II. UNE RÉPONSE PARTIELLE AUX DYSFONCTIONNEMENTS LES PLUS NOTABLES DE LA PESC

En l'absence d'une volonté politique commune affirmée pour donner une nouvelle ambition à la PESC, les négociateurs se sont entendus sur les moyens d'améliorer le processus de décision dans ce domaine. Les aménagements marqués au sceau du pragmatisme, répondent en partie aux dysfonctionnements les plus sensibles apparus au cours des cinq années de mise en oeuvre du " deuxième pilier ", même s'ils n'apportent pas toujours des réponses satisfaisantes à des questions importantes telles que les conditions de financement de la PESC.

A. LA MISE EN PLACE D'INSTRUMENTS PLUS ADAPTÉS

1. Une capacité d'initiative renforcée

a) L'Unité de planification de la politique et d'alerte rapide : le creuset d'initiatives communes ?


• Les négociateurs se sont entendus lors de la Conférence intergouvernementale pour mettre en place une Unité de planification et d'alerte rapide.

Si la création d'une Unité de planification et d'alerte rapide ne figure pas dans le nouveau traité lui-même mais dans une simple déclaration des Quinze, elle peut constituer un maillon essentiel de la PESC.

Votre rapporteur avait déjà souligné l'intérêt, en matière de politique étrangère, d'accorder les points de vue le plus tôt possible dans le processus de décision. Or, le dispositif institué par le second pilier ne s'écartait pas du schéma classique de la négociation internationale : les représentants des Etats membres venaient à Bruxelles pour défendre des points de vue arrêtés par chacun des gouvernements. Dès lors, la discussion d'une position commune obéissait à une double contrainte : les délais -nécessairement longs- pour rapprocher des positions parfois très éloignées et le risque de l'alignement sur le plus petit dénominateur commun imposé par la logique du compromis. A cet égard, l'impuissance de l'Union européenne observée dans l'ancienne Yougoslavie devait servir de leçon ; la concertation au sein des instances de l'Union est arrivée trop tard après que chaque gouvernement eut élaboré, dans le secret des cabinets ministériels, des positions difficilement conciliables.

Par ailleurs, la PESC a beaucoup souffert d'un manque d'initiative ; les Quinze ont plus souvent réagi aux événements qu'ils n'ont su vraiment les anticiper. Ils se sont condamnés ainsi à une diplomatie essentiellement déclaratoire.

La création d'une unité de planification doit tout à la fois restaurer la capacité d'initiative de l'Union tout en favorisant une convergence de vues au premier stade du processus de décision.

En effet l'Unité se voit confier trois fonctions principales :

- une évaluation des intérêts communs de l'Union et des domaines auxquels la PESC pourrait s'attacher de façon prioritaire ;

- une évaluation des situations de crise et la mise en alerte des autorités de l'Union en cas de nécessité ;

- la présentation d' options argumentées sous la responsabilité de la présidence au Conseil.

L'Unité réunira des représentants du secrétariat général du Conseil, des Etats membres, de la Commission et de l'UEO. En outre, les Etats membres et la Commission pourront lui fournir " dans la mesure la plus large possible, des informations pertinentes, y compris des informations confidentielles ".

Ainsi, par ses fonctions d'analyse et de prévision, l'unité doit pouvoir donner à l'Union une véritable capacité d'initiative. En second lieu, par sa composition, elle peut favoriser une approche commune parmi les Etats-membres.

b) Les conditions de mise en oeuvre : un enjeu essentiel pour la réussite de cette structure.

A ces deux titres, l'Unité est appelée à jouer un rôle décisif dans la PESC. Les Etats accepteront-ils de jouer le jeu de ce puissant ferment d'unification ? Tout dépendra des moyens humains dont sera dotée l'Unité, et de l'intérêt des informations dont elle pourra disposer. La réflexion en cours sur la mise en oeuvre de l'Unité porte sur trois points principaux :

- les effectifs de l'unité ; le Conseil a finalement accepté de prévoir des crédits pour 1999 en vue du recrutement de 20 agents de haut niveau -ces vingt postes seraient répartis entre 3 agents permanents et 17 agents temporaires (la Commission, l'UEO et les Etats membres 15( * ) bénéficiant chacun d'un représentant) ;

- la place de l'unité au sein des structures existantes de l'Union européenne ; le débat n'est pas encore tranché entre les tenants d'une intégration de cette cellule au sein de la direction générale " relations extérieures " du Conseil et les partisans (comme la France) d'une " autonomie fonctionnelle " par rapport au dispositif existant de la PESC ;

- plusieurs initiatives complémentaires comme la mise à disposition de membres du personnel des ministères des affaires étrangères des Etats membres et de la Commission (par le biais de détachement ou de contrat à court terme), pour faire face à des situations de crise ou traiter des questions spécifiques.

2. Un processus de décision plus efficace

a) L'assouplissement des conditions de vote

L'efficacité du processus de décision reposait sur un assouplissement des règles à travers l'extension des modalités de vote à la majorité qualifiée et la reconnaissance du principe de l'abstention constructive. Une telle évolution supposait cependant une hiérarchisation des instruments d'intervention de l'Union. Or, l'utilisation des instruments de la PESC -actions et positions communes- souffrait jusqu'à présent d'une grande confusion. Une clarification, s'avérait indispensable pour réserver l'unanimité aux décisions les plus importantes.

Une clarification des instruments d'intervention

La clarification des moyens d'action de la PESC se traduit par la création d'un nouvel instrument, les stratégies communes. Le traité peut dès lors fixer une hiérarchie claire entre ces trois moyens d'action : stratégies communes, actions communes et positions communes.


• Les stratégies communes
(art. 13§2) définissent la politique à conduire dans des domaines où les Etats membres ont des "intérêts communs importants". En bonne logique, il revient au Conseil européen, chargé de définir les principes et les orientations générales de la PESC (art. 13§1) de décider des stratégies communes sur la recommandation du Conseil -en l'occurrence, le Conseil "affaires générales" formé par la réunion des ministres des affaires étrangères des Quinze. Ce nouvel instrument vise clairement à restaurer la crédibilité des interventions de l'Union sur la scène internationale. En effet, la référence aux "intérêts communs importants" , apparaît comme un moyen de conjurer la tentation de la dispersion à laquelle l'Union a trop souvent cédé. En outre, le Conseil européen doit préciser les objectifs, la durée et les moyens mis à disposition des stratégies . Il s'agit de surmonter une autre dérive de la PESC, ce goût pour une diplomatie déclaratoire dont l'impact demeure très faible.

• Par ailleurs, le traité d'Amsterdam définit mieux le champ d'application des deux instruments précédemment établis par le traité de Maastricht. Les actions communes et les positions communes permettent notamment au Conseil de mettre en oeuvre des stratégies communes. Les premières concernent " certaines situations où une action opérationnelle de l'Union est jugée nécessaire " (art. 14§1) ; les secondes " définissent la position de l'Union sur une question particulière de nature géographique ou thématique " (art. 15). Cette clarification devrait mettre un terme à la confusion dont les années d'application de la PESC portaient témoignage. Ainsi les actions n'étaient mises en oeuvre que pour entreprendre de simples mesures administratives. Dès lors, cet instrument, pourtant investi en théorie de la charge politique la plus forte, a subi une singulière perte de substance. La remise en ordre apportée par le traité d'Amsterdam ne doit pas seulement donner la satisfaction que procure le bel ordonnancement d'un jardin à la française, elle peut être l'instrument d'une cohérence retrouvée de la PESC.

L'extension du vote à la majorité qualifiée

La clarification des moyens d'actions de la PESC et leur meilleure hiérarchisation a permis aux négociateurs de développer le recours au vote à la majorité qualifiée même si l'utilisation en demeure très encadrée.


• La majorité qualifiée s'applique pour l'adoption des actions communes et des positions communes prises sur la base d'une stratégie commune, ainsi que pour toute décision destinée à mettre en oeuvre une action commune ou une position commune.

La hiérarchisation des instruments permet ainsi de systématiser la règle selon laquelle les principes continuent d'être adoptés à l'unanimité tandis que les conditions de mise en oeuvre relèvent d'une décision à la majorité qualifiée. Ainsi, la mise en place d'un nouvel instrument, les stratégies communes adoptées par le Conseil européen, autorisent l'utilisation de la majorité qualifiée pour les actions ou positions communes nécessaires à sa mise en oeuvre.

Selon la même logique, les actions ou positions communes adoptées indépendamment d'une stratégie commune continuent de relever d'une décision prise par le Conseil à l'unanimité, tandis que les décisions nécessaires à leur mise en oeuvre sont adoptées à la majorité qualifiée.

Il y a là une amélioration notable par rapport au traité de Maastricht qui réservait le recours à la majorité qualifiée à la mise en oeuvre des actions communes. Encore le Conseil devait-il déterminer à l'unanimité les questions qui devaient faire l'objet d'un vote à la majorité qualifiée. Le recours à la majorité qualifiée, commandée en dernier ressort par une décision à l'unanimité, n'avait finalement presque jamais été utilisée. Ce ne devrait plus être le cas désormais, dans la mesure où cette modalité de vote ne découle plus d'une décision du Conseil mais des stipulations même du traité.

Cependant, l'utilisation de la majorité qualifiée, dans le cadre déjà contraignant fixé pour ses conditions de mise en oeuvre, connaît une double limite liée d'une part à des " raisons de politique nationale importantes " et d'autre part, aux questions de défense.

Un Etat membre peut invoquer des " raisons de politique nationale importantes " pour s'opposer à l'adoption d'une décision à la majorité qualifiée. Dans ce cas, le Conseil ne procède pas au vote et peut saisir, à la majorité qualifiée, le Conseil européen appelé à se prononcer à l'unanimité sur la question en instance. En fait, la décision, dans ce cas, n'a guère de chance d'aboutir dans la mesure où l'unanimité retrouve tous ses droits.


• Par ailleurs, la majorité qualifiée est exclue pour les décisions liées à la défense et aux questions militaires.

L'abstention constructive


• Le traité d'Amsterdam reconnaît, pour la première fois, le principe de l'abstention constructive (art. 23§1). Il en précise le principe, les conséquences et enfin, les conditions d'emploi.

- Le principe : l'abstention n'empêche pas l'adoption des décisions pour lesquelles le traité requiert l'unanimité.

- Les conséquences : l'Etat peut assortir son abstention d'une déclaration formelle ; dans ce cas, s'il n'est pas tenu d'appliquer la décision, il accepte qu'elle engage l'Union et, partant, il s'abstient de toute initiative contraire aux orientations adoptées de concert par ses partenaires. Toutefois, l'Etat qui s'abstient participe au financement de la mesure adoptée sauf lorsque la décision présente des implications dans le domaine de la sécurité ou quand le Conseil à l'unanimité décide une modalité particulière de financement.

- Les conditions : si les abstentions représentent plus du tiers des voix pondérées, la décision n'est pas adoptée ; l'abstention constructive se mue dès lors en abstention-véto. En d'autres termes, on retrouve les mécanismes de la majorité qualifiée, les deux tiers des voix étant nécessaires pour l'adoption d'une décision.

Une conjonction d'abstentions pourrait ainsi mettre en échec une initiative approuvée par une majorité d'Etats. Le tiers des voix pondérées équivalant à 29 voix pondérées, trois "grands" Etats membres ou huit parmi les plus "petits" peuvent en effet, par le jeu de l'abstention constructive, empêcher l'adoption d'une décision. L'abstention constructive apparaît, de ce point de vue, moins souple que les coopérations renforcées. Les deux procédures ne sont donc pas équivalentes et il est dès lors regrettable que la seconde ait été exclue pour le deuxième pilier.

Cependant, le traité d'Amsterdam a maintenu la faculté reconnue précédemment aux Etats de développer une coopération plus étroite dans le domaine de la défense dans le respect toutefois des orientations fixées par la PESC (art. 17§4).

L'assouplissement des conditions de vote devrait permettre au Conseil de surmonter sa réticence traditionnelle à recourir à une procédure de vote -même à l'unanimité. La préférence systématique pour le consensus -où les responsabilités des Etats se trouvent moins engagées dans le cadre d'un vote- avait à coup sûr favorisé cette dérive vers une diplomatie déclaratoire et largement impuissante.

La recherche de l'efficacité dans le processus de décision n'a pas seulement conduit à un assouplissement des conditions de vote mais elle a également favorisé la recherche d'une plus grande cohérence.

b) Une cohérence mieux assurée

En effet, on le sait, la mise en oeuvre d'une orientation dans le domaine de la PESC peut réclamer une mesure relevant du premier pilier, qu'il s'agisse d'un aménagement des relations économiques extérieures ou d'une action en faveur du développement.

De façon générale, la cohérence doit prévaloir entre les orientations définies dans le cadre de la PESC et les politiques communautaires . Or, en vertu de la séparation du traité en piliers, les premières relèvent du Conseil tandis que les secondes relèvent de l'initiative exclusive de la Commission. Si le traité de Maastricht réaffirmait le principe de la cohérence, il n'en rappelait pas moins le nécessaire respect des attributions de chaque institution. Or, la Commission a montré un souci constant pour protéger ses prérogatives au risque d'aboutir à ce paradoxe déjà dénoncé par votre rapporteur : d'un côté, une volonté politique privée de moyens et condamnée à l'impuissance, de l'autre, un ensemble de moyens financiers laissé sans direction politique.

Le traité d'Amsterdam apporte les correctifs nécessaires.

- En premier lieu, le traité affirme le rôle prééminent qui revient au Conseil pour garantir la cohérence et l'efficacité de l'action de l'Union. En effet le Conseil peut demander à la Commission de lui présenter toute " proposition relative à la PESC " pour assurer la mise en oeuvre d'une action commune . Malgré une certaine ambiguïté de la formulation (toute " proposition relative à la PESC "), ces propositions doivent nécessairement avoir des implications dans le domaine communautaire. Quel besoin autrement pour le Conseil d'inviter la Commission à lui faire des propositions, alors qu'en dehors du domaine communautaire, il partage avec cette institution la capacité d'initiative (art. 14§4) ?

- Ensuite, la présidence a la possibilité de négocier des accords internationaux dans le domaine de la PESC (art. 24) .

Cette faculté désormais ouverte à la présidence peut apparaître comme un substitut au refus de conférer la personnalité juridique à l'Union européenne. Cependant elle reste entourée de plusieurs conditions. En premier lieu, il faut un accord unanime du Conseil. Ensuite, aucun accord ne lie un Etat-membre qui se prévaut de ses propres règles constitutionnelles -les autres Etats-membres peuvent, pour leur part, convenir que l'accord leur est applicable à titre provisoire.

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