VIII. MERCREDI 20 MARS 1996
- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président.
- La commission a tout d'abord procédé à l'audition de
M. Ivar Ekeland, président de la commission consultative
nationale des instituts universitaires de technologie (IUT) et des instituts
universitaires professionnalisés (IUP), de M. Gilles Raynaud,
vice-président, chargé de la commission IUP, et de
M. Jean-Pierre Finance, vice-président, chargé de la
commission IUT.
Après avoir précisé que la commission consultative
nationale des IUT et des IUP avait été créée en
septembre 1995,
M. Ivar Ekeland
a rappelé que les instituts
universitaires de technologie dispensaient des formations à bac + 2
organisées selon des programmes établis par les commissions
pédagogiques nationales et que la commission nationale des IUT ne jouait
aucun rôle dans l'habilitation de ces formations.
Il a ensuite indiqué que les instituts universitaires
professionnalisés, créés en 1991 pour recruter des
étudiants à bac + 1, comportaient trois années
d'études et que la commission nationale des IUP avait au contraire un
rôle consultatif important en matière d'habilitation des
formations, dont la durée est limitée à quatre ans, et
avait permis d'établir en son sein un dialogue fructueux entre le monde
universitaire et les représentants du monde de l'entreprise. La nouvelle
commission nationale qui coiffe les deux types d'instituts est
constituée de deux sous-commissions reprenant les prérogatives
des commissions antérieures et permet de porter un regard
général sur les enseignements universitaires technologiques et
professionnalisés, ces derniers ayant une vocation d'insertion
professionnelle immédiate.
Cette commission est constituée de présidents
d'université, de directeurs d'IUT et d'IUP et de représentants
des organisations professionnelles d'employeurs, de salariés,
d'enseignants et d'étudiants.
M. Gilles Raynaud
a souligné le caractère
indépendant de cette nouvelle commission et son rôle consultatif
en matière de création d'IUP et d'habilitation des formations,
qui dépendent largement de la demande des branches professionnelles.
La commission a également un rôle de réflexion sur les
filières professionnalisantes qui emprunte notamment la forme d'un
rapport annuel.
M. Adrien Gouteyron, président
, s'est enquis du fonctionnement de
cette commission et du dialogue qui s'y était établi, compte tenu
notamment de sa composition originale.
M. Ivar Ekeland
a souligné la qualité de son
fonctionnement et la contribution fructueuse de ses membres aux arbitrages qui
doivent être rendus dans le domaine des habilitations et de
l'implantation des formations compte tenu, notamment, des perspectives de
débouchés et de stages en entreprise.
Rappelant que la création de cette commission avait suscité des
interrogations, voire des réserves,
M. Jean-Pierre Finance
a
indiqué que cette organisation avait permis de dépasser les
blocages nés d'une problématique spécifique à
chaque type d'institut. S'agissant des IUT, il a évoqué les
problèmes de l'évolution des spécialités, de la
répartition géographique des départements, de la poursuite
du mouvement de dispersion constaté depuis quelques années, des
conditions de création des instituts et de leur articulation avec les
autres filières universitaires ou non, telles les sections de
techniciens supérieurs.
A cet égard, il a rappelé que la création des IUT au
milieu des années 60 avait été considérée
comme susceptible d'entraîner une disparition des STS alors que les
effectifs de ces sections sont aujourd'hui trois fois supérieurs
à ceux des instituts, et a posé la question de la poursuite
d'études des étudiants de ces filières sélectives.
Il a enfin évoqué le problème de la création de
nouveaux diplômes qui permettraient de compléter ces formations
courtes et celui de l'insertion professionnelle des étudiants d'IUT
selon les diverses spécialités.
M. Pierre Laffitte
a observé que cette présentation ne
mentionnait pas le rôle que les collectivités locales pouvaient
jouer dans la définition des formations, a noté qu'un
système d'habilitation qui restait centralisé ne permettrait pas
de prendre en compte les évolutions et les caractéristiques de
l'emploi régional et s'est demandé s'il ne conviendrait pas de
décentraliser les commissions compétentes au niveau de chaque
académie.
Il s'est ainsi interrogé sur le bien-fondé d'une approche
nationale dans le domaine de l'habilitation des formations, d'autant que
celle-ci, en ce qui concerne les IUT, n'était pas limitée dans le
temps, et a souhaité une déconcentration des procédures
pour adapter les enseignements à l'évolution du marché de
l'emploi.
Se fondant sur son expérience personnelle,
M. André
Egu
a évoqué la difficulté de mettre en place des
spécialités nouvelles dans un département d'IUT existant.
Soulignant que les formations créées dans les IUT
répondaient à la demande de la société civile,
M. Daniel Eckenspieller
s'est interrogé sur l'origine des
étudiants admis en IUP et sur le choix du niveau d'études retenu
pour leur recrutement. Il a également souhaité obtenir des
précisions sur les formations dispensées en IUT, sur
l'évolution des effectifs étudiants et sur les perspectives de
développement des filières technologiques et professionnelles.
M. Jean-Pierre Camoin, co-rapporteur,
a rappelé que la
plupart des intervenants entendus par la mission d'information avaient
dénoncé la dérive des IUT et STS qui accueilleraient
désormais une grande part de bacheliers généraux, lesquels
poursuivraient ultérieurement leurs études à
l'université : ces filières d'insertion professionnelle
seraient ainsi détournées de leur vocation initiale, tandis que
les bacheliers technologiques seraient contraints de se tourner vers les DEUG
notamment littéraires. Il a enfin demandé si certaines formations
d'IUP, habilitées en principe pour quatre ans, avaient été
supprimées du fait de leur inadaptation aux besoins actuels des
entreprises.
Rejoignant ces préoccupations,
M. Adrien Gouteyron,
président,
s'est interrogé sur les moyens de faire revenir
les bacheliers technologiques dans les IUT et s'est demandé si la
multiplication des IUP, compte tenu de leur réussite, ne constituait pas
une solution permettant de remédier à l'échec
universitaire.
M. Jean Bernadaux, co-rapporteur,
a demandé si le
recrutement des IUT n'était pas exagérément
sélectif, compte tenu des besoins réels des entreprises et s'est
enquis de la part des différents types de bacheliers dans ces
filières et de leur taux de réussite respectif.
Il s'est également interrogé sur les moyens de développer
une coopération plus étroite entre les filières
universitaires générales et les IUT ainsi que sur le devenir des
étudiants d'IUT en termes de poursuite d'études, d'insertion
professionnelle et d'échec.
M. Jean-Claude Carle
a évoqué le problème de
l'ouverture et de la fermeture des formations technologiques et
professionnelles en rappelant le rôle joué par les élus
dans l'établissement des plans régionaux de formation
professionnelle des jeunes. Il a estimé que l'intervention des
élus en ce domaine était de nature à réduire les
corporatismes qui risquent de bloquer l'évolution des formations
offertes et qu'il convenait de passer d'une logique de moyens à une
logique de besoins en s'inspirant de l'exemple des IUP.
M. André Maman
s'est interrogé sur les modalités
d'admission des étudiants en IUP, sur les moyens de préparer
ceux-ci plus efficacement à ce type de formation, sur les effectifs
étudiants concernés, sur leurs perspectives de réussite et
d'insertion professionnelle et a insisté sur la nécessité
d'instituer des passerelles entre les diverses filières.
Il a enfin souhaité obtenir des précisions sur les
critères d'habilitation retenus par la commission.
Répondant à ces interventions,
MM. Ivar Ekeland, Gilles
Raynaud et Jean-Pierre Finance
ont notamment apporté les
précisions suivantes :
- l'habilitation des formations d'IUT, du fait du statut dérogatoire des
instituts, est accordée directement par le ministre alors que,
s'agissant des IUP, l'avis de la commission est requis ;
- une politique d'habilitation des formations technologiques et
professionnelles doit concilier les exigences de la carte universitaire, le
principe du caractère national des diplômes et la prise en compte
des débouchés locaux : une déconcentration
éventuelle de la procédure ne devrait pas conduire à
écarter un pilotage national des formations ;
- les IUP ont accueilli 22.000 étudiants lors de la dernière
rentrée et enregistrent depuis quelques années un
développement considérable : alors que 21 IUP
existaient en 1991, 170 demandes de créations sont aujourd'hui en
cours d'examen ;
- les IUP sont des composantes de l'université et ne
bénéficient pas, à la différence des IUT, d'un
statut dérogatoire : leur habilitation doit être
appréciée en fonction des débouchés locaux, en
tenant cependant compte des impératifs d'une politique nationale de
régulation ;
- l'efficacité de ces formations en termes d'insertion ne peut
être actuellement appréciée faute d'indicateurs
satisfaisants et un groupe de travail utilisant les informations de la
direction de l'évaluation et de la prospective et du Centre
d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) a
été constitué pour remédier à cette
carence ;
- l'évolution des spécialités est plus aisée dans
les IUP que dans les IUT en raison du caractère quelque peu conservateur
des commissions pédagogiques nationales qui fixent le contenu des
programmes : aucune spécialité d'IUT n'a jamais
été supprimée alors que l'
" évolutivité " des formations apparaît
indispensable ;
- la répartition géographique des départements d'IUT
constitue un problème sensible et résulte de multiples facteurs
locaux : une corrélation devrait cependant être
établie entre les spécialités enseignées et le
tissu économique local, et les IUT sont appelés à jouer un
rôle d'interface entre les structures universitaires et les entreprises,
même s'il convient de faciliter la mobilité des étudiants
au sein des régions ;
- les commissions pédagogiques nationales, généralement
conservatrices, constituent un frein au développement de nouvelles
options d'IUT : il serait souhaitable d'engager des expériences en
ce domaine qui feraient l'objet d'une évaluation au bout de quelques
années ;
- le choix du critère retenu pour l'accès aux IUP (bac + 1)
procède du fait que ces instituts ne relèvent pas du statut
dérogatoire de l'article 33 de la loi de 1984, de
l'impossibilité d'instaurer une sélection à leur
entrée et du souci de ne pas introduire une continuité
d'études avec les IUT qui doivent conserver une vocation d'insertion
professionnelle immédiate ;
- les étudiants des IUP se recrutent notamment parmi les
élèves des classes préparatoires qui n'intègrent
pas les grandes écoles, les étudiants des filières
médicales et pharmaceutiques et, principalement, les étudiants de
DEUG à l'issue de leur première année ;
- les politiques de recrutement des IUT et des IUP devraient être
clarifiées en particulier en distinguant les formations secondaires et
tertiaires, afin notamment de ne pas accréditer l'idée d'un
cursus continu entre ces deux filières qui relèvent d'une
pédagogie et d'une finalité différente, et qui proposent
des enseignements plus ou moins directement inspirés par les
professions ;
- " l'explosion " actuelle des IUP doit s'accompagner d'une
orientation des étudiants et d'un développement de la formation
continue encore trop peu mise en oeuvre au sein de ces instituts ;
- l'université devrait jouer un rôle important dans le
développement de la formation professionnelle et dispose d'atouts en ce
domaine par rapport aux organismes privés ;
- la part des bacheliers généraux dans les IUT, qui, selon une
opinion très répandue, serait excessive, doit être
relativisée selon les filières : si les scientifiques se
partagent à part égale entre les DEUG et les IUT, certains
instituts accueillent plus de 60 % d'étudiants issus des
filières technologiques secondaires alors que l'université
reçoit plutôt des bacheliers C et D ; en revanche, les
" bac G " se tournent vers les filières
générales littéraires où ils sont massivement
condamnés à l'échec ;
- l'orientation des étudiants pourrait être
améliorée en développant une articulation plus
satisfaisante entre l'enseignement secondaire et supérieur : la
participation des enseignants des lycées et des universités
à cette orientation permettrait de pallier les carences des centres
d'information et d'orientation ;
- le passage du lycée à l'université se traduit par des
changements traumatisants pour les jeunes, (contenu des enseignements,
environnement et milieu de vie, méthodes de travail...) et appellerait
une année d'adaptation pour les étudiants ; à cet
égard, les IUP, qui accueillent les étudiants après une
année de DEUG, apparaissent novateurs ;
- les IUP sont appelés à connaître un développement
important car la professionnalisation de leurs enseignements répond
à la demande des branches professionnelles ;
- le caractère sélectif des IUT s'est aujourd'hui sensiblement
réduit du fait notamment d'une désaffection liée à
l' " effet CIP " et du souhait des étudiants de poursuivre
des
études longues : les IUT ont été ainsi contraints de
recourir largement aux listes complémentaires pour utiliser pleinement
leurs capacités ;
- une coopération plus étroite entre universités et
filières sélectives devrait faciliter une réorientation
précoce des étudiants, dans les deux sens, à la condition
que soient mises en place les passerelles nécessaires ;
- l'institution d'une année transitoire d'orientation
post-baccalauréat serait plus opportune que la création de
collèges universitaires ;
- la moitié des diplômés d'IUT poursuivent leurs
études, avec une proportion un peu supérieure pour les formations
tertiaires ;
- l'entrée en IUP se fait sur dossier et les étudiants de ces
instituts enregistrent un taux de réussite élevé en raison
d'un encadrement satisfaisant ;
- la répartition géographique des formations d'IUP résulte
d'un partenariat entre le monde universitaire, les branches professionnelles et
les grandes entreprises mais le ministère chargé de
l'enseignement supérieur, en veillant à la qualité des
formations proposées, joue un rôle essentiel dans les
habilitations ;
- l'université a connu depuis trente ans des changements majeurs,
notamment dans le domaine de la professionnalisation des formations, en
développant des contacts avec les entreprises et les branches
professionnelles, et en répondant avec une bonne volonté
évidente aux besoins exprimés par la société
civile ;
- dans un pays resté jacobin, l'exemple réussi des IUP montre que
l'université française a su évoluer en utilisant les
ressources de l'autonomie et de la décentralisation, et en prenant en
compte les réalités régionales et économiques.
La mission a ensuite procédé à l'audition de
M. Laurent Schwartz
.
M. Adrien Gouteyron, président,
a d'abord rappelé les
fonctions et responsabilités éminentes exercées dans le
passé par M. Laurent Schwartz ainsi que ses propositions
formulées dans un ouvrage fameux " pour sauver l'enseignement
supérieur ".
Répondant à ces propos de bienvenue,
M. Laurent
Schwartz
a indiqué que ses propositions, tirées des travaux
de la commission du bilan, avaient été complètement
ignorées par les ministres chargés, depuis 1981, de
l'enseignement supérieur et étaient jugées quelque peu
" suicidaires " par le ministre actuel, alors que
celles-ci sont
partagées notamment par l'Académie des sciences et le
comité national d'évaluation.
Il a ensuite rappelé que la moitié seulement des
240.000 candidats étaient reçus au DEUG, et a estimé
que cette proportion constituait un échec insupportable pour notre
système universitaire, même si l'on prenait en compte les
réorientations et les inscriptions multiples des étudiants.
Il a ajouté que 105.000 étudiants étaient
reçus en licence, 70.000 en maîtrise, 20.000 en DESS et 25.000 en
DEA, le DEUG et la maîtrise constituant ainsi les barrages les plus
sérieux du cursus universitaire.
Précisant que 8.000 thèses étaient
présentées chaque année, dont 2.000 pour les
étudiants étrangers qui ont, selon lui, vocation à
enseigner dans leur pays d'origine, il a indiqué que 3.000
" thésards " devraient se tourner vers l'enseignement
supérieur, en dépit de la qualité parfois médiocre
de certains de leurs travaux, tandis que 3.000 autres devraient s'orienter
vers les entreprises qui ne manifestent d'ailleurs pas un intérêt
excessif pour ces formations.
Abordant le problème de l'échec massif dans les premiers cycles,
il a souligné le gâchis inacceptable qui en résultait pour
les étudiants, les enseignants et aussi pour les deniers publics.
Il a également estimé que le nombre d'années
consacrées au DEUG devrait être limité afin d'éviter
des gaspillages inutiles et de combattre le dilettantisme de certains
étudiants, lequel se retrouve également parfois dans les
troisièmes cycles.
Afin de remédier à cet échec, il a rappelé qu'il
préconisait depuis 1961 une sélection dans l'enseignement
supérieur qui pourrait être acceptée par l'opinion à
condition d'engager une concertation et une véritable information
notamment en direction des bacheliers " moyens " et
technologiques
qui sont recalés aussi bien dans les STS que dans les premiers cycles
universitaires.
S'interrogeant sur les causes de cet échec massif, il a rappelé
que la loi Savary de 1984, en posant le principe du libre accès des
bacheliers dans l'enseignement supérieur, sans tenir compte des
capacités des élèves, était scrupuleusement
appliquée par les tribunaux administratifs qui condamnent
régulièrement toute initiative tendant à instituer une
sélection des étudiants.
Il a pour sa part estimé que si tout bachelier disposait du droit
d'entrer à l'université, ce droit n'impliquait pas un libre choix
des filières, sauf à laisser s'exercer une sélection
dangereuse par l'argent ou par l'échec, qu'il a opposée à
une sélection démocratique et organisée.
Il a indiqué que l'orientation était entendue par les
étudiants comme une sélection et que les déclarations
gouvernementales conduisant à écarter toute idée de
sélection bloquaient toute perspective de négociations et de
concertation sur le sujet, sauf à précipiter les étudiants
dans le rue, ceux-ci étant justement inquiets devant la menace du
chômage.
Il a ensuite rappelé que l'enseignement supérieur était
régi pour 60 % de ses formations par un système
sélectif (classes préparatoires, grandes écoles, IUT,
STS...) et qu'une sélection géographique particulièrement
néfaste était pratiquée également par les
universités françaises, à laquelle on peut opposer la
mobilité constatée dans les pays étrangers où les
étudiants bénéficient d'un système de bourses
adaptées à leurs ressources.
Il a par ailleurs estimé que les premiers cycles devraient être
diversifiés selon les aptitudes des étudiants qui devraient
être orientés de manière plus ou moins directive selon leur
niveau, après avoir bénéficié d'une information
satisfaisante.
Rappelant que les antennes universitaires s'étaient
considérablement développées au cours des dernières
années, parfois de manière sauvage sans que le ministère
ait été associé à leur création, il a
d'abord souligné l'intérêt de cette formule
(proximité des formations et démocratisation de l'enseignement
supérieur dans les villes moyennes, encadrement satisfaisant
assuré par les enseignants de l'université de rattachement,
grande motivation et meilleure réussite des étudiants). Il a
cependant dénoncé les inconvénients de la
généralisation de ces antennes (éventail étroit des
matières proposées et concentrées pour l'essentiel sur le
droit et les sciences économiques, étudiants captifs de ces rares
disciplines, pléthore de DEUG de droit inadaptés aux besoins
locaux...).
Condamnant les dérives et le développement excessif des antennes
universitaires, il a préconisé la création de
collèges ou d'instituts universitaires de premier cycle relevant de
l'université et qui proposeraient un éventail de disciplines
suffisamment large (droit, lettres, sciences...) dans l'ensemble des villes
universitaires, y compris dans les grandes, pour accueillir sans
sélection notamment les étudiants de DEUG actuellement en
situation d'échec.
Dans cette perspective, le programme actuel des DEUG pourrait être
allégé et orienté vers une formation plus
appliquée : ce diplôme préparé dans les
collèges universitaires abandonnerait sa finalité actuelle qui
est de préparer les étudiants à des études longues.
Parallèlement, il a préconisé la création d'un
autre type de DEUG plus sélectif et orienté vers les disciplines
fondamentales pour les étudiants susceptibles de poursuivre des
études longues, en indiquant qu'un système de passerelles devrait
être institué avec le DEUG de collège.
Cette diversification serait, selon lui, de nature à améliorer le
taux de réussite dans les premiers cycles, ainsi qu'en licence et en
maîtrise et s'inspire par ailleurs du système américain de
sélection, qui apparaît particulièrement
démocratique puisqu'il prévoit des formations de rattrapage pour
les élèves de l'enseignement secondaire dont le niveau est
très faible.
Constatant l'insuffisance des connaissances des bacheliers d'aujourd'hui, il a
estimé qu'une sélection était indispensable pour
remédier à l'échec universitaire, la création des
collèges universitaires devant s'accompagner par ailleurs d'un
développement du système des bourses pour remédier
à l'actuelle sélection géographique et d'un contrôle
strict des universités de rattachement sur le niveau des
étudiants des collèges universitaires, dont les meilleurs
pourraient accéder aux filières longues.
Il a également indiqué que le système de sélection
organisé aux Etats-Unis comportait un recrutement des meilleurs
élèves des high schools par d'anciens diplômés
bénévoles des grandes universités et une
préparation de ceux-ci à l'entrée dans les
établissements universitaires les plus renommés.
A l'issue de cet exposé, un large débat s'est engagé.
M. André Maman
a précisé que les universités
américaines, comme celle de Princeton, envoyaient des " missi
dominici " sur l'ensemble du territoire en organisant une
répartition des étudiants par Etat et utilisaient largement le
bénévolat de leurs anciens diplômés. Il a
ajouté que le niveau de l'enseignement secondaire américain
devait être apprécié en tenant compte de l'excellence du
secteur privé et des quelque trente écoles françaises dont
les bacheliers pouvaient aisément accéder à
l'université.
Il a rappelé que si le coût des études supérieures
était très élevé aux Etats-Unis, celui-ci
était compensé par un système de bourses très
développé.
Il a enfin indiqué qu'il était favorable à un
système universitaire plus largement financé par les
étudiants et leurs familles ainsi qu'à une sélection
organisée des étudiants à l'entrée à
l'université, cette perspective supposant cependant une évolution
radicale des mentalités de notre pays.
M. Jean-Pierre Camoin, co-rapporteur,
a exprimé sa
perplexité devant l'attitude et les réticences des universitaires
et de leurs syndicats face au changement, notamment s'agissant de la
sélection et de la création éventuelle de collèges
universitaires. Il s'est par ailleurs interrogé sur la
nécessité de maintenir une recherche universitaire dans les
premiers cycles.
M. Adrien Gouteyron, président,
a demandé si les
collèges universitaires dont la création avait été
évoquée seraient dotés d'enseignants-chercheurs.
Répondant à ces interventions,
M. Laurent Schwartz
a
notamment apporté les précisions suivantes :
- les changements nécessaires se heurtent en France à une
véritable sclérose de l'Etat et de la société ;
- les réticences des universitaires à l'égard du
changement résultent notamment du fait que leur carrière
dépend de leur activité de recherche : si
l'université française a conservé un niveau convenable en
matière de recherche, c'est sans doute, dans une certaine mesure, parce
que les enseignants-chercheurs ont négligé leur mission
d'encadrement des étudiants ;
- en Grande-Bretagne, au contraire, tous les étudiants sont
" tutorisés " par des enseignants qui consacrent pourtant
une
partie de leur temps à des travaux de recherche ;
- la loi de 1984 sur l'enseignement supérieur a multiplié les
instances et les procédures délibératives, les
tâches administratives des présidents d'université et a
augmenté les heures de cours peu gratifiantes pour les
enseignants-chercheurs dans des premiers cycles de plus en plus
hétérogènes ;
- les syndicats de l'enseignement supérieur ne sont pas
représentatifs et continuent à s'opposer à toute
idée de sélection ;
- le nombre de professeurs agrégés de l'enseignement secondaire
(PRAG) est trop élevé dans le supérieur du fait de
recrutements massifs intervenus au cours des dernières
années ;
- les premiers cycles de collège universitaire devraient être
encadrés par des enseignants-chercheurs, dont quelques uns
maintiendraient une certaine activité de recherche, et des professeurs
agrégés du secondaire, à l'exclusion des professeurs
certifiés.
· Jeudi 28 mars 1996
- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président. - La
mission a d'abord procédé à
l'audition de M.
Alain Minc.
M. Alain Minc
a remarqué à titre liminaire que notre
système universitaire avait, contrairement à une opinion trop
répandue, surmonté dans des conditions convenables le choc
démographique des dernières décennies et a estimé
que l'université, contrairement au secteur de la protection sociale,
avait sans doute davantage évolué que la société
française au cours des années récentes.
Il a cependant souligné que ce système universitaire restait
fondé sur une extraordinaire hypocrisie en matière de
sélection puisqu'il apparaissait à la fois comme le plus ouvert
pour l'entrée à l'université et le plus sélectif du
monde, à l'exception peut-être du Japon, pour l'accès aux
grandes écoles qui fournissent les quelque 30 à
40.000 cadres ou dirigeants nécessaires au fonctionnement de la
société française. Il a constaté que la France
avait laissé dériver son système universitaire sans poser
le problème du processus de sélection des étudiants.
Toute revalorisation de la filière technologique et professionnelle
supérieure est vouée par ailleurs, selon lui, à
l'échec, si le passage par l'enseignement général reste,
à un moment donné, la voie obligée pour parvenir aux
diplômes les plus élevés et si un cursus spécifique
et continu conduisant jusqu'aux grandes écoles n'est pas
organisé. Afin de conférer une noblesse propre à cette
filière et de diversifier l'actuel monopole culturel de nos
élites,
M. Alain Minc
a préconisé qu'un
certain quota soit réservé aux diplômés de la
filière technologique et professionnelle pour l'accès aux grandes
écoles d'ingénieurs.
Il a cependant indiqué que cette suggestion, qu'il avait
récemment proposée aux plus hauts responsables de l'Etat,
s'était heurtée à l'opposition du lobby des grandes
écoles, et notamment de l'Ecole polytechnique. Il a ensuite
estimé que l'opinion ne mesurait pas suffisamment les changements
intervenus depuis quelques années dans l'université et qui se
sont traduits notamment par la création de formations
spécialisées, de nouveaux DESS et de nouvelles filières
sélectives qui soutiennent la comparaison avec les enseignements
correspondants dispensés dans les grandes écoles et dans les
universités étrangères.
Abordant enfin les conséquences de la démocratisation du
baccalauréat, il a observé que celle-ci résultait
davantage de la dynamique de notre système éducatif et
universitaire que de la seule initiative d'un ministre et a regretté que
ce mouvement, qui apparaît désormais irréversible, ait
conduit à " survaloriser " le poids de la filière
générale dans notre système éducatif et à
placer notre système universitaire dans une impasse.
Compte tenu du libre accès à l'université, l'objectif des
80 % de bacheliers pour une classe d'âge aboutit
nécessairement à retarder le " vrai "
baccalauréat de deux ans, soit à l'issue du premier cycle
universitaire, la logique de ce système conduisant en outre à
envisager la création de collèges universitaires et la mise en
place d'un processus d'orientation sélective à l'issue d'une
période de type propédeutique.
S'agissant des étudiants en situation d'échec universitaire, il a
estimé préférable que ceux-ci s'insèrent dans la
vie professionnelle à un niveau bac + 2, alors qu'aujourd'hui un
diplômé à bac + 5 sur trois, soit
100.000 étudiants, est contraint d'accepter un emploi
sous-qualifié et sous-rémunéré par rapport à
son niveau de formation.
A l'issue de cet exposé général, un large débat
s'est instauré.
M. Adrien Gouteyron, président,
est convenu que notre
système universitaire avait en effet démontré ses
facultés d'adaptation, même si celui-ci était " en
deçà de ce qu'il devrait être ".
Il a cependant estimé qu'un système instituant une
sélection à bac + 2 risquerait de se heurter à
l'opposition des étudiants les plus modestes et de leurs familles qui
engagent des efforts considérables pour envoyer leurs enfants à
l'université.
Il a également exprimé la crainte que la mise en place d'un
cursus permettant à des diplômés des filières
sélectives courtes d'accéder aux grandes écoles
entraîne une modification profonde du programme et de la vocation des IUT.
Il s'est par ailleurs interrogé sur les modalités d'un
système non sélectif permettant d'éviter l'afflux
d'étudiants vers des filières sans débouchés,
telles les filières sportives, et sur les moyens d'orienter les
étudiants, sans les éliminer, de notre système
universitaire.
Il a enfin demandé si les collèges universitaires
évoqués devraient être créés au sein de
l'université ou faire l'objet d'une organisation spécifique.
M. André Maman
a rappelé que le système
universitaire américain, en dépit de son caractère
sélectif, était particulièrement démocratique et
s'est interrogé sur les possibilités d'instaurer en France des
procédures d'orientation sélective entre les filières,
afin de réduire les gaspillages humains engendrés par
l'échec universitaire, et sur les modalités d'une
sélection à l'issue des premiers cycles.
Il a ajouté que de véritables " orienteurs " devraient
être mis en place dans les lycées, a souligné le rôle
des parents dans le processus d'information et a demandé s'il ne serait
pas souhaitable d'augmenter la participation des étudiants et des
familles au financement des études supérieures.
M. Ivan Renar
s'est interrogé sur les risques d'une
conjugaison des phénomènes d'implosion des banlieues et
d'explosion des universités, compte tenu notamment des perpectives
limitées d'insertion professionnelle et sociale des étudiants, et
a estimé qu'aucun discours sérieux n'avait jamais
été tenu à ces derniers qui assimilent le plus souvent
l'orientation à la sélection.
Il a souligné la difficulté de dialoguer avec un monde
étudiant qui reste peu structuré et peu syndiqué, alors
qu'un débat serait nécessaire, notamment avec les
représentants des entreprises.
Il a cependant estimé que les propositions quel que peu provocatrices
émises, en dépit de leur caractère roboratif
indéniable, n'étaient sans doute pas de nature à faciliter
l'organisation d'un tel débat avec les étudiants.
Il a enfin rappelé que la sélection était d'autant plus
brutale qu'elle était inorganisée et a souhaité qu'un
véritable dialogue social s'établisse avec les étudiants
sur les notions d'orientation et de promotion, l'absence de perspectives en
matière d'insertion professionnelle et sociale, notamment pour les
victimes de l'échec universitaire, contribuant pour une large part
à désintégrer davantage la société
française et à la fragiliser.
M. Jean-Pierre Camoin, co-rapporteur,
a déclaré partager
pour une grande part l'analyse faite de la situation de notre enseignement
supérieur, notamment concernant son efficacité et ses
résultats qui sont trop souvent ignorés de l'opinion.
Il a observé que les propositions avancées tendaient à
prolonger de deux ans la formation des lycéens, pour un coût
inférieur à celui de l'enseignement secondaire, et permettraient
de sélectionner naturellement les étudiants à l'issue de
deux années de type propédeutique.
Il a cependant souligné que les étudiants favorisés de
premier cycle, qui bénéficient d'une information
privilégiée, s'orienteront plus utilement et plus aisément
que les autres et s'est interrogé sur les réticences du corps
professoral concernant une dissociation éventuelle des premiers cycles
de l'ensemble du cursus universitaire, le rétablissement d'une
propédeutique et la création de collèges universitaires,
notamment dans les villes moyennes.
M. Jean-Claude Carle
a souligné les conséquences sociales
résultant de la situation de notre université ainsi que les
implications financières qui résulteraient d'un report de deux
ans de l'orientation des étudiants. Il a estimé qu'il
était difficile de modifier le régime des diplômes comme le
baccalauréat ou même le BTS, dont la réforme vient
d'être abandonnée.
Il a jugé nécessaire de renforcer les filières
technologiques et professionnelles afin de favoriser l'insertion
professionnelle des diplômés et de réduire les frustrations
des étudiants qui se tournent vers des formations inadaptées aux
besoins des entreprises.
Il a enfin estimé que l'orientation des élèves devrait
être engagée dès le collège.
Répondant à ces interventions,
M. Alain Minc
a notamment
apporté les précisions suivantes :
- le rôle du baccalauréat dans l'imaginaire collectif, et son
caractère intangible, s'opposent à toute politique d'orientation
efficace, voire de sélection, lors de l'entrée à
l'université ;
- l'expérience de deux années d'études acquise par les
étudiants dans les collèges universitaires permettrait sans doute
de leur faire accepter la nécessité d'une orientation plus
sélective ;
- la situation des diplômés à bac + 5, à qui sont
proposés des contrats de travail à durée
déterminée, largement financés par des aides à
l'emploi et rémunérés à 80 % du SMIC,
apparaît plus explosive et plus dramatique que celle des étudiants
à bac + 2 en situation d'échec universitaire ;
- il convient d'expliquer aux étudiants, ce qui n'a pas
été fait dans l'affaire du CIP, que le niveau du salaire
d'embauche se justifie par la nécessité pour les entreprises de
prendre en charge la formation complémentaire des
diplômés ;
- les étudiants apparaissent comme une force sociale fugitive et sont
représentés de manière peu satisfaisante, leurs
problèmes s'exprimant en conséquence nécessairement sous
la forme de débats de société ;
- il est nécessaire que les responsables adressent aux jeunes un
discours non démagogique, en évitant de leur affirmer, par
exemple, que l'accès des bacheliers à l'université est un
droit absolu ;
- le système sélectif (classes préparatoires et grandes
écoles) est plus égalitaire et plus favorables aux
élèves doués d'origine modeste que les filières
générales non sélectives et constitue la dernière
voie d'ascension sociale : les filières universitaires de
troisième cycle sont en revanche plus inégalitaires et
confèrent un avantage aux étudiants privilégiés,
notamment du fait de leur niveau culturel et de leur " capital
relationnel " ;
- les représentants syndicaux du monde éducatif ont
profondément évolué sur les problèmes de
l'enseignement supérieur même si leurs discours officiels n'en
portent pas encore témoignage ;
- le système de sélection des professeurs d'université les
conduit à choisir d'enseigner dans des formations longues plutôt
que dans les premiers cycles ;
- les voies d'accès parallèles aux grandes écoles
devraient déboucher sur des concours adaptés afin de ne pas
" rétroagir " sur le contenu et la vocation des
enseignements
technologiques dispensés dans les filières sélectives
courtes ;
- l'information des bacheliers, si elle peut faciliter la libre décision
d'orientation des étudiants, ne constitue qu'une réponse
partielle au problème général de l'orientation dans
l'enseignement supérieur ;
- une sélection démocratique et organisée pour assurer
l'égalité véritable des jeunes conduirait
inévitablement à remettre en cause des institutions comme celle
du collège unique ;
- l'augmentation éventuelle des droits d'inscription universitaires
devrait d'abord viser les étudiants des troisièmes cycles qui
sont issus à 90 % des classes aisées et qui
bénéficient actuellement d'une véritable rente de
situation ;
- toute réforme de notre système éducatif et toute
cogestion de ce système supposent l'existence d'interlocuteurs
représentatifs ;
- la refonte de notre système de défense devrait fournir
l'occasion de remplacer les garnisons implantées dans les villes
moyennes par des collèges universitaires, mais il serait absurde de
développer des filières à bac + 4 dans les petites
villes ;
- la dissociation des professeurs d'université et des enseignants des
collèges de premier cycle paraît, à terme,
inéluctable.
La mission a ensuite procédé à
l'audition
de
M.
Dimitri Lavroff, professeur à l'Université de Bordeaux I,
président de la commission sur l'évolution du premier cycle
universitaire.
Dans une déclaration liminaire,
M. Dimitri Lavroff
a
rappelé qu'il avait été chargé par le
précédent ministre de l'enseignement supérieur et de la
recherche d'une mission consistant à examiner l'organisation des
premiers cycles universitaires, la place des enseignants du second degré
qui sont appelés à y enseigner et les perspectives d'avenir de
ces premiers cycles.
Il a ensuite indiqué que, contrairement à une idée
reçue, les professeurs d'université de rang A continuaient
d'assurer la plus grande part des enseignements de premier cycle, notamment en
médecine et en droit, mais dans une moindre mesure dans des disciplines
comme les sciences, les lettres et les sciences humaines, et a estimé
que l'abandon de ce principe serait regrettable.
Abordant les raisons du dysfonctionnement des premiers cycles, il a d'abord
rappelé que 40 à 50 % des étudiants échouaient
en première année et environ 40 % pour l'ensemble des deux
années.
Il a remarqué que ce taux d'échec trop important résultait
d'une augmentation considérable du nombre des étudiants, et d'une
baisse du niveau moyen de leurs connaissances, la moitié des
étudiants n'étant pas en mesure, selon lui, de poursuivre un
enseignement supérieur de nature abstraite. Evoquant l'enquête
comparative effectuée entre des élèves des
années 20 et des élèves d'aujourd'hui, il a
souligné que les résultats révélaient une
détérioration des connaissances de base qui témoignait de
la mauvaise adaptation d'une grande part des bacheliers aux études
supérieures de type classique, d'autant que les meilleurs d'entre eux se
tournaient vers les filières sélectives.
Il a ensuite considéré que les mesures récentes prises en
faveur de l'enseignement supérieur pour augmenter le nombre des
professeurs, créer des universités nouvelles ou accroître
le montant des bourses n'étaient pas de nature à résoudre
les problèmes posés et contribueraient même à les
aggraver, et a suggéré que les moyens nouveaux
dégagés soient plutôt affectés à la
création de nouvelles formations adaptées au profil des
élèves du secondaire : il a rappelé à cet
égard que les bacheliers professionnels n'avaient pas vocation à
s'engager dans des études supérieures et que les bacheliers
technologiques n'avaient que peu de chances de suivre avec succès des
filières universitaires classiques.
Il a cependant estimé que la crise actuelle de l'enseignement
supérieur lui paraissait conjoncturelle et que des solutions
étaient envisageables pour y remédier à condition
d'innover en se gardant de toute approche idéaliste et
égalitaire : dans cette perspective, et afin de ne pas rejeter un
trop grand nombre de jeunes d'un système quelque peu figé,
notamment dans des disciplines classiques qui requièrent les mêmes
qualités qu'autrefois (médecine, droit, sciences...), il convient
de créer des formations adaptées aux capacités des
élèves et aux besoins de la société contemporaine.
Au lieu d'un nouveau plan général de réforme de notre
enseignement supérieur, il a ainsi préconisé des mesures
ponctuelles, applicables dès la prochaine rentrée, et
susceptibles d'être étendues en fonction des besoins.
Selon lui, des actions incitatives, pragmatiques et modestes devraient
rapidement être engagées pour mettre en place des formations
technologiques dans une perspective de décentralisation et d'innovation.
A l'issue de cet exposé général, un large débat
s'est engagé.
M. Adrien Gouteyron, président,
a exprimé son accord avec
la démarche proposée par M. Dimitri Lavroff et a
souhaité que ses propositions se trouvent rapidement
concrétisées.
S'agissant de la nécessaire diversification des formations
supérieures, il a ensuite cité des indications
particulièrement significatives, tirées du rapport de la
commission sur l'évolution du premier cycle universitaire et portant
notamment sur les taux de réussite, de réorientation et
d'échec selon les spécialités des baccalauréats,
ces pourcentages confirmant en particulier l'importance de l'échec
universitaire et des réorientations pour les bacheliers technologiques
industriels et tertiaires.
Il a ensuite insisté sur la nécessité d'entreprendre des
expériences pédagogiques suffisamment nombreuses pour que
celles-ci aient un effet d'entraînement et sur le rôle d'impulsion
de l'Etat en ce domaine, et il a observé que l'expérimentation
pouvait être également, pour les responsables, une façon
d'éluder leurs responsabilités et de différer leurs
décisions.
Il a également rappelé les expérimentations lancées
par l'Université nouvelle de Marne-la-Vallée en matière
d'organisation de l'année universitaire, dans le but de réduire
l'échec dans les premiers cycles, s'est demandé s'il ne convenait
pas de communiquer les résultats des diverses filières selon les
divers types de baccalauréat à l'ensemble des bacheliers et de
prolonger les filières technologiques courtes, les IUT pouvant
être considérés, dans cette hypothèse, comme des
universités thématiques.
Il a par ailleurs exprimé la crainte que la mise en place d'un cursus
permettant aux diplômés d'IUT d'accéder aux grandes
écoles conduise à une modification du contenu de la formation et
de la vocation de ces instituts.
Il s'est demandé si le cadre législatif actuel autorisait un
développement autonome des premiers cycles et si des mesures incitatives
pourraient être proposées aux enseignants afin que ces derniers
continuent ou choisissent d'exercer en premier cycle.
Il a enfin estimé que le recours à une plus grande autonomie des
universités risquait d'être entendu par les étudiants comme
une atteinte portée au principe d'égalité entre les
établissements.
Commentant les propositions émises par M. Dimitri Lavroff dans son
rapport,
M. Jean-Pierre Camoin, co-rapporteur,
s'est enquis des
modalités pratiques d'une orientation des lycéens et des
étudiants et de la mise en place de passerelles dans les cursus du
premier cycle, du rôle des collectivités locales dans la
création et le fonctionnement des sites universitaires et de
l'institution éventuelle de collèges universitaires. Il s'est
interrogé sur la nécessité du maintien du caractère
universitaire des premiers cycles et des activités de recherche et sur
la place respective des diverses catégories de personnels qui sont
appelés à y enseigner.
Il a souhaité obtenir des précisions sur la nécessaire
diversification des filières, sur l'articulation des premiers cycles
généraux avec les IUT et les IUP, sur les diverses fonctions des
premiers cycles, sur une éventuelle différenciation des DEUG et
sur la création d'une filière technologique non sélective
dans les collèges d'enseignement supérieur.
Il s'est interrogé sur les moyens d'assurer un décloisonnement
entre enseignement secondaire et supérieur, sur la vocation des antennes
universitaires à accueillir des formations professionnalisées, et
sur les conditions d'une délocalisation réussie pour les premiers
cycles généraux. Il a enfin demandé si la réforme
des premiers cycles devait nécessairement s'inscrire dans une
réforme plus globale de l'enseignement supérieur, s'il
était concevable d'envisager un cursus permettant aux
diplômés d'IUT d'accéder aux grandes écoles
d'ingénieurs, s'il était souhaitable d'instituer un directeur
pour les premiers cycles dans chaque université, et si l'image embellie
de la vie universitaire véhiculée par certaines séries
télévisées n'étaient pas, pour une part, à
l'origine d'une certaine désillusion des étudiants.
M. Jean-Claude Carle
est convenu que l'augmentation des moyens
budgétaires affectés à l'enseignement supérieur
n'est pas le moyen de résoudre les problèmes posés. Il a
demandé si le cadre législatif et réglementaire qui
régissait actuellement l'université permettait d'engager la
politique évoquée en matière d'orientation, de
décentralisation et d'expérimentation, et a souligné le
nécessaire rôle de coordination de l'Etat en ce domaine.
M. André Maman
a rappelé que les universités
américaines étaient d'un niveau très différent, a
noté que leurs étudiants enregistraient un taux d'échec
très limité et a estimé qu'un classement des
établissements universitaires était inévitable.
Il a également souligné la nécessité de
développer des contacts personnels entre les enseignants et leurs
étudiants et s'est enquis de la coopération existant entre
présidents d'université, notamment pour confronter leurs
expériences pédagogiques.
Il a enfin estimé que l'entrée à l'université
n'était pas un droit absolu et qu'il convenait de faire participer les
étudiants au financement de leurs études en développant un
système de bourses adapté à leurs ressources.
Répondant à ces interventions,
M. Dimitri Lavroff
a
notamment apporté les précisions suivantes :
- le cadre réglementaire existant permettrait de développer
à titre expérimental des DEUG technologiques qui seraient ensuite
habilités par le ministère ;
- le niveau académique ou régional constitue le meilleur
échelon pour engager de telles expériences qui ne devraient
cependant pas systématiquement être choisies en fonction des
besoins de l'économie locale ou régionale ;
- les régions devraient être associées à la
définition de ces expérimentations sans toutefois avoir la
tentation d'exercer une quelconque " co-responsabilité "
dans
les formations dispensées ;
- les projets de formation devraient être soumis au ministère et
faire l'objet d'une évaluation au bout de trois années de mise en
oeuvre ;
- une expérience de DEUG portant sur un nombre d'étudiants trop
réduit n'aurait pas de signification et les projets de formation
devraient concerner plusieurs régions ;
- l'existence de quelque 90 universités et des vingt-deux régions
devrait permettre d'étendre les expérimentations à
l'ensemble du territoire en diversifiant les objectifs recherchés ;
- l'orientation des élèves devrait intervenir d'abord en classe
de seconde et permettre de repérer les élèves susceptibles
de suivre des études supérieures de caractère
abstrait ;
- une deuxième orientation s'effectuerait à l'issue de la
terminale, au moyen de fiches d'information et d'entretiens
individualisés et serait officialisée dans le carnet scolaire des
élèves, qui n'est malheureusement pas transmis à
l'université ;
- une réorientation pourrait intervenir au milieu de la première
année de premier cycle, ceci supposant des possibilités de
réorientation vers des DEUG technologiques non sélectifs ;
- l'organisation d'une année universitaire par semestres pourrait
constituer une solution satisfaisante pour certaines disciplines mais ne
saurait être généralisée : un échec
constaté en première année de médecine devrait
ainsi justifier une réorientation ;
- la diffusion des résultats des étudiants par disciplines selon
les types de baccalauréat est de nature à dissuader les
bacheliers technologiques d'emprunter des filières qui leur sont
inadaptées ;
- la réduction des besoins d'encadrement des entreprises, au profit des
techniciens supérieurs, impose de développer les formations
correspondantes en liaison avec les collectivités locales et les
organisations d'employeurs et de salariés dans le cadre d'une instance
académique ou régionale ;
- la création des antennes universitaires a répondu à une
nécessité sociale et à l'intérêt des villes
moyennes et a permis de démocratiser l'accès à
l'enseignement supérieur en permettant à des communes de
conserver leur population jeune ;
- les antennes universitaires ne devraient accueillir que des étudiants
de premier cycle : une université de plein exercice a en effet besoin
d'un environnement diversifié (bibliothèques, activités
culturelles) pour fonctionner de manière satisfaisante ;
- les nouveaux sites technologiques devraient être non sélectifs
et utiliser les ressources de l'alternance et de l'apprentissage ;
- l'encadrement et la direction des premiers cycles devraient être
assurés par des professeurs de rang A, en petit nombre :
l'utilisation des professeurs agrégés de l'enseignement
secondaire apparaît inévitable dans les sites universitaires
décentralisés, mais leur nombre doit être limité
dans certaines disciplines, même si leur coût est moins
élevé que celui des enseignants-chercheurs ;
- il conviendrait de développer des filières mixtes
résultant de la juxtaposition de deux disciplines, afin de
répondre aux besoins des entreprises ;
- si les IUT ont connu depuis leur création une grande réussite,
ils sont aujourd'hui confrontés au phénomène de la
poursuite des études supérieures, notamment de la part des
meilleurs lycéens qui abandonnent ultérieurement les
filières technologiques ;
- il serait illusoire d'interdire la poursuite d'études aux
étudiants des IUT, comme l'a montré l'exemple d'une circulaire
récente : la liaison entre ces instituts et les IUP doit être
développée, comme d'ailleurs la transformation de certains IUT en
écoles d'ingénieurs ;
- la création d'universités thématiques, notamment
orientées vers la technologie, participe d'une diversification des
formations supérieures ;
- l'idée d'un cursus entre IUT et grandes écoles
d'ingénieurs supposerait une formation scientifique et
générale plus abstraite de leurs étudiants ;
- la réussite des antennes universitaires est subordonnée
à une diversification des formations proposées, tant
générales que technologiques ;
- l'autonomie des premiers cycles permet d'envisager leur réforme sans
tenir compte de l'évolution future des deuxième et
troisième cycles : leur spécificité justifierait (en
dépit des résistances des présidents d'université)
d'envisager la création d'unités de formation et de recherche de
premier cycle qui seraient dotées d'un directeur ;
- des primes pédagogiques sont déjà prévues pour
inciter les professeurs à enseigner en premier cycle, mais n'ont pas eu
pour effet d'y faire venir les meilleurs ;
- les PRAG ont vocation à rester affectés, sauf pour certaines
formations complémentaires, dans les premiers cycles ;
- le développement de l'autonomie des universités doit se
concilier avec le maintien du caractère national des
diplômes ;
- la modulation des droits d'inscription devrait relever, ainsi que
l'attribution des bourses, de la compétence des universités et
être complétée par un développement du
système des prêts aux étudiants.
IX. MERCREDI 17 AVRIL 1996
-
Présidence de M. Adrien Gouteyron,
président
. -
La mission a d'abord procédé
à
l'audition
de
M. Roger Fauroux, président de la
commission chargée d'une mission de réflexion sur le
système éducatif.
A titre liminaire,
M. Roger Fauroux
a précisé que la
démarche suivie par sa commission était tout à fait
distincte de celle engagée par le ministre avec les états
généraux de l'université.
S'agissant des premiers cycles, il a constaté que de nombreux nouveaux
étudiants accédaient à l'université dans un
état de dénuement culturel qui les rend inaptes à suivre
un enseignement supérieur, notamment dans les DEUG littéraires,
mais aussi scientifiques. La prise en compte de cette situation commande de
réfléchir à la mise en place d'une année de
transition entre le lycée et l'université en proposant aux
étudiants une remise à niveau " culturelle ", en leur
dispensant des cours d'initiation par groupe de disciplines qui leur
permettraient par ailleurs éventuellement de reconsidérer leur
orientation initiale, ainsi qu'en leur fournissant des outils
méthodologiques spécifiques pour bâtir leur projet
universitaire. Il a rappelé que des expériences avaient
déjà été engagées en ce domaine par
plusieurs universités et que celles-ci mériteraient d'être
étendues, ce qui suppose un renforcement de l'encadrement des DEUG, qui
est aujourd'hui très insuffisant, en utilisant notamment des professeurs
agrégés de l'enseignement secondaire (PRAG), ces derniers ayant
selon lui les qualités requises pour dispenser une formation aussi large
que possible, sous réserve que leur statut soit adapté et que les
premiers cycles ne s'en trouvent pas " secondarisés "pour
autant. Il a estimé que ce recours aux PRAG s'impose du fait de la
faible participation des professeurs d'université au fonctionnement des
premiers cycles, à l'exception notable cependant des filières
juridiques. Il a ensuite insisté sur la nécessité d'une
organisation rénovée de la première année
universitaire selon des séquences trimestrielles ou semestrielles,
permettant notamment des réorientations rapides entre les
filières. Il a également dénoncé l'état
désastreux des bibliothèques universitaires, auxquelles ne
peuvent accéder les étudiants des premiers cycles.
Il a par ailleurs évoqué la possibilité de créer
des filières technologiques courtes non sélectives dans les
premiers cycles, alors que les Instituts universitaires de technologique (IUT)
et les Sections de techniciens supérieurs (STS) ont été
détournés de leur vocation professionnelle et accueillent
désormais les meilleurs lycéens qui poursuivent ensuite des
études générales ; il a ainsi préconisé
une plus grande ouverture de ces filières sélectives aux
élèves moyens qui sont contraints aujourd'hui de se tourner vers
les DEUG.
S'agissant de l'orientation, il a indiqué que les étudiants
étaient opposés à cette idée qui est
assimilée à celle de la sélection mais a rappelé
que près du quart de notre système d'enseignement
supérieur était constitué de filières
sélectives ; les grandes écoles accueillent notamment
4 % des étudiants et bénéficient de 20 % des
moyens affectés à l'enseignement supérieur tandis que les
autres filières générales pratiquent une sélection
anarchique et sauvage par l'échec, le devenir des laissés pour
compte de l'université restant largement inconnu.
Il a estimé que l'importance de l'échec universitaire, qui est
source de frustrations et de gaspillage financier, appelait d'abord un
renforcement de l'orientation dans les établissements d'enseignement,
fondé sur une information sur les débouchés et les chances
de réussite des bacheliers dans les diverses filières, les
professeurs principaux, convenablement formés, étant
appelés à jouer un rôle privilégié dans cette
information des élèves. Il a néanmoins souligné le
caractère innovateur de notre système éducatif qui a
lancé des expériences intéressantes dans le domaine de
l'orientation, permettant notamment de cerner la personnalité des
élèves et de définir un projet individuel de formation.
A l'issue de cet exposé, un large débat s'est engagé.
M. Daniel Eckenspieller
a noté le réalisme de la
proposition qui consisterait à remettre à niveau les nouveaux
étudiants mais a fait observer que cette remise à niveau
s'imposait également à tous les stades du système
éducatif, notamment en classe de 6e et de seconde.
Il a également évoqué la possibilité d'affecter des
professeurs agrégés à la fois en classe de terminale et
dans les premiers cycles universitaires.
M. Franck Sérusclat
s'est demandé si le caractère
parallèle des démarches entreprises par le ministre et par la
commission Fauroux n'inciterait pas cette dernière à organiser
également des états généraux et s'est
interrogé sur la véracité des révélations
publiées par la presse concernant les premières conclusions de la
commission. Il a également souligné l'accumulation des retards
constatés à tous les niveaux du système éducatif,
notamment à l'école primaire, en dépit de la
réussite d'expériences locales qui n'ont pas été
étendues.
M. James Bordas
est convenu que l'échec universitaire
résultait pour une large part d'un défaut d'orientation des
lycéens, s'est demandé si les professeurs principaux
étaient prêts à s'impliquer en ce domaine, et a
souligné la nécessité d'associer les familles à
l'information dispensée par les " orienteurs ".
S'appuyant sur son expérience d'enseignant,
M. Jean-Louis
Carrère
a regretté que les
" maîtres-receveurs " dénoncent sans doute trop
systématiquement le niveau insuffisant des connaissances acquises
antérieurement par leurs élèves et a rappelé que
les enseignants du primaire et du secondaire bénéficiaient d'une
formation pédagogique, à l'inverse des professeurs
d'université qui privilégient leur activité de recherche.
Il a rappelé que des efforts de coordination ont été
engagés entre les maîtres et les professeurs des écoles,
des collèges et des lycées, ainsi qu'entre le deuxième
cycle de l'enseignement secondaire et les premiers cycles universitaires.
L'université ne doit pas, selon lui, constituer un sanctuaire
pédagogique et rester à l'écart des réformes, et il
a notamment regretté l'échec du tutorat dans les premiers cycles.
Il a enfin dénoncé le détournement de la vocation des STS
et des IUT qui assurent également des formations de proximité.
M. Adrien Gouteyron, président,
a demandé s'il
conviendrait de maintenir une certaine proportion d'enseignants-chercheurs dans
la première année universitaire de remise à niveau.
M. Pierre Laffitte
s'est félicité de la méthode de
travail retenue par la commission et qui tend notamment à
privilégier l'observation des expériences engagées sur le
terrain et a rappelé que la mission d'information du Sénat sur
les premiers cycles s'était inspirée du même souci en
lançant une consultation sur le réseau Internet.
Soulignant la richesse des expériences engagées localement, mais
aussi leur caractère artisanal et confidentiel, il a estimé que
leur extension devrait plutôt se réaliser à partir d'un
niveau décentralisé en utilisant les ressources de l'enseignement
à distance et du télé-enseignement.
Il a également évoqué la possibilité d'utiliser,
notamment dans le domaine de l'orientation, les " bonnes
volontés " extérieures au système éducatif
(parents d'élèves, collectivités locales, entreprises,
jeunes retraités).
Il a par ailleurs souligné le rôle que pourraient jouer la
chaîne de télévision éducative et les technologies
nouvelles dans le système scolaire et universitaire, notamment pour
constituer des réseaux entre petits établissements.
M. Jean Bernadaux, co-rapporteur,
a souligné les
difficultés rencontrées par les thésards issus du monde de
l'entreprise pour devenir professeurs d'université.
Répondant à ces interventions,
M. Roger Fauroux
a
notamment apporté les précisions suivantes :
- le système éducatif fonctionne selon des séquences
isolées relevant de chaque ordre d'enseignement et un partage des
professeurs agrégés entre le lycée et l'université
constituerait un progrès ;
- le défaut d'acquisition des connaissances selon les niveaux scolaires
résulte d'abord de la pression démographique qui a pesé
sur le système éducatif mais aussi, notamment pour le primaire,
de la mise en oeuvre de réformes pédagogiques discutables, de
l'éclatement des familles, d'une concentration géographique de
l'immigration dans certaines localités et du développement de la
télévision ;
- l'institution du collège unique doit être
préservée et sa souplesse s'oppose à la rigidité
des filières du système allemand : son bon fonctionnement
suppose cependant un recours à des classes d'initiation
pré-professionnelle et un développement des passerelles pour
permettre un retour des élèves dans l'enseignement
général ;
- l'évolution différentielle de la démographie entre les
enseignements primaire, secondaire et supérieur commanderait logiquement
un transfert des crédits, et une discrimination budgétaire
positive, en faveur des premiers cycles universitaires ;
- la commission Fauroux et les états généraux fonctionnent
de manière autonome et formuleront des propositions distinctes, le
ministre sera cependant entendu prochainement par les membres de la
commission ;
- les difficultés rencontrées par les élèves dans
le primaire se prolongent tout au long de la scolarité puisque 5 %
seulement de ceux qui ont redoublé le cours préparatoire passent
avec succès le baccalauréat ;
- les " révélations " publiées par la presse sur
les travaux de la commission sont tirées d'un projet d'introduction au
rapport et d'un relevé de certaines réflexions de ses membres qui
n'ont pas été soumis à l'examen de la commission ;
- les professeurs principaux sont sans doute disposés à valoriser
leur métier en se consacrant à l'orientation de leurs
élèves et les préventions idéologiques entre
enseignants et entreprises ont aujourd'hui tendance à s'effacer ;
- les professeurs des universités étrangères, à la
différence des nôtres, sont jugés en fonction de leurs
performances pédagogiques et une évaluation des enseignements par
les étudiants existe déjà dans certaines de nos grandes
écoles ; l'évaluation des universités devrait par
ailleurs être confiée à un office indépendant de
l'exécutif ;
- du fait de notre tradition jacobine, les universités ne disposent que
d'une autonomie limitée alors que celle-ci est nécessaire,
notamment pour dialoguer avec les collectivités locales et leurs
homologues étrangères ;
- le ministère de l'éducation nationale est régi par une
organisation de type vertical qui constitue un obstacle à la mise en
place de réseaux ;
- la commission a constaté au cours de ses déplacements que
certains établissements secondaires utilisaient d'ores et
déjà largement toutes les ressources de l'enseignement à
distance.
La mission a ensuite procédé à
l'audition
de
M. Jean-Marc Monteil, premier vice-président de la
conférence des présidents d'université (CPU).
Dans une déclaration liminaire,
M. Jean-Marc Monteil
a d'abord
tenu à préciser la position prise par la CPU contre la
sélection à l'entrée à l'université,
laquelle ne témoigne en rien d'un quelconque laxisme en faveur des
étudiants.
Il a rappelé que le système universitaire était
déjà très sélectif, soit dans les IUT, soit du fait
de l'échec constaté dans les premiers cycles et que tout nouveau
projet d'orientation était considéré à tort comme
destiné à écarter de l'université les
étudiants en difficulté.
Il a au contraire indiqué que le récent colloque réuni
à Saint-Malo avait été l'occasion pour la CPU de
" faire sauter le bouchon de la sélection " et d'examiner
les
réponses qui peuvent être apportées aux étudiants en
situation d'échec. Soulignant que la massification de l'enseignement
supérieur commandait d'orienter les flux d'étudiants dans
diverses filières en fonction de leurs motivations profondes et de leurs
compétences acquises dans l'enseignement secondaire, il a rappelé
qu'une préorientation existait déjà dans les
filières scientifiques et techniques à la différence des
DEUG littéraires, de sciences humaines et de droit.
Il a par ailleurs observé que les taux d'échec étaient
comparables dans l'ensemble des filières et que 40 % des
élèves des classes préparatoires n'intégraient pas
les grandes écoles et se repliaient sur les premiers cycles
généraux.
Il a estimé que les dysfonctionnements constatés dans les
premiers cycles qui rassemblent des étudiants orientés par
défaut ou après un échec dans des filières
sélectives, le détournement de la vocation professionnelle des
IUT, les aspirations à la poursuite d'études supérieures,
le taux d'échec des bacheliers technologiques et professionnels dans les
DEUG appelaient des solutions urgentes sauf à affecter les professeurs
d'université à des tâches subalternes de remise à
niveau dans les disciplines secondaires de base. Afin de lutter contre la
tendance à l'accumulation des diplômes, il a
préconisé une ouverture des STS et des IUT aux étudiants
qui souhaitent s'insérer rapidement dans la vie professionnelle, en
prévoyant des possibilités de retour dans le système
universitaire.
Il a par ailleurs noté que la réussite d'une politique
d'orientation supposait une information dispensée à l'interface
des enseignements secondaire et supérieur d'une part, et des mondes de
l'université et de l'entreprise, d'autre part. Il a également
évoqué la difficulté de concilier une forte demande
sociale de formation et les besoins immédiats et évolutifs des
employeurs : une " plate-forme des formations " qui
serait
définie par l'université et les entreprises constituerait une
solution qui existe déjà au niveau régional.
Il a également souligné la nécessité
d'institutionnaliser une concertation et une information réciproque
entre les établissements employeurs, afin d'éviter les
décalages entre des schémas académiques de formations et
les besoins économiques régionaux : les diplômes
créés, y compris les DESS, doivent ainsi tenir compte des
réalités économiques et la formation de la masse des
étudiants doit être appréhendée en terme d'objectifs
dans un système de filières diversifiées qui serait
complété par les ressources de la formation continue.
A l'issue de cet exposé général, un large débat
s'est engagé.
M. Pierre Laffitte
a déclaré souscrire à
l'essentiel de ces développements et s'est interrogé sur les
moyens de développer les capacités créatrices, l'esprit
d'entreprise et les initiatives personnelles au sein de l'université.
Il a également évoqué la prise en compte des fonctions et
des capacités pédagogiques dans l'évaluation des
enseignants.
Citant l'exemple de l'université de Nice qui propose un DEUG comportant
une formation en alternance, il s'est interrogé sur les perspectives de
généralisation d'une telle initiative et les possibilités
d'initier les élèves de terminale à une
méthodologie propre à la recherche. Se demandant si l'orientation
des étudiants relevait exclusivement de personnels appartenant à
l'université, il a souligné l'intérêt de recourir
pour cette fonction à des bénévoles, notamment des jeunes
retraités, étrangers au système éducatif.
M. Adrien Gouteyron, président,
s'est demandé si la
communauté universitaire était prête à accepter une
évaluation de ses enseignants non exclusivement fondée sur les
activités de recherche et s'est interrogé sur les
possibilités d'initiative des présidents d'université en
ce domaine. Il s'est également enquis des perspectives d'une mise en
place éventuelle d'un système de consolidation des acquis des
nouveaux étudiants qui accèdent au premier cycle ainsi que de la
vocation des professeurs d'université à participer à cette
remise à niveau, notamment dans les disciplines fondamentales non
scientifiques.
Il a par ailleurs souhaité obtenir des précisions sur
l'efficacité des services d'information et d'orientation de
l'université de Clermont II et a évoqué le
problème de la répartition des rôles en ce domaine entre
les enseignants et les personnels spécialisés.
M. Jean-Louis Carrère
a rappelé que le problème de
la qualité pédagogique des professeurs d'université
n'était jamais soulevé lors de l'examen des causes de
l'échec universitaire.
Il est ensuite convenu que les relations entre l'université et les
entreprises étaient particulièrement étroites au plan
régional, et qu'il convenait de les aborder sans parti pris
idéologique.
Il a évoqué par ailleurs les difficultés
éprouvées par les banques pour participer au financement de
certains projets universitaires lorsque les dossiers ne sont pas validés
par la hiérarchie de l'université.
M. James Bordas
a souligné le pragmatisme et le caractère
dynamique des propos entendus. S'appuyant sur son expérience de maire,
il a estimé que l'information des jeunes sur les formations était
nécessaire pour éviter la multiplication des chômeurs
diplômés et s'est interrogé sur les modalités d'une
action efficace en ce domaine.
M. Jean-Pierre Carle
a insisté sur la nécessité de
développer des partenariats dans la définition des formations de
proximité. Prenant acte du détournement du système
d'orientation vers les filières courtes, qui résulte notamment de
l'action des chefs d'établissement, il a souhaité obtenir des
précisions sur les moyens susceptibles de réorienter les flux des
étudiants. Il s'est enfin inquiété des modalités
d'un renforcement des services de l'orientation et du rôle futur des
conseillers dont l'efficacité est fréquemment mise en cause.
M. Jean Bernadaux, co-rapporteur
, s'est enquis du rôle joué
par la CPU dans l'organisation des états généraux de
l'université.
Répondant à ces interventions,
M. Jean-Marc Monteil
a
apporté les précisions suivantes :
- l'innovation et la créativité à l'université
restent encore très limitées et une nouvelle dynamique en ce
domaine, susceptible de déboucher notamment sur des créations
d'entreprises, ne pourrait résulter que d'une association des
établissements avec leurs partenaires (collectivités locales,
milieux économiques, banques...) ; si la communauté
universitaire est disposée à s'engager dans cette voie, comme le
montre l'exemple des laboratoires de recherche et les relations nouées
avec les universités étrangères, l'université
française fournit encore une réponse trop académique
à un monde économique qui reste frileux ;
- si la carrière des universitaires est commandée par leur
dossier scientifique et l'importance de leurs activités de recherche,
les enseignants-chercheurs connaissent au cours de leur vie professionnelle des
activités de plus en plus diversifiées ;
- il ne serait pas souhaitable, selon lui, d'instaurer un contrôle sur
l'activité de recherche des enseignants-chercheurs, sauf à
hypothéquer la créativité des meilleurs ;
- l'évaluation du contenu des enseignements par les étudiants
serait préférable à l'institution d'un corps d'inspecteurs
généraux et se généralisera dans quelques
années, mais l'hétérogénéité des
populations étudiantes impose des stratégies pédagogiques
complexes dans les premiers cycles ;
- la démocratisation universitaire est une chance pour le pays, mais
elle doit s'accompagner de la recherche d'une insertion professionnelle des
étudiants en fonction de leurs capacités et de leur motivation,
sauf à conforter la dynamique actuelle de l'échec ;
- si la sélection est inséparable du parcours universitaire, il
convient de la situer à la sortie du système plutôt
qu'à son entrée en gérant
l'hétérogénéité des étudiants par la
diversification des filières ;
- les présidents d'université jouent un rôle essentiel dans
l'organisation des états généraux : cette
consultation appelle des réponses positives qui devraient permettre,
sans médiatisation excessive, de construire l'université de
demain ;
- la formation en alternance apparaît comme un facteur de mobilité
intellectuelle pour les étudiants mais son développement se
heurte à la capacité d'accueil des entreprises ;
- la recherche reste indispensable dans les premiers cycles car elle apporte un
esprit de méthode aux enseignants et aux étudiants ;
- la consolidation des acquis scolaires pourrait être assurée par
les universités, notamment dans les filières scientifiques, en
multipliant les travaux pratiques ; dans le domaine des lettres et des
sciences humaines, il conviendrait plutôt de recourir aux technologies
nouvelles pour permettre aux nouveaux étudiants d'acquérir une
maîtrise syntaxique ou linguistique qui leur fait souvent
défaut ;
- si l'université est prête à évoluer et à se
" réconcilier " avec la nation, il conviendrait de lui en
donner les moyens sinon les meilleurs enseignants la délaisseront :
elle a notamment un rôle considérable à jouer sur le plan
international et européen ;
- le service d'orientation de l'université de Clermont II dispose
de quatre postes de conseillers et de trois universitaires pour 20.000
étudiants ; une véritable politique de l'orientation suppose
une coopération entre le lycée et l'université, une
connaissance par les conseillers des diplômes délivrés par
les établissements ainsi que la création d'un corps de
professionnels puisés notamment parmi les universitaires et justifiant
d'une expérience du monde de l'entreprise.