M. Nicolas About, rapporteur. Bien sûr !
Mme Christine Boutin, ministre. La préoccupation que vous avez exprimée, monsieur le rapporteur, est donc tout à fait légitime et je tiens à vous donner l'assurance que, dans le prochain texte sur le logement, car il y en aura un, nous verrons ce qu'il est possible de faire en ce qui concerne les propriétaires.
Mme Raymonde Le Texier. Nous verrons...
Mme Christine Boutin, ministre. En outre, monsieur le président-rapporteur, le Gouvernement vous donnera satisfaction puisqu'il entend, bien sûr, émettre un avis favorable sur un amendement, proposé par vous et repris par la commission, qui permet d'ores et déjà de gommer un peu l'inégalité qui existe dans le présent texte.
Madame Le Texier, ma conviction profonde est que chacun doit pouvoir s'appuyer sur deux piliers pour tenir debout et avancer : le travail et le logement, et peut-être convient-il même de citer le logement avant le travail.
M. Guy Fischer. Sans travail, on ne peut pas payer le logement !
Mme Christine Boutin, ministre. En tout cas, les deux sont liés ! Il faut avoir un logement pour travailler et il faut aussi pouvoir changer de logement pour changer de travail. Le logement est donc au coeur de la vie quotidienne de chacun d'entre nous.
Vous le savez, madame Le Texier, les décisions relatives au logement sont des décisions structurelles, de long terme, et qui doivent répondre aux attentes de nos concitoyens.
Les Français attendent des mesures. Les deux dispositions que nous proposons aujourd'hui - ce sont les premières, mais de nombreuses autres s'inscriront dans le temps - visent à apporter une réponse à ceux d'entre eux qui sont locataires, car, comme je le disais à M. About, ils sont plus souvent en situation de fragilité.
En respectant les logiques du marché, nous permettons une modération des loyers et un accès plus facile à la location, mais nous irons beaucoup plus loin - et j'aurais l'occasion de préciser ce point lorsque je répondrai à M. Repentin - en ce qui concerne la garantie du risque locatif universelle.
Mme Debré a davantage centré son intervention sur l'article 2, relatif à la participation aux résultats de l'entreprise ; à titre personnel, je ne puis qu'être tout à fait favorable à la philosophie de la participation, que je porte et qui me paraît également intéressante appliquée au logement.
Monsieur Fischer, vos remarques m'amènent tout d'abord à signaler que, si l'IRL permettra dès le 1er janvier de modérer les loyers, les bénéficiaires de l'APL verront celle-ci augmenter en 2008, non pas tout à fait de 3 %, mais de 2,76 %.
M. Guy Fischer. C'est à noter !
Mme Christine Boutin, ministre. Cette mesure répond donc à vos attentes en s'adressant aux plus fragiles.
Je veux ensuite, et surtout, revenir sur le nécessaire travail à conduire entre les partenaires sociaux et le patronat. Pour le dispositif Locapass, les partenaires sociaux, les syndicats et le MEDEF, réunis au sein de l'UESL, ont trouvé un accord pragmatique, que je tiens à saluer.
Concret et efficace, cet accord permet de distribuer plus de 1 milliard d'euros de pouvoir d'achat. Ce n'est pas rien ! Mais sachez, monsieur Fischer, puisque vous l'avez cité, que comme Frédéric Lefebvre, qui a participé à l'accord sur le Locapass, je dis que nous devons faire davantage !
Monsieur de Montesquiou, vous avez, à juste titre, souligné le fait que les mesures sur le logement allaient soulager les ménages modestes. Je vous en remercie, car c'est bien là la priorité que nous nous sommes donnée dans les articles 4 et 5.
Vous avez également mis en avant un élément qui me semble essentiel : la restauration de la confiance. La confiance est effectivement fondamentale pour toute politique du logement.
L'ensemble des acteurs du logement se sont mobilisés, vous le savez, lors de la décentralisation de mon ministère à Lyon, laquelle a représenté une étape très importante dans l'exercice de mes responsabilités ministérielles en créant, grâce à l'unité de temps et de lieu, une synergie qui commence à porter ses fruits.
Sans confiance, nous ne parviendrons pas à faire venir sur le marché les logements vacants.
Sans confiance, nous ne pourrons pas construire 500 000 logements par an, ce qui est l'objectif qui m'a été fixé.
Sans confiance, nous n'arriverons pas à convaincre les particuliers de ne pas bloquer de manière abusive les permis de construire.
S'il y a aujourd'hui des élus qui veulent construire des logements, et il y en a davantage qu'on ne le croit, il faut reconnaître que leurs projets suscitent bien souvent la création, pour des motifs plus ou moins fondés, d'associations de défense, ce qui a pour effet, au mieux, de retarder des constructions déjà longues à réaliser ou, pis, de « tuer » les projets. J'appelle donc l'attention de nos concitoyens sur leurs responsabilités compte tenu de la gravité de la situation.
Sans confiance, nous ne parviendrons pas à maîtriser les prix de la location.
Sans confiance, nous ne pourrons pas mettre en oeuvre le DALO.
Je crois donc profondément à la nécessité de rétablir la confiance, raison pour laquelle, je l'avoue, certaines interventions m'ont particulièrement touchée dans un sens négatif : il s'agit aujourd'hui non pas d'installer la défiance mais, au contraire, tous ensemble, qui que nous soyons, quelles que soient nos positions politiques, de soutenir la confiance pour pouvoir répondre, dans le domaine du logement, aux besoins élémentaires de nombre de nos concitoyens.
M. Nicolas About, rapporteur, et M. Serge Dassault, rapporteur pour avis. Très bien !
Mme Christine Boutin, ministre. Madame Payet, je retiens l'appréciation positive que vous avez portée sur les articles 4 et 5.
Vous avez justement fait remarquer que les mesures de modération des loyers nécessitaient une évaluation ; je rappelle que, grâce à un amendement parlementaire adopté à l'Assemblée nationale, cette évaluation est prévue dans un délai de trois ans, ce qui me semble aller dans le bon sens.
Je tiens en outre à vous indiquer - et, ce faisant, je réponds aussi à M. Repentin - que plus de 100 000 PASS-GRL ont déjà été signés, et non pas, monsieur Repentin, quelques centaines. Je précise de surcroît que ce dispositif n'est véritablement entré dans sa phase opérationnelle que depuis le mois de septembre, du fait du temps nécessaire pour mettre en place la procédure, les personnels, etc.
Madame Bricq, vous avez fait une critique assez générale, ce qui n'est pas surprenant.
La politique du logement est cependant une politique globale qui répond à des équilibres économiques et sociaux auxquels nous devons tous veiller, et ces équilibres doivent évoluer progressivement. Avec les deux mesures que nous présentons, non seulement nous accroissons le pouvoir d'achat, mais nous donnons également un signal.
Madame Procaccia, je tiens à saluer la compétence dont vous avez fait montre dans votre intervention, tant sur le volet entreprise et travail que sur celui qui me concerne. Le logement est un domaine fondamental pour la cohésion sociale dans notre pays, et je vous remercie de votre soutien.
Monsieur Repentin, franchement, j'ai été surprise par vos propos. Vous avez balayé le sujet de façon un peu caricaturale, ce qui n'est pas dans vos habitudes. Que nous n'ayons pas les mêmes choix politiques est tout à fait normal : comme l'un des intervenants l'a dit, c'est la base de la démocratie. Mais vous êtes un spécialiste du logement, vous connaissez parfaitement les enjeux et ne pouvez donc nier que votre propos était excessif.
M. Aymeri de Montesquiou. Il est facétieux !
Mme Christine Boutin, ministre. Vous savez que la situation du logement est grave. J'ai toujours essayé de faire en sorte, compte tenu de notre responsabilité collective au regard de la situation que je suis amenée à gérer aujourd'hui, de ne pas stigmatiser les uns et les autres selon leur appartenance politique.
Dans cet esprit, vous me permettrez de ne pas rappeler le manque de construction de logements sous le Gouvernement de M. Jospin. Nous n'avons aucun intérêt, ni les uns ni les autres, à nous renvoyer la balle ; il est au contraire essentiel pour nos concitoyens que nous nous attachions tous ensemble - avec, bien entendu, des nuances dans nos choix politiques - à relever le défi du logement.
Vous avez déposé plusieurs amendements, monsieur Repentin, et je vous répondrai plus précisément lors de leur examen, mais permettez-moi de vous demander, à vous comme à l'ensemble des membres de la Haute Assemblée, d'accepter que nous travaillions ensemble sur cette question, car nous n'avons le droit ni d'en rire ni d'en faire un enjeu politicien.
Enfin, madame Schillinger, si j'espère avoir répondu, au travers des quelques éléments d'information que je viens de donner, à vos préoccupations, je vous dirai, comme à M. Repentin, que nous aurons l'occasion d'aller plus avant lors de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n°63, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi pour le pouvoir d'achat adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence (n°151, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Annie David, auteur de la motion.
Mme Annie David. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre système politique est organisé, depuis l'après-Seconde Guerre mondiale, autour de trois textes majeurs, auxquels le Conseil constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle dans sa décision « Liberté d'association », fondatrice s'il en est, en date du 16 juillet 1971.
Cette décision, que de nombreux observateurs ont qualifiée de « révolution constitutionnelle », changea de manière considérable l'approche constitutionnelle de notre pays.
D'une part, elle traduit la place nouvelle que prend le Conseil constitutionnel, qui revêt le caractère de défenseur des droits fondamentaux des citoyens, ce qui lui confère une mission à la fois importante et cruciale. Il n'est plus seulement « une arme pointée contre le Parlement ».
D'autre part, et surtout, dans cette décision, faisant référence au Préambule de la Constitution de 1946, il renvoie à la notion de « bloc de constitutionnalité », en considérant que le Préambule de la Constitution de 1946, celui de la Constitution de 1958 et la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen ont tous une portée constitutionnelle.
Dès lors, il n'y aura plus qu'une seule référence constitutionnelle dans notre pays, principalement axée sur l'organisation politique et institutionnelle.
Il y aura aussi, et il y a toujours, un certain nombre de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Ces principes, humains et sociaux, fruits d'une construction progressive marquée par les évolutions sociétales de notre pays, ont construit la République dans laquelle nous vivons, une République tournée vers la paix, la démocratie, la reconnaissance des droits individuels et collectifs et qui affirme, permettez-moi de le rappeler ici, comme l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Je ne reviendrai ni sur la notion de démocratie ni sur celle de laïcité, bien que des faits présidentiels récents m'en donnent l'envie. Vous l'aurez compris, c'est à la référence à une République sociale que je m'attacherai, cette référence, issue des Lumières, héritage de la Révolution française dans son aspiration à en finir avec les privilèges, alors que certaines décisions présidentielles, là encore, semblent traduire sur ce sujet la volonté de faire un retour en arrière ; héritage de la Révolution donc, mais héritage réapproprié et reconstruit par les femmes et les hommes de progrès qui, durant la Seconde Guerre mondiale, construisirent pour la future France libre un projet de société intitulé « programme national de la Résistance, qui sera, dès le sortir de la guerre, la base fédératrice pour la reconstruction de notre pays.
Ne vous en déplaise, cette référence à une république sociale constitue la singularité même de notre régime ; plus qu'une spécificité, elle est, à n'en pas douter, l'exception française même.
Pourtant, ces garanties constitutionnelles ne vous empêchent pas de nous présenter des projets de lois de plus en plus intolérables - la privatisation du service public de l'emploi, avec ses conséquences sur le statut des agents ; bientôt, la rétention de sûreté, qui créé une seconde condamnation à vie -ou encore des textes comportant des mesures inacceptables, comme les tests ADN.
Ces décisions sont toujours validées par le Conseil constitutionnel, dans une opacité certaine ; à n'en pas douter, notre démocratie aurait besoin d'une autre forme de contrôle de constitutionnalité, qui favoriserait, notamment, le lien direct entre cette institution et les citoyens.
Aussi, le présent projet de loi mérite d'être analysé au regard de cette construction constitutionnelle. Il nous faut l'appréhender sous le double éclairage de la Constitution de 1958 et du Préambule de 1946.
En décidant de faire de notre république une république sociale, les constituants ont eu à coeur de développer tout à la fois la France et les droits de celles et ceux qui la construisent. Ils ont souhaité bâtir une France de progrès, un pays où l'évolution serait toujours positive, l'avenir toujours une avancée, et où tous les citoyens auraient droit à une protection, que ce soit en matière de santé, de sécurité, ou encore de logement.
Le Préambule de la Constitution de 1946 garantit, quant à lui, à chacun des Français le devoir et le droit de travailler. Or, vous le reconnaîtrez sans peine, ce droit est aujourd'hui plus qu'ignoré, et votre projet de loi aggravera cette situation, car son dispositif est inique : il crée des inégalités, en ne s'adressant, au final, pour toutes ses dispositions - sauf une sur le logement - qu'aux Français qui travaillent.
Pas un mot, pas un geste pour les étudiants, les retraités ou ceux qui, en raison des règles économiques libérales, se trouvent privés d'emploi ! Et encore, quand je parle de ceux qui travaillent, je devrais évoquer les salariés qui bénéficient de RTT, d'heures supplémentaires ou de comptes épargne-temps. Pour les autres, et ils sont sans doute les plus nombreux, c'est la règle de l'arbitraire qui s'applique, celle du bon vouloir de l'employeur.
Vous avez donc tricoté un projet de loi qui, en cinq articles initiaux seulement, réussit l'exploit de ne pas répondre au problème du pouvoir d'achat et de violer les principes d'égalité qui fondent notre société, en instaurant autant de règles qu'il y a de situations différentes !
Pour vous, modernité signifie règle du particulier. Vous n'avez cure des droits collectifs, et les principes fondamentaux de notre république n'ont pour vous de valeur que s'ils sont individualisés, quitte à oublier au passage une ou plusieurs catégories de nos concitoyens. C'est le cas ici, je le répète, des étudiants et des retraités, qui devront encore se serrer la ceinture, si tant est que votre projet de loi produise un jour des résultats.
En effet, monsieur About, vous nous disiez tout à l'heure que, grâce à ce texte, nos concitoyens pourraient gagner plus en travaillant plus. Mais encore faut-il qu'ils travaillent !
Le signal envoyé aux Français est limpide : c'est la fin de la république sociale qui voulait le progrès pour tous ses citoyens. C'est le règne du « chacun son tour », quand ce n'est pas le chacun pour soi. C'est le triomphe du partage de la misère, alors que les bénéfices des entreprises du CAC 40 s'étalent au grand jour.
Le département dont je suis l'élue n'échappe pas à ce triste constat de la montée du mal-être social et de la pauvreté : les restructurations, délocalisations et autres plans de licenciements rythment le quotidien de l'activité économique en Isère, et ce sont les salariés qui en subissent les conséquences, au nom du profit et de la libre concurrence.
La liste des entreprises qui ont eu recours à de telles pratiques ces dernières années est longue. On peut évoquer, pour en citer seulement quelques-unes, Poliméri - j'ai, d'ailleurs, interrogé Mme Lagarde, ministre de l'économie, sur les derniers développements européens de ce dossier, et j'attends sa réponse -, Arkéma, le groupe Total, LAF, ainsi que, plus récemment, Ascométal ou Rhodia pour la chimie ; malheureusement, les exemples ne manquent pas en Isère.
Dans ces conditions, on ne peut que constater la fin de cette république sociale, de ces valeurs dont il ne reste plus qu'un souvenir. En effet, quand le législateur intervenait, même dans un passé récent, il avait à coeur d'agir pour toutes et tous. Il ne fragmentait pas le corps citoyen comme vous le faites, monsieur le ministre. Il existait des principes communs, une règle commune, à savoir que le progrès se partage entre tous. Au lieu de cela, votre gouvernement individualise les mesures et rompt, ce faisant, avec la tradition de solidarité de notre pays.
Notre Constitution précise que notre République est « une et indivisible ». Il ne s'agissait pas seulement de garantir les frontières de notre pays et d'empêcher les velléités indépendantistes de quelques régions. Il s'agissait aussi de faire de la France une république des égalités humaines, conformément à la devise de notre pays, inscrite au fronton de toutes nos mairies et écoles.
En effet, en écrivant que notre République était une et indivisible, les constituants, à n'en pas douter, voulaient affirmer qu'il en allait de même de notre peuple. Or que faites-vous ? Vous divisez nos concitoyens en autant de « publics », de cibles, comme on dit dans un domaine que vous affectionnez particulièrement, celui de la publicité.
La question du pouvoir d'achat devenant la priorité des Français, il vous fallait agir, et vite, avant les élections municipales ; nous sommes désormais habitués à cette précipitation !
Toutefois, au-delà de l'affichage politique et du « plan médias » déployé par votre gouvernement, on comprend mal, pour ne pas dire pas du tout, la raison pour laquelle vous avez déclaré l'urgence - je reviendrai sur ce point -, mais on saisit parfaitement la logique qui vous anime : il vous fallait un projet de loi qui prouve votre intérêt pour la France qui travaille, ce qui n'était pas vraiment le cas jusqu'ici.
Avec la loi TEPA, vous avez montré votre intérêt pour la France qui hérite et celle qui crée des emplois précaires, et ce ne sont pas vos exonérations des heures supplémentaires qui viendront modifier la situation, loin s'en faut.
Dans l'urgence donc, pour ne pas dire dans la précipitation, vous avez élaboré ce texte. Aucun budget n'est prévu pour ce projet de loi, alors que c'est à grand renfort de fonds publics que vous avez financé la loi TEPA - à hauteur de 15 milliards d'euros, rappelons-le -, des sommes qui manquent d'ailleurs cruellement à l'État aujourd'hui ; et le Président de la République de constater, ironie suprême, qu'il ne peut rien faire puisque les caisses sont vides !
Il vous fallait donc une loi qui ne coûte rien à l'État, qui soit prête rapidement, avant les municipales, et dont le titre au moins réponde aux préoccupations des Français. C'est chose faite !
En effet, cette loi, que l'UMP, en majorité bien disciplinée qu'elle est, ne manquera pas de voter, ne coûtera pas un euro à l'État : la monétisation des RTT, celle des repos compensateurs ou le rachat du solde des comptes épargne-temps étant laissés au bon vouloir de l'employeur, l'État ne mettra rien de sa poche.
Mme Catherine Procaccia. Pourquoi l'État devrait-il absolument intervenir !
Mme Annie David. S'agissant de la prime de 1000 euros, « vous y aurez droit », dites-vous, sauf si l'employeur ne veut ou ne peut la verser ! Mais, dans ce cas, l'État interviendra-il ? Non, car comme pourrait le dire un dicton, « argent dilapidé en été, en hiver richesses impossibles à partager ». Et il en va ainsi de toutes les mesures inscrites dans ce projet de loi !
Si vous me permettez - pour une fois ! - d'adopter un ton un peu moqueur, bien que ce texte soit d'une extrême importance, je dirai que vous invitez les salariés au restaurant pour leur demander au final de payer l'addition, ou encore, pour paraphraser le titre d'un film à succès, que votre projet de loi pourrait se résumer ainsi : « Viens chez moi, j'habite chez une copine » !
Toutefois, si vous parvenez à présenter une loi pour tenter de relancer le pouvoir d'achat des Français sans que l'État mette la main à la poche, il n'en va pas de même des organismes sociaux, puisque les sommes débloquées des comptes épargne-temps, les RTT et les repos compensateurs, qui, je le rappelle, ne coûtent rien à l'État, seront partiellement exonérées de cotisations sociales, exonération trop faible sur laquelle, à n'en pas douter, certains sénateurs voudraient revenir, non pour la supprimer, mais pour l'accroître.
Ces dispositifs auront donc pour effet d'appauvrir plus encore les comptes sociaux. On voudrait faire périr de mort lente notre régime de protection sociale qu'on ne s'y prendrait pas autrement !
Monsieur le ministre, tout d'abord, pouvez-vous nous indiquer le nombre précis de salariés qui recourront aux dispositifs prévus aux articles relatifs au rachat des congés et des RTT ? Ensuite, pouvez-vous nous préciser si le Gouvernement a prévu de compenser en totalité le manque à gagner pour les comptes sociaux, et à quelle date ?
Mme Annie David. Pour ces deux questions, je redoute, autant vous le dire, une réponse alambiquée.
Mme Annie David. Mais il ne peut en être autrement ! Comment pourriez-vous nous indiquer le nombre de bénéficiaires de cette mesure alors qu'elle renvoie à la négociation individuelle entre l'employeur et le salarié ?
Je doute fort que votre proximité avec le MEDEF, pourtant très grande, vous le permette. Et si vous ne pouvez nous préciser avec exactitude le nombre de salariés concernés, vous ne pourrez évidemment pas non plus nous indiquer le nombre d'heures et de journées qui seront rachetées, donc nous annoncer le coût final de cette mesure pour les régimes sociaux. Je rejoins ici les préoccupations de la commission des finances, dont nous a fait part son rapporteur pour avis, M. Dassault.
Monsieur le ministre, vous voyez combien ces questions sont importantes, et la précipitation avec laquelle vous avez conçu votre projet de loi n'est pas, sur ce sujet comme sur d'autres, pour nous rassurer.
Autant vous le dire, votre texte nous inspire beaucoup de colère car, une fois encore, vous trompez nos concitoyennes et concitoyens en leur promettant une augmentation de leur pouvoir d'achat ; en fait, seuls celles et ceux d'entre eux qui possèdent une « monnaie d'échange » pourront gagner plus demain, et ils sont loin de constituer la majorité. C'est pourquoi nous avons déposé cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Pour conclure, quelle duperie éhontée que de vouloir faire croire que c'est d'une augmentation du pouvoir qu'il s'agit avec ce projet de loi ! C'est simplement un transfert dans le temps de l'argent dû aux salariés : généreusement, vous permettez aux entreprises d'octroyer ces sommes un peu plus tôt que prévu.
Le débat s'ouvre : nous aurons tout le temps de vous exprimer notre opposition à ce texte et de vous en proposer une substantielle modification. En attendant, je vous demande de voter cette motion, mes chers collègues. Pour notre part, nous ne voterons pas ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Nicolas About, rapporteur. Notre collègue Annie David a remarquablement bien défendu le point de vue du groupe CRC. En écoutant son intervention, j'ai compris qu'au travers de son ton moqueur, de sa désapprobation et, pour finir, de sa colère, elle souhaitait nous confirmer par cette motion l'opposition du groupe CRC au texte qui nous est soumis.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez bien compris !
M. Nicolas About, rapporteur. J'avais déjà cru le comprendre tout à l'heure lors de l'intervention de M. Fischer !
Toutefois, je n'ai pas véritablement trouvé dans les propos de Mme David les motifs de l'exception d'irrecevabilité qui est invoquée.
Mme Annie David. J'en ai donné, pourtant !
M. Nicolas About, rapporteur. Dans l'objet de la motion, il est fait état d'une atteinte au principe de l'égalité des citoyens devant la loi. Ce projet de loi ne me semble pas méconnaître cette règle ; simplement, il prend en compte la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les citoyens en tant que salariés : certains d'entre eux bénéficient de RTT, d'autres non, certains sont soumis à des conventions de forfait, d'autres bénéficient de la participation ou de primes, voire des deux.
Il n'y a pas de rupture du principe d'égalité : ce projet de loi tient compte de la situation particulière de chaque groupe de salariés, mais ceux-ci, dans leur ensemble, sont traités de la même façon.
Je souhaite donc que soit repoussée cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 63, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Collombat, Mmes Le Texier et Schillinger, MM. Domeizel, Repentin, Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°56, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, pour le pouvoir d'achat (n° 151, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la motion.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, connaissant les difficultés de nos compatriotes à joindre les deux bouts, peut-être trouverez-vous étrange mon invitation à ne pas débattre de ce texte. J'agis ainsi parce que l'étendue et la gravité du problème rendent ce type de projet de loi, tout simplement, indécent.
M. Pierre-Yves Collombat. On était en droit d'attendre autre chose d'un Président de la République, et désormais chef du Gouvernement, élu à l'issue d'une campagne dont la question du pouvoir d'achat occupait le centre.
Probablement a-t-il la tête ailleurs ! Comme on le comprend ! Comme on comprend qu'il préfère s'occuper de « politique de civilisation », plutôt que de politique économique. La situation actuelle, en effet, est le résultat non pas d'un ordre naturel, mais de l'application d'une politique.
Le problème est là et il vient de loin, je vous le concède par avance. En un quart de siècle, la part des salaires dans le PIB, qui avait constamment augmentée jusqu'en 1983, a chuté de 11 %. Durant la même période, la part des rémunérations dans la valeur ajoutée du secteur non financier a baissé de l'ordre de 9 %. Dans leur langage aseptisé, les économistes institutionnels concluent à « une déformation durable du partage de la valeur ajoutée ».
Une étude de l'INSEE du mois de mai 2007 le souligne : « Pour les sociétés non financières, la part des rémunérations dans la valeur ajoutée, après avoir oscillé autour de 70 % jusqu'au milieu des années 1970, s'accroît sous l'effet des deux chocs pétroliers (1974 et 1979) pour dépasser 74 % en 1982. Avec la mise en place d'une politique de désinflation compétitive, elle rejoint le niveau d'avant le premier choc pétrolier en 1986 et continue de décroître jusqu'en 1989. Elle oscille depuis lors autour de 65 %. » Le mal est donc ancien et profond.
Contrairement à ce qu'essaie de nous faire croire la propagande officielle - avec un certain succès, il faut le reconnaître -, les 35 heures, ou plutôt la flexibilité mise en place à l'occasion des 35 heures n'y est pour rien, sauf peut-être à la marge.
Avec une chute de 11 % sur un PIB de 1 800 milliards d'euros, ce sont cette année quelque 200 milliards d'euros qui iront rémunérer le capital, alors qu'ils pourraient soutenir le pouvoir d'achat des salariés si le marché du travail retrouvait l'équilibre de 1980. Il n'est donc pas étonnant que leur pouvoir d'achat laisse à désirer !
Cette situation est le résultat d'une politique économique anti-keynésienne intégriste (M. le ministre s'exclame) et d'une vulgate économique à laquelle se sont ralliés les héritiers du libéral autoritaire Jacques Rueff, les libéraux classiques...
M. Pierre-Yves Collombat. ...et, paradoxalement, de nombreux économistes d'inspiration marxiste ; s'y sont également ralliés les médias et l'establishment.
Même si c'est pour des raisons différentes, tous pensent que la consommation est une faute économique qui détourne les ressources de l'investissement productif.
Pour eux, la baisse des salaires est le moyen de stimuler l'investissement, de réduire les importations, d'augmenter les exportations, de contenir l'inflation, de garantir une monnaie forte et le bonheur de tous. L'endettement des particuliers et encore plus celui de l'État - source d'inflation - doivent être strictement encadrés.
Ruminant le dictionnaire des idées reçues selon lequel « avant de consommer, il faut produire », répétant le principe de Say qui veut que l'offre crée la demande, ils n'envisagent pas un instant que l'entrepreneur puisse investir et produire seulement s'il a l'espoir de rencontrer une demande, donc un pouvoir d'achat. À part cela, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, « pas une once d'idéologie » !
La condition de la « compétitivité », garantie de l'exportation, c'est l'appauvrissement, au moins relatif, de ceux qui travaillent, avec pour contrepartie, dans le meilleur des cas - et c'est précisément ce sur quoi le Gouvernement veut revenir -, l'allégement du temps de travail. Celui-ci est d'ailleurs tout théorique puisque, selon Eurostat, les Français travaillent en moyenne 36,4 heures par semaine, contre 36,1 heures pour les populations des Quinze, 34,5 heures pour les Allemands et 34,6 heures pour les Danois.
En ce qui concerne la productivité, vous le savez comme moi, monsieur le ministre, le but a été largement atteint. Je ne cite pas les chiffres, mais vous n'ignorez pas que nous venons en tête en Europe et que nous nous plaçons devant l'Allemagne et le Royaume-Uni.
D'après une étude du Bureau of labor statistics américain, en 2005, un travailleur français aura produit 71 900 dollars de richesse. C'est moins qu'un Américain - 81 000 dollars -, mais plus qu'un Anglais - 64 100 dollars -, qu'un Allemand - 59 100 dollars - ou qu'un japonais - 56 300 dollars. Au cours actuel de l'euro, ces résultats nous seraient encore plus favorables.
Selon Éric Heyer, directeur adjoint du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, « le coût du travail en France n'est pas le principal obstacle à la compétitivité française, puisque les coûts salariaux sont compensés par une productivité plus forte, ce qui nous ramène à des coûts salariaux unitaires plus faibles que la moyenne européenne ».
Pour amener les Français à travailler plus dur sans en tirer profit, il a fallu enfermer le pays dans un carcan de contraintes. Tel fut le rôle que l'on a fait jouer à l'Europe : Banque centrale européenne indépendante, avec pour seul objectif la stabilité monétaire et la lutte contre l'inflation - que celle-ci existe comme aujourd'hui ou qu'elle n'existe pas, comme c'était jusqu'à présent le cas -, limitation stricte des déficits budgétaires, culte de l'euro fort, absence de politique économique, sociale et fiscale commune, absence de politique des changes et, depuis 1974, ouverture à la mondialisation.
Comme le remarque le prix Nobel d'économie Maurice Allais, « la politique de libre-échange mondialiste poursuivie par l'Organisation de Bruxelles a entraîné à partir de 1974 la destruction des emplois, la destruction de l'industrie, la destruction de l'agriculture, et la destruction de la croissance ».
Le paradoxe est le suivant : loin de constituer un espace de production et d'échanges unifié, capable de se protéger de l'extérieur, l'Europe fonctionne comme si le marché unique n'existait pas, sauf quand il s'agit de faire jouer une concurrence inégalitaire pour peser sur les salaires. Elle agit comme s'il n'y avait pas de monnaie unique.
Aux États-Unis, calculer le déficit commercial de l'État du Minnesota par rapport à celui de la Californie n'aurait aucun sens. Dans la zone euro, le déficit de la France à l'égard de l'Allemagne équivaut à son déficit vis-à-vis de la Chine. De deux choses l'une : ou bien l'euro est une véritable monnaie unique et les échanges de la zone euro avec l'extérieur constituent la seule réalité significative, ou bien ce n'est pas le cas et l'euro n'est pas une monnaie unique.
La politique de « désinflation compétitive » assortie de cette étrange politique monétaire a conduit à la cannibalisation des Européens par eux-mêmes, les Allemands excellant à ce sport.
Comme le fait remarquer Guillaume Duval dans un article au titre évocateur, L'Allemagne prédatrice, la cure d'austérité draconienne pour abaisser le coût du travail que s'inflige l'Allemagne depuis une dizaine d'années en fait un « boulet pour l'Europe ». Les Allemands vendent à leurs partenaires de la zone euro, mais leur ferment progressivement leur marché.
Guillaume Duval poursuit : « Ce qui n'est pas rassurant, c'est que ces surplus commerciaux gigantesques sont accumulés aux dépens des voisins européens de l'Allemagne, contribuant en particulier à mettre leurs industries en difficulté. En effet les excédents allemands à l'égard du reste du monde stagnent depuis quatre ans déjà, tandis que ceux dégagés avec les autres européens ont continué de croître. Au point de représenter 100 milliards d'euros en 2006, pratiquement les deux tiers du total. Depuis le début des années 2 000, la poursuite des politiques de baisse du coût du travail voulues par les gouvernements allemands est donc devenue prédatrice : il s'agit désormais d'un véritable dumping social vis-à-vis de ses voisins européens. En particulier de la France qui affiche un déficit extérieur aussi important à l'égard de l'Allemagne que de la Chine. »
Vous l'avez constaté, monsieur le ministre, les derniers chiffres du commerce extérieur français confirment cette analyse. Or on continue de nous donner l'Allemagne pour modèle et l'on entend pérenniser le carcan européen, comme si aucune autre forme d'Europe n'était possible !
En appliquant la théorie qui consiste à se serrer la ceinture, les salariés permettront à leur entreprise d'investir plus et de créer des emplois, les profits d'aujourd'hui faisant les investissements de demain et les emplois d'après-demain, comme le dit encore le dictionnaire des idées reçues !