Séance du 19 mai 1999







M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion immédiate des conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur la conduite de la politique de l'Etat en Corse (n° 345, 1998-1999).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, le Sénat est saisi d'une proposition de résolution de MM. Jean Arthuis, Guy Cabanel, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan tendant à la création d'une commission d'enquête sur la conduite de la politique de l'Etat en Corse.
Cette commission aurait pour mission d'enquêter sur le fonctionnement, la coordination et la direction des services publics de sécurité intervenant en Corse.
La commission des lois a donc été appelée à examiner tant la recevabilité juridique que le fond de la proposition de résolution.
La proposition de résolution est juridiquement recevable.
Les conditions de constitution des commissions d'enquête sont fixées par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et précisées par l'article 11 du règlement du Sénat.
La loi du 20 juillet 1991 a modifié cet article 6 en regroupant sous la dénomination commune de « commission d'enquête » les commissions d'enquête et les anciennes commissions de contrôle, qui avaient pour objet de contrôler le fonctionnement d'une entreprise nationale ou d'un service public.
Pour autant, cette unification terminologique n'a pas gommé la dualité entre les commissions d'enquête proprement dites et les commissions qui sont chargées de contrôler le fonctionnement d'une entreprise nationale ou d'un service public, ainsi qu'il ressort de la rédaction actuelle des deuxième et troisième alinéas de l'article 6 de l'ordonnance de 1958. Je rappelle que le deuxième alinéa de cet article dispose : « Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information, soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées ».
Lorsqu'elle est saisie d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, la première tâche de la commission des lois consiste donc à étudier le contenu de celle-ci afin de déterminer si elle entre bien dans le champ de l'article 6 de l'ordonnance précitée et si la consultation du garde des sceaux, pour savoir si les faits sont examinés par la justice, s'impose ou non.
En l'espèce, il ressort des termes de la proposition de résolution que ses auteurs souhaitent opérer un contrôle sur le « fonctionnement, la coordination et la direction des services publics de sécurité intervenant en Corse ».
Prévoyant le contrôle d'un service public, la proposition de résolution entre ainsi dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le Gouvernement sur l'existence de poursuites judiciaires.
Prévoyant de plus que la commission d'enquête sera composée de vingt et un membres, la proposition répond également aux conditions posées par l'article 11 du règlement du Sénat, qui dispose que la proposition « fixe le nombre de membres de la commission d'enquête, qui ne peut comporter plus de vingt et un membres. »
La commission estime donc que la présente proposition de résolution est recevable au regard des dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et constate qu'elle répond bien aux conditions posées par l'article 11 du règlement du Sénat.
La proposition de résolution est également pleinement justifiée sur le fond.
En effet, depuis l'assassinat du préfet Claude Erignac, le 6 janvier 1998, l'organisation et la coordination des services publics de sécurité en Corse semblent avoir connu de graves dysfonctionnements de nature à porter atteinte à l'efficacité de l'action de l'Etat et, plus encore, à la crédibilité de ce dernier.
M. Claude Estier. Et avant ?
M. Hilaire Flandre. Avant, il n'y avait pas d'assassinats ! (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Bernard Piras. Ah bon ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Dans l'exposé des motifs, les auteurs de la proposition de résolution mettent en cause, en premier lieu, les conditions de déroulement de l'enquête sur l'assassinat du préfet Claude Erignac,...
M. Charles Descours. Oui !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. ... toujours non élucidé malgré un renforcement tout à fait spectaculaire des moyens mis en oeuvre.
Cette enquête s'est en effet déroulée dans un climat de « guerre des polices », alimenté par diverses rumeurs, ce qui a nui tant à l'efficacité des investigations qu'à l'autorité de l'Etat.
Le rôle et le fonctionnement du groupe de pelotons de sécurité doivent être éclaircis. Des réponses partielles ont été apportées, mais il importe de savoir précisément qui a permis la création de cette unité en juin 1998, dans quelles conditions elle a fonctionné, de quelle autorité elle relevait et quelles missions lui ont été effectivement assignées.
Il apparaîtrait que, sous l'autorité directe de M. le préfet Bonnet, une organisation et des pratiques administratives particulières auraient été mises en place en Corse en matière de sécurité. Dans quelle mesure ces pratiques ont-elles été connues, voire encouragées au niveau gouvernemental alors qu'un suivi interministériel spécifique des affaires corses était, nous dit-on, assuré ?
La commission estime, comme les auteurs de la proposition de résolution, qu'il convient de « conduire d'urgence une enquête susceptible d'éclairer la représentation nationale et, au-delà, l'ensemble des Français, sur la façon dont, tant au niveau gouvernemental et ministériel que sur place, en Corse, étaient définies les missions et assurés l'organisation et la coordination, la direction et le contrôle des différents services publics de sécurité intervenant en Corse. »
La proposition de résolution ne mentionne pas expressément de date de point de départ du contrôle, l'exposé des motifs envisageant de couvrir la période postérieure à l'assassinat du préfet Claude Erignac. La commission a considéré qu'il devait revenir à la commission d'enquête elle-même de déterminer l'étendue de son contrôle dans le temps.
Estimant que l'expression « les services publics de sécurité intervenant en Corse » pourrait laisser croire qu'il ne s'agirait de contrôler que les services actuellement en fonction alors que le GPS vient d'être dissous, elle vous proposera la suppression du mot « intervenant », permettant ainsi un contrôle rétroactif sur une durée qu'il reviendra à la commission d'enquête elle-même de déterminer.
La création d'une commission d'enquête lui apparaissant donc pleinement justifiée, la commission vous propose, mes chers collègues, d'adopter le texte de l'article unique de la présente proposition de résolution, sous réserve de la suppression du mot « intervenant ».
Elle vous proposera également de modifier l'intitulé de la proposition de résolution pour faire apparaître plus clairement que la politique de l'Etat en Corse dont la conduite serait soumise à enquête serait celle de la sécurité.
Sous réserve de ces modifications, la commission vous propose, mes chers collègues, d'adopter la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, mes chers collègues, des faits d'une exceptionnelle gravité ont mis en cause les autorités de l'Etat et les services de sécurité en Corse. S'il est important de faire la lumière sur les événements récents, de découvrir qui a bien pu donner l'ordre d'incendier une paillote, n'oublions jamais qu'il est essentiel que tout soit mis en oeuvre pour que l'on trouve l'assassin du préfet Claude Erignac, sauvagement abattu il y a quinze mois. Ce crime odieux, lâche, qui demeure à ce jour impuni, est à l'origine de la situation actuelle.
Il ne faut pas perdre de vue qu'il y a eu mort d'homme, meurtre d'un père de famille, atteinte au symbole de l'autorité de l'Etat et véritable défi lancé à la République. Oui, souvenons-nous qu'il y a à peine quinze mois la France entière était bouleversée par la mort tragique du préfet, événement exceptionnel. La nation reconnaissait que le seuil de l'impardonnable avait été franchi.
La folie meurtrière, la politique du pire, la dérive mafieuse ont armé le bras de quelques-uns contre ce que représentait le préfet Erignac, c'est-à-dire l'Etat, dont il était l'incarnation et le symbole. Au nom de tous les Français, le Président de la République déclarait ceci le jour des obsèques : « Nous ne le tolérerons pas. L'Etat assumera sans défaillance toutes ses responsabilités. Les assassins seront punis car ce sont les assassins d'un homme, mais aussi les ennemis de la République. »
Il n'est pas sans importance ni signification que l'on n'ait pas encore la moindre idée de l'identité de l'assassin, quinze mois après le crime, quand il a fallu moins de trois jours pour découvrir l'incendiaire d'une paillote. Le premier a des amis trop silencieux, le second des ennemis de plus en plus bavards !
L'incendie d'une paillote en Corse par des gendarmes est un acte gravissime, qui n'appelle que réprobation et condamnation, car il porte un rude coup à la crédibilité de l'action de l'Etat. Gardons-nous de porter jugement définitif d'une politique ou d'une action politique à partir de manquements individuels. Les incendiaires ont oublié que la République ne s'abaisse jamais au niveau des violences et des méthodes de lâches qu'elle a pour mission de combattre. C'est pourquoi toute la vérité sera faite dans la transparence.
Il ne faudrait pas cependant accorder une importance bien plus grande à l'incendie, dont je rappelle qu'il s'agit d'un acte gravissime, qu'au crime contre le préfet.
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, que l'on ne se trompe pas de scandale !
Je souhaite dire un mot sur le préfet Bernard Bonnet.
Je ne le connais pas personnellement. Son entrée sur la scène médiatique remonte à sa nomination en Corse. Conformément à notre procédure pénale, il est présumé innocent. Mes chers collègues, mérite-t-il le sort qui est le sien aujourd'hui ? Pourquoi son incarcération se poursuit-elle...
M. Jean-Jacques Hyest. Il faut le demander à la justice !
M. Guy Allouche. ... alors que les nécessités de l'enquête ne paraissent plus le justifier ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il faut le demander à Mme Guigou.
M. Guy Allouche. Je vais y revenir, monsieur le président de la commission.
Le préfet Bernard Bonnet peut-il être à l'origine d'un trouble exceptionnel à l'ordre public ? Qui peut penser qu'il a l'intention de fuir le pays, de se soustraire aux obligations du contrôle judiciaire, de ne pas concourir à la recherche de la vérité ?
Il y a quinze mois, il était encensé par tous ; son courage était salué par tous les médias. Chacun voyait en lui un grand commis de l'Etat, un républicain déterminé. Aujourd'hui, je dirai, faisant mienne la formule employée tout récemment par notre collègue Christian Bonnet, que la danse du scalp s'est instaurée autour de lui.
Monsieur le président de la commission des lois, vous avez dit qu'il fallait interroger Mme Guigou. Permettez-moi de vous faire remarquer - mais cela ne vous a pas échappé - que, dans cette affaire, le parquet général n'a pas fait appel de cette incarcération.
M. Michel Charasse. Dommage !
M. Guy Allouche. On découvre à présent le préfet Bonnet « psychorigide ». Soit ! Peut-être ! Mais, chers collègues, la Corse a-t-elle besoin seulement de psychologues et de psychothérapeutes ? Ce préfet était-il là pour se faire aimer des pouvoirs occultes et des pouvoirs manipulés ? Etait-il là pour se faire aimer des nationalistes...
M. Michel Charasse. ... et des mafieux !
M. Guy Allouche. ... des indépendantistes, des mafieux, oui, et de tous leurs relais médiatiques et politiques ?
Le bilan de son action, sur lequel je reviendrai, est, à mes yeux, largement honorable.
Quant aux vierges effarouchées de la noria nationaliste qui, en Corse, jouent aujourd'hui les martyres, avec des trémolos dans la voix, disons-leur que leur abject cabotinage ne doit pas faire oublier que le préfet Bonnet menait une forme de guerre contre ces malfrats qui avaient ravagé l'île, une guerre où son prédécesseur a, hélas ! perdu la vie.
Que la lumière soit faite sur ce qui s'est passé récemment, sur la cause des dysfonctionnements, quoi de plus normal ? Oui, nous avons tous besoin de savoir et de comprendre.
Nous ne savons que trop que la démocratie n'a pas la vertu de supprimer les violations de la loi commune, d'où qu'elles viennent. En revanche, nous sommes en droit d'exiger, lorsque de telles situations se produisent, qu'elles soient rapidement sanctionnées.
D'ailleurs, et pour la première fois, une affaire d'Etat est traitée normalement par l'institution judiciaire, sans entrave, sans pression, sans secret d'Etat opportun.
M. Jean Arthuis. Une affaire d'Etat !
M. Guy Allouche. Oui, j'ai bien dit : « affaire d'Etat », monsieur Arthuis !
Non, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous ne pouvez en aucune façon parler d'un « mensonge d'Etat » - où est le mensonge d'Etat depuis que l'affaire a éclaté ? Tout se sait ! - ....
M. Jean-Jacques Hyest. On ne sait rien encore !
M. Guy Allouche. ... comme M. Arthuis l'a fait dans cette enceinte à l'occasion d'un rappel au règlement qui n'était, à mes yeux, qu'un bien piètre argument, qu'une mise en accusation imprudente du Gouvernement.
Le Gouvernement ne ménage pas ses efforts et ses explications pour répondre aux interrogations légitimes de la représentation nationale. Si, judiciairement, l'affaire corse avance à marche forcée, c'est que ses protagonistes ont vite compris qu'ils ne pouvaient espérer du gouvernement actuel aucun des soutiens obscurs qui, hier, se mobilisaient au plus haut niveau pour étouffer la vérité. (Protestations sur les travées du RPR.)
Cette diligence judiciaire, nous la devons à Lionel Jospin, qui a publiquement affirmé qu'il se sentait blessé par ce manquement au respect de l'Etat de droit.
Même dans un Etat de droit, il arrive que des fonctionnaires d'autorité commettent des crimes ou des délits. La violation de l'Etat de droit est consommée non par ce qu'on appelle ordinairement des bavures, mais lorsque les autorités supérieures de l'Etat donnent l'ordre, ou s'efforcent de camoufler le crime et d'assurer ainsi l'impunité à ses auteurs.
Pour condamnable qu'il soit, cet incendie criminel et l'enquête judiciaire aussitôt engagée apportent la démonstration que, depuis juin 1997, l'Etat de droit progresse en France, et on peut aujourd'hui se réjouir du respect scrupuleux du droit commun et de l'indépendance de la justice par le Gouvernement. Les Français se sont déjà aperçus que, avec ce gouvernement, une ère nouvelle s'est ouverte.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. En effet !
M. Guy Allouche. Le doute n'est plus permis :...
M. Jean-Léonce Dupont. Ah non !
M. Guy Allouche. ... la liberté d'action de la justice permet d'affirmer aujourd'hui que la loi est égale pour tous, que l'on appartienne ou non aux services de l'Etat, et que tous les citoyens sont soumis aux mêmes règles et à la même justice.
Tout dans cette affaire démontre que le Gouvernement n'a pas varié depuis la déclaration de politique générale du Premier ministre, qui, le 19 juin 1997, affirmait ceci : « L'Etat de droit ne doit souffrir aucune exception. En Corse, comme partout ailleurs, le Gouvernement veillera au respect de la loi républicaine auquel la population aspire et sans laquelle il n'y a pas d'essor possible. Parallèlement, il fera en sorte que la solidarité nationale s'exerce pour rattraper le retard de développement dû à l'insularité. Le Gouvernement encouragera l'affirmation de l'identité culturelle corse et de l'enseignement de sa langue. »
Il faut inscrire au crédit de M. le Premier ministre et de Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, d'avoir laissé la justice agir en toute indépendance. Les magistrats ont eux-mêmes souligné qu'aucun d'entre eux n'avait été sollicité. L'instruction a été menée tambour battant. La justice fonctionne sans la moindre entrave, lors même qu'elle s'en prenait aux figures les plus symboliques de l'Etat et sans subir les pressions ni les lenteurs que bien des gouvernements, en pareil cas, n'auraient pas manqué de faire peser sur elle, dans le passé. (Exclamations sur les travées du RPR.)
La perquisition de la préfecture de région, la mise en garde à vue du représentant de l'Etat sont une première dans l'histoire de la République. (C'est vrai ! sur les mêmes travées.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Quelle première !
M. Michel Charrasse. Et même en Corse, parce qu'il y a des criminels qui courent !
M. Guy Allouche. Oui, c'est une révolution, car désormais l'Etat de droit prime sur le droit de l'Etat.
Il ne peut y avoir de retour à l'Etat de droit sans un respect scrupuleux de la légalité par les représentants de l'Etat eux-mêmes.
Ce qui se passe depuis quelques jours, c'est l'accomplissement de la promesse faite voilà plus d'un an sur la tombe du préfet Erignac. C'est l'Etat lui-même, et non pas les juges, comme dans d'autres pays européens, qui a lancé l'opération « mains propres » en Corse, quitte à ce que ce droit s'émancipe un jour de son tuteur, voire se retourne contre lui.
L'opposition de droite croit devoir harceler le Gouvernement. Soit ! Mais, en la circonstance, je me dois de rappeler que cette même droite manque « singulièrement d'humilité, de mesure et surtout de mémoire »,...
M. Michel Charasse. Ah oui !
M. Guy Allouche. ... comme l'a dit Alain Richard, ministre de la défense.
Que soient discutées la compétence, la responsabilité et la diligence du Gouvernement par ceux qui ont suivi fougueusement, et avec les résultats que l'on connaît, MM. Balladur, Pasqua, Juppé et Debré, c'est là une épreuve qui n'est pas insurmontable !
La situation est bien grave et trop sérieuse pour céder à la polémique. Les Français n'ont pas la mémoire courte, ils se souviennent parfaitement...
M. Hilaire Flandre. Du Rainbow Warrior !
M. Bernard Piras. Et d'Ouvéa !
M. Guy Allouche. ... de l'action menée en Corse, il n'y a pas très longtemps, par deux ministres de l'intérieur de droite qui entretenaient des réseaux, qui négociaient et qui pactisaient avec des nationalistes.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Me permettez-vous de vous interrompre, mon cher collègue ?
M. Guy Allouche. Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Monsieur Allouche, votre démarche, qui est, évidemment, une démarche de défense, ce que nous comprenons parfaitement venant de vous, repose sur un certain nombre de comparaisons, ou plutôt de tentatives de comparaisons.
J'ai eu une réaction un peu vive, tout à l'heure, en découvrant que l'on allait jusqu'à publier la photographie d'un préfet alors qu'il est incarcéré à la Santé. Il faudrait peut-être savoir comment les photographes d'un grand hebdomadaire ont pu pénétrer dans la prison de la Santé pour prendre des clichés de M. Bonnet !
M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. Guy Allouche. Par satellite, peut-être !
M. Michel Charasse. C'est Paris-Match, comme d'habitude !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Vous avez parlé, monsieur Allouche, d'une grande première. Le terme est tout de même étonnant.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ne sommes-nous pas dans un débat restreint ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Cette première, quelle est-elle ? Un préfet assassiné, un préfet emprisonné !
Quinze mois ont séparé ces deux tragiques événement, qui ne sont pas comparables, bien sûr, mais qui mettent peut-être en cause la conception que nous avons en commun de l'Etat.
La différence - j'ose le dire ! - c'est que la mort tragique de Claude Erignac, que nous sommes ici un certain nombre à avoir bien connu et beaucoup estimé, avait servi à quelque chose. En effet, au lendemain de sa mort, 40 000 Corses défilaient dans les rues d'Ajaccio, proclamant leur fidélité à la République et réclamant le retour à l'Etat de droit.
Quant au délit - je ne sais s'il faut le qualifier ainsi dès à présent - du préfet Bernard Bonnet, à quoi aura-t-il servi ? Hélas ! à conduire, trois ou quatre jours après l'incarcération de ce dernier, 10 000 à 15 000 Corses à défiler dans ces mêmes rues d'Ajaccio,...
M. Michel Charasse. Beaucoup moins !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je l'espère, mais je n'en suis pas sûr !
... en affirmant qu'ils n'ont plus rien à faire avec l'Etat de droit et en se moquant ouvertement de l'autorité de l'Etat.
Entre ce qui vient de se passer et ce qui a pu se passer auparavant, il n'y a donc pas de comparaison possible.
Quant à ceux qui parlent d'Ouvéa, je leur rappellerai tout de même que, si une action de commando a été menée, c'est parce que quatre gendarmes avaient été assassinés, que quinze autres étaient retenus...
M. Bernard Piras. On peut parler aussi de Malik Oussékine !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... par les indépendantistes et qu'on ne savait pas s'ils n'allaient pas subir le même sort. L'action menée à Ouvéa était donc fondée. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Bernard Piras. Est-ce un débat général, monsieur le président ?
M. le président. Mon cher collègue, M. le président de la commission des lois a interrompu l'orateur avec son autorisation.
Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Michel Charasse. Quand les nationalistes défilent dans les rues, on en parle ; quand ils se rassemblent cagoulés à Tralonca, on n'en parle pas !
M. Guy Allouche. Monsieur le président de la commission des lois, il n'était pas besoin d'attendre le présumé délit de M. Bonnet - à ce jour, je n'ai pas connaissance qu'il ait avoué quoi que ce soit et il est donc, à mes yeux, présumé innocent - il nétait pas besoin de voir ce qui s'est passé, voilà quelques jours, après l'incendie de la paillote, pour constater que 15 % à 17 % de Corses - c'est bien plus que ceux qui ont défilé dans la rue ! - avaient voté nationaliste aux dernières élections ! Voilà ce que, pour ma part, je retiens.
Effectivement, au lendemain du terrible assassinat de M. Erignac, il y a eu cette belle manifestation, sur l'initiative de nombre de femmes très courageuses. Il n'empêche que, quinze mois plus tard, le silence perdure ! Comme je l'ai dit tout à l'heure, le ou les assassins du préfet Erignac ont des amis qui sont bien trop silencieux !
M. Michel Charasse. Il est plus facile d'arrêter un préfet qu'un tueur... surtout en Corse !
M. Guy Allouche. J'en reviens à la comparaison que je faisais avec des ministres précédents.
Tout récemment, lors des dernières élections régionales, les élus parlementaires corses de droite ont fait campagne contre l'autonomisme déclaré de certains. Or, ce sont les mêmes, et notamment M. José Rossi, dont je veux tout de même croire qu'il est une figure marquante de l'île de Beauté,...
M. Michel Charasse. Il a été mis en examen. Mais il a droit, lui aussi, à la présomption d'innocence !
M. Guy Allouche. ... qui sont allés négocier et pactiser, à l'assemblée de Corse, avec les autonomistes qu'ils avaient combattus quelques jours avant en des termes que je ne veux pas rappeler ici - ce serait beaucoup trop long.
M. Michel Charasse. Commediante ! Tragediante !
M. Guy Allouche. Quant au jugement des Français sur le comportement d'une majorité d'élus corses de droite, il est sans appel. Je ne veux pas rappeler ici les statistiques judiciaires, et ce parce que je ne veux pas être discourtois.
Le bilan de l'action du Gouvernement, avant cette triste affaire de la paillote, est plus qu'honorable, et le préfet Bernard Bonnet y a sa part.
Qu'on en juge !
En 1995, il y avait eu 602 attentats, soit cinq fois plus qu'en 1998 ; 59 personnes avaient été interpellées et 28 avaient été écrouées.
En 1998, le nombre d'attentats à l'explosif a chuté de 69 % par rapport à 1997, passant de 315 à 98.
M. Hubert Haenel. Et un préfet a été tué !
M. Guy Allouche. Les vols à main armée ont diminué de 62 % et les incendies volontaires de 39 %.
En 1998, il y a eu 430 interpellations et 55 personnes ont été écrouées, pour cinq fois moins d'attentats. Quatre fois plus de personnes ont été déférées devant la justice. En un an - en 1998 - 107 dossiers d'information judiciaire ont été ouverts et 165 personnes ont été mises en examen. Dans les semaines qui viennent, la cour d'assises spéciale de Paris aura à juger sept affaires liées au terrorisme.
Depuis dix-huit mois, je me dois de le rappeler, la loi est mieux appliquée ; le contrôle de légalité a été considérablement renforcé ; les délais de saisine du tribunal administratif ont été réduits ; le suivi de l'exécution des décisions de justice a été renforcé, notamment dans le domaine de l'urbanisme - et pour cause ! la jouissance d'un littoral propre et accessible à tous a fait l'objet d'un rappel du respect des règles d'urbanisme.
Le renforcement des contrôles fiscaux s'est accentué, un vaste programme d'inspection a été défini depuis mars 1998 dans tous les secteurs : agriculture, éducation nationale, fonds européens, équipement, action sociale... d'où un certain nombre de mises en examen.
De nombreuses enquêtes judiciaires se poursuivent et concernent notamment la Caisse régionale de crédit agricole de Corse, la mutualité sociale agricole, la chambre d'agriculture de la Haute-Corse, la chambre de commerce et d'industrie de Corse-du-Sud, la direction régionale des affaires culturelles, la DRAC, la direction régionale de l'industrie et de la recherche, la DRIR, etc.
M. Michel Charasse. Et la CADEC !
M. Guy Allouche. Il serait bien trop long, cher ami Charasse, de rappeler tout ce qui a été entrepris en dix-huit mois. Et ce bilan-là ne souffre aucune comparaison !
Mais entendre tant de caciques corses en délicatesse avec la loi n'avoir, ces jours-ci, que l'Etat de droit à la bouche, voir des parlementaires élus de l'île, épaulés par d'autres parlementaires - je pense notamment à M. Léotard, le premier à avoir lancé l'idée d'une motion de censure - manifester contre la règle de la loi « littoral » imposée à ces fameuses paillotes, qui ont fait l'objet de décisions de justice, venir nous donner une leçon de morale civique, alors là, non ! trop c'est trop ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
Après l'assassinat du préfet Erignac et dans le cadre du retour progressif à l'Etat de droit en Corse, nous aurions pu penser que la représentation nationale se montrerait unanime - au moins tacitement... sans trop le dire - pour reconnaître les efforts entrepris par ce gouvernement, tout comme elle l'a été pour approuver le constat et les solutions contenus dans le rapport Glavany, rapport ô combien sévère, approuvé à l'unanimité.
Bien plus que pour éclairer la représentation nationale, l'opposition de droite croit devoir utiliser cette déplorable affaire à des fins politiciennes, avec le secret espoir de mettre à mal le Gouvernement sur sa gestion...
M. Christian de La Malène. Non, il s'est mis à mal tout seul !
M. Michel Charasse. Alors, ce n'est pas la peine d'en rajouter !
M. Claude Estier. C'est ce que vous croyez, monsieur de La Malène !
M. Bernard Piras. Ce n'est pas ce que dit l'opinion publique ! Les urnes parleront !
M. le président. Mes chers collègues, ayez la gentillesse de laisser parler l'orateur !
M. Guy Allouche. Monsieur de La Malène, si la situation du Gouvernement est mauvaise, la vôtre est désespérée ! (Rires et applaudissements sur les travées socialistes.)
L'opposition de droite, dis-je, croit devoir utiliser cette affaire avec le secret espoir de mettre à mal le Gouvernement sur sa gestion de la situation en Corse, faute d'être en mesure de le faire sur l'ensemble de sa politique. Elle s'imagine que c'en est fini du mythe de la « vertu jospinienne », que le chef du Gouvernement succombe enfin à la banalisation, notamment à propos de la Corse ! La même opposition de droite, plus que jamais divisée,...
M. Gérard Cornu. Plurielle !
M. Guy Allouche. ... espère rallier une majorité de la population française à cette dénonciation de l'action gouvernementale. Mes chers collègues, vous vous trompez lourdement !
M. Michel Charasse Ils n'ont rien à se mettre sous la dent !
M. Guy Allouche. M. Raymond Barre, qui n'est pas de nos amis, a exprimé un point de vue qui, me semble-t-il, est celui d'une majorité de Français exaspérés qui disent : « Il s'est passé cela en Corse ? Oui, et alors ? » Ces Français se demandent qui sont les vrais coupables : sont-ce ceux qui ont été poussés à bout pour s'être heurtés à la coalition de tous les calculs, intérêts et hypocrisies, ou ceux qui se drapent dans l'Etat de droit pour mieux le contourner ? Sont-ce ceux qui enragent...
M. Patrice Gélard. Le PS ?
M. Guy Allouche... et qui craquent à l'idée de ne pouvoir faire respecter l'ordre, ou ceux qui prospèrent et triomphent dans les plis du désordre institué ?
J'ai fait allusion à M. Raymond Barre. Prenons garde, mes chers collègues, de ne pas accentuer un phénomène de rejet qui est déjà nettement perceptible. Ne suscitons pas la division des Français. Cette affaire est un coup dur pour le Gouvernement - oui, il l'a reconnu -, et la lisibilité de son action en Corse, mais c'est aussi un coup dur qui est porté à la Corse elle-même, à son image de plus en plus dégradée au sein de la République, alors que les problèmes auxquels cette île est confrontée sont réels.
Une commission d'enquête sur le fonctionnement, la coordination et la direction des services publics de sécurité en Corse est demandée par la majorité de droite du Sénat, qui dispose ici, je le rappelle, d'un monopole de proposition. J'espère qu'un jour cela changera et que le président actuel du Sénat ira dans le sens que nous souhaitons. Si j'ose dire, l'Etat de droit, en la matière, n'est pas reconnu à la minorité sénatoriale. (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Un sénateur du RPR. C'est exagéré !
M. Bernard Piras. Mais c'est vrai !
M. Guy Allouche. Oui, mes chers collègues, vous usez et abusez de ce droit de proposition, qui nous est refusé, au Sénat, alors que vos amis qui siègent à l'Assemblée nationale, eux, en disposent.
Vous seriez bien avisés de vous inspirer de l'initiative prise par M. Barnier, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, qui a accepté que l'une des trois questions sur un sujet européen qui sont posées chaque année au Sénat soit présentée par un membre de la minorité sénatoriale.
Nous ne ferons aucune objection, je l'ai dit tout à l'heure et je le répète, à la création d'une commission d'enquête. Si je me laissais aller, mes chers collègues, je vous en remercierai même, d'une part parce que cela fait partie des prérogatives parlementaires, d'autre part parce que la représentation nationale a besoin d'être éclairée sur ce qui s'est passé en Corse.
M. Michel Charasse. Nous n'avons rien à cacher !
M. Guy Allouche. Cette commission sera, je l'espère, une force de proposition.
Je crains cependant qu'elle ne soit quelque peu limitée dans ses pouvoirs d'investigation, car le champ de son enquête recoupe inévitablement un certain nombre de faits qui font l'objet de poursuites judiciaires.
Par ailleurs, sur la chaîne de responsabilités, deux rapports d'inspection des ministères de l'intérieur et de la défense, aussitôt diligentés par le Gouvernement, viennent d'être rendus publics, conformément à l'engagement pris par M. le Premier ministre d'assurer la plus grande transparence dans cette affaire.
Par un amendement, nous demanderons que le champ d'investigation de cette commission d'enquête soit élargi et remonte au début de la dixième législature, et non pas seulement à l'assassinat du préfet Erignac.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Pour mieux noyer le poisson !
M. Hilaire Flandre. Pourquoi pas à Napoléon ? (Rires.)
M. Guy Allouche. A Pascal Paoli aussi peut-être !
Cette commission d'enquête ne peut travailler correctement que par comparaison de plusieurs périodes. Nous souhaitons que le point de départ de l'enquête soit précisé dans le texte qui sera adopté. Nous ne voulons pas laisser à la commission d'enquête le soin de décider de ce point de départ. Vouloir n'enquêter que sur la période postérieure à la mort du préfet Erignac signifierait-il que tout était parfait en Corse auparavant, que cette mort était purement accidentelle et que, depuis cette mort, le dysfonctionnement est total et général ?
Je développerai ce point lors de l'exposé de notre amendement, mais je tiens à dire dès à présent - et je vous demande, mes chers collègues, d'y être attentifs - que, dans la mesure où une commission d'enquête est également constituée à l'Assemblée nationale aujourd'hui même et que son travail portera sur deux législatures, il serait fâcheux que la commission d'enquête sénatoriale apparaisse comme une opération purement politicienne, un coup politique.
Je m'adresse à M. Arthuis en paraphrasant Clemenceau, qui disait que quand on veut enterrer un problème, on créé une commission : pour votre part, monsieur Arthuis, quand vous voulez faire un coup politique, vous créez une commission d'enquête parlementaire !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. L'Assemblée nationale n'a-t-elle pas fait de même ?
M. Guy Allouche. Je vous rappelle, monsieur le rapporteur, que la demande a été votée par la majorité de l'Assemblée nationale, et non pas par l'opposition. (« Et alors ? », sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants.)
M. Hilaire Flandre. Donc, elle suit les conseils deClemenceau !
M. Michel Charasse. C'est très bien ! C'est normal !
M. Guy Allouche. Bien que nous soyons, je le répète, favorables à la création d'une commission d'enquête, j'indique que notre vote final dépendra du sort qui sera réservé à notre amendement. (Sourires sur les travées du RPR.)
Mais ayez constamment à l'esprit que tout ce que la droite sénatoriale voudra passer sous silence lors de cette enquête, la majorité de gauche de l'Assemblée nationale le mettra davantage en lumière. Une fois de plus, le Sénat risque de se décrédibiliser !
M. Jean Chérioux. Mais c'est une maladie que de toujours nous donner des leçons !
M. Bernard Piras. Ecoutez un peu, cela peut vous servir !
M. Jean Chérioux. Toujours des leçons !
M. Guy Allouche. De l'enquête judiciaire, nous espérons connaître dans les meilleurs délais le nom de celui qui a donné l'ordre d'incendier la paillote. La justice suivra son cours et des sanctions seront prises.
Nous espérons également que la justice nous fera connaître très vite le nom de celui qui a abattu le préfet Erignac, ainsi que celui de tous ses complices.
M. Gérard Cornu. Eh oui, on l'attend !
M. Jean Chérioux. Nous l'attendons !
M. Michel Charasse. Nous aussi, et avec le même dynamisme que contre le préfet Bonnet !
M. Dominique Leclerc. Tous, nous l'attendons !
M. Guy Allouche. De cette commission d'enquête sénatoriale, nous attendons qu'elle travaille dans l'intérêt de la République, de l'Etat de droit, de la Corse, et non pas à la satisfaction d'une vaine et basse querelle politicienne.
M. Hilaire Flandre. Parlez pour vous-mêmes !
M. Guy Allouche. Il s'agit de refuser que, dans un territoire de la République, force ne reste pas à la loi. Un préfet est mort d'avoir voulu le rappeler. Un autre est en prison pour l'avoir, peut-être, méconnu.
M. Gérard Cornu. Comme le Gouvernement Jospin !
M. Guy Allouche. Le sort du second ne doit pas nous faire oublier le destin tragique du premier. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, mes chers collègues, je veux d'abord remercier le président de la commission des lois et le rapporteur de cette proposition de résolution, qui ont été en mesure de nous présenter leurs conclusions il y a un instant.
Je veux ensuite dire à M. Allouche mon étonnement, car je le connaissais mesuré dans ses propos et il vient de s'exprimer, me semble-t-il, à la lisière de l'emphase et de la polémique !
M. Claude Estier. Qui a parlé de mensonge d'Etat ?
M. Jean Arthuis. Monsieur Estier, convenez qu'il puisse y avoir trouble lorsque le ministre de l'intérieur nous présente une lettre signée de la main du préfet...
Plusieurs sénateurs socialistes. Où est le mensonge ?
M. le président. Mes chers collègues, veuillez avoir l'amabilité de laisser parler l'orateur !
M. Jean Arthuis. Permettez-moi de vous dire aussi qu'il y a trouble dans nos esprits lorsque le Premier ministre, interrogé, se porte garant du ministre de l'intérieur, du ministre de la défense, du garde des sceaux...
Plusieurs sénateurs socialistes. Heureusement !
M. Jean Arthuis. ... de lui-même...
Plusieurs sénateurs socialistes. Et alors ? Où est le mensonge ?
M. Jean Arthuis. ... et qu'il ajoute : « Mes collaborateurs à Matignon n'étaient pas informés (Sourires sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR) et n'ont pu contribuer à donner des instructions. »
Plusieurs sénateurs socialistes. Eh bien oui !
M. Jean Arthuis. Mais qu'en est-il des membres du cabinet du ministre de l'intérieur et du cabinet du ministre de la défense ?
M. Bernard Piras. Où est le mensonge ?
M. Michel Charasse. Il n'y a pas de mensonge !
M. Jean Arthuis. Il y a légitime interrogation.
Plusieurs sénateurs socialistes. Il n'y a pas de mensonge !
M. le président. Laissez parler l'orateur, s'il vous plaît !
M. Jean Arthuis. Le président de la commission des lois vous a dit qu'il espérait bien que la justice ferait la lumière.
Mais convenez qu'il puisse y avoir trouble et que l'on puisse qualifier la situation de confuse dès lors qu'un préfet a été assassiné et que son successeur est en prison.
Monsieur Allouche, vous vous êtes étonné dans un premier temps que le préfet puisse être en prison alors même qu'il est présumé innocent. C'est vrai ! Vous avez semblé vous étonner un moment que les procédures le maintiennent incarcéré. Puis, vous avez ajouté quelques instants plus tard que, finalement, le Gouvernement avait laissé faire la justice.
Peut-être serez-vous amené à vous demander si un certain nombre de réformes présentées par le Gouvernement sur le fonctionnement de l'institution judiciaire trouvent tout leur fondement...
M. Marcel Debarge. Avec l'aval du Président de la République !
M. Jean Arthuis. Voilà autant de questions que nous serons amenés à poser. Il y a là, s'agissant de l'organisation des pouvoirs publics, une interrogation à laquelle le Parlement est en droit d'obtenir réponse.
De grâce, ne vous méprenez pas ! Nous voulons comprendre ce qu'a été cette organisation spécifique. Au lendemain de l'assassinat du préfet Erignac, ...
Mme Hélène Luc. Et avant ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Avant, il n'y a pas eu de préfet assassiné !
M. Jean Arthuis. ... le Gouvernement nous a fait connaître la mesure des dispositions exceptionnelles qu'il mettait en oeuvre. Le résultat est là : aujourd'hui, deux piliers de la République, le corps préfectoral et la gendarmerie, se trouvent déstabilisés. Voilà qui justifie que nous fassions la lumière sur cette organisation originale, et rien d'autre.
Alors, évitez s'il vous plaît les procès d'intention !
La majorité à l'Assemblée nationale va décider de créer une commission d'enquête.
Mme Hélène Luc. A l'Assemblée nationale, elle portera sur une période de six ans !
M. Jean Arthuis. La majorité sénatoriale vous propose une commission d'enquête. Il s'agit de faire la lumière, et de rien d'autre.
Personne n'a dit ici que, dans le passé, les gouvernements, sous quelque législature que ce fut, avaient tous été exemplaires dans la gestion de la Corse. Ce qui nous préoccupe, c'est de comprendre ces faits exceptionnels qui ont abouti à des circonstances exceptionnelles. Ce qui nous préoccupe, c'est l'avenir des deux départements de Corse et l'organisation des pouvoirs publics contribuant à la sécurité en Corse.
Oui, nous sommes attachés à l'Etat de droit. C'est pourquoi nous voulons faire toute la lumière sur une organisation apparemment exceptionnelle, qui s'est peut-être bien tenue à distance de l'Etat de droit. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Bernard Piras. Vous manquez d'arguments !
Mme Hélène Luc. Pourquoi alors, en 1996, avez-vous refusé la création d'une commission d'enquête comme nous le proposions !
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. La situation en Corse est d'une exceptionnelle gravité. La mise en examen, l'arrestation du préfet Bernard Bonnet en sont la démonstration évidente.
L'heure est grave et nous devons bien mesurer la profondeur de la blessure du peuple corse et la portée du coup asséné à la République par cette affaire dite « de la paillote », que l'on peut qualifier de déplorable. L'Etat, par l'intermédiaire de son plus haut représentant sur l'île, serait en effet impliqué dans un incendie criminel.
Selon nous, cette crise, son acuité doivent écarter toute attitude politicienne.
Je tiens à rappeler d'entrée que la violence, les trafics et méthodes mafieuses, le terrorisme, ne sévissent pas en Corse seulement depuis le terrible assassinat du préfet Erignac.
Il s'agit du résultat d'un processus long, qui doit faire l'objet d'une étude précise et complète. Toute tentative de jeter l'opprobe sur deux ou trois années de gestion, et elles seules, traduirait de la part de telle ou telle formation politique le souhait d'exploiter une crise.
Le souci du groupe communiste républicain et citoyen est double : d'une part, la justice doit faire son travail et cela de manière exemplaire, car c'est l'honneur de la République qui est en cause ; d'autre part, nous approuvons la volonté de transparence du Gouvernement et la rapidité de l'engagement des procédures.
La justice fonctionne, Mme la garde des sceaux l'a rappelé ici même, et notre collègue Guy Allouche, il y a un instant, a cité quelques chiffres qui l'attestent.
Je tiens à m'interroger sur les conditions de l'action future de la commission d'enquête puisque, selon les textes, cette dernière ne peut être motivée par des faits faisant l'objet d'une procédure judiciaire.
M. Josselin de Rohan. Ce n'est pas cela qui nous intéresse !
M. Robert Bret. Qui peut nier que l'objet de la présente commission d'enquête est liée à une telle procédure ?
Il est pour nous particulièrement insupportable, alors que les institutions sont déstabilisées dans l'île, d'assister à la surenchère politicienne de certains hommes politiques de droite.
Comme mon ami Robert Hue, je me demande si la droite n'a pas perdu le sens de l'Etat. (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Marc Massion. L'a-t-elle jamais eu ?
M. Robert Bret. La situation en Corse nécessite de chacun responsabilité et humilité.
Un bref rappel historique depuis les événements l'Aléria en 1975 témoignera que jamais la violence en Corse n'a été réellement jugulée.
De la nuit bleue de 1979 à l'assassinat, à Ajaccio, de Jean-Paul Leroy, président de l'Association pour la défense des victimes du terrorisme, le 17 juin 1987, de l'assassinat, en 1990, du président de la chambre d'agriculture à la guerre des clans de 1995, de la fameuse conférence de presse où 600 hommes en armes annonçaient un accord avec Jean-Louis Debré, alors ministre de l'intérieur, à l'assassinat de Claude Erignac, le 6 mai 1998, la violence, les difficultés des forces de sécurité dans l'île ne sont pas nouvelles.
Les sénateurs communistes l'affirment sans hésitation : ils sont pour la transparence ; ils ne sont donc nullement hostiles, par principe, à une commission d'enquête. C'est un droit du Parlement.
Nous estimons cependant que cette commission, pour dépasser l'objectif politicien aujourd'hui fixé, doit couvrir un large champ temporel, d'au moins six ans, selon nous.
M. Josselin de Rohan. Un siècle !
Mme Nicole Borvo. Mais non ! Six ans, pas un siècle !
M. Robert Bret. Nous proposons d'ailleurs d'amender le texte en ce sens.
Comme nous l'avons indiqué lors de l'examen du rapport en commission des lois, l'acceptation par la majorité sénatoriale de cette condition de durée conditionnera notre approbation.
Comment imaginer que la droite, qui est à la tête de l'Assemblée territoriale depuis 1984, ne recherche la source du dysfonctionnement de la société corse qu'à compter de l'assassinat, l'an dernier, du préfet Erignac ?
Nous savons, bien entendu, que la décision du champ temporel est renvoyée à la première réunion de la commission d'enquête.
Il nous paraît cependant nécessaire de fixer cette durée dès la décision de constitution de la commission d'enquête, c'est-à-dire dès aujourd'hui.
Plus généralement, nous estimons que la réflexion sur la Corse ne doit surtout pas se limiter aux questions de sécurité. Ces dernières doivent être englobées dans une réflexion plus large concernant la situation économique, sociale et institutionnelle.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen avaient d'ailleurs déposé une demande de constitution d'une commission d'enquête le 27 juin 1996.
La première phrase de l'exposé des motifs de notre texte était évocatrice : « La situation en Corse est grave. Les attentats aveugles de ces derniers mois, le tout récent drame de Bastia nécessitent des mesures urgentes et des interventions fortes pour assurer l'Etat de droit. »
Pourquoi, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, ne pas avoir instauré cette commission d'enquête avant que la situation s'aggrave encore ? Votre refus d'alors montre bien le caractère partisan de votre démarche d'aujourd'hui.
Il a fallu que ce soit l'Assemblée nationale qui décide de l'instauration d'une telle commission d'enquête et qui produise, le 3 septembre 1998, un important et intéressant rapport, présenté par M. Glavany, alors député.
M. Josselin de Rohan. Et si vous parliez du GPS ? Cela vous dit quelque chose ?...
M. Robert Bret. Nous affirmions, dès 1996, que la Corse était malade du chômage. Je crois qu'il est en effet indispensable, pour permettre le sursaut nécessaire, de partir de la réalité corse, de la réalité vécue par son peuple.
La réalité corse, c'est une précarisation progressive de l'emploi, c'est la dépendance croissante à l'égard des aides sociales.
La réalité corse, c'est, depuis 1996, la création d'une exception française, avec l'instauration d'une zone franche couvrant la totalité de l'île.
Des avertissements ont donc été lancés, notamment par notre groupe, en la personne de Mme Hélène Luc. La situation d'aujourd'hui était malheureusement prévisible. La déréglementation économique à outrance a déréglé la société.
Le dispositif fiscal en faveur de la Corse représente 1 500 millions de francs. Sur cette somme, 800 millions de francs reviennent aux entreprises. Il faut, selon nous, poursuivre l'effort préconisé par le rapport Glavany.
Il faut notamment contrôler les aides publiques. Nous proposons ainsi de sortir de la logique des exonérations fiscales, qui a fait la preuve de son inefficacité, et d'opter pour des mesures résolues en faveur de la relance de l'économie, de l'emploi, du pouvoir d'achat et de la consommation.
Au lieu de l'assistance, nous suggérons le développement de la Corse.
De longue date, nous rappelons qu'il y a beaucoup à faire pour le logement - il faut engager un effort de construction et de rénovation - l'équipement et les transports, ainsi que la recherche.
Nous approuvons l'effort engagé par Mme Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme, en faveur du tourisme social. La Corse a besoin, selon nous, de repenser son tourisme, qui constitue de toute évidence l'une de ses premières richesses. Il faut briser la spéculation mafieuse sur l'immobilier, qui, à terme, menace le littoral de la Corse et donc son attrait environnemental. Un effort particulier doit être poursuivi en faveur du tourisme vert.
On ne peut que regretter les conditions d'organisation du débat d'aujourd'hui. La précipitation imposée par la majorité sénatoriale, pour des raisons politiciennes, ne nous permet pas d'engager une discussion suffisamment approfondie.
Comment rétablir pleinement la légalité républicaine ?
La situation de la Corse ne se réglera pas uniquement par telle ou telle politique de rétablissement de l'ordre. Il s'agit non pas d'imposer l'Etat de droit et le respect de la légalité contre une population, mais de faire respecter la loi, en sanctionnant ceux qui l'enfreignent, ni plus ni moins.
La situation de la Corse ne se réglera pas non plus par une énième réforme institutionnelle.
C'est bien en partant de la réalité économique, sociale et culturelle de la Corse que pourra être mise en place une politique efficace de rétablissement de l'Etat de droit.
C'est bien en se fondant sur l'analyse des problèmes de la population qu'une évolution institutionnelle pourra être utile.
C'est ainsi que la confiance pourra être rétablie en Corse.
Nous estimons que, si évolution des institutions il doit y avoir, l'objectif unique doit être de permettre au peuple corse de participer à la définition des choix politiques, économiques et sociaux les concernant.
La réussite du retour à la légalité se jouera sur l'ensemble d'une politique pour la Corse.
Il faudra donc opter pour une réponse rapide aux problèmes économiques et sociaux. Cette réponse ne sera apportée que si une politique volontariste, soutenue par le peuple corse...
M. Josselin de Rohan. Ce sont des Français !
M. Robert Bret. ... est engagée.
Cette politique, de fait, tourne le dos au libéralisme sauvage symbolisé par la zone franche, que vous avez adoptée.
Nous estimons qu'il est nécessaire de revenir sur cette disposition qui a déjà fait tant de mal à la Corse pour y substituer une politique de progrès économique et social.
Vous l'avez compris, mes chers collègues : nous estimons que la commission d'enquête proposée par la majorité sénatoriale n'est pas de nature à aider réellement la Corse, son peuple, à retrouver la voie de la confiance.
Je l'ai dit et je le répète : nous souhaitons que toute la lumière soit faite sur les récents événements, mais nous estimons que le champ temporel d'investigation doit être précisé dès aujourd'hui. Une étude sur ces six dernières années nous apparaît donc nécessaire.
La modification ou non de l'article unique de la proposition de résolution en ce sens conditionnera notre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Finalement, de quoi s'agit-il ?
Il ne s'agit pas de mettre en cause, comme le laissait entendre tout à l'heure notre collègue Guy Allouche, d'accabler un préfet ou des gendarmes, dont on n'a d'ailleurs pas beaucoup parlé ; il s'agit de déterminer les raisons du dysfonctionnement des services publics de sécurité, d'en tirer les conséquences et de proposer les solutions pour y remédier.
A la suite des propos de M. Guy Allouche, je souhaite, monsieur le président, mes chers collègues, vous faire part de plusieurs observations et motifs d'étonnement.
Autant il est normal qu'une enquête judiciaire ait été ouverte, autant - vous l'avez dit, mais vous n'en avez pas tiré toutes les conséquences - les mises en détention d'un préfet et de cinq gendarmes, officiers et sous-officiers, peuvent étonner, d'autant plus que nous discuterons bientôt - à la fin du mois de juin, je pense - d'un texte relatif à la présomption d'innocence et tendant précisément à réduire la possibilité de mettre en détention, donc d'incarcérer, des prévenus.
M. Allouche a dit par ailleurs que le procureur général n'avait pas fait appel de la mise en détention. Certes ! Mais j'observe que l'avocat du préfet, maître Kiejman, non plus.
Je relève encore que c'est le droit d'un ministre - peut-être est-ce même son devoir - dans une affaire comme celle-là, s'il estime que le préfet, les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne devaient pas être incarcérés, de donner des consignes au procureur de la République d'Ajaccio pour que ces personnes soient libérées, bien entendu sous certaines contraintes, pour éviter qu'elles ne communiquent entre elles.
Je ne comprends pas non plus pourquoi, dans cette affaire, on n'a pas incité l'autorité militaire à mettre les officiers et sous-officiers de gendarmerie aux arrêts, qui, je crois, existent encore.
M. Paul Masson. C'est fait pour cela !
M. Hubert Haenel. Autre chose m'a choqué dans cette affaire corse : on a retenu la plus lourde incrimination,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est exact !
M. Hubert Haenel. ... c'est-à-dire un crime punissable de vingt ans de prison.
Engager des poursuites pour incendie en bande organisée, ce n'est pas innocent.
Sauf à « dépayser », le procès viendra devant la cour d'assises de Corse-du-Sud qui devra statuer sur le sort du préfet, des officiers et sous-officiers de gendarmerie.
Il y a peut-être là des dysfonctionnements de l'Etat qui se produisent non pas au moment des faits, ou avant les faits, mais après les faits.
Il faudrait peut-être que les différents ministres accordent leurs violons !
Enfin, vous avez parlé de morts. Mais je note que, sur plusieurs années, les gendarmes ont eu onze morts en Corse. Avec le corps préfectoral, un autre grand corps d'Etat a été profondément bouleversé et meurtri la gendarmerie.
Plutôt que d'essayer de défendre tel ou tel personnage politique, on devrait commencer par défendre les grands services de l'Etat... (Très bien ! sur les travées du RPR), sur lesquels repose, j'espère, au moins pour quelque temps encore, la solidité de l'armature de l'Etat dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Monsieur le président, mes chers collègues, ce ne sont pas les services publics de sécurité qu'il faut accabler ou qu'il faut réformer, que ce soit la police nationale ou la gendarmerie nationale. Il faut viser ceux qui sont censés les commander, ou les maîtriser. C'est donc l'Etat, notamment en Corse, qu'il faut réformer d'extrême urgence ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Après l'excellente intervention de mon ami Guy Allouche, dont je partage l'ensemble des considérations et conclusions, je me bornerai à deux brèves observations, une de portée générale et une sur le texte qui nous est soumis.
Voici l'observation de portée générale.
Dans cette affaire, mes chers collègues, qui peut mettre en cause le fonctionnement des rouages locaux de l'Etat, je ne voudrais pas qu'on oublie, et M. Haenel l'a dit voilà un instant, que l'intérêt de la République et de l'Etat, c'est que leur autorité, c'est-à-dire la force de la loi, s'exprime par l'intermédiaire de corps administratifs courageux, déterminés et ayant un haut sens de l'Etat.
Notre devoir est de défendre ces corps, quoi qu'il arrive,...
M. Paul Masson. Oui !
M. Michel Charasse. ... contre des attaques injustes et injustifiées.
C'est pourquoi je suis un peu effrayé lorsque je vois, à partir d'une faute supposée d'un préfet et d'un sous-préfet, avec quelle facilité on met aussi gravement en cause la réputation et l'honneur du corps préfectoral.
Je voudrais qu'on n'oublie jamais, y compris dans la fameuse « opinion publique », que c'est le corps civil qui a payé le plus cher sa fidélité aux idéaux républicains pendant la dernière guerre.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Michel Charasse. Et le magnifique ouvrage d'Emile Bollaert nous rappelle le sacrifice de 44 de ses membres, assassinés par la milice ou la Gestapo, terrible cortège ouvert par Jean Moulin. (M. Haenel manifeste son approbation.)
A cette liste tragique s'ajoute désormais mon camarade de jeunesse Claude Erignac.
D'autres corps, qui tiennent aujourd'hui le haut du pavé médiatique - et je ne parle pas des gendarmes - ne peuvent pas en dire autant et ne sauraient seuls s'approprier aujourd'hui la palme du courage et du dévouement à la cause de la République.
J'en viens à mon observation sur le texte lui-même. Je voudrais d'emblée demander au président et au rapporteur de la commission des lois de nous apporter, s'ils le peuvent, une précision : je voudrais savoir ce qu'ils entendent exactement par « services publics de sécurité ».
M. Hubert Haenel. Il y a également les douaniers !
M. Michel Charasse. Si l'on s'en tient à la signification littérale, cela comprend donc la police, la gendarmerie et la douane.
M. Hubert Haenel. Il y a également la DST !
M. Michel Charasse. Mais, dans la police, qu'il soit bien entendu qu'il y a aussi la police urbaine, les renseignements généraux, la direction de la surveillance du territoire - ainsi que M. Haenel vient de le dire - et la police judiciaire, y compris ses chefs, qui sont les parquets.
Si la phrase de la commission d'enquête couvre bien tous ces secteurs, alors, c'est bien l'ensemble des services publics de sécurité qui est concerné.
Je dirai à cette occasion que, même si je ne suis pas, comme mon groupe, satisfait de la proposition qui nous est soumise, compte tenu des précisions que nous souhaiterions voir apporter, il me paraît indispensable que la commission d'enquête ne fasse l'impasse sur aucun des services de police, en particulier pas sur celui dont la République et les Corses attendent le plus, c'est-à-dire la police judiciaire, qui, depuis des mois et des années, est tragiquement défaillante ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - En application de l'article 11 du règlement du Sénat et de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, il est créé une commission d'enquête de vingt et un membres sur le fonctionnement, la coordination et la direction des services publics de sécurité en Corse. »