CHAPITRE 2 - L'OCCUPATION MASSIVE DES LITTORAUX INSULAIRES ET LES PRESSIONS QUI S'Y EXERCENT FONT L'OBJET DE POLITIQUES PARFOIS CONTRADICTOIRES
Outre-mer, les littoraux et les espaces côtiers constituent un atout remarquable, qui explique le développement que le tourisme y a connu. Mais ils présentent aussi des faiblesses, dues aux modalités de leur occupation et exigent qu'on en prenne un soin particulier. Pourtant, les politiques d'aménagement et de mise en valeur des espaces côtiers ne sont pas toujours cohérentes avec celles qui s'attachent à leur protection.
1. L'occupation littorale outre-mer est marquée par des contrastes
Les conflits d'usage auxquels on assiste sur le littoral prennent une acuité particulière dans la monde insulaire, en raison de la faible superficie des îles et de leur morphologie, lesquelles obligent les populations et les activités à se concentrer sur la zone littorale. Cette concentration littorale trouve aussi ses racines dans une évolution historique ancienne, qu'il ne faut pas négliger
1.1 L'opposition entre un littoral exigu et très peuplé et un intérieur peu densément occupé
L'occupation de l'espace révèle, dans les DOM-TOM, une situation qui associe déséquilibres et inégalités. Dans les « îles hautes », la majorité de la population se concentre dans les plaines qui sont de superficie réduite. C'est à la Réunion que les plaines sont les plus rares. Parmi les Départements français d'Amérique, la Martinique connaît des pressions urbaines plus importantes qu'en Guadeloupe, en raison d'une superficie plus de deux fois inférieure pour un poids démographique comparable.
Dans les DOM comme dans les TOM, le processus de concentration des populations et des activités, ainsi que celle des grands équipements d'infrastructures portuaire et aéroportuaire, dans la ville-capitale ou dans son agglomération, s'est généralisé.
En Martinique les installations portuaires sont implantées dans la ville de Fort-de-France et l'aéroport international dans la commune voisine du Lamentin. L'agglomération, qui accueille le plus grand nombre de zones d'activités industrielle et commerciale et de services tertiaires, regroupe plus de 60 % de la population de l'île. La menace de surcharge humaine pèse à terme sur cette collectivité, qui risque de devenir une « île-ville ».
L'espace utile guyanais est limité à un mince liseré côtier de 250 km de long, entre Saint-Laurent-du-Maroni et Cayenne. L'essentiel de la population se concentre sur le littoral et les grands fleuves frontaliers. L'agglomération de Cayenne, à elle seule, rassemble 55 % du total de la population.
La population de la Réunion se concentre dans les plaines littorales, les basses vallées et la partie inférieure des planèzes 14 ( * ) périphériques, à l'exception du littoral de l'extrémité sud-est, où le volcanisme actif a empêché toute implantation humaine d'importance. La macrocéphalie urbaine est moins marquée à la Réunion que dans le reste de l'outre-mer français.
Le cas de la Guadeloupe est particulier, dans la mesure où la bicéphalie urbaine (Pointe-à-Pitre et Basse-Terre) remplace la macrocéphalie habituellement observée. En 1990, 51,8 % des habitants résidaient dans la région de Pointe-à-Pitre, 39,5 % dans celle de Basse-Terre et 8,7 % dans les îles du Nord. La densité moyenne s'établissait à 227 hab/km 2 .
En Nouvelle-Calédonie, l'importance d'un domaine montagnard difficile à aménager explique que seulement 1 % de la population soit installé au dessus de la courbe de 150 mètres d'altitude. Sur la côte occidentale de la Grande Terre, la population s'agrège en gros villages. Nouméa abrite environ 60 % de la population du territoire. Au cours des trois dernières décennies, la ville s'est développée rapidement et s'étire sur un axe de 80 km de long. La ville a dû faire face à l'afflux de migrants et les pouvoirs publics ont réalisé, au début des années 1970, plusieurs cités HLM. Une urbanisation massive a changé la face de la ville.
Dans le Pacifique Sud, l'éparpillement des terres émergées entraîne un phénomène de concentration de la population sur les plus grandes îles. Sur 118 îles de la Polynésie française, 67 seulement sont habitées en permanence. Seuls les littoraux sont occupés. Les densités sont supérieures à 100 habitants/km 2 sur 4 îles, entre 40 et 100 hab/km 2 sur 8 îles mais peuvent atteindre des densités effectives par village de 1105 hab/km 2 à Tiputa (Rangiroa) et 9000 hab/km 2 à Pouheva (Makemo). Au cours des trente dernières années, en liaison avec l'installation du Centre d'Expérimentation du Pacifique, s'est constituée une vaste zone urbaine sur l'île principale de Tahiti, où est venue s'accumuler 75 % de la population du territoire. La zone urbaine de Tahiti s'étire aujourd'hui sur 40 kilomètres de littoral et regroupe plus de 110 000 habitants, contre 35 000 en 1962. L'agglomération de Papeete concentre 55 % de la population de la Polynésie française. Le triangle Tahiti-Bora Bora-Manihi, riche de ses activités touristiques, aquacoles et agricoles, bien relié quotidiennement à la capitale, s'oppose aux 97 % restant de la Polynésie, qui fait figure de périphérie en difficulté.
1.2 L'hypothèque démographique pèse sur la perspective d'une occupation équilibrée du littoral
L'urbanisation s'est ainsi déployée sur les rares plaines disponibles des espaces insulaires. La question démographique constitue par conséquent une menace, car l'espace utile est compté sur ces littoraux exigus. L'urbanisation rapide raréfie les terrains constructibles, accroît les charges foncières et réduit la superficie des meilleures terres cultivables.
Les perspectives démographiques -tant le mouvement naturel que les phénomènes migratoires-, sont celles d'un accroissement de la population. Ainsi, la préoccupation de contrôle de l'immigration (notamment en Guyane) et de rééquilibrage de la répartition de la population sur les territoires apparaissent prioritaires dans les DOM-TOM.
La situation démographique de l'outre-mer et les perspectives à court terme sont retracées dans le tableau qui suit :
Population |
Projections de population (en 2000) |
|
Guadeloupe |
417 000 |
446000 à 487000 |
Guyane |
146 000 |
158000 à 201000 |
Martinique |
383 600 |
395000 à 420000 |
Réunion |
664 200 |
680000 à 735000 |
Polynésie française |
219 581 |
277 000 |
Nouvelle-Calédonie |
196 836 |
203 000 |
Mayotte |
131 320 |
150 000 |
Wallis-et-Futuna |
14 166 |
17 000 |
Saint-Pierre-et-Miquelon |
6623 |
nd |
Source : INSEE.
Les territoires d'outre-mer ont fait l'objet d'un recensement de la population dont les résultats ont été publiés en 1996 et, pour Mayotte, en 1997. Les chiffres relatifs à la Réunion sont ceux connus en 1996
1.3 Les incitations au développement du tourisme sont nombreuses mais les concurrences régionales sont vives
1.3.1 Les incitations au développement touristique
Les pouvoirs publics ont engagé des efforts, afin de mettre en valeur les atouts de l'outre-mer et en faire de grandes destinations touristiques. On peut apprécier ces interventions en étudiant l'évolution du cadre réglementaire et institutionnel, l'incidence des moyens économiques et fiscaux, enfin la mise en oeuvre de programmes conjoints, associant les partenaires touristiques publics et privés, assortis d'engagements financiers et de calendriers de réalisation.
Dans les régions d'outre-mer, la mise en place de la décentralisation et la définition des compétences régionales en matière de tourisme ont permis la création d'Agences régionales de tourisme, établissements publics et instruments spécifiques des Conseils régionaux. Les Agences régionales ont la compétence d'élaborer un schéma régional de développement du tourisme et des loisirs.
En Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, le tourisme relève de la compétence des autorités territoriales.
En Polynésie française, par exemple, ce secteur fait l'objet de beaucoup d'attentions de la part du Territoire, dans le cadre de la définition de la stratégie après-CEP. Composée essentiellement d'aides financières et d'exonérations fiscales, l'aide globale en faveur du secteur touristique a atteint 212,3 millions de F CFP en 1995 (25 % du total des aides, tous secteurs confondus). Une ligne Air France, subventionnée par le Territoire pour assurer la liaison Papeete-Tokyo, devrait drainer une clientèle japonaise.
Les moyens du développement et notamment les dispositions fiscales prises pour compenser les handicaps qui affectent les économies des DOM-TOM intéressent le secteur touristique et par conséquent une partie des activités liées à la mer. Les moyens économiques peuvent être des concours publics aux acteurs productifs, l'aide au financement de projets privés par l'instauration de primes d'équipement.
La politique menée par l'IEDOM, notamment l'accès au refinancement à taux privilégiés pour l'hôtellerie et l'animation touristique, participe de ces moyens économiques. La Société de crédit des DOM (SOCREDOM), représentée par la Caisse Française de Développement, propose le financement à long terme de la construction des établissements hôteliers sur ressources 1 er guichet à 7,5 %. Les Sociétés Financières pour le Développement proposent aussi des financements à long terme à taux privilégiés sur ressources SOCREDOM.
En matière fiscale, il existe de nombreuses facilités comme les dispositions de l'article 208 (208 quater, exonération sur agrément des bénéfices en cas de création d'activité nouvelle dans les DOM) du Code général des impôts qui prévoit une exonération d'impôt sur les sociétés pendant dix ans, l'article 217 bis qui atténue d'un tiers la base imposable de certaines sociétés, ainsi que l'article 197, qui réduit l'impôt des contribuables des DOM. Enfin, la loi de finances rectificative du 11 juillet 1986, mieux connue sous le nom de « loi Pons », favorise la réalisation d'investissements dans les DOM. Cette loi constitue une incitation fiscale remarquable et a eu des effets sur le tourisme, les hébergements, les produits et les transports touristiques. Plusieurs évaluations en ont été menées, qui l'envisagent dans son ensemble.
L'arsenal des aides au développement touristique peut être complété par la loi Perben du 25 juillet 1994, qui tend à favoriser l'emploi, l'insertion et les activités économiques dans les DOM, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte. Elle prévoit une exonération des cotisations sociales à la charge des employeurs, notamment dans l'hôtellerie et la restauration, la pêche et l'aquaculture. La mesure est financée par une augmentation de deux points de TVA ajoutés aux taux normal applicable dans les DOM qui est donc passé de 7,5 % à 9,5 %.
Les Territoires d'outre-mer bénéficient d'une compétence exclusive en matière fiscale. Il faut mentionner le fait qu'ils ont aussi élaboré des dispositifs d'aides fiscales.
Le soutien au secteur touristique passe aussi par des aides financières directes ou à travers le crédit par des bonifications de taux des emprunts. Dans les DOM par l'IEDOM, dans les TOM par l'IEOM, une procédure d'admission en réescompte est menée. Par ailleurs, les prêts consentis par la CFD bénéficient de bonifications d'intérêts.
L'accroissement et la modernisation de l'appareil touristique, rendus possible par l'aide fiscale, doivent être impérativement complétés par des efforts en matière d'accueil, d'environnement, de rapport qualité/prix des produits.
La coordination des différents intervenants touristiques publics et privés se concrétise sous la forme de programmes conjoints. On peut distinguer les programmes pluriannuels contractualisés, les opérations ponctuelles et spécifiques, les actions de coopération et les orientations de portée générale.
Les contrats de plan bénéficient, en outre, du soutien financier très important des fonds structurels européens, essentiellement le FEDER et le FSE. De 1989 à 1993, les opérations touristiques ont bénéficié d'un apport de l'État en moyenne de 27 millions de francs par département, tandis que l'Union contribuait au financement total à hauteur de 200 millions de francs.
Avec les pays et territoires d'outre-mer, l'Union européenne a conclu un traité d'association doté au total de 100 millions d'ECU. Les activités de coopération touristique y sont mentionnées en tant que domaine de développement économique.
En Martinique par exemple, le montant des interventions publiques (Europe, État, Région, Département) sur la période 1994-1999 est fixé à 12,22 millions d'ECU, soit 75 millions de francs.
Les actions de promotion des destinations d'outre-mer sont le fait d'organismes nationaux et locaux, et bénéficient de crédits publics (Maison de la France, FEDER) et privés. Mais les budgets qui y sont consacrés se révèlent insuffisants et inférieurs à ceux des pays voisins. En outre, la promotion suppose une offre capable de répondre à la demande qu'elle engendre, ce qui n'est pas le cas.
Le développement du tourisme s'est fait sans réflexion globale initiale pour l'organiser. Actuellement, tous les acteurs conviennent de l'intérêt de schémas de développement à caractère global, dépassant les strictes considérations touristiques, pour prendre en compte les nécessités de l'aménagement du territoire en termes d'infrastructures et de services publics notamment.
Le problème de la disponibilité du foncier se pose aux investisseurs, avec une connotation plus juridique et économique dans les DOM, alors que les difficultés dans les TOM sont plus culturelles et psychologiques.
Les conflits de propriété, les indivisions et les occupations sans titre sont fréquents dans les DOM La zone des « cinquante pas géométriques » est particulièrement affectée par des phénomènes d'occupation sans titre. La planification, en outre, est très insuffisante, les règles d'affectation des sols très instables, malgré l'existence de POS et en raison de leurs modifications et révisions très fréquentes Le coût des terrains constructibles est, enfin, très élevé.
La loi relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone des « cinquante pas géométriques » va permettre une remise en ordre de l'occupation actuelle de cette zone et de son utilisation future au mieux des divers intérêts en présence.
Dans les TOM, la terre a une valeur culturelle très importante, dont l'acuité est certes inégale selon que l'on se situe en Polynésie ou en Nouvelle Calédonie. En Nouvelle-Calédonie, la terre sert de référence pour l'organisation sociale et politique en clans, tribus, chefferies coutumières L'indivision ou l'inaliénabilité rendent la question difficile à résoudre.
Les Schémas Régionaux de Développement Touristique, prévus par la loi du 3 janvier 1987, n'existent pas encore outre-mer
* 14 flancs des volcans.