B. LES SPÉCIFICITÉS DU MODÈLE EUROPÉEN
L'ouverture du traité d'Amsterdam vers une dimension plus sociale n'a pas seulement pour objectif de procurer une manière de contrepartie à la mise en place de l'Union économique et monétaire. Elle constitue un trait essentiel d'un "modèle européen" auquel se rattache également la notion de "services d'intérêt économique général". L'orientation ainsi donnée n'est pas entièrement nouvelle ; les réseaux transeuropéens, la recherche communautaire, la politique des consommateurs ... autant d'actions destinées à asseoir les bases d'un modèle social européen.
1. La dimension sociale
Une
préoccupation plus grande accordée aux droits sociaux a conduit
les négociateurs à compléter le préambule par un
nouveau paragraphe destiné à confirmer l'attachement des Quinze
"aux droits sociaux fondamentaux tels qu'ils sont définis dans la Charte
sociale européenne signée à Turin le 18 octobre 1961,
et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des
travailleurs de 1989".
La dimension sociale se traduit par l'intégration du protocole social de
1992 au corps même du traité communautaire et par une extension
limitée des compétences du Conseil pour la défense de
certains droits sociaux.
a) L'intégration du protocole social au traité communautaire.
Compte
tenu des réticences du Royaume-Uni à donner quelque rôle
que ce soit à l'Europe dans le domaine social, les onze Etats membres
convaincus, malgré tout, de ne pas laisser ce vaste domaine à
l'écart de la construction européenne, s'étaient
résignés à signer en 1992 un texte séparé,
annexé sous la forme d'un protocole au traité de Maastricht.
L'évolution de la position britannique à la suite du changement
de gouvernement en mai 1997, a permis à la faveur de la CIG, d'abroger
le protocole social et d'en reprendre les principales dispositions dans le
traité communautaire.
Cette transposition n'a entraîné
aucune modification quant
à la répartition
des matières entre décisions
à la majorité qualifiée ou décisions à
l'unanimité.
De même
toute mesure d'harmonisation demeure exclue
pour les
rémunérations, le droit d'association, le droit de grève
ainsi que le droit de "lock out".
D'une façon générale, au delà des affirmations de
principe, les Quinze ont observé une grande
prudence
pour la mise
en oeuvre concrète des objectifs affichés à
l'échelle européenne :
- les actions dans le domaine social reposent sur la
coopération
et la
coordination
entre Etats membres sous l'impulsion de la Commission
(art. 140) ;
- le Conseil se borne à "arrêter, par voie de directives, des
prescriptions minimales
applicables progressivement, compte tenu des
conditions et des réglementations techniques existant dans chaque Etat
membre" (art. 137, § 2) ;
- enfin, une déclaration annexe du traité permet de ranger les
dépenses liées aux actions dans le domaine social dans la
catégorie des
dépenses au titre des politiques internes de la
Communauté
(dépenses regroupées dans la rubrique 3 des
perspectives financières) ; les actions dans ce domaine ne peuvent ainsi
servir de base juridique à des programmes financiers
supplémentaires non prévus dans le budget communautaire comme
pouvaient le craindre certains Etats membres.
b) Une extension des compétences du Conseil
La seule
innovation
, dans le domaine social, tient à l'extension des
compétences du Conseil dans
deux domaines
:
- l'égalité du traitement entre hommes et femmes en
matière d'emploi,
- la lutte contre l'exclusion sociale
• Le Conseil peut statuer, dans le cadre de la procédure de
codécision, pour assurer l'application du principe de
l'égalité des chances et de l'égalité de
traitement entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de
travail
(art. 141 § 3).
Jusqu'à présent, le traité reconnaissait seulement le
principe de l'égalité des rémunérations et laissait
aux Etats membres la responsabilité d'en assurer l'application.
Toutefois, dans les faits, le Conseil n'était pas resté inactif :
il avait adopté, dès le 9 février 1976, une directive
relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de
traitement entre hommes et femmes pour l'accès à l'emploi,
à la formation et à la promotion professionnelle. Le
traité d'Amsterdam consacre cette évolution.
Le traité laisse également aux Etats membres la faculté de
prévoir des avantages spécifiques pour faciliter l'exercice d'une
activité professionnelle par le sexe sous-représenté. Le
principe de "discrimination positive" (bien connu sous sa formulation
anglo-saxonne d'"affirmative action"), interprété jusqu'à
présent de façon stricte par la Cour de justice
7(
*
)
devrait désormais recevoir ainsi
une application plus large.
• En second lieu, le Conseil peut adopter en codécision des
mesures destinées à encourager la coopération dans le
domaine de l'exclusion
.
2. L'équilibre entre la recherche de la compétitivité et la défense de l'intérêt général
Le
traité d'Amsterdam a cherché à instaurer un
équilibre entre les considérations liées, d'une part, au
libéralisme économique et, d'autre part, à la
défense d'un "modèle social européen". C'est pourquoi il a
introduit deux notions apparemment contradictoires : la mention d'un
"haut
degré de compétitivité"
parmi les nouvelles missions
de la Communauté et -comme le souhaitait la France- la reconnaissance
des
"services d'intérêt économique
général"
parmi les valeurs communes de l'Union. Est-ce
là une incohérence, fruit habituel de la culture de compromis
propre à la négociation européenne ? Ou faut-il y voir
plutôt deux traits complémentaires du modèle
économique européen ?
Cette dernière interprétation mérite sans doute de
prévaloir.
a) La reconnaissance des "services d'intérêt économique général" parmi les valeurs communes de l'Union
Que
recouvre cette notion de "service d'intérêt économique
général".? La jurisprudence de la Cour de justice
8(
*
)
permet d'en mieux préciser les
contours ; il s'agit
d'entreprises publiques ou privées auxquelles
l'Etat confie par un "acte de puissance publique" la mission de procurer un
service destiné à satisfaire les besoins collectifs du public
.
•
La reconnaissance de ces services parmi les valeurs communes
s'explique par leur rôle essentiel pour "la cohésion territoriale
de l'Union".
Elle justifie dès lors l'obligation faite à la
Communauté et à ses Etats membres -"chacun dans la limite de ses
compétences"- de garantir à ces services les conditions
nécessaires à l'accomplissement de leur mission. Comment ce
principe peut-il se conjuguer avec le respect des règles de concurrence
?
b) La prise en compte des règles de concurrence
La
recherche d'un haut degré de compétitivité,
mentionnée à la demande des Allemands, doit inspirer l'ensemble
des politiques et actions communautaires.
En fait, aux termes d'une disposition déjà inscrite dans le
traité communautaire (art. 86 § 2), l'application des règles
de concurrence ne devait pas faire échec à l'accomplissement, en
droit ou en fait, de la mission impartie aux entreprises chargées de la
question de service d'intérêt économique
général. Il faut prêter attention à la formulation
rigoureuse employée par le traité. Il ne suffit pas que les
règles de concurrence gênent la mission d'intérêt
général, elles doivent la rendre impossible.
Le respect de la mission d'intérêt général peut,
à cette condition, dicter, comme le montre la jurisprudence de la Cour
de justice
9(
*
)
, non seulement des
restrictions, mais aussi
l'exclusion de toute concurrence
de la part
d'autres opérateurs économiques. Une déclaration à
l'Acte final (n° 13) souligne du reste la nécessité de
respecter la jurisprudence de la Cour de justice relative aux principes
d'égalité de traitement, de qualité et de
continuité de ces services.
*
* *
Par
ailleurs, la reconnaissance générale de la notion
d'intérêt économique général trouve deux
applications précises dans le traité sous la forme d'un protocole
et d'une déclaration consacrés respectivement au service public
de radiodiffusion et aux établissements de crédit de droit public
en Allemagne.
Le service de radiodiffusion
Au terme d'un protocole (n° 9), les Quinze ont souhaité confirmer
la compétence des Etats membres pour pourvoir au financement des
services publics de radiodiffusion pour l'accomplissement de leur mission de
service public, en précisant cependant que ce financement ne doit pas
altérer les échanges et la concurrence dans la Communauté
dans une mesure contraire à l'intérêt commun.
Les établissements de crédit de droit public en
Allemagne
Une déclaration (n° 37) de la Conférence prend acte de
l'avis de la Commission selon lequel les établissements de crédit
de droit public en Allemagne assurent une fonction de "service
d'intérêt économique général" tandis que les
avantages dont ils disposent -en contrepartie des coûts inhérents
à leurs prestations- ne sont pas incompatibles avec les règles de
concurrence en vigueur. Le Luxembourg et l'Autriche ont également
souhaité que leurs établissements de crédit dotés
d'une structure comparable soient considérés de la même
façon.