2. Pour être efficace, la taxation doit toutefois s'accompagner de politiques publiques d'incitation à la maîtrise de l'énergie
La
taxation n'est pleinement efficiente que si l'ensemble des agents
économiques sont effectivement en mesure d'effectuer des calculs et des
arbitrages coût/avantages.
La taxation est ainsi peu efficace si les agents économiques connaissent
mal leur consommation d'énergie et/ou leurs coûts de
maîtrise des émissions. Cela pourrait être le cas des
ménages, pour la consommation des appareils
d'électroménagers, l'éclairage individuel ou l'isolation
des bâtiments.
Comme le soulignait le rapport de la
Commission d'enquête
du
Sénat
sur la politique énergétique de la
France
26(
*
)
, il est ainsi
nécessaire
d'informer
les locataires ou les acquéreurs sur
la consommation énergétique des logements ; d'informer les
consommateurs sur les performances énergétiques des appareils
électroménagers ; enfin d'informer les citoyens sur leurs
consommations inutiles.
Par ailleurs, la taxation peut être inefficace dans les secteurs
où les agents rencontrent des
contraintes de financement
pour
effectuer des investissements pertinents en matière d'économies
d'énergie (par exemple dans le logement social ou pour certaines PME).
Il incombe alors aux autorités publiques de réduire les
imperfections du marché du crédit, en accordant aux agents
concernés des garanties publiques ou des subventions pour leurs emprunts.
Enfin, la taxation sera d'autant plus juste et plus efficace que les
autorités publiques s'attacheront à offrir des
alternatives
aux agents privés, par exemple en développant
les transports collectifs, pour les trajets domicile - travail.
3. Sous certaines conditions strictes, la taxation des émissions de CO2 pourrait conduire à un " double dividende "
•
La prévention du changement climatique justifie à elle seule
l'instauration d'une taxe sur les émissions de CO
2
, dont le
produit pourrait être très important : une taxe de 600
F/tonne de carbone rapporterait, en France, près de
60 milliards
de francs
, soit 0,7 % du PIB.
La taxation environnementale ne doit cependant pas servir de prétexte
à la hausse des prélèvements obligatoires et de frein
à la rationalisation des dépenses publiques : la taxe
prélevée doit être
redistribuée
sous la forme
d'une baisse des autres impôts.
L'instauration d'une taxe sur le CO
2
est donc l'occasion d'une
réforme
fiscale
de grande ampleur.
A priori
, si cette réforme fiscale substitue une taxe sur le
CO
2
à des impôts plus
distorsifs
pour
l'activité économique, elle peut favoriser la croissance. La
baisse de certains prélèvements distorsifs peut d'ailleurs en
retour stimuler la maîtrise des émissions
de CO
2
: par exemple, la diminution des droits de mutation
pourrait faciliter les déménagements des salariés, et donc
réduire les trajets domicile-travail.
• De manière générale, l'idée selon laquelle
une réforme fiscale pourrait remplacer des impôts distordants par
des impôts prélèvements moins défavorables à
l'activité économique suscite néanmoins deux
réserves
:
- en premier lieu : la structure d'une économie dépendant
largement de celle de la fiscalité, toute réforme fiscale se
traduit par des
coûts d'adaptation
. Dans le cas de l'instauration
d'une taxe sur le CO
2
, ces coûts de redéploiement ne
sont toutefois pas liés à la réforme fiscale
elle-même, mais à la nécessité de réduire les
émissions de CO
2
;
- en second lieu, les économistes éprouvent les plus grandes
difficultés à déterminer quels sont les impôts qui,
pour une économie et un moment donnés, sont les plus
préjudiciables à l'activité économique.
En l'espèce, il semble toutefois que, compte tenu du niveau
élevé du
chômage
, notamment pour les salariés
les moins qualifiés, les
charges
sociales
pesant sur le
coût du travail figurent aujourd'hui en Europe parmi les
prélèvements les plus pénalisants pour la croissance
à l'emploi, d'où l'idée émise par la Commission
européenne
27(
*
)
de
" recycler " le produit d'une écotaxe sous la forme
d'
allégements de cotisations sociales
28(
*
)
.
• En première analyse, la combinaison d'une taxe sur
l'énergie et/ou les émissions de CO
2
et
d'allégements de charges sociales sur les salaires constitue un
transfert favorable aux entreprises et aux salariés, au détriment
des consommateurs. Ce transfert des prélèvements des actifs vers
les inactifs pourrait contribuer à
l'enrichissement
du
contenu
en
emploi
de la croissance à travers deux
mécanismes :
- l'allégement du coût du travail ralentirait la
substitution
de capital au travail, tant à l'échelle
microéconomique - dans chaque entreprise -, qu'à
l'échelle macroéconomique - la demande des consommateurs serait
modifiée au profit des biens ou services intensifs en travail, dont le
prix baisserait - ;
- cet effet serait
renforcé
par la hausse du prix de
l'énergie. De manière générale, les investissements
en biens d'équipement et l'utilisation d'énergie sont en effet
complémentaires, car les machines consomment de l'énergie.
L'augmentation du prix de l'énergie résultant des écotaxes
inciterait donc les entreprises à privilégier les modes de
production les plus intensifs en main-d'oeuvre.
Par ailleurs, la taxation des énergies fossiles réduirait les
importations d'énergie, donc améliorerait le
solde
extérieur
.
• Ces effets favorables seraient toutefois contrebalancés par les
conséquences du
choc inflationniste
induit par cette
réforme fiscale : l'accroissement du prix de l'énergie
entraînerait, en raison de l'importance de ce produit dans la
consommation des ménages (10 % d'un budget-type), une forte
élévation des
prix
à la
consommation
.
Si les salaires étaient indexés sur l'évolution du pouvoir
d'achat, il en résulterait une accélération des salaires
nominaux, donc des prix à la production, ce qui enclencherait une
spirale prix/salaires.
En outre, la résorption du chômage, initialement induite par la
mesure, favoriserait une hausse du salaire réel. Or, cette
accélération des salaires réels serait concomitante avec
un ralentissement des gains de productivité du travail (en freinant
la substitution capital/travail, la réforme fiscale ralentirait en effet
le progrès technique), qui devrait " normalement "
s'accompagner d'un ralentissement des rémunérations (il y aurait
moins de " grain à moudre ").
Au total, la mesure peut
accélérer l'inflation
et
dégrader
les
coûts
salariaux unitaires
des
entreprises
, ce qui freinerait la croissance et
in fine
l'emploi.
Cela explique que les simulations effectuées avec des modèles
macroéconométriques, qui reflètent les comportements
passés, conduisent, en première analyse, à un certain
scepticisme
quant à la possibilité d'un double
dividende : selon ces modèles, l'impact de la mesure sur la
croissance et l'emploi serait en tout état de cause faible, et
peut-être même légèrement négatif.
DOUBLE DIVIDENDE ET MODELES MACROECONOMIQUES Le fonctionnement spontané des modèles macroéconométriques met en évidence le premier dividende : l'instauration d'une écotaxe compensée par des allègements de cotisations sociales réduit significativement la consommation d'énergie et les émissions de CO 2 . En revanche, le fonctionnement spontané de ces modèles, qui reflète les comportements passés, ne conduit pas à un double dividende : la réforme fiscale est à peu près neutre pour la croissance et l'emploi, tout en accélérant l'inflation. |
||||||||||||
EFFETS
MACROÉCONOMÉTRIQUES À 5 ANS D'UNE TAXE SUR LES
ÉMISSIONS DE CARBONE
(1)
ÉQUIVALENTES À
300 F/TONNE DE CARBONE, SELON LE MODÈLE MÉTRIC
|
||||||||||||
|
|
... compensée par une baisse de la TVA |
... compensée par une baisse des cotisations sociale employeurs |
|
||||||||
|
P.I.B. |
0,06 |
0,00 |
|
||||||||
|
Prix à la consommation |
- 0,03 |
+ 0,40 |
|
||||||||
|
Solde budgétaire en % du P.I.B. |
+ 0,00 |
+ 0,07 |
|
||||||||
|
(1) . Soit environ 30 milliards de francs par an. |
|
||||||||||
• En revanche, si l'on rajoute aux simulations une hypothèse de modération salariale 29( * ) , les modèles macroéconométriques font apparaître un " double dividende " : à coût budgétaire nul, le remplacement des charges sociales par une écotaxe est favorable à la croissance et à l'emploi à moyen terme, tout en réduisant les émissions de CO 2 . |
||||||||||||
SIMULATION, À L'AIDE DU MODÈLE
MACROÉCONOMÉTRIQUE HERMÈS, D'UNE RÉDUCTION DES
COTISATIONS SOCIALES EMPLOYEUR FINANCÉE PAR UNE TAXE
CO
2
/ÉNERGIE
(
1)
,
ÉQUIVALENTE À 1 POINT DE PIB, SOUS L'HYPOTHÈSE DE
MODÉRATION SALARIALE
|
||||||||||||
|
|
France |
Six pays européens |
|
||||||||
|
P.I.B. |
+ 0,06 |
+ 0,15 |
|
||||||||
|
Consommation |
+ 0,03 |
+ 0,15 |
|
||||||||
|
Investissement |
- 0,06 |
- 0,01 |
|
||||||||
|
Exportations |
- 0,56 |
- |
|
||||||||
|
Importations |
- 0,56 |
- |
|
||||||||
|
Solde extérieur en points de P.I.B. |
+ 0,08 |
- |
|
||||||||
|
Emploi |
+ 0,44 |
+ 0,64 |
|
||||||||
|
Salaire réel/tête |
+ 0,24 |
+ 0,39 |
|
||||||||
|
Prix à la consommation |
+ 0,80 |
+ 0,95 |
|
||||||||
|
Solde public ( 2) |
0,00 |
0,00 |
|
||||||||
|
Solde extérieur en points de PIB |
- 2,78 |
- 3,53 |
|
||||||||
|
Emissions de CO 2 |
- 4,69 |
- 4,41 |
|
||||||||
|
1. Par
construction : l'intégralité du produit de la taxe
ex
post
est ristournée.
|
|
||||||||||
|
||||||||||||
SIMULATION, À L'AIDE DU MODÈLE
MACROÉCONOMÉTRIQUE HERMÈS-LINK
(1)
, D'UNE
RÉDUCTION DES COTISATIONS SOCIALES EMPLOYEUR FINANCÉE PAR UNE
TAXE CO
2
-ÉNERGIE
(2)
, SOUS L'HYPOTHÈSE DE
MODÉRATION SALARIALE ET EN TENANT COMPTE DU PROGRÈS
TECHNIQUE
(3)
|
||||||||||||
|
|
France |
Six pays européens |
|
||||||||
|
Montant de la taxe en 2005 (en % du PIB) |
1,10 (4) |
1,7 |
|
||||||||
|
P.I.B. |
0,15 |
0,74 |
|
||||||||
|
Emploi |
0,33 |
0,74 |
|
||||||||
|
Solde public (en % du P.I.B.) |
- 0,22 |
0,02 |
|
||||||||
|
Consommation d'énergie |
- 3,19 |
- 5,50 |
|
||||||||
|
Emissions de CO 2 |
5,73 |
- |
|
||||||||
1.
Bureau du plan - Bruxelles, Erasme, Paris, 1997.
|
•
Ce résultat s'inverse si l'on rajoute une hypothèse de
modération salariale. Les simulations commanditées par la
Commission européenne (cf. encadré) suggèrent ainsi que
l'introduction d'une taxe mixte CO
2
/énergie d'un montant de
l'ordre de 1 % du PIB, redistribuée sous forme de baisse des
cotisations sociales, aurait des effets considérables à moyen
terme sur la consommation d'énergie et les émissions de
CO
2
, tout
en favorisant la croissance et l'emploi, sous
réserve que cette réforme fiscale s'accompagne de politiques de
modération salariale.
Ces simulations suggèrent également que ce double dividende est
d'autant plus important que la mesure est mise en oeuvre simultanément
dans plusieurs pays interdépendants : il en résulte alors un
effet d'entraînement
mutuel, lié au dynamisme de la
consommation catalysé par les créations d'emplois.
Enfin, des variantes de ces simulations suggèrent que les
créations d'emplois potentielles sont plus importantes si les
allégements de charges sociales sont ciblés sur les
bas
salaires
.
Ces résultats macroéconométriques, sont dans l'ensemble
confirmés pour le long terme par les simulations réalisées
à l'aide de " modèles d'équilibre
général calculables " qui reproduisent de manière
théorique le fonctionnement de l'économie.
• Ces résultats sont toutefois
fragiles
, car les
modèles appréhendent très mal les enchaînements
macroéconomiques induits par les variations de
prix
relatifs.
En outre, les modèles macroéconomiques rendent mal compte des
coûts " de transition " et des " chocs sectoriels "
induits par la mesure
30(
*
)
.
• Au total, votre rapporteur ne saurait se risquer à trancher la
controverse académique sur le double dividende, mais il en retient
toutefois deux
conclusions
consensuelles :
-
la taxation des émissions de CO
2
se justifie par
elle-même
et ne doit pas reposer sur l'idée d'un " double
dividende ". Ce double dividende est en effet d'ampleur limitée
(+ 70.000 à + 100.000 emplois potentiels en France pour
un déplacement de prélèvements de l'ordre de cent
milliards de francs). En outre, le double dividende repose sur l'acceptation
par les consommateurs d'un transfert de pouvoir d'achat au profit des
entreprises et, implicitement, des chômeurs, ce qui semble aujourd'hui
incertain ;
- l'instauration d'une taxe sur les émissions de CO
2
doit
cependant s'accompagner de politiques de
modération
salariale,
sous peine de relancer l'inflation et de dégrader la
compétitivité des entreprises, donc l'emploi.