B. AMÉLIORER L'ÉQUITÉ DES CONDITIONS DE LA CONCURRENCE : POUR UNE RÉFLEXION SUR LA BREVETABILITÉ EN EUROPE
Le
système de protection juridique de la propriété
intellectuelle, outil a priori efficace de stimulation de la recherche et de
l'innovation apparaît, en biotechnologie, comme l'instrument majeur
permettant à une entreprise d'acquérir un avantage concurrentiel
décisif, et surtout de " bloquer " les avancées de ses
concurrents.
Au-delà de la question de principe de la brevetabilité du vivant,
les conditions mêmes de son application, d'un côté ou de
l'autre de l'Atlantique, est problématique. En effet, d'après
l'analyse de certaines entreprises européennes, les firmes
américaines ont déposé, dans les années 1980,
alors que les biotechnologies n'étaient qu'une science émergente,
des demandes de brevets aux revendications très étendues,
appelés " brevets de concept " ou
" brevets-chapeaux ", à portée très large.
Ces demandes ont été instruites et auraient abouti, dans les
années 1990, à l'octroi de protections très
étendues, complétées par des brevets dits
" d'application ", qui auraient conféré, d'après
certains de leurs concurrents, à un petit nombre de
sociétés de biotechnologies des positions dominantes, ce qui
expliquerait en partie les phénomènes de rachat d'entreprises
dans le secteur, comme seul moyen -autre que le paiement de redevances, souvent
élevées- pour disposer de telle ou telle technologie ou
application particulière.
En matière de brevets, les Etats-Unis ont développé
une politique favorable aux biotechnologies.
Le système américain en matière de brevets
biotechnologiques est le fruit d'une application pragmatique de cadre
réglementaire général, basé sur :
- un corps de textes constitutionnel et législatifs :
. Art 1, section 8 de la Constitution des Etats-Unis
. Loi fédérale : 35 United Stade Code (Utility Patent),
(loi sur les brevets)
. Plant Patent Act (entrée en vigueur en 1930) limité aux
espèces à reproduction végétative
. Plant Variety Protection Act (entrée en vigueur en 1970) similaire au
Certificat d'obtention végétale
. Récemment, le président Bill Clinton a signé une loi
destinée à l'industrie des biotechnologies (biotechnologicaly
Process Patent Protection Act (S. 1111) du 1er novembre 1995.
Il existe trois types de protection pour les plantes qui peuvent se cumuler,
suivant la base légale utilisée (Plan Variety protection, Plant
patent, Utility Patent).
Mais au-delà de ces textes eux-mêmes favorables, c'est la
jurisprudence qui a permis le développement d'une protection efficace en
matière de biotechnologies.
- Une jurisprudence constructive
En 1980, la Cour suprême des Etats-Unis a rendu un arrêt majeur en
matière de biotechnologie :
l'arrêt Diamond v.
Chakrabarty
, qui a admis le principe de brevetabilité de tout
organisme produit de manière non naturelle en autorisant un brevet sur
une bactérie modifiée de façon à contenir plus d'un
plasmide commandant la dégradation des hydrocarbures.
Selon la formule célèbre de la Cour : " Everything
under the sun made by the hand of Man " devait pouvoir être
protégé (c'est-à-dire tout ce qui est fait sous le soleil
par la main de l'homme).
En 1985, dans l'affaire Ex parte Hilberd, a été admise la
brevetabilité d'une plante recombinée (un maïs
transgénique permettant une surproduction d'un acide animé :
le tryptophane).
Enfin, en 1987, le principe de la brevetabilité d'un être vivant
(dans ce cas une huître génétiquement modifiée)
était accordé, confirmé, dans le cas d'une souris (la
souris oncologique de l'université d'Harvard) en 1989.
- Une forte activité de délivrance de brevets en
matière de biotechnologies
L'Office américain des brevets a communiqué à votre
rapporteur les chiffres suivants pour l'année fiscale 1997 :
dans le seul secteur des biotechnologies, 7.238 brevets ont
été attribués, soit un taux de réussite des
demandes déposées de l'ordre de 55 % et une croissance
d'environ 10 % par an ces dernières années.
L'Europe ne dispose pas des mêmes atouts
- Pour le principe même de la brevetabilité
A l'opposé des lois américaine et japonaise, le système
européen des brevets comporte un certain nombre d'exclusions, dont la
plus célèbre est l'article 53 (b) de la Convention
européenne des brevets, qui dispose que les brevets européens ne
sont pas délivrés pour les variétés
végétales et animales et pour les procédés
essentiellement biologiques pour la production de plantes et
d'animaux
94(
*
)
. En effet, en
Europe les variétés végétales ne sont pas
brevetables mais soumises au régime de protection du certificat
d'obtention végétale
95(
*
)
, qui garantit l'exemption de
recherche, et donc l'accès au patrimoine génétique sous
protection.
-
Pour les conditions de brevetabilité, quand elle est
autorisée en Europe
Même dans les secteurs où l'Europe accepte la
brevetabilité, une entreprise européenne a communiqué
à votre rapporteur son analyse comparative des principales
différences entre les systèmes de protection européen et
américain, reproduite ci-dessous, qui montre
la disparité des
armes dont s'estiment dotées les entreprises requérantes d'un
côté et de l'autre de l'Atlantique
:
LE
POINT DE VUE D'UNE ENTREPRISE SUR LES DISTORSIONS
DE CONCURRENCE ENTRE
L'EUROPE ET LES ETATS-UNIS
POUR LA DÉLIVRANCE DES BREVETS EN
BIOTECHNOLOGIE
Le
" délai de grâce " d'un an aux Etats-Unis :
Il avantage les demandeurs qui veulent obtenir une protection par brevet aux
Etats-Unis (et donc en premier lieu les industriels américains) car il
permet
le dépôt d'une demande de brevet bien qu'une publication
sur l'invention considérée ait été
réalisée antérieurement à cette demande
.
Même si ce délai de grâce est limité à un an
avant le dépôt, il constitue un avantage par rapport à la
situation européenne où une telle publication antérieure
est destructrice du droit au brevet.
Le prix du brevet
Pour un déposant français passant par un Cabinet
spécialisé pour l'obtention d'un brevet, un brevet
européen désignant tous les pays est bien plus cher (de l'ordre
de 350.000 francs) qu'un brevet américain (de l'ordre de
70.000 francs).
La durée de la procédure
La procédure de délivrance en Europe est en moyenne plus longue
qu'aux Etats-Unis (de 4 à 5 ans au lieu de 2 à 3 ans).
La portée des revendications
Le champ des revendications des demandeurs est large dans le système
américain. En particulier, en Europe, un gène n'est brevetable
que si l'on décrit sa fonction industrielle, alors qu'aux Etats-Unis des
séquences d'ADN peuvent être brevetées même si elles
ne sont que de simples fonds de recherche : l'appréciation du
critère " d'utilité " est différente.
Le droit au brevet
C'est une des différences fondamentales entre les deux systèmes
puisque le droit américain accorde un brevet à celui qui est
le premier inventeur (first-to-invent)
alors que le reste du monde, et
donc l'Europe, donne le droit à brevet à qui
dépose en
premier (first-to-file)
. Malgré les pressions internationales pour
une harmonisation, les Etats-Unis ne semblent pas décidés
à changer le système.
La publication des demandes de brevet
Alors que les demandes de brevet sont généralement
publiées 18 mois après leur dépôt, en Europe,
elles ne sont publiées aux Etats-Unis qu'après la
délivrance du brevet
. Jusqu'à la délivrance, la
demande américaine reste secrète et ne peut donc être
contestée par un concurrent.
La question de la propriété intellectuelle en Europe vient de
faire l'objet d'une évaluation approfondie menée, à la
demande de M. Franck Borotra, alors ministre de l'Industrie, de la Poste
et des Télécommunications, par M. Didier Lombard, qui a
remis en décembre dernier un rapport intitulé : " Le
brevet pour l'innovation ", qui formule de très nombreuses
recommandations pour améliorer le système français de
protection de la propriété industrielle.
Ces recommandations, dont la mise en oeuvre relève parfois du niveau
européen, ne doivent pas rester lettre morte, notamment en ce qui
concerne :
- la
réduction du coût de la protection
européenne
(on pense notamment aux coûts de traduction du
brevet délivré par l'office européen des brevets) ;
- l'harmonisation des réglementations internationales dans le cadre
d'un "
dialogue transatlantique
" plus adapté que
d'autres procédures multilatérales ;
- l'intégration de
nouveaux champs technologiques
dans le
système européen des brevets (dont les biotechnologies).
L'ampleur de la tâche et sa dimension internationale
nécessitent une volonté forte et durable de la part du
Gouvernement pour faire évoluer, dans un sens plus favorable aux
entreprises, le système européen de protection par brevets.