2. Des progrès qui ne sont pas à la mesure de l'enjeu
Plusieurs dispositions ont été adoptées
par le
Gouvernement actuel et par le précédent, pour remédier
à cet état de fait. On peut notamment citer :
-
sur le plan de l'accès aux fonds propres
: la
création de fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI) ; la
mise en place du nouveau marché financier ayant permis l'introduction de
43 sociétés innovantes pour une capitalisation totale de
3 milliards de francs ; un report d'imposition des plus-values
réinvesties dans les entreprises innovantes (pour attirer les
" business angels " ou " parrains investisseurs ") ;
le principe d'un financement public d'un fonds de capital-risque
géré par la Caisse des Dépôts pour les entreprises
de haute technologie (provenant des recettes de l'ouverture partielle du
capital de France Télécom) destiné à doter des
fonds d'investissement privés ; la création de contrats
d'assurance-vie investis en actions ;
-
sur le plan de la situation des chercheurs publics
: une
volonté d'accroître la mobilité (très faible
actuellement) des chercheurs, notamment vers l'entreprise, et un
mécanisme d'intéressement des chercheurs aux résultats de
leurs inventions (décrets du 2 octobre 1996) ;
-
sur le plan de la rémunération des jeunes
créateurs d'entreprise
: la loi de finances pour 1998 a
institué des bons de souscriptions de parts de créateurs
d'entreprise. Malgré certaines améliorations récentes
apportées à ce système, il ne privilégie pas assez,
comme l'a constaté le premier ministre lui-même lors des
" assises de l'innovation " du 13 mai dernier, où a
été annoncée une réforme prochaine du
système des " stock options ", la prise de risque.
Ces améliorations restent insuffisantes.
3. Un sursaut est nécessaire
a) Le statut du chercheur
Le
statut du chercheur, soumis aux règles de la fonction publique, est
inadapté
Le rapport particulier de la Cour des Comptes sur la valorisation de la
recherche dans les établissements publics à caractère
scientifique et technologique, publié en juin 1997, a
procédé à une analyse approfondie des règles
statutaires auxquelles sont soumis les chercheurs publics
98(
*
)
.
Ce rapport indique que malgré quelques aménagements prévus
par la loi du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour
la recherche et le développement technologique de la France,
le
statut du chercheur reste défini par les règles applicables
à l'ensemble de la fonction publique
, qui comportent des
dispositions très restrictives quant aux liens qui peuvent
s'établir entre un fonctionnaire et une entreprise.
En particulier :
L'article 25 du code de la fonction publique
dispose
"
Les fonctionnaires [...] ne peuvent exercer à titre
professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que
ce soit
. Les conditions dans lesquelles il peut être
exceptionnellement dérogé à cette interdiction sont
fixées par décret en Conseil d'Etat ".
Le décret-loi du 29 octobre 1936 a strictement limité
les exceptions aux cas suivants :
- production des oeuvres scientifiques, littéraires ou
artistiques ;
- enseignements, expertises ou consultations sur autorisations ;
- exercice de professions libérales découlant de la nature
de l'activité de certains fonctionnaires.
L'article 25 du code de la fonction publique dispose également que
"
les fonctionnaires ne peuvent prendre
, par
eux-mêmes ou par des personnes interposées, dans une entreprise
soumise au contrôle de l'administration à laquelle ils
appartiennent ou en relation avec cette dernière,
des
intérêts
de nature à compromettre leur
indépendance. "
Au code de la fonction publique s'ajoutent deux articles du code
pénal,
l'article 432-12 du nouveau code pénal (ancien
article 175), qui punit "
le fait, par une personne [...]
chargée d'une mission de service public [...], de prendre, recevoir ou
conserver [...] un intérêt quelconque dans une entreprise [...]
dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la
surveillance, l'administration [...] "
, et l'article 432-13 qui
punit tout fonctionnaire ayant été chargé, à raison
même de sa fonction, "
soit d'assurer la surveillance ou le
contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de
toute nature avec une entreprise privée, soit d'exprimer son avis sur
les opérations effectuées par une entreprise
privée
" lorsqu'il s'est rendu coupable "
de prendre ou
de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une de
ces entreprises avant l'expiration d'un délai de cinq ans suivant la
cessation de cette fonction
. "
Enfin, le décret n° 95-168 du
17 février 1995
relatif à l'exercice
d'activités
privées par des fonctionnaires
placés en disponibilité leur interdit notamment l'exercice
d'activités "
professionnelles dans une entreprise privée
lorsque l'intéressé a été, au cours des cinq
dernières années précédant [...] sa mise en
disponibilité, chargé, à raison même de sa fonction,
[...] de passer des marchés ou contrats avec cette entreprise ou
d'exprimer un avis sur de tels marchés ou contrats.
"
Le Conseil d'Etat
99(
*
)
a
d'autre part précisé le régime des incompatibilités
entre la fonction publique et les fonctions exercées dans les organismes
directeurs des sociétés commerciales :
- un fonctionnaire ne peut être membre du conseil d'administration
d'une société anonyme, sauf si la société a un but
désintéressé ou s'il s'agit d'une société de
famille (avis du Conseil d'Etat du 9 février 1949) ;
- de même est interdite la fonction de membre du conseil de
surveillance d'une société à responsabilité
limitée, sauf si la société n'y attache aucune
rémunération ou avantage matériel (avis du Conseil d'Etat
du 24 septembre 1952) ;
- enfin, un agent public ne peut exercer les fonctions de président
d'une société anonyme, sauf si celle-ci est à but non
lucratif et si ces fonctions ne sont pas rémunérées (avis
du Conseil d'Etat du 20 juillet 1955).
Une disposition législative doit intervenir au plus vite pour
modifier ce statut.
Conscient de son caractère inadapté, le Gouvernement de
M. Alain Juppé avait proposé une évolution du statut
du chercheur, dans le projet de loi n° 3492 portant diverses
dispositions d'ordre économique et financier
(dit : " DDOEF ") déposé à
l'Assemblée nationale le 2 avril 1997.
Le titre XIV du DDOEF avait trait à la valorisation des
résultats de la recherche publique.
Il tendait à permettre, dans des conditions précisément
définies et encadrées, la participation personnelle du chercheur
à la création d'une entreprise.
PROJET DE DDOEF DU 2 AVRIL 1997
L'article 25-1 s'insérant dans la loi
précitée du 15 juillet 1982 permettait au chercheur
d'être autorisé pendant une période d'un an, renouvelable
quatre fois, à participer personnellement à la création
d'une entreprise valorisant ses recherches, par apport en industrie, en
qualité d'associé, d'administrateur ou de dirigeant.
L'article 25-2 correspondait à la situation du chercheur qui veut
rester sous statut public, mais souhaite aider à la création de
l'entreprise, en lui apportant son concours scientifique, voire, dans certains
cas, souhaite en outre prendre une participation dans le capital de
l'entreprise, dans la limite de 10 % du capital.
Le rapport précité de M. Henri Guillaume sur l'innovation
proposait que soit également rendu possible un apport en nature (apport
de brevets). Cette question doit être examinée, en dehors de toute
polémique idéologique.
Votre commission souhaite que cette question fasse, dans les meilleurs
délais, l'objet d'une modification par voie législative.
Elle soutient l'initiative de notre collègue Pierre Laffitte, qui a
déposé une proposition de loi en ce sens
100(
*
)
, dont le Président Adrien
Gouteyron a été nommé rapporteur au nom de la Commission
des affaires culturelles du Sénat.