B. LES PRINCIPALES MESURES ATTENDUES POUR FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL
Devant
l'ampleur des difficultés liées au chômage, les
interlocuteurs rencontrés au cours des deux missions considèrent
dans leur très grande majorité qu'une priorité doit avant
tout être donnée à l'action en faveur du
développement économique et social. Dans leur esprit, celle-ci
prend donc le plus souvent le pas sur d'éventuelles réformes
institutionnelles qui ne peuvent en tout état de cause suffire à
résoudre les graves difficultés actuelles.
Cette priorité correspond d'ailleurs aux aspirations des populations
concernées ; en effet, selon un sondage réalisé en
juillet 1999 à la demande du Gouvernement
28(
*
)
, 50 % des habitants des
départements d'outre-mer attendent en premier lieu de la loi
d'orientation des moyens nouveaux pour le développement
économique et l'emploi, alors que 13 % seulement attendent en
premier lieu un nouveau statut donnant plus de responsabilités aux
élus locaux.
Les mesures les plus fréquemment proposées en matière
économique et sociale consistent en des allégements de charges
sociales et fiscales destinées à améliorer la
compétitivité des entreprises.
1. Des allégements de charges sociales et fiscales pour une meilleure compétitivité
Constatant que les entreprises locales sont handicapées
par
la lourdeur de leurs charges sociales face à la concurrence de pays
voisins dont le niveau de salaires et de protection sociale est beaucoup plus
faible, les représentants des organismes socioprofessionnels
rencontrés au cours des deux missions ont dans leur ensemble
souhaité que soient renforcées et étendues les
exonérations de charges sociales et fiscales bénéficiant
aux entreprises des départements d'outre-mer, notamment à travers
le prolongement des mécanismes d'exonération sectoriels qui
résultent actuellement de la "
loi Perben
".
Par exemple, les représentants de la Chambre de commerce et d'industrie
de Guyane ont souhaité des mesures d'exonération temporaire
d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés, de
taxe professionnelle et de charges patronales de sécurité sociale
en faveur de toute création d'emploi réalisée au cours des
trois prochaines années.
De même, les représentants des Chambres consulaires de Martinique
ont souhaité prioritairement un allégement de charges sociales
pour parvenir à une meilleure compétitivité, constatant
que les coûts de main-d'oeuvre étaient cinq à six fois
inférieurs dans les îles voisines.
La contribution de la région Guadeloupe à la loi d'orientation
propose elle aussi un allégement des charges sociales pesant sur les
entreprises et notamment les plus petites.
Ainsi que le relève le rapport établi par la commission ad hoc
sur l'évolution statutaire constituée par le conseil
général de la Guadeloupe, l'allégement des charges
constitue une priorité pour les socio-professionnels de ce
département qui considèrent que les exonérations
sectorielles de charges sociales et fiscales devraient être
octroyées sur une période suffisamment longue (entre 5 et 10
ans), moyennant un engagement ferme de l'entreprise bénéficiaire
à maintenir le contrat de travail du salarié pendant une
période au moins équivalente à l'issue de la
période d'exonération.
A Saint-Martin, les socioprofessionnels demandent prioritairement à ce
qu'il soit mis fin aux distorsions de charges sociales et fiscales entre la
partie française et la partie hollandaise de l'île. Ils souhaitent
que les exonérations prévues par la loi Perben soient
étendues à tous les secteurs d'activité et
déplafonnées. Ils sont en outre opposés à une
limitation du champ d'application de ces exonérations aux entreprises de
moins de 10 salariés.
Présentant à la mission l'avis du conseil général
de la Réunion sur les orientations proposées par le Gouvernement
pour le projet de loi d'orientation sur l'outre-mer, M. Virapoullé,
premier vice-président, a souligné que devant la montée du
chômage et de l'exclusion, les groupes politiques du conseil
général avaient été unanimes à souhaiter que
la loi d'orientation s'attache prioritairement à l'action en faveur de
l'emploi et de la dignité. Selon lui, cette action passe d'abord par un
abaissement du coût du travail ; à cette fin, il a
souhaité une réduction des charges sociales pour les
11 premiers emplois de toutes les entreprises (afin d'éviter les
effets de seuil liés au dispositif d'exonération de charges
sociales en faveur des entreprises de moins de 11 salariés
proposé par le Gouvernement).
Considérant également qu'une priorité absolue devait
être accordée à l'emploi, l'avis du conseil régional
sur le document d'orientation du Gouvernement, remis à la mission
à l'occasion de sa visite au conseil régional, propose pour sa
part un dispositif d'exonération de charges sociales portant sur les
10 premiers salariés de toutes les entreprises de moins de
20 salariés, pour une période minimale de dix ans.
Après avoir souligné que le coût du travail est un obstacle
majeur à la compétitivité des entreprises
réunionnaises, les représentants des organismes
socio-professionnels de la Réunion ont également insisté
sur la nécessité d'assurer un prolongement aux dispositifs
d'exonération de charges sociales de la " loi Perben " en
faveur des secteurs exposés à une forte concurrence, tout en
veillant à éviter de créer des effets de seuil.
Le conseil général et le conseil régional de la
Réunion souhaitent en outre que soit mis en place un dispositif de
préretraite
contre embauche (à partir de 52 ans),
également proposé par le MEDEF Réunion.
Certains interlocuteurs souhaitent par ailleurs le développement de
zones franches
dans les DOM.
Cette proposition a par exemple été formulée par les
représentants de la Chambre de commerce et d'industrie de Guyane.
Selon les propositions de la région Guadeloupe, celle-ci devrait
être déclarée toute entière " zone
franche " en termes fiscaux et sociaux, et un régime fiscal
particulier devrait être élaboré.
A la Réunion, le conseil général, comme le conseil
régional, souhaitent que des mesures particulières soient prises
pour favoriser les exportations. Celles-ci pourraient notamment prendre la
forme de la création d' "
entreprises franches
"
(également proposée par le MEDEF-Réunion) ; il
s'agirait de faire bénéficier les entreprises tournées
vers une activité exportatrice, sous réserve d'un
agrément, de l'ensemble des mesures propres aux zones franches. Ce
concept d' " entreprise franche " est jugé plus pertinent
que les zones franches traditionnelles qui peuvent susciter des abus
(installation d'entreprises " boîtes aux lettres ", par
exemple).
M. Edmond Lauret, sénateur de la Réunion, souhaiterait
pour sa part étendre le dispositif actuel des emplois-jeunes aux
entreprises privées dans le secteur de l'export, du tourisme, du
logement social et de la formation professionnelle.
Par ailleurs, en matière fiscale, M. Camille Darsières,
député de la Martinique, regrettant que les départements
d'outre-mer ne bénéficient d'aucun retour sur les sommes
considérables engagées sur les jeux de hasard, a proposé
l'institution au profit des départements d'outre-mer d'un
prélèvement sur le produit des jeux de hasard afin de financer
l'habitat social.
M. Marcellin Lubeth, président du conseil général de
Guadeloupe, a également déploré que les
départements d'outre-mer ne bénéficient d'aucun retour sur
les sommes engagées sur les jeux de hasard.
Ainsi que le précise le document remis à la mission, le conseil
régional de la Réunion s'est déclaré favorable
à l'institution d'un prélèvement sur le produit des jeux
de hasard.
2. Des investissements à faciliter
Les
représentants des organismes socio-professionnels rencontrés lors
des deux missions ont en outre très fréquemment insisté
sur la nécessité de faciliter les investissements à
travers un mécanisme de
défiscalisation
permettant de
réduire le coût de la formation du capital.
Le bilan de la "
loi Pons
" est à cet égard
généralement jugé positif en dépit de certains
effets pervers et son maintien, ou son remplacement par un dispositif
équivalent, est souvent souhaité
29(
*
)
, à condition toutefois que l'on
veille à éviter les abus.
M. Camille Darsières, député de la Martinique, a par
exemple souhaité que l'on cesse de remettre en cause chaque année
la " loi Pons " et que celle-ci soit pérennisée pour 10
ou 20 ans pour sécuriser les investisseurs. De plus, afin que les
projets d'investissement correspondent à des besoins réels, il a
suggéré que, outre l'agrément de Bercy, l'agrément
de l'exécutif régional soit requis pour le bénéfice
de la défiscalisation.
Tout en soulignant qu'elle avait suscité des abus,
M. Claude Lise, sénateur et président du conseil
général de Martinique, a reconnu que la loi Pons avait eu des
effets positifs pour l'économie.
A Saint-Martin, où les effets pervers de la défiscalisation ont
fréquemment été soulignés, les socio-professionnels
souhaitent que l'agrément d'un projet de défiscalisation soit
désormais subordonné à la création d'emplois.
A la Réunion, pour réduire le coût de formation du capital,
le conseil général propose, se faisant écho des demandes
des organismes socio-professionnels, de "
restaurer une
défiscalisation efficace et ouverte à des secteurs
nouveaux
" (technologies nouvelles, biotechnologies).
Le conseil régional propose pour sa part la reconduction du dispositif
de défiscalisation actuel en corrigeant les effets pervers
constatés et en l'étendant aux investissements immatériels.
Se déclarant lui aussi favorable à un dispositif de
défiscalisation, notamment pour favoriser les exportations,
M. Michel Tamaya, député-maire de Saint-Denis de la
Réunion, a évoqué devant la mission le groupe de travail
mis en place par le Gouvernement pour mettre au point un dispositif de
substitution à la " loi Pons ".
Par ailleurs, les
difficultés d'accès au crédit
auxquelles se heurtent les petites et moyennes entreprises sont
fréquemment dénoncées par les représentants des
organismes socio-professionnels, qui soulignent également le
coût élevé du crédit
dans les DOM.
Dans sa contribution à la loi d'orientation, la région Guadeloupe
propose la mise en place d'un instrument local de financement institutionnel
des entreprises.
3. Une meilleure gestion des fonds publics et notamment des fonds européens
Chacun
s'accorde aujourd'hui à constater que le
volume considérable
des crédits publics
qui seront disponibles pour les
départements d'outre-mer dans les années à venir, compte
tenu des apports cumulés des contrats de plan Etat-région et des
fonds structurels européens, constitue un atout essentiel pour le
développement de ces départements.
Ainsi que l'a précisé M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, devant votre commission des Lois
à l'occasion de la présentation du projet de loi d'orientation
pour l'outre-mer, l'enveloppe financière consacrée
aux
contrats de plan
bénéficiant aux départements
d'outre-mer devrait atteindre
5,6 milliards de francs
pour la
période 2000-2006, auxquels viendront s'adjoindre
23 milliards
de francs
au titre des
fonds structurels
européens, ce qui
représentera
au total
, avec les concours locaux, une masse de
37 milliards de francs
disponible pour le développement
économique de ces départements.
Encore faut-il que ces crédits soient utilisés le plus
efficacement possible, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui, tout
particulièrement en ce qui concerne les crédits européens.
En effet, on constate à l'heure actuelle des difficultés à
programmer les opérations d'investissement et à mobiliser les
crédits correspondants. En particulier, la situation financière
des collectivités locales ne leur permet pas toujours de dégager
les " contreparties nationales " des programmes communautaires.
Cette situation aboutit à une insuffisance de projets éligibles
et en définitive à une
sous-consommation des crédits
communautaires
. En outre, les crédits européens, qui
transitent par le ministère des Finances, sont versés avec
retard, ainsi que l'a notamment souligné M. Michel Tamaya,
député-maire de la Réunion.
Il convient donc
d'améliorer la gestion et la consommation de ces
crédits
afin d'utiliser au mieux les ressources financières
disponibles pour la période 2000-2006.
M. Antoine Karam, président du conseil régional de Guyane, a
souhaité que les régions puissent gérer directement les
fonds européens, préoccupation partagée par de nombreux
élus.
Par ailleurs, la commune de Saint-Martin souhaiterait ne plus dépendre
de la Guadeloupe pour l'attribution des crédits du contrat de plan et
des fonds structurels européens, et donc bénéficier
d'enveloppes séparées dans la répartition de ces
crédits.
Par ailleurs, pour éviter les dérives liées à
l'assistanat et au travail au noir, un certain nombre d'interlocuteurs
proposent que la perception du
RMI
soit liée à l'exercice
d'une activité effective. Cette proposition figure notamment dans la
contribution de la région Guadeloupe à la loi d'orientation.
A la Réunion, le conseil général propose la mise en place
d'un Revenu minimum d'activité (RMA)
30(
*
)
, mesure incitatrice qui serait
accordée à tout bénéficiaire du RMI exerçant
une activité soit en tant que travailleur indépendant, soit en
tant que salarié occasionnel ; ce revenu minimum d'activité
assurerait une garantie de revenu minimum équivalente au RMI pendant
24 mois, une permanence des droits sociaux acquis pendant la même
période et un complément de revenu non imposable dans la limite
du SMIC.
Il souhaite en même temps l'alignement du RMI sur le niveau de la
métropole ; cette demande a également été
formulée à plusieurs reprises au cours des missions.
4. Une simplification des normes, des formalités et des contraintes administratives
La
nécessité d'une
adaptation des réglementations et
normes métropolitaines
aux réalités locales a
fréquemment été soulignée par les différents
interlocuteurs rencontrés.
Par exemple, en Guyane, l'application des normes de sécurité
métropolitaines interdit la construction d'établissements
scolaires en bois avec les matériaux locaux, ce qui entraîne des
coûts de construction très élevés soulignés
notamment par le maire d'Apatou : 180.000 F pour une salle de classe
et 270.000 F pour un logement d'instituteur de 40 m
2
.
Par ailleurs, des
simplifications administratives
sont
fréquemment souhaitées, notamment pour
faciliter
l'accès des petites entreprises aux marchés publics.
M. Richard Ho A Sim, président de la Chambre des métiers de
Guyane, a par exemple souligné la difficulté pour les artisans
d'accéder aux marchés publics dans la mesure où ils ne
sont généralement pas en règle avec les organismes fiscaux
et sociaux.
M. Michel Crispin, vice-président du Conseil économique et
social régional de Martinique, a considéré la " loi
Sapin " difficile à appliquer.
Plus nuancé, M. Anicet Turinay, député de la
Martinique, président de l'Association des maires, a jugé que la
" loi Sapin " fonctionnait aux Antilles, même si certaines
améliorations pouvaient lui être apportées.
Les représentants des chambres consulaires de Guadeloupe ont
particulièrement insisté sur la nécessité d'une
simplification des contraintes administratives ; la Chambre de commerce et
d'industrie a mené une expérience de recrutement de
" faciliteurs " pour aider les entreprises à créer des
emplois.
Les représentants de la Chambre des métiers de la Réunion
ont par ailleurs souhaité la mise en place d'un "
guichet
unique
" pour leurs démarches administratives, ainsi que le
propose le rapport Fragonard précité.
5. Une amélioration de la formation professionnelle et de l'apprentissage
Une
amélioration de la formation professionnelle apparaît
indispensable en raison de l'importance de la formation pour l'insertion
professionnelle des jeunes.
En particulier, les représentants des Chambres des métiers
entendus au cours des deux missions ont tous déploré les
déficiences actuelles de l'apprentissage dans les départements
d'outre-mer.
6. Une réforme du régime des surrémunérations
La
question des surrémunérations a très fréquemment
été abordée au cours des deux missions, en particulier par
les maires qui ont souligné le poids très lourd des
rémunérations des fonctionnaires pour les finances communales et
la difficulté, voire l'impossibilité, de titulariser les
nombreux contractuels
en raison du coût élevé du
régime de rémunération applicable aux titulaires. Cette
situation conduit en outre à interdire toute nouvelle embauche aux
collectivités locales, qui de ce fait, ne peuvent plus jouer le
rôle de soutien à l'emploi qu'elles remplissaient autrefois, ainsi
que l'a expliqué M. Jean-Claude Lafontaine, maire de Cayenne.
Cependant, les opinions sont partagées sur une éventuelle
suppression des surrémunérations. Dans l'immédiat, un
certain nombre d'interlocuteurs seraient favorables à la suppression de
la seule
prime d'éloignement
. Le conseil régional de la
Réunion a notamment pris position en faveur de la suppression de la
prime d'éloignement, ainsi que le précise le document remis
à la mission.
M. Anicet Turinay, député de la Martinique,
président de l'Association des maires, a insisté sur le
problème de la titularisation des agents non titulaires des communes,
expliquant qu'il serait possible de les titulariser en l'absence de
surrémunérations mais que devant le coût de la
rémunération d'un titulaire, les communes
préféraient actuellement avoir recours à des agents non
titulaires recrutés sur des contrats de trois mois renouvelables une
fois pour éviter d'avoir à payer une rémunération
majorée de 40 %.
A la Réunion, les représentants de l'Association des maires
entendus par la mission ont fait part de leurs préoccupations au sujet
des 11.600
journaliers communaux
, embauchés sans aucun
statut, qui demandent aujourd'hui leur intégration dans la fonction
publique territoriale. Or, les maires ne peuvent actuellement envisager leur
titularisation en raison de son coût prohibitif. Compte tenu de la
surrémunération de 53 %, ce coût atteindrait au total
plus d'un milliard de francs, selon une estimation de l'Association des maires,
et nécessiterait un doublement des impôts locaux.
Aussi, l'Association des maires de la Réunion propose-t-elle de
définir un statut particulier pour les journaliers communaux et de
reclasser ces personnels sur la base des rémunérations de la
fonction publique métropolitaine.
Par ailleurs, s'agissant de la fonction publique, un certain nombre
d'interlocuteurs ont souhaité que certains
concours
soient
régionalisés
pour permettre un recrutement local,
notamment en ce qui concerne les instituteurs.