EXAMEN EN DELEGATION
La délégation s'est réunie le 27 janvier 1999, sous la présidence de M. Michel Barnier, pour l'examen du présent rapport. A l'issue de sa présentation, le débat suivant s'est engagé :
M. Xavier de Villepin :
Je
rejoins tout à fait votre analyse, mais je me demande si le
problème de la PESC n'est pas rendu encore plus complexe du fait de la
prolifération d'organismes internationaux qui interviennent dans ce
domaine. En Bosnie, par exemple, ce nombre est considérable, si l'on
pense au Conseil de l'Europe, à l'OSCE, au groupe de contact... Ne
pourrait-on pas réduire le nombre des intervenants ?
En outre, je regrette que la PESC ne soit pas incluse dans le champ des
coopérations renforcées. Lorsque l'Europe sera élargie
à vingt ou vingt-cinq membres, elle ne pourra avoir de politique
étrangère efficace qu'en rassemblant les volontés des
seuls Etats qui décident de s'y impliquer.
M. Michel Barnier :
Je suis d'accord avec votre diagnostic, mais si l'on souhaite une véritable PESC, il est nécessaire d'obtenir la collaboration des Quinze. Il n'est pas dans l'esprit de cette démarche d'opposer les " grands " et les " petits " Etats. Cependant, il me semble clair qu'on ne pourra avancer à Quinze si la règle reste celle de l'unanimité. Il faut donc aller vers plus de majorité qualifiée - à condition d'avoir reconsidéré la question de la pondération des voix au Conseil - et inciter les pays traditionnellement neutres à utiliser la faculté d'abstention constructive...
M. Xavier de Villepin :
...En maintenant, toutefois, l'existence du compromis de Luxembourg et la défense des intérêts vitaux.
M. Michel Barnier :
Absolument. Durant toutes les négociations du
traité
d'Amsterdam, j'ai rappelé que, pour la France, ce compromis existait et
restait valable.
Pour ce qui concerne la multiplication des intervenants dans la politique
étrangère de l'Union, je partage tout à fait votre
opinion. Mais elle s'explique, je crois, par le fait qu'il n'existe pas encore
de véritable PESC et que chacun veut jouer un rôle dans les
affaires. Dès lors que l'Europe parlera d'une seule voix, les choses
seront différentes.
M. Aymeri de Montesquiou :
Pensez-vous que la nomination de " M. PESC " suivra
les
élections européennes, sachant que désormais le Parlement
européen entérine la désignation du Président de la
Commission ?
D'autre part, j'ai trouvé très optimiste votre
appréciation de la déclaration franco-britannique de Saint-Malo
lorsqu'on se souvient que, peu après, les Britanniques ont
participé, aux côtés des Américains, aux
bombardements sur l'Irak.
M. Michel Barnier :
Pour ce
qui concerne l'Europe de la défense, nous avons déjà
abordé ce problème lors de l'audition de M. Pierre Moscovici. Le
tropisme atlantiste de la Grande-Bretagne est bien connu. Mais, tant que
l'identité européenne de défense n'existe pas encore, il
n'est pas étonnant que les Britanniques continuent d'agir dans le
contexte actuel.
On ne peut lier le choix de " M. PESC " aux élections au
Parlement européen et à la nomination du Président de la
Commission, puis des différents commissaires, puisque le Haut
représentant est placé auprès du Conseil. Cependant, il
est clair que l'ensemble des nominations fera l'objet d'une négociation
globale.
M. Jean-Pierre Fourcade :
Les pouvoirs publics français défendent-ils une thèse ou une proposition sur la repondération des voix au Conseil ?
M. Michel Barnier :
Plusieurs exercices ont déjà été
conduits en la matière. Au cours des négociations d'Amsterdam,
nous n'avons malheureusement pas trouvé d'accord avec l'Allemagne qui
défendait, pour sa part, un système de double pondération.
Le sujet reste encore à défricher.
Je crois que nous aurons l'occasion, dans le groupe de travail sur la
réforme des institutions que nous avons décidé de
créer au sein de la délégation, d'approfondir cette
question.
M. Pierre Fauchon :
Il faut être très conscients de la profonde divergence qui existe entre les grandes puissances et les petits Etats sur la question de la politique étrangère de l'Europe. Après tout, on peut comprendre que les petits pays préfèrent bénéficier d'une protection américaine plutôt qu'être quantité négligeable dans un système européen. Une PESC digne de ce nom devrait peut-être quand même relever des coopérations renforcées.
M. Michel Barnier :
Si on en
revient aux sources de la construction européenne, on trouve
l'idée originaire de travailler ensemble dans l'intérêt
commun. Je crois qu'avec du temps, on peut combattre une double fatalité.
D'abord, la fatalité des petits Etats atlantistes. J'ai pu observer,
entre les six Etats fondateurs de l'Europe - qui ne sont pas tous des grandes
puissances -, l'existence d'un véritable esprit européen. Si
l'on sait associer les " petits ", sans arrogance, en étant
attentifs, les choses peuvent évoluer dans les décennies à
venir. Il faut rappeler à quel point les Etats-Unis sont
précautionneux avec les " petits " pays qui, tous, disposent
d'une voix aux Nations unies.
Ensuite, la fatalité des diplomaties parallèles entre grandes
puissances. J'ai peine à croire qu'il puisse y avoir, aujourd'hui, une
stratégie allemande et une stratégie française
contradictoires dans les Balkans. Cela n'a vraiment plus de sens à
l'aube du XXI
e
siècle.
M. Emmanuel Hamel :
Que
restera-t-il de la France, sachant ce qu'elle fut et ce qu'elle peut être
encore si on lui en laisse les moyens, dans la PESC que vous
évoquez ? De quelle autonomie, de quels moyens disposeront alors sa
diplomatie et sa défense ?
M. Michel Barnier :
Je ne néglige pas l'intérêt de votre question, mais j'y
répondrai par une autre question : " de quelle manière
l'influence de la France pourra-t-elle le mieux s'exercer dans le
monde ? " A mon sens, par une politique commune que nous
inspirerions. La question est de savoir si nous avons, ou non, cette ambition.
On peut, bien sûr, décider que l'on fait de la politique à
l'OTAN et du commerce dans l'Union européenne. Mais je crois que l'on
doit pouvoir définir des stratégies communes sur des sujets
d'intérêt commun, que ce soit en Russie, dans les Balkans... Je ne
plaide pas pour une politique étrangère unique, j'appelle de mes
voeux une politique étrangère commune.
M. Maurice Blin :
Je reste très perplexe sur cette question de la PESC. Nous sommes sur un sujet sensible, qui touche la souveraineté nationale. Est-ce parce que les européens se sentent trop " chapeautés ", trop étouffés par le carcan américain qu'ils souhaitent une politique étrangère plus régionale ? Aujourd'hui, certains Etats membres n'ont plus les moyens d'avoir une politique étrangère. La bonne méthode serait peut-être d'engager la PESC avec les pays les plus déterminés, les autres usant de la faculté d'abstention constructive avant de rejoindre leurs partenaires plus allants.
M. Michel Barnier :
Ce n'est pas tout à fait l'esprit de l'Union, qui doit plutôt nous inciter au respect et à la concertation, mais nous avons aussi bataillé pour les coopérations renforcées et pour l'abstention constructive afin d'agir, avec pragmatisme, dans le sens que vous proposez.
M. Paul Masson :
Ma première question est d'ordre technique. Si j'ai bien compris, la " nouvelle troïka " est composée de trois personnes et sa présidence est confiée à celle qui restera en place le moins longtemps. Est-ce bien logique ?
M. Michel Barnier :
D'abord, cette troïka peut être un carré, puisqu'il est prévu de lui adjoindre, le cas échéant, la présidence suivant celle en exercice. Ensuite, sur les trois membres, on en compte deux du côté du Conseil, et c'est un élément très important à mon sens. Enfin, je crois qu'un jour il faudra en venir à une présidence plus longue que les six mois actuels.
M. Paul Masson :
Par ailleurs, la PESC est une politique très ambitieuse qui doit être définie par le Conseil européen. Je me suis laissé dire que la réalité du fonctionnement des Conseils était tout autre et qu'on y abordait des sujets de peu d'intérêt. Le recours au Conseil européen est-il le résultat des déficiences des Etats membres ?
M. Michel Barnier :
C'est au
niveau des Conseils, et surtout du Conseil " Affaires
générales " qu'une réforme doit être entreprise
pour améliorer leur fonctionnement. Notre ministre des Affaires
étrangères, M. Hubert Védrine, s'en préoccupe.
En revanche, je crois au rôle d'impulsion du Conseil européen, qui
réunit les chefs d'Etat et de gouvernement.
M. Lucien Lanier :
Je
crains la précipitation dans laquelle on semble vouloir faire la PESC,
alors que je suis partisan d'agir avec prudence et de prendre le temps de
savoir ce que souhaitent nos partenaires.
Pour ce qui concerne l'assistance humanitaire, j'observe qu'elle est mise en
oeuvre en ordre dispersé, ce qui gaspille les énergies et les
financements.
M. Michel Barnier :
Je ne prône pas la précipitation. Bien au contraire, j'estime qu'il faudra autant de temps pour faire l'union politique qu'on en a mis à construire le marché unique. Il faudra encore plusieurs décennies pour aboutir, à mon sens. Mon propos n'était pas d'indiquer ce que doivent être les lignes directrices de la PESC de demain, car c'est aux chefs d'Etat et de gouvernement qu'il reviendra de le faire, mais d'étudier la pertinence des outils qu'on nous accorde et qui pourraient permettre son émergence.
Mme Danielle Bidard-Reydet :
Vous avez distingué la politique étrangère unique et la politique étrangère commune. Avez-vous une idée de la manière dont on pourrait distinguer une souveraineté transférée et une souveraineté maintenue dans chaque Etat membre ?
M. Michel Barnier :
Ce que je voulais dire, c'est que la PESC n'a pas vocation à s'occuper de tout. Elle doit se concentrer sur quelques sujets. Nous devrions pouvoir obtenir un accord à quinze sur des stratégies concernant des pays situés à la périphérie de l'Union, où nous avons des intérêts communs. Il n'est pas ici question de souveraineté, mais d'un accord entre chefs d'Etat, pour tel objectif mobilisant tels moyens. La question de la souveraineté se poserait si l'on envisageait la création d'un état-major militaire commun, par exemple. Ce n'est pas le cas pour l'instant.
M. André Ferrand :
Je suis de votre avis lorsque vous considérez que l'on devrait pouvoir trouver les bases d'une politique commune dans les Balkans entre la France et l'Allemagne. Mais l'histoire est tout autre dans la région des Grands Lacs, elle met en cause un passé, elle comporte des éléments culturels... Je ne suis pas convaincu que l'on puisse faire s'entendre sur ce point les Français, les Anglo-Saxons et les Belges.
M. Michel Barnier :
Je partage votre sentiment. Si j'ai choisi d'étudier les conflits en Afrique subsaharienne, c'est parce qu'ils illustrent bien, justement, les discordances européennes. Il n'est pas question pour autant, bien sûr, d'en faire le sujet d'une stratégie commune européenne.
M. Claude Estier :
Je comprends votre souhait d'une présidence du Conseil plus longue, mais, dans une Europe élargie, le tour de la France, comme des autres pays membres, ne reviendrait alors que tous les vingt ou vingt-cinq ans, ce qui me paraît difficilement acceptable.
M. Michel Barnier :
C'est exact, et c'est bien pourquoi les négociateurs d'Amsterdam ont fait le choix d'une " troïka " spécifique pour la PESC. Maintenant, pour répondre à votre question sur la durée des présidences, on doit pouvoir imaginer un système plus satisfaisant. On peut envisager, par exemple, une présidence du Conseil européen plus longue et des présidences semestrielles pour les différents Conseils.
M. Hubert Durand-Chastel :
Je m'interroge beaucoup sur l'élargissement vers l'Est et sur les risques de bouleversements qui peuvent en résulter pour l'Union.
M. Michel Barnier :
Nous
sommes tous convaincus de la nécessité de réformer les
institutions avant de procéder à l'élargissement de
l'Union, non pas pour le retarder, mais bien pour le réussir.
La délégation a alors autorisé la publication du
rapport d'information.