4. Un parallèle historique instructif : l'introduction du maïs hybride dans la France de l'après-guerre
Toute
nouvelle technique suscite des peurs et des incertitudes.
Il est intéressant, à cet égard, de se remémorer
les divisions qui ont agité les maïsiculteurs français au
moment de l'introduction des nouvelles lignées hybrides, mises au point
aux Etats-Unis.
Henri Mendras, dans son essai sur "
La fin des paysans
",
consacre un chapitre à cette rupture essentielle et aux controverses
qu'elle a provoquées dans le sud-ouest de la France. On peut y
lire :
"
Un changement technique si inoffensif en apparence mais dont les
effets indirects risquent d'être si révolutionnaires, ne pouvait
apparaître sans une escorte de rumeurs et d'affabulations mythologiques,
traduisant les anxiétés profondes des agriculteurs et les
tensions sociales et politiques qu'il ravivait. [...]
Certains n'ont pas craint d'affirmer qu'il " n'engraisse pas les cochons
par ce qu'il n'y a que du son " ou mieux encore qu'il " donne la
peste aux cochons ". D'autres croient qu'il " détruit la
terre ". Brodant sur le mécanisme d'hybridation et sur la
pollinisation qui risque d'affecter un champ de maïs local voisin d'un
champ d'hybride, l'imagination béarnaise s'inquiète :
" Pour moi ce sera matière à procès plus tard. "
Plus simplement ce maïs qu'il faut tellement soigner
n'inspire pas
confiance
, car évidemment " l'artificiel c'est toujours
l'artificiel " et " il va y avoir une maladie qui ensuite
s'étendra au maïs du pays ".[...]
Il s'établit ainsi une comparaison qui prend parfois figure de
rivalité entre le maïs du pays auquel on s'identifie et l'autre,
étranger, qui est apporté par les " messieurs à
lunettes ", de la ville, et même d'Amérique. [...]
A ce niveau de réactions affectives et sentimentales il n'y a plus qu'un
pas à franchir pour que le débat prenne
une coloration
politique
. Ce pas se franchit d'autant plus aisément que la vie
politique est fort animée en Béarn et que, par un jeu du sort, ce
maïs " américain " a commencé à faire
problème à l'époque où l'extrême gauche
faisait campagne contre l'américanisation et la
" marshallisation " de la France. "
Faut-il encore diagnostiquer la propension de la société
française aux mutations brutales, aux révolutions plutôt
qu'aux évolutions ?