B. LE CLASSEMENT DES AFFAIRES EN AVAL : L'EXÉCUTION DES PEINES
Lorsqu'une affaire a été traitée jusqu'au bout et jugée, il demeure une part de non justice liée à l'inexécution des peines .
1. L'exécution des peines d'amende
Les peines d'amende qui font systématiquement l'objet d'extraits adressés par le Parquet au trésorier payeur général ne sont que partiellement exécutées. Le Trésor public est chargé du recouvrement, mais les Parquets n'ont pas accès au contrôle de l'exécution et ne sont pas informés de celle-ci.
Or, le
tableau ci-avant montre que les admissions en non-valeurs varient entre un et
deux milliards de frands par an. Ainsi, le taux de paiement brut des amendes
(qui inclut les annulations décidées par les juridictions et les
admissions en non-valeurs), dont le titre de recouvrement a été
émis en 1993, ne s'élevait qu'à 17,82 % en
année n, 28,39 % en année n+1 et 29,97 % en
année n+2.
Ces chiffres traduisent la faible efficacité du
système de recouvrement des amendes.
Il est vrai que le recouvrement des amendes et condamnations pécuniaires
est, en règle générale, plus difficile que le recouvrement
des autres produits du budget de l'Etat.
Les problèmes rencontrés dans ce genre de recouvrement peuvent
être regroupés autour de deux idées principales :
•
En ce qui concerne toutes les décisions de
justice prononcées par les juridictions
, il faut que les comptables
du Trésor puissent entreprendre rapidement leur mission de recouvrement.
Dans ce but, il faudrait privilégier la mise en place d'interfaces
informatiques entre les greffes et les trésoreries, notamment en
matière d'ordonnances pénales. Les services du ministère
de la Justice ne les ont implantées que de façon encore
limitée.
Par ailleurs, pour des infractions à la police des services publics de
transports terrestres, le recouvrement est très souvent impossible par
suite des noms et adresses relevés par les services verbalisateurs,
ceux-ci n'ayant pas les moyens juridiques de procéder aux
vérifications nécessaires en la matière. A cet
égard, votre rapporteur propose de faciliter et
rendre plus effective
l'action des contrôleurs
dans les transports publics en les
autorisant à retenir les contrevenants qui refusent de décliner
leur identité afin de pouvoir en rendre compte immédiatement
à tout officier de police judiciaire qui pourra alors se faire
présenter sur le champ le contrevenant.
•
En ce qui concerne plus particulièrement les
amendes forfaitaires majorées prononcées pour des infractions au
code de la route
, les comptables du Trésor, constatant que les
adresses extraites des fichiers des immatriculations des véhicules sont
très souvent inexactes, sont obligés de procéder à
la recherche de nouvelles adresses préalablement à toute
tentative de recouvrement.
Dans l'hypothèse où les nouvelles adresses ne sont pas
retrouvées, la procédure de l'opposition au transfert des
certificats d'immatriculation, mise en place en 1997 dans une quarantaine de
départements en application des articles L. 27-4 et L. 28 du
code de la route, impose aux redevables de régler leurs amendes
forfaitaires majorées afin d'obtenir les certificats de non-gage et de
non-opposition avant toute mutation des cartes grises. Cette procédure
permet d'exécuter des décisions de justice qui étaient
jusqu'à présent irrécouvrables dès leur prise en
charge A ce égard, votre rapporteur tient à signaler
qu'un
groupe de travail interministériel sur l'amélioration du
recouvrement des amendes pénales a été mis en place depuis
août 1995
, dont l'objectif est de fiabiliser l'identification des
contrevenants et d'améliorer les procédures de recouvrement.
Les premiers travaux ont permis notamment de limiter les changements d'adresse
de la carte grise à la seule préfecture, d'assouplir la
procédure de saisie par déclaration à la préfecture
des véhicules des contrevenants, d'étendre en 1997 la mise en
place de la procédure d'opposition au transfert du certificat
d'immatriculation des véhicules terrestres à moteur et de
généraliser, en 1998, le paiement par chèque des amendes
forfaitaires.
Les difficultés relevées dans l'exécution des peines
d'amende sont également dues au fait qu'au-dessous d'un certain seuil,
les amendes sont signifiées, mais ne sont pas recouvrées par
contrainte si le contrevenant ne les acquitte pas.
Votre rapporteur a pu
constater que le taux de recouvrement variait sensiblement en fonction des
montants mais également de la mobilité souvent volontaire des
personnes condamnées à une amende. En effet, si ces derniers
changent d'adresse, l'administration chargée du recouvrement n'engagera
pas systématiquement d'action pour retrouver l'auteur de l'infraction.
Par exemple, en ce qui concerne le Tribunal de grande instance de Montbrison,
toute amende de plus de 110 francs est mise en recouvrement. Il faut
toutefois qu'elle soit supérieure à 330 francs pour que le
recouvrement soit poursuivi jusqu'à la saisie, voire 1.500 francs
pour les personnes domiciliées à l'extérieur du
département. Le taux global de recouvrement (qui englobe les amendes
forfaitaires majorées et les amendes de juridiction) a été
de 52,3 % en 1994. Après réception du premier avertissement
de paiement, environ 25 % des justiciables s'acquitteraient de leur
amende mais ce taux serait de 33 % pour les personnes condamnées
par les juridictions.
Un palliatif a été trouvé pour améliorer
l'efficacité de l'exécution des peines d'amende par
l'instauration du "jour-amende"
9(
*
)
. En cas de non recouvrement, le
trésorier-payeur général est alors tenu de le signaler au
Parquet qui délivre une réquisition d'incarcération.
Cette méthode est lourde, mais très efficace, car les personnes
qui en font l'objet s'acquittent toujours de leurs amendes. Néanmoins,
le "jour-amende" n'est pas entré dans les moeurs...
Les difficultés d'exécution des peines
Du fait
de l'inexécution de certaines peines, de leur lenteur d'exécution
ou de leur aménagement systématique, les sanctions
prononcées par la justice perdent une grande partie de leur sens.
Or, pour être efficace, la peine doit être lisible pour l'auteur de
l'infraction, pour la victime et pour l'opinion publique.
Il est notamment important de pouvoir indiquer au condamné la nature de
la sanction qui lui a été infligée et la manière
dont elle va être exécutée. Une peine "brouillée"
par les difficultés d'exécution apporte une réponse
insatisfaisante au condamné, à la victime et à la
société. La peine prononcée à l'encontre du
délinquant n'aura permis ni de sensibiliser ce dernier ni de le
dissuader de recommencer. Pourtant, si le délinquant récidive, la
justice sera rendue responsable, même si les responsabilités sont
partagées.
C'est pourquoi votre rapporteur estime que tout condamné devrait,
à la sortie de la salle d'audience, pouvoir être reçu par
le juge de l'application des peines et un travailleur social du Comité
de probation et d'assistance aux libérés.
Par ailleurs, la comparution immédiate à l'audience est certes un
système où le jugement intervient rapidement. Toutefois,
l'exécution immédiate de la peine n'a pu être
préparée, voire aménagée. Il en résulte que
trop souvent, le délinquant exécute effectivement la peine qui
lui a été infligée sans avoir été
incité à réfléchir sur l'infraction qu'il a commise
et les conséquences de son acte. En revanche, s'il a
séjourné en prison, il sera entré en contact avec le
milieu criminogène, avec tous les risques de " contagion " que
cela comporte.
En outre, votre rapporteur regrette que l'insuffisance des moyens des services
de la protection judiciaire et de la jeunesse conduise à ne pas
"traiter" réellement toute une série d'infractions dont les
auteurs identifiés sont des mineurs.
Cette absence de réponse judiciaire revient à classer sans suite
certaines formes de délinquance. Or, cette tendance remet en cause
l'utilité du travail en amont des services d'enquête (gendarmerie,
police), du Parquet des mineurs et du juge pour enfants dans la mesure
où aucune suite concrète n'est donnée à
l'infraction commise, constatée et traitée.
A cet égard, votre rapporteur s'inquiète de la diminution
sensible des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse dans le
département de la Seine-Saint-Denis alors que la délinquance des
mineurs ne cesse d'augmenter.
En 1989, le service comptait 223 éducateurs et personnels d'encadrement,
ils ne sont plus que 184 en 1998. En conséquence et alors même que
la demande de suivi des mineurs augmente, plus de 400 mesures éducatives
décidées par le juge des enfants n'ont pas été
exécutées. Or, l'opinion publique ne retient que ce
résultat et en conclut à l'impuissance de la justice, alors
même que tous les services en amont ont rempli leur mission
convenablement, voire même amélioré leur efficacité.
Ainsi, dans ce département, le Parquet de Bobigny a instauré
dès 1992 le traitement en temps réel des procédures pour
faire face à la progression de la délinquance des mineurs. Cette
réforme semble d'ailleurs avoir remobilisé les services de police
puisque le nombre de jeunes délinquants signalés a sensiblement
augmenté, prouvant en outre que le chiffre noir de la délinquance
est une réalité.
Cet exemple concret confirme la nécessité d'une action globale et
coordonnée entre tous les services concernés par le traitement de
la délinquance pour éviter que les améliorations
apportées dans un service soient remises en cause par les
dysfonctionnements constatés dans un autre service.