remontée de certains prix alimentaires avait suscité de nombreux débats sur le « pouvoir d’achat » avant même que la crise ne fasse parler d’elle.
Pourtant, experts et spécialistes ont été nombreux à alerter sans relâche, depuis plus de vingt ans, sur l’insécurité alimentaire mondiale, problème qui n’était pas résolu malgré un fort développement économique.
Tout le monde a semblé redécouvrir l’importance stratégique de l’agriculture, alors que nous sommes à la veille de devoir relever un défi impressionnant, comme mon collègue l’a dit tout à l’heure : nourrir, en 2050, une population mondiale qui aura augmenté de 50 %, alors que les terres arables ne cessent de diminuer, notamment autour des grandes villes, du fait d’une urbanisation galopante qui prend les meilleures terres.
Il nous faudra donc être capables de quasiment doubler la production alimentaire mondiale d’ici à 2050, et ce dans un contexte de changements climatiques, de manque d’eau, d’érosion des sols et de menaces sur la biodiversité.
Grâce à l’innovation et, surtout, à l’intelligence des hommes, l’agronomie et l’agriculture peuvent répondre à ce défi au plan mondial en combinant techniques anciennes et nouvelles technologies.
Cependant, les technologies nouvelles n’apporteront pas à elles seules la solution. Il nous faut aussi travailler pour promouvoir d’ambitieuses politiques publiques agricoles permettant de réguler les à-coups inhérents à l’agriculture.
L’objectif est de protéger les agriculteurs et de garantir aux consommateurs une alimentation sûre en qualité et en quantité, via une production agricole régulière, non spéculative, évitant hausses puis baisses erratiques des prix et des volumes produits, dans le souci permanent de la préservation de l’environnement.
C’est tout l’enjeu d’une agriculture diversifiée, de qualité, mais aussi, nous le souhaitons, productive et durable.
Les missions que remplissent les agriculteurs sont en effet multiples : assurer l’alimentation de nos concitoyens, occuper et entretenir le territoire, produire des biens non alimentaires, diversifier les produits et les activités.
En résumé, ces missions multiples répondent à des besoins qui se diversifient eux aussi et qui appellent des types d’agricultures complémentaires.
Comme le disait mon collègue Didier Guillaume tout à l’heure, il ne faut pas chercher à opposer les différentes formes d’agriculture entre elles ni tenter de hiérarchiser qualité et quantité.
On peut dénoncer les dérives de l’agriculture « productiviste », ainsi dénommée à l’époque, dont nous subissons les conséquences dans certains territoires, mais fustiger l’agriculture productive, que je préfère qualifier, personnellement, d’ « écoproductive », c’est renoncer à la sécurité alimentaire.
Réduire l’agriculture uniquement à des circuits courts et à des méthodes plus artisanales, c’est risquer d’abandonner irrémédiablement toute ambition économique pour une activité vitale en matière d’aménagement du territoire.
C’est, au contraire, en insistant sur la nécessaire alliance et l’entrecroisement des différentes formes d’agriculture que nous parviendrons à répondre aux défis présents et futurs qui se posent à nous : nourrir les hommes d’aujourd’hui tout en protégeant ce qui permettra de nourrir les hommes de demain.
Conformément à l’esprit même du Grenelle de l’environnement, une politique agricole ambitieuse devra reconnaître et promouvoir l’ensemble des agricultures écologiquement responsables. À cette condition seulement, notre pays garantira sereinement sa sécurité alimentaire, contribuera à réguler efficacement les soubresauts spéculatifs d’une mondialisation aveugle et sera un acteur majeur d’un développement durable et, j’ajoute, solidaire : la solidarité devra s’exercer envers les plus démunis, entre le Nord et le Sud, entre les générations présentes, et, surtout, avec les générations à venir.
M. Didier Guillaume. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin, sur l'article.
M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler une évidence : l’agriculture doit, avant tout, subvenir aux besoins alimentaires des populations. À nous donc d’avoir une production quantitativement suffisante et qualitativement satisfaisante.
Outre mon engagement en faveur de l’eau, qui a été éloquemment rappelé tout à l’heure (Sourires), je milite personnellement pour une agriculture raisonnée et raisonnable et je n’oppose pas l’agriculture biologique à l’agriculture traditionnelle.
Cependant, des questions doivent être posées.
Nous savons très bien que nous devrons réduire notre consommation d’intrants. Toutefois, nous savons très bien aussi que nous ne pourrons que procéder par paliers, car une diminution du recours aux intrants entraîne automatiquement une diminution des rendements.
Il ne faut pas oublier que disparaissent chaque année en France à peu près 60 000 hectares, ce qui se traduit par une perte de production non négligeable, qu’il faudra bien compenser d’une façon ou d’une autre.
En même temps, nous devons nous attacher à faire prendre conscience aux agriculteurs que l’utilisation de certains intrants non seulement amoindrit la qualité des produits qu’ils mettent sur le marché, mais, de plus, met leur santé en danger. Nous avons donc une action pédagogique à mener auprès d’eux pour les sensibiliser aux menaces qui pèsent sur leur santé.
Certains combats sont symboliques. Ainsi, se soucier des abeilles peut paraître anecdotique ; pourtant, si, demain, les abeilles sont toujours là, cela prouvera que nous aurons conservé une nature qui n’aura pas été trop abîmée par le recours à certains produits.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. François Fortassin. En outre, nous devrons rapidement interdire les épandages aériens. Là encore, il s’agit d’opérer de façon réfléchie et de ne pas faire preuve de sectarisme en la matière. Ces différents types d’agriculture doivent pouvoir coexister, et nous devons nous orienter, parallèlement, vers des produits absolument irréprochables sur les plans qualitatif et gustatif.
Nous devons également, autant que faire se peut, favoriser la préservation du paysage. Pour y parvenir, rien ne vaut une agriculture fondée sur les méthodes traditionnelles. Cela va peut-être vous sembler un lieu commun, mais il est normal que les herbivores mangent de l’herbe ! (Sourires.) Je vous expliquerai pourquoi ultérieurement, en défendant un amendement portant sur l’élevage traditionnel.
Enfin, je regrette que certains sujets importants, comme la sylviculture, ne soient pas abordés dans cet article.
Ce n’est pas la tempête qui a sévi très récemment dans le sud-ouest, mettant à mal la forêt landaise (M. Roland Courteau acquiesce.), qui m’incite à évoquer ces problèmes. Je tiens cependant à dire que, dans notre pays, la sylviculture et la forêt en général sont en danger.
Les exploitants forestiers doivent travailler dans la durée pour obtenir des rendements. Mais une catastrophe naturelle peut anéantir une production pour de très nombreuses années. Or, si les propriétaires forestiers ne peuvent plus vivre de leur métier, ces terres seront bradées, voire livrées à la spéculation foncière et immobilière. Nous devons donc nous pencher sur ce problème.
Il faut aussi évoquer la question des forêts de montagne, dont l’exploitation rend nécessaire la construction de routes ou de pistes. Or, dans certaines zones, de tels aménagements ne sont guère judicieux. Dans ces cas, il faut encourager une autre solution : la traction animale. De nos jours, malheureusement, très peu de gens savent conduire des mulets !
M. Didier Guillaume. Par contre, des mulets qui savent conduire… (Sourires.)
M. François Fortassin. Cela peut arriver ! (Nouveaux sourires.)
Il existe encore une autre solution : l’exploitation par câble. Or, dans certaines zones de montagne, comme le massif pyrénéen, il n’existe plus un seul câbliste. Il faut alors faire venir des câblistes autrichiens, qui ne peuvent se libérer qu’une fois tous les trois ans, quand ils ne sont pas occupés ailleurs.
Des pans entiers de forêts sont donc en cours de destruction. Un arbre, cela grandit, devient adulte, vieillit et meurt ; et si la forêt n’est pas exploitée, elle est vouée à l’anéantissement.
J’ajouterai quelques mots sur la neige de culture.