B. DES PRATIQUES DÉCEVANTES
Comme
lors de toutes les réflexions qui suivent, votre rapporteur s'efforcera
de combiner
deux points de vue
complémentaires (" le verre
à moitié plein ou à moitié vide "). Le point
de vue optimiste permet souvent de conclure, à l'instar du rapport de M.
Jean BILLET pour le Conseil économique et social
23(
*
)
que "
les imperfections se
sont atténuées
". En revanche, le point de vue
pessimiste ne peut que constater l'écart entre les objectifs
annoncés et leur réalisation.
S'agissant de l'élaboration des propositions de l'Etat, on peut ainsi
saluer de réels
progrès
.
En premier lieu, toutes les Régions saluent l'intérêt du
document relatif à la
stratégie de l'Etat en
région
, ainsi que la qualité de
l'information
technique diffusée par les préfectures. Il en est
résulté une réelle concertation en amont de la
négociation proprement dite, qui a permis aux services de l'Etat et de
la Région de "
cheminer ensemble
" et de faire
émerger des préoccupations de moyen terme communes. Dans certains
cas, le préfet de région se fera même par la suite
quasiment "
l'avocat de la Région auprès des
administrations centrales
".
Les préfectures et les services déconcentrés de l'Etat
semblent avoir également conduit une
concertation
élargie
avec l'ensemble des acteurs locaux. Selon le ministère de l'Agriculture
et de la Pêche
24(
*
)
,
"
chaque préfet, avec l'appui de la direction régionale
de l'agriculture et de la forêt a [ainsi] procédé à
des consultations en constituant des groupes de travail par filière
économique... de façon générale, les principaux
organismes professionnels, institutionnels et syndicaux ont fait part à
l'administration de leurs attentes. A titre d'exemple, on peut citer, les
chambres d'agriculture, les Offices agricoles par produit, les organismes de
formation et de recherche
". De même, selon le ministère
de la Culture
24(
*
)
"
les
directeurs régionaux des affaires culturelles, sous l'autorité
des préfets, ont recueilli et expertisé les projets portés
par les collectivités territoriales et susceptibles d'être
proposés aux conseils régionaux pour intégration aux
contrats de plan
".
Cet effort de concertation n'est d'ailleurs pas allé sans rencontrer des
obstacles. Le ministère de la Jeunesse et des Sports souligne ainsi que
"
les organismes sportifs et de jeunesse [ont éprouvé]
des difficultés à formuler de véritables projets à
une échelle régionale
"
25(
*
)
. Par ailleurs, l'Etat ne s'est pas
toujours assez appuyé sur les préfets de département, de
sorte que les Conseils généraux se sont parfois sentis
marginalisés par les modalités de concertation retenues par
l'Etat. La concertation engagée par l'Etat a toutefois favorisé
l'intégration de
projets territoriaux
dans les contrats de plan.
Enfin, la signature d'un premier contrat de plan
interrégional
(pour le bassin parisien), la recherche d'une
péréquation
plus active et plus transparente, la limitation des conventions
spécifiques (jusqu'à 80 en région P.A.C.A. pour le
deuxième contrat de plan, dont 32 pour la recherche et 21 pour
l'habitat), constituent des
avancées
.
Cependant, le bilan de la
déconcentration
de la procédure
d'élaboration des propositions de l'Etat est pour le moins
contrasté : une petite minorité de Régions indiquent
que
" la préfecture de région semble avoir
bénéficié d'une assez grande marge de manoeuvre pendant la
négociation, dans la limite définie par les circulaires
ministérielles et le périmètre du noyau dur de la
contractualisation
", mais la plupart des Régions estiment ces
marges de manoeuvre "
très limitées "
ou
"
insuffisantes
".
Selon la DATAR
26(
*
)
,
"
Cette critique doit être placée en perspective. En
effet, la mise en oeuvre du principe de déconcentration de
l'élaboration des contrats a donné de grandes libertés aux
préfets. Ces libertés étaient nouvelles. Elles
consistaient notamment à proposer une stratégie de
développement de leur région. Elles consistaient ensuite
à répartir une enveloppe globale arrêtée en CIADT
sans précision sur la répartition de cette enveloppe entre les
ministères. Les échanges entre les SGAR et les administrations
centrales étaient limités au maximum et ne pouvaient avoir lieu
que dans le cadre de réunions présidées par la DATAR.
L'introduction de telles libertés a rendu plus difficiles à
supporter les arbitrages défavorables aux propositions des
préfets et des conseils régionaux à la fin de la
négociation. En effet, les possibilités d'adaptation des
administrations centrales, notamment sur le plan budgétaire,
comportaient des limites. Ces dernières se sont exprimées et leur
intervention à la fin du processus a été
particulièrement mal ressentie. Ainsi peut-on dire que les critiques
relatives à l'existence d'un noyau dur trop contraignant sont exactement
proportionnelles à l'accroissement des marges de manoeuvre
données aux préfets
".
En d'autres termes l'impression de la plupart des Régions selon
lesquelles les préfets disposaient de marges de manoeuvre insuffisantes
procéderait
d'attentes
excessives
ou, comme le
suggérait le rapport CHÉRÈQUE
27(
*
)
, "
d'une certaine
incompréhension
".
La frustration ressentie par certaines Régions semble néanmoins
souvent fondée, tant les marges de manoeuvre des préfets
étaient contraintes par :
- le principe du "
noyau
dur
" ;
- la
répartition préalable
par ministère de
l'ensemble de
l'enveloppe
affectée par l'Etat à la
région (y compris pour la partie théoriquement laissée
à l'initiative préfectorale). En effet, comme l'indique le
ministère de l'Intérieur
28(
*
)
et contrairement aux assertions de la
DATAR, "
le dispositif reposait très largement sur des enveloppes
arrêtées par ministère
". Les préfets
n'ont pu modifier cette pré-affectation qu'à la marge au niveau
régional, et la DATAR elle même n'a guère
altéré cette répartition au niveau national. Pour la
première année du contrat, cela s'explique notamment par le fait
que les crédits de chaque ministère aient été
pré-arrêtés dans le cadre de la préparation de la
loi de finances, bien avant les demandes des préfets, leurs marges de
manoeuvre étant ainsi réduites par la spécialisation
budgétaire. Plus généralement, cela résulte,
comme l'indique le ministère de la Culture
29(
*
)
, de ce que "
l'enveloppe
financière globale et sa répartition région par
région sont contraintes par la base budgétaire du
ministère et la place qui lui est accordée en fonction
d'arbitrages interministériels
" ;
-
l'encadrement
des projets susceptibles d'être
contractualisés par des procédures, des circulaires ou des clefs
de financement élaborées par les administrations centrales et
s'imposant en droit ou en fait aux administrations déconcentrées.
Le rôle de ces dernières fut souvent moins de porter des projets
locaux que de vérifier leur compatibilité vis à vis des
critères énoncés à Paris ;
- les
pressions
exercées par les administrations centrales. Dans
son rapport
30(
*
)
pour 1998, la
Cour des Comptes a ainsi estimé que "
les administrations
centrales ont été aussi interventionnistes que par le
passé, la Direction des routes tout particulièrement, allant bien
au delà de la mission de régulation nationale et de fixation des
normes qui lui incombe en propre
". Cette observation n'a d'ailleurs
pas été démentie par le ministère de l'Equipement
dans sa réponse à la Cour, même si la ministre de
l'Aménagement du territoire estime qu'il s'agit d'un exemple
"
unique
" ;
- la volonté des administrations centrales, relayée par leurs
services déconcentrés, de contractualiser certaines de leurs
politiques pour les " sanctuariser ", c'est à dire pour les
protéger des
régulations budgétaires
qui
s'annonçaient avec le creusement du déficit budgétaire en
1993 ;
- la fréquence des
mouvements préfectoraux
: les
préfets de région découvrent parfois le territoire au
moment où s'élaborent les propositions de l'Etat, ce qui ne leur
permet guère d'imposer leur rôle de coordination face à des
services déconcentrés implantés de longue date.
L'exclusivité du dialogue entre les préfectures et la DATAR a
donc été battue en brèche par la
logique
sectorielle
des contrats de plan et par la primauté des
échanges entre les administrations centrales et les administrations
déconcentrées, de sorte que la déconcentration de
l'élaboration des propositions de l'Etat a été
laissée au libre choix des ministères, certains jouant plus le
jeu que d'autres (cf. encadré ci-après).
LES RÉPONSES DE QUELQUES MINISTÈRES
QUANT
AUX RÔLES RESPECTIFS
DE LEURS ADMINISTRATIONS CENTRALES ET DE LEURS
SERVICES DÉCONCENTRÉS POUR L'ÉLABORATION DES
TROISIÈMES CONTRATS DE PLAN
Le
ministère de l'Agriculture et de la Pêche : un modèle
vertueux ?
L'administration centrale a organisé des débats au sein du
conseil supérieur d'orientation agricole relatifs aux objectifs
assignés aux contrats de plan, ainsi qu'aux ventilations
régionales des enveloppes.
Cependant, " p
our la période 1994-1999, l'administration
centrale n'a pas participé à l'élaboration et à la
négociation des contrats de plan, ce rôle étant
dévolu au préfet de région. Il faut rappeler que les
préfets avaient toute latitude d'utilisation de l'enveloppe globale qui
leur a été attribuée. En revanche, les services
déconcentrés du ministère ont joué un rôle
actif car ils ont été une source de propositions au niveau
régional quant aux principales actions qui pouvaient faire l'objet d'une
contractualisation.
Ils ont eu recours pour ce faire à la connaissance des politiques
générales menées par le ministère, mais ils n'ont
pu recevoir d'instructions précises, conformément à la
méthode retenue à l'époque par la DATAR. Ainsi,
l'administration s'est trouvée dans " l'obligation " de
satisfaire les demandes des préfets. La discussion n'a eu lieu que dans
le cas où les demandes dépassaient les possibilités
budgétaires
".
Le ministère de la Culture et le ministère de l'Emploi et de
la Solidarité : des propositions inscrites dans le cadre des
orientations nationales établies par le ministre à partir des
propositions déconcentrées.
Pour le ministère de la
Culture
31(
*
)
"
les directeurs
régionaux des affaires culturelles, sous l'autorité du
préfet, ont recueilli et expertisé les projets portés par
les collectivités territoriales et susceptibles d'être
proposés aux Conseils régionaux pour intégration au
contrat de plan Etat-Région. L'établissement d'une liste de
projets est constitué dans le cadre des orientations du ministre
chargé de la culture...[ces priorités] se sont néanmoins
appuyées sur l'analyse fine de l'état actuel du
développement culturel dans chaque région. L'administration
centrale a également interrogé les DRAC sur leur estimation de
l'enveloppe financière et sur une hiérarchisation des
priorités locales
".
Pour le ministère de
l'Emploi et de la
Solidarité
32(
*
)
"
dans un premier temps, les différentes directions de
l'administration centrale ont proposé un certain nombre de
priorités à retenir pour les troisièmes CPER,
conformément aux priorités ministérielles. En même
temps, au niveau local, les services déconcentrés ont, eux aussi,
exprimé les priorités qu'ils souhaiteraient retenir à
partir d'un diagnostic partagé localement avec les principaux
partenaires (collectivités locales, associations).
Le directeur de Cabinet du ministre a désigné un inspecteur de
l'IGAS pour coordonner l'ensemble de la procédure. Celui-ci a
présenté de manière synthétique les projets
émanant des régions. Les directions ont alors
procédé à un premier choix des actions pouvant donner lieu
à contractualisation. Il a été soumis à l'arbitrage
du ministre et les axes ouverts à la contractualisation ont ainsi pu
être arrêtés.
Particulièrement en matière d'action sociale, le travail
mené au niveau local a permis que les élus (conseillers
régionaux et généraux) consultés par les
préfets, sur la base des propositions des DRASS, adhèrent aux
propositions de contractualisation, et particulièrement à
l'humanisation des hospices. Cette adhésion a ensuite facilité
les négociations ultérieures et permis de retenir des
priorités consensuelles
".
Le ministère de l'Equipement, des Transports et du Logement :
une élaboration relativement centralisée.
"
Les propositions de l'Etat ont été établies sur
la base des politiques globales conduites par le METL dans ses principaux
domaines de compétence...et préparées par des travaux
d'analyse et de prévision conduits par l'administration centrale du
ministère avec le concours actif des services
déconcentrés...Ces orientations politiques ont guidé les
préfets de région, qui, en s'appuyant sur les services
déconcentrés des ministères, et principalement les
directions régionales de l'équipement, ont élaboré
les documents préparatoires aux mandats de
négociation.
"
33(
*
)
Au total, la
capacité d'initiative
et de coordination de l'Etat
déconcentré a été le plus souvent
décevante
.
Par surcroît, à l'exception du ministère de l'Equipement
et, dans une moindre mesure, du ministère de l'Industrie
34(
*
)
, aucun ministère n'a
indiqué à votre rapporteur que ses services centraux, ses
services déconcentrés ou les préfectures aient
réalisé, en préalable à l'élaboration des
propositions de l'Etat, un
bilan
circonstancié des politiques
conduites dans le cadre des contrats de plan précédents ou des
études d'impact
des actions envisagées.
Enfin, selon certaines Régions, les négociations ont parfois
été "
engagées par l'Etat en l'absence de tout
chiffrage précis sur les opérations relevant de sa
compétence "
, notamment en matière d'infrastructures de
communication et d'enseignement supérieur, "
ce qui a pu
entraîner des retards dans la réalisation des travaux ou encore
une augmentation des enveloppes financières
nécessaires
".
Le discours rationnel et sans doute idéaliste des circulaires relatives
à l'élaboration des troisièmes contrats de plan
Etat-Région semble donc s'être heurté à la
rigidité
des procédures budgétaires, comme à
l'inertie et au
cloisonnement
des administrations de l'Etat : en
témoigne par exemple
a
contrario
le souhait du
ministère de l'Equipement
35(
*
)
que la méthode
d'élaboration des quatrièmes contrats de plan soit
"
mieux déconcentrée
" et comporte une
"
répartition des enveloppes entre les régions plus
proche des besoins réels à satisfaire
".
Comme le soulignait le Président du Sénat, M. Christian PONCELET,
dans un discours prononcé le 13 octobre 1999 au 69ème
congrès de l'Assemblée des départements de France, l'Etat
doit donc enfin tirer les leçons de la décentralisation par
"
une vigoureuse déconcentration
" de ses services et
l'application du principe de subsidiarité, de sorte que les
préfets deviennent "
enfin de véritables partenaires pour
les élus locaux, assumant la coordination de l'ensemble des services
déconcentrés et capables d'engager l'Etat et tout
l'Etat
".