B. LES CONTRATS DE PLAN : UNE NOTION EN MANQUE DE DROIT ?
La
jurisprudence relative aux contrats de plan est réduite, relativement
méconnue au-delà du cercle étroit des praticiens du droit
administratif, évolutive et ambiguë.
• Les contrats de plan sont des
contrats
et non des actes
administratifs unilatéraux. Cela résulte directement du texte de
la loi du 29 juillet 1982, dont l'article 12 disposait " [les
contrats de plan]
sont réputés ne contenir que des
clauses
contractuelles
".
Cette interprétation a été confirmée par
l'arrêt du Conseil d'Etat du 8 janvier 1988
Synchrotron
.
Cet arrêt réaffirmait une jurisprudence bien établie :
"
la méconnaissance des stipulations d'un contrat... ne peut
utilement être invoquée comme moyen de légalité
à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir formé
à l'encontre d'une décision administrative
".
Dans le cas d'espèce, les collectivités alsaciennes plaignantes
(la Région Alsace, les Départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin,
ainsi que la Communauté urbaine et la Ville de Strasbourg) ne pouvaient
donc obtenir l'annulation de la décision du Premier ministre de retenir
la candidature de Grenoble pour l'implantation d'un synchrotron
européen, alors qu'il s'était engagé dans le contrat de
plan à soutenir la candidature de Strasbourg.
En revanche, le Conseil d'Etat indiquait par une incidente, que s'il
était saisi d'une violation des stipulations du contrat par le
cocontractant de l'Etat, il pouvait sanctionner cette violation d'une
indemnité
:
" la méconnaissance des
stipulations d'un contrat... est susceptible d'engager, le cas
échéant [
c'est à dire notamment sous réserve
d'un préjudice
], la
responsabilité
d'une partie vis
à vis de son cocontractant
".
Comme l'indiquait alors la doctrine "
la volonté du
législateur, qui était de placer la législation dans un
cadre pleinement contractuel, et non plus sur un écheveau de
déclarations d'intention, s'en trouvait donc parfaitement
explicitée
"
114(
*
)
.
"
En d'autres termes, les clauses des contrats de plan signés
sur la base de la loi du 29 juillet 1982 ne sont ni de simples
déclarations d'intention, ni des dispositions à valeur
réglementaire, mais des engagements réciproques
générateurs d'obligations juridiquement
sanctionnables
"
115(
*
)
, à l'instar des contrats de
droit privé.
• Cependant, plusieurs arrêts ultérieurs, où
certains voient un revirement de jurisprudence, ont affirmé que les
contrats de plan sont des
contrats
sans effet direct
.
Ainsi, selon l'arrêt du Conseil d'Etat
Estuaire Ecologie
du
25 octobre 1996
116(
*
)
,
"
il ressort de l'ensemble des dispositions du chapitre II du titre
1
er
de la loi du 29 juillet 1982
...
qu'un contrat de plan
Etat-Région n'emporte par lui même aucune conséquence
directe quant à la réalisation des actions qu'il
prévoit
".
En l'espèce, une association de défense de l'environnement
n'était donc pas fondée à attaquer l'inscription dans le
contrat de plan d'engagements relatifs à l'aménagement d'une zone
portuaire.
Selon la doctrine, cet arrêt "
vidait largement le contrat de
plan de son contenu contractuel et confirmait une évolution
engagée depuis quelques années
"
117(
*
)
.
D'ailleurs, pour le Commissaire du gouvernement, ces contrats ne produisent pas
"
par eux-mêmes d'effets juridiques suffisants pour justifier un
recours pour excès de pouvoir. Nul ne conteste l'importance politique
qu'ils ont acquis, ni l'intérêt programmatique qu'ils
présentent... Quant aux effets juridiques immédiats des contrats
de plan, nous ne pouvons nous empêcher de les juger bien
maigres
".
• Pourtant, comme l'illustrent les travaux préparatoires relatifs
à la loi du 29 juillet 1982, le
Parlement
avait entendu
conférer une certaine portée aux contrats de plan, afin de
garantir
les cocontractants contre l'inexécution du contrat par
l'Etat.
Ainsi, le rapporteur de la commission des Affaires économiques du
Sénat expliquait alors : "
le projet propose, en outre, que
l'Etat se soumette à la règle des contrats de droit commun,
contrairement à la jurisprudence du Conseil d'Etat. Ceci conduit
à penser qu'en cas de non respect des clauses le cocontractant serait en
droit de prétendre à des dommages et intérêts. C'est
une innovation importante
".
De même, M. Michel ROCARD, ministre du Plan, avait déclaré
devant l'Assemblée nationale : "
la loi était
d'autant plus nécessaire pour fournir les moyens juridiques
appropriés que nous avons prévu, contre une certaine tendance de
la jurisprudence, de garantir les partenaires de l'Etat contre les abus
régaliens en matière d'exécution des contrats ou de leur
révision
".
• Dans ces conditions, la responsabilité juridique de l'Etat
peut-elle être engagée en cas d'inexécution partielle des
contrats de plan ?
A priori
, selon une partie de la doctrine,
oui
.
Certes, dans sa décision du 27 juillet 1982 relative à la
future loi du 29 juillet 1982, le
Conseil Constitutionnel
avait
précisé que "
rien dans les dispositions
critiquées ne confère aux prévisions et aux indications
qu'elles visent le caractère d'autorisations de recettes ou de
dépenses ou de prescription engageant les finances de l'Etat
".
Certes, tous les contrats de plan stipulent que le respect des engagements de
l'Etat reste subordonné à l'inscription des crédits
afférents en
loi de finances
.
Il ressort néanmoins de nombreuses décisions jurisprudentielles
que le motif tiré par une personne publique de l'insuffisance de ses
ressources ne saurait la dégager de son obligation contractuelle de
paiement
118(
*
)
.
Par exemple, l'Etat ne peut pas, sans engager sa responsabilité, exciper
du manque de crédits votés en loi de finances pour ne pas
régler un fournisseur.
• Pour que la responsabilité de l'Etat puisse être
engagée, encore faut-il établir que l'inexécution des
contrats de plan fasse grief.
C'est l'argumentation que développe le Conseil régional du
Languedoc-Roussillon
devant le Tribunal administratif de Montpellier.
En effet, le Conseil régional du Languedoc-Roussillon a engagé
une procédure devant la juridiction administrative pour voir
reconnaître la responsabilité de l'Etat pour non respect de ses
obligations contractuelles, et l'octroi
d'indemnités
, en estimant
que :
- la carence de l'Etat pour certaines actions du troisième contrat de
plan est établie ;
- ce manquement contrevient à l'intention commune des parties ;
- la Région a consenti les engagements contractualisés en
contrepartie d'engagements de l'Etat relatifs à la réalisation
d'objectifs et d'opérations pour le Languedoc-Roussillon, par ailleurs
précisés dans un avenant de 1997 ;
- le désengagement de l'Etat bouleverse donc l'équilibre du
contrat, d'autant plus que la Région a accordé à l'Etat en
1997 une avance de 290 millions de francs pour permettre
l'achèvement dans les délais contractuels des opérations
portées au contrat de plan, ce qui cause un préjudice
supplémentaire à la Région ;
De même, la Région Languedoc-Roussillon a engagé une
procédure spécifique relative au programme de
réaménagement de locaux universitaires, qui avait fait l'objet
d'un avenant modificatif d'avril 1997 précisant son coût, son
contenu et le contexte administratif et financier des travaux, et pour
lequel :
- la Région a achevé les travaux prévus dont elle assurait
la maîtrise d'ouvrage ;
- l'Etat n'avait pas entièrement respecté ses engagements au
31 décembre 1998, une partie des travaux prévus sous
maîtrise d'ouvrage Etat n'ayant pas été entrepris ;
- les locaux universitaires ainsi construits par la Région ont
été remis en pleine propriété à l'Etat, dont
le patrimoine se trouve augmenté en conséquence ;
- la Région estime donc que l'Etat s'est ainsi
enrichi
sans cause.
• Dans ses mémoires en
réponse
119(
*
)
au nom de
l'Etat
, le
Préfet de région estime notamment :
- "
le non respect par l'Etat de ses engagements financiers - qui ne
constituaient en fait que des
objectifs
- ne fait pas
grief
à la collectivité ... le recours n'est donc pas
recevable
" ;
- " [la loi du 29 juillet 1982]
crée
deux catégories
de conventions
ayant chacune une spécificité. La
première d'entre elles qui répond à la
nécessité de fixer des objectifs prioritaires et des engagements
réciproques des parties est
dénuée d'effet direct
et sert de support cadre à la deuxième catégorie de
conventions constituée par les contrats particuliers
[les
conventions d'application]... " ;
- " ...
Par ailleurs la jurisprudence du Conseil d'Etat
considère que les clauses du contrat de plan correspondent davantage
à des objectifs ou à des programmes qu'à des obligations
juridiques. Il convient d'ailleurs de noter que quatre décisions du
Conseil d'Etat concluent au caractère
non
contraignant
des
contrats de plan
[les arrêts évoqués infra CE
8 janvier 1988 Synchrotron, CE 15 février 1993
Région Nord - Pas-de-Calais, CE 25 octobre 1996 Estuaire
écologie, CE 17 novembre 1995 Commune de
Théziers] ..." ;
- "
... Les engagements financiers [
des contrats de
plan
]
ne sont
pas
irrévocables
puisqu'ils sont
subordonnées à l'ouverture de moyens financiers suffisants...
La clause d'exonération de l'Etat peut être avancée
dès lors que les chapitres budgétaires support
[c'est-à-dire les chapitres contractualisés
] ne peuvent
manifestement pas honorer leurs engagements par défaut d'inscription en
loi de finances ; le contraire reviendrait à mettre en cause les
pouvoirs du
Parlement
... " ;
- " ...
L'analyse de la réglementation et de la jurisprudence
amène donc à conclure à l'absence d'effet direct du
contrat et à son caractère non normatif du fait qu'il correspond
davantage à des objectifs qu'à des obligations juridiques. En
outre le contrat n'entraîne aucune conséquence directe quant
à la réalisation effective des opérations
... ".
- s'agissant plus particulièrement du projet de bâtiments
universitaires, " ...
la Région ne peut apporter de preuves du
préjudice subi
".
• Cette argumentation, selon laquelle les engagements des contrats de
plan ne sont
ni contraignants, ni irrévocables
, revient à
vider les contrats de plan de toute portée concrète : les
contrats de plan ne seraient que des contrats d'objectifs.
Cette assertion est d'ailleurs cohérente avec l'idée selon
laquelle les engagements des contrats de plan 2000-2006 sont " en
pointillés " à partir de 2003.
Il s'agit là toutefois d'une assertion préoccupante à
l'heure où les Régions viennent pour la plupart de signer les
nouveaux contrats :
il n'est pas sûr que le point de vue ainsi
exprimé par l'Etat recouvre toujours la signification que les
Régions accordent aux contrats de plan.
Sans doute convient-il donc que s'engage un
débat parlementaire
de fond sur la portée attachée aux contrats entre
collectivités publiques.