Séance du 19 mai 1999
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 1, MM. Estier, Allouche et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter in fine l'article unique par les mots : « depuis le début de la 10e législature ».
Par amendement n° 2, Mme Luc, MM. Bret, Duffour et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter in fine l'article unique par les mots : « durant ces six dernières années ».
La parole est à M. Allouche, pour présenter l'amendement n° 1.
M. Guy Allouche. L'objet de cet amendement est de fixer dans le temps l'étendue du contrôle de cette commission d'enquête, en précisant que ses investigations commenceront au début de la 10e législature, c'est-à-dire, pour bien me faire comprendre, à partir de 1993. J'ai déjà eu l'occasion d'en dire quelques mots voilà un instant, mais je voudrais compléter mon propos.
La période couverte par cette commission d'enquête doit être fixée par la résolution. Le Sénat est appelé aujourd'hui à se prononcer sur la création d'une commission d'enquête qui aurait mandat pour enquêter sur le fonctionnement, la coordination et la direction des services publics de sécurité en Corse. Encore faut-il que ce mandat soit encadré dans le temps, et je fais mienne l'argumentation développée voilà un instant par mon ami Michel Charasse.
Selon l'article 11 du règlement de notre assemblée, « cette proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion ».
« Déterminer avec précision » suppose que notre assemblée encadre dans le temps le mandat qu'elle donne à cette commission d'enquête ; il lui appartient de définir clairement et précisément ce qu'elle veut faire. Il serait pour nous inacceptable que le Sénat ne prenne pas clairement toutes ses responsabilités en la matière.
Ces dysfonctionnements ne peuvent être mis en lumière et « compris » que s'ils sont mis en perspective par rapport à une situation passée. C'est la condition d'un bon diagnostic, qui pourra déboucher sur des propositions de solution.
Seule la prise en compte de la politique de sécurité menée par l'Etat en Corse sur une période suffisamment longue permettra d'apporter l'éclairage nécessaire sur les derniers événements.
S'il y a eu dysfonctionnement, c'est parce qu'il y a d'abord eu un fonctionnement et, si possible, correct. Nous aimerions connaître la cause du dysfonctionnement. Pour cela, il faut remonter dans le temps.
C'est la raison pour laquelle nous demandons, effectivement, que l'on prenne en considération une période de six années.
Tel est l'objet de notre amendement.
M. Josselin de Rohan. Depuis Paoli !
M. Guy Allouche. Je ne m'étendrai pas davantage ; chacun ici l'a très bien compris : plutôt que de commencer uniquement à la mort du préfet Erignac, remontons un peu dans le temps (Murmures sur les travées du RPR),...
Un sénateur socialiste. Cela vous gêne !
M. Guy Allouche. ... du mois de juin 1997 au mois de mars 1993.
M. Josselin de Rohan. Jusqu'à Napoléon !
M. le président. S'il vous plaît, mes chers collègues, laissez parler l'orateur ! Il a seul la parole !
M. Guy Allouche. Si l'on veut tirer les enseignements de ce qui s'est passé et corriger les éventuelles erreurs, il faut connaître le fonctionnement antérieur. C'est tout simplement ce que nous demandons ! (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. La commission a délibéré sur cette question. Les exposés mêmes démontrent à l'évidence que la position des auteurs de l'amendement est en contradiction avec les objectifs de la proposition de résolution. L'avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. Duffour, pour défendre l'amendement n° 2.
M. Michel Duffour. La proposition faite par la majorité sénatoriale, comme l'expliquait mon collègue M. Bret est une manoeuvre politicienne qui nous empêche totalement de comprendre les dysfonctionnements qui existent en Corse. A force de n'être ainsi fixés que sur l'événement immédiat, nous rendons totalement inintelligible ce qui s'est produit au cours de la dernière période.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Michel Duffour. En effet, les dysfonctionnements qui ont conduit aux récents événements ne peuvent se comprendre qu'à partir de l'émotion provoquée par l'assassinat du préfet Erignac, assassinat qui ne s'explique pas si l'on ne prend pas en compte les événements antérieurs en Corse.
M. Michel Charasse. Bien sûr !
M. Michel Duffour. Nous sommes donc en profond désaccord sur ce point avec la majorité sénatoriale.
La commission, en réalité - je parle là de la majorité sénatoriale - n'a pas été unanime sur ce point, loin s'en faut ! Tout à l'heure, un membre éminent de cette commission, ici présent, proposait que nous remontions à 1981. Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen auraient évidemment voté un tel amendement si son auteur lui avait donné suite. Malheureusement, il ne l'a pas fait.
Tel est l'objet de notre amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur celles du groupe socialiste.)
Mme Hélène Luc. Très bien ! M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Comme l'a fort bien indiqué M. Duffour, l'opposition est complète. La commission est donc défavorable à cet amendement !
M. le président. Je vais mettre aux l'amendement n° 1.
M. Josselin de Rohan. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Mes chers collègues, j'ai été très sensible à l'évocation faite par mon collègue et ami M. Charasse de la personne du préfet Erignac. Comme lui, j'ai été son condisciple. C'était un de mes meilleurs amis. Vous pouvez imaginer ce qu'a représenté pour moi, à titre personnel, l'assassinat de ce très grand serviteur de la République.
Je pense que, sur tous ces bancs, en ce moment, nous pouvons avoir une pensée pour lui. Cet homme exceptionnel mérite que nous ayons un débat à la hauteur de l'enjeu, à savoir le rétablissement de la paix en Corse.
Ce qui dicte notre volonté de créer une commission d'enquête est justement notre souci d'étudier les dysfonctionnements, et de le faire avec objectivité et le maximum de sérénité.
On veut faire remonter l'enquête plus loin dans le temps. Mais à quoi a servi le rapport Glavany, s'il faut recommencer ? D'autant qu'il s'agit, paraît-il, d'un rapport remarquable, dans lequel sont analysées en détail toutes les difficultés auxquelles la Corse était confrontée. Même si nous avons des opinions variées sur ce rapport, le moins que l'on puisse dire est qu'il est extrêmement complet. Pourquoi alors recommencer la même chose ?
Des événements viennent de se produire qui traduisent, de toute évidence, un dysfonctionnement grave des institutions de la République.
Quand un préfet est amené, pour des raisons que la justice, seule - j'y insiste - devra établir, à agir en marge de la légalité et à donner des ordres illégaux, quand on demande aux gendarmes de jouer le rôle du voleur, il y a quelque chose qui ne va pas, qui ne fonctionne pas.
Ce n'est pas à nous d'établir la matérialité ou la réalité des faits ; mais c'est notre responsabilité d'établir la manière dont notre pays est gouverné. Qui est responsable politiquement de ce qui se produit ? Comment fonctionne, ou ne fonctionne pas, la chaîne du commandement ? C'est la seule chose que nous ayons à examiner et à établir.
Je suis d'accord avec notre collègue Michel Charasse sur une définition aussi extensive que possible. Il n'y a pas de raison d'excepter qui que ce soit surtout si nous entrons dans ce débat sans a priori et avec le seul souci de voir ce qui n'a pas fonctionné et comment on pourrait remédier à ce dysfonctionnement.
Alors, mes chers collègues, il n'y a pas d'arrière-pensée politicienne dans tout cela ; il n'y a que le désir - partagé sur toutes les travées, je l'espère - que la République et l'Etat puissent être respectés en Corse et que tous les Corses puissent se reconnaître dans la République. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je souhaiterais simplement, comme vient d'ailleurs de le rappeler M. de Rohan, que le rapporteur, ou le président de la commission des lois, ou les deux, veuillent bien me confirmer que l'interprétation extensive que j'ai donnée de l'expression « services publics de sécurité » couvre bien au moins tout ce que j'ai énuméré, c'est-à-dire la police, la gendarmerie, la douane, y compris, au sein de la police, la police judiciaire et ses chefs, c'est-à-dire les parquets.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je suis intervenu tout à l'heure sur un autre sujet, suite à certains propos tenus par notre collègue et ami Guy Allouche qui me semblaient excessifs.
J'en reviens aux propositions précises.
Je demande que l'on veuille bien lire sans a priori et sans arrière-pensée politicienne le texte de la proposition de résolution.
Il y est parlé de services publics. Tout le monde sait ce que sont les services publics ; il est inutile de faire une glose particulière pour s'interroger sur le contenu de cette expression.
La commission d'enquête, dans la plénitude de sa compétence, verra dans quelles conditions il lui est nécessaire d'englober tel ou tel service public dans le cadre de l'enquête qu'elle va mener. Je ne vois pas là qu'il y ait la moindre difficulté.
J'ai noté que l'on s'interrogeait sur l'étendue dans le temps de la mission de la commission. Je me suis reporté au règlement de notre assemblée et je n'y ai vu aucune obligation de préciser une date. Nous sommes donc en parfaite conformité avec notre règlement.
Par ailleurs, M. le rapporteur a parfaitement explicité la signification que nous attachions à la suppression du mot « intervenant » par rapport au texte initial.
Ce sont peut-être des subtilités, mon cher collègue, mais ce sont les subtilités habituelles de la commission des lois, et vous y participez très souvent.
Dire que la commission enquêtera sur les « services publics de sécurité en Corse » ne signifie pas « maintenant », ni « après » ni « avant » tel ou tel événement. La commission examinera ce qu'elle a à faire quant à la portée matérielle et fonctionnelle de l'enquête qu'elle va mener.
Il n'est besoin que de lire ce qui est écrit : les précisions de vocabulaire répondent totalement aux inquiétudes sincères qui se sont exprimées.
M. Claude Estier. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier. Je souhaiterais obtenir une clarification.
Vous venez de dire, monsieur le président de la commission, que le texte même de la proposition de résolution n'interdisait pas de remonter plus loin dans le temps. Or, M. le rapporteur refuse notre amendement, qui vise précisément à remonter dans le temps, parce qu'il serait en contradiction avec la position de la commission des lois !
J'aimerais savoir qui a raison...
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. C'est nous !
M. Claude Estier. En effet, vous ne dites pas la même chose !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Encore une fois, nous ne nous sommes pas compris - cela devient une habitude ! Aussi, je redis que la commission enquêtera sur le fonctionnement au sens large - c'est-à-dire maintenant et peut-être avant - des services publics.
M. Claude Estier. Pourquoi ne pas l'écrire ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Il n'y a donc aucune divergence entre ce que M. le rapporteur et moi-même avons dit.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Absolument !
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas très clair !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 96:
Nombre de votants | 313 |
Nombre de suffrages exprimés | 313 |
Majorité absolue des suffrages | 157 |
Pour l'adoption | 99 |
Contre | 214 |
Madame Luc, maintenez-vous votre amendement ?
Mme Hélène Luc. Oui, monsieur le président. Certains peuvent changer d'avis ! (Rires.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Intitulé
M. le président.
La commission des lois propose de rédiger comme suit l'intitulé de la
proposition de résolution : « Proposition de résolution tendant à créer une
commission d'enquête sur la conduite de la politique de sécurité menée par
l'Etat en Corse. »
Il n'y a pas d'opposition ?...
L'intitulé est ainsi rédigé.
Je vais mettre aux voix l'article unique de la proposition de résolution.
M. Guy Allouche.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Compte tenu du refus de la Haute Assemblée d'adopter l'amendement qu'il a
déposé, le groupe socialiste, sans aller jusqu'à voter contre la mise en place
de cette commission, s'abstiendra.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique de la proposition de résolution.
Mme Hélène Luc.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(La résolution est adoptée.)
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