M. Guy Fischer. C'est faux !
M. Pierre-Yves Collombat. Évidemment, la réalité est un peu plus compliquée !
Les variations cycliques de l'investissement des entreprises ces vingt-cinq dernières années ne sont pas corrélées avec l'évolution de la rémunération du travail, et le chômage et la précarité ont explosé.
Le chômage a connu une croissance continue jusqu'en 1997, année où le taux officiel de 11,5 % de la population active est atteint. Il décroît jusqu'en 2001, remonte puis décroît de nouveau, pour atteindre, aux modifications de la méthode de calcul près, un niveau proche de celui de 2001.
La réserve de chômage et de sous-emploi reste pérenne et suffisante pour peser sur les rémunérations. La cosmétique statistique récente n'y change pas grand-chose. Les statistiques du chômage et plus encore celles du sous-emploi et de la précarité étant en France à peu près aussi fiables et accessibles que les statistiques chinoises, il est difficile de chiffrer sans contestation possible le nombre de personnes dans l'incapacité de « travailler plus pour gagner plus » !
La remarque vaut pour le calcul de l'inflation dont l'INSEE garde le secret de fabrication et dont la portée dépend des situations des personnes concernées.
Pour avoir une idée approximative du sous-emploi, il faudrait ajouter aux 3 155 000 personnes recensées dans les huit catégories de l'ANPE au moins la moitié des RMIstes, c'est-à-dire 500 000 personnes, les personnes sous-employées, de l'ordre de 1 300 000, ce qui représente au total environ 5 millions de personnes.
En ce qui concerne la précarisation, il faut noter la montée des CDD et de l'intérim. Entre 1985 et 2000, le taux de recours à l'emploi temporaire est passé de 4,5 % à 14,5 %.
En 2002, près de trois salariés sur quatre étaient embauchés en CDD et les fins de CDD représentaient plus de la moitié des sorties de l'emploi.
Constatons enfin qu'après une chute régulière depuis trente-cinq ans le taux de pauvreté a augmenté de nouveau. Les chiffres varient ! Certains estiment que 7 000 000 de personnes sont concernées. Ainsi, 11,7 % de la population est touchée par la pauvreté ! D'autres enquêtes avancent même le taux de 19 %. Quoi qu'il en soit, ce sont des chiffres qui devraient nous faire réfléchir !
M. Guy Fischer. Et les travailleurs pauvres !
M. Pierre-Yves Collombat. Les actifs ne sont en effet pas épargnés : suivant le seuil considéré, il existerait entre 1,2 million et 3,5 millions de travailleurs pauvres en France.
Selon une étude de Camille Landais, de l'École d'économie de Paris, « les 0,01 % des foyers les plus riches ont vu leur revenu réel croître de 42,6 % [entre 1998 et 2005], contre 4,6 % pour les 90 % des foyers les moins riches ». Sans doute ces paresseux ont-ils refusé de travailler plus pour gagner plus.
M. Guy Fischer. Cela va changer !
M. Pierre-Yves Collombat. Comme le souligne ce chercheur, « la France rompt avec 25 ans de grande stabilité de la hiérarchie des salaires ».
À cette précarisation du travail et des rémunérations s'ajoutent les difficultés de logement, qui sont d'autant plus fortes que les revenus sont faibles ; nous en avons déjà débattu tout à l'heure, je n'y reviens pas.
Les 20% des ménages ayant les revenus les plus faibles consacrent, en moyenne, 25 % de leur consommation aux dépenses de logement, contre 11 % pour les 20 % des ménages dont les revenus sont les plus élevés.
Je vous fais grâce des chiffres qu'a communiqués la Fondation Abbé-Pierre sur les personnes en mauvaise situation de logement, fragiles, etc. Ils sont, eux aussi, vertigineux !
Ces difficultés ne concernent pas seulement les personnes en situation précaire. Toute personne qui perçoit un revenu mensuel de 1 350 euros, soit le revenu salarial moyen, et qui doit louer son appartement au prix du marché - ce qui constitue le cas général au regard de la pénurie de logements sociaux - est structurellement en situation de surendettement.
Depuis vingt-cinq ans, nous faisons carême...
M. Pierre-Yves Collombat. ...tandis que d'autres, les Américains par exemple, font carnaval. (Sourires.)
Avec les résultats que je viens de donner et sans avoir la satisfaction de se savoir protégés du krach que leur politique de croissance par l'endettement généralisé nous mitonne depuis des années, on perd sur tous les tableaux !
« Je veux [...] développer le crédit hypothécaire en France. C'est ce qui a permis de soutenir la croissance économique des États-Unis », disait au mois de novembre 2006 un visionnaire... nommé Nicolas Sarkozy ! (M. Guy Fischer applaudit.)
Heureusement, il n'a pas encore eu le temps d'appliquer le baume miracle et les Français, beaucoup moins endettés que leurs homologues américains, ne sont pas menacés de devoir vendre leur maison. Mais notre système financier infesté de créances douteuses, après avoir été juteuses, est tout aussi menacé que celui des Américains. Les interventions massives du système bancaire européen, par ailleurs préoccupé de lutter contre l'inflation, comme la tempête boursière le montrent éloquemment.
M. Guy Fischer. Exact !
M. Pierre-Yves Collombat. Nous avons perdu en termes de croissance, d'emploi et de revenu, sans gagner en sécurité. Bravo !
Ce sont ces politiques économiques et européennes calamiteuses qu'il s'agit de réformer radicalement pour espérer améliorer réellement le pouvoir d'achat des Français. C'est un chantier d'une tout autre ampleur que celui qu'a ouvert le Gouvernement.
On a fait en sorte que, progressivement, la mer se retire. En réponse, vous nous proposez d'aménager trois minuscules trous d'eau. Le Sénat a beaucoup mieux à faire. Voilà pourquoi j'ai déposé cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Nicolas About, rapporteur. Je veux remercier M. Collombat de la qualité de son intervention. Il a commencé par souligner le caractère « étrange » de son invitation à ne pas débattre de ce projet de loi en présentant cette motion tendant à opposer la question préalable.
Je partage cette appréciation, même si je ne nie pas qu'il a abordé un grand nombre de sujets très intéressants,...
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Nicolas About, rapporteur. ...qui méritent réflexion, mais pas à l'occasion de l'examen du projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui.
On ne peut balayer d'un simple revers de main la possibilité accordée aux salariés de convertir en rémunération un certain nombre de droits acquis, pas plus qu'on ne peut écarter la possibilité de débloquer la participation salariale à hauteur de 10 000 euros, ou refuser aux salariés une prime de 1 000 euros quand on sait ce que cela peut représenter pour eux.
De la même façon, on ne peut balayer d'un simple revers de main l'idée de revoir l'indice sur lequel seront désormais indexés les loyers, ni celle de réduire le montant du dépôt de garantie, alors que celui-ci représente un effort très important pour les plus démunis.
La commission des affaires sociales pense, à l'inverse de nos collègues socialistes, qu'il y a lieu de débattre. C'est pourquoi elle demande au Sénat de repousser la motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 56, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Mes chers collègues, je vous rappelle qu'il a été décidé de reporter à la fin du texte l'examen de tous les amendements tendant à insérer un article additionnel.
Article 1er
I. - Par exception aux dispositions du II de l'article 4 de la loi n° 2005-296 du 31 mars 2005 portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise :
1° Le salarié, quelle que soit la taille de l'entreprise, peut, sur sa demande et en accord avec l'employeur, renoncer à une partie des journées ou demi-journées de repos acquises au titre de périodes antérieures au 1er juillet 2008 en application de l'article L. 212-9 du code du travail. Les demi-journées ou journées travaillées à la suite de l'acceptation de cette demande donnent lieu à une majoration de salaire au moins égale au taux de majoration des huit premières heures supplémentaires applicable à l'entreprise. Les heures correspondantes ne s'imputent pas sur le contingent légal ou conventionnel d'heures supplémentaires prévu aux articles L. 212-6 du code du travail et L. 713-11 du code rural ;
2° Lorsque l'accord prévu au III de l'article L. 212-15-3 du code du travail ne définit pas les conditions dans lesquelles le salarié qui le souhaite peut, en accord avec le chef d'entreprise, renoncer à une partie de ses jours de repos acquis au titre de périodes antérieures au 1er juillet 2008 en contrepartie d'une majoration de son salaire, le salarié, quelle que soit la taille de l'entreprise, peut adresser une demande individuelle au chef d'entreprise. Le décompte des journées et demi-journées travaillées et de prise des journées ou demi-journées de repos intervient dans les conditions prévues par la convention de forfait mentionnée au même article. La majoration de rémunération, qui ne peut être inférieure à 10 %, est négociée entre le salarié et le chef d'entreprise.
II. - Lorsque l'accord prévu à l'article L. 227-1 du code du travail ne définit pas les conditions dans lesquelles les droits affectés sur le compte épargne-temps sont utilisés, à l'initiative du salarié, pour compléter la rémunération de celui-ci, le salarié peut, sur sa demande et en accord avec l'employeur, utiliser les droits affectés au 30 juin 2008 sur le compte épargne-temps pour compléter sa rémunération.
Lorsque les accords prévus à l'article L. 227-1 et au III de l'article L. 212-15-3 du code du travail ont déterminé les conditions et modalités selon lesquelles un salarié peut demander à compléter sa rémunération en utilisant les droits affectés à son compte épargne-temps, ou selon lesquelles un salarié peut renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d'une majoration de son salaire, les demandes portant sur les droits affectés au 30 juin 2008 sont satisfaites conformément aux stipulations de l'accord.
Toutefois, cette utilisation du compte épargne-temps sous forme de complément de rémunération ne peut s'appliquer à des droits versés sur le compte épargne-temps au titre du congé annuel prévu à l'article L. 223-1 du même code.
III. - Le rachat exceptionnel prévu aux I et deux premiers alinéas du II est exonéré, pour les journées acquises ou les droits affectés au 31 décembre 2007 de toute cotisation et contribution d'origine légale ou d'origine conventionnelle rendue obligatoire par la loi, à l'exception des contributions définies aux articles L. 136-2 du code de la sécurité sociale et 14 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale.
IV. - Le présent article s'applique aux demandes des salariés formulées avant le 31 juillet 2008.
Le rachat exceptionnel mentionné au III n'ouvre pas droit pour les journées acquises ou les droits affectés au 31 décembre 2007 au bénéfice des dispositions de l'article 81 quater du code général des impôts et des articles L. 241-17 et L. 241-18 du code de la sécurité sociale.
V. - Un bilan de l'application du présent article est transmis au Parlement avant le 1er octobre 2008, permettant de préciser le nombre de jours réellement rachetés dans ce cadre et le nombre de salariés concernés.
M. le président. Je rappelle que nous avons décidé l'examen séparé des deux amendements de suppression de cet article.
La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.
M. Guy Fischer. Cet article 1er concerne les modalités de conversion en argent d'un certain nombre de droits à congé : il autorise les salariés à demander à leur employeur que des jours de congé acquis au titre de la réduction du temps de travail ou accumulés sur un compte épargne-temps soit convertis en argent. Il s'agit, par conséquent, de la monétisation !
M. Charles Revet. C'est plutôt favorable aux salariés !
M. Guy Fischer. Les membres du Gouvernement n'ont de cesse de nous faire croire un certain nombre de choses
Avec l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, nous allions voir ce que nous allions voir !
M. Ivan Renar. Nous avons vu !
M. Guy Fischer. L'UMP et son candidat avaient promis qu'il y aurait une France d'avant et une France d'après,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est vrai !
M. Guy Fischer. ...que l'élection du candidat de l'UMP marquerait une rupture avec les politiques passées et que, enfin, le travail, la rémunération et le pouvoir d'achat allaient grimper.
M. Guy Fischer. Or sur les sept mois de présidence de Nicolas Sarkozy en 2007, que nenni !
M. Guy Fischer. C'est vous qui le dites, monsieur le ministre !
En sept mois de mandat, après trois textes sur le pouvoir d'achat - la loi TEPA, la loi Châtel et le projet de loi que nous examinons aujourd'hui -, les Français attendent toujours cette France d'après, qui décidément, contrairement aux augmentations des produits de la vie courante, semble ne pas vouloir venir !
M. Guy Fischer. D'ailleurs, l'activité parlementaire qui nous réunit aujourd'hui est le triste constat de l'échec du Gouvernement, puisque, six mois après l'adoption d'un premier texte, si peu transparent, sur le pouvoir d'achat, nous sommes de nouveau amenés à en examiner un autre.
Deux déductions sont alors possibles : soit la loi TEPA à été inefficace, même si vous affirmez le contraire, et elle marque l'échec du « travailler plus pour gagner plus »,...
M. Nicolas About, rapporteur. Cette loi va s'appliquer !
M. Guy Fischer. ... soit elle visait un pouvoir d'achat bien particulier, celui des plus riches, ce que nous croyons encore.
Or, les élections municipales approchant, la colère gagnant tous nos concitoyens, salariés du public comme du privé, retraités, étudiants, tous les allocataires des minima sociaux, il vous fallait agir.
Mais comment faire dès lors que votre première tentative a vidé les caisses de l'État, avec les résultats que l'on connaît ? Eh bien ! vous voulez ressortir de la naphtaline une vieille habitude et tenter de faire du neuf avec du très vieux.
En effet, dans une tribune du journal Libération en date du 11 janvier 2008, le sociologue Jean-Yves Boulin nous rappelle habilement que, déjà en son temps, le gouvernement Daladier autorisa les heures supplémentaires,...
M. Ivan Renar. « Le roseau peint en fer » !
M. Guy Fischer. ...ouvrant la possibilité de travailler 50 heures par semaine, alors que, rappelons-le, la durée légale de travail hebdomadaire était de 40 heures.
On s'étonnera de voir que les références d'un gouvernement qui se réclamait du modernisme économique et de la France de l'après sont celles de 1938. Franchement, quitte à remonter aussi loin, inspirez-vous du mouvement social de 1936 ou du programme du Conseil national de la Résistance de 1945 !
C'est donc dans la régression absolue que se place ce projet de loi. Ce texte sera inefficace en termes de lutte contre le chômage, car, vous le savez, le mal français réside en partie dans le faible taux d'emploi, bien que l'on nous dise que 312 000 emplois ont été créés en 2007. L'urgence conduit donc non pas à autoriser la multiplication des heures supplémentaires, mais à créer de l'emploi, en imposant, par exemple, des contreparties salariales réelles aux exonérations patronales.
C'est également une immense régression culturelle. Le projet de loi ignore tout des mutations sociales, économiques et culturelles que notre pays a connues depuis l'arrivée des 35 heures. Et ce gouvernement, qui n'a de cesse d'en appeler, par exemple, à la responsabilisation des parents en matière d'éducation de leurs enfants se trouve en bien grande difficulté lorsqu'il s'agit de nous expliquer comment, en travaillant plus longtemps le soir, le dimanche, les parents peuvent jouer pleinement leur rôle éducatif.
La réalité, mes chers collègues, c'est que le Gouvernement veut en finir avec la durée légale du temps de travail ; le Président de la République l'a dit. Puis il s'est aperçu qu'il avait commis une erreur, car cela rendait irrecevable le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis. Vous avez rattrapé cette gaffe ; naturellement, il ne pouvait le dire ouvertement. Alors, il a ouvert un droit aux heures supplémentaires, il a renvoyé la durée du travail au champ conventionnel, lorsque ce n'est pas à la relation employeur-employé. Mais, ce faisant, il a oublié sans doute la caractéristique même de la relation qui lie le salarié et le patron, c'est-à-dire la prédominance de l'un et la subordination de l'autre.
Vous feignez d'ignorer qu'un salarié demandeur d'heures supplémentaires est d'abord et avant tout un salarié qui vit mal des revenus de son travail, que c'est d'abord un salarié qui ne bénéficie pas d'une plus juste répartition des richesses, que c'est d'abord et avant tout un salarié mal payé. Parlons simplement ! Augmentez les salaires, le SMIC horaire, et nous verrons bien si les salariés veulent ou non faire des heures supplémentaires.
Vos politiques libérales de sous-emploi, d'emploi partiel et de trappes à bas salaires ont précarisé nos concitoyens ; 7 millions de travailleurs pauvres survivent tous les mois, multipliant les prêts à la consommation pour s'acheter les produits alimentaires de base. Après avoir autant précarisé, vous avez beau jeu de proposer aujourd'hui le rachat des RTT !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est un puits sans fond !
M. Guy Fischer. Car enfin, il s'agit non pas d'un geste de votre gouvernement, mais d'un droit. Les RTT sont, à l'image du salaire, un fruit indirect du travail du salarié. En proposant à leurs bénéficiaires de les racheter, vous ne faites qu'une chose : vous leur rendez leur dû. Par conséquent, vous n'avez pas de quoi pavoiser.
Les salariés ne sont pas dupes : ils savent que votre mesure « à un coup », comme vous l'avez fait pour la sécurité sociale, ne réglera pas durablement la question de leur pouvoir d'achat !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 32 est présenté par Mmes Le Texier, Schillinger et Bricq, MM. Domeizel, Repentin, Collombat, Godefroy et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 94 est présenté par M. Fischer, Mme David, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour présenter l'amendement n° 32.
Mme Raymonde Le Texier. Si nous adoptons l'article 1er, allons-nous créer de la richesse et du pouvoir d'achat ?
Mme Raymonde Le Texier. Encore une fois, vous procédez par effet de substitution. La mesure sur les heures supplémentaires contenue dans la loi TEPA prétendait substituer des augmentations de temps de travail pour des salariés déjà à temps plein à des embauches. Mais quel effet une telle mesure peut-elle avoir sur la croissance ?
Permettez-moi de vous rappeler que, lorsque nous avons créé les emplois-jeunes, nous avons mis en selle des centaines de milliers de jeunes, qui se sont vus soudain intégrés dans le monde du travail, ont perçu un salaire et ont retrouvé un espoir dans leur avenir, pour eux-mêmes et leur famille.
Mais que peut signifier pour nos concitoyens une disposition qui ne fait qu'accroître un peu, si l'employeur le veut, donc de manière tout à fait incertaine, le revenu de ceux qui ont déjà un contrat de travail à temps plein ?
Les mesures que vous proposez aujourd'hui relèvent du même système de pensée. Vous redistribuez du revenu ; vous n'en créez pas, puisque, de fait, vous substituez ces mesures à de véritables hausses de salaire et à des négociations salariales.
Au lieu d'une augmentation réelle et durable des revenus salariaux, vous n'induisez qu'une petite hausse, aléatoire pour certains, sans effets durables sur l'économie, ces mesures étant en outre temporaires.
Vos dispositifs sont inefficaces en termes de croissance de la masse salariale et de création de richesse et n'apportent aucune confiance nouvelle, comme le prouve d'ailleurs la chute de la consommation ces derniers mois.
Il est fascinant de voir un Président de la République qui s'est fait élire, en partie, sur sa volonté affichée d'augmenter le pouvoir d'achat - il s'agissait, me semble-t-il, du point 5 de sa campagne - et un gouvernement qui devrait, en principe, mettre cette volonté en musique, utiliser, en fait, tous les expédients possibles pour empêcher la hausse des salaires, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé.
Nos concitoyens sont en train de s'apercevoir de la supercherie. Les indices de confiance et autres sondages sont intéressants en raison de leur unanimité. Même si vos millefeuilles de mesures successives sont incompréhensibles, les Français comprennent bien, eux, que votre politique réelle est l'inverse de votre discours virtuel. Ils n'ont pas confiance ! Ils sont victimes de l'inflation affectant les produits de première nécessité. La consommation ne tire plus la croissance, et ce dans un environnement économique mondial que l'on peut qualifier de tourmenté ces temps-ci.
Ce qui pose problème, ce n'est pas tant l'absence de confiance en eux des Français ; c'est normal étant donné les reproches qui vous leur adressez : ils ne travaillent pas assez, ils coûtent trop cher, ils sont tout le temps en arrêt maladie, que sais-je encore ?
M. Nicolas About, rapporteur. Nous ne disons pas cela !
Mme Raymonde Le Texier. Le véritable problème est que cette politique les amène à se demander s'il est raisonnable d'avoir encore confiance en vous.
L'article 1er n'est pas à la hauteur des besoins de notre économie et des craintes exprimées par nos concitoyens. Nous demandons donc sa suppression.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour présenter l'amendement n° 94.
M. Guy Fischer. Je rejoins les propos que vient de tenir Raymonde Le Texier Cela ne vous étonnera guère, mes chers collègues : cet amendement a pour objet la suppression de l'article 1er, symbole, s'il en est, de l'esprit du projet de loi, un esprit bien contestable.
Vous prévoyez d'organiser le rachat par les salariés des journées de RTT qu'ils ont obtenues au bénéfice de la réalisation d'heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale de travail. Autrement dit, vous inventez un mécanisme qui nous semble bien cynique, selon lequel les salariés achètent le bénéfice des heures supplémentaires passées. « Acheter » n'est d'ailleurs pas le terme le plus adéquat ; je reprends volontiers le mot « troc », précédemment utilisé.
Quelle est donc la réalité du dispositif proposé ? Un salarié ayant bénéficié de mesures de réduction du temps de travail pourra demander à son employeur le rachat de tout ou partie de ces RTT.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est l'employeur qui en tire profit !
M. Guy Fischer. Afin d'inciter l'employeur à monétiser ces jours, une mesure d'exonération sociale est prévue, dans la limite de dix jours.
L'article 1er a d'ailleurs été profondément remanié par nos collègues députés qui, se rendant compte qu'en fixant la date limite au 31 décembre 2007 il n'y aurait sans doute plus ou pas assez de jours à échanger, ont reporté ladite date au 30 juin 2008.
Cela revient à dire que vous espérez voir les salariés bénéficier de leur RTT sans y recourir de manière volontaire et anticipée.
Nous attendons avec impatience et crainte le projet de loi dans lequel vous instaurerez le mécanisme autorisant le rachat des semaines de congés payés non utilisées.
M. Nicolas About, rapporteur. C'est interdit !
M. Guy Fischer. Bien sûr, monsieur le rapporteur, mais nous attendons !
Telle sera la continuité logique du Gouvernement.
Il n'en demeure pas moins que ce « montage juridique » est très étonnant : cela revient à demander aux salariés de renoncer par avance à un droit acquis, ce que nous ne pouvons que dénoncer.
La logique même de ce texte nous heurte elle renvoie à une individualisation des rapports entre l'employeur et l'employé. Cette monétisation se fera individuellement ; deux salariés pourront être traités différemment en raison de critères obscurs. Il vous faudra expliquer pourquoi, dans une même entreprise, l'employeur a appliqué des mesures différenciées ; il faudra que vous précisiez aux salariés pourquoi le Gouvernement a préféré prendre une mesure qui renvoie inéluctablement à l'arbitraire plutôt qu'à l'égalité, à l'équité.
D'ailleurs, l'État a une fois de plus montré le mauvais exemple en procédant au rachat des RTT des personnels hospitaliers. Cette mesure a eu le succès que l'on connaît et, croyez-moi, dans les hôpitaux, la colère demeure grande !
Ce que veulent les salariés, c'est l'augmentation des salaires. Le Gouvernement pourrait agir en portant le SMIC à 1 500 euros, en convoquant une conférence sur les salaires, en donnant l'exemple avec les salaires des fonctionnaires et en instituant un barème national de minima par grands niveaux de qualification. Compte tenu de l'ampleur des profits, tout cela est possible sans compromettre la compétitivité de notre pays.
Augmenter les salaires, c'est aussi agir en faveur de la croissance, car la consommation tire l'essentiel de la croissance dans notre pays.
Faut-il, entre autres, expliquer au Président de la République que ce n'est pas avec les dents que l'on va chercher la croissance ? Car une politique du crédit, par exemple, permettrait des taux d'intérêt abaissés, voire bonifiés par l'État, pour les investissements créateurs d'emplois, et, à l'inverse, des taux relevés pour les opérations financières spéculatives. Mais cela supposerait une tout autre orientation de la Banque centrale européenne, la BCE.
Or s'il est vrai que le candidat a tenu de beaux discours contre la finance pendant la campagne électorale et joué les fiers-à-bras devant la BCE, le Président de la République s'est maintenant incliné devant les exigences des marchés financiers en signant le traité européen de Lisbonne, qui confirme la BCE dans son indépendance et dans son orientation d'un euro fort, néfaste pour notre économie. Au lendemain du krach boursier de lundi, comment ne pas s'interroger à la lecture de ce texte ?
C'est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer cet article.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Nicolas About, rapporteur. La commission souhaitant l'adoption de l'article 1er, elle est défavorable à ces deux amendements de suppression.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Le Gouvernement n'entend pas laisser le groupe socialiste et le groupe CRC priver les Français d'une possibilité d'augmenter leur pouvoir d'achat ; il est donc défavorable à ces deux amendements.
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 32 et 94.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur. Monsieur le président, la commission n'a pas examiné l'amendement n° 99, mais elle a d'ores et déjà émis un avis sur les deux amendements suivants, également déposés par le groupe CRC. Si ce dernier n'y voit pas d'inconvénient, les amendements nos 71 et 72 pourraient être appelés en priorité, afin que nous ne perdions pas de temps avant le dîner.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. le président. La priorité est de droit.
L'amendement n° 71, présenté par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant le I de cet article, ajouter un paragraphe ainsi rédigé :
... - Avant le chapitre premier du titre III du livre premier du code du travail, il est inséré un chapitre ainsi rédigé :
« chapitre...
« Conférence nationale sur les salaires
« Art. L. ... - Une conférence nationale sur les salaires est convoquée lors du premier semestre de chaque année civile.
« Les organisations syndicales représentatives de salariés et d'employeur, les ministres concernés, sont parties prenante de cette conférence annuelle.
« la conférence fait le point sur les évolutions salariales observées dans les entreprises du secteur marchand, au regard du bilan de la négociation collective de branche et formule toute proposition tendant notamment à favoriser le respect de l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, le maintien et l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés, la reconnaissance des qualifications acquises ».
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. C'est dans l'urgence que le Parlement travaille le plus souvent et c'est aussi dans l'urgence que le Gouvernement organisait, le 23 octobre dernier, une conférence sur l'emploi et les salaires. Vous aviez là, monsieur le ministre, l'occasion de répondre à une attente unanimement partagée : l'augmentation des salaires.
Cela aurait participé de manière certaine à l'accroissement du pouvoir d'achat des Français et leur aurait redonné confiance en l'économie de leur pays. Occasion ratée ! Nous ne pouvons que le regretter.
Si urgence il y a, il faut non pas créer une nouvelle commission indépendante chargée d'étudier le SMIC et de faire des recommandations le concernant, recommandations que le Président de la République serait libre de suivre ou non, mais revaloriser les salaires.
Récemment encore, lors de sa conférence de presse faisant office de présentation de ses voeux aux médias, M. Nicolas Sarkozy s'est même emporté lorsqu'un journaliste a eu l'outrecuidance de l'interroger sur les mesures qu'il comptait prendre pour relancer le pouvoir d'achat. Nous avons tous vu la réaction du Président de la République, signe d'exaspération, et entendu sa réponse : « voulez-vous que je vide des caisses qui sont déjà vides, ou que j'aille donner des ordres à un patron à qui je n'ai pas à en donner ? ». Curieux aveu que celui-là, celui de l'impuissance des politiques, et non du moindre d'entre eux !
Ainsi donc, après avoir tout promis durant la campagne des présidentielles, le candidat élu regarde le passé, regarde, depuis l'Élysée, le peuple du réel, qui, chaque mois, galère pour boucler son budget, et lui dit, non sans honte : « Je ne peux rien ! ».
Autant vous dire que les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont en profond désaccord avec le Président de la République et sa conception de la gouvernance.
La conférence nationale annuelle sur les salaires que nous proposons s'inscrirait dans notre droit et permettrait de reposer la question des salaires dans des termes plus justes et plus larges que la seule valeur monétaire. En effet, dans cette conférence, il pourrait aussi être question des conditions de travail, de la pénibilité, des horaires postés, des secteurs à risques, pour lesquels une reconnaissance d'un point de vue salarial est indispensable.
Cet amendement vise donc à offrir au Gouvernement un outil, sans doute imparfait - nous voulons bien entendre cette critique -, mais utilisable par tous : la réunion, chaque début d'année, d'une grande conférence nationale sur les salaires dont la mission serait d'étudier, avec les partenaires sociaux, en tenant compte des conditions de travail, la réalité du marché et d'en faire bénéficier tous les acteurs, à hauteur de l'effort accompli par chacun d'entre eux.
Cette conférence nationale sur les salaires, tripartite, organisée à l'invitation du Gouvernement et des ministères compétents, devrait alors chercher à répartir mieux, sans doute plus, les bénéfices qu'une poignée de contribuables s'accapare, notamment sous forme d'actions gratuites ou de stock-options.
Il s'agit là d'une proposition concrète qui, je le sais, ne manquera pas d'attirer votre attention, monsieur le ministre, et que vous accueillerez par conséquent favorablement, du moins je l'espère, bien que vous m'écoutiez d'une oreille distraite.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Nicolas About, rapporteur. Le Gouvernement s'étant engagé dans un dialogue permanent avec les partenaires sociaux, la commission des affaires sociales a considéré que l'obligation de réunir chaque année une conférence nationale sur les salaires ne se justifiait pas.
Elle a donc émis un avis défavorable sur l'amendement n° 71.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Tout d'abord, madame David, je tiens à vous dire que je vous écoutais attentivement, en particulier de l'oreille droite. Faites confiance à la droite ! (Sourires.)
Il existe déjà une instance, la Commission nationale de la négociation collective ; c'est une instance qui fonctionne, et dans laquelle les partenaires sociaux jouent pleinement leur rôle. Pourquoi vouloir créer une nouvelle instance ? Ou alors, c'est un déni de confiance vis-à-vis des partenaires sociaux. Tel n'est pas mon cas !
C'est pourquoi j'émets un avis défavorable sur cet amendement.