Travaux de la Délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe au cours de la session ordinaire 1999 de cette Assemblée
DURRIEU (Josette)
RAPPORT D'INFORMATION 430 TOME II (1999-2000) - délégation française à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
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Table des matières
-
DE LA CHUTE DU MUR DE BERLIN AUX NOUVELLES CRISES
RÉGIONALES : UNE GRANDE EUROPE DÉMOCRATIQUE À
CONSTRUIRE
- Ouverture
- Vers une identité européenne
- L'évolution du Conseil de l'Europe
- L'Europe de la démocratie et de la jeunesse
- L'Europe de la paix
- Une conscience européenne forte et exigeante
- Un engagement au service du Conseil de l'Europe
- La consolidation de la démocratie en Albanie
- La Moldavie face à la transition
- La Géorgie en Europe
- Débat
- Le rôle des collectivités locales
- Pour une Union véritable
-
IDENTITÉS RÉGIONALES ET CITOYENNETÉ
EUROPÉENNE :
LES DÉFIS D'UNE GRANDE EUROPE
DÉMOCRATIQUE ET PACIFIQUE- L'exemple espagnol
- Pour une vision individualiste des droits de l'homme
-
La perception des différentes
appartenances,
conflit ou complémentarité ? - Débat
- Pour une intégration pleine et entière des Balkans à l'Europe
-
Souveraineté nationale
et développement de la construction européenne - Droit des minorités et principes d'égalité et d'universalité des droits de l'homme
- Débat
- Clôture
N°
430
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès verbal de la séance du 21 juin 2000
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom des délégués élus par le Sénat (1) sur les travaux de la Délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe au cours de la session ordinaire 1999 de cette Assemblée, adressé à M. le Président du Sénat, en application de l'article 108 du Règlement,
Par Mme
Josette DURRIEU,
Sénateur.
TOME II
Actes du colloque :
" Le Conseil de l'Europe : naissance d'une conscience
européenne ",
organisé par la délégation française à
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
pour le
cinquantième anniversaire du Conseil de l'Europe
Paris - Palais du Luxembourg - 1
er
décembre 1999
(1) Cette délégation était composée en 1999 de : MM. Nicolas About, Marcel Debarge , Mme Josette Durrieu, MM. Daniel Hoeffel, Jean-François Le Grand, Lucien Neuwirth, membres titulaires ; MM. James Bordas, Jean-Guy Branger, Michel Dreyfus-Schmidt, Daniel Goulet, Jacques Legendre, Mme Danièle Pourtaud, membres suppléants .
Conseil de l'Europe. |
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DE LA CHUTE DU MUR DE BERLIN AUX NOUVELLES CRISES RÉGIONALES : UNE GRANDE EUROPE DÉMOCRATIQUE À CONSTRUIRE
Ouverture
M. Christian PONCELET
Président du Sénat
Un
anniversaire, c'est l'occasion de rappeler des souvenirs et aussi d'envisager
l'avenir. Reportons-nous il y a cinquante ans et mesurons le courage
visionnaire de ceux qui créèrent le Conseil de l'Europe, afin d'y
trouver à notre tour l'optimisme des bâtisseurs d'unité.
Mai 1949, nous sommes au lendemain de la seconde guerre mondiale. En trente
ans, l'Europe s'est par deux fois embrasée. Des
générations entières ont été fauchées
dans leur jeunesse, des villes historiques ont été
réduites en cendres et notre civilisation a pu pressentir qu'elle
était, selon le mot de Paul Valéry, mortelle.
Mais les plus clairvoyants refusèrent de se résigner au suicide
de l'Europe et ont appelé à la réconciliation et d'abord
à la réconciliation entre la France et l'Allemagne.
Tel était le voeu de Winston Churchill.
Tel était l'idéal des « Etats-Unis d'Europe »
déjà évoqué par Victor Hugo.
Tel était le principe de l'organisation de coopération dont nous
fêtons le cinquantième anniversaire.
C'est dans ce climat qu'est né le Conseil de l'Europe. La volonté
de paix par la démocratie s'est manifestée par la signature du
Traité, le 5 mai 1949. Elle s'est encore affirmée par
l'élaboration de la Convention européenne de sauvegarde des
Droits de l'Homme et des libertés fondamentales signée le
5 novembre 1950.
Mais déjà la guerre froide a divisé les anciens
alliés qui avaient vaincu le nazisme.
Séparée de sa moitié orientale, l'Europe occidentale a
jeté toutes ses forces dans la reconstruction, permettant
l'épanouissement des solidarités économiques et de la
souveraineté partagée au sein de l'Union européenne.
La démocratie s'y est enracinée, en Grèce comme au
Portugal et en Espagne.
Est-ce à dire que le Conseil de l'Europe avait accompli sa
mission ? Evidemment non, comme l'a montré l'évolution de
notre continent depuis 1989.
Aussi visionnaires que leurs prédécesseurs de 1949, des
responsables d'Europe occidentale ont pressenti le besoin de liberté qui
montait inéluctablement en Europe centrale et orientale.
Six mois avant la chute du mur de Berlin, l'Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe a accueilli des délégués des
Parlements de quatre Etats d'Europe centrale et orientale, selon le voeu du
Président Louis Jung, et sous la présidence de M. Miguel Angel
Martinez.
Ce pari audacieux sur l'avenir, ou plutôt sur les hommes et leur soif de
liberté, a été gagné.
Quarante et un Etats, c'est-à-dire à peu près toutes les
nations de notre continent, sont aujourd'hui membres du Conseil de l'Europe.
Tous souscrivent aux dispositions du statut en faveur de la démocratie
et des libertés fondamentales. Tous sont signataires de la Convention
européenne des droits de l'homme.
Ce texte m'apparaît essentiel pour forger la conscience européenne
en ce qu'il pose de véritables engagements normatifs, qui obligent les
Etats membres à se dépasser en matière de droits de
l'homme. C'est pourquoi le Conseil de l'Europe, loin d'être une simple
antichambre de l'Union européenne comme certains le considèrent,
représente pour moi une
véritable communauté de
valeurs
.
En plus d'un accélérateur du progrès démocratique,
le Conseil de l'Europe est aussi un laboratoire de prospective sur de nombreux
sujets de société : il a ainsi réfléchi et
légiféré dans des secteurs aussi fondamentaux et divers
que la bioéthique, ou l'autonomie des collectivités locales qui
constitue le soubassement et le fondement de la démocratie.
Les élus des Parlements des quarante-et-un Etats du Conseil de l'Europe
débattent ainsi des grandes questions de notre temps et dessinent,
à l'Assemblée de Strasbourg, l'avenir du
« modèle européen ».
L'acquis est donc immense et l'espoir ne nous est certainement pas moins permis
qu'aux fondateurs du Conseil de l'Europe dans une Europe en ruine.
Pourtant, ceux qui prophétisaient il y a peu « la fin de
l'histoire » sont cruellement démentis.
Des conflits se sont rallumés dans les Balkans, dans le Caucase et sur
le territoire de l'immense Russie.
Ce n'est pas un échec de la coopération européenne. C'est
un défi et je suis sûr que nous y ferons face.
Le Général de Gaulle nous a enseigné que la vie est un
combat et la liberté également et qu'en fait, la vie est un
combat pour la liberté
.
Je forme le voeu que les Etats déjà membres à part
entière du Conseil de l'Europe et qui sont proches des foyers de conflit
-je pense à l'Albanie dont je salue le Président du Parlement
parmi nous, à la Bulgarie, à la Croatie, à
l'ex-République yougoslave de Macédoine, à la
Géorgie- montrent à leurs voisins le chemin de la paix.
Certains Etats non encore membres participent déjà aux travaux de
l'Assemblée parlementaire comme « invités
spéciaux ». Je sais que tous les représentants de ces
Etats, qui participent aujourd'hui à notre colloque, partagent
déjà l'idéal européen, et j'espère qu'ils
pourront porter votre message commun à ceux qui s'obstinent dans
l'impasse de haines ancestrales.
L'adhésion au Conseil de l'Europe, comme à la Convention
européenne des droits de l'homme, exclut radicalement le fantasme de
nations « ethniquement pures ». Dès lors, il n'y a
pas d'autre voie pour la résolution des conflits que la
démocratie, le suffrage universel libre et secret, la liberté de
la presse et des partis, la sanction de la violence.
En conclusion, je voudrais remercier mon amie Mme Josette DURRIEU,
Présidente de la délégation parlementaire française
à l'Assemblée du Conseil de l'Europe, d'avoir pris l'initiative
de cette journée de commémoration, de réflexion et de
projection dans l'avenir.
Je forme des voeux pour que les travaux de votre colloque fassent progresser la
conscience européenne, faite indissociablement de respect de l'autre et
de respect égal des disciplines collectives sans lesquelles il n'est pas
de liberté individuelle.
Vers une identité européenne
Mme Josette DURRIEU
Présidente de la Délégation française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe
Le
Conseil de l'Europe a 50 ans. Qui le sait en France ?
Cette institution, née d'un acte fondateur signé à Londres
en 1949 par Churchill et Edouard Herriot, a pour mission de promouvoir la paix
par la démocratie et les droits de l'Homme.
Aujourd'hui, 41 Etats en sont membres, de l'Atlantique à l'Oural et
au Caucase... Le dernier pays qui ait adhéré en avril 1999
est la Géorgie. Il reste cinq pays candidats. Et l'Europe achevée
compterait donc 46 Etats.
Depuis la création du Conseil de l'Europe, le 5 mai 1949, cinquante ans
de paix relative ont passé dans cette Europe qui a été le
théâtre de tous les conflits et qui ne doit pas le redevenir. Il y
a un siècle, un sénateur de la Seine, entre 1875 et 1885, Victor
Hugo, disait : " UN jour viendra où vous France, vous Russie,
vous Italie, vous Espagne, vous Angleterre, Allemagne, vous, toutes les autres
nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre
glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une
unité supérieure et constituerez la fraternité
européenne. Un jour viendra où il n'y aura plus d'autre champ de
bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant
aux idées ". Mikhaïl Gorbatchev a cité Victor Hugo le 6
juillet 1989 dans son discours attendu de Strasbourg, devant une
assemblée à la fois surprise et attentive. Il répondait
à une invitation de Louis Jung, alors Président de
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
De 1949 à 1999, avec l'étape décisive de 1989, cinquante
années de l'histoire de l'Europe se sont écoulées :
la chute du Mur, le vent de l'Est qui balaie tout, le concept nouveau de la
Maison commune européenne, une nouvelle ruée vers l'Ouest,
marquée par une très grande ambition et par un immense espoir,
histoire d'une réconciliation et d'une construction collective toujours
en devenir. " Comme un fleuve rentre dans son lit, l'Europe est
rentrée dans son histoire et dans sa géographie " ,
dira François Mitterrand. Au cours des dix dernières
années, l'histoire a basculé en soldant à la fois les
comptes de la Première Guerre mondiale et de la Deuxième Guerre
mondiale. Nombre de forces verrouillées ont été
libérées depuis Versailles et Yalta. IL nous faut non seulement
rêver, mais surtout imaginer, travailler et construire. Lech Walesa
disait à Strasbourg : " Europe, je fais appel à ton
imagination ". Je voudrais saluer l'impulsion décisive
donnée par Catherine Lalumière, secrétaire
générale de l'Assemblée parlementaire de 1989 à
1994, accompagnée entre 1992 et 1996 par Miguel Angel Martinez, alors
Président. Catherine Lalumière a dit -et ses mots ont
été déterminants : " Je revendique le choix de
l'audace pour la démocratie. Il faut savoir choisir entre les risques.
Le véritable risque serait de laisser ces pays dehors. Ayons l'audace de
les faire entrer ". Ce sont plus de vingt acteurs nouveaux qui
évolueront sur la scène européenne. Nombre d'espoirs, de
promesses, de crises et d'urgences jalonneront le passage d'un certain ordre
européen à un autre.
Après la chute du Mur de Berlin en 1989 et depuis dix ans, les pays de
l'ex-bloc soviétique ont engagé leur longue marche vers la
démocratie...
Etre admis au Conseil de l'Europe était la consécration de la
rupture. C'était, aussi, la reconnaissance et la perspective d'une
intégration à plus ou moins long terme à l'Union
européenne.
L'Europe est une référence absolue pour ces nouveaux Etats. Sa
construction est, également, nécessaire à la stabilisation
de notre espace européen.
Le Conseil de l'Europe est ainsi devenu le forum au sein duquel les notions de
liberté, de démocratie et de respect des droits de l'Homme ont
façonné les esprits et les mentalités des élites
politiques de ces nouveaux Etats.
Bien sûr les pays membres n'étaient pas encore des
démocraties achevées au moment de leur adhésion... je
pense à la Russie, à la Croatie, à l'Ukraine, qui ont
pourtant adhéré. Je pense à la Bosnie-Herzégovine
qui est candidate ou à la République Fédérale de
Yougoslavie qui l'est aussi... Et cependant ces pays évoluent rapidement
sous le regard des parlementaires des démocraties anciennes et des
experts qui les observent et visitent ces pays. Adhésion qui peut
être remise en cause, par exemple pour la Biélorussie dont le
statut d'invité spécial a été suspendu.
Le Conseil de l'Europe est devenu cette enceinte unique où pouvait se
nouer le dialogue permanent et organisé dans des conditions
d'égale dignité.
Le Conseil de l'Europe est devenu ce creuset où se forge
l'identité européenne et, peut-être, ce destin commun
qu'évoque Edgar Morin. Le Conseil de l'Europe façonne les
mentalités, tant il est vrai que tout est question d'esprit et de
disposition volontariste. Le Conseil de l'Europe est le lieu d'apprentissage de
la démocratie et de la citoyenneté.
Tous ces pays ont besoin d'une Europe unie, pacifique, démocratique,
tolérante et prospère. Le risque majeur aujourd'hui est celui
d'une Europe fragmentée. L'enjeu du troisième millénaire
est l'adhésion des peuples à une identité
européenne complémentaire des identités nationales. Le
message officiel du Conseil de l'Europe pour le cinquantième
anniversaire se terminait ainsi : " Au seuil du nouveau
siècle, le Conseil de l'Europe est résolu à saisir
pleinement les chances offertes par cette grande Europe de la
démocratie. Il s'emploiera résolument à construire une
Europe des citoyens un véritable Conseil des Européens ". Au
nom de la Délégation française, je salue fraternellement
les 800 millions de femmes et d'hommes qui forment cette grande Europe.
L'évolution du Conseil de l'Europe
M. Keith VAZ
Ministre
délégué aux Affaires européennes de
Grande-Bretagne
C'est
pour moi un grand honneur d'avoir été invité à
contribuer à ce symposium, qui me donne l'occasion de rassembler mes
idées sur le rôle actuel et futur du Conseil de l'Europe
après mon arrivée relativement récente au poste de
Ministre aux Affaires européennes en Grande-Bretagne.
Aujourd'hui, nous rendons hommage à une organisation qui n'a pas
seulement survécu pendant 50 ans, mais qui s'est
développée et s'est épanouie. Au cours des dix ans qui
viennent de s'écouler, le Conseil de l'Europe a vécu une
transformation étonnante : le nombre de ses Etats membres est
passé de 23 à
quarante et un
et elle représente
aujourd'hui plus de 800 millions de personnes. Qui plus est, le Conseil
s'est réinventé. Il est devenu un modèle pour toutes les
organisations internationales, ayant eu le courage d'accepter un nouveau
rôle pour être plus efficace. La Grande-Bretagne est fière
que la création du Conseil de l'Europe ait été
entérinée à Londres, le 5 mai 1949. La France doit
également être fière d'accueillir ce Conseil depuis 50
ans.
Des origines au présent
Une collaboration large
Le
Conseil de l'Europe a été créé pour protéger
et préserver les valeurs et les idées que ses membres fondateurs
ont jugées caractéristiques de leur identité. Il est
devenu un symbole d'engagement envers la démocratie pluraliste, le
respect des droits de l'homme et l'Etat de droit. Son statut prévoyait
en outre bien d'autres sortes de coopération, que ce soit en
matière de culture, d'éducation, d'affaires sociales, d'actions
pour la jeunesse ou de sport. Seule la défense ne faisait pas partie de
ses attributions. Le Conseil de l'Europe a codifié les valeurs morales
de nos sociétés en élaborant une législation
internationale applicable, en cas de besoin, par le biais de sanctions.
Dès le milieu des années 80, on pouvait croire que la mission du
Conseil de l'Europe était achevée car le Conseil était
devenu une assemblée d'Etats ayant exactement les mêmes
idées. D'une certaine manière, il avait été
remplacé par la Communauté européenne, instrument
préféré de la coopération européenne. Les
membres du Conseil ont vu, sans doute avec des sentiments mitigés, la
Communauté prendre en main la construction de l'Europe, faisant siens
les drapeaux, hymne et jour de fête du Conseil. Comme l'a affirmé
Charles de Gaulle, le Conseil de l'Europe était devenu « la
belle au bois dormant du Rhin ».
L'unification politique
Puis,
survinrent les événements de 1989. La chute du Mur de Berlin
rendit au Conseil de l'Europe le rôle central qui avait été
le sien dans l'unification de l'Europe. Il avait pour mission d'accueillir,
d'encourager et de consolider les nouvelles démocraties qui souhaitaient
vigoureusement s'engager dans une nouvelle voie. Un dilemme apparut
aussitôt. Comment le Conseil, conçu pour défendre des
valeurs et de veiller à ce que ses Etats Membres respectent leurs
engagements, devait-il traiter les demandes des Etats qui ne remplissaient pas
les conditions d'entrée ?
Ses dirigeants décidèrent d'accueillir malgré tout les
nouvelles démocraties, en leur faisant confiance pour l'adaptation
postérieure de leurs dispositifs politiques. Les Etats qui souhaitaient
devenir membres devaient s'engager à mettre en oeuvre les conventions
fondamentales de l'Europe et accepter le suivi et la surveillance du Conseil
à cet endroit. Aujourd'hui, cette surveillance est assurée par le
Comité des Ministres et par l'Assemblée parlementaire. L'objectif
est non de critiquer les Etats, mais de les aider. Cependant, si besoin est, le
Conseil peut user de sanctions, dont la suspension, voire l'expulsion.
Les innovations
La mission du Conseil de l'Europe ne se limite pas à l'intégration de nouveaux Etats membres. Il doit également veiller à ce que les membres en place continuent de faire respecter les idées de l'Europe. C'est pour répondre à cette attente que le gouvernement travailliste de la Grande-Bretagne a, dès 1997, adopté une loi pour intégrer la Convention européenne des Droits de l'Homme à la législation britannique. La loi sur les droits de l'homme, votée en 1998, entrera en vigueur en 2000. Elle joue un rôle essentiel dans la création d'une culture des droits et des devoirs, qui constitue un des objectifs du gouvernement britannique. Cette initiative entraînera des changements fondamentaux dans notre système législatif et touchera toutes les sphères du travail de l'Etat.
L'avenir
Une nécessaire coopération
De
même que les autres Etats membres, la Grande-Bretagne s'engage à
veiller à ce que le Conseil de l'Europe progresse constamment, en
adaptant ses politiques et ses objectifs aux défis nouveaux et urgents
qui surgissent. A la suite du deuxième Sommet du Conseil de l'Europe en
1997, les Etats ont entrepris un travail considérable pour
décider des adaptations futures. Lors de la réunion
ministérielle à Budapest au mois de mai, les Ministres ont
approuvé un programme de réforme du Conseil, qui portera sur les
méthodes de travail et la redistribution des ressources en fonction des
missions jugées prioritaires pour les années à venir.
Aussi unique qu'ait été sa contribution, le Conseil n'est pas la
seule organisation dont dépend l'avenir de l'Europe. Il devra travailler
de concert avec les institutions déjà en relation que sont
l'Union européenne, l'OTAN, l'OSCE et l'OCDE. Nous voyons avec bonheur
s'engager un dialogue entre ces acteurs. L'expérience du Conseil de
l'Europe est unique et lui permettra d'apporter une contribution
irremplaçable à l'OSCE, dans son action au Kosovo comme à
l'élaboration du Pacte pour la Stabilité en Europe du Sud-Est.
Pour la dignité humaine
Quant
à l'Assemblée parlementaire, elle est la conscience du Conseil de
l'Europe. Ses membres veillent à la conformité des engagements et
des actions menées par les Etats membres et préparent des
rapports sur les Etats qui demandent à être admis.
Il va sans dire que la surveillance et le suivi ne suffisent pas. Un des
défis principaux pour la communauté internationale sera de mettre
fin à la violation des droits de l'homme et de punir les coupables selon
la loi. Tous les Etats membres du Conseil de l'Europe doivent adopter la
Convention européenne des Droits de l'Homme. Ils acceptent donc la
compétence de la Cour européenne des droits de l'homme et
reconnaissent celle-ci comme étant l'unique autorité en la
matière. La Cour garantit la punition de tout Etat violant les droits de
l'homme des individus.
Le Conseil de l'Europe a joué un rôle novateur dans bien d'autres
domaines. Ses membres se réunissent, entre autres, pour élaborer
des stratégies pour lutter contre la toxicomanie, pour élaborer
des codes d'éthique médicale, pour protéger les droits des
minorités, pour promouvoir le patrimoine culturel de l'Europe et pour
empêcher la corruption.
Des principes durables
Si les
valeurs fondatrices du Conseil restent essentiellement identiques, les actions
lancées à ce jour seront revues et remaniées pour
être le plus efficace possible. Le Conseil doit notamment tirer le
meilleur profit possible des ressources dont il dispose, qui ne seront
naturellement jamais suffisantes pour mener toutes ses actions à bien.
La souplesse et la capacité à s'adapter devront donc être
les maîtres mots. Le Secrétariat du Conseil doit être
salué pour la réforme déjà amorcée.
Le Conseil de l'Europe de l'avenir s'attaquera aux défis avec
enthousiasme sans jamais se défaire de ses principes fondamentaux. Il
aidera ses Membres à tenir leurs engagements tout en insistant pour
qu'ils fassent le maximum d'eux-mêmes. Il affirmera l'unité de
l'Europe à travers les valeurs communes à nous tous.
C'est dans l'unité que nous trouverons les solutions aux nouveaux
problèmes qu'affronte notre continent. La Grande-Bretagne, la France,
leurs partenaires européens et leurs amis au sein des autres
organisations européennes se sont engagés à travailler de
concert pour leur bien commun. Nous avons l'espoir que l'heure viendra
rapidement où tous les pays européens pourront remplir les
critères d'entrée pour enfin faire partie de cette famille
européenne qu'est le Conseil de l'Europe.
L'Europe de la démocratie et de la jeunesse
Pierre MAUROY
Ancien Premier Ministre,
Sénateur, Président de la Fondation Jean
Jaurès
Je suis
très heureux d'être associé à cette manifestation
qui marque le cinquantième anniversaire du Conseil de l'Europe et je
vous remercie très vivement d'avoir convié la fondation Jean
Jaurès à partager votre réflexion. Je félicite
Madame Josette Durrieu et ses collègues qui ont pris l'initiative de
cette manifestation.
Les témoignages que nous avons entendus étaient très
importants. Je n'ai moi-même pas participé directement au Conseil
de l'Europe. Mais je vais néanmoins vous faire part de mon point de vue
sur son rôle dans le monde de demain.
Le Conseil de l'Europe occupera-t-il à l'avenir une place aussi
importante que celle qu'il a eue jusqu'à présent ? Je crois
que oui. Il a joué un rôle essentiel dans la construction
européenne, moins connu peut-être que celui de l'Union
européenne, qui a construit un espace économique et politique
intégré, mais crucial pour la promotion de la démocratie
et de l'Etat de droit. Il a eu un rôle de précurseur et ce
rôle reste essentiel pour rapprocher des pays de cultures et de
traditions différentes. Il permet de développer une conscience
européenne.
Le marché n'est pas le seul élément qui compte. Le plus
important pour l'Europe est peut-être de sauvegarder ses valeurs de
démocratie, de liberté, de respect de la personne humaine. C'est
d'autant plus nécessaire que bien des pays européens connaissent
aujourd'hui une résurgence des forces nationalistes et
xénophobes. Ceci est vrai dans les démocraties des pays de l'Est
où après près d'un demi-siècle d'oppression, les
peuples tentent de retrouver leur identité nationale et, parfois,
basculent dans les travers les plus négatifs de l'affirmation
nationaliste. Mais ceci est également vrai dans les pays de l'Europe de
l'Ouest, qui ont pourtant une forte tradition démocratique. Les
résultats électoraux des Le Pen, Haider et bien d'autres nous
interpellent, nous démocrates, ainsi que tous ceux qui veulent
construire une Europe nouvelle, forte, démocratique et respectueuse des
droits de l'homme.
La conscience européenne que nous voulons bâtir est à
l'opposé de ces nationalismes et nous devons tout mettre en oeuvre pour
les combattre. Je pense que nous devons le faire avec le Conseil de l'Europe.
Le racisme, la haine de l'autre, la violence ne doivent plus avoir leur place
dans les sociétés européennes. Il est de notre devoir
à tous de leur mener une lutte sans merci. Des initiatives sont prises
dans ce sens par les associations et les pouvoirs publics : il faut les
encourager. C'est ce qu'a fait le Conseil de l'Europe à travers sa
campagne contre le racisme et la xénophobie, l'antisémitisme,
l'intolérance, « Tous différents, tous
égaux ». Je crois qu'il faut l'en féliciter. Le Conseil
de l'Europe a également une politique très active envers les
jeunes générations. Grâce aux deux centres européens
de la jeunesse situés à Strasbourg et à Budapest et au
Fonds européen de la jeunesse, le Conseil de l'Europe peut aider les
jeunes de toute l'Europe à apprendre à se connaître,
à travailler et à vivre ensemble afin de faire tomber les
barrières culturelles et de développer la conscience
européenne. Les activités internationales pour la jeunesse
cherchent toutes à promouvoir la citoyenneté, la mobilité,
la démocratie et le pluralisme culturel.
Il y a quelques années a été institué un Office de
la jeunesse entre la France et l'Allemagne. Il a été doté
de moyens importants. J'ai siégé au premier Conseil
d'administration de cet organisme et j'ai participé aux échanges
qu'il a suscités. Ils ont eu une importance primordiale. Ils ont sans
doute contribué à l'amitié actuelle entre la France et
l'Allemagne et à la construction de l'Europe. Je crois qu'un effort
particulier pour la jeunesse européenne permettrait de bâtir, dans
des conditions encore meilleures, l'Europe que nous souhaitons. Il y a
là un investissement à faire.
Personne ne peut changer la géographie ou le cours de l'histoire.
L'Europe s'élargira donc. Cela posera sans doute des problèmes
politiques et cela posera également la question de la sauvegarde de nos
valeurs. En effet, nous ne voulons pas seulement une Europe économique
ou politique : nous voulons une Europe qui reste dans la meilleure
tradition européenne, celle de la liberté, de la
démocratie et des droits de l'homme. Voilà pourquoi je salue
l'action du Conseil de l'Europe qui a contribué à la
réconciliation du continent et à l'émergence d'une
conscience européenne. C'est grâce à votre travail que nous
pourrons aborder en toute sérénité l'élargissement
de l'Union européenne. Le rapprochement économique est bien
sûr nécessaire, mais la grande Europe que nous voulons n'est
possible que si les peuples partagent les mêmes objectifs communs de
démocratie et de paix. Le Conseil de l'Europe peut apporter une
contribution décisive dans ce sens.
Mme Josette DURRIEU :
Je vous remercie. Il a été dit que le plus grand péril qui
menace l'Europe est la lassitude. Mais la jeunesse est là. L'an dernier,
le Conseil de l'Europe des jeunes, organisé à l'initiative de la
délégation française, a été un grand
succès. Il a été présidé par Michel
Miaskiewicz, qui a déclaré : " l'Europe, moi, j'y
crois ". Aujourd'hui, l'Europe est devenue une évidence pour nos
enfants. Que ce soit sous le pont Charles à Prague, au pied de la Tour
Eiffel à Paris, à Picadilly à Londres, sur les escaliers
de la Piazza di Spagna à Rome ou dans la vallée du Rhin, on
rencontre des milliers de jeunes venant de toute l'Europe et dont la
façon de penser, de ressentir les choses, dont le comportement sont bien
plus évolués que les nôtres. C'est leur manière de
nous lancer un avertissement.
L'Europe de la paix
M. Louis JUNG
Sénateur honoraire - Ancien
Président de l'Assemblée
parlementaire du Conseil de
l'Europe
Président de la Fondation Robert
Schuman
La rencontre d'aujourd'hui est la deuxième manifestation majeure, consacrée spécialement à notre organisation, se déroulant cette année au Sénat. En effet, un colloque, animé par le Sénateur Hoeffel, célébrait en mai dernier le 25 e anniversaire de la ratification par la France de la CEDH. Je remercie la Délégation française auprès de l'Assemblée du Conseil de l'Europe et félicite sa Présidente.
Les bâtisseurs du Conseil de l'Europe
Il est
bon qu'à certains moments, l'Europe qui fait continuellement des
avancées majeures replonge dans son aspiration. Il me semble utile de
vous présenter quelques considérations sur la dimension
paneuropéenne du Conseil et son élargissement à l'origine
de la modernisation de notre organisation. Les discours des bâtisseurs de
l'Europe - Winston Churchill, Ernest Bevin, Edouard Herriot, Robert
Schuman, Konrad Adenauer, etc. - témoignent de la
volonté de ne pas limiter le Conseil de l'Europe à la partie
occidentale du continent. La déclaration de Robert Schuman,
prônant le pardon et de nouvelles relations entre pays autrefois
antagonistes, a donné, avec les droits de l'homme, la base spirituelle
des missions du Conseil de l'Europe. Je suis heureux que la Fondation Schuman,
que j'ai l'honneur de présider, permette de la conforter, tant par la
coopération franco-allemande que par les missions dans les pays de
l'Europe de l'Est. Ce n'est qu'à cause d'un enchaînement
malheureux des événements et de la tombée du rideau de fer
que le Conseil de l'Europe est resté confiné à l'Europe
occidentale pendant quarante ans. Les travaux préparatoires aux statuts
du Conseil de l'Europe avaient commencé en 1948 en pleine crise de
Berlin. Il serait pour le moins erroné de penser que durant quarante
ans, notre organisation aurait peu fait pour développer les relations
Est-Ouest.
Dès 1954-1955, l'Assemblée, alors sans concurrence en Europe,
organisait des débats sur la politique européenne commune lors
des futures conférences Est-Ouest. Lorsqu'en juillet 1955, Harold
Macmillan, alors Ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni,
rendit une visite à l'Assemblée parlementaire, il posait
déjà les questions suivantes : « notre groupe de
membres est-il trop fermé ? Notre statut, qui dit à quelles
conditions de nouveaux membres ou de nouveaux observateurs peuvent être
accueillis parmi nous est-il trop sévère ? » A la
même époque, François de Menthon, Président de
l'Assemblée de 1952 à 1954, s'exprimait en ces termes :
« nous voulions la création d'une Europe unifiée,
quelle que soit l'évolution des activités du Conseil et
indépendamment de toute considération relative à la
tension ou à la détente entre l'Est et l'Ouest. Nous devons
souligner que la réalisation de l'union européenne est une
exigence première de toutes les nations groupées au sein du
Conseil de l'Europe et devrait être une contribution fondamentale
à la paix internationale ». Après la crise de Cuba et
pendant que Pierre Pflimlin présidait l'Assemblée, une nouvelle
stratégie fut développée concernant le rôle du
Conseil en matière de relations Est-Ouest. En avril 1985, le
Comité des Ministres a adopté une résolution importante
sur l'identité culturelle de l'Europe, faisant fi des frontières
du Conseil de l'Europe et des barrières idéologiques. Ce texte
constituait la base des initiatives ciblées du Secrétaire
général visant à une coopération concrète
avec les pays les plus avancés d'Europe de l'Est.
L'accueil des démocraties naissantes de l'Est
Le
renouveau du Conseil ne s'est pas limité alors aux relations Est-Ouest.
De nouvelles pistes ont été explorées pour les
activités de l'organisation. Le nombre des conférences des
Ministres spécialisés augmentaient. De nouveaux accords partiels
furent conclus. En coopération avec la Communauté
européenne, l'Année européenne de la musique fut
organisée. Une commission des sages - la commission
Colombo - était chargée d'élaborer des
recommandations pour la coopération européenne au-delà de
la décennie en cours. La Commission européenne s'apprêtait
alors à réaliser la première réforme substantielle
des traités : l'Acte unique européen.
C'est dans cet environnement que j'ai entamé en avril 1986 mon
mandat de Président de l'Assemblée. L'adhésion en octobre
1987 de la Yougoslavie, comme premier PECO, à la Convention culturelle
européenne représenté une percée majeure. Cette
adhésion permettait la participation, sur un pied
d'égalité, aux activités intergouvernementales dans les
domaines de la culture, de l'éducation, du sport et de la jeunesse. Le
Secrétaire général et moi-même avons effectué
des visites officielles en Hongrie, en Pologne et en Yougoslavie dès
1987-1988. A ces occasions, le souhait d'une adhésion au Conseil de
l'Europe fut plus ou moins clairement exprimé par nos interlocuteurs.
C'est en 1988 que s'établirent enfin les relations officielles entre
l'Assemblée parlementaire et le Soviet suprême. En outre, une
réflexion s'engagea à propos d'un statut spécial pour les
parlements des PECO remplissant certaines conditions. Je tiens à
souligner le soutien efficace de notre ancien collègue suisse, Peter
Sägger, qui préconisait avec moi le statut d'invité
spécial. L'invitation faite à Mikhaïl Gorbatchev de
prononcer une allocution devant l'Assemblée parlementaire n'a pas
suscité l'enthousiasme du Comité des Ministres. La
première visite du Pape à l'Assemblée parlementaire et
l'organisation à Varsovie de la première conférence
paneuropéenne des présidents des assemblées parlementaires
des Etats-Unis et du Canada ont également marqué cette
année 1988. Par ailleurs, l'admission de la Finlande au Conseil de
l'Europe permit de faire coïncider la composition de ce dernier et
l'espace démocratique. Le Conseil de l'Europe était ainsi
prêt à assumer sa mission de structure d'accueil pour les
démocraties d'Europe centrale et orientale. Les pays réformateurs
aspiraient à une structure leur permettant de consolider leurs
progrès démocratiques et cherchaient à devenir les
partenaires des pays de l'Europe occidentale. A cet égard, le Ministre
polonais des Affaires étrangères a dit le 5 mai 1998
devant le Comité des Ministres : « pour nous, hommes de
Solidarité, l'acquis du Conseil de l'Europe dans le domaine des droits
de l'homme était un important point de référence dans
notre lutte ».
Le Conseil de l'Europe est la seule organisation ayant pour vocation
d'accueillir à terme et sur un pied d'égalité les
47 pays du continent. Les structures souples qui caractérisent
l'organisation ménagent les souverainetés nationales hormis en
matière de droits de l'homme. Le Conseil de l'Europe a su faire face aux
événements de 1989 étant donné qu'il les a souvent
anticipés et que les gouvernements réagissaient avec un certain
décalage. Le Conseil a donc entendu l'appel de l'Histoire qui nous a
demandé de rapprocher les peuples partageant une culture et un
patrimoine historique communs. Malgré le grand optimisme exprimé
en 1989, certains se montraient réticents, arguant que la lutte
n'était pas achevée et qu'il fallait défendre le Conseil
de l'Europe. Il restait alors de nombreuses inconnues tel que le succès
ou non de la
perestroïka.
La situation et les perspectives du Conseil de l'Europe
Ce n'est
pas à un retraité qu'il revient de présenter la situation
et les perspectives de l'organisation. Lord Russell Johnston, Président
de l'Assemblée parlementaire, et son Secrétaire
général, Bruno Haller, sont mieux placés que moi pour ce
faire. Cependant, ayant eu l'honneur de représenter le Sénat
auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
pendant plus de 27 ans, je voudrais suggérer quelques
réflexions.
Le Conseil de l'Europe traite un trop grand nombre de sujets. En effet, outre
les activités de l'Assemblée parlementaire, l'organisation
s'occupe du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de
favoriser une coopération internationale structurée.
L'insuffisance des moyens au regard de l'ampleur de la tâche est
problématique. Il est anormal que le financement, qui incombe aux Etats
membres, ne fasse toujours pas l'objet, dans de nombreux pays, d'une ligne
budgétaire spécifique et soit supporté par le budget des
Affaires étrangères. Cela ne facilite pas l'adéquation des
moyens aux besoins. Les déplacements que j'ai effectués dans des
Etats non-membres du Conseil de l'Europe - comme Président de
l'Assemblée du Conseil de l'Europe ou comme Président de la
Fondation Schuman - m'ont permis de mesurer l'importance de notre
Organisation pour ces pays et son rôle pendant la période
d'attente pour leurs populations. C'est pourquoi je défends depuis des
années une coopération plus intense entre le Parlement
européen, la Commission européenne et les instances du Conseil de
l'Europe. Cela permettrait d'éviter certains gaspillages et un
recentrage sur la finalité des missions réciproques. Bien que
cela soit difficile, la nouvelle Conférence intergouvernementale de
l'Union européenne, l'année prochaine, et la conférence
des présidents des assemblées parlementaires européennes
apporteront, je le souhaite, une contribution essentielle.
Permettez à l'ancien combattant de Dunkerque en 1940, au blessé
de Zuydcoote et au prisonnier de guerre de Dresde de dire ses remerciements
à toutes celles et à tous ceux qui ont lutté pour le
même idéal : l'Europe de la paix.
Une conscience européenne forte et exigeante
Mme Catherine LALUMIERE
Députée au
Parlement européen, Ancien Ministre des Affaires
européennes,
Ancien Secrétaire général du
Conseil de l'Europe
Permettez-moi tout d'abord de saluer l'initiative prise par
Madame
Josette Durrieu, Présidente de la délégation
française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe. Organiser un colloque sur le Conseil de l'Europe, et notamment en
France, est relativement rare... sauf au Sénat. La France et les
Français semblent parfois bien indifférents envers cette
organisation qui, selon le mot cruel du Général de Gaulle,
«
dort au bord du Rhin
».
Or, elle mérite beaucoup mieux et je suis infiniment reconnaissante
envers ceux et celles qui contribuent à la faire mieux connaître.
Pour ma part, (excusez-moi si je parle à la première personne de
souvenirs personnels) mais je crois que beaucoup d'autres personnes que moi ont
fait la même expérience - il suffisait d'écouter le
Président Jung - le Conseil de l'Europe m'a apporté deux
cadeaux d'une inestimable valeur.
Comme beaucoup, j'ai abordé l'Europe et les dossiers européens
par le biais de l'économie et du marché commun. Dans les
années 70-80, on ne parlait que de cela. Et même le dossier de
l'élargissement de la Communauté à l'Espagne et au
Portugal, auquel je fus étroitement associée en tant que membre
du gouvernement chargé des affaires européennes, portait
essentiellement sur des questions économiques : agriculture,
viticulture, pêche, sidérurgie, aciéries, etc.
C'est à partir de 1987, lorsque je devins membre de l'Assemblée
parlementaire et plus encore à partir de 1989, lorsque je devins
secrétaire général du Conseil de l'Europe, que je
découvris une tout autre dimension de l'Europe : la dimension
philosophique, la dimension culturelle, la dimension humaniste. Naïvement
peut-être, je ressentis cela comme une révélation.
La construction européenne, celle que les pionniers avaient entreprise
juste après la guerre, dans les années 45-50, prenait sa vraie
signification. La création du Conseil de l'Europe dès 1949,
l'adoption de son statut marquant clairement que sa mission était de
construire la paix par la démocratie et le respect des droits de
l'homme, l'adoption, dès 1950, de la fameuse Convention
européenne des droits de l'homme, tout cela montrait que les
Pères fondateurs avaient fort bien compris que la réconciliation
et la paix passaient d'abord par le respect de certaines valeurs, de certaines
idées, de certains comportements.
Quelques temps après, Jean Monnet s'attelait à une autre
tâche : la reconstruction économique. Tâche ô
combien importante et qui devait aboutir en 1957 au Traité de Rome. Mais
on doit regretter que la création de la Communauté et son
succès aient occulté le travail du Conseil de l'Europe.
Dommage ! En fait, l'Europe avait, a et aura besoin des deux.
Secrétaire général du Conseil de l'Europe, je
découvris la richesse de ses travaux ; les droits de l'homme bien
sûr, mais aussi les droits spécifiques des femmes et la
parité hommes-femmes, les droits des enfants, la Convention contre la
torture et les traitements inhumains et dégradants, les droits
économiques et sociaux, les enquêtes sur les prisons, les droits
des personnes appartenant à des minorités, etc. S'agissant des
droits de l'homme, je ne voudrais pas que l'Union européenne, en prenant
des initiatives un peu maladroites, n'affaiblisse l'édifice du Conseil
de l'Europe ; c'est le danger lié au projet de Charte des droits
fondamentaux de l'Union qui occupe à présent le Conseil et le
Parlement européen.
Dans un autre domaine, le Conseil de l'Europe a fait une oeuvre
considérable et utile ; le rapprochement des droits des
différents pays membres, qu'il s'agisse du droit civil ou du droit
pénal. Travail technique de haut niveau qui a tracé le chemin
pour les harmonisations auxquelles l'Union européenne a désormais
le pouvoir de procéder.
Dans un troisième domaine, celui de l'éducation et de la culture,
le Conseil de l'Europe a permis plus que quiconque que l'on prenne conscience
de nos différences culturelles, mais aussi de ce qui nous est commun,
à nous Européens. Plus que quiconque, il a fait prendre
conscience de l'enrichissement mutuel résultant de la pluralité
des cultures en Europe ; mais aussi il a bien montré les
difficultés que l'on rencontre dans les sociétés
multiculturelles, pour vivre ensemble dans un esprit de tolérance et de
respect de l'autre.
Le Conseil de l'Europe c'est aussi le Congrès des pouvoirs locaux et
régionaux, dont je salue ici son Président Alain Chenard ;
c'est le Centre européen de la jeunesse, etc.
Le Conseil de l'Europe m'a aussi apporté un deuxième cadeau, une
seconde joie. Mais là encore, cette joie concerna beaucoup de
monde : l'ouverture sur l'Europe centrale et orientale, à partir de
1989, de la
perestroïka
et de la chute du Mur de Berlin.
Nous avons vécu ensemble des moments vraiment extraordinaires. Certes
nous savions que le chemin serait long et plein d'obstacles pour les pays qui
décidaient de changer de voie, de révolutionner leur
système politique et de bouleverser leur système
économique et social. Il aurait fallu être inconscient pour croire
que les transformations seraient faciles.
Mais dans les années 1989, 1990, 1991, 1992, nous connaissions une
véritable exaltation car on pouvait agir et agir avec espoir.
Au Conseil de l'Europe, nous étions conscients d'être dans une
position exceptionnelle. Organisation assez légère et finalement
assez flexible, nous pouvions bien nous adapter à la nouvelle donne au
point de nous élargir à de nouveaux membres sans que ces
élargissements ne paralysent notre fonctionnement.
Notre spécialité - la démocratie, les droits de
l'homme et l'Etat de droit - correspondait à des besoins
évidents et urgents dans les pays post-communistes. Ils nous
sollicitaient spontanément pour que nous les aidions dans leurs
réformes juridiques et politiques et pour construire ce que l'on appela
« la sécurité démocratique ».
Bref, tout le Conseil de l'Europe, à cette époque, s'est
mobilisé. D'abord l'Assemblée parlementaire qui fit oeuvre de
pionnier (je pense à l'impulsion donnée par des parlementaires
tels que Messieurs Steiner ou Sager) ; le Secrétariat qui voyait
clairement l'utilité, le caractère indispensable de ses
travaux ; le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, le
Centre de la jeunesse, même le Comité des ministres (et cela
mérite d'être marqué d'une pierre blanche), tout le monde
s'y est mis. Nous savions que l'Europe amorçait un virage gigantesque.
Comme le disait François Mitterrand, cité par Madame Durrieu,
l'Europe se réconciliait avec sa géographie et son histoire.
Il fallait aller vite. Le Conseil de l'Europe alla vite, aussi vite que la
raison le permettait. Il y a des occasions qu'il faut savoir saisir. Il y a des
mains qu'il faut savoir tendre au bon moment. Nous redoutions qu'en
hésitant, nous laissions partir l'occasion irremplaçable de
réunir tous les peuples de l'Europe.
Le Conseil de l'Europe a beaucoup donné, m'a beaucoup donné.
Mais il travaille dans des domaines sensibles, ultra-sensibles et difficiles.
Le respect des droits de l'homme est tout sauf évident. La raison
d'Etat, les traditions de souveraineté si fortes dans nos pays,
constituent parfois d'infranchissables barrières.
La démocratie repose sur des mécanismes subtils qui ne peuvent
fonctionner que si la population est composée de citoyens responsables
et respectueux de la Loi.
Les valeurs de tolérance se heurtent aux nationalismes si
fréquents et si redoutables en Europe.
Le Conseil de l'Europe semble parfois bien seul dans la tempête. Sa voix
est faible dans les Balkans, elle est faible en Tchétchénie.
Bien sûr, d'autres organisations internationales, d'autres Etats ne se
font pas davantage entendre.
Mais il est vrai que l'on attend beaucoup du Conseil de l'Europe. Car, dans le
monde très dur qui nous entoure, dans ce contexte de mondialisation,
nous avons besoin de nous raccrocher à des croyances, à des
valeurs qui nous élèvent un peu au-dessus de nous-mêmes.
Madame la Présidente, vous avez choisi un très beau titre pour ce
colloque : « Naissance d'une conscience
européenne ». Ce faisant vous tracez l'avenir du Conseil de
l'Europe. Nous continuerons d'avoir besoin d'une conscience européenne,
mais une conscience aussi forte et exigeante que possible. La tâche est
loin d'être achevée.
Un engagement au service du Conseil de l'Europe
M. Miguel Angel MARTINEZ
Ancien Président
de l'Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe
Député au Parlement
européen
C'est
avec beaucoup d'émotion, avec beaucoup de joie, que je participe
à cette rencontre, certes importante. J'en profite d'ailleurs pour
féliciter les organisateurs -et en particulier mon amie Josette
Durrieu-, pour les remercier aussi de m'avoir invité, en me donnant
ainsi la chance de revoir tant de vieux et d'excellents amis ; l'occasion aussi
de porter témoignage -fût-il télégraphique- de
moments vécus au tout premier rang dans l'Histoire du Conseil de
l'Europe...
Télégraphique donc, mon intervention pour vous dire que mon
expérience personnelle au sein du Conseil de l'Europe est une longue
histoire. Quand j'ai quitté la Présidence de l'Assemblée
Parlementaire, j'ai même dit qu'il s'agissait d'une longue histoire
d'amour : sans doute, c'était là une formule quelque peu lyrique
car je me demande s'il y a bien des histoires d'amour qui durent autant. En
tout cas, et comme pour les vraies histoires d'amour, la mienne auprès
du Conseil de l'Europe fut surtout celle d'un long apprentissage. Une histoire
que l'on peut raconter en quatre chapitres parfaitement liés et
cohérents, se déroulant le long de quatre décennies.
Aux années 60, militant résistant antifasciste espagnol,
responsable des organisations clandestines de jeunesse, socialiste et
syndicale, emprisonnée et puis exilé, nous avons trouvé
auprès du Conseil de l'Europe l'oreille attentive, le soutien
nécessaire, l'encouragement indispensable pour aller de l'avant. C'est
de ce temps là que vient mon amitié avec Bruno Haller, avec qui
on s'est battu pour instituer le Centre Européen de la Jeunesse.
Laissez-moi ajouter que l'oreille attentive dont je vous parle était
aussi parfois une oreille embarrassée, car tout cela se passait bien
avant que l'Espagne ne devienne membre du Conseil de l'Europe, et notre
présence gênait parfois tel ou tel Ambassadeur plus soucieux de "
la raison d'État " que des valeurs représentées par le
Conseil de l'Europe.
Plus tard, aux années 70, député élu aux
premières élections libres qui s'étaient tenues dans mon
pays depuis 1936, et confrontés à la tâche de la
restauration démocratique, nous fûmes de ceux qui
négocièrent l'adhésion de l'Espagne au Conseil de
l'Europe. Nous y aurons trouvé surtout des amis qui nous ont fait
confiance, et beaucoup d'inspiration pour raccourcir notre transition et pour
consolider notre démocratie et l'état de droit,
irréversiblement, en Espagne.
Aux années 80, nous sommes venus participer pleinement aux travaux de
l'Assemblée Parlementaire. Encore une fois ce fut l'occasion
d'apprendre, ce coup-ci, la pratique de la tolérance, du respect de
l'adversaire politique pouvant devenir l'ami. Je pense par exemple à des
gens comme Louis Jung, Jaques Baumel ou Philippe Séguin, des gens venant
d'autres bords, d'autres familles politiques que la mienne, moi qui venais d'un
contexte où l'on ne parlait - où l'on n'écoutait surtout
-qu'à l'intérieur de sa famille. C'est donc là que j'ai
appris l'importance du dialogue, du consensus... Ce fut d'ailleurs aussi
l'occasion d'assumer l'Europe comme un ensemble de réalités et
non plus seulement comme un ensemble de rêves ; et cela fut d'autant plus
utile qu'à ce moment-là, nous négociions justement
l'entrée de l'Espagne dans les Communautés Européennes.
Et puis il y eut un quatrième chapitre dans mon expérience du
Conseil de l'Europe : celui des années 90 ; la Présidence de
l'Assemblée Parlementaire, la complicité avec Catherine
Lalumière qui était le Secrétaire Général ;
l'élargissement.
La chance que j'avais connue pour l'Espagne, pour les citoyens et pour les
citoyennes d'Espagne, de devenir cela même : des citoyens en même
temps que l'on devenait des européens pour de bon, j'allais pouvoir
contribuer à la rendre, cette chance, à des millions et des
millions d'autres hommes et femmes d'Europe, mais qui pourtant, jusqu'à
ce jour n'avaient pas pu vivre comme vivaient les européens à
part entière. Ainsi j'ai pris la Présidence de l'Assemblée
Parlementaire d'un Conseil de l'Europe à 26 États membres et je
l'ai quitté à 39, avec un enfant posthume - et quel enfant, la
Russie, qui a adhéré formellement la semaine même de mon
départ.
A l'heure qu'il est, je voudrais partager avec vous à peine trois
réflexions.
La première, c'est que l'élargissement a constitué un
pari, un défi extraordinaire de courage, de
générosité - voire de solidarité - et de
cohérence de la part du Conseil de l'Europe : un pari dont nous devons
être fiers. Ce fut probablement l'action la plus remarquable, la plus "
historique " de son Histoire ; celle par laquelle l'Institution a le plus
influencé le cours de l'Histoire, le plus contribué à ce
que ce cours aille dans le sens de la liberté, du respect des droits de
l'homme, de l'état de droit, du progrès, en somme, de tout ce qui
est la raison d'être du Conseil de l'Europe.
J'affirme d'ailleurs ma conviction de ce que ce fut là un pari
gagné, malgré certains puristes qui pensent qu'on y a
laissé trop de plumes, trop de concessions, trop de valeurs
sacrifiées à je ne sais plus quelle spéculation. Un pari
gagné, vous dis-je, sans exception et sans marche arrière,
même si beaucoup reste à faire, dans ce que l'on continue
d'appeler - jusqu'à quand ? je me le demande - les " nouveaux
états membres ", et chez les vétérans aussi.
En effet beaucoup reste à faire dans la construction d'une Europe de la
liberté, mais aussi -et que cela fait plaisir de le dire ici - dans la
construction d'une Europe de la fraternité et de
l'égalité. En particulier de l'égalité du droit de
tous les européens à vivre en européens, et à faire
partie de l'Europe, sans que certains - du fait d'être arrivés les
premiers - puissent se permettre d'exclure d'autres, puissent se permettre de
leur refuser la chance de participer au projet qui nous appartient à
tous.
Ma deuxième réflexion sera pour souligner le rôle de
certains responsables politiques qui ont compris, qui ont poussé, qui
ont cru au Conseil de l'Europe comme instrument de libération et de
solidarité ; comme l'instrument capable d'intégrer des pays et
des peuples en ayant le droit, dans le projet de l'Europe moderne. Une Europe
définie autant par la carte que par une série de valeurs,
universelles au demeurant, et pour autant pouvant nous lier à d'autres
peuples, à d'autres continents, pour bâtir ensemble un monde
meilleur.
Je n'en citerai que trois ou quatre de ces hommes : Mitterrand, Khol,
Gonzàlez et Gorbatchev. Bien sûr, il y a là des omissions -
pas des oublis - injustes, mais je pense sincèrement que ceux-là
furent les principaux artisans de ce Conseil de l'Europe qui a pu beaucoup
contribuer à ce que s'écroule le mur de Berlin qui n'est
certainement pas tombé du fait du hasard ou du miracle. Mais qui ont
aussi beaucoup contribué à ce que le mur ne tombe pas pour rien,
mais bien pour que ce projet européen reprenne sa dimension naturelle,
celle dont nous parlaient nos vieux livres d'Histoire et de Géographie.
Laissez-moi tout de suite ajouter qu'à mon avis ce mur ne peut pas
être non plus tombé pour qu'on en bâtisse d'autres en
Europe, comme le voudraient certains, entre ceux qui font déjà
partie du projet de l'Union et ceux qui n'en sont encore qu'à
réclamer la place qui leur y est due.
Une deuxième remarque, un peu en guise de conclusion ; pour affirmer que
le Conseil de l'Europe reste indispensable, aujourd'hui comme hier, pour que
l'Europe se fasse, et en tout cas, comme l'a dit, je crois, Jacques Delors,
pour que l'Europe puisse avoir un coeur, pour qu'on puisse l'aimer ; pour que
les jeunes puissent y croire et se battre pour, à leur tour, comme ce
fut le cas de la génération de Louis Jung et de la mienne.
Car c'est bien le Conseil de l'Europe qui continuera à définir,
à mettre à jour les valeurs qui restent pour moi le signe
d'identité de l'Europe et non pas un accessoire du marché que
d'autres situent au tout premier plan de leur projet. Mais surtout c'est le
Conseil de l'Europe qui peut mettre en avant l'évidence de ce que
l'Europe ne peut pas exclure de sa construction des européens qui
veulent en faire partie et qui s'engagent à jouer le jeu et à
payer le péage, tout comme les autres : ni moins, ni plus ; ni plus, ni
moins.
Très chers amis : je vous dis tout cela à l'heure où
j'entame un nouveau chapitre de ma vie en tant que membre du Parlement
Européen, où je me sens d'ailleurs bien réconforté
par la compagnie de collègues comme Catherine Lalumière et
d'autres, provenant comme moi même de la mouvance du Conseil de l'Europe.
Or, je m'aperçois que tout ce qui parait absolument clair pour nous, est
loin d'être évident pour tout le monde. Que sont nombreux ceux qui
se situent dans une autre perspective -les uns ignorants, oublieux les autres,
ou tout simplement mécréants de l'Europe, de notre Europe, encore
quelques-uns-. Nombreux en effet sont ceux qui, une fois bien installés
dans le train, trouvent qu'on est déjà assez nombreux, sans doute
même trop nombreux, à leur goût.
Face à ceux-là, il faudra continuer à se battre pour que
reste en action le Conseil de l'Europe et ce que l'ose appeler " l'esprit, la
dynamique Conseil de l'Europe ". Car sans le Conseil de l'Europe, sans que le
Conseil de l'Europe y joue tout le rôle qui lui revient il n'y aura pas
d'Europe qui vaille. Ou en tout cas, pas d'Europe qui vaille la peine. A nous
de nous y prendre avec toutes nos forces.
Un jour, je discutais de cela même avec Helmut Khol dans son bureau de la
Chancellerie à Bonn, devant la baie laissant voir le Rhin superbe
à quelques dizaines de mètres. Je lui ai dit que le bateau "
Conseil de l'Europe ", prévu pour une dizaine de passagers au
départ, ne pouvait plus naviguer à quarante. Il m'a
répondu " changeons de bateau, on y mettra les moyens, mais ne
changeons pas de fleuve... ". Hélas, non, cette promesse ne fut pas
tenue et ce fut là un espoir déçu : les moyens
nécessaires, on ne les a pas trouvés. Je ne m'en plaindrai pas.
Je dirai tout simplement que c'est une partie remise. Une partie qui reste
essentielle et où il nous faut réussir.
Je finirai en disant ici ce que j'ai dit à François Mitterrand le
jour où nous l'avons reçu dans notre Assemblée. Comme lui,
j'ai voué toute ma vie à lutter contre les privilèges et
à en chercher l'abolition. Pourtant, il est un privilège auquel
je ne renoncerai pas : c'est celui de proclamer ma reconnaissance au Conseil de
l'Europe et à la France, pour ce que je leur dois ; et c'est celui de
réitérer mon engagement pour qu'aille de l'avant ce que la France
et le Conseil de l'Europe nous ont appris.
La consolidation de la démocratie en Albanie
M. Skender GJINUSHI
Président du
Parlement albanais
L'organisation de cette commémoration du
cinquantième
anniversaire du Conseil de l'Europe prouve que l'institution a bien
justifié son existence. L'Europe d'avant la Deuxième Guerre
mondiale, qui, selon Churchill, était remplie de fleuves de sang, avait
compris déjà que sa géopolitique devait changer. Elle
devait dorénavant être basée sur la coexistence et
l'égalité entre les peuples et les individus. Les valeurs de
l'Europe occidentale furent opprimées pendant plus de quarante ans
à l'Est. La chute du Mur de Berlin fit naître l'espoir que la
partie orientale pouvait suivre l'exemple occidental. Les Pays d'Europe
Centrale et Orientale sont aujourd'hui proches de cette intégration.
Mais malheureusement, les pays de Balkans, en butte à une histoire de
conflits interethniques, s'embrasèrent : de nouveaux Etats furent
créés, résultant de la désintégration de
l'ancienne Yougoslavie. Cette évolution est en contradiction avec le
mouvement d'intégration européenne. Cependant, l'analyse des
événements témoigne de l'attachement des peuples des
Balkans à la coexistence et à la construction d'une Europe
commune fondée sur l'égalité entre les peuples. La
Yougoslavie repose sur des critères contraires à ceux du Conseil
de l'Europe. Elle ne peut donc pas se rattacher à l'Europe sans passer
par la désintégration. La désintégration des Etats
artificiels fondés sur une idéologie nationaliste fut
inévitable au même titre que celle du bloc de l'Est basée
sur l'idéologie communiste. Cela fut réalisé grâce
à la volonté, aux sacrifices et aux aspirations
européennes de ces peuples. La paix en Bosnie et au Kosovo a
marqué la fin de cette désintégration, créant pour
la première fois les conditions réelles pour l'intégration
des peuples des Balkans, y compris l'Albanie, en les traitant de manière
égale. Cette réalité nouvelle marque l'arrêt de la
désintégration balkanique en même temps que l'amorce du
processus d'intégration européenne. La situation actuelle des
Balkans est à plus d'un point similaire à celle dans laquelle se
trouvait l'Europe occidentale à l'issue de la Seconde Guerre mondiale.
La région doit suivre la voie suivie par l'Europe occidentale et
favoriser les initiatives bilatérales et multilatérales, en
particulier par l'intermédiaire d'institutions telles que le Conseil de
l'Europe, l'OSCE et l'Union européenne.
La voie de l'intégration est aujourd'hui plus claire car nous n'avons
pas à la mettre en place comme ce fut le cas pour l'Europe occidentale.
Nos pays sont membres du Conseil de l'Europe et de l'OSCE, acceptant
d'appliquer des principes. Cependant, ils ne remplissent pas encore les
conditions institutionnelles et économiques pour garantir leur respect.
Le pacte de stabilité entend répondre à cette
difficulté. Il constitue en effet l'unique moyen pour le
développement ultérieur de la région. Cela explique le
soutien que lui apporte la politique albanaise.
La démocratisation des pays de la région constitue un autre enjeu
majeur. Cette démocratisation doit favoriser la stabilité
interne, le respect des minorités, les politiques de bon voisinage et
l'intégration. Pour sa part, l'Albanie avance vers une consolidation de
sa démocratie. Après avoir surmonté les dernières
crises et la situation au Kosovo, la situation est en voie de normalisation.
Ainsi, une réforme institutionnelle, législative et
économique a été menée afin de mettre en place la
nouvelle constitution préparée en étroite collaboration
avec la Commission de la Démocratie par le Droit, fondée par un
Accord partiel du Conseil de l'Europe et qui siège à Venise.
Cette initiative a pour but de respecter les engagements pris lors de la
récente admission au Conseil de l'Europe. L'Albanie a récemment
ratifié la convention sur la protection des minorités du Conseil
de l'Europe ainsi que la convention européenne sur l'autonomie du
pouvoir local. Le projet de loi sur les investissements est parmi les plus
libéraux d'Europe. Ces avancées ont été rendues
possibles par le soutien apporté par diverses institutions
internationales : le Conseil de l'Europe, l'OSCE, la Banque mondiale, le
FMI, etc. Je remercie le Conseil de l'Europe pour son soutien en vue de
l'adoption d'une législation démocratique et du renforcement des
institutions démocratiques en Albanie.
L'admission de l'Albanie au Conseil de l'Europe a été
perçue comme un grand événement, comme le premier pas vers
l'Europe de demain, comme la première porte qui s'ouvrait à nous.
Cela se vérifie chaque jour.
La Moldavie face à la transition
M. Nicolae TABACARU
Ministre des Affaires
étrangères de Moldavie
Je tiens
à exprimer mon plaisir à intervenir aujourd'hui devant vous. Je
suis heureux de m'exprimer sur un thème très sensible pour notre
pays. La volonté des Européens d'unifier leurs efforts est
née bien avant la création du Conseil de l'Europe. Les illustres
représentants de l'élite française et anglaise ont
essayé de concrétiser cette aspiration des peuples du Vieux
Continent à l'unité. Mais il a fallu un siècle pour que
certaines de ces idées aboutissent et pour que chacun prenne conscience
de la nécessité de l'unité européenne.
La performance la plus remarquable du Conseil de l'Europe est peut-être
son élargissement à tous les Etats européens.
L'intégration dans diverses structures continentales, notamment dans
l'Union européenne, est un objectif central de la politique
étrangère de plusieurs Etats européens, dont la
République de Moldavie. Le Conseil de l'Europe joue un rôle
particulier dans l'évolution démocratique de notre pays. Ses
exigences nous ont obligés à adapter notre législation aux
normes en vigueur et à effectuer une réforme institutionnelle. Je
tiens d'ailleurs ici à rendre hommage à M. Miguel Angel Martinez
et à Mme Catherine Lalumière qui, il y a cinq ans, ont
contribué de façon substantielle à l'octroi de mandats de
confiance à notre pays.
La Moldavie est devenue le premier membre de la Communauté des Etats
Indépendants à adhérer au Conseil de l'Europe. Je voudrais
en remercier Mme Josette Durrieu, rapporteur pour la Moldavie auprès de
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. J'espère
qu'elle confirmera la poursuite des réformes démocratiques dans
notre pays, même si l'acceptation des principes démocratiques les
plus avancés et des normes de l'économie de marché ne
signifie pas qu'ils sont automatiquement atteints. Les problèmes
économiques et sociaux ne nous permettent pas encore de
bénéficier des succès attendus sur la voie de la
transition. Nous sommes toujours à la recherche de notre identité
moderne. S'il a fallu des siècles pour que les systèmes
politiques occidentaux se constituent, notre société n'a eu que
quelques années pour élaborer les siens.
Il y a quelques jours, j'ai participé à la réunion des
Ministres des Affaires étrangères des pays francophones. Nous
avons discuté de plusieurs problèmes, en particulier de
problèmes touchant à la promotion de la démocratie dans
les pays francophones. Le secrétaire général,
M. Boutros Boutros Ghali, a dit que la démocratie ne pouvait
être ni importée ni exportée. Cela me semble important. Il
nous faut du temps. La démocratie doit s'enraciner dans la
société, dans l'esprit des gens. Nous avons besoin de votre
assistance et nous demandons votre patience. La majorité des
problèmes que nous rencontrons sont inhérents à la
période de transition. Plus vite les Etats européens surmonteront
ces problèmes, plus vite on verra émerger une Europe
élargie et prospère.
La conscience européenne ne peut être fondée que sur la
sécurité et la stabilité de chaque Etat en particulier et
du continent en général. La sécurité signifie
d'abord l'intégrité territoriale des Etats. Il me semble que le
séparatisme, qui génère des conflits, constitue un
sérieux obstacle pour l'intégration européenne, pour
l'affirmation de la conscience européenne. Nous avons beaucoup
apprécié les résultats du sommet de l'OSCE d'Istanbul et
nous sommes certains que la mise en oeuvre de ses décisions contribuera
d'une manière directe à l'affirmation de la conscience et de
l'esprit européens. Nous considérons également que
l'expérience acquise au Kosovo est bonne, même si ses
modalités sont aujourd'hui discutées. Le massacre a
été arrêté et les bases nécessaires au retour
de la stabilité dans la région et à la préservation
de l'intégralité territoriale de la Yougoslavie ont
été consolidés. Il est important de ne pas créer de
précédents qui pourraient provoquer des réactions en
chaîne.
Le pacte de stabilité pour le Sud de l'Europe est également une
bonne initiative. Il est regrettable que la Moldavie y soit pour l'instant
acceptée uniquement en qualité d'observateur. Nous ne cesserons
pas de réclamer une participation à part entière. On ne
peut pas parler d'une véritable stabilité dans toute la
région sans tenir compte de l'intégralité de l'espace
européen. La Moldavie est confrontée depuis sept ans à un
conflit qui menace directement son intégrité territoriale. Sa
participation au pacte de stabilité est donc plus que vitale.
Par ailleurs, la Moldavie souhaite participer à l'Union
européenne et s'est toujours efforcée de répondre aux
exigences de cette intégration. Dans le cadre du pacte de
stabilité, des pays dont la situation est similaire à celle de la
Moldavie bénéficient d'un feu vert de la part de l'Union
européenne. Nous nous trouvons donc devant un dilemme : devons-nous
poursuivre nos efforts pour une adhésion au pacte à part
entière ou continuer dans la voie de l'association en répondant
aux exigences économiques de l'Union européenne ? Je pense
qu'une politique plus explicite s'impose.
Mesdames et Messieurs, la Moldavie est confrontée, comme les autres pays
de la région, au problème de la transition. Les changements
radicaux intervenus ces dernières années ainsi que les
réformes économiques ont généré des
difficultés inattendues pour toute la société. Nous vivons
aujourd'hui certains effets paradoxaux de la réforme. Une
catégorie de la population a vu sa mentalité modelée par
un système politique totalitaire qui assurait un niveau de vie nettement
supérieur à celui dont elle bénéficie
aujourd'hui : gratuité des études, protection sociale
élevée, etc.
L'expérience occidentale nous offre des modèles avancés
d'organisation de la vie politique et économique dans les conditions
d'un pluralisme véritable. La Moldavie a choisi le système
démocratique, comme le montrent les dix dernières années.
Mais les réformes ont conduit à une baisse dramatique du niveau
de vie. Il est normal que nos citoyens se demandent si les sacrifices qu'ils
doivent consentir en valent vraiment la peine. Nous avons donc besoin du
soutien international, de signaux d'encouragement clairs de l'Occident et des
organisations européennes pour nos réformes. Il devient difficile
de maintenir la motivation de la population pour l'Europe, surtout depuis que
nous avons affiché comme priorité l'intégration
plénière dans l'Union européenne. La volonté de
tout Etat, y compris la république de Moldavie, de se conformer aux
exigences de la conscience européenne, doit être stimulée
par des actions concrètes et non par de simples déclarations.
Il faut renoncer aux suspicions Est/Ouest. Nous n'avons rien à cacher.
Nous avons adopté le principe de la transparence. L'Occident comme les
pays de l'Est ont salué la disparition du bipolarisme. Nous
procédons à la construction d'un espace commun animé par
les valeurs suprêmes de la démocratie.
Le peuple moldave appartient à la famille européenne de par sa
culture et son histoire. La grande majorité de nos citoyens acceptent
l'idée de la diversité culturelle et de la modernité des
institutions européennes. L'unité européenne ne peut
être mise en oeuvre sans un système basé sur un respect de
la vie et de la dignité humaine. Le Conseil de l'Europe permet à
tout Etat européen d'identifier le rôle qu'il pourra jouer dans la
prochaine architecture.
En conclusion, j'aimerais croire que le concept de l'unité
européenne est aujourd'hui plus proche que jamais même si les
processus politiques, économiques et sociaux sur lesquels il repose
n'est pas exempt de nuages. Le Conseil de l'Europe devra identifier de
nouvelles voies et des moyens viables pour répondre aux exigences et
matérialiser les espoirs de tous les peuples européens comme il
l'a fait pour les démocraties occidentales.
La Géorgie en Europe
Mme Lana GOGOBERIDZE
Ancienne présidente
de la délégation du Parlement géorgien au Conseil de
l'Europe, Ambassadeur,
Représentante permanente de la Géorgie
au Conseil de l'Europe
Je tiens
à remercier les organisateurs de ce colloque très
intéressant, que je trouve très intéressant. J'ai entendu
ici des paroles très émouvantes. Je veux également
remercier Josette Durrieu, mon amie, qui s'est beaucoup impliquée dans
l'organisation de ce colloque et se bat au Conseil de l'Europe, et pour la
Géorgie, entre autres.
Je parle aujourd'hui au nom d'un petit pays, ancien par son histoire et tout
jeune par son parcours démocratique. Notre président a largement
contribué à la chute du Mur de Berlin et aux changements dans
l'Europe. Je tiens à ce qu'on ne l'oublie pas. C'est important pour
toute la région.
Au cours de notre histoire, pleine de dangers, d'invasions et de
dévastations, nous avons plusieurs fois frappé à la porte
de l'Europe. C'est la première fois qu'elle s'entrouvre. La
découverte du Conseil de l'Europe a été pour nous une
révélation. Nous souhaitons obtenir une petite place dans la
grande et belle maison de l'Europe. Nous voudrions contribuer aux changements
architecturaux de l'Europe pour que ses institutions soient plus efficaces et
pour que les notions d'aide et d'interdépendance aient un contenu
réel. Les peuples doivent percevoir les liens qui les unissent en une
seule entité européenne.
Nos valeurs historiques correspondent à celles du Conseil de
l'Europe : la tolérance, l'ouverture, l'attitude
démocratique de nos rois qui se promenaient dans les rues et
côtoyaient les paysans dans les villages. Le décret du
XIIème siècle de la reine Tamara a aboli la peine de mort.
L'égalité des hommes et des femmes était
déjà affirmée. C'est peut-être pour cela que nos
citoyens rêvent d'appartenir à l'Europe, tout en préservant
bien sûr leur identité culturelle. Cette vision de la grande
Europe, sans clivage, est si belle que l'on finit par se demander si elle
pourra se réaliser vraiment.
C'est un objectif brillant mais difficile à atteindre. Je connais la
force, mais aussi les faiblesses de la grande Europe. Rassembler des pays dont
les cultures et les histoires sont différentes permet de renforcer les
principes et les idéaux et d'acquérir un nouveau dynamisme. Nous
avons su vaincre les chimères de l'idéologie, oublier la logique
qui séparait le monde en deux blocs antagonistes et découvrir que
nos similitudes sont plus fortes que nos différences. La force de la
grande Europe réside aussi dans notre conscience commune. Demain, il
sera impossible au nazisme, au racisme, à la xénophobie, à
toute idéologie fondée sur la violence, la haine et le droit du
plus fort de se répandre.
Les petits pays savent très bien ce qu'implique le droit du plus fort.
Là où il s'exerce, la conscience se tait. J'ai malheureusement
l'impression que c'est encore le cas dans cette grande et belle Europe. Il faut
assurer l'égalité et le respect mutuels, refuser toute trace
d'impérialisme, accorder de l'importance et du pouvoir aux petits pays,
renforcer la dignité nationale de ces Etats qui ont trop souvent
été malmenés au cours des siècles. Ces blessures
sont des expériences pénibles. J'espère qu'il n'y en aura
plus jamais puisque nous sommes tous sur un pied d'égalité,
puisque nous éprouvons du respect les uns pour les autres. Le rêve
se transformera en réalité.
Me référant à l'expérience de notre
président, je confirme qu'il est plus facile de détruire un grand
empire que de construire un petit Etat démocratique. Nous avons
peut-être été trop naïfs. Nous pensions qu'il
suffisait d'être indépendants, de donner la priorité
à la démocratie et au libre marché, pour que tous les
problèmes soient résolus. Nous n'avons pas vu venir les dangers,
dont le plus grave est la résurgence des conflits internes qui freinent
le développement, dévastent l'économie et favorisent la
résurgence des nationalismes. Les résultats sont tragiques pour
les réfugiés. Il est difficile de parler des droits de l'homme
dans un pays où les citoyens sont privés de tous leurs droits.
Nous voudrions que le Conseil de l'Europe et l'Europe en général
nous aident et aient un sens plus aigu de l'importance de l'espace. Nous
souhaitons qu'ils considèrent le séparatisme agressif comme une
menace pour mon pays, mais également pour toute la communauté
européenne.
Nous sommes heureux de la candidature de l'Arménie et de
l'Azerbaïdjan au Conseil de l'Europe. Sans eux, la sécurité
en Europe est une chimère.
Le philosophe Géorgien Merab Mamardashvili, dont Jean-Pierre Merman a
écrit qu'il était le Socrate de Géorgie, a dit :
« si tu crois que le martyr du Christ a eu lieu il y a 2000 ans, ton
âme est perdue ; pense plutôt qu'il souffre toujours, à
côté de toi, et agis. » C'est là je pense la
mission la plus sublime du Conseil de l'Europe.
Mme Josette DURRIEU :
L'un des pays où j'ai ressenti avec le plus de force et de
vérité le sens du mot « tolérance »
est la Géorgie. Je pense que ce pays sera le moteur d'une
démarche que nous engageons vers plus de démocratie basée
sur plus de tolérance.
Débat
M.
Michal MIASKIEWICZ, Représentant de l'Assemblée européenne
des Jeunes :
Au temps de Victor Hugo, le prince Czartoryski, leader politique polonais,
vivait en exil à Paris. Il avait fait la même proposition :
créer les nations unies d'Europe. Cela lui semblait être la
solution aux problèmes politiques du continent.
La victoire en 1989 de Solidarnosc dans mon pays, quatre mois avant la
destruction du mur de Berlin, était une victoire commune contre le
communisme. Il ne s'agissait pas d'un « miracle »
isolé. Les résistances sociales très vives, dans mon pays
et dans bien d'autres, au communisme se fondaient sur des principes
présents dans la culture européenne depuis 2000 ans. Le
christianisme nous a donné une base philosophique, anthropologique et
ontologique pour la défense de la dignité de l'être
humain : autonomie de la personne, propriété privée,
liberté.
Le temps du nazisme et du communisme a été un temps de
confrontations. Seule une connaissance des deux revers de cette même
médaille nous permettra de chasser définitivement ces
démons de notre histoire. Nous voulons défendre l'avenir de
l'Europe, en faire une maison pacifique, rejeter les démons de la haine,
de l'intolérance, de la discrimination et des traitements inhumains.
Quand les pays de l'Est de l'Europe étaient sous le joug de
régimes communistes, les projets politiques provenaient surtout des
institutions européennes occidentales. Construire une nouvelle Europe
pacifique est aujourd'hui notre priorité. Les leçons des
cinquante dernières années nous ont appris que
l'élaboration d'un projet de société ne doit pas
être confiée à la bureaucratie. Nous avons avant tous
besoin d'un dialogue européen qui permette l'expression harmonieuse de
toutes les identités.
M. Jean BRIANE, député, membre de la Délégation
française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe :
Il y a cinquante ans que je milite pour l'Europe, trente ans que je fais de la
politique active et six ans que je siège au Conseil de l'Europe. J'ai
découvert que le Conseil de l'Europe donnait du sens au combat pour les
droits de l'homme, pour la démocratie et pour le développement
durable. Il joue un rôle éminent pour la protection de
l'environnement.
Les néo-européens de l'Union européenne qui passent par
pertes et profits le Conseil de l'Europe ont tort. L'Europe a besoin du Conseil
de l'Europe, de sa présence, de sa réflexion. Il faudrait
envisager de la façon dont pourraient s'exercer les
complémentarités entre l'Union européenne, qui compte 15
pays, et le Conseil de l'Europe, qui en compte
quarante et un
. L'Union
européenne aura toujours besoin du sens et de la conscience qu'apporte
le Conseil de l'Europe.
Mme Eleonora HUSSEINOVA, Ambassadeur d'Azerbaïdjan :
L'Azerbaïdjan attend dans l'antichambre du Conseil de l'Europe. Je tiens
à présenter toutes nos félicitations et tous nos voeux de
continuation à cette institution, qui est guidée par une noble
ambition. Je souhaite exprimer le souhait de l'Azerbaïdjan d'en franchir
très bientôt la porte et d'entrer dans la grande famille
européenne.
M. Georges LEMOINE, député, membre de la
Délégation française à l'Assemblée du
Conseil de l'Europe, ancien Ministre :
Nous attendons nous aussi avec impatience votre entrée dans le Conseil
de l'Europe.
M. Christian TER-STEPANIAN, Représentant permanent de
l'Arménie auprès du Conseil de l'Europe :
Je remercie la Délégation française et sa
Présidente, Mme Josette Durrieu, d'avoir organisé cette
réunion. Beaucoup d'intervenants ont insisté sur la
nécessité de promouvoir le Conseil de l'Europe. Je tiens à
souligner l'importance des programmes de coopération dans la phase
d'accession au Conseil de l'Europe. Les contacts qui peuvent se nouer au niveau
parlementaire entre les responsables gouvernementaux dans toute une
série de rencontres sont essentiels. Il y a là tout un
apprentissage. Sept ministères en Arménie sont en contact avec le
Conseil de l'Europe. Cela permet des échanges fructueux. L'Europe, la
démocratie sont aussi un combat. Ces échanges propagent les
idées de démocratie, d'Etat de droit, de droits de l'homme. C'est
le ferment de nos réformes, ô combien utile !
Le rôle des collectivités locales
M. Alain CHENARD
Président du
Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe
Conseiller municipal à la Mairie de
Nantes
C'est
avec émotion que je vous présente aujourd'hui les actions du
Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux. Nous
bénéficions de nombreuses coopérations entre
l'Assemblée Parlementaire et le C.P.L.R.E., même si elles restent
insuffisantes. L'action du Conseil de l'Europe est globale : nous devons
avoir le plus de contacts possible pour que notre action soit efficace. Si
l'Assemblée parlementaire a ses missions propres, auprès des
Etats en particulier, nous sommes ici dans une maison, le Sénat,
où beaucoup d'élus locaux siègent. Un Etat ne devient
nation que si les collectivités locales sont actives, vivantes et
inscrites dans le quotidien des citoyens. L'action que mène le Conseil
de l'Europe auprès des collectivités locales est désormais
reconnue et c'est justifié.
Souvenez-vous de l'importance des jumelages. Nous sortions d'un conflit
difficile, meurtrier. Nous nous étions entre-tués. Il fallait
oublier, effacer et reconstruire. Mais il fallait surtout se découvrir,
se reconnaître. Les jumelages ont joué un rôle fondamental
dans ce sens. Aujourd'hui plus personne n'imagine possible un conflit entre la
France et l'Allemagne. A l'occasion de notre célébration du
cinquantième anniversaire, nous avons reçu deux associations
d'élus, l'une de République Sberka, l'autre de Bosnie
Herzégovine. Ces associations étaient nées dans des
contextes difficiles. Elles ont décidé symboliquement de
fusionner en une seule association. Cela m'a rappelé les
premières collectivités locales qui, quatre ans après la
fin de la guerre, prenaient le risque de se faire insulter avec les premiers
jumelages. Les collectivités locales ont aidé à
créer une nouvelle Europe qui ne se pense plus en termes de conflits.
Nous avons le même chemin à parcourir pour qu'au-delà du
Mur déchu en 1989, nous puissions construire un espace homogène
de connaissances et de reconnaissance de valeurs mutuelles. C'est possible,
même si les formes seront peut-être nouvelles. Compte tenu des
difficultés économiques justement soulignées par le
représentant de la Moldavie ce matin, les jumelages doivent sans doute
proposer de la chaleur humaine, mais également une coopération
beaucoup plus concrète et technique. Lorsque, il y a 20 ans, avec Oskar
Lafontaine, nous décidions de jumeler nos villes avec Tbilissi, nous
savions qu'un jour peut-être, nous pourrions construire ensemble quelque
chose de nouveau. Je suis retourné en Géorgie
récemment : je l'ai retrouvée toujours aussi fière,
mais profondément meurtrie.
Il sera donc nécessaire, au niveau des collectivités locales, de
donner un contenu à nos jumelages qu'il faudrait d'ailleurs sans doute
appeler « partenariats » plutôt que
« jumelages ». C'est une rude tâche de
rétablir la démocratie là où elle a souvent
été ignorée. L'Assemblée parlementaire, le
Secrétariat général, ont largement participé
à la période post-1989 de la vie du Conseil de l'Europe au niveau
législatif en aidant à élaborer les lois fondamentales.
Nous sommes pour notre part heureux d'avoir pu coopérer avec eux pour
tout ce qui concerne le volet collectivités locales. Je tiens à
remercier M. Martinez, qui présidait l'Assemblée parlementaire,
et Mme Lalumière, alors Secrétaire général, de leur
compréhension du rôle de ces dernières sans lesquelles la
concrétisation de la démocratie n'est pas possible.
Le Conseil de l'Europe doit veiller à ce que ces valeurs sur lesquelles
nous construisons ce nouvel espace soient toujours présentes à
notre esprit. C'est l'objectif de notre rapport de monitorage. Tous les ans,
nous inscrivons à l'ordre du jour 5 ou 6 pays qui peuvent être des
démocraties émergentes ou même installées de plus
longue date. L'année dernière, nous avons examiné (entre
autres) l'Allemagne et la Hollande. Cette année, nous étudierons
la France, dont l'élan de décentralisation devrait
peut-être être réactivé.
Nous sommes présents sur le terrain. Dernier exemple, nous avions des
contacts au Kosovo avant que le conflit n'éclate. Des maires nous
avaient fait part de leurs difficultés. Nous avions pu établir
des propositions dont on sait qu'elles ont été utiles au moment
de Rambouillet et dans la déclaration de l'ONU. L'ONU nous a
demandé d'aller au Kosovo dès juillet pour pouvoir faire des
propositions. J'ai vécu là-bas des jours difficiles mais
passionnants. Mais nous savons bien que ce qui est en train de se
résoudre aux Balkans peut rester problématique dans d'autres
lieux. Rien n'est jamais résolu en ce domaine. Madame Lalumière
citait le Général de Gaulle, qui a dit du Conseil de l'Europe
qu'il était une institution qui dort au bord du Rhin. Quand j'entendais
sous ma fenêtre, à Pristina, pendant la nuit, les compresseurs de
l'ONU nous fournissant de l'électricité, je n'avais pas
l'impression que c'était le doux chant de Lorelei qui montait
jusqu'à moi...
Pour une Union véritable
M. Michal MIASKIEWICZ
Représentant de
l'Assemblée européenne des Jeunes
Le danger des murs
Les murs du passé
Le Mur
de Berlin, qui est évoqué dans l'intitulé de la
séance de ce matin, est un de symboles les plus manifestes et les plus
mornes de l'histoire. Cependant, il n'est pas seul à représenter
le totalitarisme, la domination. Le Rideau de fer, que Churchill
décrivit à Fulton (Missouri, USA) en 1946 et la barrière
du chantier naval de Gdansk, que Lech Walesa escalada en 1980 pour sonner le
début de la dissolution du communisme, sont autant d'incarnations de ce
fameux Mur, qui tomba à Berlin en 1989.
Lorsque je suis né il y a 18 ans, Gdansk, ville hanséatique qui
avait vu naître Hevelius, Fahrenheit et Schopenhauer, figurait encore
parmi ces villes situées « de l'autre côté du
Mur », où la
liberté
était une invention
bourgeoise, où
l'égalité
obéissait à
la règle d'Orwell, « Nous sommes tous égaux, mais certains
sont plus égaux que d'autres », où la
fraternité
n'avait de sens que dans le contexte de
« Big Brother ». Mon côté du Mur n'était pas
bardé de graffitis bariolés mais gris et menaçant. Si je
suis devant vous aujourd'hui, c'est grâce non seulement à
l'invitation que j'ai reçue, dont je suis sincèrement
reconnaissant, mais également grâce à un heureux jugement
de l'histoire.
Les spectres de l'avenir
Il est
peut-être surprenant d'entendre ces mots de la bouche d'un jeune homme
dont la seule expérience vécue du communisme se résume, je
l'avoue, à plusieurs heures passées dans des files d'attente pour
obtenir du sucre. Mais mes propos trouvent leur justification dans deux faits.
Tout d'abord, je suis un Européen d'Europe centrale et, de même
que mes concitoyens, j'apporte à la nouvelle Europe la conscience de
l'histoire et l'expérience du totalitarisme. Ayant réussi
à abattre ce mur qui a divisé l'Europe pendant 45 ans, nous,
Européens, ne devons pas laisser s'ériger de nouveaux murs.
Certains diront que le modèle bipolaire est révolu, qu'il est
inconcevable que se bâtisse un nouveau mur.
Je leur répondrai que les murs n'ont pas besoin d'être des
structures physiques à deux dimensions pour créer l'oppression et
être à l'origine de l'exclusion. Aujourd'hui, il est
légitime de craindre qu'un nouveau mur s'érige entre les
bénéficiaires d'une part et les victimes d'autre part de la
transformation qui s'est opérée dans certains pays
post-communistes. Si la modernisation de l'Ukraine continue d'être aussi
lente, si les principes des accords de Schengen sont appliqués en
Pologne avec autant d'intransigeance que dans d'autres pays, la
séparation autrefois dessinée par l'Elbe se déplacera vers
la Bug, qui dessine la frontière orientale de la Pologne. J'aimerais me
concentrer sur le deuxième danger, le danger économique. Faut-il
reculer devant l'élargissement sous prétexte que la suppression
des frontières économiques et politiques entre Etats membres
entraîne fatalement le renforcement des frontières de l'Union
européenne et, donc, d'un nouvel enfermement ? Ce serait absurde.
Le seul élément nécessaire pour empêcher la
naissance de nouvelles divisions en Europe est celui qui joue un si grand
rôle dans l'histoire politique et intellectuelle de mon pays depuis vingt
ans : la solidarité. L'Europe occidentale ne peut se permettre de
rester une île où règne la légalité, la
sécurité et la prospérité au milieu de
l'océan de l'instabilité, de la pauvreté et du
désespoir, même si je n'ai la prétention de lui indiquer
comment elle doit faire pour éviter cette réalité.
Le rôle du Conseil de l'Europe
Le Conseil de l'Europe doit être fondé sur le principe de la solidarité. Si l'Union européenne parvient à devenir synonyme de parfaite intégration des Etats, elle s'imposera d'elle-même. Il ne fait aucun doute que je suis conquis par l'idée d'une intégration européenne à la fois économique, politique et militaire. Je soutiens ardemment cette Europe, qui saura se tailler une place sur le marché international, qui sera fondé sur le respect des cultures qui la constituent, qui s'appuiera à la fois sur le passé et le présent. Il n'en reste pas moins que l'Europe ne pourra pas accueillir tous les pays dont les citoyens se sentent pourtant membres de la famille européenne. Ce sentiment d'appartenance est particulièrement manifeste dans plusieurs pays d'Europe centrale et d'Europe de l'Est.
L'identité européenne
Norman
Davies en donne un témoignage dans son ouvrage
L'Europe : une
histoire
. En 1923, un des premiers bâtiments de la Ligue
pan-européenne, idée du comte Richard Coudenhove-Kalergi,
s'ouvrait à Tallinn, la capitale de la Lettonie. Une plaque en bronze
fut accrochée à la porte principale portant la mention
suivante : PANEUROPA UNION ESTONIA. Dix-sept ans plus tard, lorsque
l'Armée Rouge envahit la Lettonie, les membres de la Ligue
cachèrent la plaque. En 1992, lorsque Otto von Habsburg, membre du
Parlement européen, vint en visite en Lettonie, ses hôtes
sortirent la plaque de sa cachette et la lui présentèrent.
Symbole des aspirations secrètes des Lettons, elle avait
été dissimulée pendant 50 ans.
Lorsque l'on demanda à l'évêque Tadeusz Pieronek, membre de
l'épiscopat de Pologne, pourquoi il était favorable à
l'Europe, il répondit : « Parce que l'Europe est ma
terre. Elle est dépositaire de mes croyances, qu'on a voulu m'arracher.
Elle est ma civilisation ». A ma grande joie, la Pologne et la
Lettonie doivent devenir membres de l'Union européenne d'ici quelques
années. Néanmoins, même si tous les pays candidats à
l'heure actuelle étaient intégrés à l'Union, elle
ne compterait toujours que 22 membres. Le Conseil de l'Europe compte deux fois
plus de membres, la seule condition d'entrée étant le respect des
droits de l'homme et de la démocratie.
Une mission humaine
De toute
évidence, le Conseil de l'Europe joue un rôle primordial. Il
permet à ses membres de participer à une communauté
européenne basée sur la civilisation et ses valeurs
fondamentales. De même qu'il est à juste raison impossible de
définir l'Europe en une seule formule, il est impossible de
décrire les valeurs fondatrices de cette Europe. Il suffit de rappeler
qu'elles représentent tout ce pourquoi le Conseil de l'Europe a
lutté pendant 50 ans : les droits de l'homme, l'Etat de droit, la
diversité culturelle, le droit à sa terre natale, en sont les
exemples les plus importants. Malgré ses nombreuses réussites, le
Conseil a été accusé de céder à la
bureaucratie, d'être trop lent à prendre des décisions et
de manquer de volonté dans l'application de ses décisions. Le
président de la République française a contredit ces
critiques en disant : «Entre un sommet inutile et un sommet utile, il
y a une révolution ». Je partage cet avis.
Je crois que le Conseil de l'Europe mérite le titre de conscience de
l'Europe. Or on ne peut avoir la conscience nette que si on n'admet aucune
exception. Conscients de cela, les membres du Conseil sont en train
d'élaborer des instruments qui pourraient définir les normes
législatives pour toute l'Europe, non pas de l'Atlantique à
l'Oder, mais de l'Atlantique à l'Oural. Les défis nouveaux
continuent de surgir. Les Balkans et le Caucase ont été
divisés par la construction de nouveaux murs faits de peur et de haine.
Tant que le Conseil de l'Europe se donnera pour mission d'oeuvrer pour la
destruction de ces murs en Europe, son existence sera justifiée et ses
actions dignes d'éloges.
La contribution de la jeunesse
En tant
que jeune homme, il est normal que je m'interroge et que je sois
interrogé sur le rôle de la jeunesse européenne dans la
création de ce continent qui se veut sans murs. Avant de pouvoir
répondre à cette question, il faut s'entendre sur ce que nous
entendons par « Europe-Unie ». Aucune affirmation ne me
paraît plus vraie et plus poignante que celle de Jean Monnet lorsqu'il
fut questionné sur les objectifs de l'Europe. Il
répondit : « Il ne s'agit pas de créer une
coalition d'Etats, mais d'unir des individus ». La communauté
européenne n'aura pas de légitimité tant qu'elle restera
le fruit des résolutions du Conseil de l'Europe ou des directives de la
Commission européenne. Elle doit être proclamée par les
Européens eux-mêmes, une fois que ceux-ci auront
décidé d'en devenir les patriotes. Non seulement ce type de
patriotisme européen n'empêche pas les appartenances
régionales ou nationales, mais il en dépend.
Les sociologues affirment que, plus l'on est jeune, plus il est facile
d'accepter ce patriotisme stratifié. Pour toucher les jeunes
d'aujourd'hui, il faut faire en sorte que l'Europe ne reste pas un ensemble
d'institutions bureaucratiques, dont les initiatives, aussi louables qu'elles
soient, restent inaccessibles pour l'individu moyen. Le Conseil de l'Europe est
conscient de cet impératif et se mobilise, à travers sa Direction
de la Jeunesse et ses Centres pour la Jeunesse à Strasbourg et à
Budapest, pour former la prochaine génération de dirigeants
politiques, dont la mission sera de continuer à « unir les
Européens ».
Il a par ailleurs adopté la résolution 1152 (1998), qui indique
que : « Les jeunes sont l'avenir de l'Europe et constitue un
moteur de changement positif. Aussi sont-ils des partenaires essentiels pour le
Conseil de l'Europe ". La première Assemblée des Jeunes, qui
s'est tenue au Palais de l'Europe à Strasbourg en avril a donné
une confirmation éclatante de la volonté du Conseil de l'Europe
d'associer les jeunes à sa mission. Cette assemblée, qui
réunissait 286 jeunes issus de
quarante et un
pays
européens, avait été conçue selon le modèle
de l'Assemblée parlementaire. Elle a traité trois questions
choisies au préalable par les membres, mais a également
manifesté son indépendance, son sens de la solidarité et
sa volonté d'agir en organisant un débat improvisé sur la
situation au Kosovo et en adoptant des propositions de résolutions,
préparées sur place par les membres. L'Assemblée fut un
succès retentissant. Cette assemblée supranationale est la seule
constituée par des jeunes à posséder ce caractère
pan-européen, à donner l'occasion de manier les outils de la
démocratie et à cultiver tant de nouvelles amitiés,
basées non pas sur une coïncidence de naissance dans un lieu
géographique, mais sur le partage des passions et des convictions.
Mesdames et Messieurs, depuis la clôture de cette Assemblée des
jeunes, moi-même et plusieurs autres membres de l'Assemblée
tentons de faire connaître son principe ainsi que la mission du Conseil
de l'Europe. La force de notre engagement n'est pas difficile à
comprendre à l'heure où 83 % des membres de
l'Assemblée des Jeunes affirment que les jeunes d'aujourd'hui ne font
plus confiance aux hommes politiques ni aux institutions. Le rôle positif
que nous avons joué et que nous continuerons de jouer est la preuve que
l'Europe a besoin de ses jeunes. Si le Conseil de l'Europe décidait de
reconduire cette initiative sous quelque forme que ce soit, il rassemblerait et
contribuerait à former près de 300 jeunes convaincus de
l'importance de l'Europe. Je suis convaincu que cela embellirait l'image du
Conseil de l'Europe et, qui plus est, favoriserait la construction de cette
Europe sans murs, que nous nous sommes engagés à créer.
Mme Josette DURRIEU, Présidente de la Délégation
française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe :
Merci de cette excellente initiative. Vous nous avez fait part de votre
enthousiasme. Vous avez exprimé un certain scepticisme vis-à-vis
de la politique. Je crois que vous avez tort, mais vous avez le temps de
changer d'avis ! Vous avez exprimé tout votre patriotisme
européen. Vous avez eu une très belle formule :
« Nous voulons unir les peuples et non pas seulement les
pays ».
Allocution de M. Pierre MOSCOVICI
Ministre
délégué aux Affaires
européennes
Je suis
honoré et heureux d'avoir été invité à
clôturer la première partie de ce colloque. Je tiens à
saluer tout particulièrement Josette Durrieu pour cette initiative tout
à fait opportune.
Cette année est celle du cinquantième anniversaire du Conseil de
l'Europe. Elle a fait l'objet de célébrations organisées
à Strasbourg, à Londres et à Budapest il y a quelques
mois, à la date anniversaire de la création, le 5 mai 1949, du
Conseil de l'Europe. J'étais moi-même à Budapest à
cette occasion pour signer la Charte des langues et cultures régionales
dont on sait le succès relatif qu'elle a connu dans notre pays. J'ai pu
constater à Budapest la volonté unanime des dirigeants
européens de participer activement à cette deuxième
jeunesse de l'Europe. La délégation française a
souhaité à son tour commémorer le cinquantième
anniversaire de cette organisation pour en dresser un bilan, mais surtout pour
dégager des pistes de réflexion pour l'avenir. De même,
c'est l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qui avait pris
l'initiative de proposer à la France, en 1997, d'organiser un
deuxième sommet des chefs d'Etat et de gouvernement au moment où
notre pays exerçait la présidence de l'Organisation. Il lui avait
paru opportun de donner un nouvel élan à l'action du Conseil de
l'Europe alors que la fin de la guerre froide, marquée par
l'élargissement de votre Organisation, lui conférait une
dimension paneuropéenne nouvelle et qu'il convenait de redéfinir
ses objectifs.
Le Conseil de l'Europe a été conçu au lendemain de la
seconde guerre mondiale pour ancrer la démocratie en Europe sur des
bases solides. L'élargissement de son assise géographique
après 1989 a renouvelé pour le Conseil de l'Europe l'obligation
de relever le défi de la démocratisation. C'est dans ce contexte
que le sommet de Strasbourg a donné l'occasion d'en rappeler les
principes et les valeurs : renforcement de la démocratie, respect
des droits de l'homme, de l'Etat de droit, cohésion sociale et
culturelle... Il convient de s'appuyer sur ces principes, qui font la
cohésion européenne, pour construire l'avenir du continent.
Demain comme aujourd'hui, le Conseil de l'Europe apportera une contribution
déterminante au grand projet que constitue la réunification de
notre continent dans la démocratie et dans la paix. Le Conseil peut
participer à la naissance d'une conscience européenne dont il est
lui-même la manifestation.
Vous le savez, les interrogations sur le sens de la construction
européenne, et donc sur notre identité, se multiplient. Elles
tiennent aux ruptures qui sont intervenues au cours de la dernière
décennie, ruptures créatrices, en particulier la chute du Mur de
Berlin qui a rendu possible la perspective de l'Europe réunifiée.
L'avènement de l'euro marque pour sa part l'aboutissement d'une phase de
la construction européenne démarrée dans les années
50, mais également la nécessité de passer à une
phase plus politique. Nous avons besoin, dans cette période
charnière, de tout ce qui peut nous faire passer d'une simple
identité européenne commune à une véritable
conscience européenne, c'est-à-dire la nécessité
ressentie par chacun d'entre nous de faire l'Europe.
Cette conscience est au confluent de deux notions qui sont au coeur du Conseil
de l'Europe : la volonté de paix sur le continent, apparue
après la première guerre mondiale, et l'exigence
démocratique qui domine les lendemains de la seconde guerre mondiale.
C'est bien sur ces deux piliers que nous souhaitons construire l'Europe de
demain, dans laquelle les citoyens élisent - et je souhaiterais qu'ils
le fassent avec plus d'enthousiasme - leurs députés
européens, acceptent ou refusent par référendum les
traités. Cette Europe ne peut se faire sans le consentement et
l'adhésion des peuples.
Nous avons le devoir, nous responsables politiques, de faire vivre et de
renforcer encore la conscience européenne de nos concitoyens. C'est en
ce sens que nous avons voulu réorienter la construction
européenne. Il s'agit d'abord de réussir la réunification
du continent. La France a toujours considéré que la vocation des
institutions européennes était de rassembler l'ensemble des pays
et des peuples du continent. La construction européenne n'était
jusqu'à ces dernières années que la résultante de
la division de l'Europe engendrée par la guerre froide. Elle n'a jamais
été le produit conscient de je ne sais quelle conception
élitiste réservée à la moitié occidentale de
notre continent. Le Conseil de l'Europe, en accueillant dès le
début des années 90 nos voisins de l'Europe centrale et
orientale, a montré la voie : celle qui nous conduira d'ici une
dizaine d'années à une nouvelle Union européenne, qui
pourrait compter une trentaine d'Etat, voire plus. Je n'irais pour ma part pas
jusqu'à la quarantaine, mais c'est là un autre débat.
Il s'agit ensuite de bâtir une véritable Europe citoyenne à
laquelle chacun puisse s'identifier et dont chacun puisse se sentir acteur.
L'indifférence constatées lors des dernières
élections du Parlement européen, même si ses causes sont
complexes et différentes pour chaque pays, a montré l'ampleur du
sentiment d'étrangeté que ressentent encore nombre de citoyens
face au phénomène européen. Nous avons le devoir absolu
d'y répondre. La construction européenne ne doit plus être
l'oeuvre de quelques uns pour quelques autres. Elle doit s'appuyer sur le
sentiment partagé entre tous les citoyens d'un progrès possible
grâce à l'Europe. Aucune avancée ne se fera en Europe sans
l'adhésion des peuples.
C'est pourquoi les énergies de tous seront nécessaires si on veut
faire progresser l'Europe dans ce sens. Le Conseil de l'Europe, par son
rôle de laboratoire de l'Europe unie et démocratique, par la force
intégratrice que représente la Cour européenne des droits
de l'homme, par son souci d'associer les pouvoirs locaux à son action,
doit prendre une part active à cette construction.
Le sommet de Strasbourg a tracé des axes d'action prioritaires dans le
domaine des droits de l'Homme, de la cohésion démocratique et de
la sécurité du citoyen, de la cohésion sociale, de la
qualité de la vie et enfin de la cohésion culturelle et du
pluralisme des cultures. Le Conseil doit maintenant se concentrer sur ces
actions car il ne peut être question de faire tout et partout, ne
serait-ce que pour des raisons de moyens. Ensuite, il faut s'en tenir à
la vocation propre du Conseil de l'Europe et respecter l'architecture
articulant l'action de plusieurs institutions européennes.
Je connais les demandes, en termes de moyens, dont vous vous faites
régulièrement l'écho et je les comprends. Mais les
orientations fixées par le sommet ne consistent pas à augmenter
le budget parallèlement à la progression des activités.
Vous n'ignorez pas qu'une augmentation considérable du budget a eu lieu
ces dernières années : il est passé de quatre cent
trente-deux millions de francs à plus d'un milliard pour l'année
2000 : c'est une belle augmentation que peu de budgets ont connue. Elle
est due à l'arrivée de nouvelles démocraties. Mais puisque
la quasi totalité des démocraties du continent ont rejoint
l'organisation, il n'y a plus aujourd'hui de raison de poursuivre
l'accroissement du budget à ce rythme. Aucun de nos principaux
partenaires, figurant comme nous parmi les grands contributeurs de
l'organisation (la contribution de la France représente 13 % du
budget ordinaire), n'est disposé à enfreindre la règle de
la croissance zéro que nous avons décidé d'adopter. C'est
en restant à l'intérieur d'une enveloppe budgétaire
constante que le Conseil doit recentrer son activité autour des axes
budgétaires qu'il a lui-même définis. La réforme qui
se mettra éventuellement en place doit être comprise et
appliquée, s'attacher à rationaliser les activités,
à restructurer le dispositif, à redéployer les moyens, y
compris humains, dans les directions indiquées par le sommet. C'est je
crois la condition de l'efficacité de votre institution.
Je sais que ce travail est difficile car il exige rigueur et discipline. Il
faudra faire des choix et se résigner à supprimer certaines
activités pour en dynamiser d'autres. C'est indispensable si l'on ne
veut pas que l'action du Conseil de l'Europe se banalise dans un espace
où existent de nombreuses institutions complémentaires. Je suis
aussi convaincu qu'une fois son rôle et sa place
précisément délimités, c'est-à-dire
confortés, le Conseil de l'Europe devra encore renforcer ses relations
avec les autres institutions, à savoir l'Union européenne et
l'OSCE. La mise en oeuvre de programmes communs combinant l'expertise du
Conseil de l'Europe et les moyens de l'Union européenne a
facilité le développement global et harmonieux du continent et
notamment celui des nouvelles démocraties appelées à
rejoindre l'Union. J'ai bon espoir que dans quelques jours, à Helsinki,
l'Union européenne décide l'ouverture de négociations avec
six nouveaux pays : les cinq qui n'avaient pas pu ouvrir les
négociations à Luxembourg ainsi que Malte. Je salue
l'arrivée prochaine dans ces négociations de la Bulgarie et de la
Roumanie, à laquelle la France est particulièrement
attachée. Le statut de candidat devrait également être
reconnu à la Turquie. Nous le souhaitons, tout en restant très
exigeants sur les conditions d'une adhésion éventuelle de ce pays.
Le rapprochement est aussi souhaitable avec l'OSCE car la paix et la
sécurité ne sauraient être décrétées
en Europe sans les fondements démocratiques qu'il appartient au Conseil
de l'Europe de fortifier. Cette action en profondeur du Conseil de l'Europe
présente sans doute l'inconvénient de ne pas être
très médiatique. On ne lui prête pas souvent une attention
suffisante ; C'est pourquoi il nous incombe à nous, gouvernements
des Etats membres, mais aussi à vous, de veiller ensemble au respect des
règles du jeu que je viens de rappeler de façon à ce que
le Conseil de l'Europe puisse aborder le XXIème siècle avec toute
l'efficacité nécessaire.
L'universitaire Paul Hazard a écrit en conclusion de son ouvrage sur la
conscience européenne :
« Qu'est-ce que
l'Europe ? C'est une pensée qui ne se contente jamais. »
Je souhaite, en renouvelant toute mon estime pour l'oeuvre accomplie au
Conseil de l'Europe, qu'il poursuive son ambition pour le siècle
prochain, sans jamais s'en contenter, pour le bien de l'Europe.
Mme Josette DURRIEU, Présidente de la Délégation
française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe :
Nous avons le sentiment qu'un problème majeur se pose. L'Europe se fait,
c'est évident. Mais si nous avons tous réclamé, y compris
les jeunes, que l'adhésion des peuples se fasse envers une
identité européenne fortement voulue, en
complémentarité avec les identités nationales, nous avons
le sentiment qu'aujourd'hui, les identités locales et régionales
s'affirment plus vite que l'appartenance à une identité
européenne. Nous pensons qu'il y a là un danger. C'est le coeur
du débat que nous voulons engager cet après-midi.
IDENTITÉS RÉGIONALES ET CITOYENNETÉ
EUROPÉENNE :
LES DÉFIS D'UNE GRANDE EUROPE
DÉMOCRATIQUE ET
PACIFIQUE
L'exemple espagnol
M. Jordi SOLE TURA
Député au
Congrès espagnol et à l'Assemblée du Conseil de l'Europe,
ancien Ministre, ancien membre de la Commission de rédaction de la
Constitution espagnole
La fin de la centralisation
J'ai eu
l'honneur de participer aux grands changements qui se sont produits en Espagne
à la fin du franquisme, dont j'ai été une des victimes. Le
franquisme a duré 40 ans et a été le point final d'un
processus visant à construire un Etat très centralisateur. Si la
France a construit un système centralisé dans la
démocratie, l'Espagne l'a fait dans la dictature.
Lorsque Franco est mort, le franquisme n'est pas mort avec lui. L'armée,
la police, l'administration n'avaient pas changé. Avec ces institutions,
nous devions pourtant construire une démocratie et un modèle
d'Etat tout à fait différent. En Espagne, il y a une
pluralité de langues : l'espagnol, le catalan, le basque... Ces
diversités étaient masquées par la dictature qui a
essayé de détruire ces différences et d'établir une
langue unique. Ma langue, le catalan, était interdite. Nous ne pouvions
l'utiliser à l'école ou dans les services publics. Nous nous
sommes donc demandés, après la fin du franquisme, comment
gérer ces différences.
Nous avons discuté du modèle d'Etat à définir. Nous
pouvions poursuivre dans la voie du centralisme. Nous pouvions également
maintenir l'Etat centralisé avec trois exceptions : la Catalogne,
le Pays Basque et l'Andalousie. Nous avons rejeté ces deux
possibilités. Nous devions en effet créer une situation nouvelle,
qui se libère du passé. Le maintien du centralisme avec trois
exceptions n'était pas possible : cela avait déjà
été tenté pendant la République, sans
succès. Cette option aurait provoqué une confrontation constante
entre l'Etat centralisateur et les nationalismes.
Nous avons donc décidé de changer toutes les structures de
l'Etat, de créer un système d'autonomie générale.
Pour ce faire, nous avons créé un système
fédéral. En Espagne, il y a aujourd'hui dix-sept
communautés autonomes disposant d'un parlement, d'un gouvernement et
d'élections propres. Elles ne sont pas identiques ni du point de vue des
structures, ni du fonctionnement. La Catalogne, qui a une langue propre et une
situation économique solide est très différente du centre
de l'Espagne. Nous avons construit un Etat fédéral qui ne
fonctionne pas comme tel. La redistribution des ressources génère
toujours des problèmes. Les langues différentes peuvent devenir
un facteur de séparation.
Pays Basque et Catalogne : deux points de vue sur l'identité régionale
La
différence entre la Catalogne et le Pays Basque illustre bien ces
difficultés. Un des problèmes que nous avons essayé de
résoudre avec la décentralisation a été celui des
inégalités. Sous Franco, il y avait des régions riches et
des régions très pauvres, des migrations internes et externes.
Des milliers d'Espagnols devaient chercher un emploi dans une autre ville ou un
autre pays. Il nous a semblé qu'il était impossible de maintenir
la démocratie avec ces inégalités. Nous avons donc voulu
retrouver un certain équilibre.
Aujourd'hui, il n'y a plus d'émigration. La redistribution des
ressources publiques a permis un développement plus
équilibré que par le passé. Mais en Catalogne et au Pays
Basque, les mouvements de population constatés sous le franquisme se
sont traduits par une grande pluralité de la population. Il y a 6
millions d'habitants en Catalogne dont plus de la moitié sont venus
d'Andalousie, de Castille, du Sud de l'Espagne... Au Pays Basque, la situation
est la même : toute la classe ouvrière est issue de
l'immigration du sud.
Il a donc fallu, lors de la décentralisation, dire ce que signifiait
être Catalan ou Basque. Pour certains, ceux qui ne parlaient pas la
langue et n'étaient pas nés dans la région
n'étaient pas catalans ou basques. Mais pour la gauche, on ne pouvait
faire de la langue une frontière séparant une communauté.
Nous savions que si nous voulions rendre son autonomie à la Catalogne,
il fallait changer tout l'Etat, toutes les structures de l'Espagne. Pour cela,
nous avions besoin de l'aide de toute la population, y compris de ceux qui ne
parlaient pas notre langue. Nous avons beaucoup lutté pour trouver une
solution qui perdure. Chez nous, il est clair aujourd'hui qu'est catalan celui
qui habite et travaille en Catalogne. Sa langue ou son origine ne sont pas des
critères. Nous avons établi le bilinguisme. Bien sûr, il y
a encore des gens qui n'acceptent pas cela. Mais je crois que la situation
s'est stabilisée.
La situation est différente au Pays Basque. La ligne de
séparation reste dure. Beaucoup considèrent que quiconque ne
parle pas basque n'est pas basque. Les nationalistes estiment que la langue
basque est leur identité et que la ligne de séparation est
totale. Cette différence d'approche explique qu'il y ait du terrorisme
au Pays Basque alors qu'il n'y en a pas en Catalogne.
Aujourd'hui, nous devons faire fonctionner l'Etat fédéral et
décider de notre avenir. L'avenir immédiat est l'Union
européenne. Quand les terroristes basques disent qu'ils veulent
construire un Etat nouveau, indépendant, qui regroupera les pays basques
espagnols et français, ils nous mettent dans une situation impossible.
Ils veulent instaurer des frontières nouvelles au moment où nous
voulons les effacer, établir une souveraineté
supplémentaire quand la souveraineté disparaît,
créer un Etat avec une monnaie propre alors que l'on passe à la
monnaie unique. Ils veulent une armée propre au moment où nous
construisons l'armée européenne.
Les trois niveaux de la construction européenne
L'autonomie n'est pas seulement une solution aux
problèmes du
passé mais une façon de voir l'avenir. Je suis convaincu que la
construction de l'Europe se fera sur trois niveaux : l'Etat, les
régions et les cités.
Il y a aujourd'hui plus de relations entre les villes qu'auparavant. Ce
phénomène s'accentuera avec l'accélération des
moyens de communication. Les régions qui survivront seront celles
capables de créer des espaces, de coopérer avec leurs voisins, de
lancer des initiatives communes, de trouver de nouvelles associations
au-delà des frontières actuelles. Chez nous, quelques
communautés autonomes s'adaptent déjà à la
situation. Ceux qui pensent pouvoir se développer en s'appuyant sur une
identité fermée commettent une grossière erreur.
La France dispose un grand Etat centralisé, qui fonctionne bien mais
fait figure d'exception en Europe. Partout, on régionalise. Je pense que
vous devez faire la même chose. Je ne sais pas comment vous devez le
faire, mais je crois que l'avenir passe par l'Etat, les régions et les
villes.
Chez nous, on commence à se préparer à cette nouvelle
situation. Mais nous sommes ralentis par ce terrible poids que constitue le
terrorisme basque. C'est une situation que nous n'acceptons pas. A
l'extrémisme terroriste répond un extrémisme centraliste.
Trouver une solution moyenne et voir ce que nous devons faire avec
sérénité, sans tomber dans la logique des
extrémismes, est le défi que nous devons relever. Je crois que la
structure d'Etat que nous avons aujourd'hui peut fonctionner dans l'avenir.
J'espère que ce débat sera celui des prochaines années
dans le Conseil de l'Europe, dans l'Union européenne et dans toutes les
institutions actuelles.
Mme Josette DURRIEU, Présidente de la Délégation
française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe :
Je souhaiterais que vous nous décriviez la façon dont s'est mis
en place votre régime au niveau constitutionnel. Comment êtes-vous
arrivés à un régime fédéral ? Pour les
pays qui traversent une crise profonde, votre expérience peut être
précieuse. Nous avons proposé les formules qui nous semblaient
les meilleures aux républiques des Balkans. Mais vous avez construit
vous-mêmes une formule adaptée à votre pays.
M. Jordi SOLE TURA :
J'ai été un des rédacteurs de la constitution espagnole,
qui a été élaborée par sept députés,
élus par le parlement, parmi lesquels tous les partis étaient
représentés. Un de mes co-rédacteurs était le
Ministre du gouvernement franquiste qui m'a mis en prison. Anciens franquistes
et anciens résistants, monarchistes et républicains de gauche,
ont tous décidé de suivre la voix de la raison et de travailler
ensemble. Nous voulions tous construire une démocratie stable, qui rompe
avec les démocraties précédentes qui se terminaient au
bout de 3 ou 5 ans par des coups d'Etat militaires.
Nous avons donc dépassé nos clivages. Nous étions
confrontés à un grand nombre de défis. Que faire avec
l'armée ? Quelles seraient les relations de l'Etat avec l'Eglise
catholique ? Comment régler la question de la centralisation, de
l'autonomie et des langues ? Nous nous sommes assis autour d'une table et
nous avons discuté non pour oublier le passé mais pour en finir
avec lui. Nous avons pris nos décisions à la majorité et
non à l'unanimité. Mais nous nous sommes tous mis d'accord pour
faire sortir notre pays de l'ornière et le faire avancer. C'est
indispensable pour construire une démocratie et c'est le message que
j'essaie de transmettre aux pays d'Europe de l'Est.
Pour une vision individualiste des droits de l'homme
M. Robert BADINTER
Sénateur,
Président de la Cour de conciliation et d'arbitrage de l'OSCE
Ancien Garde des Sceaux, Ancien Président
du Conseil constitutionnel
C'est
toujours un plaisir d'entendre Jordi Sole Tura. Vous m'avez fait toucher du
doigt la différence entre l'Espagne et la France. Notre pays
détient le record des rédactions de constitutions. Mais en
France, les constituants se mettent d'abord autour d'une table avant que les
uns mettent les autres en prison... Le fait que vous ayez fait le contraire
marque un progrès de la démocratie.
Je voudrais formuler aujourd'hui un avertissement. Nous sommes à un
tournant de la construction européenne. Construire, c'est rechercher la
dimension commune plutôt que souligner les différences. On n'y
pense pas assez aujourd'hui : pour vivre ensemble, il vaut mieux mettre
l'accent sur ce qui vous rapproche que sur ce qui vous sépare. Pourquoi
le Conseil de l'Europe a-t-il remporté un succès
historique ? Pourquoi l'Europe a-t-elle évolué de
façon positive au cours du dernier demi-siècle ? Parce que
nous sommes allés à la recherche de la commune dimension
européenne. Cette dimension n'est pas tant la culture que les droits de
l'homme. Je les revendique comme une spécificité
européenne tout à fait essentielle. Cela ne signifie pas qu'ils
ne soient pas applicables ailleurs. Mais ils sont intégrés dans
la culture européenne et fondent l'espace européen. Sur quoi
s'est fondé le Conseil de l'Europe sinon sur l'affirmation d'un espace
européen des droits de l'homme face à un autre espace
européen, qui suivait un modèle « rival »
dont la vision était différente ? Je persiste à
penser que la vision du Conseil de l'Europe était la bonne pour le
bonheur de l'être humain.
Nous sommes dans un espace de liberté et de démocratie. Le
fondement de cet espace est les droits de l'homme. L'originalité de
cette construction, l'extraordinaire singularité de la création
du Conseil de l'Europe sont la convention européenne des droits de
l'homme et le mécanisme de garantie. Je crois qu'il y a là un
phénomène prométhéen : le résultat est
allé au-delà de ce que les fondateurs du Conseil de l'Europe
pouvaient imaginer.
Pour tous les pays d'Europe, et j'insiste sur le « tous »,
les droits de l'homme tels qu'ils sont définis par les textes fondateurs
sont garantis au profit de tous les habitants de tous les Etats
européens pris individuellement. A travers le Conseil de l'Europe et
l'espace européen constitué par l'ensemble des pays
adhérents à la convention européenne et donc soumis
à la juridiction de la Cour européenne des droits de l'homme,
vous avez fait naître pour la première fois dans l'histoire, des
droits protégés par une juridiction qui n'était
fondée sur aucune souveraineté. C'est un modèle
nouveau. Le droit a échappé à la souveraineté et
une supra-souveraineté s'est imposée aux Etats. J'entends encore
les clameurs des juges des cours suprêmes en Europe se rebellant à
l'idée d'avoir à plier le genou devant des juges qui venaient
pour la plupart de leur corps mais se trouvaient
« internationalisés » par leur fonction. Je n'ai pas
besoin de vous dire ce qu'a représenté pour la France de Louis
XIV, de Napoléon 1
er
et des Jacobins le fait d'accepter la
censure de décisions de sa juridiction, basées sur des textes
votés par son parlement.
S'est constituée en Europe une commune dimension qui n'a pas seulement
une valeur proclamatoire, mais une valeur obligatoire, garantie par un
contrôle juridictionnel autonome. C'est une innovation saisissante et
bénéfique. Dans les 20 dernières années, les
progrès essentiels enregistrés par les droits de l'homme, pour
chaque habitant de l'Europe, sont dus pour une bonne part au contrôle
exercé par la Cour européenne des droits de l'homme sur les
juridictions. En France, en matière d'écoutes
téléphoniques, c'est la Cour européenne des droits de
l'homme qui a poussé à adopter une loi. De même, la
situation honteuse de détention et de rétention dans notre pays a
conduit à sa condamnation. La future loi qui prévoit l'assistance
d'un avocat dès la première heure de garde-à-vue ne
constitue pas seulement l'innovation méritante d'un gouvernement que je
soutiens, mais était devenue nécessaire au regard de la
récente décision de la Cour européenne des droits de
l'homme.
Je tiens donc à souligner que ce qui nous arrive, à nous, vieille
nation pétrie de droit, est complètement nouveau. Il faut avoir
entendu Madame Thatcher se récrier contre la Cour européenne des
droits de l'homme qui venait de condamner le pays de
l'habeas corpus
, de
la
magna carta
, pour violation des droits fondamentaux des terroristes
irlandais, pour mesurer tout ce que l'Europe doit à la censure
juridictionnelle de la cette institution.
Notre conception des droits de l'homme repose sur l'idée qu'ils sont
avant tout les droits de l'être humain. Ils demeurent une construction
éminemment individualiste. M. Sole Tura a évoqué
différents cercles d'approche et des strates successives dans la
composition de l'ensemble européen : nations, régions,
cités, bassins... Barcelone entretient avec des régions de
l'autre côté des Pyrénées des relations riches, le
bassin Rhône-Alpes ou le bassin Danubien ont des échanges
poussés avec leurs voisins... Mais nous sommes à l'heure du
choix. Allons-nous passer de l'Europe des droits de l'homme,
« l'homme » désignant un être humain dans sa
singularité, à une autre dimension dite
« collective » des droits de l'homme dans laquelle les
droits collectifs de telle ou telle communauté à
l'intérieur des Etats permettraient de protéger sa
singularité, sa spécificité culturelle, linguistique,
voire religieuse ? En tant que laïc, je me refuse à
considérer qu'on puisse assurer cette dernière liberté
autrement que par la défense de la liberté de conscience de
chaque individu et du droit de chacun à choisir comme il l'entend sa
religion dans une société laïque.
Vous êtes à un tournant majeur. Je constate une hésitation
dans un certain nombre d'Etats et de communautés. J'entends ça et
là, en Europe centrale et orientale, contester la vision individualiste
des droits de l'homme, qui est au coeur de la construction européenne et
à laquelle nous devons tant. Considérerons-nous désormais
que les droits de l'homme sont ceux d'un être humain saisi dans sa
communauté ? Ce n'est pas une mince question pour l'avenir de
l'Europe. Si on considère que s'ajoutent au droit individuel des droits
collectifs et si la revendication des droits de l'individu doit se
réaliser à travers une protection collective, on change la nature
de la construction européenne. J'attire votre attention sur ce point.
Pour ma part, je ne penche pas du côté des droits collectifs. Mais
j'écoute toujours avec beaucoup d'attention et je suppose qu'il n'y
aurait pas de revendication de droits collectifs sans raison puissante. Depuis
que l'autre modèle, celui de la réalisation des droits de l'homme
à travers la libération de l'oppression de classe, a disparu, on
assiste à l'émergence d'une nouvelle problématique :
les droits individuels conçus comme ceux de l'être humain
bénéficiaire des droits collectifs d'appartenance à une
communauté, voire à un peuple. Il faut bien peser ce choix car
c'est aussi de lui que dépend l'avenir européen.
La perception des différentes appartenances,
conflit ou
complémentarité ?
Mme Dominique SCHNAPPER
Directeur de recherche
au CNRS
" Robert Badinter a commencé son exposé en
disant
qu'il allait présenter une mise en garde et un avertissement alors je
vais poursuivre dans le même sens, d'un point de vue un petit peu
différent du sien mais peut-être complémentaire.
Je voudrais d'abord poser le problème de la citoyenneté nationale
et la citoyenneté européenne et de leur combinaison et puis
soulever aussi le problème qui se pose dans l'alliance objective entre
les institutions européennes et les régions d'un
côté contre l'Etat national de l'autre ; enfin, finir sur ce
problème des droits collectifs pour faire écho à ce qu'a
dit Robert Badinter.
Sur le premier point, je voudrais rappeler deux ou trois faits historiques
à savoir que le projet européen a été, dans son
origine, un projet spécifiquement politique.
Ceux qui l'ont conçu avaient comme ambition que les combats qui
pouvaient apparaître fratricides de l'Europe, on devait pour une bonne
fois y mettre fin.
De ce point de vue-là, il ne faut jamais oublier à quel point
l'Europe telle que nous l'avons construite est un succès puisque nos
petits enfants riraient à l'idée que les armées allemandes
pourraient traverser le Rhin et débarquer dans notre pays. Alors que
pendant plus d'un siècle, c'est en ces termes que l'on a pensé le
danger pour la France.
Donc le projet européen, d'une certaine façon, est presque
victime de son succès parce qu'il a fait apparaître comme une
évidence l'alliance politique des Européens.
Reste que l'échec de la CED a conduit à un infléchissement
du projet original c'est-à-dire que le refus d'accepter une armée
commune en 1954 a amené les militants européens et les hommes
politiques à construire une Europe économique et sociale,
parallèlement à cette Europe des Droits de l'Homme qui est
l'oeuvre du Conseil de l'Europe.
Il faut maintenant se poser le problème de la citoyenneté parce
que, désormais, nous construirons l'Europe autour de l'idée de
citoyenneté, c'est-à-dire autour de l'idée que,
par-delà toutes leurs caractéristiques, toutes leurs
diversités, leurs inégalités, les citoyens forment une
communauté qui est à la source de la légitimité
politique et du lien social.
Or, cela pose un certain nombre de problèmes proprement politiques qu'on
peut résumer de la façon suivante : jusqu'à
présent les pratiques de la citoyenneté se sont toujours
exercées au niveau national.
Certes, il n'y a pas de lien logique ou nécessaire entre la
citoyenneté et le niveau national, c'est-à-dire que l'on peut
parfaitement être citoyen au niveau infra-national ou au niveau
supra-national.
Historiquement, c'est dans le cadre national que se sont construites les
institutions de la citoyenneté et que se sont exercées les
pratiques qui lui donnent un sens concret. Par conséquent, le
problème se pose de savoir comment transférer au niveau
européen des institutions, des pratiques et des convictions qui sont
nécessaires pour que la citoyenneté ne soit pas une abstraction,
qu'elle ne soit pas formelle, mais qu'elle soit concrètement
incarnée dans des pratiques sociales. Cela n'est pas facile et ce n'est
pas donné d'avance.
Les Français, on l'a vu au moment du débat sur le traité
de Maastricht, ont eu le sentiment, et sans doute d'autres peuples
européens l'ont éprouvé aussi qu'on avait construit une
Europe politique sans leur en parler. Ils ont pris conscience de l'importance
de l'Europe dans leur vie quotidienne, en ayant le sentiment que le
débat proprement politique n'avait pas vraiment eu lieu.
Nous avons une réflexion à mener pour imaginer les moyens de
transférer un certain nombre des dispositions régissant la
citoyenneté nationale, au niveau européen. Cela soulève le
problème du lieu du politique. Jusqu'à présent, le lieu du
politique, c'est-à-dire le lieu de l'expression démocratique d'un
côté et de la volonté d'affirmer un certain nombre de
valeurs de l'autre s'est toujours situé au niveau national. Il est
souhaitable qu'il passe désormais au niveau européen, mais
comment les peuples, comment les citoyens peuvent-ils adhérer au mode
selon lequel se construisent les institutions et -se prennent des
décisions nécessaires ? Comment peuvent-ils s'en
reconnaître partie prenante, avoir confiance dans ces institutions pour
affirmer leurs valeurs et se défendre contre ceux qui ne les respectent
pas, qui viendraient à les attaquer ? C'est le premier point, le
passage de la citoyenneté nationale à la citoyenneté
européenne et le déplacement du lieu du politique. Ce qui
m'amène au deuxième point, ce que M. Sole Tura a décrit,
c'est-à-dire l'alliance objective entre les institutions
européennes et les régions, alliance contre l'Etat national.
Encore une fois, l'Etat national n'a pas de raison d'être le seul lieu de
la volonté politique et cette organisation qu'on nous a décrite
entre les institutions européennes, les villes et les régions,
pourquoi pas ? mais à une condition, c'est qu'il y ait un lieu de
véritable volonté politique. Or, les régions
jusqu'à présent me semblent être plutôt des lieux de
gestion collective, éventuellement démocratiques, mais ce ne sont
pas les lieux où peuvent totalement s'opérer les arbitrages de
l'intérêt général comme l'adhésion
symbolique, fonctions du politique.
Cette situation objective implique que les institutions européennes se
voient déléguer le lieu central du politique sinon nous risquons
et c'est un risque des sociétés démocratiques qui sont des
sociétés productivistes, des sociétés marchandes,
des sociétés de l'immédiat et de l'instantané, nous
risquons d'avoir une dépolitisation, au niveau des régions, au
niveau de l'Europe et un affaiblissement du niveau politique qu'est l'Etat
national. Autrement dit, nous risquons si nous n'y prenons pas garde, et c'est
là où mon avertissement prolonge celui de Robert Badinter, nous
risquons d'avoir une société européenne non
politisée, non organisée, n'ayant plus la volonté de
défendre ses valeurs, qu'il n'y ait plus de lieux du politique par
lesquels nous faisons société. Nous risquons d'avoir affaibli
l'Etat national avant que ses prérogatives et le sens de son action
comme lieu de transcendance n'ait été transférés
à l'Europe.
Nous risquons avec ce décalage, de voir l'affaiblissement de l'Etat
national, des institutions de citoyenneté nationale avant que se soient
affirmées des institutions, des pratiques et des valeurs au niveau
européen.
Or, il y a un lien avec le problème des droits collectifs. L'Etat
national s'est en effet établi, particulièrement en France, mais
c'est vrai de tous les Etats nations, avec la garantie par l'Etat des droits
individuels.
Il est clair que les droits collectifs sont justement l'intermédiaire
entre l'Etat et les individus citoyens.
La question des droits collectifs est d'une certaine façon
parallèle à cette perception d'une Europe comportant les
institutions européennes à côté, des régions
et des villes, une sorte de ligue hanséatique reformulée et
redéveloppée. Je voudrais mentionner les arguments qui me
conduisent à voir tous les dangers de la notion de droits collectifs.
Tout d'abord, les droits collectifs sont contradictoires avec les droits de
l'individu. Nécessairement, à partir du moment où des
droits sont donnés à une collectivité, une opposition est
possible entre les droits de l'individu et les droits du groupe auquel est
assignée chaque personne.
Il me semble que c'est contradictoire avec l'évolution de la
société démocratique qui laisse toujours à
l'individu plus de droits et plus de liberté pour affirmer son
identité et son authenticité. Cette contradiction est
fondamentale, grosse de conflits avec le meilleur des valeurs
démocratiques.
Le deuxième point sur lequel je voudrais insister est que les groupes
n'existent pas de façon éternelle, qu'ils sont le produit de la
construction des hommes et qu'à partir du moment où on les
cristallise par le droit, ce qu'on fait si on donne des droits collectifs, on
tend à les pérenniser au lieu de laisser aux individus la
liberté de constituer ou d'appartenir à des groupes
différents selon leur liberté. Moins encore qu'une construction
comprenant l'Europe d'un côté, les régions et les villes de
l'autre, nous ne pouvons imaginer un système d'institutions
européennes centrales avec des séries de droits collectifs.
Ce serait un retour à une forme d'ethnicité, c'est-à-dire
à l'appartenance par la naissance à un groupe, et non pas par ce
mélange d'hérédité et de choix qui est le propre
des sociétés démocratiques et en particulier de ce qu'on
appelle la civilisation européenne, faite de brassages, d'appartenances
multiples et évolutives, voire de refus d'appartenance autre que la
citoyenneté, selon une certaine conception de la laïcité.
C'est autour de l'aménagement et de l'institutionnalisation, à la
fois des droits des individus et des institutions politiques collectives, que
nous pouvons penser à construire une Europe ouverte à tous les
peuples de l'Europe et à tous ses citoyens.
Débat
M.
Georges CLERFAYT, Député belge, membre de l'assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe :
L'intervention de Monsieur Badinter est sans doute la justification du refus du
gouvernement français de signer la convention européenne de
protection des minorités nationales. Je me demande si le problème
n'est pas un peu factice et s'il ne provient pas d'une confusion entre ce que
l'on appelle abusivement des « droits collectifs », que
l'on oppose à des droits individuels, et des droits individuels
appartenant à une catégorie de citoyens qui ont des
caractéristiques propres et sont exposés à des
discriminations de la part des citoyens majoritaires qui refusent d'admettre
leur identité spécifique. Ne vaudrait-il pas mieux parler de
droits des minoritaires plutôt que de droits collectifs ou de droits des
minorités ? Il s'agit de droits appartenant à certaines
personnes du fait des particularités les distinguant de la
majorité de la population.
Au Moyen Age, les gens étaient obligés d'adopter la religion du
souverain. Ils n'avaient pas droit à la dissidence ou à la
liberté de conscience. Un des grands progrès de la
démocratie a été de reconnaître la liberté de
conscience et donc le droit pour des minoritaires de ne pas être
persécutés pour leurs spécificités. Tous ceux qui
ont signé la convention européenne de protection des
minorités nationales ont souhaité protéger les peuples
contre les discriminations particulières. Il faudrait donc éviter
d'appeler droits collectifs ce qui n'en est pas. Tout le monde est d'accord
pour dire que l'Europe doit être pluraliste et multiculturelle. Cela ne
doit pas aboutir à une juxtaposition de bastions d'intolérances,
avec la domination exclusive et intolérante d'une culture dans chaque
bastion. Il faut que chaque citoyen d'Europe puisse jouir là où
il vit de ses droits culturels et linguistiques.
Je comprends jusqu'à un certain point les juristes et les philosophes du
droit qui, à l'instar de Monsieur Badinter, s'opposent à la
notion de droits collectifs. Mais je me demande si la solution n'est pas
d'approfondir l'article 14 des droits de l'homme sur la non-discrimination. La
jurisprudence de la Cour de Strasbourg est assez faible dans ce domaine, qui
touche à la souveraineté des Etats. Plusieurs cas plaidés
sur la base de cette discrimination n'ont pas obtenu gain de cause.
Aujourd'hui, les droits des minoritaires ne sont pas suffisamment
protégés. Il faudrait approfondir la tentative actuelle
d'élargir l'article 14. Le projet de protocole numéro 12, qui est
en cours de rédaction, ne va pas assez loin dans la protection des
droits individuels de ceux qui ont des caractéristiques culturelles et
linguistiques propres. Des Etats membres leur dénient par nationalisme
la reconnaissance et le respect.
M. Robert BADINTER :
Je sais les passions que soulèvent ces questions. Je crois qu'à
cet égard, il faut faire preuve d'une extrême simplicité.
De quoi parlons-nous ? Du droit à s'exprimer de la langue que l'on
a reçue comme héritage par sa famille ? Du droit de
créer une association pour promouvoir le théâtre qui
s'exprime dans une langue régionale ? Du droit d'avoir une
chaîne câblée pour s'exprimer en basque plutôt qu'en
espagnol ? Ces droits ne posent aucun problème.
Je suis toujours perplexe quand j'entends parler de discrimination. J'ai eu
l'occasion, au moment où on a évoqué la décision du
Conseil constitutionnel sur la non conformité à la constitution
française de quelques unes des dispositions du texte que vous avez
évoqué, de voir le nombre de dispositions existantes prises en
faveur de la culture régionale sous toutes ses formes. J'en suis
très heureux. Mais qu'est-ce que cela à voir avec les droits de
l'homme ? Que chaque être humain ait le droit de s'exprimer dans la
langue de son choix ne me pose aucun problème. Par contre, que chaque
communauté choisisse de s'exprimer dans la langue de son choix et non la
langue nationale pose un problème majeur vis-à-vis de
l'unité nationale. En Europe, il n'y a pas que je sache de langue
européenne. L'espéranto, inventé par un juif Lithuanien au
XIXème siècle pour pallier cette insuffisance, n'a guère
prospéré. La seule langue pratiquée aujourd'hui par la
plupart des jeunes Européens est l'américain, ce qui n'est pas le
fondement le plus européen qui soit...
Bien évidemment, le respect du droit de l'identité culturelle de
chacun est essentiel. Mais de là à transformer l'espace
européen en une mosaïque de communautés particulières
en accentuant leurs différences au lieu de mettre en relief ce qu'elles
ont en commun... Je suis partisan du développement des langues
régionales et de leurs instruments. Mais je ne suis pas pour les droits
collectifs auxquels aspirent ceux qui à travers la reconnaissance de
leurs droits culturels individuels ne rêvent que de celle de droits
collectifs. C'est un choix qui, s'il doit être fait en France, exigera
une révision de la constitution. Cette question ne peut être
réglée que par un vote en Congrès. Si on décide de
changer à ce point la tradition culturelle française, il faudra
un référendum où l'on explique clairement ce que cela
signifie pour notre unité nationale et notre diversité culturelle
régionale. Elle s'exprime aujourd'hui dans notre unité nationale
sans avoir besoin de passer par les droits collectifs.
M. Michel LENNUYEUX-COMNÈNE, Ambassadeur, Ancien Représentant
Permanent de la France auprès du Conseil de l'Europe :
En tant qu'ancien représentant permanent de la France à
Strasbourg, j'ai été le négociateur pour la France de
cette fameuse convention des minorités nationales. Comme l'a
rappelé ce matin Madame Lalumière, cette convention n'est pas une
convention des minorités nationales mais une convention cadre des
personnes appartenant à des minorités nationales. Le Conseil de
l'Europe, et c'est sa gloire et sa spécificité, n'a jamais
parlé qu'au nom des personnes et pas des Etats. Tout dans cette
organisation laisse la primauté aux droits des personnes par delà
les Etats. Le président Badinter a bien posé le problème.
Il s'agit de savoir si le Conseil de l'Europe restera en tant que
médiateur de la personne au collectif. Le Conseil de l'Europe n'a pas
à garantir les frontières. C'est le rôle des organisations
de sécurité. Il est là pour donner des garanties aux
hommes qui vivent sur les territoires, personnellement. Il peut être une
organisation de l'avenir devant la problématique qu'a posée
Monsieur Badinter du droit individuel aux droits collectifs. C'est sa chance et
c'est là-dessus que nous devons insister.
M. Robert TOULEMON, membre du mouvement européen, de l'association
française d'étude pour l'union européenne et de
l'association Jean Monnet :
En ce qui concerne le lieu du politique, je crains que vous n'ayez basé
votre raisonnement sur la situation très particulière de la
France. Pour un Ecossais, le lieu du politique est tout autant à
Edimbourg qu'à Londres, surtout depuis que le parlement a
été rétabli. En Allemagne, il se situe aussi bien à
Munich qu'à Berlin, en Espagne à Barcelone qu'à Madrid. Ne
croyez-vous pas que dans le monde complexe dans lequel nous vivons, il faudrait
aller vers une démultiplication des lieux de délibération
publique, donc vers une citoyenneté multiple ? L'accession à
une citoyenneté européenne ne sera pas un affaiblissement de la
citoyenneté nationale mais un complément et finalement un
enrichissement de cette citoyenneté.
Monsieur Badinter, vous ne niez pas le droit collectif que constitue le droit
des Etats, c'est-à-dire le droit pour chaque Français de
participer à la vie internationale par le biais de leur Etat. C'est pour
nous une évidence. Pour la Bosnie Herzégovine par exemple,
l'attachement des citoyens à une communauté qui n'est même
pas linguistique (puisque Serbes, Croates et Musulmans parlent la même
langue) l'emporte de très loin sur l'attachement à un Etat
très artificiel. Pouvons-nous faire l'économie de la
reconnaissance de certains droits collectifs dès lors que nous ne
renonçons pas aux droits collectifs des Etats ?
Mme Dominique SCHNAPPER :
Je ne crois pas que le cas français soit spécifique. C'est bien
Tony Blair qui a décidé de rétablir le parlement
écossais, tout comme c'est lui qui décide d'envoyer des avions
au-dessus de l'Irak avec les Américains. En Bavière, la gestion
quotidienne se fait peut-être sans l'intervention de Berlin, mais les
grandes décisions politiques qui engagent la collectivité, comme
la guerre, sont prises au niveau national. Les Etats nationaux gardent par
rapport aux Etats régionaux et pour l'instant par rapport à
l'Europe une dimension proprement politique qui leur est spécifique.
L'Etat national n'a jamais empêché la naissance d'identités
particulières, transnationales. Cette démultiplication des
citoyennetés n'est pas critiquable en tant que telle. Mais aujourd'hui,
la conception de la citoyenneté européenne reste faible. Je le
regrette. Le fait que la volonté politique s'exprime au niveau national
est une donnée historique. Je m'inquiète de voir ce niveau
affaibli avant que soit construite une volonté politique au niveau
européen.
En ce qui concerne votre deuxième question, il est certain que les
Serbes se sentent plus serbes que membres de l'ex-Yougoslavie. Mais cela ne
signifie pas que cela soit un idéal. Toute citoyenneté implique
de faire vivre ensemble des personnes présentant des différences
historiques et culturelles. Nous sommes dans une société ouverte
et les pays « purs » n'existent pas. La Yougoslavie, qui a
été créée en 1919, n'a pas eu les moyens
historiques de construire des institutions permettant de dépasser les
appartenances aux communautés particulières. Mais je ne vois pas
d'autre solution, pour faire vivre ensemble les Serbes et les Croates, que de
construire un lieu de citoyenneté allant au-delà de
l'appartenance à la collectivité historique serbe ou croate.
M. Robert BADINTER :
Dans mon propos, j'étais parti de la notion de droits de l'homme comme
étant l'élément fédérateur commun à
tous les Européens. Le Conseil de l'Europe était le lieu par
essence de la protection des droits de l'homme en Europe. Vous avez
parlé du politique en parlant de l'Etat et des communautés. Je ne
me suis pas situé sur ce plan-là. Je n'ai pas voulu dire qu'il
n'existait pas de communautés régionales. Je voulais simplement
demander qui était titulaire des droits de l'homme. Qui va en demander
la protection devant la Cour européenne des droits de l'homme ?
Nous voulons tous qu'elle continue, même si comme toutes les
juridictions, elle ne peut donner satisfaction à tout le monde en
même temps.
J'ai présidé la commission d'arbitrage dans la conférence
sur la paix dans l'ex-Yougoslavie. Quand nous essayions de définir ce
que pouvaient être les solutions, nous nous demandions comment nous
pouvions protéger les droits de l'homme alors que nous étions au
sein d'espaces où s'opposaient des communautés. Si vous
protégez les droits des Serbes ou les droits des Croates, dans le nouvel
ensemble, ceux qui étaient les minoritaires au sein de la
totalité se trouvent être majoritaires au sein de fragments
devenus indépendants et
vice versa
. C'est exactement ce qui s'est
passé au Kosovo. La seule protection efficace des êtres humains ne
passe donc pas par la protection de groupes dont la situation peut passer de
majoritaire à minoritaire mais par le « noyau dur »
que constitue la protection de l'individu.
Tout être humain a droit à la protection de ses droits
fondamentaux. On peut discuter sur l'énoncé de ces droits ;
mais en ce qui concerne le support, il n'y a pas d'ambiguïté. Par
contre, si vous définissez un droit collectif à la protection
dans un espace déterminé de la langue majoritaire, vous
échouez à protéger comme il convient le droit des
minoritaires au sein de cet espace collectif. Quelle que soit la façon
dont on tourne le problème, on en revient aux droits de l'homme pris
dans leur support individuel. Il ne faut exclure aucun être humain, qu'il
participe à une majorité ou à une minorité. La
difficulté extrême est l'intégration de cette protection de
l'être humain dans un ensemble étatique et à plus forte
raison supranational. Seuls les droits fondamentaux de la personne humaine ne
peuvent nous trahir.
Renan a dit le 11 mars 1882 dans sa conférence intitulée
« qu'est-ce qu'une nation » : « Les nations
ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont commencé ;
elles finiront. La confédération européenne probablement
les remplacera ». Ces paroles ont été prononcées
dans le temple de la pensée républicaine, la Sorbonne.
M. Jordi SOLE TURA :
Le droit à l'autodétermination est un droit qui n'a pas de sujet.
Qui va pouvoir s'autodéterminer ? Seule une décision
politique peut répondre à cette question. Cette notion a
été inventée en Europe après la première
guerre mondiale pour définir une carte politique. Ce droit n'a
été inclus que dans deux constitutions : celle de l'Union
soviétique et celle de l'ex-Yougoslavie. Le résultat montre qu'il
faut être très prudent.
Nous entrons dans un processus de plus en plus compliqué : la
construction de l'espace européen. Cela pose le problème de la
langue. Aujourd'hui, l'anglais est la langue dans laquelle s'expriment les
Européens entre eux. La question de la langue pose des questions de
pouvoir. Nous savons tous à qui profite la mondialisation. Tous les
Etats membres réfléchissent à la meilleure façon de
réagir face à un pouvoir économique, politique, militaire
et linguistique beaucoup plus puissant. Quelle sera la langue européenne
de demain ? Dans quel espace ? Si nous n'arrivons pas à
trouver une solution, nous nous retrouverons dans une situation difficile.
Pour une intégration pleine et entière des Balkans à l'Europe
M. Skender GJINUSHI
Président du
Parlement albanais
Mme
Josette DURRIEU, Présidente de la Délégation parlementaire
française à l'Assemblée du Conseil de l'Europe :
L'Albanie est au coeur du problème des Balkans. Sa démarche au
moment du conflit a été louable. Nous avons tous mesuré le
poids de ses efforts et de sa responsabilité. Nous sommes mal sortis du
conflit. Nous sommes aujourd'hui dans la phase de gestion de ses suites. On
parle aujourd'hui de reconstruction, de sécurité et
d'élections. Si on reposait le problème du Kosovo en le mettant
au centre du problème des Balkans, quel serait le positionnement de
l'Albanais que vous êtes ? Doit-on accorder l'autonomie ou
l'indépendance au Kosovo ? Que signifie la grande Albanie pour un
Albanais ? Vous avez un discours très positif. Que signifie pour
les Albanais de la région des Balkans l'intégration à
l'Europe ?
M. Skender GJINUSHI :
La paix au Kosovo a pour la première fois créé les
conditions de l'intégration européenne des peuples des Balkans.
C'est important car il ne peut y avoir d'Europe de citoyens égaux sans
égalité des peuples. L'intervention de l'OTAN a montré que
l'Europe était prête à défendre ces valeurs, si
besoin est en recourant à la force. L'expérience du Kosovo
constitue un apport précieux au droit international en donnant un
coût important à une souveraineté s'appuyant sur le
génocide et l'épuration ethnique. Elle a confirmé que la
souveraineté appartenait aux peuples et non aux régimes
dictatoriaux.
Cette nouvelle réalité de la région est similaire à
celle de l'Occident en 1945. Les Balkans viennent de sortir d'une longue guerre
dont les protagonistes ont été les peuples de la région
elle-même. Grâce à l'intervention de la puissante alliance
mondiale, la paix a été rétablie. Le principal
problème reste l'hostilité interethnique qui freine la
nécessaire coopération. La région doit retrouver la paix.
C'est là l'objectif du Pacte de stabilité. Il est
constitué de trois volets. Le premier concerne la garantie de la paix et
de la sécurité dans la région. La pacification et l'avenir
du Kosovo constituent le noeud du problème. Le retour de milliers
d'Albanais de souche a été organisé dans des délais
très courts. Cela a prouvé que ces personnes n'avaient pas
abandonné leur maison mais qu'elles avaient été
expulsées de leur foyer par des méthodes inhumaines avant le
commencement des frappes aériennes. La reprise de la vie quotidienne en
un temps record montre l'énergie et les possibilités de ce
peuple. L'accueil enthousiaste réservé aux troupes de l'OTAN
démontre ses aspirations européennes.
Certains comparent les incidents liés au départ des Serbes du
Kosovo à l'épuration ethnique des mois précédents.
Même Milosevic déclarait récemment que l'OTAN et les
Albanais établissent le nazisme au Kosovo. Or c'est bien lui, sa
politique et ses forces militaires qui ont fait du Kosovo un pays miné,
rempli de tombeaux et de ruines, dominé par la haine et
l'hostilité, sans pouvoir central ni local, sans gouvernement
réel, sans police, sans tribunaux, livré à la vengeance et
au crime ordinaires.
L'ordre et la paix publiques ne seront pas faciles à rétablir. Il
faut rapidement recréer les institutions démocratiques à
travers des élections libres. Avec la reconstruction rapide, cela doit
être notre préoccupation principale. Nous devons encourager les
politiques fondées sur la coexistence, la réconciliation et
l'oubli. Le rôle de l'Albanie sera important. Nous coopérons avec
la communauté internationale. Pendant la conférence de
Rambouillet, nous avons accepté les accords de paix. Nous avons
participé au désarmement de l'UCK et à la création
du corps de protection du Kosovo tout en nous préparant à des
élections libres.
Au Kosovo, il n'existe aucune politique albanaise d'épuration ethnique.
Mais il fallait mettre un terme aux comportements qui entretiennent
l'hostilité, comme la non-condamnation des criminels de guerre et la
non-libération des prisonniers. Certains voient dans les
développements récents au Kosovo les signes de la création
d'une grande Albanie. Mais la crise du Kosovo est le produit de la
désintégration de l'ancienne Yougoslavie. Les Albanais n'aspirent
pas à la grande Albanie mais à la grande Europe. Nous
étions pour l'intervention de l'OTAN au Kosovo. Nous sommes pour le
maintien de sa présence jusqu'à ce que l'intégration du
Kosovo et de la région dans l'Europe soit réalisée. Les
Albanais n'ont pas profité de la crise pour déstabiliser la
Macédoine. Bien au contraire, leur rôle a été
d'oeuvrer pour la stabilité de la région et c'est celui qu'ils
entendent continuer à jouer.
La non-démocratisation de la Serbie demeure une source de tensions dans
la région. Le régime de Belgrade a déclenché quatre
guerres. Il est le principal obstacle à l'intégration naturelle
des peuples de la Yougoslavie en Europe. La démocratisation de la Serbie
ne suppose pas seulement l'éloignement de Milosevic ou la tenue
d'élections libres. Le défaut majeur du régime de Belgrade
n'est pas l'absence de démocratie pour le peuple serbe mais la violence,
l'humiliation, la répression qu'il impose aux autres peuples. L'Etat
serbe n'est pas compatible avec la réalité européenne,
comme l'illustre sa demande d'union avec la Biélorussie. Ce pays
continue d'agir en fonction de l'idéologie de la guerre froide qui
faisait de l'OTAN une force d'agression.
La pression de la communauté internationale doit tenir compte de ces
aspects. L'avenir du Monténégro est également en jeu. Il
souhaite obtenir un statut d'égalité avec la Serbie. Il y a un
risque de confrontation avec son armée.
Il ne peut pas y avoir de démocratisation et de stabilité
réelle sans développement économique, comme le montre
l'expérience européenne de l'après-guerre, lorsque le plan
Marshall créa les conditions économiques nécessaires pour
la consolidation de l'Etat de droit. Le coût du développement de
la région est inférieur à celui de l'intervention pour
arrêter la guerre. En renforçant l'économie, on affaiblit
les tentations militaires. Le développement incontrôlé et
inégal des Balkans a conduit à la balkanisation de l'Europe. Un
développement concerté des Balkans mènera sans doute
à son européanisation. Le Conseil de l'Europe a un rôle
irremplaçable à jouer dans ce processus.
Souveraineté nationale
et développement de la construction
européenne
M. Paul THIBAUD
Philosophe
Je
souhaite protester contre l'idée qu'il y aurait une continuité
entre tous les niveaux de responsabilité, du quartier à l'ONU en
passant par les régions et l'Etat nation. Cela ne peut qu'introduire une
confusion dans les esprits. Les gens ne savent plus où ils sont et qui
ils sont. C'est une source de désordre moral et matériel
considérable.
Un échelon me semble plus important que les autres : la nation. Un
grand anthropologue anglais, Sir Henry Maine, disait qu'il y avait au
départ deux représentations de l'entité politique. La
première est la tribu, « moi et mes semblables »,
qui est un groupe ayant un sens immédiat de l'appartenance, de
l'identité, de l'homogénéité et qui se situe par
rapport à lui-même. La seconde est l'empire qui n'a ni limite, ni
identité interne et qui pour cette raison vise l'extension mondiale.
L'empire romain en est le prototype. L'Europe n'arrive pas aujourd'hui à
se penser des frontières. Quand elle souhaite se donner des limites, ce
sont des limites idéologiques et non géographiques, comme le
montrent les interrogations actuelles sur l'adhésion de la Turquie
à l'Union européenne.
Mais l'Europe a inventé un troisième échelon : la
nation. Il n'y a pas de nation en dehors de l'Europe. La nation est un concept
mixte : c'est un particulier qui existe en fonction d'un universel. La
nation est un point de vue sur le monde, une vocation. Elle est quelque chose
à dire aux autres : on n'existe pas uniquement pour soi, mais aussi
pour les autres et parmi les autres. En ce sens, ce sont les Juifs qui ont
inventé la nation. Il n'y a en effet pas d'exemple
précédent d'une élection, c'est-à-dire du sentiment
que sa particularité a un sens universel. Cette notion nous a
imprégnés à travers le christianisme. Ce n'est pas pour
rien que les royautés françaises et anglaises se sont constamment
référées aux Rois de Judée qui figure toujours sur
la façade de Notre Dame de Paris.
La nation est artificielle. Ce n'est pas un peuple qui fait la nation, mais un
but commun. Cette acception politique de la nation lui permet de comprendre des
gens différents et de concevoir la notion de droits de l'homme, qui est
née dans ce cadre. Les droits de l'homme ont d'abord été
les droits des Anglais, puis ceux des Anglais révoltés
d'Amérique, avant que les Français ne généralisent
cette notion. S'il n'y avait pas eu l'artificialisation de l'appartenance
particulière par le biais de la nation, les droits de l'homme seraient
restés confinés au secteur religieux où ils existaient
depuis longtemps dans la philosophie antique puis dans le christianisme. Ils
n'auraient pas émergé dans le politique.
Cette considération historique sur le caractère européen
de la nation devrait nous empêcher de renoncer à cette notion.
Aujourd'hui, la réalité devient de plus en plus complexe. Mais
les villes par exemple, qui ont un poids de plus en plus important, n'ont pas
encore de réel pouvoir politique.
Dans ce cadre, les droits des minorités sont-ils possibles ? Bien
entendu. Mais il faut préciser le cadre dans lequel on se situe. Il faut
savoir s'ils sont compatibles avec la citoyenneté qui s'exerce dans le
cadre national. Personne n'a jamais prétendu en France ou dans toute
autre nation démocratique que l'on devait empêcher quelqu'un de
parler une langue donnée avec ses enfants. Mais l'émergence d'une
seconde langue dans le domaine politique est une question différente.
Les droits de la Bavière, des départements, des communes et des
régions ne sont pas incompatibles avec l'existence de la nation. Mais il
faut que cette compatibilité avec la nation soit reconnue. Il faut que
les gens sachent où ils se situent. M. Jordi Sole Tura a insisté
sur la question linguistique et a souligné que le bilinguisme
était un élément essentiel de l'autonomie catalane. C'est
cela qui le rend compatible avec l'existence de l'Espagne. Les polylinguismes
sont possibles. Mais un polylinguisme égalitaire est difficilement
concevable. Seule la Suisse arrive à l'assurer au prix d'une suppression
du politique au niveau national. Au Canada ou en Belgique, le polylinguisme
égalitaire ne fonctionne pas. Toutes les pluralités ne sont pas
possibles.
Le droit à l'indépendance, à l'autodétermination
des peuples, est une autre possibilité. M. Jordi Sole Tura a
souligné qu'il fallait, pour l'exercer, définir qui en
était le sujet. Mais il est souvent clairement identifié. Si la
Catalogne voulait être indépendante, elle le pourrait. Au
XIXème siècle, la Norvège a acquis son indépendance
de façon pacifique. L'entité norvégienne existait avant,
elle a existé après sous une forme différente. Si le
Québec votait en ce sens, il deviendrait indépendant. Le droit
à l'autodétermination de la Corse existe. Mais seules ces
personnes réclament son usage.
Si la prééminence de la nation est reconnue, il faut en tirer les
conséquences. Il me semble que si on intériorisait ces notions de
façon aussi claire, on aurait moins de difficultés à
résoudre certains problèmes. En Corse, on assiste à une
revendication de particularité qui ne connaît pas de limite,
adressée à une nation française dont on ne conteste pas
que la Corse fasse partie mais dont on ne veut pas tenir compte. L'usage de la
violence montre la position intérieure et extérieure par rapport
à la communauté française. Le droit à
l'autodétermination corse est réel ; mais le droit au
terrorisme corse, au chantage, n'existe pas.
En ce qui concerne l'échelon européen, l'Europe est en
difficulté. Elle a contourné les nations et la vie politique
nationale. On aboutit à une impasse. Le système européen a
fonctionné tant que sa dynamique a été économique,
c'est-à-dire tant qu'il s'est soucié de détruire du
politique en supprimant l'interventionnisme étatique dans
l'économie. Mais l'Europe ne parvient pas à créer du
politique. On veut aujourd'hui avoir une politique étrangère
commune. Pour cela, il faut prendre des décisions positives. Il faut
donc une légitimité politique. C'est aujourd'hui la Commission
qui a le monopole des propositions de directives. Les nations ont
été marginalisées, réduites à un rôle
de contrôle. Elles ne sont pas au centre. Ce système est un
système de paralysie mutuelle, qui ne pourra pas fonctionner à 30
ni dans les domaines nouveaux que l'Europe veut aborder.
Il n'y a pas d'autre solution que de mettre la politique, c'est-à-dire
les nations, au centre. L'institutionnalisation de l'Europe des nations est
tout à fait possible. Mais la question qui a été
posée sur la façon de faire basculer la légitimité
d'un niveau à l'autre est insoluble. La souveraineté ne se
délègue pas plus que l'identité. Jamais un roi ou un
empereur ayant abdiqué n'a pu désigner son successeur, comme le
montrent les exemples de Louis-Philippe et de Charles X. Si l'Europe veut
exister comme souveraineté politique, elle devra prendre par ses propres
forces la souveraineté aux nations. Les nations ne peuvent la lui
transmettre. Mais les taux de participation aux élections
européennes ont montré que la vie politique au niveau
européen fonctionne mal.
L'expérience prouve que la souveraineté nationale est modulable.
Hannah Arendt a dit : « une entière souveraineté
nationale n'est possible qu'aussi longtemps que la fraternité de la
nation existe car c'est cet esprit de solidarité et d'entente tacite qui
empêche les gouvernements d'exercer totalement un pouvoir
souverain ». Les nations, à la différence des empires,
sont des entités qui se voient comme partielles. La souveraineté
nationale est toujours limitée car elle s'inscrit dans une
mutualité des nations. Cette famille des nations, selon l'expression de
Jean-Jacques Rousseau, a été mise en forme par le Conseil de
l'Europe. Robert Badinter a parlé d'une juridiction sans
souveraineté à propos de la Cour européenne des Droits de
l'Homme. Il me semble qu'il n'y a pas de juridiction sans souveraineté.
Il y a une juridiction à laquelle les souverainetés nationales
signataires ont confié un rôle. L'exécution des jugements
relève des nations. Une souveraineté peut être
civilisée, s'autocontrôler, se limiter, entrer dans un cadre
d'exercice commun.
Au lieu de vouloir surmonter les souverainetés, on peut les moduler.
C'est ce qui est en train de se passer sous nos yeux et c'est une bonne chose.
Si notre Europe continuait de fonctionner sans prendre en considération
ces souverainetés nationales, c'est-à-dire la base de sa
souveraineté politique, on irait vers l'extension des revendications de
particularismes aveugles qui ruineraient la citoyenneté et
l'appartenance nationale. Il y a là une aberration puisque cela
provoquerait l'accroissement parallèle de droits individuels et de
l'insécurité. L'Europe connaissait depuis des siècles une
tendance continue à la baisse de la violence non militaire. Depuis 10
ans, ce phénomène s'est renversé. Nos
sociétés de droits de l'homme, de droits individuels et
collectifs, ont tendance à devenir plus violentes qu'avant. Il y a
quelque chose qui ne fonctionne pas dans un système qui
dépossède l'endroit de la plus forte légitimité
politique. La souveraineté est modulable : plutôt que de
poursuivre des objectifs inatteignables, générateurs de
frustrations et donc de revendications destructrices du lien social, voire
violente. C'est, je crois, vers l'exercice modulé des
souverainetés nationales que l'Europe doit s'orienter.
Droit des minorités et principes d'égalité et d'universalité des droits de l'homme
M. Guy CARCASSONNE
Professeur des
Universités
L'énoncé du sujet que je me propose de traiter
susciterait le malaise chez tout Français. Nous partageons une culture
commune fondée sur la révérence à l'égard de
l'égalité et sur l'idée selon laquelle les
différences existant au sein de la société ne peuvent
découler que de ce que les gens font et non de ce qu'ils sont. La
logique des droits des minorités est inverse. Nous avons donc toujours
considéré que seuls les individus sont titulaires de droits et
non les collectivités.
Cet acquis que beaucoup d'entre nous apprécions n'allait pas de soi. La
France s'est bâtie sur l'oppression de ses minorités,
régionales, linguistiques et religieuses. Cette oppression a
réussi et a été théorisée pour produire un
résultat étonnant et, à mes yeux, satisfaisants. Une fois
que notre unité a été fabriquée, de façon
très autoritaire, voire brutalement militaire, ceux qui y ont
participé ont trouvé un intérêt plus grand à
cette réussite fusionnelle de la constitution d'un peuple qu'à la
revendication de droits minoritaires.
Mais la France n'est pas seule. D'autres nations ont connu des systèmes
souvent tout aussi oppressifs, mais moins efficaces dans la réduction
des différences. Elles n'ont pas pu créer un peuple unique de
citoyens effectivement égaux. Cet échec a conduit les
minorités à se penser et à se constituer comme telles. La
revendication des droits des minorités, qui est
a priori
si
contraire au dogme républicain français, est le produit d'un
mécanisme et pose question. Le mécanisme est la victimisation. La
question est : cette victimisation survivra-t-elle à l'oppression
qui l'a causée ?
Face à un phénomène d'oppression de minorités, la
réaction historique a été plus de lutter pour les
minorités que de lutter contre l'oppression, un peu comme si on avait
souhaité combattre la douleur davantage que le mal. On a
considéré que la réponse efficace à une oppression
dont une minorité pouvait être victime était d'entourer
cette minorité d'un certain nombre de garanties plutôt que
d'essayer de s'attaquer aux sources mêmes de l'oppression. Toute
discrimination négative créait donc de façon artificielle,
ou du moins entretenait, des particularismes qui à leur tour se
renforçaient dans la revendication de droits, lesquels droits, au fur et
à mesure qu'ils étaient accordés, aboutissaient à
une multiplication des minorités. Le tout était aggravé
par un esprit de revanche et par l'accumulation de contentieux
séculaires. Ce processus conduit à l'enchaînement des
membres des minorités à celles-ci. Ils sont enfermés dans
un statut qui est aussi un statut de victime.
Avec les progrès de la démocratie, nombreux sont les pays dans
lesquels les minorités sont suffisamment protégées pour
que ni leur existence, ni leurs droits ne soient remis en cause. Mais je me
demande si cette existence et ces droits doivent survivre à
l'oppression. Quand l'oppression cesse, deux conceptions du système
démocratique sont possibles. La première considère que les
droits des minorités et leur reconnaissance sont consubstantielles
à la démocratie elle-même et constituent une sophistication
nécessaire de cette démocratie qui garantit à chacun
qu'ils seront respectés. La deuxième considère que les
droits des minorités peuvent être une étape, mais une
étape vers l'extinction de leur nécessité. L'idée
est que seule la réalisation de l'égalité au plan
national, et un jour au plan universel, en matière de droits de l'homme
parviendra effectivement à faire respecter comme il convient les droits
de chacun. Par définition, une égalité dont le respect
serait universellement assurée ferait s'éteindre la
singularité des minorités.
Par habitude, par culture mais aussi par réflexion et par conviction, je
me reconnais davantage dans la seconde conception que dans la première.
Mais je les crois fondamentalement vouées à converger. En effet,
avec l'enracinement de la démocratie, des minorités se sentent
suffisamment respectées pour ne pas éprouver le besoin de
réclamer des droits propres et d'autres, qui en ont obtenus, peuvent se
sentir suffisamment respectées pour ne pas les faire valoir. Le seul
moyen de réduire la contradiction entre droits des minorités et
principes d'égalité et d'universalité des droits de
l'homme est, comme toujours, la démocratie. Tout système
démocratique parviendra, avec le temps, à unir les citoyens par
delà leurs différences passagères. La question de savoir
s'il faut dans l'intervalle doter telle ou telle minorité de droits est
donc secondaire. Au contraire, tout système non démocratique ne
peut qu'entretenir durablement les inégalités et les
discriminations et par conséquent les revendications de minoritaires qui
trouvent dans cette oppression leur légitimité.
Ma conclusion manquera donc totalement d'originalité : il n'y a pas
mieux que la démocratie !
Débat
M.
Guy CARCASSONNE
, à une question portant sur les droits des Tsiganes
et des Roms en France, a répondu que ce sont les mêmes que ceux
des non-Tsiganes et des non-Roms.
L'intervenant a repris la parole pour souligner que ces personnes n'ont le
droit de séjourner que quatre jours dans une même commune. Seules
quelques communes ont accepté de créer des aires de passage qui
leur sont destinées. Elles ne peuvent envoyer leurs enfants à
l'école car ces derniers ne peuvent pas suivre les programmes scolaires
en ne restant que 4 jours dans chaque établissement. A 20 ans, ils ne
trouvent donc pas d'emploi et basculent dans la délinquance. Ils ne sont
pas assimilés, personne ne veut les reconnaître. Ils sont
chassés par tout le monde. Il faut faire comme les Israéliens et
avoir un territoire, sinon on n'existe pas.
M. Guy CARCASSONNE
lui a répondu en ces termes :
« Je persiste à dire que les Tsiganes et les Roms ont les
mêmes droits que les autres. Le fait que ceux qui pratiquent le nomadisme
éprouvent plus de difficultés pratiques que ceux qui ont choisi
d'être sédentaires relève de questions matérielles
qui n'ont rien à voir avec la discrimination ».
M. Jordi SOLE TURA :
Monsieur Thibaud a dit que la Catalogne pouvait demander
l'auto-détermination. Le problème est : qu'est-ce que la
Catalogne ? Certains Catalans sont partisans de
l'auto-détermination, d'autres pas. Au Québec, trois ou quatre
référendums ont été menés sur
l'auto-détermination. Le résultat a toujours été le
même. Si au prochain référendum, les partisans de
l'indépendance gagnent, cela signifie-t-il que l'indépendance
sera accordée de façon irréversible, sans
possibilité de retour en arrière ? Qui a le droit de
décider de l'auto-détermination ?
La question de la langue pose un autre problème. Si on accepte d'isoler
les langues, on est perdu. La situation de la Belgique en est une bonne
illustration. Chaque communauté y parle uniquement sa langue. Les
communautés sont donc séparées politiquement,
économiquement et linguistiquement. Il est important d'assurer le
bilinguisme intégral de la population au lieu d'isoler les
communautés linguistiques. Il y a en Catalogne des émigrés
d'Andalousie ou d'autres parties de l'Espagne. Les plus anciens parlent
espagnol et comprennent le catalan. Mais la deuxième et la
troisième génération sont bilingues. C'est important que
tout le monde parle les deux langues, même et surtout si l'une d'elles
est celle d'une minorité. Sinon, on fait le lit du séparatisme.
Un intervenant :
« Il me semble que nous avons en tant qu'Européens des
responsabilités croissantes à l'égard de la
démocratie. Nous vivons dans des sociétés de moins en
moins homogènes. Nous sommes heureusement loin de la pureté
ethnique et même de la pureté culturelle. Nous avons affaire
à des sociétés dans lesquelles se sont
intégrées des composantes extrêmement diverses qu'il faut
faire vivre ensemble. Il n'y a pas que les Roms et les Tsiganes qui posent des
problèmes d'intégration. La non-discrimination,
l'intégration de différentes composantes linguistiques et
culturelles dans un espace politique qui, comme l'a dit M. Paul Thibaud,
ne peut être que la nation, vont poser des problèmes croissants.
Plutôt que de nous demander comment protéger les minorités,
il faut se pencher sur l'intégration sociale, diminuer la fracture
sociale entre riches et pauvres, ceux qui parlent et ceux qui ne parlent pas,
analphabètes et lettrés, immigrés et citoyens. Le Conseil
de l'Europe peut nous aider à comprendre comment ce problème se
pose chez chacun d'entre nous. Si nous n'arrivons pas à résoudre
ces questions tous ensemble, entre Européens, nous allons au-devant de
grandes difficultés. »
Mme Lana GOGOBERIDZE, Ambassadeur, Représentant permanent de la
Géorgie auprès du Conseil de l'Europe :
Je souhaiterais que le Conseil de l'Europe réfléchisse aux
actions à mener lorsqu'une grande puissance attise le séparatisme
qui existe dans un petit pays. Vous avez évoqué des pays stables,
comme l'Espagne et la France. Dans vos réflexions, n'oubliez pas nos
situations, qui sont beaucoup plus difficiles que les vôtres.
Clôture
Lord RUSSELL JOHNSTON
Président de l'Assemblée parlementaire
du Conseil de l'Europe
Vous
avez décidé de tenir un débat à l'occasion du
50
e
anniversaire du Conseil de l'Europe.
A l'heure où je vous parle, les " modestes "
cérémonies de Londres et de Budapest sont déjà loin
derrière nous. Il me semble par conséquent plus opportun d'axer
mon discours sur l'avenir de l'Organisation que sur son passé. Le
Conseil vient en effet d'entrer dans les cinquante prochaines années de
son existence.
Au mois de septembre, j'ai eu l'occasion d'entendre M. Halldór
Ásgrimsson, ministre islandais des Affaires étrangères,
s'exprimer en qualité de Président du Comité des Ministres
du Conseil de l'Europe devant notre Assemblée.
M. Ásgrimsson a été clair, précis et franc. Bref,
il a montré qu'il avait su conserver toutes ses qualités d'ancien
parlementaire, malgré les années passées au service de son
gouvernement.
Evoquant le rôle futur du Conseil de l'Europe, M. Ásgrimsson s'est
voulu critique à l'égard des Etats membres, qui
préfèrent traiter de certaines questions dans le cadre d'autres
forums tels que l'Union européenne ou l'OSCE, alors que notre
Organisation possède une compétence et un savoir-faire
incontestables en la matière.
A titre d'exemple, il a évoqué la bataille qu'il avait dû
mener pour ajouter une phrase à la déclaration finale du sommet
du Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est en juillet dernier
à Sarajevo.
Nous sommes reconnaissants à M. Ásgrimsson d'avoir pris cette
position. La présidence du Comité des Ministres a souvent une
valeur pédagogique pour ceux qui l'exercent. Elle leur donne en effet
l'occasion de connaître en détail, peut-être pour la toute
première fois, les réalisations passées de l'Organisation,
son savoir-faire accumulé au fil des ans, ainsi que son potentiel unique
en matière de développement démocratique et de protection
des droits de l'homme.
Malheureusement, lorsqu'ils acquièrent enfin la conviction que le
Conseil de l'Europe doit jouer un plus grand rôle dans la
prévention des conflits, leur mandat de six mois arrive à son
terme et il faut tout recommencer depuis le début.
Ne croyez pas qu'il s'agisse de doléances insignifiantes nées
d'un prestige institutionnel blessé. Il existe un véritable
sentiment de frustration, nourri par toutes ces occasions manquées
où le Conseil de l'Europe aurait pu jouer pleinement son rôle et
contribuer à éviter des situations comme celle du Kosovo ou
panser les blessures de ces conflits avec plus d'efficacité et de
cohérence.
Ce qu'il nous manque, c'est une "présence sur le terrain" puisque
aujourd'hui, ce sont les autres qui diffusent nos messages.
Cette situation peut sembler satisfaisante aux yeux de nos gouvernements, mais
les failles de ce système sont grandes et potentiellement dangereuses.
Lorsque l'acquis du Conseil de l'Europe, la richesse de notre expérience
et de notre savoir-faire, nos instruments et mécanismes juridiques, nos
programmes de coopération, nos usages établis, mais surtout nos
réseaux humains, doivent passer dans un autre moule institutionnel, on
petit facilement imaginer le produit final.
Il a peut-être une belle apparence, mais n'a plus la même saveur;
dépourvu de toute sa substance, ses qualités s'en trouvent ainsi
diminuées.
Il est donc nécessaire que nous soyons présents sur le terrain.
Or, nous avons besoin pour cela de moyens financiers plus importants. Nous ne
voulons certes pas faire concurrence à l'Onu, à l'OSCE ou
à d'autres organisations, mais il faut que nous déployions des
ressources humaines et techniques suffisantes pour que nous puissions mener nos
activités avec efficacité.
Cette présence ne doit pas se limiter aux Balkans où le Conseil,
qui possède déjà des bureaux à Pristina, à
Sarajevo et à Mostar, devrait prochainement en ouvrir d'autres à
Belgrade et à Podgorica, conformément à une recommandation
de l'Assemblée. Nous devons également être présents,
si besoin est, dans le Caucase, au Bélarus et ailleurs.
Je dois également préciser qu'il n'existe aucun différend
entre le Conseil de l'Europe et l'OSCE, qui assume une mission importante, dans
des conditions souvent très difficiles et dangereuses, de façon
consciencieuse et responsable.
Nous avons en effet établi une coopération très
étroite, qui présente des avantages réciproques, dans la
plupart de nos domaines d'activité communs, notamment en Albanie et plus
récemment au Kosovo.
Les difficultés que nous rencontrons viennent principalement des
gouvernements de nos Etats membres, qui semblent s'être accommodés
du coût faramineux de la gestion des conflits dans le cadre de l'OSCE, de
l'Onu ou même de l'Otan, mais renâclent à dépenser ne
serait-ce qu'un centime pour la prévention des conflits à long
terme.
Si vous me le permettez, je vous donnerai un seul exemple récent de ce
que peuvent faire le Conseil de l'Europe et son Assemblée dans ce
domaine.
Les 14 et 15 septembre s'est tenue à Tbilissi la première
réunion trilatérale des Etats du sud du Caucase. Organisée
sous l'égide de l'Assemblée, elle a réuni des
délégations parlementaires de Géorgie, d'Arménie et
d'Azerbaïdjan.
Cette initiative avait été prise par les présidents des
trois parlements en question, réunis à mon invitation en mars de
cette année à Strasbourg.
Pendant deux jours, les parlementaires d'Arménie et d'Azerbaïdjan
-deux Etats qui, il y a quelques années encore, se livraient une guerre
sans merci, qui s'est soldée par la mort de dizaines de milliers de
personnes et par des centaines de milliers de réfugiés, et dont
les relations sont aujourd'hui encore dominées par la méfiance et
le ressentiment- se sont assis côte à côte, se sont
parlés et même écoutés.
L'importance de cette réunion ne doit donc pas être
sous-estimée. Toutes les personnes de cette région avec qui j'ai
récemment eu l'occasion de m'entretenir, y compris les deux
Présidents arménien et azerbaïdjanais -MM. Khocharian et
Aliyev- m'ont assuré que les travaux de l'Assemblée parlementaire
contribuaient dans une large mesure à améliorer progressivement
les relations de ces deux pays. Espérons seulement que l'assassinat
cruel et absurde du Premier ministre, du président du parlement et de
six autres collègues ne mettra pas un terme au processus en cours.
En Moldova, où je me rendrai dans quelques jours, l'Assemblée du
Conseil de l'Europe -mais également la Commission de Venise et ses
spécialistes de droit constitutionnel- jouent un rôle crucial dans
le désamorçage d'une crise politique potentiellement dangereuse,
liée à la réforme constitutionnelle proposée par le
président et approuvée par le parlement.
Je voudrais rendre tout particulièrement hommage à Josette
Durrieux qui, en compagnie du corapporteur suisse Dumeni Columberg, a
travaillé sans relâche à l'instauration d'un dialogue entre
les différentes forces politiques en Moldova et à qui devrait en
grande partie revenir le mérite, si les efforts de l'Assemblée
pour maintenir une stabilité politique dans ce pays portent leurs fruits,
Notre approche, modérée et favorable au dialogue, est parfois
difficile. Quel comportement adopter face à des gens comme
Milosevic ?
Comment promouvoir nos valeurs dans le désordre total qui régnait
à Grozny avant l'intervention russe ou dans l'état de chaos et de
catastrophe humanitaire que celle-ci a provoqué ?
Pourtant, nous ne ménageons pas nos efforts. Nous maintenons le dialogue
avec toutes les forces progressistes de la République
fédérale de Yougoslavie et espérons pouvoir ouvrir
prochainement des bureaux à Podgorica et à Belgrade.
En ce qui concerne la Tchétchénie, j'ai condamné à
plusieurs reprises, au nom de l'Assemblée, l'usage aveugle et
disproportionné de la force et demandé l'engagement
immédiat de négociations.
Lors de l'adoption de la résolution de la Commission permanente de
l'Assemblée il y a un mois, la Russie a pour la première fois
accepté d'évoquer la question tchétchène dans le
cadre d'un forum international.
Quant au texte de la résolution, il reprend toutes les exigences de la
communauté internationale : arrêt des violences contre la
population civile, ouverture des frontières avec l'Ingouchie, libre
accès de l'aide humanitaire et engagement de négociations avec
Maskhadov.
Pour la toute première fois, ces exigences ont été
adoptées avec le consentement d'hommes politiques russes influents.
Signe encourageant d'une reconnaissance accrue des préoccupations
internationales, l'adoption de cette résolution a coïncidé
avec l'ouverture des frontières avec l'Ingouchie.
Nous ignorons si nos efforts pour établir des contacts et soutenir ceux
qui, en Russie, sont partisans d'une approche plus modérée de la
question tchétchène porteront leurs fruits. Il est en tout cas de
notre devoir d'essayer d'y parvenir et nous continuerons de le faire.
Adoptées à temps, des initiatives comme celles qui ont
été prises dans le Caucase et en Moldova ont un rôle
préventif, comme une assurance incendie. Leur coût est
justifié et assurément moindre que celui de l'achat de nouveaux
meubles chaque fois qu'une maison brûle quelque part en Europe ou
ailleurs. La Tchétchénie et le Kosovo nous montrent ce qu'il en
coûte d'attendre trop longtemps.
L'Assemblée ne cesse de rappeler cette logique très simple
à nos gouvernements.
Nombre d'ambassadeurs de nos Etats membres à Strasbourg sont de notre
avis, mais leur marge de manoeuvre est réduite, car les décisions
du Comité des Ministres sont prises à l'unanimité.
Si nous voulons réussir à exploiter pleinement notre potentiel
pour faire face aux défis de l'Europe au siècle prochain, nous
avons besoin de l'aide des parlements nationaux.
L'occasion se présente aujourd'hui aux parlements d'exercer une
influence et une pression sur les gouvernements pour accroître les moyens
financiers et le rôle du Conseil de l'Europe, non pas dans
l'intérêt de l'Organisation elle-même, mais dans celui de
nos concitoyens.
C'est pour vous, mais également pour vos collègues parlementaires
des quarante autres Etats membres, la plus belle façon de
commémorer le 50
e
anniversaire du Conseil de l'Europe,
mais c'est aussi votre meilleur moyen de contribuer à fonder l'Europe de
demain sur les valeurs défendues par notre Organisation.
ANNEXES
|
|
SERVICE
|
Paris, le 17 novembre 1999 |
DELEGATION FRANCAISE AUX ASSEMBLEES
DU CONSEIL DE L'EUROPE ET DE L'UEO
Membres titulaires (12 députés - 6 sénateurs)
MM.
ABOUT Nicolas Ap. RI SENAT Yvelines
BAUMEL Jacques
(1)
RPR AN Hauts-de-Seine
BRIANE Jean UDF AN Aveyron
DEBARGE Marcel
(1)
S SENAT Seine-Saint-Denis
DHAILLE Paul S AN Seine-Maritime
Mme DURRIEU Josette
S SENAT Hautes-Pyrénées
MM. EVIN Claude
(1)
S AN Loire-Atlantique
GOLDBERG Pierre Com AN Allier
HOEFFEL Daniel
(1)
UC SENAT Bas-Rhin
JUNG Armand S AN Bas-Rhin
LE GRAND Jean-François RPR SENAT Manche
LENGAGNE Guy
(1)
RCV AN Pas-de-Calais
MATTEI Jean-François DL AN Bouches-du-Rhône
MITTERRAND Gilbert S AN Gironde
NEUWIRTH Lucien
(2)
RPR SENAT Loire
Mme ROUDY Yvette
(1)
S AN Calvados
MM. SCHREINER Bernard RPR AN Bas-Rhin
VALLEIX Jean RPR AN Gironde
Membres suppléants (12 députés - 6 sénateurs)
MM.
BIRRAUX Claude UDF AN Haute-Savoie
BOCKEL Jean-Marie
(1)
S AN Haut-Rhin
BORDAS James RI SENAT Indre-et-Loire
BRANGER Jean-Guy UC SENAT Charente-Maritime
DREYFUS-SCHMIDT
Michel
(3)
S SENAT Territoire de Belfort
Mme DUMONT Laurence S AN Calvados
MM. EHRMANN Charles DL AN Alpes-Maritimes
GOULET Daniel RPR SENAT Orne
GREMETZ Maxime Com AN Somme
HUNAULT Michel RPR AN Loire-Atlantique
LEGENDRE Jacques
(1)
RPR SENAT Nord
LE GUEN Jean-Marie S AN Paris 9e
LEMOINE Georges
(1)
S AN Eure-et-Loir
MARIOT Jean-Paul S AN Haute-Saône
MICHEL Jean-Pierre RCV AN Haute-Saône
MIGNON Jean-Claude RPR AN Seine-et-Marne
Mme POURTAUD Danièle S SENAT Paris
M. SEGUIN Philippe
(1) (4)
RPR AN Vosges
(1) Ancien ministre
(2) Ancien questeur du Sénat
(3) Ancien Vice-président du Sénat
(4) Ancien Président de l'Assemblée nationale
|
|
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|
DELEGATION FRANCAISE
|
Paris, le 20 janvier 1999 |
|
|
COMPOSITION DU BUREAU DE LA DELEGATION FRANCAISE
AUX ASSEMBLEES DU CONSEIL DE L'EUROPE
ET DE L'UNION DE L'EUROPE OCCIDENTALE
- Présidente : |
Mme Josette DURRIEU |
Sénateur |
(Soc) |
|
|
|
|
- Premier Vice-Président : |
M. Bernard SCHREINER |
Député |
(RPR) |
|
|
|
|
- Vice-Présidents : |
M. Michel
DREYFUS-SCHMIDT
|
Sénateur
|
(Soc)
|
|
M. Claude EVIN |
Député |
(Soc) |
|
M. Marcel DEBARGE |
Sénateur |
(Soc) |
|
M. Jean-François MATTEI |
Député |
(UDF) |
|
|
|
|
- Secrétaire Général : |
M. Daniel HOEFFEL |
Sénateur |
(UC) |
|
|
|
|
- Secrétaire Général Adjoint : |
Mme Yvette ROUDY |
Députée |
(Soc) |
LES
ACTIVITES DE LA DELEGATION FRANCAISE
A L'ASSEMBLEE DU CONSEIL DE L'EUROPE
Propositions de directive, recommandation, résolution, rapports et avis, ainsi qu'interventions dans les débats en séance plénière, sont consultables sur le site du Conseil de l'Europe :
http://stars.coe.fr/index_f.htm
ainsi que, en ce qui concerne les sénateurs, sur le site du Sénat :
http://www.senat.fr/europe/ceueo/index.html
Le
Conseil de l'Europe en bref
11.05.2000
41 Membres
Origine et composition
Le Conseil de l'Europe, la plus ancienne (1949) organisation politique du
continent:
- regroupe 41 pays dont 17 Etats de l'Europe centrale et orientale, a
reçu la
candidature de cinq autres pays (voir rubrique "dimension
paneuropéenne"), et a
Albanie accordé le statut d'observateur à 5 autres Etats (*)
Allemagne - est distinct de l'Union européenne des 15", mais jamais
aucun pays n'a adhéré à
Andorre l'Union sans appartenir d'abord au Conseil de l'Europe,
Autriche - a son siège à Strasbourg (France).
Belgique (*)Saint-Siège, Etats-Unis, Canada, Japon et Mexique
Bulgarie
Chypre
Buts
Croatie Le Conseil a été créé afin:
Danemark - de défendre les droits de l'homme et la démocratie
parlementaire et d'assurer la
Espagne primauté du Droit,
Estonie - de conclure des accords à l'échelle du continent pour
harmoniser les pratiques
Finlande sociales et juridiques des Etats membres,
France - de favoriser la prise de conscience de l'identité
européenne fondée sur des valeurs
Géorgie partagées et transcendant les différences de
culture.
Grèce
Hongrie Depuis 1989, il a pour mission essentielle:
Irlande - d'être un point d'ancrage politique et le gardien des droits de
l'homme pour les
Islande démocraties post-communistes de l'Europe,
Italie - d'aider les pays d'Europe centrale et orientale à mettre en
oeuvre et à consolider les
Lettonie réformes politiques, législatives et constitutionnelles
parallèlement aux réformes
"l'ex-République économiques,
yougoslave de - de fournir un savoir-faire dans des domaines tels que les
droits de l'homme, la
Macédoine" démocratie locale, l'éducation, la culture,
l'environnement.
Liechtenstein
Lituanie
Luxembourg
Mandat politique
Malte Le nouveau mandat politique de l'Organisation a été
défini lors du Sommet du Conseil
Moldova de l'Europe à Vienne en octobre 1993. Les Chefs d'Etat et de
Gouvernement ont
Norvège décidé que le Conseil de l'Europe serait le
gardien de la sécurité démocratique fondée
Pays-Bas sur les droits de l'homme, la démocratie et l'Etat de droit. La
sécurité démocratique est
Pologne un complément essentiel de la sécurité militaire,
car elle est la condition de la stabilité
Portugal et de la paix sur le continent.
République Tchèque
Roumanie Lors du Sommet de Strasbourg, en octobre 1997, les Chefs d'Etat et de
Gouvernement
Royaume Uni ont adopté un plan d'action pour renforcer le travail du
Conseil de l'Europe dans quatre
Russie domaines: démocratie et droits de l'homme, cohésion
sociale, sécurité des citoyens, et
Saint Marin valeurs démocratiques et diversité culturelle.
Slovaquie
Slovénie Aujourd'hui, l'Organisation poursuit son élargissement
tout en renforçant le contrôle du
Suède respect, par tous les Etats membres, des obligations et des
engagements acceptés
Suisse lors de leur adhésion.
Turquie
Ukraine
Mode de fonctionnement
Le Conseil de l'Europe a pour principaux organes:
- un
Comité des Ministres
composé des 41 Ministres des
Affaires étrangères ou de
leurs Délégués siégeant à Strasbourg
(Ambassadeurs/Représentants Permanents),
organe de décision de l'Organisation (actuellement
présidé par l'Italie),
- une
Assemblée parlementaire
regroupant 582 membres (291
titulaires et 291
CONSEIL DE L'EUROPE
suppléants) issus des 41 parlements nationaux
et les délégations d'invités spéciaux
SERVICE DE PRESSE
des parlements de 3 Etats d'Europe orientale non
membres. Le Président en exercice
F- 67075 Strasbourg
est Lord RUSSELL JOHNSTON (libéral,
Royaume-Uni),
Cedex
- un
Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
composé d'une Chambre des
Tel:
+3313 88 4125 60
pouvoirs locaux et d'une Chambre des
régions. Le Congrès est présidé par Alain
Fax:+3313 88 41 27 89 CHENARD (France),
Email: Pressunit@coe.fr - un
Secrétariat Général
composé de quelque 1300 fonctionnaires et dirigé par le
Internet :
www.coe.fr
Secrétaire Général,
Walter SCHWIMMER (Autriche).
Budget
Environ 1,046 milliards de francs français pour 2000 (soit environ 159
500 000 Euros).
Réalisations concrètes
- 174
conventions ou traités européens
ayant force de loi et
dont beaucoup sont ouverts aux Etats non membres sur des questions allant des
droits de l'homme à la lutte contre le crime organisé et de la
prévention de la torture à la protection des données ou
à la coopération culturelle.
- Des
recommandations aux
gouvernements définissant des principes
directeurs en matière de droit, de santé, de médias,
d'éducation, de culture, de sport.
Dimension paneuropéenne
-
Depuis novembre 1990, dix sept pays de l'Europe centrale et orientale ont
adhéré au Conseil de l'Europe:
Hongrie (1990), Pologne
(1991), Bulgarie (1992), Estonie, Lituanie, Slovénie, République
Tchèque, Slovaquie, Roumanie (1993), Lettonie, Albanie, Moldova,
"l'ex-République yougoslave de Macédoine", Ukraine (1995),
Russie, Croatie (1996) et Géorgie (1999).
Sont candidats à l'adhésion :
la Bosnie et
Herzégovine (10.04.95), l'Arménie (7.3.96), l'Azerbaïdjan
(13.07.96), la République Fédérale de Yougoslavie
(19.03.98) et Monaco (21.10.98).
- En 1989, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a
instauré
le statut d'invité spécial afin
de pouvoir
accueillir, lors de ses sessions, des délégations de parlements
des Etats d'Europe centrale et orientale qui s'orientent vers la
démocratie et souscrivent aux engagements des Nations Unies et de l'OSCE
en matière de droits de l'homme.
- En bénéficient aujourd'hui: la Bosnie et Herzégovine
(28.01.94), l'Arménie (26.01.96) et l'Azerbaïdjan (28.6.96). Par
ailleurs, le statut a été octroyé au Bélarus en
septembre 92, puis suspendu le 13 janvier 1997.
- Le Conseil de l'Europe anime divers programmes d'assistance technique
(12.600.000 Euros en 1998) afin de promouvoir les réformes
démocratiques et législatives en Europe centrale et orientale.
Ils couvrent également les administrations locale, de la justice et des
prisons.
- Des Programmes communs d'assistance co-financés par le Conseil de
l'Europe et la Communauté Européenne sont en cours en Albanie,
Bosnie et Herzégovine, Russie, Ukraine et Moldova. La Lettonie, la
Lituanie et l'Estonie en ont aussi bénéficié par le
passé.
- Quelque 50 projets du programme intergouvernemental d'activités du
Conseil de l'Europe sont conçus dans la perspective de la "Grande
Europe" et peuvent être ouverts à des pays européens
non-membres.
- Une commission spéciale pour la démocratie par le droit du
Conseil de l'Europe basée à Venise (Italie) fournit des conseils
juridiques sur l'instauration et le fonctionnement des institutions
démocratiques et du droit constitutionnel.
Droits de l'homme
- La
Convention européenne des Droits de l'homme
établit un
système de contrôle et de protection des droits de l'homme
confié à un organe unique et permanent : la Cour
européenne des Droits de l'Homme. Toute personne s'estimant victime
d'une violation des droits garantis par la Convention peut porter plainte,
après avoir épuisé les voies de recours internes. La Cour
décide si la requête est recevable puis, dans l'affirmative,
procède à l'établissement des faits, tente de parvenir
à un règlement amiable. Si cette tentative échoue, elle
rend un arrêt définitif et contraignant. Un mandat de Commissaire
européen aux droits de l'homme a été créé en
mai 1999 suite à une décision du Sommet de 1997.
L'élection de l'Espagnol Alvaro GIL-ROBLES à ce poste a eu lieu
en septembre 1999.
- Le
Comité pour la prévention de la torture
(CPT)
s'appuie sur la Convention européenne pour la prévention de la
torture et des peines ou traitement inhumains ou dégradants pour
examiner le traitement des personnes privées de liberté et
formuler des recommandations en vue de renforcer la protection de ces personnes.
- La
Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine,
ouverte à la signature en avril 1997, vise à préserver
la dignité et l'intégrité de la personne, en
plaçant l'intérêt de l'être humain au-dessus de celui
de la science ou de la société. Depuis janvier 1998, le
Protocole additionnel portant interdiction du clonage d'êtres humains
complète la Convention.
Protection des minorités
- La
Convention-cadre pour la Protection des Minorités Nationales
est
entrée en vigueur le ler février 1998. Elle énonce les
principes que les Etats parties s'engagent à respecter, notamment
l'égalité devant la loi, le développement de la culture et
la préservation de l'identité, de la religion, de la langue et
des traditions, l'accès aux médias, l'établissement de
contacts libres et pacifiques au-delà des frontières avec des
personnes résidant légalement dans d'autres Etats,
l'établissement de panneaux et inscriptions dans la langue minoritaire.
La Convention comporte un mécanisme de mise en oeuvre de ces
dispositions qui confie au Comité des Ministres, assisté d'un
Comité consultatif, l'évaluation de la bonne application de la
Convention. Les Parties contractantes sont tenues de présenter, dans un
délai d'un an après l'entrée en vigueur de la Convention,
les mesures législatives et autres qu'elles auront prises pour donner
effet à la Convention.
- La
Charte européenne des langues régionales ou
minoritaires
vise à promouvoir l'usage de ces langues en Europe.
Intolérance
- Le Sommet de Strasbourg a décidé de renforcer les activités de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), qui est chargée d'examiner la façon dont les Etats membres gèrent la lutte contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme. Une campagne européenne auprès des jeunes, "Tous différents, tous égaux", avait été menée de décembre 1994 à mars 1996 par le Conseil de l'Europe.
Démocratie locale
- La
Charte européenne de l'autonomie locale
est
considérée comme la "Constitution" de l'autonomie locale en
Europe.
- La
Convention européenne sur la participation des étrangers
à la vie publique au niveau local
doit encourager les Etats à
étendre progressivement les droits politiques à l'échelon
local aux résidents étrangers.
- La
Convention-cadre sur la coopération transfrontalière des
collectivités ou autorités territoriales
sert de cadre
légal à la coopération dans des domaines tels que le
développement régional, urbain et rural, la protection de
l'environnement, l'amélioration des infrastructures et des services
publics et les secours mutuels en cas de catastrophe.
Cohésion sociale
- La
Charte sociale européenne
garantit les normes sociales minimales:
droit au travail et à la formation professionnelle, à des
conditions de travail et une rémunération équitables,
droit syndical, droit à l'assistance sociale et médicale,
à la sécurité sociale, etc. La Charte
révisée de 1996 renforce le principe de non-discrimination
à l'égard des femmes et reconnaît le droit à un
logement décent, entre autres dispositions.
- Le
Fonds de Développement Social
a pour objectif le financement
de projets d'investissements sociaux (aide aux réfugiés et aux
victimes de catastrophes naturelles, logements sociaux, création
d'emplois dans des zones défavorisés, infrastructures sociales).
Le Sommet de Strasbourg l'a invité à accroître ses efforts
dans le domaine social et dans la création d'emplois.
- Le Comité des Ministres a créé en juin 1998 le
Comité européen pour la cohésion sociale, qui coordonnera
et stimulera la coopération des Etats membres dans ce domaine. Il a
aussi lancé, en mai 1998, un programme pour l'enfance dans le but de
promouvoir une société plus accueillante pour les enfants
où l'on protège ceux-ci et où l'on aide les parents
à mener à bien leur mission éducative.
Sécurité des citoyens
- La
Convention européenne pour la répression du terrorisme
vise à faciliter l'extradition des auteurs d'actes terroristes.
- Le projet Octopus, lancé en juin 1996 en coopération avec la
Commission Européenne, a comme but la
lutte contre la corruption et
le crime organisé.
Le Conseil de l'Europe a d'ailleurs
élaboré une Convention pénale sur la corruption qui a
été ouverte à la signature le 27 janvier 1999 et vient
d'ouvrir à la signature une nouvelle convention civile sur la corruption.
- Dans la
lutte contre la toxicomanie,
le Groupe Pompidou est le
principal forum au niveau européen pour le développement d'une
approche globale et multidisciplinaire des conséquences du trafic et de
l'usage des drogues illicites.
Diversité culturelle
-
Convention culturelle européenne:
Les 41 Etats membres ainsi que
Monaco et le Saint-Siège sont liés par cette Convention. En
Europe centrale et orientale, le Bélarus (18.10.93), la Bosnie et
Herzégovine (29.12.94), l'Arménie, et l'Azerbaïdjan
(25.04.97) l'ont également signée. Elle leur permet de participer
aux activités du Conseil de l'Europe dans les domaines de
l'éducation, de la culture, de la jeunesse et du sport.
- "L'Europe, un patrimoine commun" est le thème de la campagne qui aura
lieu en 1999-2000 pour mettre en valeur le patrimoine européen.
- Le
Prix Europa
récompense les meilleurs programmes
européens de télévision et de radio dans le but de les
faire connaître dans toute l'Europe et d'en favoriser la diffusion.
Accords partiels
Par
ailleurs, certaines activités du Conseil de l'Europe sont
développées dans le cadre d'accords partiels ouverts aux Etats
membres de l'organisation, parmi lesquels:
- Le
Centre européen pour l'interdépendance et la
solidarité mondiales
("Centre Nord-Sud") a été
créé en 1990 à Lisbonne à la suite de la Campagne
européenne sur l'interdépendance et la solidarité
nord-sud. Le Centre agit en faveur de la coopération entre l'Europe et
le Sud. Une deuxième campagne - Campagne européenne pour la
solidarité mondiale - a été lancée en septembre
1998.
- La
Pharmacopée européenne
a élaboré
près de 2000 normes pour garantir une qualité commune aux
médicaments offerts à la consommation de 470 millions
d'Européens.
- Eurimages est le fonds européen de soutien à la coproduction,
à la distribution et à l'exploitation de longs métrages et
documentaires européens.
-
L'Observatoire Européen de l'Audiovisuel
diffuse de
manière exhaustive et régulière les informations
concernant le domaine audiovisuel dans ses 34 Etats membres.
- Le
Centre européen pour les langues vivantes,
basé
à Graz (Autriche), a une mission générale de formation des
formateurs d'enseignants, des auteurs de manuels et des experts en
matière d'élaboration des programmes.