2. Un phénomène que certains magistrats ne reconnaissent parfois qu'avec réticence
Votre
rapporteur avait dressé un questionnaire pour pouvoir déterminer
dans quelle mesure les classements secs étaient liés à une
insuffisance des moyens. Or, les réponses ont été peu
explicites, même si la plupart des procureurs ont admis que le manque de
personnel interdisait la poursuite de certaines affaires.
Ainsi, selon le procureur général près la Cour d'appel de
Toulouse,
M. Jean Volff
, même s'il n'est pas possible
d'évaluer de manière fiable le pourcentage des
procès-verbaux classés par manque de moyens, il peut être
estimé à
15 %.
Par ailleurs, afin de pouvoir
exercer pleinement les poursuites et assurer la charge supplémentaire
résultant du traitement pénal de toutes les affaires
élucidées, le Parquet de Toulouse aurait besoin de deux
substituts supplémentaires et de cinq fonctionnaires de plus.
Corrélativement, il lui faudrait pouvoir disposer de dix audiences
supplémentaires par mois, ce qui lui permettrait de faire juger environ
1.400 affaires de plus par an.
Votre rapporteur ne peut que déplorer le manque de moyens à
Toulouse et constate que cette pénurie en ressources humaines et
matérielles est loin d'être une exception.
Ainsi, le procureur général près la Cour d'appel de
Colmar,
M. Olivier Dropet
, reconnaît qu'environ
20 %
des procédures classées sans suite et visant des personnes
dénommées le sont par manque de moyens
, c'est-à-dire
que :
- d'une part, l'insuffisance des effectifs du Parquet ne permet pas de recourir
plus souvent à la troisième voie : le choix des affaires est
délicat, la mise en oeuvre de la mesure doit être
surveillée... et cette procédure "prend du temps" ;
- d'autre part, l'insuffisance des effectifs des magistrats du siège
affectés au service pénal contraint le Parquet à ne pas
saisir le tribunal des faits qui mériteraient des poursuites. En effet,
il peut apparaître vain de diligenter des poursuites pour des
procédures que la juridiction n'aura pas les moyens humains ou
matériels de traiter de façon efficace et dans un délai
raisonnable.
D'autres procureurs ont tenu à démentir le fait que la
surcharge de travail,
qu'elle soit supportée par les magistrats du
Parquet ou par ceux des juridictions de jugement,
pourrait être
considérée comme cause unique ou habituelle de classement.
Comme le constate le procureur général près la Cour
d'appel d'Aix-en-Provence,
M Gabriel Bestard
:
" Sauf dans des situations exceptionnelles ou ponctuelles (retards
considérables dans l'audiencement d'affaires qui se trouvent à la
limite de la prescription, promulgation d'une loi d'amnistie qui rendra vaines
certaines poursuites envisagées...), les procureurs ne donnent pas, en
effet, d'instructions explicites de classer lors d'opérations qui
pourraient être qualifiées de "dégraissage".
En revanche, les chefs de Parquet se doivent de fixer des priorités
(déterminées par types d'infractions, selon les besoins d'un
moment ou d'un lieu, ou visant certains délinquants...) et il peut
s'ensuivre, les moyens des juridictions n'étant pas extensibles, que le
" reste " soit moins poursuivi...
Il apparaît dès lors très difficile de faire la part dans
les classements dits d'opportunité, entre ce qui relève de
l'utilisation préférentielle de la " troisième
voie " ou simplement de l'opportunité, et ce qui résulte
d'une insuffisance de moyens. "
Pourtant, il reconnaît par ailleurs
qu' " il doit cependant
être admis que des infractions qui pourraient donner lieu à
poursuites n'en font pas l'objet, notamment parce que les Parquets savent que
les tribunaux correctionnels ne sont pas en mesure de traiter plus d'affaires
que celles dont ils sont déjà saisis."
Un tel discours révèle bien le malaise des Parquets qui
reconnaissent difficilement classer certaines affaires qui pourraient
être poursuivies, tout en admettant qu'en l'absence de moyens suffisants,
ils sont obligés d'établir des priorités dans les
poursuites...