4. Au niveau régional, les ports sont soumis à une vive concurrence et s'intègrent mal dans leur environnement
4.1 Les ports français n'exercent pas de rôle régional dominant
Par comparaison avec les ports des Antilles françaises, le trafic de conteneurs de Curaçao (Willemstadt) était en 1995 de 421.955 tonnes pour 70.828 conteneurs. Celui de la Barbade était de 548.647 tonnes pour 42.722 conteneurs. Enfin, celui de Porto-Rico était de 7,200 millions de tonnes pour 865.000 conteneurs. Par comparaison avec le trafic de conteneurs de Port-Réunion, celui de Port-Louis (île Maurice) s'élève en 1995 à 896 605 tonnes (contre 956 000 pour la Réunion).
Les ports français subissent, dès lors qu'il s'agit du trafic régional, une vive concurrence. Elle s'explique par des coûts de manutention et de passage de la marchandise prohibitive. Ainsi, dans l'Océan Indien, la majeure partie du transbordement à destination de l'Afrique s'effectue à Maurice, où le coût de la main-d'oeuvre permet de pratiquer des tarifs inférieurs. Port-Réunion subit la concurrence d'autres ports, comme celui de Madagascar. La question particulière de la concurrence des ports de l'Océan Indien en matière de débarquement des produits de la pêche au thon appelle une explication différente : le port des Seychelles est le plus fréquenté en raison de sa position centrale par rapport aux zones dans lesquelles cette pêche est pratiquée. La faible fréquentation du port de Longoni à Mayotte, tout aussi central, invite à s'interroger
Les autorités portuaires misent sur le bon niveau des équipements et la stabilité sociale et politique qui règne dans les collectivités d'outre-mer par rapport à celle des pays voisins pour obtenir, à l'échelle régionale, la meilleure place en termes de trafic et de fréquentation. Mais la position de « hub » de Port Réunion, tant espérée, n'est pas assurée. On peut se demander si l'île pourra tirer le meilleur parti du marché qui émerge aux marges de l'Océan Indien : en Afrique Australe et Orientale, un marché commun de 220 millions de personnes se met en place. Cette préoccupation est mentionnée dans le Schéma d'Aménagement Régional de la Réunion.
Ces concurrences vont de pair avec une coopération régionale portuaire limitée : l'aspiration des ports à devenir des centres de réexportation d'envergure régionale placent les DOM et les TOM en position de concurrence vis-à-vis de leurs voisins. La coopération n'est néanmoins pas inexistante, des relations s'étant nouées entre les autorités portuaires de la Réunion et celles de Maurice pour favoriser les échanges d'expérience et d'informations.
Les concurrences n'existent pas seulement avec les ports des pays étrangers. La coopération régionale semble compromise au sein même des collectivités d'outre-mer. Entre les ports des Antilles françaises, on constate que les concurrences sont plus nombreuses que les synergies. Les seules complémentarités qui aient porté quelques fruits sont celles des liaisons touristiques, en saison, entre les deux départements français des Antilles.
4.2 Les liaisons maritimes révèlent la faible intégration dans les environnements régionaux
L'examen des lignes maritimes qui touchent les collectivités d'outre-mer peut être un indice de leur plus ou moins grande intégration à un environnement régional.
Les Antilles et la Guyane sont reliées directement à l'Europe sans escale. Cependant, ces destinations sont considérées comme secondaires par les lignes régulières desservant le bassin caraïbe, tant celles entre l'Europe et la zone que celles entre l'Amérique du Nord et cette même zone. La Réunion est reliée à l'Europe par des navires effectuant quelques escales à Djibouti, Madagascar et aux Comores par exemple. En revanche, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie sont desservies par des lignes dites « tour du monde », ce qui leur ouvre la voie d échanges commerciaux avec les pays voisins (États-Unis, Nouvelle-Zélande, Australie). Sur le territoire calédonien par exemple, une quinzaine de compagnies maritimes nationales ou étrangères sont représentées et transitent dans leurs liaisons par son port. Près de 400 cargos fréquentent ses eaux chaque année. Ces liaisons sont d'autant plus importantes qu'elles permettent d'entretenir des relations avec des zones régionales riches. C'est la raison pour laquelle l'insertion de l'ensemble des DOM-TOM dans des liaisons internationales et régionales est primordiale.
Il faut aussi examiner les liaisons simplement régionales, qui devraient favoriser la coopération entre les pays d'une même zone. Celles-ci sont Dans la mer Caraïbe, on peut recenser 156 lignes maritimes régulières conteneurisées, sans compter les lignes occasionnelles de toutes sortes. Les échanges maritimes constituent le support matériel essentiel et vital des liens qui unissent les îles de la Caraïbe à l'Europe et à l'Amérique du Nord, leurs deux tuteurs. En fait, les échanges inter-caribéens à proprement parler ne sont pas très développés.
Le cabotage est resté peu développé dans la mer Caraïbe. On en a néanmoins quelques exemples : entre la Guadeloupe et la Martinique, un service de transport de vrac assuré par la compagnie Vikings semble très apprécié, dans la mesure où il existe un réel flux de produits non conteneurisables. Mais certaines liaisons font défaut. Elles pourraient être étudiées. Il s'agit de celle entre les Antilles françaises et la Guyane, de celle entre la Guyane et le Surinam (dans ce cas précis, aucune liaison directe ne fonctionne, alors qu'il y a du fret). À condition que les volumes soient assez importants, elles pourraient être exploitées.
Pour ce qui concerne les grandes voies maritimes, la question de la complémentarité des flux européens et nord-américains a fait l'objet de réflexions et de rencontres entre les partenaires mais n'a pas permis de concrétisation pour l'instant
4.3 En matière de coopération régionale commerciale, la politique de la France poursuit des objectifs contradictoires
Il apparaît que la France souhaite à la fois favoriser une plus grande insertion des collectivités d'outre-mer dans leur environnement régional, tout en maintenant avec elles une relation commerciale presque exclusive.
Pourtant, la question de la coopération régionale maritime est une préoccupation souvent mentionnée, notamment dans les Contrats de plan. L'insertion des transports maritimes dans un programme de coopération régionale caribéenne est présentée par exemple comme une priorité. La constitution d'un réseau de transports régionaux mieux adaptés aux contraintes locales et convenablement articulé sur le trafic transocéanique avait déjà été évoqué dans le rapport de Bernard de Gouttes sur « la coopération régionale Caraïbe à partir des départements français d'Amérique », et devait reposer sur plusieurs types d'actions : l'assistance technique, la coopération dans la domaine de la gestion portuaire, l'extension des accords de transbordement, l'instauration d'une coopération avec les armements locaux, voire l'assistance à la création de compagnies régionales, si les conditions locales le permettent.
Pourtant, on constate que l'appartenance de la France à ces organisations de coopération régionale n'a pas permis aux collectivités d'outre-mer de mieux s'insérer dans leur zone géographique ni de renforcer leurs relations économiques. Les partenaires commerciaux principaux ne sont pas souvent les États de la zone.
Même les arrangements négociés par les Chambres de Commerce avec les pays étrangers pour permettre les échanges entre les départements français des Antilles et les pays voisins des produits figurant sur les « negativ lists », édictées par les organismes dont la France ne fait pas partie, ne sont pas mis à profit. Les facilités apportées au commerce régional restent le plus souvent lettre morte et les activités portuaires se limitent le plus souvent à recevoir les produits métropolitains
Si les outils portuaires sont des éléments indispensables à la vie des communautés d'outre-mer, il n'en reste pas moins que l'étude de leur fonctionnement permet de souligner un point faible de l'outre-mer français, à savoir la faiblesse de son appareil productif et « l'assistanat » dont il est l'objet. Les transferts publics importants développent outre-mer des sociétés de consommation qui contribuent à doper l'activité portuaire. Le trafic de leurs ports peut être qualifié de captif. Elles sont en outre faiblement concurrentielles et mal insérées dans leur environnement régional.