Audition de monsieur Michel COSNARD
Directeur du laboratoire informatique de l'Ecole
Normale
Supérieure de Lyon
Résumé : La méconnaissance de l'informatique étant en France très grande, il faut que les français, dès leur plus jeune âge, puissent disposer d'une formation ; cette discipline, incluant les sciences et technologies de l'information, doit donc être reconnue à part entière, ce qui passe par la création de diplômes correspondant au niveau du CAPES et de l'Agrégation ; il faut ensuite que l'accès à l'informatique devienne extrêmement large, ce qui peut passer par l'installation de terminaux informatiques dans les nombreuses médiathèques, bibliothèques et autres centres de formation au sein des lycées, l'infrastructure étant déjà relativement abondante ; l'approche éthique de l'utilisation de l'outil, enfin, est capitale et mérite la plus grande attention ; il faut développer les passerelles entre recherche publique et industrielle : il est inconcevable que les chercheurs restent cloisonnés au sein du même organisme toute leur carrière : on pourrait même inscrire l'obligation de mobilité dans leur statut ; afin d'aider à la prise des décisions, il est indispensable que les politiques s'entourent de l'avis des professionnels de terrain : il faut donc développer la pratique des groupes d'experts ;
Le laboratoire dont je m'occupe travaille essentiellement
dans
le domaine du calcul parallèle, c'est-à-dire l'utilisation
d'ordinateurs à plusieurs processeurs ; il n'est donc pas
directement concerné par le domaine des réseaux mais il l'est en
partie, ces ordinateurs travaillant à plusieurs pouvant être
connectés par réseaux ;
1.
Le problème
:
la très grande
méconnaissance de l'infor-matique en France
: sous le terme
informatique, on regroupe des notions extrêmement différentes et
qui n'ont souvent rien à voir entre elles ; cela aboutit
très souvent à la confusion entre
l'informatique
et les
mathématiques
; il est donc tout à fait important
que, dès leur plus jeune âge, les jeunes français puissent
avoir une formation en informatique, tout comme il est nécessaire
d'apprendre l'anglais et les mathématiques ; je milite donc pour
que cette
discipline soit reconnue à part entière
, et,
quand je parle informatique, j'inclus toutes les
technologies de
l'information
;il ne s'agit pas d'apprendre aux élèves
à écrire uniquement des programmes ou à faire des
algorithmes, mais de les sensibiliser au fait qu'il s'agit d'une
création humaine et évolutive ;
On ne peut pas enseigner une discipline sans avoir un minimum de connaissances
dans cette discipline: il faut donc rapidement
créer des
diplômes
correspondant en informatique, au CAPES et à
l'Agrégation ; les efforts allant dans ce sens, chez nous, ne se
font pas dans un cadre assez rigoureux et cohérent: si, depuis peu,
on créé des options en informatique en seconde et en
première, ainsi qu'en terminale, ces programmes sont constitués
de listes de thèmes, ce qui ouvre des possibilités
d'interprétation très variées ; de même, il n'y
a pas de corps professoral désigné pour enseigner.
2. Les solutions
: il faut donc réagir vite, car on ne peut
pas accepter cette démarche. Et plus l'on tarde, plus l'on rend le
problème difficile ; imaginez qu'il y a deux ans, les classes
préparatoires scientifiques françaises n'avaient pas
d'enseignement en informatique : c'est-à-dire qu'à Bac + 2,
les futurs ingénieurs, la future élite scientifique, a 20 ans,
n'avait encore jamais eu d'enseignement d'informatique, ce qui est
inconcevable ;
Très concrètement,
on doit
réserver
une partie des postes ouverts à l'agrégation (par exemple parmi
les 400 de mathématiques) pour recruter des enseignants en
informatique
; il en va de même pour nos nombreux IUT, dont
ceux d'informatique : on ne peut pas nommer de professeurs
agrégés d'informatique car ça n'existe pas. On a tendance
à nommer des agrégés de mathématiques. Donc, si on
laisse les choses mal évoluer, on va creuser un déficit qui va
aller s'amplifiant ;
Enseigner une discipline que l'on connaît mal à des jeunes gens
qui la connaissent mieux est, pour un enseignant, une situation très
difficile : il faut absolument remédier à cette situation en
considérant les sciences et technologies de l'information comme
discipline en tant que telle, et former l'ensemble des jeunes français
à cette discipline ;
Il faut ensuite que l'accès à l'informatique soit
extrêmement large ; ce qui pose le problème des moyens ;
or, ce n'est pas le plus grand des problèmes : il suffit de
libéraliser l'accès à nos nombreuses bibliothèques,
à nos centres de formation au sein des Lycées, tout en les
équipant au mieux bien entendu ; on peut imaginer, à
l'instar des médiathèques et discothèques, des
" informathèques " ;
L'aspect éthique, enfin, est capital ; il faut une approche
éthique de l'utilisation de l'outil ; c'est d'ailleurs l'un de mes
premiers cours actuellement.Rentrer dans le serveur de la CIA ou dans celui de
la BNP, à l'inverse du braquage d'une banque, est trop perçu
aujourd'hui comme un exploit sportif ou intellectuel ; il y a là
vraiment une déformation éthique très grave.Pourquoi ne
pas élaborer une charte informatique qui, à l'instar du serment
d'Hippocrate, engagerait les informaticiens à se comporter
correctement :
2. Les réseaux :
Je suis tout à fait favorable à un accès très
commun aux réseaux informatiques ; mais il faut alors
développer très vite les infrastructures pour que cet
accès de masse se fasse avec des performances raisonnables : si,
à l'heure actuelle, on ouvrait largement l'accès à
Internet, le réseau actuel ne le supporterait pas ;
Il ne faut pas que, dans l'esprit des gens, circulation et accès
à l'information soient synonymes de gratuité, l'aspect coût
restant attaché à l'achat du matériel informatique ;
3. Recherche publique et recherche industrielle
: on souffre
historiquement en France de la séparation entre écoles
d'ingénieurs et Universités ; la plupart des
ingénieurs ou dirigeants d'entreprises sont issus des grandes
écoles ; or, ce n'est que très récemment, une dizaine
d'années, qu'elles se sont équipées de laboratoires de
recherche ; d'où les phénomènes
d'étanchéité avec les entreprises ; il faut donc
développer la mobilité thématique, géographique et
professionnelle des chercheurs, les pousser vers l'industrie, ne pas les
cloisonner toute leur carrière du même organisme. S'il faut des
mesures incitatives, les mesures contraignantes peuvent être
nécessaires : il faut pousser les gens à la
mobilité ; je souhaiterais qu'il y ait une obligation de
mobilité ; en Allemagne par exemple, il est rarissime que quelqu'un
devienne professeur sans avoir effectué une partie de sa carrière
dans l'industrie ;
En
définitive
, le corps politique en France n'a pas assez de
liens avec le domaine de la recherche ; il serait tout à fait
souhaitable que des groupes de travail se réunissent et planchent sur
certains thèmes, à soumettre ensuite aux politiques : il est
essentiel que les professionnels de terrain puissent apporter leur aide dans la
prise des décisions ;