B. LA LÉGITIMITÉ DE L'OFFICE REMISE EN CAUSE
Alors même que l'Office traversait une crise financière, son mode de fonctionnement et son rôle étaient remis en cause.
1. Une dualité secrétariat d'Etat/ONAC devenue illisible
Comme le
rappelle un rapport récent
9(
*
)
, la dualité secrétariat
d'Etat/ONAC et l'existence de deux réseaux de services
déconcentrés devraient permettre une adaptation plus fine aux
réalités du terrain et favoriser une plus grande polarisation des
missions : l'accueil et l'action de proximité pour les services
départementaux, le traitement administratif des dossiers et la
production des prestations offertes aux ressortissants pour les directions
interdépartementales aux anciens combattants.
Or, il n'en est rien. Le partage des missions ne s'est réalisé
ni suivant des critères juridiques clairs ni à partir de
considérations fonctionnelles, mais souvent en raison de contraintes
purement budgétaires.
Ainsi, les chevauchements de compétence entre l'Office et le
secrétariat d'Etat sont nombreux.
Par exemple, la carte d'invalidité qui ouvre droit aux réductions
tarifaires sur la SNCF et à divers avantages annexes a
été, de tous temps, délivrée par l'ONAC
après une expertise médicale organisée par les services
départementaux pour vérifier si la station debout est
pénible. En revanche, la pension d'invalidité qui la motive est
elle-même consécutive à une autre expertise médicale
plus approfondie.
Par ailleurs, l'organisation administrative du recrutement dans la fonction
publique des " emplois réservés " échoit aux
directions interdépartementales, mais les services centraux de l'Office
ont la charge de la préparation aux examens. En outre, les services
départementaux sont responsables des relations avec les Commissions
Technique d'Orientation et de Reclassement Professionnel (COTOREP).
De même, la carte du combattant est délivrée par les
services départementaux de l'ONAC mais l'obtention de la retraite du
combattant qui en résulte est le fait des directions
interdépartementales, sur justificatif émis par l'ONAC.
Ces imbrications se sont encore renforcées au cours des
dernières années.
La création d'un outil pour le développement de la
mémoire s'est accompagnée de celle d'une structure
déconcentrée, les commissions départementales de
l'information historique pour la paix, dont la responsabilité a
été confiée aux directeurs départementaux de
l'ONAC, sans aucune articulation avec les directions
interdépartementales.
Le transfert sur l'administration centrale du secrétariat d'Etat des
fonctions de contrôle et d'évaluation du dispositif d'attribution
des cartes et titres a établi une connexion entre le secrétariat
d'Etat et les services départementaux qui court-circuite les services
centraux de l'ONAC.
Enfin, le système de cogestion mis en place pour le fonctionnement du
fonds de solidarité aboutit à une configuration où les
responsabilités respectives des services départementaux et des
directions interdépartementales ne sont pas clairement définies.
En théorie, les services départementaux de l'Office national des
anciens combattants sont instructeurs des demandes d'allocation
différentielle tandis que les directions interdépartementales
instruisent les demandes d'allocation de préparation à la
retraite. En réalité, cette répartition des
compétences n'est pas connue des anciens combattants. Ils ont donc
tendance à se rendre au service départemental de l'ONAC qui les
informe, les conseille et les aide à remplir le dossier qui est ensuite
transmis aux directions interdépartementales.
Votre rapporteur a pu constater que le réflexe des anciens
combattants et de leurs ayant-cause est de se tourner vers les services
départementaux de l'ONAC. Les directions interdépartementales
sont généralement moins connues du public
.
Cette situation s'explique par la meilleure répartition des services
déconcentrés de l'Office. Alors que ces derniers sont
présents dans tous les départements, il n'existe que 18
directions interdépartementales, qui couvrent parfois des territoires
immenses.
Or, les anciens combattants sont souvent des personnes âgées
à mobilité réduite.
La mauvaise lisibilité des compétences des services
départementaux et des directions interdépartementales est encore
aggravée par l'absence quasi-totale de coopération entre les
services déconcentrés du secrétariat d'Etat et de
l'ONAC
.
Votre rapporteur a rencontré les directeurs de quatre directions
interdépartementales et de onze services départementaux. Il a
constaté que les relations entre les représentants du
secrétariat d'Etat et ceux de l'Office constituaient un obstacle au
développement d'une coopération entre ces services.
Ce rapport de force s'explique parfois par des conflits de
personnalités, mais il est également lié à
l'absence de hiérarchie entre les deux administrations. Ainsi, les
services départementaux dépendent hiérarchiquement du
préfet de département, alors que les directions
interdépartementales agissent sous l'autorité des préfets
de région.
A cet égard, le protocole fixant les modalités de la
coopération entre le secrétariat d'Etat aux anciens combattants
et l'Office national des anciens combattants dans le cadre de la politique de
la mémoire et de l'information historique est très significatif
du souci d'éviter la subordination d'un service par un autre.
L'article 3 dispose que "
pour la mise en oeuvre de ces actions, les
directeurs départementaux de l'Office national des anciens combattants
et victimes de guerre et leurs services demeurent placés sous
l'autorité hiérarchique exclusive du directeur
général de l'établissement public
".
L'article 5 précise que "
la répartition des
compétences en matière d'information historique entre les
directions interdépartementales du secrétariat d'Etat aux anciens
combattants et les services départementaux de l'Office national des
anciens combattants et victimes de guerre
ne peut avoir pour effet de les
amener à s'adresser quelque instruction ou directive que ce soit
. Il
en va ainsi, en particulier, des actions confiées en propre aux services
départementaux de l'Office national des anciens combattants et victimes
de guerre en tant que secrétaires généraux des commissions
départementales de l'information historique pour la paix
".
Par ailleurs, le mode de gestion paritaire de l'Office national des anciens
combattants aussi bien au niveau central qu'au niveau départemental
donne aux services déconcentrés une légitimité
qu'ils opposent parfois aux directions interdépartementales.
En outre, la diminution tendancielle d'activité des services
déconcentrés de l'ONAC et du secrétariat d'Etat et les
discussions sur leur avenir ont crispé les positions. Votre rapporteur a
pu constater l'inversion du rapport de force.
Lorsqu'en 1997, il a mené sa mission sur la politique du
secrétariat d'Etat aux anciens combattants, l'ONAC était en
pleine crise financière et les directions interdépartementales
apparaissaient comme étant vouées, à terme, à
être les seules interlocutrices des anciens combattants.
La situation s'était inversée lorsqu'en octobre 1998, votre
rapporteur a commencé sa mission sur l'ONAC. Les directeurs des
directions interdépartementales avec lesquels il s'est entretenu se sont
montrés très désabusés, tandis que les directeurs
des services départementaux étaient confiants dans l'avenir de
leur institution, certains n'hésitant pas à réclamer
dès maintenant le transfert des tâches des directions
interdépartementales vers leurs services.
A cette époque, les choix en matière de restructuration du
secrétariat d'Etat aux anciens combattants étaient
arrêtés. Ce dernier allait être intégré dans
le ministère de la défense. En revanche, l'ONAC gardait la
plénitude de ses fonctions. Le secrétaire d'Etat, M. Jean-Pierre
Masseret, avait donc tranché en faveur des services
départementaux.
En attendant, l'absence de synergie entre les services départementaux
de l'ONAC et les directions interdépartementales est contreproductive.
Votre rapporteur a relevé quelques exemples significatifs
.
En matière informatique
, il n'existe pas de système en
réseau entre les directions interdépartementales et les services
départementaux. En outre, ces derniers n'ont été
réellement informatisés qu'en 1994. En raison de
l'enchevêtrement des missions des services déconcentrés de
l'ONAC et du secrétariat d'Etat aux anciens combattants, cette situation
provoque des retards dans le traitement des dossiers et pèse sur la
fluidité des circuits.
En matière de politique de la mémoire
, alors même
que les directeurs des directions interdépartementales sont membres des
commissions départementales de l'information historique pour la paix,
ils assistent très peu aux réunions, soit parce qu'ils ne sont
pas convoqués, soit parce qu'ils ne se déplacent pas. Les
informations circulent donc très peu entre les directeurs des services
déconcentrés du secrétariat d'Etat aux anciens combattants
et de l'Office national des anciens combattants.
Votre rapporteur a par ailleurs constaté la concurrence existant en
matière de représentation de l'Etat
entre les directeurs des
services départementaux d'une part et ceux des directions
interdépartementales d'autre part. Certes, la plupart des manifestations
sont organisées au niveau du département, c'est donc le
préfet du département qui représente l'Etat et qui
sollicite, le cas échéant, le directeur du service
départemental de l'Office pour le remplacer. Toutefois, lorsque les
directeurs des directions interdépartementales sont également
présents, ils rencontrent parfois des difficultés pour faire
appliquer le protocole en leur faveur.
2. L'ambiguïté du rôle de l'ONAC
L'Office
national des anciens combattants a pour objet de veiller en toute circonstance
sur les intérêts matériels et moraux de ses ressortissants.
La gestion paritaire de l'Office aussi bien au niveau central qu'au niveau
départemental renforce encore le lien étroit entre l'Office et le
monde combattant.
Toutefois, les services de proximité de l'Office remplissent
également des missions sous l'autorité du préfet de
département lorsqu'ils instruisent les demandes de titres et de cartes
ou lorsqu'ils le représentent dans les manifestations officielles.
Or, cette dualité n'est pas facile à gérer et peut
semer la confusion sur le rôle et la place de l'ONAC.
Ainsi, votre
rapporteur a pu constater que les missions de l'ONAC étaient
perçues de manière sensiblement différente selon les
directeurs des services de proximité. Certains estiment que l'ONAC est
un service administratif à part entière. Au contraire, d'autres
se font plutôt les porte-parole des associations les plus puissantes au
conseil d'administration. Enfin, certains jouent de cette ambiguïté
pour apparaître comme les seuls interlocuteurs du monde combattant. Cette
dernière attitude est facilitée par le relatif manque
d'intérêt de certains préfets pour les questions relatives
aux anciens combattants.
L'omniprésence de certains directeurs des services de proximité
de l'Office est certes un signe de dynamisme et d'engagement pour la cause des
anciens combattants. Pour autant, cette situation n'est pas saine. Le
rôle des directions interdépartementales est
délibérément occulté. En outre, cette
ambiguïté constitue un obstacle à l'élargissement des
missions des services de proximité dans le cadre de la restructuration
du secrétariat d'Etat aux anciens combattants.
Il est à noter que la même ambiguïté a longtemps
existé au niveau central : le Secrétaire d'Etat semblait
avoir renoncé à son pouvoir de tutelle sur l'Office. En
conséquence, l'ONAC était surtout utilisé comme
" caisse de résonance " par les associations d'anciens
combattants les plus puissantes.
3. La légitimité des écoles de rééducation professionnelle
Votre
rapporteur a visité deux écoles de rééducation
professionnelle : celles de Lyon et de Muret.
A chaque fois, il a
été impressionné par la qualité et la motivation
des enseignants et par les bons résultats des écoles de
rééducation professionnelle de l'ONAC.
Par ailleurs, lors de sa visite de l'école de Béziers,
il a
été favorablement impressionné par la modernité des
outils pédagogiques à la disposition des stagiaires et par les
très bonnes conditions de travail proposées par cet
établissement.
Pourtant, si la qualité des formations et les efforts de placement des
stagiaires doivent être reconnus, la question du maintien des
écoles dans le pôle de compétence de l'Office se pose.
En effet, comme votre rapporteur l'a rappelé précédemment,
la population des stagiaires a fortement évolué. En 1998, les
stagiaires travailleurs handicapés représentaient 88,6 % de
l'effectif, alors que
les ayant droit du code des pensions militaires ne
constituaient que 1,06 % des effectifs.
Dans ces conditions, il semble légitime de se demander si l'Office
national a encore vocation à gérer les écoles de
rééducation professionnelle.
4. L'ONAC officiellement remis en cause
Les
dysfonctionnements décrits auparavant ne sont pas récents, mais
la réforme de l'ONAC apparaissait comme un sujet tabou, ce qui ne
pouvait que conduire à un certain immobilisme
.
Or, le débat sur l'avenir de l'ONAC a été lancé de
manière très abrupte peu avant la discussion de la loi de
finances pour 1997. Les parlementaires et les associations d'anciens
combattants ont été informés d'un projet de
réorganisation des services déconcentrés de l'Etat
élaboré par le commissariat à la réforme de l'Etat
et soumis par le Premier ministre à la réflexion de
préfets de région et de préfets de département.
Ce projet prévoyait d'insérer les services territoriaux tant
de l'Office que du secrétariat d'Etat aux anciens combattants dans un
pôle de compétences " affaires sociales ", étant
précisé que certaines attributions régaliennes comme
l'organisation des cérémonies ou encore la politique de la
mémoire pourraient être rattachées plus directement aux
préfectures.
Cette étude a doublement choqué le monde combattant.
D'une part, la disparition des services de proximité de l'Office au
bénéfice exclusif des anciens combattants faisait perdre à
ces derniers leur spécificité. L'action de l'Etat en leur faveur
n'était plus liée à un devoir de reconnaissance, mais
ramenée à une simple action sociale.
D'autre part, le monde combattant a été choqué qu'une
réforme les concernant puisse être élaborée à
leur insu, sans qu'ils puissent faire valoir leur point de vue.
Certes, devant l'émoi que ce projet a soulevé, il a
été vite retiré. Toutefois, il a profondément
marqué le monde combattant qui a alors pris conscience de sa relative
fragilité et de l'évolution des mentalités à son
égard.
Quelques années auparavant, il aurait
été impensable qu'un tel projet puisse seulement être
envisagé
.
Cette prise de conscience a eu deux effets contradictoires. Les associations
d'anciens combattants ont alors redoublé de vigilance pour éviter
toute nouvelle remise en cause de l'Office. Toutefois, elles ont compris qu'il
était dans leur intérêt d'accepter une évolution
concertée du secrétariat d'Etat aux anciens combattants sous
peine d'être de nouveau mises devant le fait accompli.