compte rendu intégral
Présidence de Mme Michèle André
vice-présidente
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Modification de l’ordre du jour
Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement a retiré de l’ordre du jour prioritaire de la séance de demain, mercredi 11 juin, la déclaration du Gouvernement suivie d’un débat, sur le Conseil européen des 18 et 19 juin 2008 et sur la présidence française de l’Union européenne, pour la reporter au mardi 17 juin au matin, à la place des questions orales.
Acte est donné de cette communication et l’ordre du jour des mercredi 11 juin et mardi 17 juin est ainsi modifié.
3
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le trafic de produits dopants est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
4
Retrait de questions orales
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’à la demande de leurs auteurs sont retirées du rôle les questions orales suivantes : no 264 de M. Georges Mouly et no 270 de Mme Nathalie Goulet.
Acte est donné de cette communication.
5
Fonctionnement des assemblées parlementaires
Adoption d'une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, complétant l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires (nos 260, 371).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Éric Besson, secrétaire d'État chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est à la demande de Roger Karoutchi, qui ne peut être parmi vous aujourd’hui, que je vous présente cette proposition de loi, initialement déposée par le président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer.
Une telle initiative est rare pour le président d’une assemblée. Elle correspond à une nécessité : renforcer l’action des commissions d’enquête parlementaires en assurant une plus grande protection aux personnes amenées à témoigner devant ces commissions.
Pourquoi les témoins qui déposent devant ces commissions doivent-ils bénéficier d’une protection renforcée ?
L’initiative du président Accoyer est née d’un constat. Comme l’indique M. Garrec dans son rapport, on observe depuis quelque temps que les témoins de certaines commissions d’enquête subissent des pressions, se matérialisant par des poursuites en diffamation destinées à les déstabiliser et à peser sur leur témoignage.
Il est important, essentiel même, de protéger ces témoins contre de telles pressions. Pour autant, il ne peut être question de les faire bénéficier d’une immunité identique à celle des parlementaires. Il faut donc trouver un équilibre.
À quelques jours de l’examen par la Haute Assemblée du projet de loi constitutionnel de modernisation des institutions de la ve République, le Gouvernement considère qu’il n’est pas inutile de conforter, par cette mesure de portée, il est vrai, circonscrite, le rôle de ces commissions d’enquête, qui demeurent un instrument efficace du contrôle parlementaire.
Le poids et l’influence des commissions d’enquête n’ont d’ailleurs pas cessé de croître au cours des dernières années, grâce à l’élargissement de leurs moyens d’investigation et à la publicité de leur audition depuis 1991. Cette publicité a d’ailleurs été une évolution forte dans le fonctionnement des commissions d’enquête, dont les travaux étaient, jusque-là, marqués par le secret.
Cette transparence nouvelle n’a pas été sans conséquences sur le sort des témoins entendus dans le cadre de ces commissions. Ils sont tenus de venir témoigner et leur témoignage est, sauf exception décidée par la commission elle-même, public. Ces modalités de témoignage devant les commissions d’enquête parlementaires se rapprochent ainsi de plus en plus des pratiques judiciaires, où les témoins s’expriment, là aussi, par principe, de manière publique. On se souvient évidemment de la médiatisation des travaux de la commission consacrée aux suites de l’affaire dite « d’Outreau ».
Actuellement, en vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux fonctionnements des assemblées parlementaires, toute personne convoquée par une commission d’enquête parlementaire est tenue de comparaître et de déposer sous serment. Son refus ou son faux témoignage peuvent faire l’objet de poursuites pénales.
En revanche, ces personnes ne bénéficient d’aucune protection légale pour les propos qu’elles tiennent devant la commission. En effet, les immunités politiques prévues par l’article 26 de la Constitution et par l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, tout comme les immunités judiciaires, prévues par ce même article de la loi de 1881, ne s’appliquent pas dans cette hypothèse. Les témoins peuvent donc être poursuivis pour les propos qu’ils ont tenus lors de leur audition devant une commission, notamment pour diffamation, injure ou outrage.
La proposition du président de l’Assemblée nationale apporte une solution équilibrée à ce problème. Elle permet à la fois d’éviter que des pressions injustifiées soient subies par les témoins tout en veillant à ce que lesdits témoins ne bénéficient pas d’une immunité totale, qui pourrait, si nous n’y prenions garde, conduire à des abus inverses. Il ne faut pas, en effet, que les commissions d’enquête deviennent des lieux de règlements de compte et que des personnes soient mises en cause injustement par des témoins sans pouvoir faire respecter leurs droits.
Afin de parer à cet écueil, la proposition de loi institue une immunité partielle pour ces personnes, qui ne pourront plus être poursuivies pour diffamation, injure ou outrage à raison des propos qu’elles auront tenus ou des écrits qu’elles auront produits devant une commission d’enquête.
Cette immunité sera encadrée.
D’une part, une personne qui présenterait devant la commission d’enquête un faux témoignage continuerait à encourir des poursuites devant les juridictions pénales.
D’autre part, il appartiendra au président de la commission d’enquête, qui est en charge de la police des travaux de la commission, de faire cesser tout débordement, voire d’organiser l’audition à huis clos si cela se révèle nécessaire.
Finalement, ce régime s’apparente à ce que la loi de 1881 prévoit pour les témoins appelés à s’exprimer devant la justice.
La commission des lois du Sénat a souhaité modifier le texte de la proposition de loi en mentionnant la règle explicitement dans la loi de 1881 plutôt que dans l’ordonnance de 1958 et en introduisant un simple renvoi à cette règle dans ladite ordonnance.
Ce choix a sa justification et sa logique, et le Gouvernement émettra un avis favorable sur les amendements de la commission.
La proposition prévoit aussi que ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, les comptes rendus fidèles des réunions publiques des commissions d’enquête faits de bonne foi. Votre commission a aligné cette rédaction sur celle du troisième alinéa de l’article 41 de la loi de 1881, relatif aux instances judiciaires. Le Gouvernement souscrira à cet amendement.
Au terme de cette intervention, je tiens à féliciter vivement M. René Garrec pour la grande qualité de son rapport et celle du travail qu’il a réalisé au nom de la commission des lois du Sénat, présidée par M. Jean-Jacques Hyest.
À un moment où nous entendons renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement, cette proposition de loi, qui protège mieux les témoins des commissions d’enquête, est évidemment opportune. C’est donc tout naturellement que je vous inviterai, au nom du Gouvernement, à l’adopter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. René Garrec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les actions en diffamation engagées contre des personnes entendues par la commission créée en 2006 pour enquêter sur l’influence des mouvements à caractère sectaire ont conduit l’Assemblée nationale à adopter, le 3 avril dernier, sur la proposition de son président, un texte instituant une immunité relative au profit des témoins des commissions d’enquête.
Avant d’aborder le contenu de cette proposition de loi, je voudrais d’abord rappeler que cet instrument majeur du contrôle parlementaire dispose aujourd’hui de pouvoirs d’investigation lui permettant de conduire sa mission, particulièrement des moyens de contrainte, d’essence judiciaire, pour le recueil des témoignages.
Les témoins sont soumis à des obligations impératives. La personne convoquée par une commission d’enquête doit, d’une part, déférer à cette demande et, d’autre part, déposer sous serment, sous peine d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 7 500 euros. S’ajoute à ces sanctions la faculté, pour le tribunal, de prononcer l’interdiction de tout ou partie de l’exercice des droits civiques.
Si la personne est convaincue de faux témoignage ou de subornation de témoins, elle s’expose, selon les cas, à des peines allant jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.
Le témoin se trouve donc très contraint, sous la réserve toutefois, dans certains cas, de l’opposition du secret professionnel, qui est prévu par la loi.
Ces dispositions ont été bouleversées par l’adoption, en 1991, du principe de la publicité des auditions. À partir de cette date, la règle du secret est devenue l’exception.
Les circonstances de l’audition déterminent aujourd’hui les conséquences judiciaires qui peuvent éventuellement en résulter pour le témoin, créant ainsi une situation inégalitaire.
La jurisprudence a, précisément, posé le statut des personnes convoquées par les commissions d’enquête en leur refusant expressément le bénéfice de l’immunité parlementaire, prévue par la Constitution pour garantir le libre exercice du mandat électif. Reprise par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, cette irresponsabilité traditionnelle protège de toutes poursuites « les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées » et le compte rendu des séances publiques des assemblées fait de bonne foi.
Cette protection ne bénéficie aux témoins que par ricochet, du fait de la règle du secret. Dans le cas particulier de la diffamation publique, le juge considère en effet que la publication des propos incriminés dans le rapport de la commission résulte d’une décision souveraine et ultérieure de l’assemblée concernée. En conséquence, la faute personnelle du témoin qui n’a pas maîtrisé ses propos est couverte par le huis clos dans lequel s’est déroulée son audition et l’action en diffamation publique est donc irrecevable.
Ainsi, la protection dont peuvent bénéficier les témoins des commissions d’enquête qui, rappelons-le, déposent sous serment, a été grandement entamée par l’établissement, en 1991, du principe de la publicité des auditions.
Il va de soi que, si l’information des parlementaires doit être la plus complète possible et qu’il importe donc, à cette fin, d’entourer les témoins de garanties propres à encourager une expression libre pour ne pas entraver les investigations des commissions d’enquête, cette protection ne saurait s’organiser au détriment des tiers.
L’Assemblée nationale a donc adopté un système qui s’attache à concilier les différents intérêts en cause : d’une part, les garanties dues aux personnes déposant sous la contrainte et, d’autre part, la préservation des droits des tiers qui s’estimeraient lésés par les propos tenus.
Le dispositif retenu par les députés s’inspire de l’immunité prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui interdit toute action en diffamation, injure ou outrage pour « les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux ». La même exemption s’étend aux comptes rendus fidèles – c’est le qualificatif que l’on trouve dans la jurisprudence, non dans la loi – faits de bonne foi des débats. En revanche, elle ne s’applique pas aux faits diffamatoires étrangers à la cause.
Le texte aujourd’hui soumis au Sénat crée donc, pour les personnes convoquées par les commissions d’enquête parlementaires, une immunité couvrant l’ensemble des éléments, oraux ou écrits, portés à la connaissance des commissions dans la mesure où ils correspondent à l’objet de l’enquête. La protection est étendue aux comptes rendus de bonne foi des réunions publiques des commissions, qui apparaît comme le corollaire de la publicité voulue par le législateur de 1991.
Le champ d’intervention de cette protection est strictement circonscrit à trois types d’infraction : la diffamation, l’outrage et l’injure.
La commission des lois comprend les préoccupations exprimées par l’Assemblée nationale concernant les conséquences de l’ouverture des auditions sur la responsabilité des témoins. Cette inquiétude avait d’ailleurs déjà traversé l’esprit du législateur de 1991.
Remarquons cependant que, après plus de quinze années d’application des nouvelles règles régissant ces auditions, les risques encourus par les personnes entendues doivent être relativisés si l’on considère le nombre de poursuites engagées contre elles au regard des centaines de témoins convoqués par les commissions d’enquête de chacune des assemblées.
La commission des lois souhaite également souligner que les personnes convoquées ne sont pas démunies de toute protection : les commissions peuvent toujours décider le huis clos. Il est donc loisible au témoin d’en demander le bénéfice. C’est ce qui s’est passé lors des auditions de la commission d’enquête sur la conduite de la politique de l’État en Corse, sujet sensible justifiant l’application du secret. C’était, à nos yeux, une condition de l’efficacité des travaux de la commission d’enquête en question
Plusieurs arguments, cependant, conduisent la commission des lois à proposer de retenir le principe d’une immunité spécifique aux commissions d’enquête.
Premièrement, le même régime doit s’appliquer quelles que soient les conditions du témoignage : la publicité ou le huis clos.
Deuxièmement, la garantie ainsi offerte aux témoins doit être de nature à sauvegarder la sincérité des témoignages, et, partant, à renforcer les pouvoirs d’investigation des commissions.
Troisièmement, les tiers ne sont pas non plus dépouillés de toute protection puisque, d’une part, l’immunité ne couvre pas les propos et écrits étrangers à l’objet de l’enquête et que, d’autre part, elle n’affaiblit pas les infractions de faux témoignage ou de subornation de témoins, qui continueraient à être pénalement sanctionnés.
La commission s’est attachée à limiter strictement le dispositif et présentera, à cette fin, deux amendements.
Avant de conclure, je tiens à souligner la responsabilité supplémentaire que cette nouvelle immunité va imposer aux présidents des futures commissions d’enquête pour assurer la modération et la sérénité des auditions, qualités indispensables pour que soient respectés les divers intérêts en présence. Ce ne sera pas simple et je souhaite d’avance bien du plaisir à ceux d’entre nous qui auront à remplir cette mission ! (Sourires.)
Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve des amendements qu’elle vous soumet, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d’adopter la proposition de loi transmise par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question que nous examinons ayant été largement et brillamment exposée par ceux qui m’ont précédé à cette tribune, je m’efforcerai d’aller à l’essentiel.
Deux évolutions de sens opposés expliquent le dépôt de cette proposition de loi : d’une part, le rôle de plus en plus important des commissions d’enquête parlementaires dans le débat démocratique et, d’autre part, la fragilisation de leurs acteurs essentiels, les témoins appelés à être entendus, voire les parlementaires eux-mêmes ; j’y reviendrai.
S’agissant du premier point, tout le monde s’accorde à dire que les commissions d’enquête sont l’un des instruments essentiels du contrôle parlementaire, même si la France est l’un des pays européens où la possibilité d’en créer reste le plus limitée.
Au Portugal, par exemple, 10 % des parlementaires peuvent demander l’ouverture d’une commission d’enquête. Son président appartient au groupe qui est à l’origine de la proposition. Autant dire que l’opposition y dispose d’un véritable droit.
La neutralisation du Parlement par l’ouverture ou l’existence d’une instruction judiciaire est inconnue des Belges et des Luxembourgeois.
D’une manière générale, dans les États membres de l’Union européenne, les commissions parlementaires ont des pouvoirs quasi judiciaires ; les affaires gênantes ne peuvent donc y être occultées par l’ouverture d’une instruction.
Dans certains cas, les conclusions des commissions sont discutées en séance publique.
On déplorera donc que la proposition de supprimer cet obstacle au contrôle parlementaire ne figure pas dans le projet de révision constitutionnelle issu des travaux du comité Balladur et pourtant censé renforcer les pouvoirs du Parlement. Cette question essentielle des commissions d’enquête est d’ailleurs pratiquement éliminée du débat.
En dépit de ces obstacles, les commissions d’enquête parlementaires, et pas seulement les plus emblématiques comme celle d’Outreau, abondamment évoquée, ont progressivement prouvé qu’elles étaient des instruments majeurs du contrôle parlementaire.
Norme ordinaire depuis 1991, la publicité des auditions, puis leur médiatisation, parfois en direct, en ont fait une pièce essentielle du débat démocratique tout court.
Or, dans le même temps et paradoxalement, les témoins, par ailleurs obligés de comparaître et de prêter serment, voient leur position fragilisée par la jurisprudence de la Cour de cassation, depuis son arrêt du 23 novembre 2004 refusant d’étendre aux témoins des commissions d’enquête parlementaires la protection accordée à ceux des tribunaux, mais aussi par l’apparition de véritables professionnels du harcèlement judiciaire, habiles à utiliser toutes les faiblesses de l’état de droit. Comme l’a rapporté Alain Gest lors du débat à l’Assemblée nationale, sept des témoins entendus par la commission d’enquête consacrée aux mineurs victimes des sectes, créée en 2006, ont fait l’objet de plaintes déposées contre eux par des organismes coutumiers de ce mode d’intimidation.
On mesure l’obstacle ainsi mis à la manifestation de la vérité. Même les parlementaires, en principe parfaitement protégés par la loi, se retrouvent devant la justice ; non, bien sûr, pour les propos qu’ils ont tenus en commission, mais parce qu’ils les ont repris devant des journalistes !
Cette proposition de loi est donc opportune et justifiée. Légitimité pour légitimité, celle du Parlement vaut bien celle des tribunaux et, en conséquence, les témoins entendus par ses commissions d’enquête ont droit à une protection au moins équivalente.
Certes, les droits des tiers éventuellement mis en cause doivent être garantis, mais rien ne permet de penser que le dispositif existant ne le permet pas : les auditions peuvent se dérouler à huis clos en cas de nécessité, cela a été dit tout à l’heure ; les poursuites pour faux témoignage et subornation de témoins sont possibles ; la protection est accordée uniquement pour les propos en rapport direct avec l’affaire ; enfin, une obligation de bonne foi est imposée aux comptes rendus, ce qui représente une contrainte sérieuse.
Le groupe socialiste votera donc ce texte. Toutefois, comme vous l’avez constaté, j’ai déposé un amendement qui, s’il était adopté, permettrait d’améliorer encore le travail parlementaire. L’ordonnance de 1958 prévoit, vous le savez, que « toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée [...] ». Elle est « tenue de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ». Voilà qui est clair et ne pose pas de problème, sauf quand l’entourage du Président de la République est concerné.
À ma connaissance, il est arrivé au moins trois fois que les dispositions de l’ordonnance de 1958, claires en principes, n’aient pas été appliquées, sans aucune conséquence pour leurs auteurs : une convocation a ainsi été adressée, sans succès, au porte-parole du Président Giscard d’Estaing en 1979, à Gilles Ménage, directeur de cabinet du Président Mitterrand en 1992 dans l’affaire de l’hospitalisation en France du leader palestinien Georges Habache, et enfin, tout récemment, à Mme Sarkozy Cécilia dans l’affaire des infirmières bulgares libérées dans des conditions mal élucidées par la Libye.
On fait valoir – cela reste à vérifier – que, au moins dans les deux derniers cas, la commission d’enquête parlementaire aurait finalement renoncé à son projet, réglant ainsi élégamment la question. Même si tel est formellement le cas, qui pourrait y voir sérieusement le produit d’une soudaine illumination des parlementaires et non celui des pressions exercées sur eux, au nom, bien sûr, de la sacro-sainte séparation des pouvoirs, qui, étrangement, autorise l’audition des membres du Gouvernement, voire, depuis l’année dernière, celle du secrétaire général de la présidence, lesquels ont un statut juridique officiel, mais pas l’audition des « envoyés personnels du Président », qui n’en ont aucun.
Plus d’ailleurs que les faits eux-mêmes, symboliquement forts mais finalement peu nombreux, c’est la doctrine développée par l’exécutif autour de ces affaires qui pose problème et motive mon amendement.
En 2007, David Martinon, encore porte-parole de l’Élysée, expliquait qu’il serait « inconstitutionnel » et que constituerait une « entorse au principe de séparation des pouvoirs » le fait que Nicolas Sarkozy « puisse répondre à une commission d’enquête parlementaire […] », ce que, d’ailleurs, personne n’a demandé. « Par extension, ajoutait-il, Mme Sarkozy, puisqu’elle était son envoyée personnelle, tombe sous la même règle. »
Si, vous le savez, Shiva a de multiples bras, le Président de la République française a, lui, des « extensions », dont on aimerait connaître le statut juridique. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un vocabulaire un peu abstrait !
M. Pierre-Yves Collombat. Dans un entretien accordé à l’Est républicain du 4 septembre 2007, Mme Sarkozy Cécilia précise qu’elle était en Libye « en tant que femme, en tant que mère, sans forcément [s’] attarder sur la complexité des relations internationales, mais avec la ferme intention de sauver des vies… » Elle ajoutait : « On ne m’empêchera jamais d’essayer d’aider ou de soulager la misère du monde, dans quelque pays que ce soit. » (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Si elle s’est refusée à témoigner devant la commission parlementaire, c’est, précisait-elle, parce qu’elle croyait « que ce n’ [était] pas [sa] place ».
Le secrétaire général de l’Élysée peut donc être auditionné par une commission d’enquête parlementaire, pas une femme et une mère si elle agit avec la ferme intention de sauver des vies. Essuyons une larme, et comprenne qui pourra !
M. Jean-Pierre Sueur. Je préfère la mère à l’« extension » !
M. Pierre-Yves Collombat. C’est donc sur cette interrogation que je conclurai, non sans vous avoir remerciés de m’avoir écouté. On verra dans un instant si vous avez poussé la bonté jusqu’à m’entendre ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen d’une proposition de loi d’une importance particulière au regard du bon fonctionnement des commissions d’enquête, mais également de la protection des personnes dont le témoignage est requis pour participer à la manifestation de la vérité.
Les commissions d’enquête sont aujourd’hui l’un des vecteurs privilégiés de la fonction de contrôle, comme l’a récemment démontré l’affaire d’Outreau. Elles ont produit ces dernières années des travaux significatifs sur de grands sujets de société. Leur rôle s’est renforcé grâce à l’élargissement de leur champ d’intervention et de leurs moyens d’investigation.
Une évolution juridique sensible a été par ailleurs enregistrée avec la loi du 20 juillet 1991, qui a fait de la publicité de leurs travaux la règle de principe et du huis clos, l’exception.
Les pouvoirs dévolus aux commissions d’enquête, amplifiés par l’ouverture de leurs auditions, ont considérablement modifié la situation des personnes entendues. Ces dernières se trouvent aujourd’hui fortement exposées et dans une situation juridique particulièrement fragile.
En effet, toute personne convoquée par une commission d’enquête parlementaire est tenue de comparaître et de déposer sous serment, son refus ou son faux témoignage pouvant entraîner des poursuites pénales. En revanche, elle ne bénéficie d’aucune protection légale pour les propos qu’elle tient devant la commission.
Par ailleurs, un arrêt de la Cour de cassation de 2004 a soumis sans ambiguïté toute personne appelée à témoigner devant une commission d’enquête au droit commun de la diffamation, écartant ainsi toute assimilation de son témoignage avec celui qui est effectué devant un tribunal.
Il en résulte que, à l’occasion d’affaires récentes, certains témoins ont été poursuivis en diffamation et d’autres ont fait l’objet de pressions dans l’unique but de les dissuader d’apporter leur témoignage.
Cette situation n’est tout simplement pas admissible et ne saurait perdurer : les personnes entendues sous serment doivent pouvoir s’exprimer sans crainte.
Cette situation est également préjudiciable au bon fonctionnement des commissions d’enquête, pour lesquelles les témoignages sont une source d’information essentielle. En effet, si la liberté de parole n’est plus assurée, la qualité du travail d’enquête, qui repose sur la sincérité et l’exhaustivité des témoignages, perd alors de sa portée et de sa valeur.
Le constat est simple : nous devons protéger les témoins entendus par les commissions d’enquête et les prémunir contre un recours abusif à des actions en justice au titre de la diffamation, de l’injure ou de l’outrage. C’est une exigence morale à leur égard ; c’est aussi une nécessité pour assurer l’efficacité des travaux des commissions d’enquête.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est particulièrement opportune. Et je tiens à saluer, au nom du groupe UMP du Sénat, l’initiative prise par le président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, qui nous offre aujourd’hui l’occasion d’améliorer le statut des témoins auditionnés devant les commissions d’enquête.
Cette proposition de loi accorde en effet une immunité partielle, similaire à celle qui est octroyée aux témoins judiciaires par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Ainsi, les personnes déposant devant une commission d’enquête ne pourront plus être poursuivies pour diffamation, injure ou outrage pour les propos qu’elles auront tenus ou les écrits qu’elles auront produits. La même immunité s’applique pour les comptes rendus faits de bonne foi, qu’il s’agisse des comptes rendus publiés en annexe des rapports, des diffusions télévisées ou de la reprise de certains propos dans différents médias.
Toutefois, l’immunité ne saurait en aucun cas être absolue, car tout ne peut pas être dit devant une commission d’enquête : les propos mensongers doivent demeurer susceptibles d’être sanctionnés par la loi. Il convient de préserver les droits des tiers qui s’estimeraient lésés par les propos tenus. C’est ce à quoi répond le texte de la proposition de loi, comme vient de l’indiquer M. le rapporteur.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera ce texte parfaitement équilibré, qui concilie efficacité et publicité des débats, et qui sécurise les témoins tout en posant des garde-fous pour préserver les droits des tiers. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)