C. LA RÉACTION FRANÇAISE
Les
propositions de la Commission Européenne ont entraîné
depuis près d'un an des réactions nombreuses des pouvoirs publics
et des organisations agricoles français.
Ceux-ci remettent en cause
dans l'ensemble le bien fondé du projet de Bruxelles
.
La mission sénatoriale tient à saluer tout
particulièrement l'engagement de M. Jacques Chirac,
président de la République, dans ce débat qui concerne non
seulement l'agriculture, mais, au-delà, les fondements de notre
société à l'aube du XXIe siècle.
Par ailleurs, de multiples instances non agricoles ont souhaité apporter
leur contribution au volet d'Agenda 2000 relatif à la PAC,
démontrant, s'il en était besoin, les implications de cette
réforme sur l'ensemble de la société.
1. Les fortes réserves des pouvoirs publics
a) L'engagement du Président de la République pour préserver l'avenir de la politique agricole commune
Le
Président de la République a toujours marqué son profond
attachement aux questions agricoles. Il a, au cours de ces derniers mois,
notamment lors de sa visite au salon de l'agriculture, manifesté son
souhait de ne pas hypothéquer l'avenir de l'agriculture
française, les négociations sur la réforme de la PAC
mettant en jeu la place de la France et de l'Europe dans le monde.
Le Conseil restreint qui s'est tenu à l'Elysée, le
vendredi 25 mars, a permis de dégager une
" identité d'approche " entre le Président de la
république et l'ensemble du Gouvernement contre les dernières
propositions de la Commission Européenne sur la réforme de la
PAC.
b) La position gouvernementale
Le
Gouvernement français a, dès le 16 juillet 1997,
réagi au document " Agenda 2000 " de la Commission
Européenne par un refus des propositions de la Commission.
Le 31 juillet, M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la
pêche, a diffusé un long communiqué dans lequel il a
effectué tout d'abord trois observations relatives à la
nécessaire concertation avant d'envisager toute évolution de la
PAC, à la non urgence de la réforme et à l'absence
d'études d'impact présentées par la Commission sur le
revenu des agriculteurs. Il a fait état, en outre, de ses
préoccupations sur le fondement même de cette réforme. Le
communiqué se termine pas la phrase suivante : "
en
conclusion, ces propositions sont à discuter et elles sont discutables
dans tous les sens de ce mot
".
Au mois de septembre, lors du conseil national de la FNSEA, M. Louis Le
Pensec a de nouveau abordé la réforme de la PAC.
Il a évoqué la réforme de la PAC. Il a rappelé son
désir de voir les ministres de l'agriculture garder la maîtrise
des débats sur les questions agricoles, même si le " Paquet
Santer " lie la réforme de la PAC au budget et à
l'élargissement de l'Union Européenne.
En ce qui concerne les propositions de la Commission, il a fait part de son
refus d'agir dans la perspective de la discussion sur les accords OMC. Il a
souligné que rien ne permet d'affirmer que la stratégie
adoptée par la Commission soit la meilleure et qu'il est souhaitable
qu'elle soit discutée au niveau des représentants des
Gouvernements de l'Union Européenne.
Il a rappelé l'importance stratégique de l'alimentation pour
l'Europe et évoqué l'impossibilité pour certaines
productions (lait, viande) de se rapprocher des prix internationaux face
à des pays comme l'Australie ou la Nouvelle Zélande.
Procédant à un examen détaillé des propositions de
la Commission, il a émis d'importantes réserves sur la
proposition de baisse des prix des céréales et son opposition
à la proposition concernant les oléagineux. Il a demandé
la révision des mesures projetées pour l'élevage. Enfin,
il a exprimé se désapprobation au sujet de l'orientation
proposée en matière de production laitière.
Il a donc appelé les organisations syndicales à participer
à l'élaboration de propositions alternatives.
Le ministre a rappelé, au Conseil de Bruxelles des 22 et
23 septembre, sa volonté de voir la PAC, non seulement permettre
à l'agriculture d'approvisionner les marchés Européens et
mondiaux, mais aussi prendre en compte des objectifs d'emploi et d'occupation
plus harmonieuse de l'espace. Pour y parvenir, il a souhaité que soit
favorisée la diversité des modes de production et que soient
mises en place des aides communautaires appuyant ces orientations, comme des
primes à l'hectare ou des primes à l'herbe.
Le ministre a émis le souhait que soient maintenues les dispositions
efficaces en ce domaine, citant en particulier les aides à
l'installation des jeunes agriculteurs et les aides aux zones
défavorisées ou de montagne.
Il a aussi réaffirmé la nécessité de respecter le
principe de subsidiarité pour optimiser les actions de
développement rural en rapprochant le citoyen des centres de
décision.
Le ministre a par ailleurs regretté le flou qui entoure la nature, les
modalités et les coûts financiers des actions envisagées
par la Commission pour conserver un tissu rural actif sur l'ensemble du
territoire communautaire.
Au mois d'octobre, lors de la visite du commissaire Franz Fischler à
Paris et du Conseil agriculture du 20 octobre, M. Louis Le Pensec a
précisé ses positions, sortant ainsi du flou entretenu depuis le
dépôt des suggestions de Bruxelles. Après avoir
rappelé que " les propositions de la Commission n'étaient
pas acceptables en l'état actuel et qu'elles devraient être
sensiblement modifiées ", le ministre a insisté sur
"
deux préalables fondamentaux
" : l'affirmation
de l'identité agricole de l'Europe et la nécessité de
disposer des moyens financiers nécessaires à la réforme de
la PAC dans la perspective du futur élargissement de l'Union
Européenne aux candidats d'Europe de l'Est.
Le ministre a défendu cinq grands axes devant servir de contours
à la position française sur la réforme de la PAC :
- la baisse des prix " n'est pas une panacée " pour
toutes les productions ;
- la prime unique grandes cultures compromettrait les soutiens en faveur
de l'élevage extensif ;
- il faut créer une " prime liée au sol " afin de
rééquilibrer les soutiens en faveur de l'élevage
extensif ;
- les quotas laitiers doivent être maintenus et " une
flexibilité additionnelle " doit être introduite afin
d'exporter plus facilement sur le marché mondial ;
- les Etats doivent pouvoir, dans un souci d'équité,
" octroyer davantage à certains agriculteurs et moins à
d'autres ".
Le ministre a eu d'ailleurs l'occasion de rappeler, à la demande de
nombreux sénateurs, et notamment du président Jean
François-Poncet, sa position vis-à-vis de la réforme de la
PAC lors du débat d'orientation pré-budgétaire sur
l'agriculture qui s'est tenu au sénat le 5 novembre 1997.
Lors du Conseil des ministres de l'agriculture à Bruxelles en
novembre 1997, M. Louis Le Pensec a considéré que
"
les propositions de la Commission ne paraissaient pas à la
mesure de l'enjeu de la réforme
". Il a ainsi souhaité
des amendements importants au projet de la Commission notamment pour la
production de viande bovine et le lait.
La France a signé à cette occasion avec treize de ses partenaires
un document destiné à préparer les travaux du Conseil
Européen de Luxembourg des 12 et 13 décembre sur
l'Agenda 2000 et fondé sur la défense de l'identité
agricole Européenne et le maintien de la ligne directrice agricole.
A l'issue de la présentation par la Commission de ses propositions de
règlement de la PAC en mars dernier, le ministre a regretté que
ce projet soit un simple " aménagement " des règles en
vigueur depuis 1992, consistant à accentuer la baisse des prix garantis
et à augmenter les compensations versées aux agriculteurs, dans
des conditions qui ne permettront pas de préserver les revenus.
Il a estimé que des propositions reposent sur une erreur d'analyse et
d'orientation. "
L'avenir de l'agriculture Européenne ne
réside pas dans la production de matières premières
à bas prix, mais dans sa capacité à produire et à
commercialiser en Europe et dans le monde des produits à haute valeur
ajoutée
", a-t-il ajouté.
Il a suggéré d'engager "
une véritable
réforme, faute de quoi les compensations partielles proposées
aujourd'hui pourraient demain s'avérer être un marché de
dupes dans les prochaines négociations internationales ".
Selon
M. Le Pensec, le Gouvernement français, qui souhaite que les Etats
membres puissent répartir une partie des aides communautaires en
fonction de leurs priorités nationales, estime que la Commission
"
fait un pas timide dans ce sens
", mais que "
les
modalités qu'elle propose sont trop complexes pour être
effectivement mises en oeuvre ".
Il a considéré que la baisse généralisée et
systématique des prix n'est pas la réponse à toutes les
questions posées. Tout cela l'a conduit à exprimer un profond
désaccord avec ces propositions.
Lors du Conseil des ministres de l'agriculture du 30 mars et du 26 mai
derniers, M. Louis Le Pensec a exprimé son profond désaccord
avec le projet de réforme de la PAC. Il a souhaité que ces
propositions soient profondément modifié pour faire place
à une nouvelle orientation de la politique agricole.
M. Lionel Jospin, premier ministre
, a manifesté à de
maintes reprises son profond désaccord avec les propositions de la
Commission. De même, M. Pierre Moscovici, ministre
délégué des affaires Européennes, a jugé
souhaitable que la PAC soit " rapidement " réformée
tout en soulignant que la défense des intérêts agricoles
français "passait par le maintien " des moyens budgétaires
de l'agriculture Européenne. Il a indiqué, lors de son audition
par la mission qu'il ne s'agissait "
pas du tout de suivre le
modèle américain, mais bien de poursuivre un modèle
Européen
". Dans la perspective du nouveau round agricole de
l'Organisation mondiale du commerce, il a souhaité également
" ne pas payer deux fois ". Le ministre a soulevé
l'adéquation de la réforme de la PAC à l'OMC lors des
négociations.
La mission sénatoriale donne acte à M. Louis Le Pensec de
ses nombreuses condamnations des propositions de la Commission.
Elle regrette néanmoins que le Gouvernement soit rentré dans la
négociation très rapidement, sans chercher à
présenter un projet alternatif pour l'agriculture Européenne.