2. Rationner les échanges des permis serait peu efficient, et pénaliserait surtout l'Union européenne
Les
simulations réalisées à l'aide de modèles
macroéconomiques rejoignent le diagnostic précédent en
suggérant que :
- la mise en oeuvre des mécanismes de flexibilité pourrait
diviser
d'un facteur 2 ou 3, les
coûts
macroéconomiques
des engagements de Kyoto pour les pays
industrialisés ;
- parmi les pays industrialisés, l'
Union européenne
et le
Japon seraient les principaux
bénéficiaires
des
échanges de permis. Ce résultat est d'ailleurs très
intuitif : l'Union européenne et le Japon étant
déjà très économes en énergie, il leur
serait plus coûteux de rechercher de nouvelles économies chez eux
que de financer des réductions d'émissions dans d'autres pays,
sans que cela soit plus efficace pour l'environnement ;
- enfin, les mécanismes de flexibilité seront
gagnants-gagnants
, c'est-à-dire qu'ils
bénéficieraient aussi aux pays en développement et aux
pays en transition : directement, via l'afflux de financements en
provenance des pays de l'OCDE ; indirectement parce que la mise en oeuvre
flexible du protocole de Kyoto profiterait à la croissance des pays
industrialisés :
GAINS
MACROÉCONOMIQUES POTENTIELS DES MÉCANISMES DE
FLEXIBILITÉ
|
|||||||
|
Coût des engagements de Kyoto
|
|
|||||
|
pas d'échange entre grandes zones de l'annexe I |
échanges entre pays de l'annexe I |
échanges entre tous les pays |
des échanges entre pays de l'annexe I |
des échanges à l'échelle mondiale |
||
Union européenne |
- 0,8 |
- 0,4 |
- 0,2 |
+ 0,4 |
+ 0,6 |
||
Japon |
- 0,9 |
- 0,4 |
- 0,2 |
+ 0,5 |
+ 0,7 |
||
Etats-Unis |
- 0,4 |
- 0,3 |
- 0,2 |
+ 0,1 |
+ 0,2 |
||
Russie, Ukraine, CEI, Etats Baltes |
|
|
|
|
|
||
Ensemble du Monde |
- 0,7 |
- 0,2 |
- 0,1 |
+ 0,5 |
+ 0,6 |
||
Source : Centre de développement de l'OCDE, modèle GREEN, 1998. |
Pour
fixer quelques ordres de grandeur, ces simulations suggèrent que le
coût annuel de la prévention du risque climatique pourrait
être de l'ordre de 80 milliards de francs aux alentours de 2010 en
France, si la France renonçait aux mécanismes de
flexibilité.
On peut toutefois proposer une estimation plus modérée en partant
des scénarios énergétiques pour la France
élaborés en 1998 par le Commissariat Général du
Plan : dans le scénario médian (S2), c'est 15 millions
de tonnes de carbone que la France émettrait en 2010 en excès de
ses objectifs de Kyoto. Pour un coût moyen de réduction des
émissions de 800 F/tonne, cela représenterait une
dépense annuelle de
20 milliards de francs
.
"
Si on laissait les mécanismes de flexibilité jouer
pleinement pour mettre à profit les solutions de réduction des
émissions les moins coûteuses, les coûts totaux de
maîtrise des émissions pourraient être réduits
au moins d'un facteur 3
" (c'est-à-dire limités entre
6 et 15 milliards de francs par an
79(
*
)
).
Par ailleurs, les Etats européens auraient plus à craindre des
distorsions
de concurrence
avec un système de quotas non
négociables, qu'avec un système ouvert et concurrentiel de permis
négociables. Les pays, comme la France, dont l'industrie est très
ouverte, donc très exposée à la concurrence
internationale, n'ont donc pas intérêt à
entraver
les
échanges
de permis d'émission.
Pour les mêmes raisons, la
limitation
du recours aux
mécanismes de flexibilité serait économiquement
coûteuse, et
pénaliserait
davantage l'
Union
européenne
et le Japon, que les Etats-Unis, comme le
suggèrent les simulations réalisées par le Massachusetts
Institute of Technology.
COÛT DU PLAFONNEMENT DES ÉCHANGES À
33 %
DE L'EFFORT DE RÉDUCTION
80(
*
)
DE KYOTO
|
|||
|
En cas
d'échanges au sein
|
En cas d'échanges mondiaux |
|
Union européenne |
1 |
4 |
|
Japon |
4 |
10 |
|
Etats-Unis |
1 |
3 |
|
Total pays industrialisés et en transition |
|
|
|
Source : MIT, 1998. |
En
outre, limiter le recours aux mécanismes de flexibilité,
c'est-à-dire
rationner
les
échanges
, poserait des
problèmes techniques et administratifs : il pourrait, par exemple,
être nécessaire de mettre en place une
file d'attente
et un
système d'autorisation administrative préalable pour l'ensemble
des échanges, aussi bien entre agents privés qu'entre Etats, ce
qui semble difficile à gérer. Le rationnement des échanges
serait donc également facteur de distorsions de concurrence et
d'
incertitude
pour les entreprises.
Par surcroît, si les échanges étaient limités, la
Russie, l'Ukraine et la Roumanie pourraient être les seuls vendeurs et ne
vendre que de " l'air chaud ", c'est-à-dire les quotas en
excès
81(
*
)
qui leur ont
été accordés en cadeau lors du Sommet de Kyoto, et non des
réductions effectives d'émissions. Ces pays vendraient ainsi
seulement des réductions d'émissions qui ne leur
coûteraient rien. Dans ces conditions, le prix d'équilibre des
échanges de permis pourrait résulter de considérations
politiques et n'avoir plus
aucune signification économique
. Ce
prix pourrait ainsi s'avérer très
volatile
, ce qui
brouillerait les choix d'investissements des entreprises et des
collectivités publiques.
• Inversement, deux
contre-arguments
sont parfois avancés
pour justifier le rationnement des échanges de quotas
d'émission :
- le fait que la limitation des échanges de permis pénaliserait
davantage les Etats-Unis, car les Américains éprouveraient de
grandes difficultés à changer un
mode de vie
fondé
sur l'utilisation intensive de l'énergie. Le rationnement des
échanges, en pénalisant ainsi fortement les Etats-Unis, donnerait
un
avantage relatif
à l'Union européenne ;
- la nécessité que les Etats-Unis, pays leader en matière
de progrès technologique, s'engagent résolument dans la
maîtrise des émissions de CO
2
. Il serait ainsi
souhaitable que les Etats-Unis ne puissent réaliser l'ensemble de leurs
engagements de Kyoto en achetant des permis.
Ces contre-arguments sont toutefois
contestables
:
- si les Etats-Unis étaient davantage pénalisés que
l'Union européenne par le rationnement des permis, il s'agirait
là d'une victoire à la Pyrrhus, peu favorable au
développement de la
coopération
internationale en
matière d'effet de serre ;
- si les Etats-Unis éprouvaient de grandes difficultés à
maîtriser leurs propres émissions, la
crédibilité
du processus de Kyoto implique qu'ils puissent
quand même respecter leurs obligations en " payant " une
amende, sous forme d'achats de permis ;
- quoi qu'il en soit, les études
82(
*
)
de l'Agence Internationale de
l'Energie (AIE) suggèrent d'une part que les Etats-Unis disposent, en
raison même de leurs gaspillages actuels, de nombreux
gisements
d'économies
d'énergie ; d'autre part, que ces gisements
sont aisément mobilisables. En effet, selon l'AIE : "
La
demande d'énergie est en générale plus sensible aux prix
en Amérique du Nord que partout ailleurs dans l'OCDE. En effet, les prix
de l'énergie y sont très faibles au départ, c'est pourquoi
toute taxe venant s'y ajouter produit un effet marginal plus grand sur le
coût total
".
- Enfin, le montant des réductions d'émissions nécessaires
aux Etats-Unis pour respecter leurs engagements de Kyoto représente
300 millions de tonnes de carbone
, soit 5 % des
émissions mondiales et près de trois fois les émissions
françaises actuelles. Il est peu probable que les échanges de
quotas d'émissions atteignent un niveau aussi élevé. Les
Etats-Unis ne pourront donc, quoi qu'il advienne, s'exonérer de mesures
nationales.
En conclusion, la
crédibilité
de long terme du processus
de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre
entamé à Kyoto est confrontée à deux
écueils :
- le développement des échanges de quotas d'émission
pourrait réduire les efforts internes des pays
industrialisés ;
- mais si ces échanges sont rationnés, les pays
industrialisés ne respecteront pas leurs engagements.
De ces deux maux, votre Rapporteur considère qu'il faut choisir le
moindre, donc
accepter
le développement des échanges de
quotas d'émissions.