C. LA NÉCESSITÉ D'UNE APPROCHE AU CAS PAR CAS : LES PROPOSITIONS SPÉCIFIQUES FORMULÉES PAR CHAQUE COLLECTIVITÉ

Au-delà des mesures susceptibles de bénéficier à l'ensemble des départements d'outre-mer, la grande diversité des situations locales a conduit chaque collectivité à élaborer des propositions d'évolutions institutionnelles spécifiques adaptées à leur situation particulière.

1. En Guyane

a) Les " Etats généraux du développement économique réel et durable " et le " Pacte de développement "

En Guyane, une démarche originale a conduit à la présentation conjointe par le conseil général et le conseil régional de propositions communes sous la forme d'un document d'orientation intitulé " Pacte de développement pour la Guyane ".

Dans un premier temps, à la suite des graves troubles survenus en 1996, se sont tenus, d'avril à décembre 1997, des " Etats généraux du développement économique réel et durable " qui ont réuni l'ensemble des représentants de la société guyanaise dans sa diversité en associant l'Etat, les élus politiques, les socioprofessionnels, les syndicats de salariés, le monde associatif, les partis politiques et les autorités coutumières. Ces Etats généraux ont donné lieu à la rédaction de sortes de " cahiers de doléances " 31( * ) sur l'ensemble des problèmes auxquels est confronté le développement de la Guyane tant sur le plan social, culturel, économique, administratif que politique, qui ont été rassemblés dans un rapport final mis au point en janvier 1998.

Le conseil régional et le conseil général, qui ont chacun pris acte de ce rapport final par délibération, ont jugé nécessaire qu'il soit le point de départ et le cadre de référence privilégié d'une réflexion sur l'avenir de la Guyane. Ils ont à cette fin constitué une commission ad hoc mixte composée de 8 conseillers généraux et de 8 conseillers régionaux chargée d'élaborer un document d'orientation consensuel. Finalisé en décembre 1998, ce document d'orientation intitulé " Pacte de développement pour la Guyane " a été approuvé à une très large majorité par le conseil régional et le conseil général réunis le 27 février 1999.

Ce " Pacte de développement " propose la création d'une nouvelle collectivité territoriale de Guyane se substituant aux actuels région et département . Cette nouvelle collectivité serait dotée d'une assemblée " qui règle par ses délibérations les affaires de la collectivité, et pourvue également d'un pouvoir législatif et réglementaire local autonome ", d'un conseil exécutif responsable devant l'assemblée, de conseils consultatifs dans les domaines socio-économiques et culturels et d'un conseil coutumier . Les communes seraient maintenues ; seraient en outre créées différentes provinces dotées d'une organisation propre.

La nouvelle collectivité de Guyane se verrait transférer des compétences actuellement détenues par l'Etat dans les domaines suivants : " développement économique " (gestion des ressources naturelles, coopération régionale, fiscalité et système financier...), culture, sport, action sanitaire et sociale, éducation, " domaine politique et administratif territorial " (réglementation territoriale, fonction publique territoriale...), aménagement du territoire (maîtrise du foncier jusqu'ici détenu par l'Etat, transports et voies de communication, énergie, gestion de l'eau...). Ce transfert de compétences s'accompagnerait de transferts de moyens financiers et administratifs.

L'Etat conserverait ses compétences en matière de justice, de défense, d'industrie spatiale et de monnaie ; il continuerait à assurer le contrôle administratif et le respect des lois.

Enfin, certaines compétences seraient partagées entre l'Etat et la nouvelle collectivité : l'organisation judiciaire (droit coutumier et adaptation de la justice aux situations locales), la sécurité civile, la réglementation et le contrôle de l'immigration, l'enseignement du premier degré et du second degré, l'enseignement supérieur et la recherche.

Le " Pacte de développement " demande par ailleurs l'adoption d'une loi de programme en faveur de la Guyane.

Il est à noter que depuis l'adoption du " Pacte de développement ", des rencontres désormais régulières ont lieu entre les deux assemblées de Guyane, préfigurant la création du Congrès proposé par le Gouvernement dans le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer.

b) La proposition de création d'un second département dans l'ouest guyanais

M. Léon Bertrand, député-maire de Saint-Laurent-du-Maroni, a pour sa part pris position en faveur de la création d'un second département dans l'ouest guyanais 32( * ) .

Il a en effet déposé une proposition de loi en ce sens à l'Assemblée nationale 33( * ) afin de remédier au déséquilibre résultant selon lui de la centralisation administrative à Cayenne, au détriment des autres communes, notamment celles de l'ouest.

Selon l'exposé des motifs de cette proposition de loi, la création d'un second département répondrait aux préoccupations suivantes :

- reconnaître la réalité économique et démographique de deux régions bien distinctes ;

- renforcer l'efficacité de l'administration en créant un centre de décision plus proche des réalités du terrain (la Guyane étant le seul département français dont la sous-préfecture se trouve à presque 300 km d'un chef-lieu ne pouvant être atteint par les administrés que par une route difficile ou par voie aérienne).

- " mettre fin à l'absurdité d'une région monodépartementale et permettre ainsi l'application rationnelle de la loi portant création des régions ".

2. En Martinique et en Guadeloupe

En Martinique et en Guadeloupe, le débat institutionnel gravite le plus souvent autour de la question d'une assemblée unique , la superposition d'un conseil général et d'un conseil régional sur des territoires exigus suscitant des interrogations.

a) En Martinique

M. Camille Darsières, député de la Martinique, a rappelé à la mission qu'au moment de la création des régions, l'idée de la création d'une grande région Antilles-Guyane était apparue utopique et qu'on aurait pu alors imaginer de doter le conseil général des attributions et des ressources des régions, et donc d'instituer une assemblée unique élue par cantons. Le processus suggéré par le rapport Lise-Tamaya, à savoir la création d'un Congrès, regroupement des deux assemblées en place, lui est apparu " une formule prudente, à peaufiner ".

Soulignant que la coexistence de deux assemblées était source de conflits, de gaspillages et d'effets pervers " en érigeant le système du doublon en système institutionnel ", M. Alfred Marie-Jeanne, député et président du conseil régional de Martinique, a plaidé pour l'institution d'une assemblée régionale unique élue à la représentation proportionnelle, ce nouveau cadre institutionnel étant soumis à une consultation de la population.

M. Claude Lise, sénateur et président du conseil général de Martinique, a estimé que si l'on ne pouvait pas aboutir à une assemblée unique qui serait la solution la plus rationnelle mais peut-être pas la plus opportune, il faudrait tout au moins créer un pont entre les deux assemblées sous la forme d'un Congrès pour assurer un minimum de cohérence. Il a souhaité que les populations concernées soient consultées par un référendum local avant un éventuel changement de statut.

b) En Guadeloupe

En Guadeloupe, il existe déjà une commission mixte informelle entre le conseil général et le conseil régional , qui a notamment travaillé à l'élaboration du contrat de plan.

La région Guadeloupe, dans sa contribution à la loi d'orientation remise à la mission, suggère que si un Congrès est institué, ses compétences soient étendues à la programmation, l'aménagement du territoire, la politique de la ville ; il serait en outre consulté sur les projets de textes concernant l'outre-mer et pourrait proposer des modifications aux textes spécifiques à l'outre-mer.

Le conseil général a constitué une " commission ad hoc sur l'évolution statutaire de la Guadeloupe ", présidée par M. Jean-Claude Malo.

Le rapport établi par cette commission en 1999 préconise l'abandon du système bicaméral, déplorant en particulier les interventions concurrentes des deux assemblées dans des secteurs tels que le tourisme, les transports, l'environnement et le logement, ainsi que l'absence de complémentarité dans les projets d'investissement, au détriment de la cohérence de l'action publique locale et de la crédibilité des élus locaux.

Il propose donc une nouvelle organisation politique et administrative s'articulant autour " d'une seule assemblée exécutive forte issue d'une seule assemblée aux pouvoirs élargis ". Cette assemblée unique cumulerait les compétences du conseil général et du conseil régional, ainsi que de nouvelles compétences en matière d'organisation des transports, d'exploitation des ressources énergétiques et des ressources maritimes, d'éducation (carte scolaire, répartition des emplois d'enseignants) et de coopération régionale. Son exécutif serait le représentant de la France dans toutes les négociations de niveau régional impliquant la Guadeloupe et un autre pays de la Caraïbe.

M. Albert Dorville, président de l'Association des maires de Guadeloupe, s'est également déclaré favorable à l'institution d'une assemblée unique regroupant les compétences des deux assemblées actuelles et dotée de nouvelles compétences, notamment en matière de coopération régionale et de relations avec l'Union européenne.

3. A Saint-Martin et Saint-Barthélémy

Les représentants de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy considèrent que le statut de droit commun de commune du département de la Guadeloupe est inadapté aux spécificités de leurs îles, qui ont été évoquées dans la première partie du présent rapport. Cependant, leurs souhaits d'évolution statutaire prennent des formes quelque peu différentes.

a) A Saint-Martin

Les élus de Saint-Martin souhaitent une évolution statutaire permettant de parvenir à une plus grande autonomie administrative et financière vis-à-vis de la Guadeloupe et à des adaptations de la législation et de la réglementation métropolitaines aux spécificités de l'île, notamment en matière de fiscalité et en ce qui concerne l'éducation (prise en compte du bilinguisme) ou la santé (carte sanitaire).

Pour autant, la forme de cette évolution n'est pas clairement déterminée, ainsi que le souligne le rapport établi à la demande du Gouvernement par M. François Seners en décembre 1999 34( * ) .

La proposition de loi présentée au Sénat en juin 1997 par MM. François Blaizot, Jacques Larché et Mme Lucette Michaux-Chevry 35( * ) , qui prévoyait la possibilité pour la commune d'exercer par convention certaines compétences relevant normalement du département, de la région et de l'Etat, et qui tendait à procéder à une clarification du régime douanier et fiscal applicable, est citée comme une piste intéressante, même si elle est perçue comme insuffisante.

Par ailleurs, la commune a fait étudier diverses hypothèses de transformation de Saint-Martin en collectivité territoriale à statut particulier.

Cependant, il est à souligner que la situation financière de la commune ne lui permet pas d'envisager de se passer de l'apport des crédits régionaux, nationaux et européens.

En outre, l'évolution statutaire de la partie française ne peut être envisagée indépendamment de celle de la partie hollandaise avec laquelle un développement de la coopération administrative apparaît en tout état de cause indispensable.

b) A Saint-Barthélémy

Les représentants de Saint-Barthélémy souhaitent obtenir un statut d'autonomie administrative et fiscale au sein de la République. Aussi aspirent-ils à une transformation de l'île en une collectivité territoriale à statut particulier ou un territoire d'outre-mer , hypothèses d'ailleurs toutes les deux évoquées dans le rapport précité de M. François Seners.

Le conseil général de la Guadeloupe a approuvé, le 29 janvier 1998, une proposition de loi élaborée par sa commission chargée du suivi de l'évolution statutaire de Saint-Barthélémy, tendant à ériger cette île en collectivité territoriale à statut particulier.

Par ailleurs, la commune a fait étudier un projet d'évolution statutaire de Saint-Barthélémy vers un territoire d'outre-mer.

Faisant valoir que la commune exerce d'ores et déjà les compétences du département en gérant notamment le port, l'aéroport, le collège et le centre de secours, M. Bruno Magras, maire de Saint-Barthélémy, souhaite que ces compétences soient transférées à la commune.

Il demande en outre l'obtention d'une dérogation à la carte sanitaire de la Guadeloupe afin de permettre la construction à Saint-Barthélémy d'une clinique qui permettrait de traiter sur place les urgences sanitaires et d'éviter aux habitantes d'avoir à quitter l'île pour les accouchements.

L'autonomie fiscale de Saint-Barthélémy pourrait être assurée grâce à la création de ressources nouvelles à travers la mise en place de nouvelles taxes locales, dont en particulier une taxe de séjour 36( * ) et une taxe locale sur les carburants. Les ressources financières de l'île seraient en effet suffisantes pour lui permettre de se passer des crédits provenant actuellement de la région (essentiellement l'octroi de mer) et de ceux des fonds structurels européens auxquels elle ne serait plus éligible dans l'hypothèse d'une transformation en TOM.

4. A la Réunion

A la Réunion, de l'avis de tous, une priorité absolue doit aujourd'hui être accordée à l'emploi. Les questions institutionnelles passent donc au second plan. Une modification du statut du département d'outre-mer n'est pas souhaitée, pas plus que la création d'un Congrès réunissant les deux assemblées .

Le débat institutionnel se focalise essentiellement autour du projet de division de l'île en deux départements et, à un moindre degré, des propositions de redécoupage des communes et des cantons.

a) Le projet de " bidépartementalisation "

Les cinq députés de la Réunion se sont prononcés, toutes tendances confondues, en faveur de la création d'un deuxième département " conçu comme la réponse à un aménagement équilibré du territoire et au développement de l'île ", selon les termes d'un courrier qu'ils ont adressé en novembre 1999 au Premier ministre.

En particulier, M. André Thien Ah Koon, député-maire du Tampon, a plaidé devant les membres de la mission pour la création d'un deuxième département dans le sud de l'île sur la base d'un argumentaire mettant en évidence les déséquilibres croissants entre le nord et le sud, qui ont été évoqués dans la première partie du présent rapport.

Selon lui, la création de ce deuxième département permettrait de corriger ces déséquilibres en instaurant un second pôle de développement dans le sud, car elle aurait un effet d'entraînement direct et indirect sur l'ensemble de l'économie, et par conséquent, sur l'emploi, à travers le redéploiement des services extérieurs de l'Etat.

En outre, elle pourrait s'inscrire dans la perspective de la création à terme d'une grande région française de l'Océan Indien incluant les deux futurs départements de la Réunion, Mayotte, les Terres australes et antarctiques françaises et les Iles éparses.

M. Claude Hoarau, député-maire de Saint-Pierre, a également défendu l'idée de la création d'un second département qui permettrait un rééquilibrage au profit du sud en mettant fin à l'actuelle concentration des services à Saint-Denis.

Il a en outre évoqué, comme M. André Thien Ah Koon, l'idée d'une grande région de l'Océan Indien.

Pour autant, le projet de création d'un second département ne fait pas l'unanimité parmi les élus de la Réunion.

Après avoir insisté sur la priorité absolue à donner à l'action en faveur de l'emploi, M. Jean-Luc Poudroux, président du conseil général, a déclaré devant la mission qu'il n'était pas persuadé que la bidépartementalisation constitue une priorité, un redécoupage des communes et des cantons constituant en tout état de cause un préalable.

Certes, le conseil régional avait approuvé majoritairement, le 14 janvier 2000, le principe de la création d'un second département, mais dans le cadre d'une réorganisation administrative générale intégrant un nouveau découpage communal, cantonal et départemental.

Au sein du conseil général et du conseil régional, nombre d'élus, parmi lesquels ceux du groupe " UDF-La Relève ", sont opposés au principe de la bidépartementalisation.

Le sénateur Edmond Lauret y est également défavorable.

Les socioprofessionnels doutent qu'elle puisse constituer un moteur de développement.

Se pose en outre la question délicate du découpage des deux futurs départements.

Les réalités géographiques conduisent à prendre comme base la chaîne montagneuse séparant l'île en deux parties. Les arrondissements de Saint-Denis et de Saint-Benoît pourraient constituer le département du nord et ceux de Saint-Paul et de Saint-Pierre le département du sud.

Cependant, la question du rattachement de la zone du Port et de la Possession, importante sur le plan économique, fait notamment l'objet d'un débat. L'avant-projet de loi d'orientation pour l'outre-mer prévoyait le rattachement des communes du Port et de la Possession à un futur département du sud. Toutefois, à la suite de l'avis défavorable émis par le conseil général comme par le conseil régional sur cet avant-projet, le Gouvernement a modifié ce découpage dans le projet de loi déposé à l'Assemblée nationale, qui fait désormais figurer les communes du Port et de la Possession dans un futur département du nord.

b) Les demandes de redécoupage des communes et des cantons

Pour un certain nombre d'élus, la création éventuelle d'un second département doit s'accompagner d'un redécoupage des communes et des cantons afin de tenir compte de l'accroissement de la population.

M. André Thien Ah Koon, député-maire du Tampon, a en effet fait valoir que la Réunion, qui ne compte que 24 communes en tout, a un maire pour 29.000 habitants contre un maire pour 1.500 habitants en métropole, les départements à population équivalente en métropole comptant plusieurs centaines de communes. Il a jugé cette situation préjudiciable à la proximité des élus vis-à-vis de la population et donc à la démocratie locale.

M. Jean-Louis Lagourgue, président de l'Association des maires, a également souligné les difficultés de la gestion de communes trop étendues. Les représentants de l'Association des maires entendus par la mission ont indiqué que ceux-ci étaient majoritairement favorables à un redécoupage.

Trois communes ont d'ores et déjà engagé des procédures en ce sens (Saint-Leu, Saint-Louis et Cilaos) ; il existe en outre des projets de découpage à Saint-Pierre et au Tampon.

Les membres de la mission ont fait observer que ces demandes n'allaient pas dans le sens de l'évolution constatée en métropole où l'on s'oriente plutôt vers un regroupement des communes à travers le développement de l'intercommunalité. Ils ont néanmoins constaté que le droit actuel permettait d'ores et déjà aux communes d'engager des procédures de découpage.

Les représentants de l'Association des maires entendus par la mission considèrent cependant que la procédure résultant du droit actuel, qui entraîne la dissolution du conseil municipal et l'organisation de nouvelles élections, pose un certain nombre de difficultés concernant par exemple l'affectation du personnel, la répartition des dettes, les ressources et les obligations des nouvelles communes...

Soulignant que le découpage des communes relève de l'initiative des maires, M. Paul Vergès, sénateur et président du conseil régional, a pour sa part considéré qu'il convenait d'éviter une atomisation des communes et qu'il faudrait parvenir à des communes de 20.000 à 30.000 habitants en 2025.

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