Pour une intégration pleine et entière des Balkans à l'Europe
M. Skender GJINUSHI
Président du
Parlement albanais
Mme
Josette DURRIEU, Présidente de la Délégation parlementaire
française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe :
L'Albanie est au coeur du problème des Balkans. Sa démarche au
moment du conflit a été louable. Nous avons tous mesuré le
poids de ses efforts et de sa responsabilité. Nous sommes mal sortis du
conflit. Nous sommes aujourd'hui dans la phase de gestion de ses suites. On
parle aujourd'hui de reconstruction, de sécurité et
d'élections. Si on reposait le problème du Kosovo en le mettant
au centre du problème des Balkans, quel serait le positionnement de
l'Albanais que vous êtes ? Doit-on accorder l'autonomie ou
l'indépendance au Kosovo ? Que signifie la grande Albanie pour un
Albanais ? Vous avez un discours très positif. Que signifie pour
les Albanais de la région des Balkans l'intégration à
l'Europe ?
M. Skender GJINUSHI :
La paix au Kosovo a pour la première fois créé les
conditions de l'intégration européenne des peuples des Balkans.
C'est important car il ne peut y avoir d'Europe de citoyens égaux sans
égalité des peuples. L'intervention de l'OTAN a montré que
l'Europe était prête à défendre ces valeurs, si
besoin est en recourant à la force. L'expérience du Kosovo
constitue un apport précieux au droit international en donnant un
coût important à une souveraineté s'appuyant sur le
génocide et l'épuration ethnique. Elle a confirmé que la
souveraineté appartenait aux peuples et non aux régimes
dictatoriaux.
Cette nouvelle réalité de la région est similaire à
celle de l'Occident en 1945. Les Balkans viennent de sortir d'une longue guerre
dont les protagonistes ont été les peuples de la région
elle-même. Grâce à l'intervention de la puissante alliance
mondiale, la paix a été rétablie. Le principal
problème reste l'hostilité interethnique qui freine la
nécessaire coopération. La région doit retrouver la paix.
C'est là l'objectif du Pacte de stabilité. Il est
constitué de trois volets. Le premier concerne la garantie de la paix et
de la sécurité dans la région. La pacification et l'avenir
du Kosovo constituent le noeud du problème. Le retour de milliers
d'Albanais de souche a été organisé dans des délais
très courts. Cela a prouvé que ces personnes n'avaient pas
abandonné leur maison mais qu'elles avaient été
expulsées de leur foyer par des méthodes inhumaines avant le
commencement des frappes aériennes. La reprise de la vie quotidienne en
un temps record montre l'énergie et les possibilités de ce
peuple. L'accueil enthousiaste réservé aux troupes de l'OTAN
démontre ses aspirations européennes.
Certains comparent les incidents liés au départ des Serbes du
Kosovo à l'épuration ethnique des mois précédents.
Même Milosevic déclarait récemment que l'OTAN et les
Albanais établissent le nazisme au Kosovo. Or c'est bien lui, sa
politique et ses forces militaires qui ont fait du Kosovo un pays miné,
rempli de tombeaux et de ruines, dominé par la haine et
l'hostilité, sans pouvoir central ni local, sans gouvernement
réel, sans police, sans tribunaux, livré à la vengeance et
au crime ordinaires.
L'ordre et la paix publiques ne seront pas faciles à rétablir. Il
faut rapidement recréer les institutions démocratiques à
travers des élections libres. Avec la reconstruction rapide, cela doit
être notre préoccupation principale. Nous devons encourager les
politiques fondées sur la coexistence, la réconciliation et
l'oubli. Le rôle de l'Albanie sera important. Nous coopérons avec
la communauté internationale. Pendant la conférence de
Rambouillet, nous avons accepté les accords de paix. Nous avons
participé au désarmement de l'UCK et à la création
du corps de protection du Kosovo tout en nous préparant à des
élections libres.
Au Kosovo, il n'existe aucune politique albanaise d'épuration ethnique.
Mais il fallait mettre un terme aux comportements qui entretiennent
l'hostilité, comme la non-condamnation des criminels de guerre et la
non-libération des prisonniers. Certains voient dans les
développements récents au Kosovo les signes de la création
d'une grande Albanie. Mais la crise du Kosovo est le produit de la
désintégration de l'ancienne Yougoslavie. Les Albanais n'aspirent
pas à la grande Albanie mais à la grande Europe. Nous
étions pour l'intervention de l'OTAN au Kosovo. Nous sommes pour le
maintien de sa présence jusqu'à ce que l'intégration du
Kosovo et de la région dans l'Europe soit réalisée. Les
Albanais n'ont pas profité de la crise pour déstabiliser la
Macédoine. Bien au contraire, leur rôle a été
d'oeuvrer pour la stabilité de la région et c'est celui qu'ils
entendent continuer à jouer.
La non-démocratisation de la Serbie demeure une source de tensions dans
la région. Le régime de Belgrade a déclenché quatre
guerres. Il est le principal obstacle à l'intégration naturelle
des peuples de la Yougoslavie en Europe. La démocratisation de la Serbie
ne suppose pas seulement l'éloignement de Milosevic ou la tenue
d'élections libres. Le défaut majeur du régime de Belgrade
n'est pas l'absence de démocratie pour le peuple serbe mais la violence,
l'humiliation, la répression qu'il impose aux autres peuples. L'Etat
serbe n'est pas compatible avec la réalité européenne,
comme l'illustre sa demande d'union avec la Biélorussie. Ce pays
continue d'agir en fonction de l'idéologie de la guerre froide qui
faisait de l'OTAN une force d'agression.
La pression de la communauté internationale doit tenir compte de ces
aspects. L'avenir du Monténégro est également en jeu. Il
souhaite obtenir un statut d'égalité avec la Serbie. Il y a un
risque de confrontation avec son armée.
Il ne peut pas y avoir de démocratisation et de stabilité
réelle sans développement économique, comme le montre
l'expérience européenne de l'après-guerre, lorsque le plan
Marshall créa les conditions économiques nécessaires pour
la consolidation de l'Etat de droit. Le coût du développement de
la région est inférieur à celui de l'intervention pour
arrêter la guerre. En renforçant l'économie, on affaiblit
les tentations militaires. Le développement incontrôlé et
inégal des Balkans a conduit à la balkanisation de l'Europe. Un
développement concerté des Balkans mènera sans doute
à son européanisation. Le Conseil de l'Europe a un rôle
irremplaçable à jouer dans ce processus.