D. UN PHÉNOMÈNE COMPLEXE DONT LA RESPONSABILITÉ N'INCOMBE PAS AU SEUL PARQUET
Votre rapporteur a pu constater que les taux de classement ne sont pas uniformes et varient non seulement selon la nature de l'affaire, mais également selon les tribunaux.
1. Une pratique très variable selon la nature des affaires
La
montée en puissance des classements sans suite s'explique
principalement par la forte progression du nombre d'infractions dont les
auteurs n'ont pas été identifiés
. Certes, dans les cas
les plus graves, le procureur de la République peut soit demander aux
services de police ou de gendarmerie de poursuivre leurs investigations dans le
cadre d'une enquête préliminaire, soit d'ouvrir une information
judiciaire. Toutefois, faute d'éléments exploitables par les
enquêteurs, la grande majorité de ces procédures sont
généralement classées sans suite. Votre rapporteur tient
à rappeler que la moyenne du taux d'élucidation des affaires
pénales se situait, en 1996, à 30 % et se caractérisait
par une grande disparité selon la nature des affaires.
Ainsi, le taux d'élucidation moyen national pour l'ensemble des vols
et recels dépassait à peine 14 % en 1996 et 10 % pour
les cambriolages
: en effet, dans ces cas là, le travail
d'investigation est très difficile. En revanche, dans les domaines
où l'enquête est plus aisée, les taux d'élucidation
progressent.
Il est ainsi de
76 % pour les infractions
d'atteintes aux personnes.
Or, les procédures " auteur inconnu ", largement minoritaires
en 1987 (37 % de l'ensemble des procédures transmises au Parquet)
représentent près de la moitié du total des
procédures à partir de 1991 et continuent de croître les
années suivantes pour atteindre en 1996 leur niveau le plus
élevé avec 61 %.
En 10 ans, la part des
procédures " auteur inconnu " sur l'ensemble des
procédures a quasiment doublé.
L'identification de l'auteur de l'infraction apparaît donc comme une
condition nécessaire pour éviter le classement de l'affaire sans
suite. Comme cette identification varie fortement selon la nature des affaires,
les taux de classement sont très disparates.
Ainsi, l'ensemble des affaires intéressant la vie collective (ordre
public, transports en commun, circulation...) sont les plus poursuivies, car le
Parquet dispose alors de tous les éléments constitutifs, à
savoir un auteur et une infraction dûment constatée par un service
habilité.
La recherche précitée sur l'abandon des
poursuites chiffre le taux de classement des infractions dans les transports en
commun à 19 % seulement.
En revanche, pour ce qui est de l'ensemble de la délinquance dite de
" voie publique ", conglomérat d'infractions diverses qui
représentent plus de 56 % de la délinquance totale, le taux
de classement est beaucoup plus élevé. Il atteint même
95 % pour les affaires de vols aggravés
. Il faut à cet
égard rappeler que le taux d'élucidation moyen national par les
services de police et de gendarmerie pour l'ensemble des vols et des recels
dépassait à peine pour 1996 14 %, 13 % pour l'ensemble
des destructions et des dégradations de biens et 10 % pour les
cambriolages
3(
*
)
... Or, lorsque le
Parquet reçoit une plainte contre X qui n'a pu être
élucidée par les services de police ou de gendarmerie, il se voit
contraint de classer l'affaire.
Pour autant, le niveau élevé de ces taux n'est pas acceptable. En
effet, le développement du sentiment d'insécurité est
étroitement lié à la progression de la délinquance
dite " de voie publique " et à l'incapacité de la
justice à donner une réponse judiciaire appropriée
à ce type d'infraction.
Face à ce défi, votre
rapporteur s'inquiète de la résignation qui ressort des discours
de rentrée judiciaire de certains procureurs qui donnent l'impression
que le classement de certaines infractions et, en conséquence,
l'impunité dont jouissent leurs auteurs ne peuvent recevoir de
réponse judiciaire appropriée.
Votre rapporteur s'interroge sur cette tendance qui traduit le
découragement de certains magistrats, mais évite également
toute mise en cause de l'insuffisance des moyens octroyés aux
différents services de l'Etat associés à la politique de
lutte contre la délinquance ainsi que toute réflexion sur les
méthodes de travail. En outre, le fait que pour un même type
d'affaire, les taux de classement varient d'un tribunal à l'autre
confirme votre rapporteur dans son idée qu'une politique volontariste
permet de diminuer de manière significative les taux de classement sec.
La politique pénale des Parquets du ressort de la Cour d'appel de Lyon 4( * )
I - Sur
les vols à l'étalage
Les Parquets sont en principe systématiquement avisés des vols
à l'étalage par les services de police et de gendarmerie
compétents ou par le biais de lettres plaintes émanant des
magasins victimes.
Une homogénéité certaine est à relever dans les
politiques pénales suivies par les sept Parquets du ressort de la Cour
d'appel de Lyon :
- jusqu'à un préjudice d'environ 500 francs
(300 francs pour le Parquet de Saint-Etienne, 200 francs pour le
Parquet de Montbrison) et si l'auteur des faits n'est pas connu, le
procès-verbal ou la lettre plainte est en principe classé sans
suite. Un avertissement est toutefois, dans la plupart des cas, adressé
à l'intéressé ;
- à partir du seuil de 500 francs, des poursuites sont
engagées par le biais de convocation par officier de police judiciaire,
citation directe, comparution immédiate, et le cas
échéant, ouverture d'information si la complexité des
faits le justifie.
Dans des vols de faibles montants, le Parquet de Lyon peut également
orienter la procédure devant l'une des cinq maisons de justice du
ressort pour une médiation-réparation et un rappel à la
loi.
L'attention des Parquets du ressort a été attirée sur
deux points :
1. La nécessité de tenir et d'actualiser
précisément les précédents concernant ces affaires
de vols à l'étalage. En cas de récidive ou de
réitération de faits précédemment classés,
des poursuites doivent être diligentées et éventuellement
d'anciennes procédures ressorties.
2. Plusieurs affaires de vols d'alcool et de spiritueux, par pluralité
d'auteurs (souvent des ressortissants d'Europe de l'Est) ont été
constatées dans es grands magasins du ressort de la Cour. Des poursuites
doivent être engagées à l'encontre des auteurs de ces
faits, qui révèlent un trafic organisé.
II - Sur l'usage et la détention de stupéfiants
A l'exception de Lyon, les Parquets du ressort sont essentiellement
concernés par des faits d'usage et de détention de cannabis ou de
produits dérivés. Dans tous les cas, des procédures sont
systématiquement effectuées et transmises au ministère
public qui s'efforce de diversifier les réponses.
En dehors du trafic organisé, deux types de situation peuvent
être distinguées :
1. Le simple usager
En principe, les Parquets du ressort n'engagent pas de poursuites lors de la
première interpellation. L'intéressé est
éventuellement convoqué dans les locaux de la Maison de justice
et du droit pour un rappel à la loi.
Si l'usager relève de soins médicaux (ou s'il s'agit d'une
consommation entraînant une forte dépendance :
héroïne, LSD), une injonction thérapeutique lui est
notifiée par un magistrat du Parquet après convocation par un
officier de police judiciaire.
En cas d'usage répété, les précédents sont
ressortis et les Parquets apprécient au cas par cas l'opportunité
des poursuites.
2. L'usage et la détention de stupéfiants
Les critères retenus par les sept Parquets du ressort convergent pour
distinguer la détention liée à la consommation personnelle
et celle démontrant la revente :
jusqu'à 20 grammes de haschich ou résine de cannabis et
3 doses d'héroïne, la personne interpellée est
considérée comme détenant des produits stupéfiants
pour sa consommation personnelle ;
au-delà de ces seuils, des poursuites pour infraction à la
législation sur les stupéfiants sont systématiquement
engagées, les quantités saisies révélant un usage
ou une détention en vue d'une revente.
En tout état de cause, en cas de consommation habituelle, l'attention
des Parquets a été attirée sur la nécessité
de vérifier les activités et les ressources de ces usagers.
En effet, dans le ressort de la Cour, les prix des produits stupéfiants
sont les suivants :
- 1 gramme d'héroïne = 1.000 à 1.500 francs
- 1 gramme de cocaïne = 1.000 francs
- 1 comprimé d'ectasy = 100 à 200 francs.
L'approvisionnement en stupéfiant conduit très souvent l'usager
à commettre d'autres infractions permettant le financement de sa
consommation personnelle (vols, cambriolages, vols avec violence ou avec arme).
III - Sur les homicides ou blessures involontaires lors d'accidents de la
circulation routière
Des poursuites sont systématiquement diligentées en cas :
- de blessures involontaires ou homicides involontaires sous l'emprise de
l'alcool (une information est souvent ouverte et un mandat de
dépôt fréquemment requis en cas de blessures graves ou a
fortiori d'homicide involontaire) ;
- homicides involontaires ;
- pour les blessures involontaires inférieures à 3 mois,
les Parquets apprécient au cas par cas, en fonction de la gravité
de la faute.
Les procédures peuvent faire l'objet d'un classement, sauf
relèvement d'infractions routières graves à l'encontre du
contrevenant (non respect d'un stop, omission de s'arrêter à un
feu rouge, franchissement d'une ligne continue...).
Les critères de politiques pénales précédemment
évoqués ont été définis par les sept
Parquets du ressort en raison de l'augmentation des procédures
dressées et afin d'opérer des priorités dans les
poursuites en vue d'éviter le blocage des juridictions de jugement.