Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous sommes appelés à examiner vise à combler ce qui, du fait de la pratique judiciaire, est devenu un vide juridique.
Issu de l’Assemblée nationale, ce texte répond, comme cela a déjà été souligné à plusieurs reprises à cette tribune, à une offensive judiciaire menée par les mouvements sectaires : ceux-ci ont en effet entamé un bras de fer judiciaire en déposant un grand nombre de plaintes en diffamation contre les personnes qui étaient venues témoigner.
Dans la mesure où ces personnes sont contraintes de prêter serment et où, en même temps, elles ne peuvent bien évidemment bénéficier ni de l’immunité parlementaire ni de celle qui protège les parties à un procès, elles se trouvaient placées dans une situation d’insécurité juridique très délicate pour elles-mêmes et préjudiciable à la bonne marche des commissions d’enquête.
Il faut donc saluer l’initiative parlementaire, relayée par notre rapporteur, M. René Garrec, qui permet de pallier cette absence de protection des témoins.
Comme vient de le rappeler Mme Troendle, il faut souligner que l’immunité dont bénéficient les témoins grâce ce nouveau texte n’est qu’une immunité relative. En effet, les témoins sont protégés pour des infractions bien définies : la diffamation, l’injure et l’outrage. L’immunité ne jouera pas si les propos tenus ne correspondent pas à l’objet de l’enquête. De même, les faux témoignages ou la subornation de témoins resteront pénalement répressibles. C’était une préoccupation de la commission, qui en a longuement discuté.
Ainsi, nous faisons le choix d’une protection juridique encadrée, ce qui constitue un aspect important de la proposition de loi.
Le texte est novateur et apporte une protection utile et nécessaire pour la liberté des témoignages. Je pense qu’il aurait été difficile d’aller plus loin et d’accepter une immunité absolue : nous aurions alors créé un déséquilibre entre les droits des témoins et les droits des tiers, ce qui n’aurait pas été satisfaisant.
Le double objectif du texte est ainsi respecté : à la fois protéger les témoins qui déposent sous serment et concilier les droits des tiers, ainsi que ceux des commissions à recueillir les éléments nécessaires à leur mission.
Il est évidemment très important, cela a déjà été indiqué, que les personnes entendues sous serment par les commissions parlementaires puissent s’exprimer sans crainte, a fortiori lorsqu’il s’agit de commissions d’enquête dont la mission touche à des sujets sensibles liés aux libertés individuelles. La question des sectes est un exemple parfait, sachant que leurs membres peuvent être sous une emprise morale et psychologique extrêmement forte.
Il faut évidemment permettre à ces personnes de témoigner librement, pour leur droit, mais aussi pour la bonne conduite des commissions d’enquête.
Cette liberté de témoignage permet en effet aux commissions d’enquête d’accomplir pleinement leur mission, car nous savons bien que leur objectif est de faire la lumière sur un sujet précis. En leur offrant les meilleures conditions de fonctionnement, on leur donne les moyens de remplir au mieux leur tâche. Or ce pouvoir d’enquête est très important à nos yeux : il fait partie des prérogatives parlementaires qu’il faut encourager et qui participent de la revalorisation du Parlement.
Vous l’aurez compris, l’ensemble du groupe Union centriste-UDF soutiendra donc cette proposition de loi.
Je voudrais ajouter que, à titre personnel, je partage le souci du président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, qui a souligné que, dans ce cadre, les présidents des commissions d’enquête devraient veiller à « assurer la modération et la sérénité des auditions, propres à respecter les divers intérêts en présence ». Avec ce texte, on voit bien le rôle déterminant du président de la commission d’enquête dans la conduite des débats. Il y va de l’équilibre et du respect des droits de chacun.
Enfin, je me permets de signaler à notre collègue M. Collombat que son amendement ne me paraît pas nécessaire.
M. Pierre-Yves Collombat. Ah bon ?
M. François Zocchetto. Il part sans doute d’une bonne intention : faire en sorte que les personnes qui sont convoquées devant des commissions d’enquête se déplacent et témoignent. Cependant, le texte actuel permet d’atteindre ce but.
M. Jean-Louis Carrère. On en a eu la preuve !
M. François Zocchetto. C’est le président de la commission d’enquête qui dispose de tous les moyens, y compris par le recours à la force publique.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Exactement !
M. François Zocchetto. Il a donc, s’il le souhaite, les moyens de faire comparaître une personne.
En pratique, lorsqu’on observe ce qui s’est passé dans les cas que vous avez évoqués, mon cher collègue, il semble que ce soit la commission d’enquête elle-même qui ait pris la décision de ne pas utiliser la contrainte.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais bien sûr…
M. François Zocchetto. Le président de la commission d’enquête n’a donc pas eu à requérir le concours de la force publique ou l’intervention d’un huissier.
Convenez que c’est exactement la même procédure que celle qui existe devant les tribunaux, et que personne ne conteste à ce jour ! (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
Article additionnel avant l'article unique
Mme la présidente. L'amendement no 1, présenté par M. Garrec, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Avant l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Après le deuxième alinéa de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d'enquête créée, en leur sein, par l'Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d'y déposer, sauf s'ils sont étrangers à l'objet de l'enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. René Garrec, rapporteur. Cet amendement a en réalité deux objets.
Il répond, en premier lieu, à un souci de lisibilité de la loi puisqu’il introduit l'immunité proposée par l'Assemblée nationale dans l'article 41 de la loi de 1881 sur la presse, article qui regroupe déjà toutes les dispositions relatives, d'une part, à l'immunité parlementaire et, d'autre part, à l'immunité dont bénéficient notamment les témoins devant les tribunaux.
Il vise, en second lieu, à renforcer l’encadrement du champ de la protection nouvelle en la restreignant expressément aux seules réunions des commissions d'enquête et en exigeant du compte rendu des réunions publiques non seulement la bonne foi, comme l'ont prévu les députés, mais encore la fidélité, selon le terme juridique retenu par la Cour de cassation en la matière.
Je rappelle que les commissions d’enquête parlementaires sont apparues sous la Restauration, sous Charles X exactement, et que, jusqu’en 1914, elles ne reposaient sur aucune base juridique.
En 1914, les difficultés auxquelles se heurtait une commission parlementaire enquêtant sur un scandale financier ont conduit à l’adoption d’un texte – qui ne faisait nullement référence à la loi de 1881 – instaurant la protection des témoins : le but était que ceux-ci puissent en toute sérénité s’exprimer devant les commissions parlementaires, elles-mêmes tenues au secret ; en contrepartie, des sanctions étaient prévues. L’homme visé s’appelait M. Rochette, un escroc notoire qui est passé à la postérité pour avoir rendu nécessaire le vote d’une loi.
C’est sur cette base que les commissions d’enquête parlementaires ont vécu jusqu’à la IVe République, disposant du pouvoir de convoquer des témoins dont la protection était par ailleurs assurée. Ensuite, les ordonnances de 1958 ont supprimé les obligations judiciaires, ce qui à conduit – système fabuleux ! – à ce que, sous la Ve République, une commission parlementaire pouvait convoquer les témoins, mais sans que leur protection soit prévue.
Cela a duré jusqu’à ce que deux sénateurs bien connus, menant une enquête sur l’ORTF, ont vu les dirigeants de cet organisme refuser de déférer aux convocations. Ils ont alors déposé une proposition de loi grâce à laquelle a été réintégrée dans la législation la possibilité pour une commission parlementaire de convoquer des témoins, ceux-ci s’exposant des sanctions s’ils ne déféraient pas à ladite convocation.
Aujourd’hui, l’amendement no 1 vise, tout en conservant le dispositif proposé par l’Assemblée nationale, à le limiter très clairement aux seules auditions des commissions d’enquête et à exiger des comptes rendus des réunions publiques, comme je l’ai déjà indiqué, non seulement la bonne foi, mais la fidélité, afin d’éviter toute dénaturation ou falsification des faits qui pourrait être l’œuvre d’un parlementaire, d’un témoin ou d’un journaliste.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Besson, secrétaire d'État. L’insertion de cette protection supplémentaire accordée aux personnes auditionnées dans le cadre des commissions d’enquête dans la loi relative à la liberté de la presse plutôt que son maintien dans l’ordonnance du 17 novembre 1958 ne nous semble pas poser de difficulté particulière.
En ce qui concerne les modifications apportées à la proposition de loi telle qu’amendée par l’Assemblée nationale, elles sont avant tout de précision.
Nous ne voyons donc pas d’objection à cet amendement présenté par M. le rapporteur. Par conséquent, nous émettons un avis favorable.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l'article unique.
Article unique
I. – Après le troisième alinéa du II de l'article 6 de l'ordonnance no 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, pour injure ou outrage, ni les propos tenus ou les écrits produits par la personne tenue de déposer devant une commission d'enquête, sauf s'ils sont étrangers à l'objet de l'enquête, ni le compte rendu des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi. »
II. – Dans le dernier alinéa de l'article L. 613-20 du code monétaire et financier, le mot : « quatrième » est remplacé par le mot : « cinquième ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement no 2, présenté par M. Garrec, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
Le troisième alinéa du II de l'article 6 de l'ordonnance no 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les dispositions du troisième alinéa de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse lui sont applicables. ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. René Garrec, rapporteur. Il s’agit de prévoir dans le texte de l’article 6 de l'ordonnance de 1958, qui fixe le régime des commissions d’enquête, un renvoi aux dispositions de la loi de 1881 créant l’immunité accordée aux personnes entendues, de façon, comme je m’en suis déjà longuement expliqué, que toutes les immunités soient régies par un texte unique.
Mme la présidente. L'amendement no 3 rectifié bis, présenté par MM. Collombat, Repentin, Frimat et C. Gautier, est ainsi libellé :
Avant le I de cet article, insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Dans la première phrase du troisième alinéa du II de l'article 6 de l'ordonnance no 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, après les mots : « Toute personne », sont insérés les mots : « à l'exception du seul Président de la République ».
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Je ne serai pas très long, dans la mesure où je me suis déjà exprimé sur ce sujet au cours de la discussion générale.
Cet amendement a pour objet de modifier légèrement le texte de l’ordonnance de 1958 afin de régler le problème que posent les « extensions » du Président de la République, à savoir ses collaborateurs.
En effet, la multiplicité des interprétations des dispositions de l’ordonnance a des résultats tout à fait étonnants puisque sont, en fin de compte, soustraits à l’obligation de déférer à la convocation d’une commission d’enquête les collaborateurs sans statut, alors que ceux qui en ont un, tel le secrétaire général de l’Élysée, se sont résolus à se rendre devant une commission d’enquête…
Si l’on peut, à la rigueur, admettre que le Président de la République lui-même fasse exception à la règle, rien ne justifie qu’il en aille de même pour ses collaborateurs : séparation des pouvoirs ne signifie pas absence de contrôle réciproque des pouvoirs, ce qui définit assez bien la démocratie elle-même.
On m’objecte que le texte de l’ordonnance est parfaitement clair ; apparemment, son application l’est un peu moins, et je dois reconnaître que j’ai beaucoup apprécié, à l’instant, l’explication de notre collègue François Zocchetto ! Nous préférons en rire, car il y a tout de même un petit problème !
Sans doute la précision que nous proposons en gêne-t-elle certains, mais, précisément, ce serait l’occasion de clarifier les choses : hormis le Président de la République, tout le monde est tenu de déférer aux convocations d’une commission d’enquête parlementaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 3 rectifié bis ?
M. René Garrec, rapporteur. Monsieur Collombat, vous proposez de préciser, dans l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100, que seul le Président de la République fait exception à la règle qui veut que tout un chacun soit tenu de déférer à la convocation d’une commission d’enquête parlementaire.
En vérité, ce rappel me paraît inutile puisque l’article 67 de la Constitution dispose, s’agissant du Président de la République : « Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu. »
Autrement dit, la Constitution établit d’ores et déjà clairement ce que vous souhaitez introduire dans la présente proposition de loi
Par ailleurs, vous avez évoqué des cas où des collaborateurs de ministres ne s’étaient rendus devant une commission d’enquête qui les avait convoqués. Je répète que c’est au président de la commission de décider s’ils doivent se rendre à cette convocation et, s’il le décide, ils viendront.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. René Garrec, rapporteur. Il reste le cas particulier de l’envoyé personnel du Président de la République. Là encore, dans le cas cité, c’est la commission qui a décidé qu’il n’était pas utile de l’entendre : elle n’est donc pas allée jusqu’au bout de ses pouvoirs alors que, à mon sens, elle pouvait le faire.
Ce texte a l’avantage de recadrer le problème de la convocation des membres de cabinet ministériel, voire des ministres. Lors des travaux de la commission d’enquête sur la conduite de la politique de l’État en Corse, nous avions convoqué le ministre de l’intérieur ; il nous a envoyé ses collaborateurs. Nous lui avons fait savoir qu’il nous semblait essentiel qu’il vienne en personne, et il est venu. Les commissions ont déjà tous les pouvoirs nécessaires.
Dans ces conditions, monsieur Collombat, je vous demande de retirer votre amendement. À défaut, l’avis de la commission sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Besson, secrétaire d'État. Le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 2, qui est en fait de coordination.
S’agissant de l’amendement n° 3 rectifié bis, je formulerai les observations suivantes.
La question soulevée par M. Collombat et ses collègues du groupe socialiste n’est pas nouvelle. Elle s’est déjà posée dans les années quatre-vingt lorsqu’une commission d’enquête sénatoriale avait convoqué M. Gilles Ménage, directeur de cabinet du Président François Mitterrand, pour témoigner sur l’affaire Habache. À l’époque, M. Ménage avait refusé de déférer à cette convocation et n’avait pas pour autant été poursuivi.
Plus récemment, la question s’est posée pour les collaborateurs proches du Président de la République à propos de la libération des infirmières bulgares détenues en Libye. Le secrétaire général de l’Élysée, M. Guéant, et le conseiller diplomatique du Président de la République, M. Levitte, sont venus témoigner devant la commission d’enquête présidée par M. Moscovici.
En ce domaine, la position du Gouvernement est claire. Une lecture rigoureuse du principe de la séparation des pouvoirs nous paraît s’opposer à ce qu’une commission d’enquête impose « obligatoirement » – j’insiste sur cet adverbe – à un collaborateur de l’Élysée de déférer à une convocation parlementaire.
Alors que le Président de la République n’est pas responsable politiquement devant les assemblées, il n’apparaît pas possible que ses collaborateurs le soient d’une manière ou d’une autre, directe ou indirecte. Or l’obligation de témoigner devant une commission parlementaire pourrait conduire à un tel résultat.
La décision prise par le Président de la République de permettre à ses proches collaborateurs de venir devant la commission d’enquête sur la libération des infirmières bulgares est finalement très respectueuse de nos institutions et en même temps très ouverte, conformément aux principes de démocratie irréprochable.
Monsieur le sénateur, vous l’aurez compris, le Gouvernement n’est pas favorable à votre amendement pour les raisons que je viens de développer. Je préférerais que, comme l’a suggéré M. le rapporteur, vous le retiriez. À défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Cette discussion est intéressante. Si j’ai évoqué des affaires passées, c’est pour faire remarquer qu’il s’agit d’un problème général et qui ne date pas d’aujourd'hui. L’affaire Habache, par exemple, remonte à 1992.
Monsieur le rapporteur, s’il est précisé dans la Constitution que seul le Président ne vient pas, cela veut dire que les autres doivent venir.
M. René Garrec, rapporteur. À mon avis, ils viennent !
M. Pierre-Yves Collombat. Mais comme très souvent dans les textes juridiques, on dit une chose pour en signifier une autre, ce qui complique quelque peu notre travail
Vous nous affirmez qu’il appartient au président de la commission de faire le nécessaire. Je constate que le Parlement ne va pas au bout de ses pouvoirs et cela me navre.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est son problème !
M. Pierre-Yves Collombat. En effet, la Constitution ne nous laisse pas beaucoup de marges, mais le peu qu’elle nous octroie, nous ne les utilisons pas !
Par conséquent, au lieu de débattre de la façon de renforcer les pouvoirs du Parlement, commençons d’abord par faire jouer ceux qui existent. Or une façon de le faire consisterait à voter mon amendement.
Quant à M. le secrétaire d’État, qui invoque la séparation des pouvoirs, les principes de démocratie irréprochable, etc., il nous explique que, s’agissant des commissions d’enquête, c’est le fait du prince ! En principe, en République, il n’y a pas de prince, mais on constate de plus en plus qu’il y a un prince dans cette République. C’est peut-être cela qui pose un problème et qui vous empêche, monsieur le secrétaire d'État, de soutenir cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Autant les explications de M. le rapporteur, selon lesquelles, dans les cas cités par M. Collombat, la commission s’était autocensurée, peuvent être logiques – le fait majoritaire veut que le Parlement se censure lui-même assez facilement ! –, autant les arguments de M. le secrétaire d’État ne le sont pas, car ils signifient en fin de compte que le Parlement ne peut, au nom de la séparation des pouvoirs, auditionner un quelconque membre de l’exécutif. Si l’on devait vous suivre dans ce raisonnement, monsieur le secrétaire d'État, le rôle des commissions d’enquête se trouverait complètement dénaturé.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vais voter l’amendement de M. Collombat, tout en pensant qu’il n’est en rien susceptible de changer quoi que ce soit à la réalité qui est, hélas ! la nôtre aujourd’hui.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En droit, il ne change effectivement rien du tout !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais soutenir l’amendement n° 3 rectifié bis en rappelant qu’il fut un temps où, en même temps que les ministres, leurs collaborateurs étaient poursuivis devant la Cour de justice de la République. Jusqu’à ce qu’une modification – erronée, à mon sens – de la Constitution distingue le cas des uns et des autres.
C’est ainsi que, dans l’affaire du sang contaminé, qui a duré très longtemps, les ministres ont été poursuivis devant la Cour de justice alors que leurs collaborateurs relevaient du tribunal correctionnel.
La comparaison conduit, me semble-t-il, à adopter l’amendement de M. Collombat, car il est normal que tous les citoyens puissent être entendus par une commission d’enquête à l’exception – nous en sommes tous d’accord – du Président de la République.
Cette comparaison me semble entraîner pour les gens de bonne foi, et nous ne doutons pas que M. le secrétaire d’État en fasse partie, l’adoption de cet article 3 rectifié bis.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Je n’avais pas l’intention d’intervenir dans ce débat, mais j’ai été vraiment étonné par les propos de M. le secrétaire d’État.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a de quoi !
M. Jean-Pierre Sueur. Je voudrais d’abord lui faire observer que le Président de la République, dont, si j’ai bien compris, il assure ici la défense, est très désireux de venir lui-même devant le Parlement. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Pourtant, on l’entend assez souvent et on a l’occasion de pouvoir prendre connaissance de sa pensée, de réfléchir, de méditer sur tout ce qu’il nous dit le matin, le midi et le soir. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Mais il veut en plus venir devant le Sénat et l’Assemblée nationale, de manière que l’on puisse être vraiment pénétré de ses propos. (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)
On verra bien ce que le constituant décidera à cet égard, puisque nous sommes saisis de la question.
Dans un tel contexte, il est tout de même piquant de vous entendre, monsieur le secrétaire d’État, dire que cela poserait d’insurmontables problèmes si une personne liée d’une manière ou d’une autre au Président de la République était contrainte de venir parler devant une commission d’enquête parlementaire. Je ne comprends pas la logique de cette argumentation, et je la comprends d’autant moins au vu du fort désir du Président de la République de se rendre lui-même devant le Parlement.
Ensuite, force est de constater que l’on arrive dans une sorte de zone grise. M. Collombat a parlé d’« extensions ».
M. Pierre-Yves Collombat. C’est une formule que j’ai empruntée à M. Martinon !
M. Jean-Pierre Sueur. Alors, mon cher collègue, je vous décharge de la responsabilité de son emploi ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)
Pour ma part, je préfère en effet parler de « zone grise », constituée de personnes qui seraient d’une manière ou d’une autre liées au chef de l’État et ne pourraient pas être entendues par une commission parlementaire : cela ne tient pas au regard du droit. Il y a, d’une part, le Président de la République et, d’autre part, des citoyens et des citoyennes qui exercent des fonctions, qui accomplissent des missions, comme Mme Cécilia Sarkozy en Libye, par exemple, qui assument des missions publiques à un titre ou à un autre et qui doivent pouvoir venir devant une commission d’enquête parlementaire.
Madame la présidente, je me suis donc permis d’intervenir parce que je n’ai pas compris la cohérence de l’argumentation de M. le secrétaire d’État. S’il ne peut pas en présenter une autre, je pense qu’il y aura ici un large accord pour soutenir l’amendement de notre ami Pierre-Yves Collombat !
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Repentin.
M. Thierry Repentin. Bien que n’étant pas membre de la commission des lois, je me rallie bien volontiers à l’amendement et à l’argumentation de M. Collombat.
J’avoue que la nature de nos discussions nous éclaire sur le mode de fonctionnement de la Ve République telle qu’elle existe aujourd’hui.
Il me semblait qu’il pourrait y avoir un assez large consensus pour reconnaître le bien-fondé de l’amendement dont Pierre-Yves Collombat est le premier signataire.
M. René Garrec, rapporteur. Il n’ajoute rien !
M. Thierry Repentin. Quel est son objet ? Il vise à renforcer les pouvoirs du Parlement. Actuellement, dans certains cénacles, il se dit que l’on va renforcer les pouvoirs du Parlement. Or une commission d’enquête parlementaire, comme son nom l’indique, est une émanation même de la représentation nationale.
Par ailleurs, cet amendement renforce le statut du Président de la République, le sacralisant en quelque sorte en précisant que seul le chef de l’État peut ne pas répondre à l’injonction d’une commission parlementaire.
Votre majorité, qui en appelle aujourd’hui au renforcement des pouvoirs du Parlement et qui cherche à renforcer également ceux du Président de la République – et cet amendement va dans le sens de ces deux ambitions –, se trouve devant une contradiction, surtout après les explications peu crédibles qu’a opposées M. le secrétaire d'État.
Je sais bien que la référence, dans cet hémicycle, à des faits lointains ou proches n’est pas pure coïncidence, mais si d’aventure nous estimons, les uns et les autres, que quelqu’un peut se soustraire à la convocation d’une commission d’enquête parlementaire au seul motif qu’il a des liens avec le Président de la République, alors, il faut une définition juridique de ces liens. Sont-ils fonctionnels, hiérarchiques, familiaux, voire affectifs ? On ne peut pas, dans une telle circonstance, se prévaloir de liens avec le Président de la République sans qu’ils soient juridiquement définis, y compris, peut-être, à travers un amendement que M. le secrétaire d’État pourrait nous proposer.
J’ai vraiment le sentiment, à travers les références historiques qui ont été faites par mes collègues – l’affaire Habache, les avions renifleurs, la libération des infirmières bulgares – que l’on touche là aux confins de ce que la République peut accepter.
Monsieur le secrétaire d’État, il me semble que l’amendement de notre collègue Pierre-Yves Collombat apporte non seulement une sécurité juridique et un renforcement des pouvoirs du Parlement, mais aussi un peu de morale, qui fait souvent défaut dans ce type d’affaires.